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Poissons, le carnage

mis en ligne le 16 novembre 2023 - Collectif , Joan Dunayer , souslaplage

Réédition de 2023

[Ce texte paru aux éditions Tahin Party en avril 2004 nous livre plein d’articles riches en informations sur la sensibilité et les souffrances infligées aux poissons par les activités humaines capitalistes. Dans cette brochure, plusieurs paragraphes et parties ont été supprimées et d’autres ont été ajoutées et surlignées en gris [mis avec un retrait ou entre crochets dans la version hors PDF] pour différencier les parties et chiffres qui datent d’il y a plus de 20 ans des éléments plus récents que nous avons écrits ou trouvés dans divers articles.

Initialement le projet de cette réédition était juste de refaire une mise en page plus lisible et simple à imprimer. Finalement l’envie a été d’ajouter du contenu et de mettre à jour certaines informations, mais nous n’avons pas tout revu par manque de temps. Nous avons aussi pris la liberté de retirer des parties qui nous questionnaient ou qu’on jugeait datées. La version d’origine se retrouve en accès libre sur le site internet de Tahin Party.

Pour prendre contact avec les personnes qui ont fait cette réédition : souslaplage@@@riseup.net]


« Aie pitié de moi, Tsarévitch ! Rejette-moi à l’eau, supplia le brochet... »
« La princesse grenouille » (conte traditionnel russe, image de I. Bilibine, 1900)

Introduction

Leur habitat et leur environnement couvrent 70% de la surface du globe ; et pourtant, nous les connaissons peu ; et malgré cela, nous n’hésitons pas à les décimer à grande échelle et à les tuer dans des conditions terribles. Alors que la consommation de chair des gros mammifères comme les bœufs ou les veaux baisse, celle de poissons augmente considérablement : promue comme une alternative saine, elle semble surtout ne pas impliquer de problèmes éthiques. La considération pour les animaux augmente, des prises de conscience émergent… lentement. Mais pas pour les poissons. Ce sont pourtant de loin les victimes les plus nombreuses de notre consommation de chairs ; ce sont des centaines, ou vraisemblablement des milliers de milliards de poissons qui sont tués chaque année dans le monde. Un nombre incommensurable !

De plus en plus nombreuses sont les personnes qui, apprenant ce qui se passe dans les élevages de poulets, de cochons ou de veaux, décident de désormais refuser de les manger. Mais nombreuses aussi sont celles qui continuent à consommer des poissons. Pensent-elles que les poissons ne sont pas sensibles ? Ne sont-elles pas sensibles elles-mêmes au sort des habitants des eaux ? Imaginons le tollé si les éleveurs poussaient leurs troupeaux dans des étangs pour les abattre ! C’est pourtant peu différent de ce qu’on fait subir aux poissons en les remontant à l’air libre pour les laisser s’asphyxier lentement. De même, qui s’indigne de la « pêche au vif » ? Du dépeçage des anguilles vivantes sur les marchés du Sud-ouest ? On verra hélas que la réalité ne se limite pas à ce type de souffrances, et qu’elle dépasse souvent en horreur tout ce qu’on peut imaginer, pour un nombre incalculable d’individus.

Ce n’est pas parce que nous avons peut-être spontanément moins de sympathie pour les poissons que leur vie et leur bonheur auraient moins d’importance – ce sont leur vie, leur bonheur, qui importent en premier lieu, avant notre sympathie, notre attirance.

De même, non seulement la pêche, mais aussi l’élevage, le transport, la « mise à mort », etc. sont d’une extrême brutalité à l’égard des poissons ; on découvrira également dans ce livret l’existence de la pêche minotière ou l’absurdité des quotas de captures, l’horreur qu’implique l’aquariophilie (on ne pense jamais aux « poissons d’ornement » lorsqu’on parle des animaux familiers, alors qu’ils constituent la majorité des animaux de compagnie), etc. Personne ne se pose jamais la question du « point de vue » des poissons eux-mêmes. Si l’on prenait au sérieux ce qu’ils vivent, ce seul problème de leur confinement dans des aquariums semblerait monstrueux ; et pourtant, il apparaît lui-même dérisoire, anecdotique, par rapport aux souffrances que causent les élevages et les pêches commerciales ! On s’apercevra sans doute au fil des pages de l’étendue de notre ignorance, et que notre indifférence quotidienne ne va vraiment pas de soi, qu’elle pose question. Peut-être a-t-elle partie liée avec un mépris. Un mépris peut-il jamais se défendre ?

Ce livret a été conçu pour lever le voile sur ce qu’éprouvent les poissons, et sur ce qu’ils subissent de notre fait partout de par le monde. Pour changer notre rapport aux poissons, pour que nous refusions enfin de les exploiter.

Pour nous, c’est peu de choses. Mais c’est urgent, c’est vital. Pour eux.

Innombrables

[On estime pour l’année 2019 à plus de 82 milliards le nombre d’animaux d’élevage terrestres abattus chaque année dans le monde. La quantité d’animaux aquatiques impactés par les activités de pêche sont bien supérieurs, avoisinant les 178 millions de tonnes en 2020 selon la FAO. Seules 3 espèces sur les 54 les plus capturées sont capables de se régénérer assez rapidement pour reconstituer le stock chaque année. Cela signifie qu’en 2040, la surpêche actuelle entraînera une crise majeure du secteur avec des quantités qui auront drastiquement diminué. [1]

Bien sûr ces chiffres en « tonnes » de « produits », à la rigueur en espèces et « groupes d’espèces » contribuent à invisibiliser les individus tués. La mesure à la tonne n’est pas sans rappeler les UGB ou « Unité Gros Bétail » de l’industrie de l’élevage (1 UGB correspond à une vache laitière, si bien qu’une chèvre standard représentera dans cette optique 0,17 UGB...). Et lorsqu’on trouve des estimations, elles sont si élevées qu’il est difficile de les rendre palpables. D’autant que les poissons se raréfiant, l’industrie de la pêche est amenée à sans cesse capturer des individus de plus petite taille (soit parce que plus jeunes, soit parce que d’espèces plus petites), ce qui accroît considérablement le nombre des victimes. L214 estime par exemple à un peu plus de 1380 milliards le nombre d’animaux marins tués pour la consommation humaine en 2018. En 2020, 14 espèces de poissons représentaient près de 40 % du total de la pêche de capture marine.

En France, selon l’Insee (Tableau de l’économie française, 2020), « près de 556 000 tonnes de produits de la mer [ont été] débarqués » en 2017 ce qui représente une « une valeur d’environ 1,3 milliards d’euros » et place la France au 4ème rang des producteurs européens en matière de pêche, après le Danemark, l’Espagne et le Royaume Uni. La flotte de pêche française est la deuxième d’Europe en nombre de navires, tonnage, quantité débarquée et valeur dégagée. La France importe chaque année 2.078.000 tonnes de produits de la mer.]

Les poissons : une sensibilité hors de portée du pêcheur

Article paru en juillet-août 1991 dans la revue américaine Animals’ Agenda, puis traduit dans les Cahiers antispécistes n° 1 d’octobre 1991. Revu et corrigé par nous avec l’accord de l’auteure à partir de son article « Fishes and the Flesh Industry » publié dans American Vegan, été 2003.

Blackie, poisson rouge de variété moor, pouvait à peine nager, en raison d’une grave déformation. Big Red, poisson rouge plus gros de type oranda, sentit sa détresse. Dès l’instant où Blackie avait été ajouté à son aquarium dans le magasin d’animaux, Big Red s’était mis à s’occuper de lui. « Big Red surveille sans relâche son copain malade, le soulève doucement sur son grand dos et le promène à travers l’aquarium », rapporta en 1985 un journal sud-africain. Chaque fois que de la nourriture était saupoudrée à la surface de l’eau, Big Red y portait Blackie pour qu’ensemble ils puissent y manger. Cela faisait un an que Big Red faisait ainsi preuve de « compassion », selon le propriétaire du magasin.

De la compassion envers les poissons, les humains, eux, en montrent généralement bien moins. Tragiquement et ironiquement, ils ne reconnaissent pas une sensibilité qui, à bien des égards, dépasse la leur.

Glissants et luisants, froids et muets


Il est difficile de comprendre que l’on fasse une croix sur les poissons tout simplement parce que ces créatures glissantes et luisantes ne sont pas chaudes et laineuses comme un mouton et n’ont pas le regard sombre et profond d’une vache. Parce qu’ils vivent dans un milieu hostile pour nous, les gens s’imaginent qu’ils ne peuvent rien ressentir. Les poissons sont peut-être à sang froid, mais cela ne signifie pas qu’ils ne ressentent pas la douleur. Ce sont des créatures hautement sensibles avec un système nerveux et un cerveau, ce qui signifie que comme les humains, ils peuvent souffrir, la seule différence étant qu’ils n’ont pas de voix comme les autres animaux.

Courrier des lecteurs à la revue The Vegetarian

Le monde perceptif des poissons

Les oreilles intérieures des poissons perçoivent tout un monde aquatique que les humains ne peuvent appréhender sans l’aide d’hydrophones. Sans avoir de cordes vocales, les poissons « parlent ». En comprimant leurs vessies natatoires, en faisant grincer leurs dents pharyngales, en frottant ensemble certaines de leurs arêtes, ils produisent des sons qui peuvent varier de bourdonnements et de clics à des glapissements et des sanglots. Selon les découvertes des spécialistes de la biologie marine, les « vocalisations » des poissons communiquent des états comme la cour, l’alarme ou la soumission, en même temps que l’espèce, la taille et l’identité individuelle du « locuteur ». Le satinfin shiner mâle [2], par exemple, ronronne lors de sa cour et émet des coups sourds quand il défend son territoire.

La ligne latérale, organe sensitif que la plupart des poissons possèdent de chaque côté du corps, formée d’une série de poils sensibles alignés de la tête à la queue, détecte elle aussi les vibrations. Pendant la nage, elle signale au poisson les objets proches grâce aux vibrations qu’ils renvoient, autorisant ainsi la navigation et la localisation précise des proies dans l’obscurité.

La sensibilité des poissons à la lumière est supérieure à la nôtre. Beaucoup de poissons des profondeurs voient dans une pénombre où un chat ne voit rien. Les espèces d’eau peu profonde ont une vision à deux niveaux : à l’aube, les cônes de la rétine, sensibles à la couleur, s’avancent, et les bâtonnets, sensibles à la lumière faible, se rétractent en profondeur ; au coucher du soleil, le processus s’inverse. Pendant la transition, de nombreux poissons bénéficient d’une aptitude à percevoir la lumière ultraviolette, qui suffit à leur indiquer la silhouette des insectes à la surface de l’eau. Une lumière vive soudaine, due par exemple à une lampe de poche, surprend et désoriente un poisson dont la vision s’est adaptée à la nuit. Il arrive alors qu’il fuie, ou qu’il se fige sur place, ou qu’il coule. La lumière peut aussi détruire des bâtonnets.

