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Et son monde ? Contributions anarchistes sur la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes

mis en ligne le 7 août 2024 - Anonyme , Pyrex , Radis noir

Contre l’aéroport et son quoi ?

Il est certainement inutile de revenir ici sur les détails du projet de transfert
de l’aéroport de Nantes nécropole vers
le site de Notre-dame-des-Landes, qui
se heurte à une opposition multicolore
depuis de nombreux mois. Ce qui nous
intéresse, disons-le clairement, ce ne
sont pas non plus les charmes d’une
forêt ou d’un « bocage unique » à préserver à tout prix, ni une ingéniosité
dans la construction de cabanes qu’il
serait dommage de brimer, ou encore
les effets désastreux qu’un « grand projet inutile » provoquerait sur notre portefeuille d’assisté métropolitain. Par contre, le fait que des centaines d’individus se battent contre une nuisance quelconque et contre le monde qui l’accompagne, voilà qui a de quoi nous réjouir, et nous faire réfléchir sur les possibilités que contient cette lutte. Sans la prendre de façon acritique comme
un modèle qu’il s’agirait de diffuser un
peu partout, et pas non plus pour la liquider d’un trait au nom de limites qui
ne sont affrontées qu’à la marge, mais
afin d’entamer une discussion autour
de la question des luttes partielles.

Contre un aéroport…

Comme beaucoup de luttes locales, celle contre le nouvel aéroport de Nantes a longtemps semblé devoir n’emprunter que le chemin boueux des rassemblements plan-plan, des recours juridiques et autres pressions pétitionnaires sur les élus,
avant qu’une nouvelle détermination
et l’approche des travaux ne viennent
secouer ce qui n’aurait pu rester
qu’une mobilisation de plus contre
une nuisance de plus. Pendant des
décennies, ce sont en effet essentiellement des riverains, une partie des futurs agriculteurs expropriés et les bureaucraties syndicales et politiques qui les représentent qui ont porté une contestation citoyenne contre ce projet [1] Il y a quelques années pourtant,
en plus des habitants qui avaient déjà
des baux précaires avec le Conseil général sur le futur site (27 maisons),
une nouvelle vague est aussi venue s’ajouter en commençant à squatter sur place, comme au Rosier en 2007. Par couches successives, d’autres occupants les ont rejoint, par exemple
suite à des initiatives comme Reclaim the Fields (occupation de la ferme maraîchère du Sabot en mai 2011) ou le Camp action-climat d’août de cette
année-là, ou encore attirés par un mode de vie différent de celui des métropoles. De proche en proche, après l’appel d’offre remporté par Vinci fin
2010 et l’opposition aux premiers
travaux préliminaires (piquetages et
forages géotechniques, aménagement
de voies d’accès) ou aux huissiers, pas mal de monde est finalement passé àNotre-dame-des-Landes, et certains ont également fini par y rester.

Enfin, suite aux semaines d’octobre
2012 de résistance acharnée à l’expulsion des lieux occupés, et notamment autour de la grrrande manifestation unitaire du 17 novembre (de 10 000 à 40 000 personnes selon la générosité des comptables), nombre d’individus de tous horizons ont encore bouleversé la donne en rejoignant le site. Depuis, aussi bien la mise en place de capacités d’accueil et
de ravitaillement solidaires à une plus
vaste échelle, la médiatisation plus
ou moins volontaire des échéances à
court terme, tout comme l’effet d’entraînement d’une lutte contre un gouvernement porteur de désillusions et qui joue du bras de fer, tout cela a inévitablement contribué à brouiller un peu plus les cartes quant au contenu possible de ce qui est désormais devenu un mouvement qui dépasse une
lutte locale (naissance de 200 comités un peu partout, initiatives décentralisées et diffuses, récupérations en tous genres, participation militante d’une partie du « peuple de gôche »).

Plusieurs raisons de s’opposer à l’aéroport cohabitent donc logiquement dans ce mouvement, sans qu’il
y ait d’ailleurs beaucoup plus que cela à partager sur le fond, au-delà
d’agréables rencontres. Si d’un côté
on ne peut pas réduire les individus
du coin en lutte à de strictes questions
matérielles, on ne peut pas non plus
d’un autre côté évacuer d’un coup les
différences entre ceux qui sont attachés à leur terre, leur ferme ou leur
maison, et les occupants de passage
qui risquent fort de repartir après
l’abandon ou la construction de l’aéroport. Et même parmi ces derniers,
on ne peut que constater la différence
substantielle qui existe entre partisans de la construction d’un « vaste
mouvement populaire » qui prendrait
le Larzac comme référence, ce qui signifie notamment s’aligner sur le plus
petit dénominateur commun, et partisans d’une lutte radicale qui prendrait l’aéroport comme prétexte pour développer participation qualitative et expérimentation de méthodes, en un aller-retour permanent entre le site et leur quotidien.

A titre d’exemple, cette dernière idée
était développée sans détour dans un
tract distribué en décembre dernier,
lors d’une manifestation de solidarité
à Tours : « il faut toutefois comprendre
que Notre-Dame-des-Landes pour
nous, c’est comme ailleurs. La ZAD
pourrait être un désert lunaire, et on
voudrait y construire des HLM ou une
école qu’on se battrait contre avec la
même rage et la même détermination.
Parce qu’au final, la manière selon
laquelle ils veulent aménager NDDL
 [2], c’est la même que celle qui aménage notre quotidien. C’est le quadrillage
de l’espace par le pouvoir, la surveillance constante, l’occupation des rues
par des forces armées et l’apartheid économique qui chaque fois que tu descends chercher des clopes te foutent mille claques dans la gueule. Il est là le monde de l’aéroport, dans l’atomisation sociale, dans le salariat, dans l’enferment des plus récalcitrants, dans les « bavures » et les « accidents » du travail.
 » [3]

Le caractère contradictoire d’une
« diversité » qui ne date pas de novembre dernier, s’était déjà manifesté de manière particulièrement criante
lors de l’occupation-saccage d’une partie de l’aéroport actuel de Nantes Atlantique au Bouguenais le 27 juillet 2011, qui avait provoqué près de
100 000 euros de dégâts. Tandis que
la coordination entre les différentes
associations et habitants de la ZAD ou
les militants du contre-G8 s’étaient
acharnés à hurler contre les violences
policières et à stigmatiser de fait la
« minorité d’opposants » qui avaient
brisé le consensus festif, convivial et
pacifique de leur action, ces derniers
explicitaient leur pourquoi différent
dans un texte sorti après coup : « Atteindre matériellement cet aéroport-ci,
lui porter des coups, c’est rappeler que
ça n’est pas seulement l’aéroport de
Notre-Dame qui pose problème, que
se battre contre la construction d’un
aéroport en particulier, ça n’est pas
forcément accepter la présence des
autres aéroports ni du monde qui va
avec. De façon spontanée, parce que le
fait de pouvoir rentrer dans le hall de
l’aérogare, avec à portée de main distributeurs de banques, pubs et guichet
de compagnies aériennes, permettait
de le faire, pour une fois. Rendre ce lieu
puant moins lisse, impropre à la circulation, enrayer ses rouages à défaut de
le faire fermer. Briser la cohabitation
silencieuse entre bourges, pauvres
ayant mis toutes leurs économies dans un aller-retour au bled et expulsions de sans-papiers. Rendre palpable ce que c’est réellement. Une frontière, un obstacle. Un lieu de contrôle des corps et de tri.
 » [4] Vous avez dit contre ce projet d’aéroport et point barre, ou contre les aéroports et leur monde ?

… et son monde ?