Chez la plupart des poissons, les papilles gustatives se répartissent non seulement dans la bouche et la gorge, mais aussi sur les lèvres et le museau. Beaucoup d’espèces qui se nourrissent sur le fond ont des récepteurs gustatifs aussi sur des extensions de leurs nageoires pelviennes ou sur des barbes sous leur menton, qui jouent le rôle de langues externes. Les poissons-chats, grâce à leurs centaines de milliers de récepteurs gustatifs, peuvent goûter la nourriture à une certaine distance.

Quelle sensibilité les poissons ont-ils aux odeurs ? Les saumons peuvent parcourir des milliers de kilomètres au cours de leurs migrations, et, plusieurs années plus tard, reconnaître à l’odeur leur cours d’eau d’origine. Les anguilles américaines détectent l’alcool à une concentration d’un milliardième de goutte dans 90 m3 d’eau (le contenu d’une grande piscine). À sa seule odeur, certains poissons peuvent déterminer l’espèce, le genre, la réceptivité sexuelle, ou l’identité individuelle d’un autre poisson.


Morphologie d’un poisson typique (« téléostéen »). D’après J. Nicholls, dans le Guide de la faune et de la flore littorales des mers d’Europe, éd. Delachaux & Niestlé, Paris, 1979

Les poissons réagissent fortement au fait d’être touchés. Lors de la cour, ils se frottent souvent doucement l’un contre l’autre. Des enregistrements effectués par le Narragansett Marine Laboratory ont révélé que le robin des mers [Sea robin, famille des triglidés] ronronne quand on le caresse. Ricardo Mandojana, photographe sous-marin, gagna l’amitié d’un robin des mers initialement méfiant en lui grattant légèrement le front. Au cours des mois suivants, le poisson, apparemment impatient de se faire caresser, venait à la rencontre du plongeur lors de ses tournées. La vessie natatoire (ou aérienne ou gazeuse) que possèdent la plupart des poissons est un sac interne rempli d’air qui allège son possesseur et lui facilite la nage.

De nombreuses espèces de poissons ont des centaines de récepteurs électriques sur leur peau, qui leur permettent de détecter leur environnement. Un objet moins conducteur que l’eau, telle une roche, forme une ombre dans le champ ; un objet plus conducteur, telle une proie, apparaît comme un point brillant. L’image électrique que perçoit le poisson lui indique le lieu, la taille, la vitesse et la direction de déplacement de l’objet. Un poisson électrique peut aussi « lire » la décharge produite par un autre, laquelle dépend de la taille, de l’espèce, de l’identité individuelle et des intentions (qui peuvent être, par exemple, le défi ou la recherche d’un partenaire sexuel) de celui qui le produit. Le poisson-couteau rayé mâle affirme sa dominance par le moyen d’une série rapide d’impulsions ; son rival potentiel se soumet en cessant de « parler ».

Qu’ils produisent ou non eux-mêmes des signaux électriques, de nombreux poissons sont sensibles au champ électrique qu’engendre tout être vivant et peuvent ainsi détecter une proie cachée sous le sable ou le gravier. Theodore Bullock, spécialiste des systèmes nerveux, a noté que certains requins peuvent percevoir un champ électrique équivalent à celui que produit une pile de 1,5 volts à 1500 kilomètres.

Les poissons ne saignent pas. Il serait pourtant plus juste de dire qu’ils saignent peu, mais c’est en se basant principalement sur cette prétendue caractéristique que l’Église catholique avait décrété que l’on pourrait les manger même pendant le carême. C’est que le sang paraît porteur de la vie, et que répandre le sang est un très fort symbole de violence et de domination. Sous l’Ancien Régime, les nobles étaient décapités à la hache ou tués à l’arme blanche, alors que les gueux étaient pendus, brûlés ou étouffés. Mort noble, avec écoulement du sang, et mort dégradante, lorsque le sang n’est pas répandu. Le fameux privilège de chasse de la Noblesse était un droit également de faire couler le sang de l’animal sauvage : piéger les animaux, les étouffer, les noyer étaient des manières de manants, de vilains.

Et les animaux eux-mêmes se voyaient conférer des statuts plus ou moins valorisants selon « leur sang » : les gros mammifères, auxquels les hommes s’identifiaient peu ou prou et que seul « le sexe fort » pouvait tuer, étaient renommés être des viandes rouges (ou même noires, pour le « gros gibier »), tandis que les oiseaux et petits mammifères (animaux de basse-cour, etc.), que pouvaient parfois tuer également les femmes, étaient censés être des « viandes blanches ». Pour se revigorer, au XIXe siècle encore, les hommes buvaient le sang des bœufs des abattoirs, et les femmes du bouillon de poulet ! Quant aux poissons, on l’a vu, ils étaient censés être dépourvus de sang ; déjà, chez les Grecs, les poissons n’étaient pas considérés comme de la viande. Cela semble rester la règle durant l’antiquité, et « ce n’est véritablement qu’après l’établissement du Christianisme que la pêche fit des progrès. Elle n’avait été qu’une profession vile, abandonnée aux mains d’esclaves : le besoin de satisfaire aux jours d’abstinence la convertit en une profession nécessaire. »

Du coup, les poissons ne constituaient guère un aliment noble, et restaient une nourriture de pauvres, un plat de pénitence ; le Carême n’était autrefois pas vécu positivement, comme en témoigne une parodie médiévale des chansons de geste, « La Bataille de Caresme et de Charnage ».

La pêche n’était donc pas une activité prestigieuse : contrairement à la chasse, « on la considérait [sur la fin du moyen age] plutôt comme une activité économique (pêche au filet dans les rivières et vidange périodique des étangs) ; le seigneur, qui en avait le monopole, se serait abaissé s’il l’avait exercée lui-même. » Par contre, il se réservait bel et bien le droit de chasse, valorisant, lui, et symbole de sa domination sur les autres animaux, sur ses terres et sur les autres humains.

Voilà sans doute pourquoi aujourd’hui encore les poissons ne bénéficient d’aucun prestige, ne font pas partis de nos imaginaires et pourquoi, peut-on supposer, leur sort nous laisse si souvent indifférents.

De nombreux pêcheurs pensent que les poissons apprennent à se méfier des techniques de pêche : « Les sandres voient sans arrêt des poissons morts habilement maniés devant leur gueule, les ombres voient passer des nymphes de toutes les couleurs et de là à penser qu’ils apprennent rapidement à se méfier […]. La preuve : on en prend beaucoup plus difficilement sur les parcours sur-pêchés. « Y’a plus de poissons » est en général la réaction : là-dessus, une pêche électrique démontre le contraire. Le poisson est là, mais il est sur ses gardes. »

D. Maury, « Moins nombreux, mais meilleurs », La pêche et les poissons, n°681, 02/2002

La capacité des poissons à souffrir

Fréquemment cité par les magazines de pêche, le Pr. J. D. Rose de l’Université du Wyoming affirme que les poissons sont dépourvus de la région spécifique du cerveau qui serait le siège de la sensibilité. Parce qu’ils ne possèdent pas de néo-cortex, les poissons ne ressentiraient ni souffrances, ni détresses, ni plaisirs, et leurs comportements lors de la capture, par exemple, seraient de simples réponses réflexes à des stimuli. Des arguments de ce type avaient déjà été réfutés plusieurs années auparavant, notamment par Antonio R. Damasio, qui dirige le département de neurologie de l’Université de l’Iowa. Le néo-cortex n’est pas la seule zone cérébrale permettant les perceptions sensibles et des arguments variés et de très nombreuses expériences forment un si vaste et si convaincant faisceau de présomptions que l’on peut considérer que nous avons bel et bien des preuves aujourd’hui de la sensibilité des poissons.

En accord avec leurs autres sensibilités, la capacité des poissons à ressentir le stress et la douleur ne fait pas de doute. Lorsqu’ils sont poursuivis, enfermés, ou menacés de toute autre manière, ils réagissent comme le font les humains face au stress : par l’augmentation de leur fréquence cardiaque, de leur rythme respiratoire, et par une décharge hormonale d’adrénaline. La prolongation de conditions adverses, telles la trop grande promiscuité ou la pollution, les amène à souffrir de déficience immunitaire et de lésions organiques internes. Tant par sa biochimie que par sa structure, leur système nerveux central ressemble étroitement au nôtre. Chez les vertébrés, les terminaisons nerveuses libres enregistrent la douleur ; les poissons en possèdent en abondance. Leur système nerveux produit aussi des enképhalines et des endorphines, substances analogues aux opiacées et qui possèdent un rôle anti-douleur chez les humains. Quand ils sont blessés, les poissons se tordent, halètent, et exhibent d’autres signes de douleur.

Il est clair que les poissons ressentent la peur, qui joue un rôle dans l’acquisition du comportement d’évitement. Si un vairon a été une fois attaqué par un brochet, ou en a seulement vu d’autres se faire attaquer, l’odeur d’un brochet suffit à lui faire prendre la fuite. Des poissons qui ont subi l’attaque de jeunes brochets prennent la fuite lorsqu’ils entendent le grincement de dents de ces derniers. Le chercheur R. O. Anderson a montré que les perches à grande bouche apprennent rapidement à éviter les hameçons simplement en en voyant d’autres s’y faire prendre. Des centaines, voire des milliers, d’expériences ont été faites au cours desquelles des poissons ont été amenés à accomplir des tâches dans le but d’éviter des chocs électriques.

De nombreux expérimentateurs ont reconnu avoir induit de la peur chez des poissons. Parmi les « observations sur des comportements motivés par la peur chez les poissons rouges » faites par le psychiatre Quentin Regestein, on trouve : « Un poisson effrayé peut s’élancer en avant, ou battre en retraite, ou s’agiter sur place, ou tomber simplement inerte s’il est dépassé par la situation. »

Les poissons crient tant de douleur que de peur. Selon Michael Fine, biologiste marin, la plupart des poissons qui produisent des sons « vocalisent » quand on les touche, quand on les tient, et quand on les poursuit. Dans une série d’expériences, William Tavolga fit grogner des poissons-crapauds en leur infligeant des chocs électriques. Ils se mirent bientôt aussi à grogner à la simple vue des électrodes.