Dans tout large mouvement d’opposition à une nuisance, on sait
heureusement d’expérience que les
mille et unes raisons de départ, pour
être variées et limitées, peuvent aussi évoluer avec la lutte. Ainsi, lorsque
l’Etat souhaite implanter une infrastructure que beaucoup jugent
indispensable, tout en luttant pour
qu’elle soit construite le plus loin
possible de chez eux, la question du
« ni ici ni ailleurs » est un premier pas
souvent nécessaire (qu’on pense aux
antennes-relais de téléphones portables, aux prisons ou aux lignes TGV,
tandis que les belles usines polluantes
créatrices d’emploi font tout de suite
moins débat). Dans les luttes locales
contre la construction de centrales
nucléaires il y a quelques décennies,
ce point a par exemple parfois pu être
dépassé dans les formes, même s’il
est souvent resté problématique et ne
résout pas tout en lui-même. Pour ne
citer que le cas de Plogoff, qui a tendance ces derniers temps à servir de
modèle à Notre-Dame-des-Landes, il nous montre paradoxalement que
dans la réalité, le « ni ici ni ailleurs » qui
a certes permis de tisser des liens forts
avec les autres luttes de site de 1979
à 1981, a commencé à faiblir lorsque
le pouvoir a abandonné son projet de
centrale après 1981 dans ce coin de Bretagne, et que la population locale n’a pas pour autant continué à lutter contre l’atome, alors qu’à deux pas de chez elle se trouvaient également une base de sous-marins nucléaires ou la centrale de Brennilis.

A Notre-dame-des-Landes, vu que
l’emplacement de l’aéroport est resté
le même pendant 40 ans et que l’Etat
ne l’a pour l’instant pas mis en balance
avec d’autres (ce qui pourrait être une
option pour lui si le rapport de force
augmente), vu aussi que le projet est
dans une phase où les principaux
recours sont épuisés, le « ni ici ni ailleurs » ne s’est heureusement pas posé
avec la même pertinence que dans
d’autres luttes de site, même s’il est
présent de façon symbolique depuis
au moins 2003 dans les manifestations
locales. Du coup, le fait de mettre en avant le futur concessionnaire (« Vinci dégage ! ») depuis qu’il a été choisi par l’Etat, a permis de préserver une tension au sein de la lutte vers le dépassement d’un rapport strictement local. N’est-ce pas en effet le même
Vinci qui construit l’autoroute de
Khimki en Russie, est impliqué dans le
sarcophage de Tchernobyl, ou se voit
attribuer nombre d’autres nuisances qui vont de la construction de prisons à celle de HLM, de lignes à Haute-Tension à n’importe quel tribunal ?

Lorsqu’on commence à s’interroger
sur le monde qui va avec l’aéroport, on
peut rapidement être saisi de vertige. Ne serait-ce que sur place, le fait de ne pas isoler ce projet de l’environnement dans lequel il s’inscrit, nous permet alors d’avoir une autre approche
de la lutte, de lire le territoire d’une
façon différente : est-on par exemple
face à une infrastructure qui viendrait
détruire une des dernières zones à
l’abri du quadrillage industriel, technologique et étatique du coin, ou bien
face à une restructuration interne du territoire nantais, changeant l’affectation capitaliste d’un espace déjà soumis à ses logiques ? Lorsqu’on creuse un peu, c’est l’ensemble du projet de
Nantes-métropole qui saute alors aux yeux comme autant d’objectifs à frapper. Pour n’en citer que quelques-uns, cet aéroport est un bout du puzzle
monstrueux qui comprend le tram-train Nantes-Châteaubriant, la deuxième ceinture périphérique autour
de la métropole nantaise (le barreau routier vers Rennes et St-Nazaire), la
construction de 70.000 m² de l’Institut
de Recherche Technologique
Jules Verne à Bouguenais, l’implantation d’un parc
de 80 éoliennes Alstom sur le banc de
Guérande dont un prototype se situe
au Carnet, le quadruplement du réseau de chaleur urbain Centre-Loire,
le quartier d’affaire Tripode sur ce qu’il reste de l’île de Nantes, etc. En somme, le problème initial de l’aéroport se transforme et le petit bout de la lorgnette s’élargit assez vite. On est autant face à un aéroport qui détruirait un bocage paysan, que face à une rénovation rurbaine de grande ampleur dans un monde qu’ils transforment en permanence à leur image.

Analyser ici ce qui nous arrive dans
la gueule n’est pas un simple exercice
intellectuel, et certainement pas non
plus un appel à laisser tomber la lutte
contre l’aéroport pour se concentrer contre d’autres nuisances. Au
contraire, si tout est dans tout, mais qu’il faut bien commencer quelque part pour initier des parcours de lutte basés sur l’auto-organisation et l’attaque, ce minimum de compréhension d’un projet particulier de la domination pourrait même devenir une manière d’ouvrir l’horizon pour affronter celui-là. Si on se place en l’occurrence dans une hypothèse non quantitative (ne pas tous se concentrer tout
le temps au même endroit) ou dans
une hypothèse où l’occupation du site
ne serait plus possible, voire dans le
cas où le projet serait suspendu, c’est
toute la question de la diffusion, de
l’extension ou de la continuité de cette
lutte qui se pose immédiatement.

Un certain nombre de sabotages anonymes et parfois non revendiqués
peuvent ainsi nous offrir quelques
pistes pour agir dans ce sens. D’un
côté, si on s’intéresse d’un peu plus
près à Vinci, on peut facilement se
rendre compte qu’on n’est pas face à
un monstre centralisé qui ne s’incarnerait que dans des immeubles de bureaux surprotégés au milieu de nulle part, mais que beaucoup de ses manifestations concrètes (parking, autoroutes, chantiers) sont au quotidien à la portée de chacun. On peut alors retrouver des traces de sa présence un
peu partout, comme nous le montrent les dégradations d’engins de construction les plus divers à Grenoble le 11 novembre dernier, à Carhaix le 14 novembre ou à Bruxelles le 12 décembre, mais aussi de ses pylônes de THT (sabotés dans le Maine le 16 octobre). Le capitalisme n’est ainsi pas une chose
abstraite qui plane au-dessus de nos
têtes, ou n’est pas qu’un rapport social qui nous traverse et resterait
donc inatteignable sans transformation générale. C’est aussi un ensemble
de structures et d’humains qui se trouvent au coin de la rue, qui ont des
noms et des adresses, et peuvent à ce titre subir notre critique.

D’ailleurs, si on s’intéresse cette fois
au projet global de l’aéroport et donc
à Nantes-métropole, n’est-ce pas d’un
autre côté ce que nous suggèrent
déjà quelques sabotages dans le coin,
comme ceux du chantier d’extension
de la quatre voies entre Sautron et Vigneux-de-Bretagne le 1er mai 2012,
ou l’incendie d’engins du tram-train à Nort-sur-Erdre le 4 novembre 2012 ? Et si l’on poursuit sur cet élan qui vise à identifier puis à atteindre l’ennemi qui incarne concrètement le « et son monde », ils peuvent certainement renforcer leur protection autour des entreprises les plus visibles qui interviennent à Notre-Dame pour effectuer les travaux préliminaires et les expulsions, mais toujours d’une façon limitée : les flics ne peuvent assurer une garde permanente et partout des
intérêts et des biens des partisans de
l’aéroport. Le hangar et la réserve de
paille - 260 roundballers - d’un agriculteur hostile aux occupants n’ont-ils pas mystérieusement cramés à Vigneux-de-Bretagne le 27 novembre 2012 ? Les sept poteaux électriques
sur le tracé du futur barreau routier n’ont-ils pas été endommagés à
la masse et les câbles et leurs futurs
embouts de liaisons sectionnés le
10 mars 2013 ? De la même façon, la
neutralisation de dizaines de camions
(cent-soixante-deux pneus crevés) de
l’entreprise Transports Pajot-Elineau à Soullans (Vendée) le 3 décembre 2012, nous semble assez claire sur
ce point, montrant une fois de plus qu’une capacité d’observation pour
trouver le moment adéquat, mêlée à
une certaine dose d’agileté, peuvent
se révéler plutôt intéressantes…

Enfin, un autre aspect important
de cette lutte, un des possibles que
pourrait ouvrir l’idée de combattre
le monde de l’aéroport, reste certainement sa capacité à s’étendre. On se
souvient qu’une des forces des événements en Val Susa, avait été à certains
moments de réussir enfin à sortir de
la vallée, pour notamment rencontrer
des échos contre des infrastructures
identiques, comme en ont témoigné
des attaques contre les lignes TGV
en construction à Florence, Rome ou
Bologne, et de façon moindre contre
des lignes existantes, comme celle de
Milan. Ici, la question n’est pas forcément de relier de façon caricaturale
ou activiste un projet d’aéroport à un
autre, voire même un chantier de nuisance particulière à une autre, mais de
considérer qu’au-delà de ce qui pouvait être socialement parlant dans un
élan de solidarité avec les opposants
qui résistaient pied à pied aux flics en
octobre 2012, à savoir les infrastructures de Vinci ou les permanences du
PS, ce serait la logique même d’aménagement de nos existences qui se
retrouverait sur le grill. Plus encore
que des formes (manifestations, sabotages, occupations, affrontements),
ce seraient alors un un enthousiasme et des contenus qui commenceraient à se diffuser : n’est-ce pas par exemple la combinaison de ces modes d’actions directes, plus que des recours juridiques ou des tractations avec le pouvoir, qui ont forcé l’Etat à reculer le projet d’au moins six mois ?

Quant aux contenus possibles, c’est à
notre avis tout l’enjeu de cette lutte,
dont une partie se focalise sur un « et son monde » qui reste certes à définir,
mais peut ouvrir nombre de perspectives, et repose quelques questions
classiques liées aux luttes partielles
locales : en dehors des allers-retours
sur place et de la nécessaire solidarité,
comment continuer d’approfondir ces
pourquoi qui résonnent en nous dans
la lutte à Notre-Dame-des-Landes ? Comment alimenter cette dernière
d’où nous sommes, en dehors des collectifs formels de soutien, et dans la rue ? Sans apporter de réponse définitive, peut-être qu’une des pistes se trouve-t-elle symboliquement dans ces vitres brisées d’agences immobilières les 16 octobre et 6 décembre à Montreuil et Paris, ou encore dans la tentative de sabotage de l’inauguration du nouveau tramway de la capitale, le 15 décembre. Au-delà d’une proposition d’attaque diffuse sans médiation, au-delà « d’être un grain de sable qui enraye la machine, poussant vers son déraillement » ou d’« étendre le marécage d’une offensive incontrôlable et libératrice », le lien réel ne pourrait-il pas être cette vaste prison à ciel ouvert où nous vivons tous, en ville comme à la campagne,
et dont chaque pan et chaque grille
qui se construit, même s’ils portent
un autre nom, ne peut que renforcer
notre exploitation et notre contrôle,
notre domination et notre servitude ? Finalement, plutôt que de rechercher quelque pont mystérieux entre chaque lutte qui conteste un aspect de ce monde avec toutes ses spécificités, le secret ne serait-il pas de s’en prendre partout, dans notre quotidien
même, à un ou plusieurs traits de sa
sale gueule, pour la démolir passionnément ? En quelque sorte, multiplier
et diffuser les angles d’attaque contre
tout ce qui nous détruit (nuisances
technologiques et structures d’enfermement, infrastructures de la circulation du capital et points de contrôle de l’Etat), non plus comme une addition ou une convergence artificielle de
luttes et de leurs limites, mais comme l’ouverture d’un dialogue riche de potentialités subversives au sein d’espaces de conflictualité sociale sans médiation.

Quel monde à défendre… ou à attaquer ?

Malgré ce désir d’approfondissement de l’antagonisme par une
minorité de compagnons sur place,
on doit reconnaître qu’il a tout de
même été aussi beaucoup question
dans cette lutte de tout ce qui en fait
sa spécificité, de tout ce qui l’éloigne
des autres luttes, soit de batraciens
et de bocage, de cabanes en forêt et d’Ayrault-porc, des capacités techniques des pistes existantes ou de l’affectation du budget des collectivités locales en temps de « crise ». A notre
avis, ce genre d’argumentaire n’est
pas fortuit, et correspond plutôt bien
à la tentation réformiste qui existe
dans toute lutte partielle, c’est-à-dire
d’agir sur le détail et d’une façon
quantitative, de mobiliser de grands
nombres pour ne modifier que certains éléments particuliers de la domination. Le déroulement et la réappropriation de l’argumentaire écolo et citoyen, battu et rebattu jusqu’à la
nausée par les opposants officiels (ou pas) au nouvel aéroport de Nantes,
pousse donc à s’interroger sur les
dépassements possibles d’une telle
lutte. Car si certaines manifestations
d’hostilité au projet d’aéroport sont
souvent parlantes, c’est aussi parce
qu’à travers leur critique pratique
du « et son monde », elles s’inscrivent
dans un vieux débat qui est loin d’être
tranché : comment développer un
rapport de lutte subversif contre un
projet du capital et de l’Etat (à travers
des expériences d’auto-organisation
sans médiation et l’identification
puis l’attaque de l’ennemi), et ne pas
se cantonner à une lutte strictement
défensive (basée sur la recherche des
grands nombres au prix de la politique, et sur la préservation d’une
partie de l’existant, au prix de l’alternative) ?

Pour ne pas s’enfermer dans une
dynamique de site, c’est-à-dire de
camp retranché, il n’est pas anodin
que le retournement militant initial
de la définition technocratique de
Zone d’Aménagement Différé (ZAD)
en Zone À Défendre, voire en Zone d’Autonomie Définitive, soit régulièrement remis en question par nombre de compagnonNEs sur place. En effet, il ne parait pas totalement incongru de se demander s’il existe encore quelque chose à défendre en soi dans ce monde, c’est-à-dire quelque espace qui n’ait pas déjà été aménagé par les logiques marchandes, colonisé par les poisons industriels et nucléaires ou transformé et réglementé par les nécessités étatiques du contrôle ?

En réalité, tout comme il n’existe pas
d’en-dehors ou d’interstices préservés qui échapperaient aux ravages de
la domination, qu’est-ce qui pourrait
bien être à défendre dans l’environnement de Notre-Dame-des-Landes,
même sans aéroport, sinon des rapports de lutte, malgré ce que peuvent
en dire tous les écologistes et autres
adorateurs des beautés immaculées
du coin ? On peut certes s’illuminer
sur « une population pacifiste mais résistante qui ne demande que de vivre
en paix et en harmonie avec la mère nature
 », comme le proclame un habitant incarcéré de la région [5], mais on ne nous fera pas pour autant croire que cette bonne vieille mère était
vierge avant le projet ! Et si certains
nostalgiques poussent même le vice
jusqu’à tenter de vendre ailleurs leurs
certificats d’habitabilité de l’existant
en proposant de reprendre villes,
HLM ou usines (ne laissons pas le
monopole de la merde à nos ennemis, réapproprions-nous leurs chefs
d’œuvre !), ce n’est pas une raison pour se leurrer sur les qualités de l’environnement que nous ont laissé deux siècles de développement industriel et étatique forcenés.

Une fois qu’on se place sur le terrain
de la préservation de l’existant, il
nous semble en effet assez difficile de
ne pas tomber dans un raisonnement
qui nous conduirait par exemple à
déterminer ce qui est « utile » ou « inutile » pour le système de domination
en cours, plutôt que d’en rester à un « non » sec et inégociable. Un refus qui
dépasserait toute logique gestionnaire, même de biens supposés communs [6], et toute notion d’utilitarisme,
même labellisée « capitalisme vert ». Un des pièges récurrents dans lequel
les défenseurs des nuisances et autres
gestionnaires du désastre (présents
et futurs) tentent d’enfermer toute
opposition radicale, est depuis longtemps le défi de l’alternative : vous en
faites quoi des déchets si vous vous
opposez au nouvel incinérateur ?,
vous la produisez/transportez comment l’électricité de masse si vous
vous opposez à la centrale nucléaire,
au champ d’éoliennes ou à la ligne
THT ?, vous les déplacez comment ces
voyageurs et marchandises en transit
permanent si vous vous opposez à
l’aéroport ou aux lignes TGV ? Toutes
ces questions sont bien sûr faussées,
car elles contiennent déjà en elles une
réponse circonscrite à cette perpétuation de l’existant, c’est-à-dire aux
nécessités indépassables du capitalisme ou de l’Etat, de leur logique de
profit et de gestion, d’exploitation et de contrôle.