Perception de la douleur

« Une équipe de l’Institut Roslin et de l’Université d’Edimbourg apporte [une preuve] scientifique d’une perception de la douleur chez les poissons.

L’étude, qui a porté sur la truite arc-en-ciel, démontre non seulement l’existence de récepteurs du système nerveux dans la tête du poisson qui réagissent aux stimuli, mais que l’application sur sa peau de substances nocives peut produire des changements profonds et durables de son comportement et de sa physiologie, tout comme c’est le cas avec d’autres mammifères. […] la réaction à une substance nocive n’étant pas suffisante pour prouver la perception à la douleur, il a fallu démontrer que la conduite de l’animal est affectée de façon négative par l’expérience douloureuse, et que ces modifications de comportement ne sont pas uniquement le fait de réflexes.
"Tous ces travaux font apparaître que les critères permettant d’affirmer qu’il y a bien douleur de l’animal sont réunis", résument les chercheurs. » (d’après un communiqué de l’AFP du 30 avril 2003).
Les études comportementales de Ehrensing et al. (1982) avaient déjà montré que les poissons apprennent vite à éviter des chocs électriques, contrairement à ceux auxquels on administre un analgésique. [3]

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Des personnalités et capacités multiples

L’expression « une mémoire de poisson rouge » est factuellement fausse. Les poissons rouges ont des capacités de mémoire et d’apprentissage, il peut enregistrer des informations sur plusieurs années. On nous enseigne que nous vivons dans un monde où l’être humain serait supérieur, et de tel préjugés permettent de justifier ce que l’on fait subir aux poissons.

Le gobie à nageoires à volants est un petit poisson, long de huit centimètres, qui vit au niveau de l’estran des côtes de l’océan Atlantique. L’estran, ou zone de balancement des marées, est la partie du littoral située entre les limites extrêmes des plus hautes et des plus basses marées.

À marée basse se forment de petites mares isolées les unes des autres dans lesquelles les gobies se logent. Cependant, lorsque surgit un prédateur, comme un poulpe ou un héron, il faut fuir. Mais où ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, les gobies sautent alors de leur mare vers une mare voisine sans se rater. [...]

Ils repèrent la topographie du fond de la zone d’estran lorsqu’ils nagent à marée haute, fixant dans leur esprit la disposition des dépressions dans les rochers qui formeront les futures mares à marée basse. C’est donc à marée haute qu’ils se constituent une carte mentale de la situation à marée basse, laquelle carte leur permet de se repérer et d’effectuer des sauts précis d’une mare à l’autre. [4]

Il a aussi était démontré que les poissons ont une individualité, des personnalités [5]. Iels sont capables pour certain.es de faire des petites opérations mathématiques [6]. Certaines font des sculptures / dessins, et bien des choses sont à découvrir sur leurs vies [7].]

Les poissons comme « animaux familiers »

Même quand ne s’y ajoute pas la cruauté de l’expérimentation, la captivité des poissons en elle-même néglige leurs besoins les plus fondamentaux. Nerveux et fragiles, ils sont mal adaptés à la vie enfermée dans un aquarium ; pourtant, dans les seuls États-Unis, des centaines de millions de poissons y sont emprisonnés.

Les poissons sont plus sensibles à la température que ne l’est n’importe quel animal à sang chaud. Une variation brusque d’à peine quelques degrés peut tuer un poisson rouge. Pourtant, certains sont confinés dans des petits réservoirs dont la température peut fluctuer rapidement.

Les poissons d’aquarium n’ont aucun moyen d’échapper aux substances toxiques qui pénètrent dans leur eau. De nombreux polluants domestiques peuvent leur nuire, parmi lesquels la fumée de cigarette, les vapeurs de peinture, et les retombées de vaporisateur. Dans un bocal ou un réservoir, l’ammoniaque qu’ils excrètent eux-mêmes peut s’accumuler et atteindre un niveau toxique. Le chlore même en très petites quantités peut, comme l’ammoniaque, induire des difficultés respiratoires et des spasmes nerveux. Le niveau de chlore dans l’eau du robinet peut facilement leur être fatal.

Les poissons en aquarium sont bombardés en permanence de scènes et de bruits d’humains. Le simple fait d’éclairer la lumière dans une pièce sombre peut les alarmer au point de les faire s’élancer contre les parois en verre, et se tuer. Les vibrations provenant d’une télévision, d’une chaîne stéréo, ou d’une porte qui claque peuvent aussi les alarmer et les blesser. Dans You and Your Aquarium, Dick Mills prévient que « n’importe quel choc ou tapotement sur le verre de l’aquarium peut facilement choquer et stresser les poissons ». Un chercheur, H. H. Reichenbach-Klinke, a découvert que les poissons fréquemment exposés à de la musique à forte puissance développent des lésions mortelles du foie.

Les poissons d’aquarium sont livrés à l’agression de l’artificiel, mais sont privés du naturel. Il leur est refusé de s’adonner à leurs activités comme la recherche de la nourriture à travers la vive diversité des récifs coralliens. À la place, ils n’ont à parcourir et à reparcourir que les mêmes dixièmes ou dizaines de litres, et à accepter passivement jour après jour la même nourriture du commerce. Selon Mills, les poissons d’aquarium souffrent souvent d’ennui.

Les poissons rouges et autres poissons sociaux ont besoin de la compagnie de membres de leur espèce ; faute de quoi, commente encore Mills, « il arrive qu’ils dépérissent ». Lorsqu’ils perdent un compagnon, on observe chez les poissons sociaux des signes de dépression, tels la léthargie, la pâleur ou les nageoires flasques. Le zoologiste George Romanes rapporte dans Animal Intelligence l’incident suivant : quand un propriétaire d’aquarium se défit d’un de ses deux ruff [?], celui qui restait cessa de manger pendant trois semaines jusqu’au jour où on ramena son compagnon.

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Le bocal : la chambre des tortures

"Poisson rouge" : poisson le plus commercialisé dans le domaine des aquariums. 35 millions vendus en France chaque années, 500 millions dans le monde. Organisation de "concours de beauté", création de nouvelles races chaque année ..., ce poisson souvent mis dans des petits bocaux y subissent un calvaire : impossibilité de s’orienter, lumières agressives, par la forme du bocal il va capter tous les mouvements extérieurs et les vibrations qui rebondissent sur la paroi, pollutions et température fortement changeante de l’eau, manque d’oxygène qui provoque de l’asphyxie, concentration d’ammoniaque qui brûle les branchies, dans un petit espace il va stopper sa croissance mais ses organes vont continuer de grossir, toutes les recettes pour du stress, de la maladie et de la folie. S’ils peuvent vivre jusqu’à 20-25 ans (records constaté à 43 ans), dans le bocal il mourra au bout de quelques mois.

"C’est comme si l’on condamnait un être humain à vivre enfermé dans une pièce de 5m2 sans aération, avec des pots d’échappements qui crachent en continu" [8]]

Le mal que les aquariophiles infligent aux poissons dépasse largement leur aquarium. Innombrables sont ceux qui meurent avant d’arriver chez le détaillant, au cours du transport depuis leur lieu de capture, ou depuis la « ferme à poissons » (qui voit naître actuellement 80 % des poissons dits « ornementaux » des États-Unis). La capture à elle seule en tue ou blesse des millions. Ils sont immobilisés à l’aide d’anesthésiants, de dynamite ou de cyanure, puis prélevés à la main ou au filet. William McLarney, biologiste de la pêche, a observé une capture à la bombe au cyanure :

Une douzaine de poissons-écureuils rouge vif quittent en trombe leur demeure corallienne à huit mètres sous l’eau et se lancent, suffoquant et gigotant, vers la surface. Leur élan les porte jusqu’à trente centimètres en l’air, d’où ils retombent avec de petits bruits mats, pour enfin flotter, épuisés, en tournant faiblement en rond. Sous eux, un mérou de trois livres tousse violemment, les branchies en feu. Il tente de nager mais ce faisant se renverse, puis flotte sans bruit comme une sinistre bouée.

Entre-temps, sur le fond, des poissons trop « ternes » pour intéresser les clients « se convulsent ou gisent sans mouvement ».

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Des animaux à posséder

En 2003, après la sortie du dessin animé Le Monde de Nemo, les États-Unis et l’Angleterre avaient été confrontés à une augmentation de 30 à 40 % des ventes de poissons-clowns. Si en France il n’y a pas eu cette augmentation, après chaque sortie de film avec un poisson phare (le monde de Dory), des assos doivent préciser qu’il ne faut pas acheter cette espèce pour ne pas les voir finir dans un aquarium. Si un poisson est considéré comme joli, l’éducation occidentale pousse à vouloir le posséder à son dépend.]


En 2004, 70 % des animaux de compagnie en Allemagne sont des poissons [9]. Que ce soit dans les salles de séjour, dans les restaurants ou les espaces commerciaux, il y aurait environ 3 millions d’aquariums, soit environ 80 millions de « poissons d’ornement ». Les vétérinaires estiment que le contenu de ces aquariums sera changé quatre fois dans l’année…

L’Allemagne importe chaque année 70 à 100 tonnes de poissons d’eau salée (quand on sait combien pèse généralement un poisson d’aquarium !!!), pratiquement tous d’origine sauvage. En Asie du Sud-est, on utilise généralement du cyanure de sodium, extrêmement nocif, pour les étourdir et les capturer facilement. Bien que ce soit illégal, jusqu’à 90 % des poissons d’ornement qui proviennent d’Indonésie ont été pêchés avec du cyanure. Aux Philippines aussi, son emploi reste courant. Pourtant cette méthode cause une mortalité effroyable : les poissons souffrent de lésions du foie ainsi que de problèmes de respiration. On évalue à seulement 10 % le nombre de ces poissons qui vont survivre aux premiers temps dans l’aquarium. Jusqu’à 60 % des poissons capturés meurent en fait avant même d’être exportés : les filets notamment provoquent des contusions, des coupures et des blessures des branchies. De très nombreuses lésions résultent aussi de ce que les filets sont remontés trop vite et sans ménagement à la surface. D’autres poissons encore meurent à cause des mauvaises conditions de « stockage » chez l’exportateur ou pendant le transport.