Dire qu’on s’en fout et que c’est leur problème, n’est donc pas un simple
argument rhétorique, mais contient déjà en soi le début du monde pour
lequel on se bat, quelque chose de complètement autre. Un monde inimaginé et inimaginable parce que jamais vécu, « irréalisé mais pas irréalisable » comme le disait déjà Déjacque, dont nous ne pouvons et ne voulons pas établir d’avance de carte détaillée. Et pour aller plus loin encore, il nous semble que c’est notamment l’absence ou l’abandon volontaire de
cette dimension utopique, sa relégation aux lendemains qui chantent
plutôt que comme tension à vivre au
présent, qui favorise le terrain boueux
de la politique, celui où les moyens
et les fins se déconnectent, celui qui
permet de réunir dans un même élan
partisans révolutionnaires du réalisme et des alliances opportunistes,
et tenants réformistes de l’alternative. C’est aussi ce qui permet à toute
l’ambiguïté entre subversion de l’existant et aménagement de niches en son
sein de prospérer, alimentée sans vergogne par des bonimenteurs qui font
commerce de leurs jeux de mots autour de « commune » et « communauté », ou encore justement d’« habiter/
créer un monde ». C’est alors jusque l’expression même de contre l’aéroport et son monde qui perd petit à petit de sa clarté et risque de devenir un slogan passe-partout.

Contre la politique

Une des manifestations les plus évidentes de la logique politique, c’est lorsque les individus ne s’associent et ne se coordonnent plus à partir de ce qu’ils sont, de leurs idées et
désirs, de leur rage et perspectives,
mais commencent à ménager tout
cela, à le mettre en sourdine au nom
d’un intérêt supérieur, la Cause sacrée
ou encore la préservation d’intérêts
soi-disant communs au sein d’une lutte. La novlangue appelle cela « composer » (avec les citoyens de gôche), là où l’ancienne disait procéder à des alliances tactiques. A Notre-dame-des-Landes, on ne peut nier qu’il existe une large volonté de « rassembler le plus de monde possible », de « rester ensemble dans un objectif commun », de rechercher la « bonne entente avec les
gens du coin et l’unité dans la lutte
 ». Cela se traduit notamment par une
volonté de gérer la lutte plutôt que de la rendre incontrôlable, ou de désigner des porte-paroles pour communiquer avec une imaginaire « opinion
publique », plutôt que de la rendre
irreprésentable. Or, un des problèmes lorsque la logique politique prend le dessus dans une lutte partielle, c’est qu’il n’est souvent plus question d’approfondir et d’affiner les critiques pour porter des coups à l’ennemi à travers l’auto-organisation sans médiations, mais que c’est au contraire la « diversité des tactiques », soit la pseudo-efficacité de la logique quantitative qui emporte le morceau.

Bien entendu, cette cohabitation ne
se fait pas sans heurts, et s’il est un
point-limite, c’est la question de la
dissociation publique en cas de dépassement des bornes de la légalité ou
du niveau d’antagonisme « toléré » par
les uns et les autres. A Notre-Dame-des-Landes, on pourrait prendre pour
exemple l’ACIPA, composée de riverains et de syndicalistes. Coutumière
depuis longtemps de ce genre de pratiques, il ne s’agit pas tant de la dénoncer pour espérer la changer, que d’en tirer des conséquences en terme de commun dans la lutte. Récemment
encore, le 3 mars 2013, une manifestation carnavalesque est partie de la
ZAD pour harceler les flics qui stationnent en permanence à certains
carrefours stratégiques du site occupé depuis plus de quatre mois. Suite
à quelques affrontements, l’ACIPA a non seulement stigmatisé « un bon groupe de perturbateurs », mais les a ensuite désignés dans la presse locale comme « des éléments bien connus
dont l’objectif premier n’est pas la lutte
contre l’aéroport
 ». Au-delà de leur
rhétorique policière, c’est l’ensemble
des perspectives qui est contesté là : fait-on partie de la lutte si notre « objectif premier » est le bouleversement complet des rapports sociaux, et pas
uniquement l’implantation d’une
énième nuisance ? En même temps,
on ne voit pas pourquoi le fait de refuser de comprendre que toute réalité
sociale renvoie immédiatement à l’ensemble dont elle fait partie, serait le
critère déterminant pour être accepté
dans une lutte spécifique... Dans un long texte sorti peu après, des camarades sur place constataient d’ailleurs amèrement que « depuis deux-trois ans, nous ne comptons plus les communiqués de ce genre provenant de l’ACIPA et de leurs alliés politiciens. Leurs tentatives de saboter des actions/projets différents, libertaires, spontanés, ou de les dénigrer ne se comptent plus »,
avant de conclure, menaçant : « nous ne pouvons contenir plus longtemps ce
que l’ACIPA joue comme jeu dangereux. Nous allons sûrement nous attirer les
foudres de la majorité de nos camarades, mais au mois les choses seront
plus claires ! Pour une lutte directe et sans compromission !
 » [7]

Si on prend maintenant un autre exemple lié à la question de la dissociation (et c’est encore l’ACIPA qui s’y colle !), on se rend compte que la logique politique amène non seulement à des enjeux de représentation de la lutte, et donc de pouvoir et de
contrôle, mais qu’elle prétend aussi
dépeindre le monde à son image en
le médiant : des structures désincarnées où plus personne n’aurait de
responsabilité propre, en dehors de quelques représentants symboliques,
justement. Ainsi, suite à la rumeur qui a couru sur le tabassage d’un vigile à la solde de Vinci sur la ZAD le
13 novembre 2012, accompagnée par la destruction incendiaire bien réelle,
elle, de son véhicule [8], comment comprendre le tweet de réaction de l’ACIPA autrement qu’en terme d’aveuglement volontaire sur la teneur de l’ennemi : « [nous condamnons] ce genre d’agissements extrêmement violents et inadmissibles. Cette agression relève du droit commun. Une provocation cherchant à discréditer le mouvement au moment où il s’amplifie n’est pas à exclure ». Ce schéma de pensée reprend l’idée imbécile que seul l’Etat
trouverait un intérêt (tout machiavélique) à s’en prendre à un vigile, mais
surtout que le capital pourrait réaliser des profits sans la participation
de ses subordonnés. Un peu comme
si Vinci ou les autres étaient parvenus
à un degré d’automatisation tel qu’ils
pourraient se passer de travailleurs ! On se souvient que ce tour de passe-passe qui consiste à pointer des responsabilités génériques tout en les
désincarnant, s’était déjà produit il n’y
a pas si longtemps lors du « week-end de résistance » dans la Manche contre la construction d’une ligne THT, en juin 2012. Le premier texte d’appel à
trois journées d’opposition sur place signé par l’Assemblée du Chefresne (4 mars 2012) précisait ainsi sans vergogne qu’il ne fallait toucher ni aux ingénieurs d’ERDF, ni aux flics : « l’assemblée assumera toutes les formes d’actions, sans distinction de leur “violence”, tant qu’elles n’atteignent pas l’intégrité physique des personnes travaillant à la construction ou à la protection des lignes » !

En réalité, on est là en présence d’un bien étrange paradoxe, puisque lorsqu’il s’agit de s’opposer directement à l’Etat dans une émeute urbaine par
exemple, il semble que le fait d’envoyer des projectiles, plus ou moins
contondants ou incendiaires, contre
son petit personnel ne fasse pas l’objet de la même erreur d’analyse sur
son fonctionnement réel. Car que cela plaise ou non aux gauchistes qui voudraient sanctuariser leur sujet révolutionnaire, le capital est au même titre que l’Etat un ensemble de structures
et d’hommes, comme nous le rappelle
notamment une certaine continuité qui court de l’incendie du poste de vigiles puis aux tirs contre ceux qui gardaient le site de la future centrale de Golfech en novembre 1981, jusqu’aux jets d’objets contre des ouvriers (de l’entreprise Geomont) travaillant sur le site de construction de la ligne de TGV en Val Susa le 27 août 2012.

En réalité, l’identification de l’ennemi (de bas en haut) est une question
cruciale qui ne peut être reléguée
aux moments plus « tranquilles » de la lutte et être mise en sourdine l’avant-veille d’une manifestation de masse sur la ZAD, comme a eu le mérite de
nous le rappeler cette caisse cramée d’un vigile de Vinci.

Enfin, si on s’intéresse maintenant à l’autre versant de ce monde, à savoir non plus le capital mais l’Etat, il est particulièrement frappant que ce soient essentiellement les locaux
du Parti socialiste qui aient été visés
dans de nombreuses villes. Non seulement Europe Ecologie/les Verts, pour
ne prendre qu’un exemple, ont largement démontré leurs faux-semblants
sur les questions dont ils se font les
hérauts, comme les OGM ou le nucléaire, mais ils sont au gouvernement
au même titre que le Parti socialiste.
Plus généralement à propos d’identification de l’ennemi, en dehors de ces
distinctions de jésuites, la critique ne
peut pas porter sur le détail des positions politiciennes liées à l’aéroport
(où le Modem et le Front de Gauche
seraient par exemple épargnés parce
qu’opposés à ce projet-là, tout en
étant par exemple favorables à l’EPR
de Flamanville), mais doit viser la politique en soi, ce qui signifie au minimum l’ensemble des partis et syndicats, ainsi que les leaders visibles
et invisibles et autres porte-paroles
médiatiques « issus de la base » qui se
dégagent souvent dans ce genre de
lutte (soit les futurs chefs politiques) [9]. En décembre, un texte de compagnons du Rosier est revenu sur ce point : « rejeter la présence de partis politiques,
en mettant en avant le fait “qu’ils nous ont craché dessus pendant des années, en dénonçant les violents et les ultras”, omet un peu trop le fait que c’est aussi (et peut-être surtout) que nous voulons tendre à rompre, dans cette lutte et dans les autres, avec tout parti politique ou organisation, récupérateurs,
médiateurs, réformistes. Cela peut aussi sembler un démenti face à des accusations d’être des violents, radicaux, ultras, car nous pouvons nous dissocier de ces termes mais non des pratiques de luttes qu’ils contiennent
 » [10]. Non seulement il s’agit d’après nous
de rompre et de manifester de façon
permanente notre hostilité aux partis
et autres orgas, mais nous ne pensons
pas non plus que la division en général soit quelque chose de négatif par
principe. Dans une perspective où la
cohérence entre les moyens et la fin
est une tension importante, la question de l’auto-organisation ne peut
pas être qu’un vain slogan. Elle signifie notamment une autonomie réelle
face à toutes les forces partidaires et syndicales, couplée à une conflictualité permanente avec le pouvoir, ses structures, ses hommes et ses idéologies. Ce qui est refusé à travers les mécanismes de la politique, c’est à la fois les mécanismes de délégation et de représentation, mais aussi, que les partis soient réformistes ou révolutionnaires, leur art de la séparation et de la médiation.

Pourquoi donc ne pourrait-on pas
imaginer, y compris au sein d’une lutte
partielle qui voit passer quelques
milliers de personnes, un espace de
conflictualité où ces derniers seraient
absents ? Pourquoi serait-on condamnés à cohabiter avec eux sans broncher, au nom des masses ou de l’intérêt supérieur de la lutte ? Bien sûr, on peut toujours être surpris dans un
premier temps par la tournure des
événements, comme l’accélération
des temporalités d’une lutte, mais
finalement, cela ne pourrait-il pas
aussi jouer comme révélateur de ce
que nous avons déjà construit, et être
des occasions à saisir ? Lorsque Eva
Joly ou José Bové viennent jouer du
tournevis et que députés et sénateurs
affrètent des bus pour venir à une manifestation sur la ZAD comme le 17 novembre dernier, que peut-on imaginer en plus des banderoles hostiles le long du chemin ? Des groupes d’affinitaires qui ont la capacité d’affronter des gendarmes robocops ne sont pas
forcément démunis face aux services
d’ordre des élus (pour rappel, Voynet
avait été chassée de la manifestation
antinucléaire de Cherbourg en avril
2006 avec peu de moyens), et peuvent
même à l’occasion provoquer un débat salutaire au sein des manifestants
sur la présence « naturelle » des politiciens de tout poil.

La question n’est pas ici de s’attarder
sur les occasions manquées ou de la
réduire à un problème technique de
préparation matérielle, mais de souligner que le fait de développer une
projectualité autonome au sein de
luttes partielles nous rend non seulement moins dépendants de rythmes
collectifs en nous permettant de bâtir
nos propres temporalités, mais nous
offre également la possibilité de saisir au vol des moments pour préciser
notre opposition « au monde qui va
avec l’aéroport
 », comme par exemple
cette manifestation du 17 novembre. Peut-être qu’une des manières de ne
pas être trimbalés d’une échéance
du mouvement à l’autre (surtout
quand ce ne sont pas les nôtres, mais
qu’elles revêtent tout de même une
quelconque importance à nos yeux),
de pouvoir approfondir notre critique
pratique sans jouer la main d’œuvre
radicale, ou de ne pas laisser la lutte
aux mains des plus politiciens, est
justement de réussir à construire un
espace d’informalité entre différents
groupes, qui saurait élaborer cette
fameuse projectualité autonome. Une projectualité qui pourrait aussi accueillir en son sein un travail commun entre compagnons et non-compagnons, afin d’approfondir et d’expérimenter certains aspects de la lutte sur des bases radicales.

A moins de penser qu’il n’y ait aujourd’hui plus aucune intervention
possible dans une lutte sociale partielle parce qu’on s’y perdrait nécessairement (à l’inverse d’une lutte spécifique menée sur nos propres bases, par exemple), nous pensons pour
notre part que les conditions de cette
intervention peuvent être réunies
(comme une tension vers l’auto-organisation ou la conflictualité sans
médiation) et qu’elles sont à revérifier à chaque fois pour en trouver les
modalités. On peut certes lutter sur
place, mais aussi à côté ou ailleurs [11] en tissant des liens, on peut certes
participer aux grands moments collectifs, mais aussi agir avant et après,
etc. La question n’est donc pas tant
de chercher un modèle à reproduire,
et certainement pas celui du « tous ensemble », mais d’évaluer nos possibilités réelles et d’imaginer puis de développer des contenus subversifs.
La lutte contre l’aéroport de Nantes,
si elle ne peut prétendre échapper à la critique au nom de formes enthousiasmantes (les rencontres, les occupations) ou de la fameuse dialectique hégélienne (les nécessaires contradictions qui mènent à des dépassements – vers le bas aussi !), n’est pas jouée d’avance. Entrée dans une nouvelle phase depuis la résistance aux expulsions et la réoccupation massive, elle est simplement devenue plus
ambiguë. Comprendre ses limites et s’en saisir est donc peut-être un premier pas pour essayer de les briser. A Notre-Dame-des-Landes comme ailleurs.

Pyrex, mars 2013
[Paru dans Subversions, revue anarchiste de critique sociale, n°2 (Paris), avril 2013, pp. 7-17.]


Ci-gît un cadavre

Après des années de lutte,
l’État français a officiellement
annoncé le 17 janvier 2018
l’abandon du projet de construction
d’un nouvel aéroport sur le site de
Notre-Dame-des-Landes, au profit
de l’agrandissement de celui déjà
existant en périphérie de Nantes.
Enfin, on allait voir toute la portée
du fameux « et son monde », brandi
comme un totem rassurant et quasi
autoréalisateur au sein de la lutte,
afin que l’enjeu ne se réduise pas à
la simple défense d’un territoire en
danger, mais alimente une critique
contre tout ce qui permet à ce genre
de nuisance d’exister. Les occupants
allaient-ils donc poursuivre leur
combat en le prolongeant au nouvel
emplacement désigné, au nom du Ni
ici ni ailleurs
 ? Allaient-ils l’étendre
à d’autres nuisances d’envergure,
comme par exemple celles liées à
Nantes métropole (Technocampus
Alimentation, zac de Pirmil-Les Isles,
construction d’une nouvelle prison
au Bouguenais, installation de 95
caméras de vidéosurveillance avec
création d’un Centre de supervision
urbain
reliant Nantes, Rezé et Vertou...), ou encore celle du mégaprojet
de 80 éoliennes offshore au large de Saint-Nazaire ? Il est certainement
trop tôt pour imaginer quels nouveaux horizons de lutte vont être
embrassés, tant le « et son monde » est vaste, mais par contre, ce que l’on
sait déjà, est comment la victoire a été fêtée sur place.