En outre, les aquariums des particuliers eux aussi génèrent une très forte mortalité. Certes, les pertes sont particulièrement importantes chez les poissons d’importation, mais ceux qui proviennent d’élevages (c’est le cas de 90% des poissons tropicaux d’eau douce) vivent eux aussi très peu longtemps. Si les poissons sont remplacés plusieurs fois par an, cela ne tient pas du tout à leur faible espérance de vie puisque 80% des morts résultent de négligences, d’erreurs de « manutention » : mauvaise qualité de l’eau (taux de carbonates, de nitrates, acidité, teneur en oxygène), mais aussi surpopulation, mauvais assortiment ou nourriture inadaptée, ou bien encore absence de quarantaine des poissons qu’on vient d’acheter. Et ces erreurs ne sont généralement pas fatales à un seul animal, mais à l’ensemble des captifs d’un même aquarium.

De façon générale, les pertes concernant les poissons « d’ornement » sont significativement plus importantes que dans le reste du commerce animalier. Le coût très faible de chaque individu joue sans doute un rôle. Comme personne ne s’en préoccupe, il n’y a pas non plus de lois régissant le commerce ni la « garde ». Et ce hobby connaît un engouement constant, et se répand toujours plus… [10]

[D’après une étude publiée en 2001, entre 12 et 15 millions de néons cardinal sont exportés chaque année. "La plupart des spécimens dans le commerce des aquariums est capturé dans les affluents du Rio Negro et de l’Orénoque.", "il est vrai que l’importation de ces jeunes exemplaires (moins de 6 mois), stockés pendant quelques semaines à Manaus, principalement, ont subi des pertes considérables, et que seuls les plus robustes ont survécu". [11] En 1984 on parlait d’un taux de survie de seulement 10 % d’individu.es qui survivent au voyage et au conditionnement.]

La pêche commerciale

La pêche commerciale elle aussi décime les poissons, en en tuant d’innombrables milliards chaque année. En général, pour eux, la mort n’est ni rapide ni indolore.

Dans la pêche à la seine tournante et enveloppante, le bateau encercle un banc de poissons avec un filet (seine), qui est ensuite resserré, puis hissé et généralement vidé dans de la saumure liquide maintenue sous 0°C. Ceux qui ne meurent pas écrasés ou étouffés sont victimes de choc thermique. Cette méthode, employée pour pêcher les thons albacores, a provoqué une tempête de protestations en faveur des dauphins qui nagent au-dessus des thons et se prennent dans le filet avec eux. Mais peu de voix se sont élevées contre la mort qui est administrée aux thons eux-mêmes. Et les thons sont eux aussi des animaux sensibles aux vibrations, dont il est clair qu’ils sont eux aussi terrorisés et blessés par les canots à moteur et les explosions sous-marines qui rassemblent les dauphins en un lieu. L’onde de pression d’une détonation sous-marine peut rompre la vessie natatoire d’un poisson.

Dans la pêche au chalut, un bateau se déplace en traînant derrière lui à travers l’eau un énorme filet. Tous les poissons qui y entrent sont poussés par le mouvement de traction en direction de son extrémité en cul de sac effilé. Pendant un temps qui peut durer de une à quatre heures, les poissons pris sont tirés et pressés à hue et à dia les uns contre les autres, ensemble avec divers débris et cailloux que ramasse le filet sur le fond. Dans Distant Water : The Fate of the North Atlantic Fisherman, William Warner écrit d’une capture : « le frottement des poissons les uns contre les autres dû à l’agitation et à la compression prolongées dans le filet leur avait rapé les écailles ». « Les frottements, en fait, leur avaient complètement mis les flancs à vif. »


Seine tournante et enveloppante. Le filet peut faire plus de 1 000 m de long et 100 m de haut ; sa partie inférieure est refermée au moyen d’une corde coulissante. Il est utilisé pour les captures en surface (sardines, anchois, harengs, thons…).

La décompression que subissent les poissons devient insoutenable dès lors que leur remontée forcée a lieu depuis une certaine profondeur. La chute de la pression provoque une dilatation du gaz enfermé dans leur vessie natatoire, qui ne peut pas être compensée assez rapidement par une absorption dans la circulation sanguine. Il arrive souvent que la pression interne qui en résulte fasse éclater la vessie natatoire, ou sortir les yeux de leurs orbites, ou l’œsophage et l’estomac par la bouche. « Beaucoup parmi eux n’avaient que des trous vides là où auraient dû se trouver les yeux », rapporte Warner d’une de ses observations sur un chalutier. Une autre fois, il remarqua lors de la remontée du filet « une grande écume de bulles… provenant des milliers de vessies natatoires rompues. » Les poissons relativement petits tels les flets sont d’ordinaire déversés sur de la glace pilée ; la plupart y meurent d’étouffement ou écrasés par les couches suivantes. Les poissons plus grands tels les églefins ou les morues sont vidés sur le pont.


La décompression fait sortir les yeux des orbites...

William MacLeish décrit la méthode de tri qu’il a vue pratiquer : l’équipage larde les poissons de coups au moyen de courtes tiges pointues, « jetant ici les morues, là les églefins, là-bas encore les sérioles [Yellowtail] ». Ensuite, on leur coupe la gorge et le ventre (pas nécessairement dans cet ordre). Entre-temps, les poissons non désirés (« déchets »), qui représentent parfois la majorité de la prise, sont rejetés par dessus bord, parfois à la fourche.

Les poissons de grande consommation – thons, harengs ou cabillauds – sont tous pêchés entre la surface et environ 800 mètres de profondeur. Mais, concurrence et raréfaction des bancs obligent, les chalutiers plongent leurs filets de plus en plus profond. Résultat, des poissons jusque-là ignorés arrivent sur les marchés. Comme le grenadier, qui vit par 1400 mètres de fond.

Filets… et déchets dérivants

Depuis plus de vingt ans, les filets « monofilaments » sont très largement utilisés. On estime qu’ils multiplient par huit les capacités de capture des filets traditionnels. Ils mettent au moins sept ans à se dégrader, et lorsqu’ils sont perdus et dérivent dans les océans, ils continuent à attraper et tuer des poissons et de nombreux autres habitants des mers. Le monofilament est moins cher, moins visible que l’ancien multifilament, et est plus difficile également à détecter acoustiquement. Du coup, extrêmement nombreux sont les animaux utilisant l’écho-location qui se retrouvent pris au piège. De nombreux autres restent prisonniers aussi de divers déchets, comme des bandes en plastique.

Pour réduire la « surpêche » et éviter les captures de dauphins, la pêche aux thons avec filets maillants dérivants est désormais interdite dans les eaux européennes, mais elle continue néanmoins à être pratiquée illégalement sur une large échelle…

En une seule après-midi, les pêcheurs peuvent poser jusqu’à 60 000 kilomètres de filets maillants, qui, dans les hautes eaux du Pacifique, sont surtout des filets dérivants, mais qui peuvent être aussi dans les eaux côtières des filets amarrés. Ce sont des filets en plastique munis de flotteurs sur un bord et lestés de l’autre, qui pendent comme des rideaux sous la surface, généralement jusqu’à une profondeur de plusieurs dizaines de mètres. En plus de la mort non intentionnelle de plus d’un million de mammifères, de tortues et d’oiseaux chaque année, ces filets infligent une souffrance énorme aux poissons.

Ceux-ci ne voient pas le filet et nagent droit dedans. Si leur taille est trop grande pour qu’ils passent à travers, ils se coincent la tête dans une maille. Ils tentent alors de reculer, mais la maille les prend par les opercules des branchies ou par les nageoires. Beaucoup d’entre eux vont alors mourir étouffés. D’autres luttent si désespérément dans les mailles coupantes que souvent ils saignent et meurent vidés de leur sang, qu’ils aient ou non réussi à se libérer. Beaucoup de pêcheurs ne remontent pas leurs filets tous les jours, et la mort peut mettre plusieurs jours à venir. Dans Sports Illustrated (16 mai 1988), le journaliste Clive Gammon décrit les morues ramenées après deux jours. Beaucoup d’entre elles étaient « sans yeux, sans nageoires, sans écailles » ; de nombreuses autres avaient été dévorées par des poux de mer. Les poissons immobilisés sont une proie sans défense (les prédateurs qu’ils attirent se prennent souvent eux aussi dans les filets). Quand le filet est remonté, les poissons sont extraits au crochet.


Pêche au chalut à panneaux. Une chaîne précède le bord inférieur du filet, et racle le fond de la mer pour en déloger les animaux.

Beaucoup de poissons, comme les morues, les églefins, les raies et les soles, peuvent être encore en vie lorsqu’ils sont éviscérés. Les anguilles sont fréquemment tuées en les couvrant de sel (l’agonie dure deux heures) ou en les hachant en morceaux…

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Engins de pêche abandonnés, perdus ou rejetés

Depuis l’écriture de l’article précédent, ce phénomène s’est fortement accentué, avec notamment des filets à base de plastique qui mettent des centaines d’années à se dégrader (jusqu’à 600 ans). S’il est difficile à chiffrer, il est estimé qu’autour de 10% des rejets totales en mer de plastique (150 millions de tonnes de plastique dans la mer en tout) proviennent des 4,6 millions de navires de pêche en mer soit 15 millions de tonnes. Dans les mers européennes, il est estimé que 12 000 tonnes d’engins de pêches sont abandonnés tous les ans. A rajouter aux problématiques des « pêches fantômes » (les filets de pêches abandonnés qui continuent d’attraper des poissons), il y a la présence des microparticules de plastique qui est ingérées par les animaux marins.]

La pêche minotière

La pêche minotière, c’est la pêche industrielle de poissons à vocation d’être écrasés en farine ou huile. Chaque année, environ 30 millions de tonnes de poissons (environ un tiers des captures mondiales) sont transformées en 6,5 millions de tonnes de farines, et 1,2 millions de tonnes d’huile. Les poissons capturés, appelés parfois poissons fourrage, sont souvent réduits en farine immédiatement, en haute mer, sur les bateaux dits minotiers.

Des centaines ou des milliers de milliards d’habitants des mers finissent ainsi comme nourriture pour les cochons, les poulets et les saumons, ou bien encore comme huiles de poisson dans les margarines, comme bougies ou comme huiles de chauffage. La production d’un kilo de farine de poisson nécessite 4 de poisson sauvage et 1 L d’huile de poisson 15 de poisson frais.
La farine et l’huile de poissons constituent l’aliment de base des poissons d’élevage. De façon générale, obtenir aujourd’hui 1 kg de poissons d’élevage nécessite l’emploi de 2 à 6 kg de poissons pêchés.

Par ailleurs, les poissons servent aussi à confectionner des aliments pour animaux de compagnie : en l’an 2 000, ce sont 25 000 tonnes de poissons qui ont ainsi été utilisés en France comme aliments pour animaux familiers.