* * *

Du 22 au 25 janvier, à la demande expresse de l’État qui avait fixé ce préalable à la poursuite des négociations sur le devenir des terres occupées, les composantes citoyennistes et autoritaires de la ZAD ont entrepris de débarrasser la route qui traverse la zone de ses chicanes de protection,
mais aussi de dégager manu militari les deux cabanes collectives qui empiétaient un peu trop sur la route. Leur sale besogne de maintien de
l’ordre effectuée contre les habitants
qui s’y étaient installés ou s’en servaient, ils ont rendu le contrôle de la
D281 au pouvoir –curieuse pratique d’autogestion pour un « territoire
libéré
 » –, afin que ce dernier puisse
débroussailler les fossés et buser les
entrées de champs sous bonne escorte, mais aussi y faire parader la préfète devant les caméras.

Les comités de soutien, en veille permanente depuis l’Opération César en
2012 avaient juré, craché et même
planté des bâtons, qu’en cas d’expulsion forcée de cabanes ou d’arrivée
conséquente de flics sur la ZAD, on
allait bien voir ce qu’on allait voir.
Certes, mais la petite clause en corps
6 tout en bas de la grrrande feuille de
route collective, stipulait que le tocsin ne sonnerait que si les uniformes
étaient bleus, pas jaunes ou noir
quechua. Car c’est bien un ramassis
d’associations philo-étatiques, de
troupiers aux relents léninistes et
d’adeptes d’un parti peu imaginaire
qui ont ouvert la voie à une nouvelle
occupation policière qui dure depuis
maintenant six semaines (jusqu’à 30 fourgons de gendarmes mobiles),
avec prises d’images vidéo, fichages d’identité, harcèlement et surveillance par drone, fouilles de véhicules
et de lieux de vie, et tout cela au beau milieu de la ZAD.

La destruction de cabanes de zadistes trop rebelles aux diktats de l’État comme aux injonctions des petits entrepreneurs de la lutte pour faire place nette aux flics, qui fut le prix à payer de cette tentative de cogestion de la zone entre autorités des deux côtés de la barricade, n’est pas un banal épisode de conflit interne, mais appelle quelques réflexions sur la question de l’auto-organisation et de ses perspectives.

* * *

Un des problèmes classiques qui se
pose à toute lutte de site est celui de
son projet même, celui de la tension
entre occupation ponctuelle destinée à s’auto-organiser pour partir
à l’assaut du monde qui l’entoure au milieu de mille autres initiatives
décentralisées, et installation permanente qui finit par concentrer
des forces ordinairement incompatibles en se projetant comme îlot
expérimental d’alternatives plus ou
moins radicales. Un jour ou l’autre,
cette contradiction intenable entre
alternative dans et offensive contre
l’existant finit par éclater au grand
jour, que ce soit lorsque la pression
policière s’accroît (avec les traditionnelles distanciations médiatiques
d’attaques et dénonciation des radicaux), ou à l’inverse sous le poids de
la possibilité négociée de normalisation (avec le traditionnel nettoyage des éléments incontrôlés).

Ce qui est remarquable dans ce qui
vient de se passer avec la lutte de
Notre-Dame-des-Landes, ce n’est
donc pas tant que les citoyennistes
n’aient même pas attendu une semaine pour littéralement trinquer
avec la préfète et le général d’armée
directeur de l’ensemble de la gendarmerie, mais que se soient précisément les partisans inconditionnels
de la composition avec tous qui aient été la veille parmi les plus zélés à détruire une des deux cabanes et à en expulser ses occupants montés sur le toit. Lorsque composer signifie négocier avec l’Etat aux côtés de syndicats et d’élus, lorsque composer signifie à un moment crucial de la lutte choisir le camp de l’ordre face aux minorités rétives à toute normalisation, cela ne
fait en réalité que révéler le véritable
sens de ce mot élastique : la collaboration avec le pouvoir en place. Ce
type de convergence de fait entre
pouvoir et contre-pouvoir, entre
constituants et destituants, n’est pas
le simple résultat d’une situation
d’urgence ou de panique, mais bien
la conséquence d’une logique présente dans le concept même de composition. Permettant aux autoritaires de tous bords de s’arranger entre
eux lorsqu’il le faut, il fonctionne
naturellement aussi aux dépens
des anti-autoritaires dont les états
d’âme sont trop exigeants et pas assez realpolitik.

Structurellement, le concept de composition n’est en effet rien d’autre que la déclinaison en interne du principe militaire d’alliance vers l’extérieur. Si le second s’applique entre ennemis hier encore irréconciliables et demain à nouveau en guerre, le premier concerne de son côté des adversaires au sein d’un même camp, capables d’y cohabiter sans se détruire
ou s’exclure en mettant de côté leurs
visions opposées pour concentrer
provisoirement leurs forces face à un
ennemi commun. Dans les deux cas,
cela présuppose une remarquable
capacité à éradiquer l’unicité de
chaque individu et la singularité de
ses idées, tout comme la multiplicité
de leurs associations possibles, afin
d’entraîner des troupes variées pour
qu’elles marchent d’un même pas
au service d’une entité supérieure
(le parti, l’assemblée, le collectif, le
peuple, le mouvement de lutte).

Au-delà du fait qu’Untel soit sympathique ou pas, la composition est
une logique de fond qui bannit toute
éthique au profit des calculs de la politique. C’est une technique alternative de gestion de l’ordre et d’organisation de la confusion pour tenter de neutraliser les antagonismes
irréductibles qui peuvent couver au sein des luttes : entre aménagement et destruction de l’existant,
entre négociation avec le pouvoir et action directe contre lui, entre
contre-expertise scientifique et refus de la spécialisation comme de la délégation, entre acceptation de partis et syndicats et auto-organisation sans médiation, entre présence des journalistes et refus de toute représentation, entre autorité et liberté. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si le mode de la composition sied particulièrement bien aux autoritaires, avec leur notion quantitative d’une force concentrée et plus manœuvrable plutôt que disséminée et plus autonome, avec leur sens tactique du vent et surtout avec leur obsession à délier les moyens des fins (d’où par exemple leur absence de
scrupule à utiliser les professionnels du mensonge de masse pour délivrer leur message ; leur facilité à déclarer une chose face à la justice et son contraire face à leurs soutiens solidaires ; ou leur habileté à prendre langue avec la gauche du pouvoir). Dans cette logique de comptable, il n’est de toute façon plus question de perspectives autonomes et d’idées subversives à défendre ici et maintenant en les incarnant dans sa vie même, mais seulement de situations
stratégiques
à organiser et à gérer,
voire à discipliner et à rendre gouvernables, au nom bien sûr de l’efficacité de la lutte, dont quelques
êtres forcément éclairés détiennent les clés. Dans cette logique de décisions majoritaires, de compromis
tactiques et de communs supérieurs,
il est bien sûr encore moins question
de vastes constellations de groupes
affinitaires auto-organisés de façon
informelle, donnant à la force une
dimension qualitative et dissonante.
Une dimension à même de faire vibrer pleinement le fameux « et son monde » dans une perspective anarchiste, avec d’un côté une critique révolutionnaire qui essaye d’englober
tout ce qui permet à la nuisance en question d’exister, et de l’autre une méthodologie qui tente de nourrir les hostilités afin que du cadre initial de la lutte, une nuisance particulière, puissent exploser des moments insurrectionnels qui la dépassent.

* * *

Bien que la mémoire tende ces derniers temps à être ensevelie sous
l’afflux de communiqués victorieux
promettant en sus l’entrée des terres
occupées dans le carcan de la loi, nul ne peut cependant oublier que
c’est avec d’autres perspectives en tête que nombre d’attaques et de sabotages ont pu fleurir dans le coin contre le monde de l’aéroport (sans parler des dizaines d’actions solidaires ailleurs ou des périodes d’affrontements avec la flicaille), et ce dès le début offensif de la lutte.