Certains pêcheurs commerciaux prennent encore au harpon les poissons les plus gros et les plus précieux (les espadons, les thons et les requins), ou les crochètent individuellement. Mais bien plus souvent ils les prennent avec des palangres flottantes (ou « longues lignes »). Cette méthode, également employée pour des poissons plus petits, consiste à dérouler une grande longueur de fil (parfois plus de cent kilomètres) portant des centaines ou des milliers d’hameçons munis d’appâts. Comme certains pêcheurs ne remontent leur ligne qu’au bout de 20 heures, les poissons peuvent rester empalés pendant près d’une journée entière. Beaucoup de poissons qui se laissent prendre à l’appât avalent profondément l’hameçon qui leur déchire l’estomac lorsqu’ils se débattent.


Visage de la raie bouclée

Les usines à farine de poisson

[La production de farine de poisson à l’échelle industrielle se développe dans les pays pauvres et colonisés, pour exporter dans les pays d’élevage de poisson.

« Golden Lead et les autres usines ont été rapidement construites pour répondre à l’explosion de la demande mondiale de farine de poisson - une poudre dorée lucrative obtenue en pulvérisant et en cuisant du poisson. Exportée aux États-Unis, en Europe et en Asie, la farine de poisson est utilisée comme un complément riche en protéines dans l’industrie florissante de la pisciculture, ou aquaculture. L’Afrique de l’Ouest est l’un des producteurs de farine de poisson dont la croissance est la plus rapide au monde : plus de 50 usines de transformation fonctionnent le long des côtes de Mauritanie, du Sénégal, de Guinée-Bissau et de Gambie. Le volume de poisson qu’elles consomment est énorme : une usine en Gambie absorbe à elle seule plus de 7 500 tonnes de poisson par an, principalement une espèce locale d’alose appelée bonga - un poisson argenté d’environ 25 cm de long. »] [12]

En plus du massacre direct des poissons, les rejets de ces usines tuent de nombreuses autres espèces par leur activité. Ainsi dans ce même article il y est décrit comment en 2017 en Gambie un lagon de 800 mètre de long, large de quelques centaines de mètres avec de nombreuses espèces animales était devenu rouge pourpre, et où tous les êtres vivants y sont morts. L’eau contenait deux fois plus d’arsenic et 40 fois plus de phosphates et de nitrates que la norme. Après des résistances et actions des populations locales l’entreprise a décidé de continuer de rejeter ses effluents … sur une autre plage, avec la protection du gouvernement.

Manger des crevettes tue aussi des poissons

La consommation mondiale de crevettes explose. Il est bien possible que, comme d’autres crustacés tels les homards, elles souffrent tout autant que les poissons ; mais il est sûr, en tout cas, que la pêche aux crevettes est absolument meurtrière aussi pour ces derniers : « Les chalutiers de crevettes, par exemple, attrapent 5 millions de tonnes de poissons pélagiques et 17 millions de tonnes de tous les types d’espèces marines. Ils rejettent la totalité des espèces non ciblées. Dans les zones de pêche les plus destructives, on capture 30 espèces marines pour 1 espèce de crevette. ».

[« On vend environ 4 millions de tonnes de crevettes dans le monde par an. Ce volume résulte en grande partie de la pêche intensive des crevettes, qui conduit à la destruction de la faune marine. En effet, pour 1 kg de crevettes pêchées, jusqu’à 10 kg d’animaux marins et de poissons sont pris dans les filets de pêche. La pêche à la crevette, à elle seule, est à l’origine de plus de 30 % des poissons pêchés puis rejetés à la mer. De plus, les filets utilisés pour la pêche aux crevettes sont traînés par les bateaux sur de longues distances et causent des dégâts dans les fonds marins. » [13]]

Les élevages de crevettes, très répandus notamment en Asie, ne font pas mieux : elles sont nourries à base de farines ou d’huiles de poissons ! Comme il s’agit de l’activité « agricole » la plus productive (retour sur investissement dès la première année), ces élevages se multiplient.

Les prises « déchet »

Les filets ne sélectionnent pas. Selon la FAO, entre 27 et 40 millions de tonnes de poissons indésirables, de crustacés, d’oiseaux de mer, de tortues marines et de mammifères marins sont capturés chaque année. Au moins un cinquième des prises mondiales (les estimations varient en fait entre 20 et 60% !) sont ainsi rejetées à l’eau parce que trop petites ou parce que n’appartenant pas aux espèces ciblées. Elles sont généralement rejetées mortes, blessées, ou extrêmement affaiblies.

Le massacre semble empirer depuis que, par mesure de protection, des « tailles minimales des captures » et des « quotas de captures autorisées » ont été édictés. Les gouvernements imposent que ne soient pêchés que des poissons d’une certaine taille (variable selon les espèces). Comme leur taille ne peut évidemment pas être déterminée avant la capture, les poissons immatures sont tout de même pris, mais ensuite rejetés, généralement morts. Des quotas des captures sont également imposés sur les espèces commerciales, dans l’espoir de permettre aux « stocks » de se renouveler. Dès lors que les quotas sont atteints, la loi impose que tous les poissons de l’espèce concernée soient rejetés. Comme souvent les quotas d’autres espèces ne sont pas simultanément remplis, la pêche continue, et les poissons des espèces « over quota » retournent directement des filets à la mer, morts ou grièvement blessés. Ce phénomène est aggravé encore par la logique marchande : comme certaines tailles ou qualités de « poisson » se négocient plus cher sur le marché, il est fréquent que des pêcheurs rejettent une partie de leurs prises à la mer pour continuer les captures jusqu’à ce qu’ils aient « engrangé » le stock optimal, qui leur rapportera le maximum d’argent.


Arcimboldo : « l’eau », 1563-64

La pêche de loisir

Environ 40 millions d’habitants des États-Unis – 16 % – maltraitent les poissons par « sport ». Beaucoup d’adeptes de la pêche de loisir affirment que leurs victimes ne souffrent pas. Toutes les données connues indiquent le contraire.

Le chercheur John Verheijen et ses collaborateurs étudièrent la réaction des carpes pêchées au hameçon. Lorsqu’elles sont prises, elles agitent la tête, crachent comme si elles tentaient de recracher de la nourriture, se lancent en avant et plongent. On obtient la même réaction initiale en leur administrant des chocs électriques au palais. Quand elles sont prises et tenues sur une ligne tendue pendant plusieurs minutes, elles crachent le gaz de leur vessie natatoire ; lorsque la ligne est relâchée, elles coulent. Elles font exactement de même lorsqu’elles subissent un choc électrique intense et prolongé. De façon frappante, elles réagissent de la même façon quand on leur fait peur en les confinant dans un espace réduit ou en leur faisant sentir l’odeur d’un membre de leur espèce blessé. Les expérimentateurs en conclurent que la pêche à la ligne provoque une certaine combinaison de terreur et de douleur.

Au cours de la lutte que mène le poisson accroché au hameçon, son glycogène musculaire (forme de stockage du glucose) s’épuise, tandis que l’acide lactique s’accumule rapidement dans son sang. En quelques minutes, la moitié des réserves en glycogène d’une truite arc-en-ciel sont épuisées par l’effort violent qu’elle fournit. Dans le numéro de mai 1990 de Field and Stream, le chroniqueur Bob Stearns reconnaît que l’acide lactique peut « immobiliser » un poisson « de façon bien plus rapide et intense que ne le font les crampes et autres douleurs musculaires que nous autres humains éprouvons quand nous exerçons trop fortement nos muscles. » Plus longtemps le poisson lutte, plus grande est l’accumulation d’acide lactique. Néanmoins, les pêcheurs prennent plaisir à « travailler » durement leur prise. Dans le numéro de juillet 1990, Stearns exalte un « petit bout de femme de pêcheur » qui mena un espadon pendant près de cinq heures : « Chaque fois que le poisson ralentissait, elle saisissait l’occasion : en pompant, en le pressant, en le forçant à dépenser ses propres réserves d’énergie, en ne lui accordant jamais un instant de repos. » Avant d’être tirés de l’eau, de nombreux poissons meurent d’épuisement.

Pour bien d’autres, la pire des souffrances est encore à venir. Typiquement, le pêcheur tire à bord les poissons moyens ou gros en les crochetant à l’aide d’une gaffe. Parfois, ils sont écorchés vifs. De nombreux pêcheurs ont l’habitude d’accrocher leurs prises encore vivantes sur une corde ou une chaîne qu’ils laissent traîner des heures durant dans l’eau.

S’il s’agit d’une corde, elle est enfilée à travers chaque poisson, généralement par la bouche et ressortant par une ouverture branchiale. S’il s’agit d’une chaîne, elle est munie d’attaches semblables à d’énormes épingles de sûreté et qui servent à empaler les poissons, généralement à travers la mâchoire. La plupart des poissons victimes de la pêche de loisir meurent de suffocation. Même hors de l’eau, leur mort peut être lente. Dans l’édition d’octobre 1980 de Field and Stream, Ken Schultz décrit une perche après une heure hors de l’eau : elle avait les nageoires et les branchies rougies et « continuait à suffoquer ».

En France

La pêche serait le loisir le plus populaire et il y a comparativement bien plus de pêcheurs en France que dans les autres pays européens. [10 millions de français (21%) déclarent avoir pratiqué la pêche au cour des 12 derniers mois, il y a 1,5 millions de cartes de pêche en france en 2016. 96% sont des hommes. [14]]

La pêche dans laquelle le pêcheur relâche ses prises inflige, au minimum, de la terreur, de la douleur, et une incapacité temporaire, ou, souvent, permanente ou fatale. L’éditeur adjoint de Field and Stream, Jim Bashline, admit dans un article du numéro de mai 1990 qu’il est fréquent de voir le poisson « se débattre si violemment quand le pêcheur lui ôte l’hameçon, qu’il s’échappe et heurte brutalement le fond du bateau ou le sol rocheux ».

Les chutes, la manipulation au filet ou à la main et d’autres agressions encore entament la peau superficielle délicate et transparente du poisson. Cette couche muqueuse externe le protège contre les infections, et protège les tissus sous-jacents contre l’entrée ou la sortie excessives d’eau ; toutes conditions qui peuvent être fatales. Des expériences ont aussi été faites qui confirment que les poissons peuvent mourir d’empoisonnement à l’acide lactique plusieurs heures après avoir été surmenés, et entre-temps rester complètement paralysés. L’hameçon lui-même est toujours source de blessure. Le poisson dont la bouche est gravement lacérée peut devenir incapable de s’alimenter. De nombreux poissons sont relâchés avec l’hameçon encore accroché aux branchies ou à des organes internes s’ils l’ont avalé. [Dans le cadre de la pêche de loisir, jusqu’à 43 % des poissons relâchés après avoir été attrapés meurent dans les six jours, selon des chercheurs du Département de conservation de la vie sauvage de l’Oklahoma aux États-Unis. [15]]

La pêche constitue aussi une torture infligée à ceux qui sont employés comme appâts. Les petits poissons comme les vairons qui sont utilisés à cette fin, sont habituellement crochetés au travers du dos, des lèvres, voire des yeux. Puisque les blessures tendent à attirer les espèces prédatrices qui sont recherchées, certains pêcheurs en infligent encore d’autres à leurs appâts, en leur coupant les nageoires ou en leur brisant le dos.

La pêche au vif


On utilise un appât vivant (un petit poisson : vairon, gardon, goujon...) pour pêcher des carnassiers (brochet, perche, sandre, silure, black-bass…) ; l’appât est [stocké dans des conditions particulièrement maltraitante avant d’être] crocheté avec un ou deux hameçons à travers la bouche, le flanc, le dos. On peut aussi, au moyen d’une aiguille d’acier, passer le fil de pêche sous sa peau, en le crochetant d’un ou deux hameçons, doubles ou triples. Dans l’eau, déjà très blessé et affolé de douleur, il n’aura de cesse de trouver un refuge que lui refusera le pêcheur. S’il n’est pas happé par un prédateur (qui devient alors lui-même victime !), il mourra tout de même rapidement de ses blessures, en quelques minutes ou une heure. L’utilisation des leurres en lieu et place de vifs et la remise à l’eau des poissons pêchés sont de plus en plus fréquentes, surtout chez les pêcheurs de moins de 35 ans. [Interdite dans 5 pays en Europe, en France, la technique de la pêche au vif est utilisée par un pêcheur sur deux, selon une étude Ifop de 2021, soit environ 750.000 personnes. Le vif peut aussi être vecteur de transmission de maladie. [16]]

La gestion des poissons pour la pêche de loisir

Afin d’assurer la stabilité du nombre des prises, les producteurs d’alevins des États-Unis relâchent chaque année dans les cours d’eau des centaines de millions de poissons, principalement des saumons et des truites. Ted Williams, qui se décrit lui-même comme un « ancien chien de garde des gestionnaires », a qualifié les aleviniers d’« épaves génétiques ». Dans un article paru en septembre 1987 dans Audubon, il écrit : « Après des années de reproduction consanguine, les truites des aleviniers tendent à devenir déformées. Les opercules branchiaux ne ferment plus, les mâchoires sont tordues, les queues sont pincées. » Certaines mutations nuisibles sont cultivées intentionnellement ; ainsi, l’agence gouvernementale de gestion de la faune sauvage de l’État de l’Utah a produit massivement des albinos, sensibles à la lumière, pour servir de proies faciles à repérer.

Williams déplore les conditions d’élevage des truites dans les aleviniers, et parle d’« auges en béton infectes et surpeuplées, qui éliment les écailles et les nageoires des poissons. » Il ajoute que ces poissons sont mal armés pour la vie sauvage. Alors qu’habituellement les truites fuient lorsqu’elles sentent un mouvement au-dessus d’elles, celles qui viennent des aleviniers restent là, attendant d’être nourries (les pêcheurs ne s’en plaignent pas). Williams, lui-même passionné de pêche à la ligne, ouvrit le ventre d’une truite d’alevinier, et y trouva nombre de mégots de cigarette que le poisson, habitué à manger des granulés, avait avalés.


Mark Sosin, adepte de la pêche de loisir, et John Clarke, biologiste, ont écrit un livre à l’intention des pêcheurs à la ligne, Through the Fish’s Eye : An Angler’s Guide to Gamefish Behaviour (« À travers l’œil du poisson : un guide pour pêcheur à la ligne du comportement des poissons »), dans lequel ils définissent naïvement le but de la gestion des poissons : « fournir le meilleur poisson pour le plaisir du pêcheur ». Afin de réduire la population des petits poissons qui ne les intéressent pas, et d’augmenter la clarté de l’eau, les gestionnaires vident souvent partiellement certains lacs et étangs, laissant ainsi les espèces non désirées souffrir de manque de nourriture, de couverture d’eau, et d’espace pour éviter les prédateurs. Froidement, Sosin et Clarke conseillent : « Quand un lac ou un étang devient fortement peuplé d’espèces indésirables, la meilleure solution peut être d’annihiler tous les poissons et de recommencer à neuf. On y parvient généralement soit en asséchant le lac, soit en les empoisonnant (…). Une fois tous les poissons tués, le bassin peut être rempli à nouveau et peuplé selon la combinaison désirée d’espèces prédatrices et proies. » La combinaison désirée est, faut-il comprendre, celle que désirent les pêcheurs à la ligne et les « gestionnaires de la faune » dont les salaires proviennent en grande partie des taxes sur les permis.

La plupart des humain.es ne ressentent que peu d’empathie pour les poissons. Parce qu’ils les voient comme une masse, ou comme identiques au sein d’une même espèce, les gens négligent facilement les poissons en tant qu’individus. Et parce que leur monde est un monde aquatique et que leurs moyens de communication échappent à nos sens, parce que leur apparence physique diffère tant de la nôtre, beaucoup d’humains ne reconnaissent pas leur caractère sensible. Le résultat est qu’un mauvais traitement de masse est socialement accepté. Au fur et à mesure que croîtra le nombre de personnes conscientes de la sensibilité des poissons, ceux-ci commenceront à recevoir la compassion et le respect qui leur revient.

Dans le domaine des sentiments, Big Red a encore beaucoup à nous apprendre.

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L’empoissonnement [17]

Il est difficile de trouver des statistiques précises sur l’empoissonnement mais on estime le nombre de poissons réintroduits chaque année dans le monde entre 35 et 150 milliards.

Quels sont les problèmes posés par l’empoissonnement ?

Tout d’abord, la priorité des élevages piscicoles étant le rendement, les intérêts des poissons n’y sont pas pris en compte : surpopulation, pas d’enrichissement du milieu, nombreux changements d’environnement qui sont source de stress pour les poissons.

Le relâcher lui-même est une importante source de souffrance pour les poissons. Certains poissons sont transportés entassés dans des sacs à dos jusqu’au lieu du relâcher. D’autres sont même largués depuis les airs par des avions (https://www.youtube.com/watch?v=-8bwZPIzuug), ce qui entraîne la mort d’une partie d’entre eux. Le stress subi par ceux qui survivent les expose à un risque accru de maladies. […] Au final, le taux de mortalité des poissons relâchés peut être jusqu’à dix fois supérieur à celui des poissons sauvages.

L’empoissonnement a également des effets négatifs en termes écologiques, par son impact sur les populations sauvages. En effet, les poissons relâchés, qui sont génétiquement très homogènes, sont capables de s’accoupler efficacement avec des individus sauvages. Il peut en résulter une perte de diversité génétique qui entraîne une diminution à long terme des capacités de reproduction de la population. Ainsi, l’empoissonnement est parfois responsable d’une réduction de la population qu’on voulait augmenter. Pour éviter ce problème, une possibilité est de réintroduire des poissons génétiquement modifiés de façon à les rendre stériles ; il s’agit en particulier d’individus triploïdes, qui possèdent non pas deux jeux de chromosomes comme les animaux naturels, mais trois. Ces poissons triploïdes, à la physiologie altérée, ont alors vocation à être pêchés et mangés.
En outre, les fortes concentrations pratiquées en élevage piscicole y favorisent le développement de parasites et de pathogènes, que la réintroduction peut ensuite diffuser aux poissons sauvages. L’utilisation de traitements antibiotiques dans les stations piscicoles limite ce risque mais expose à celui de l’apparition de souches de pathogènes antibiorésistantes.]|

Sensibles à la pollution et à aux activités industrielles

On ne s’interroge guère sur les conséquences indirectes de nos activités et de nos choix de société, surtout quand les victimes ne sont que des poissons. Pourtant ils sont très sensibles aux polluants. Des produits toxiques peuvent entraîner une asphyxie progressive, occasionner des affections psychologiques, des troubles de la croissance, de la reproduction ou du comportement (perte d’appétit…), etc. D’autres retardent ou bloquent l’ovulation, peuvent également rendre des poissons aveugles, etc.

Quelques exemples :
 des cas de myopathie (dégénérescence des tissus musculaires…), des tumeurs, des nécroses du foie, la destruction des gamètes et des cas d’hermaphrodisme sont attribués au D.D.T. [insecticide interdit dans les années 1970 dans beaucoup de pays mais sa présence persiste]. D’autres organochlorés [famille des insecticides, solvants, pesticides,...] seraient responsables de la diminution de la taille des testicules de poissons et de la mort des jeunes…
 les détergents, même à de faibles concentrations, détruisent les papilles gustatives des poissons, entraînent une altération des capsules nasales et, à forte dose, altèrent les tissus des branchies et occasionnent des lésions et des œdèmes.
 le mercure (ainsi que d’autres métaux lourds comme le cadmium, le plomb ou le nickel) est à l’origine de lésions du système nerveux, de cataractes et de diverses atteintes des branchies et de la peau. Dans la baie de Minamata au Japon, fortement contaminés par du mercure d’origine industrielle – le méthyl-mercure, qui s’accumule dans les graisses [18] –, des poissons zigzaguaient et sautaient en tous sens.
 des poissons intoxiqués par des hydrocarbures aromatiques polycycliques – présents entre autres dans les produits pétroliers – sont couverts de tumeurs (certaines suintant sur une peau lisse, dépourvue d’écailles), ont les moustaches déformées et noueuses, et présentent des altérations du foie…
 sur un autre registre, les hydrocarbures ont des effets physiques : l’enrobage par l’huile des organes externes conduit à des difficultés de respiration, d’alimentation, de mouvement, et peut entraîner la mort. Des tumeurs peuvent se développer. Lors de la pollution des côtes espagnoles par le Prestige fin 2002, des malformations, des lésions de la peau et des nageoires et des troubles du comportement ont été observés. Lorsqu’ils survivent, les poissons des zones polluées restent en outre à la merci de la contamination de la chaîne alimentaire !
 enfin, des rejets importants en milieu marin peuvent leur nuire en modifiant les propriétés de l’eau de mer : diminution de la salinité, changement de température, modification du PH…
- [par le pompage d’eau qui broie les espèces maritimes par millions, comme le nucléaire qui prélève 60% des eaux en France. "Au Blayais, pourtant la seule centrale française équipée d’un dispositif spécifique de réduction de la mortalité des espèces, pas moins de 540 tonnes d’organismes vivants sont piégés chaque année. Parmi les espèces concernées, on retrouve des sardines, crevettes, sprats ou encore des poissons protégés comme les anguilles européennes ou la grande alose, qui figurent sur la liste rouge des espèces en danger critique". Le refroidissement des centrales nucléaires augmentent la température des rivières de plusieurs degrés. Si à partir de 25°C, la plupart des poissons sont déjà dans une situation d’inconfort, des dérogations sont facilement obtenus par EDF, avec des pointes à 28° à plus de 30°C certains étés. [19]]

Qui sont les principaux pollueurs ? Les industries fabriquant des détergents, des engrais, des produits résiniers, les usines métallurgiques et chimiques, les tanneries, les conserveries, les incinérateurs, les mines d’extraction de matières dites « premières », la combustion des énergies non-renouvelables...