Ainsi en fut-il avec l’opposition aux
travaux préliminaires (piquetages
et forages géotechniques, aménagement de voies d’accès) ou aux
huissiers dès 2010, avec l’occupation-saccage d’une partie de l’aéroport actuel de Nantes Atlantique
au Bouguenais en juillet 2011, avec le sabotage du chantier d’extension de la quatre voies Sautron/Vigneux-de-Bretagne en mai 2012, avec l’incendie d’engins du tram-train à Nort-sur-Erdre en novembre 2012, avec l’incendie de la voiture du
vigile de Vinci à Fay-de-Bretagne en
novembre 2012, avec le sabotage à
la masse de sept poteaux électriques
sur le tracé du futur barreau routier
en mars 2013, avec le sabotage à
trois reprises du relais de téléphonie mobile à Vigneux-de-Bretagne en
juillet, septembre et octobre 2014,
ou avec le saccage de la station Total à Temple-de-Bretagne en février
2016. Plus récemment aussi, ces
possibilités ont pu déployer leurs
ailes pour attaquer biologistes (venus étudier le triton marbré à Vigneux-de-Bretagne, en avril 2015),
riverains collabos (hangar et réserve de paille d’un agriculteur hostile incendiés à Vigneux-de-Bretagne en
novembre 2012, saccage de la maison des époux Lamisse en janvier
2016 à Notre-Dame-des-Landes), journaflics (voitures de France 3 à
la barre de fer en octobre 2016), ou politiciens (voitures de France Bleu
Loire Océan et Mélenchon souillés avec de la merde en mars 2017).

Pour aménager des niches au sein
de l’existant, l’option réformiste est
sans doute la meilleure, et les partisans de la conflictualité alternée
disposent d’une longueur d’avance
historique en matière d’intégration et de récupération des luttes.
Quant aux autres, il reste toujours un monde entier à attaquer, dans lequel les possibilités affinitaires autonomes expérimentées au grand dam des compositeurs et de leurs alliés à partir et autour de la lutte contre cet aéroport, sont toujours vivantes.

* * *

A Notre-Dame-des-Landes gît un
cadavre : celui d’une composition en
bonne et due forme qui a définitivement explicité, une fois mise au pied
du mur, à la fois avec qui (l’État) et
contre qui (les incontrôlés) elle souhaitait bâtir son petit monde opportuniste, mais aussi quel était le prix
à payer lorsqu’on laisse politiser en paix les autoritaires organisés de façon plus ou moins visible. C’est une bonne nouvelle, car l’odeur toujours
plus insupportable de ce cadavre ouvre mille autres chemins. Vers une liberté en actes, cette fois.

Anonyme, mars 2018
[Paru dans Avis de tempêtes, bulletin anarchiste pour la guerre sociale, n°3, 15 mars 2018, pp. 17-19.]

« Dans la zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes, l’euphorie de la victoire,
pour être fracassante, fut cependant
de courte durée. Dès le lendemain soir,
lors de son assemblée extraordinaire, le
mouvement dut prendre à bras-le-corps
un sujet à propos duquel il se dispute depuis de nombreuses années : la route des chicanes. Jeudi 26 janvier, après une semaine de travaux, de discussions
interminables et de franches engueulades, nous avons finalement démonté
les derniers édifices qui obstruaient la chaussée... Le lendemain, la préfète,
après un bref passage en voiture, a annoncé l’ouverture de négociations. »
Collectif Mauvaise Troupe, janvier 2018

« Il y a un temps pour manier le pavé, un temps pour manier le stylo [de la
signature d’accords avec l’Etat] ; un temps pour le molotov, un temps pour la
caméra ; un temps pour le lance-pierres, un temps pour la pelle et la pioche.
Négliger l’un de ces moments c’est se désarmer... Il faut déployer une capacité
de convocation qui implique, précisément, l’art de la composition. »
Alèssi Dell’Umbria, avril 2018

« Il fallait avoir le courage de mener les
négociations, de prendre le risque de
gagner ou de perdre avec ce que la victoire implique de salissant, avec ce que
la défaite implique d’amertume et de doute. La défaite serait d’être acculés à
défendre ses acquis, son bout de terrain et de gras au nom d’un idéal révolutionnaire... La victoire sera de faire de ces terres une machine de guerre communiste. »
La Maison de la grève de Rennes, juillet 2018


Mauvais troupiers

Ce samedi 15 juin 2019, nous nous
sommes rendu à la Maison des syndicats de Caen dans les locaux de
Sud Solidaires pour distribuer le
texte distribué lors de deux autres
présentations du collectif « Mauvaise troupe » à Toulouse et Poitiers (1er et 6 juin).

Mauvaise Troupe y était représenté par un de ses membres que nous connaissions comme notre ancien co-occupant de la ZAD de NDDL et initiateur du projet du Taslu à la Rolandière (bibliothèque).

La distribution s’est passée sans encombre sous le regard gêné du « mauvais troupié » qui nous honore au passage d’un « vous êtes des champions » ironique.

Il nous a gentiment accompagné à
l’extérieur des locaux pour entamer
une discussion ou un « échange » sur
l’illégitimité de notre distribution et
l’impact négatif que cela pouvait avoir
sur l’organisation sereine des luttes à
venir.

Au passage il précise que Mauvaise troupe n’a plus rien écrit à propos de
la ZAD depuis l’abandon de l’aéroport, que Mauvaise troupe n’est pas
un collectif homogène, qu’un groupe
ne fait pas l’autre et que les positions
de groupes ou de personnes n’engage
en rien leur collectif d’écriture.

Nous lui avons rappelé l’interdépendance de l’ensemble de ces groupes,
le soutien mutuel et corporatiste dont
ils faisaient régulièrement preuve
dans le meilleur mais surtout dans le
pire, et surtout que nous retrouvions
dans les uns ou dans les autres les
mêmes visages de celles ou ceux qui
avaient porté la chute de la ZAD pour
leurs intérêts personnels repeint avec
le vernis militant.

Nous ajoutons : que ces réécritures soient faites par « Mauvaise troupe », le groupe presse de la ZAD, Zadibao, zad.nadir, la maison de la grève de
Rennes, leurs réseaux de propagande
ou encore habilement maquillé derrière d’éventuel communiqué de
coordination « l’avenir en commun » et l’assemblée des usages de la ZAD,
ce ne sont pas moins que les différents
masques de même personnes prêt
à tous les mensonges, les passages
sous silence, les prises de pouvoir, les gentrifications muettes et les milices
bocagères pour leurs ambitions personnelles ou politiques.

Nous encourageons toutes personnes,
et toutes organisations à ne pas leur
donner la notoriété qu’ils ne méritent
pas. Le G7 de Biarritz se passerait parfaitement d’ elles et eux, les luttes historiques et actuelles du pays basque devraient savoir continuer leur chemin sans la récupération de ces VRP opportunistes.

Pour que nos luttes se construisent sans la présence de politiciens professionnel autodidacte qui voient le
pouvoir comme un outil de lutte à leur service, et non comme un ennemi à abattre.

Nous ne confondrons jamais le But et les moyens.

Nous n’oublierons pas, nous ne pardonnerons pas.

Si vous voulez les trouver, ils seront à :
Douarnenez le mercredi 26 juin 2019 à 19h00 L’Ivraie
Zad de Notre-Dame-des-Landes le dimanche 7 juillet 2019
Val Susa le samedi 27 juillet 2019 Venaus

Voici le texte distribué :

Et TOC TOC TOC !
On est toujours là !!

Salut,

On a envie de dire 2-3 trucs parce
qu’on voit que le collectif Mauvaise Troupe va intervenir ce soir.

Mauvaise Troupe c’est un collectif qui
a publié plein de textes et livres sur la
ZAD de Notre Dame des Landes, il y
a des gens de ce collectif qui y vivent depuis des années.

Et dans leurs écrits c’est toujours pareil : une vision ultra romantisée et
aseptisée de ce qu’il se passe là-bas,
ça parle d’une résistance plus forte et
plus belle que tout. On est plusieurs
personnes à y avoir passé du temps
et à avoir observé qu’ielles mettent
les moyens pour diffuser leur vision
de l’histoire et prendre une place de
« porte-parole » en écrasant d’autres
visions bien plus critiques, que nous partageons.