Si nous voulons prévenir ces conséquences désastreuses, il nous faut réduire au maximum notre consommation – directe ou indirecte – de polluants, et nous mobiliser pour sortir de ce mo(n)de de production aveugle.

Ce que signifie la « surpêche » pour les poissons…

Au tournant des années 1900, on pêchait 3 millions de tonnes de poissons dans les océans. Les prises de poissons sont passées de 20 millions de tonnes en 1959 à 100 millions en 1989. [Cela avoisine 178 millions de tonnes en 2020 selon la FAO, la consommation mondiale de poisson devrait croître de 1,3 % par an pour atteindre plus de 200 millions de tonnes en 2030. Nous mangeons deux fois plus de poisson qu’en 1995 soit 20 kg par habitant.e dans le monde en 2016. ]

Les 17 zones de pêche mondiales les plus importantes sont toutes en état de sur-exploitation. Les espèces les plus recherchées étant les morues, thons, espadons, requins, églefins, raies, colins, flétans, au niveau mondial la « biomasse » de ces gros poissons prédateurs est aujourd’hui d’environ 10 % du niveau préindustriel. Conséquence : une explosion des espèces proies, comme les sardines, les anchois, chinchards, sprats, poissons bien plus petits, dont la part dans les prises mondiales est pourtant passée de 50 à 65% en trente ans. Cela signifie que le nombre d’individus tués a augmenté de façon phénoménale, ce dont ne rendent absolument pas compte les chiffres en tonnes de la « production halieutique (c’est à dire de la pêche) ». [En 2020 « Le thon rouge du Pacifique et de l’océan austral sont à 20% de leur biomasse des années 1950, et l’albacore de l’océan Indien autour de 30%" [20]]

Surpêche en mer du nord…

Après la seconde guerre mondiale, l’utilisation de chaluts à la fois sur les lieux de ponte et de nourriture, guidés par des sonars, a eu pour conséquence l’effondrement des populations de harengs ; aux alentours de 1975, les prises dans l’ensemble de la mer du Nord étaient tombées aux environs de zéro et une interdiction de pêcher les harengs devait être imposée en 1977. Bien que cette interdiction ait été renforcée, 40 000 tonnes étaient encore capturées en 1991. En 1990, le Daily Telegraph de Londres expliquait que pas un mètre carré de fond n’était épargné dans la région hollandaise et que certains coins marins étaient râclés jusqu’à sept fois par an, les fonds s’en trouvant désertifiés. Des quotas sont fixés chaque année par des organisations internationales, mais sont régulièrement transgressés.

En mer du Nord, un quart de la population totale des poissons est pêchée chaque année (plus de la moitié des poissons massacrés dans cette zone iront nourrir d’autres animaux de boucherie). 50 à 80 % des bancs, selon les espèces, ont disparu en 20 ans ; les populations de morues ont diminué de 60%, celles de merlans de 70%, celles d’églefins de 80% : le « stock » pêché dans certaines zones dépasse régulièrement le « stock » de poissons en âge de se reproduire (appelé « biomasse féconde » !).

Les captures de morues ont chuté de moitié au cours des années 1990. Le « total admissible de captures » (TAC), réparti entre l’Union européenne et la Norvège, baisse drastiquement depuis trois ans : 132 000 tonnes en 1999, 81 000 tonnes en 2000, 49 000 tonnes en 2001…

L’ampleur du phénomène est telle que pour la seule année 1994, on estime qu’entre 50 000 et 100 000 oiseaux de mer piscicoles seraient morts de faim !

Dans le Golfe de Gascogne…

Entre 1990 et 1995, la population de merlus a diminué de 60%, les rousseaux ont disparu, tandis que les louvines, daurades, soles, thons rouges se sont extrêmement raréfiés…

Dans l’Atlantique…

Les populations de morues, de harengs, d’églefins et de capelans sont exsangues. Les débarquements de morues (ou cabillauds) ont été divisés par six depuis les années 1970, celles de harengs, par trois. Dans l’Atlantique nord, les prises sont quatre fois supérieures au niveau maximal qui permettrait à 90% des espèces pêchées de se reproduire.

Les populations des espèces de poissons les plus pêchées sont aujourd’hui le dixième d’il y a cinquante ans.

Dans l’Atlantique sud, la chute des prises de pilchards montre qu’une véritable razzia a lieu, pendant que dans le Pacifique, les anchois, les saumons et les flétans sont aussi en état de surpêche.

On retrouve la même situation : les bateaux industriels, européens et japonais prennent souvent « le » poisson avant qu’il n’arrive à maturité. Inutilisé, il est rejeté à la mer, parfois dans une proportion de 4 kilos pour 1 kilo conservé.

Depuis 1975, le nombre de thons rouges du golfe du Mexique a diminué de 85% (leur taille moyenne est passée de 21 kg en 1969 à 11 kg actuellement), ceux de la Méditerranée, de 50%. Il faudrait réduire de moitié les pêches pour permettre au « stock » de retrouver sa « biomasse » des années 50. En avril 1994, 22 pays ont dû accepter de diviser leurs prises de moitié.

Actuellement, moins de 0,01% de la surface des océans est protégée de la pêche, et encore, sous forme morcelée. 70% des 200 espèces de poissons les plus recherchées sont menacées. La pêche, on s’en serait douté, est une véritable entreprise d’extermination des poissons. On aurait par contre pu espérer que si les « stocks » déclinent, de moins en moins de poissons seraient capturés et tués ; ce n’est hélas pas le cas, puisque ce sont de plus en plus surtout des poissons de petite taille qui sont raflés. Nul autre massacre sur notre planète ne peut être comparé, par le nombre de ses victimes, à celui-ci !

Pas de frontières pour les chalutiers

Il n’y a pas de contrôle existant de ce qui est péché. La pêche industrielle est en constante croissance, et elle n’a aucun scrupule à vider les mers, massacrer des êtres par million. Elle poursuit la colonisation en pillant les mers d’Afrique, où une bonne partie des poissons péchés par ces chalutiers finira dans l’Union Européenne, en Amérique du Nord ou en Asie.

Schémas du monde diplomatique de mai 2018 L’Afrique dépouillée de ses poissons.

Ocean Ranching…

Qu’est-ce que l’Ocean Ranching ? L’avenir du massacre ? Peut-être.

Il s’agit d’élever des alevins en ferme ou en écloserie, de les relâcher ensuite en pleine mer, pour les reprendre quand ils auront acquis la taille voulue. On évite ainsi d’avoir à les nourrir et entretenir. Les pays industrialisés pratiquent déjà depuis plus de trente ans cet Ocean Ranching. L’élevage du saumon par exemple est très apprécié parce qu’il retourne à sa rivière d’origine ou à son écloserie et qu’il suffit de l’attendre. Les écloseries du Pacifique nord-ouest relâchent annuellement plus de quatre milliards de tacons (petits saumons) – il n’y a pratiquement plus de saumons d’origine. On rapporte qu’en 1974, jusqu’à 97 % des captures de saumons au Japon provenaient d’élevages.

Plusieurs autres tentatives ont été faites sur des décennies, mais toutes jusqu’à présent ont été jugées décevantes. Par exemple, « depuis le début du XXe siècle, 70 milliards de morues ont été relâchées par la Norvège et plus de 50 milliards par les États-Unis. Mais devant la baisse des stocks de morues des deux côtés de l’Atlantique et comme rien ne prouvait que le programme norvégien ou le programme américain aient une incidence quelconque sur les pêches, le programme américain prit fin en 1952 et le norvégien en 1971. Cependant l’élevage de la morue connaît un regain d’intérêt grâce à la technologie ; il est aujourd’hui plus facile de produire des poissons jeunes en plus grand nombre. Les aquaculteurs norvégiens ont découvert que garder les jeunes dans des parcs marins artificiels pour ensuite les relâcher en mer augmente beaucoup leur vigueur et leurs chances de survie… ».

À l’heure actuelle, les écloseries et les aleviniers coûtent encore trop cher, d’autant que le taux de retour (taux de réussite de capture de poissons adultes) est très bas : moins de 10 %. Les solutions ne sont pas très opérantes, ni donc très rentables. Mais à mesure que les mers se désertifient, certaines espèces prennent une plus grande valeur commerciale ; par ailleurs, certains pays dépensent des sommes importantes pour indemniser les pêcheurs au chômage, et pourraient aussi de ce fait être intéressés à relancer des programmes d’Ocean Ranching…

[En Chine il y a en 2020 200 sites d’Ocean Ranching financé par l’État, attirant aussi 16 millions de visiteurs par ans, touristes et pêcheurs. Leur objectif est d’atteindre 50 millions de mètres cubes de récifs artificiels en 2025 pour un coût de 2,2 milliards de dollars.]

Pisciculture : les élevages concentrationnaires

La logique de production de la pisciculture repose sur des modèles productivistes, et la recherche de rentabilité maximale conduit au développement d’élevages à forte densité de population où les animaux vivent une vie de misère, agglutinés dans des espaces exigus.

De fait, il existe deux sortes d’élevages ; extensifs, ils sont moins épouvantables, puisque les poissons évoluent dans des bassins en terre, marais ou étangs, de plusieurs hectares (mais il y a aussi surpopulation) ; l’eau se renouvelle par la marée ou des affluents et la nourriture est fournie par le milieu.