Les personnes de ce collectif participent (soit en soutenant, soit de manière plus directement active), à des
dynamiques de prises de pouvoir sur la ZAD, à des pratiques autoritaires, sans remise en question ou changement malgré les nombreuses critiques et confrontations.

On va pas trop rentrer dans les détails de ce qu’il s’est passé sur la ZAD
ces dernières années (on vous file
des références de textes en dessous
qui parlent de ça, si ça vous intéresse) mais en tous cas, ce collectif et
d’autres ont imposé leur vision politicienne de la lutte.

On peut en voir les conséquences dans comment la zad a évolué : une zone en cours de normalisation, entre
autre à travers les négociations avec l’État.

Toute une partie de celleux qui voulaient résister est partie, ne voyant
plus de sens à rester sur place et/ou
suite aux divers coups de pression
(humiliations, menaces, agressions
physiques et verbales) de la part de
personnes défendant la légalisation
en cours et se faisant ainsi les relais
de la répression étatique. Par ailleurs,
des personnes sont toujours en lutte
là-bas contre ces logiques.

Ca nous met très en colère de voir que
malgré ça, y a plein de personnes/groupes (dont Mauvaise Troupe) qui
continuent à voir et présenter, encore
aujourd’hui, la ZAD comme un espace
de résistance et une victoire politique. En colère qu’ielles tirent une légitimité de cette image faussement radicale, qu’ielles ont contribué à créer à travers des moyens médiatiques et commerciaux.

En colère et inquiètes que cela leur permette d’exporter leur modèle nocif vers d’autres luttes, comme on
peut le voir à travers cette tournée de présentation de leur dernier livre. Une tentative de trouver un nouvel
élan en se joignant à l’appel à converger autour de l’anti G7 au Pays Basque cet été.

Alors voilà, on trouvait ça important de faire exister cette critique et partager notre colère et notre méfiance de les voir ici ce soir.

On va pas rester, parce que ce collectif, ces stratégies de luttes et ces pratiques autoritaires plus ou moins bien déguisées, nous prennent déjà bien trop d’énergie dans nos vies, et qu’on a mieux à faire que de les écouter une fois de plus.

* * *

Si vous voulez lire des regards critiques sur ce qu’il s’est passé sur la zad ces dernières années, on vous conseille entre autres :
- Zadissidences 1. Des voix off de la ZAD entre l’abandon du projet d’aéroport et la semaine d’expulsion du 9 avril 2018
- Zadissidences 2. Des voix off de la ZAD, 1ère vague d’expulsions, avril 2018
- Zadissidences 3. Des voix off de la ZAD, 2e vague d’expulsions, mai-juin 2018
Le mouvement est mort, vive la réforme ! Une critique de la composition et de ses élites
Des dynamiques inhérentes aux mouvements de contestation
- À Notre-Dame-des-Landes comme ailleurs, seul un territoire en lutte peut s’opposer à la normalisation industrielle agricole
- Appel pour retrouver un sens politique à la lutte qui se mène aujourd’hui sur la ZAD, du collectif contre les
normes

Radis noir, juin 2019
[Paru sur Indymedia Nantes, 15 juin 2019.]

[1Dont l’ADECA, Association de Défense
des Exploitants Concernés par l’Aéroport
, créée dès 1972 puis réactivée en 2000 (proche de la Confédération Paysanne), l’ACIPA, Association citoyenne intercommunale des populations concernées, créée en novembre 2000 (citoyennistes légalistes de gôche proches d’Attac, Sortir du
nucléaire, etc., qui ont par exemple organisé le 2e Forum européen contre les Grands Projets Inutiles Imposés en juillet 2012), la Coordination d’associations et partis politiques opposés au projet, créée en 2004 (45 orgas et syndicats), et le CéDpa, Collectif des élus doutant de la pertinence de
l’aéroport
, depuis 2009 (surtout EELV).

[2NDDL = Notre-Dame-des-Landes.

[3Des amis de l’anarchie, La ZAD est morte, vive la ZAD !, publié sur Indymedia Nantes, 16 décembre 2012.

[4Notre-Dame-des-Landes : après le 27 juillet..., publié sur Indymedia Nantes, 9 août 2011.

[5Des nouvelles de Cyril, publié sur Indymedia Nantes, 19 décembre 2012.

[6A côté des arguments contre « les grands projets inutiles », on retrouve en effet toujours plus souvent une défense des « biens
communs » (cantonné au départ aux luttes contre la privatisation de l’eau ou des « services publics », ce concept citoyenniste est devenu extensif). A titre d’exemple, le Communiqué du groupe organisateur de
la manifestation de réoccupation du 17 novembre 2012
, précisait : « Paysan.ne.s,
sans-terres, ou simples habitant.e.s du coin, il s’agit pour nous de lutter contre l’accaparement des terres agricoles et la privatisation du commun
 ». Dans son numéro
unique du printemps 2011, Nantes nécropole, le Comité nantais contre le nouvel aéroport utilisait déjà de ce concept : « loin de satisfaire un quelconque bien commun
non marchandisable, les services publics relèvent désormais d’une même logique : offrir des infrastructures publiques aux entreprises qui pourront s’implanter dans la
métropole nantaise
 » (p.12). Il s’avançait
même un peu plus en défendant, comme
n’importe quel gauchiste, l’Etat face au
Capital, dénonçant la « marchandisation
de l’ensemble des activités humaines et du
bien commun aux seuls profits des firmes
multinationales
 » (p.17).

[7Des membres du Collectif de Lutte Contre l’Aéroport de Notre-Dame-Des-Landes, L’ACIPA n’hésite pas à dénoncer des camarades qui ne suivent pas « le bon chemin »..., Indymedia Nantes, 7 mars 2013.

[8A cette occasion, le site zad.nadir n’a de
son côté patienté que quelques heures le 13 novembre 2012 avant de balancer à
travers tout le net un communiqué titré « Communiqué de presse des occupant-e-s de la ZAD », précisant mensongèrement que « nous voulons également rappeler
que jusqu’ici toutes les actions de solidarité effectuées en lien avec la lutte de la ZAD
ont été revendiquées
 », avant d’ajouter que « l’hypothèse d’une manipulation est pour
nous envisageable, cette action tombant parfaitement pour détourner l’attention
de ce qui reste l’essentiel : la préparation de la manifestation de ré-occupation du 17 novembre, et d’une manière générale l’amplification de la lutte contre le projet d’aéroport.
 »

[9Tout ce beau monde signe d’ailleurs
ensemble une tribune dans un quotidien, qui associe Sud, EELV, Confédération Paysanne, Parti de gauche, Modem (« Notre-Dame-des-Landes : la démocratie en question », Le Monde, 5 décembre 2012). Ils
séparent en chœur le bon grain de l’ivraie
en affirmant que « les opposants dans leur diversité ont multiplié les formes de contestation mais sont toujours restés intransigeants sur le fait que la lutte contre ce projet doit être non-violente »... ce qui signifie notamment que les fameux « violents » ne
font pas partie de la lutte. Et rajoutent en sus qu’une des « ruses de la répression » a été « la manipulation en infiltrant des éléments provocateurs pour pousser à l’affrontement avec les forces de l’ordre ou à
l’agressivité envers les journalistes
 »... ce qui revient à traiter de flics ceux qui développent ces pratiques.

[10Des épines du Rosier, Contre l’aéroport
et son monde. Un petit racontage sur le bocage enragé
, publié sur zad.nadir le 12 décembre 2012.

[11A titre d’exemple, que nous inspire
ce constat sur le fait d’ouvrir d’autres
espaces de confrontation ailleurs : « Il ne faudrait pas qu’il y ait d’autres gros événements de ce type en France ou des manifestations dans tout le pays, prévient un autre policier. Il n’est pas possible de tenir dans
la durée et de fixer autant d’effectifs sur un seul site
 » (Le Télégramme, « Notre-Dame-des-Landes. Un dispositif policier à plus d’1M€ », 5 décembre 2012) ?


Et son monde ? Contributions anarchistes sur la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, juin 2019, 24 pages, A5.



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