Les poissons sont ensuite pêchés et tués, dans les pires des cas par assèchement du milieu. Mais c’est l’élevage intensif qui se développe aujourd’hui : les poissons restent confinés dans des cages flottantes, des viviers immergés en mer ou dans des bassins à terre, voire des citernes. Ces élevages pratiquent l’entassement maximal, et la promiscuité engendre stress et agressivité, maladies et frustration.

Les poissons les plus recherchés en pisciculture sont carnivores. Il s’agit des saumons (en France, on en importe de Norvège et d’Écosse), des truites (d’eau douce, « produites » surtout en Aquitaine et Bretagne) et certains poissons d’eau de mer, comme les daurades, bars, turbots, morues et flétans…

Détaillons un peu les élevages de saumons, les plus documentés ; les élevages de poissons d’autres espèces sont très similaires.

La « pisciculture » mondiale est en pleine expansion. En 1993, elle fournissait déjà 60% des poissons d’eau douce, 43 % des saumons, 5 % des poissons de mer. En l’an 2000, en France, elle fournit 100% des truites, 95% des saumons, 80 % des daurades royales, 60 % des turbots, 50 % des bars. La FAO prévoit que la production double d’ici 2010, pour fournir alors 40 % de la demande mondiale en poissons. Ce sont les pays d’Asie du Sud-est et la Chine qui sont les premiers éleveurs mondiaux de poissons d’eau douce.

Expérimentations génétiques en pisciculture

[Il y a plus de dix ans déjà que des scientifiques travaillent sur des transferts de gènes sur des dizaines d’espèces de poissons, particulièrement des espèces d’élevage. Les expériences de transfert de gènes ne se limitent pas à rendre les poissons plus gros (taux de croissance accru, meilleur taux de conversion de la nourriture…), mais aussi, par exemple, à conférer une résistance à des virus qui les déciment dans les élevages. D’autres prévoient de transférer des gènes « antigel », trouvés dans des espèces arctiques, vers des espèces vivant en eaux plus chaudes. Ces gènes produisent une protéine qui empêche le sang de geler ; en les insérant dans le génome d’autres espèces, les biologistes des pêcheries espèrent produire des poissons susceptibles de survivre dans des climats plus froids. Le gène « antigel » apparaît donc comme un moyen d’augmenter les « récoltes » des pêcheurs septentrionaux, et d’accroître également l’éventail des poissons d’élevage.]

Des poissons en boîte

Les œufs de saumons sont retirés des corps des femelles et mélangés avec la semence de mâles ; les ovules sont développés dans des incubateurs contrôlés, situés sur la terre ferme, et sont élevés jusqu’à ce que les alevins atteignent la taille voulue. Les alevins grandissent dans des écloseries d’eau douce pendant 12 à 18 mois, après quoi ils sont transférés dans d’immenses radeaux composés de cages flottant dans la mer ou dans des lochs (lacs), chaque cage contenant des milliers de poissons ; le transfert soudain en eaux salées est un tel traumatisme qu’entre 15 et 50% d’entre eux meurent ! Les fermiers essayent donc aujourd’hui de procéder par étapes pour réduire « leurs » pertes.

Les survivants sont engraissés pendant deux ans, et plus ils grossissent et plus, évidemment, l’espace se fait rare dans les filets ou les cages ; il faut imaginer l’équivalent de six à huit gros saumons de trois kilos passant leur vie dans un espace d’un mètre cube (ou bien un poisson de 60 cm évoluant sa vie durant dans une baignoire), alors que, libres, ils migreraient sur des milliers de kilomètres des rivières où ils sont éclos jusqu’à l’océan ! Les truites sont encore plus concentrées, souvent dans des citernes, à des densités de 30 à 60 kg/m3, soit au pire l’équivalent de 27 truites d’une taille de 30 cm dans une baignoire ! On imagine que tenir ces poissons reclus dans de si petits espaces peut leur causer un stress extrême. La frustration se traduit par des sauts et une agitation continuelle. Les blessures à la gueule et aux nageoires sont fréquentes, généralement causées par le frottement contre les filets ou les parois, ou par les collisions ou agressions entre poissons.

Ils sont nourris fréquemment avec des boulettes délivrées en quantité par des distributeurs automatiques. Selon les espèces, les aliments sont composés de 40 à 50% de farine de poissons (anguilles de mer séchées et compressées, etc.), 10 à 20% d’huile de poissons et de 20 à 35% de plantes protéagineuses et de céréales, de compléments minéraux et vitaminiques. On estime qu’il faut entre 2,2 et 6 tonnes de poissons pêchés (selon qu’ils sont sous forme de farines, d’huiles, etc.) pour produire une tonne de poissons d’élevage : cela implique d’innombrables morts, d’autant que ces poissons sauvages qui servent ici de nourriture sont généralement de toute petite taille.

La compétition pour la nourriture entraîne des agressions, des morsures des nageoires et de la queue et même du cannibalisme. Phénomène aggravé encore par le fait que certains poissons grandissent plus vite que d’autres. C’est pourquoi ils sont triés périodiquement par tailles (le tri a lieu cinq fois). Les poissons doivent jeûner au moins 12 heures auparavant. Ces tris sont très stressants pour eux et sont même parfois opérés par une machine. Les poissons paniquent, certains vont cesser de manger et perdre du poids, et d’autres sont blessés, voire meurent.

Comme pour tout autre élevage intensif, celui-ci conduit à de grosses probabilités de maladies. Le stress s’associe à des septicémies, s’ajoute à des infections de la peau ou des ouïes, pendant que l’entassement peut causer des maladies bactériennes ou bien des nécroses pancréatiques infectieuses. L’accroissement prévu des tailles des cages devrait encore augmenter les risques. Les affections bactériennes ou virales peuvent en outre contaminer également les populations sauvages. Les poissons et les cages sont désinfectés à l’aide de produits très agressifs comme le chlore, les affections sont contrôlées grâce entre autres au formol (!) et des antibiotiques.

Pour éviter les parasitoses, et particulièrement les poux de mer, de nombreux pisciculteurs utilisent notamment plusieurs fois par an du Dichlorvos, un pesticide organophosphoré de même famille que des gaz militaires neurotoxiques ; cette substance est hautement nocive pour toutes les formes de vie marine, du plancton aux crustacés, même à une dose de 1 ppm (partie par million). Même utilisé correctement, le produit est toxique pour les saumons aussi. Lorsqu’il est versé dans l’eau, non seulement il arrive que les poissons se blessent eux-mêmes en tentant de se mettre hors de portée, mais ils sont souvent ensuite victimes de convulsions et d’attaques d’apoplexie, parfois de cécité et même de mort en cas de surdosage ; des chercheurs de l’Université d’Aberdeen pensent que si 60% des saumons sauvages d’Écosse souffrent de cataracte, c’est aujourd’hui dû à l’usage de ce produit ! En France, on utilise surtout la chloramine et le formol, qui se révèlent aussi facilement très toxiques pour les poissons.

Cela n’empêche pas pour autant que des parasites échappés d’une écloserie en Norvège ont entraîné la disparition complète des saumons dans une trentaine de rivières. En Irlande, une étude du début des années 90 révèle que 94% des poux de mer qui ont détruit leurs pêcheries de truites provenaient de fermes de saumons.


Citernes d’élevage de truites

De nombreux poissons succombent avant d’être « récoltés ». En plus des comportements d’agression, des tris, des maladies et des parasites, ils meurent aussi à cause d’algues toxiques, à cause des excréments et de l’urine qui s’accumulent dans les eaux et à cause de la raréfaction de l’oxygène dans les eaux chaudes. Des élevages entiers ont été décimés en France pendant les grandes chaleurs de l’été 2003. Le nombre d’individus qui meurent devient un problème toujours plus important (pour l’éleveur). De 1985 et 1989, le nombre de jeunes saumons qui ont péri est passé de 25 à 42%, pour une population annuelle qui a augmenté de 5,5 (1985) à 23 millions (1989) ; concernant cette fois les poissons-chats d’élevage, en 1990, on estimait même officiellement aux USA que 64% mourraient de maladies ! On estime qu’aujourd’hui ce sont plus de dix millions de poissons d’élevage qui souffrent et meurent chaque année de maladies et d’infection de poux de mer, soit entre 10 et 30% des populations : dans tout autre domaine d’élevage, de tels chiffres seraient considérés comme absolument effarants !

[Encore en 2021, la Norvège produit plus d’un tiers de la production mondial de saumons et de truites. « Le taux de mortalité élevé de l’aquaculture norvégienne fait également partie de la toile de fond. À tout moment, il y a environ 400 millions de saumons dans les fermes piscicoles situées le long de la côte. L’année dernière, 52 millions de saumons sont morts dans les cages, selon les chiffres de l’Institut vétérinaire norvégien. Les maladies et le stress dû aux mesures sévères prises contre les poux du saumon en sont quelques-unes des causes. » [21]]

Un transport tout confort ?


Leurs lignes latérales, on l’a vu, permettent aux poissons de ressentir les plus petites secousses, en percevant les moindres ondes de pression qui se propagent dans l’eau. C’est pour cette raison qu’il faut éviter de taper sur la vitre des aquariums… Or, comme les autres animaux de boucherie, les poissons d’élevage sont transportés à travers toute l’Europe. Cela signifie souvent un voyage en citerne derrière un camion, bien que certaines des fermes les plus importantes utilisent maintenant des hélicoptères pour transporter les poissons des sites d’eau douce vers les sites marins. Chacun peut imaginer le supplice que cela représente vraisemblablement lorsque les poissons rebondissent à chaque cahot sur les parois de la citerne. Les vibrations se répercutent sans cesse sur leurs lignes latérales, l’effet étant sans doute comparable pour nous au bruit assourdissant d’avions à réaction. Le transport terrifie probablement les poissons. Ajoutons qu’ils souffrent en outre couramment de l’augmentation de la température et du manque d’oxygène.

Alors qu’un poisson-chat (channel catfish) chanceux peut survivre 20 ans, tandis que les truites ou les saumons peuvent vivre 9 ans, la plupart des poissons d’élevage sont tués lorsqu’ils ont entre 10 mois et 2 ans.

Avant l’abattage, les poissons sont forcés de jeûner plusieurs jours, jusqu’à parfois plus de trois semaines ; selon les espèces, il s’agit soit d’éliminer une partie des surplus de graisse ainsi que les antibiotiques, soit tout simplement d’économiser la nourriture durant le laps de temps pendant lequel ils ne perdent pas encore de poids.

Plusieurs façons de les tuer sont utilisées :
 Ils peuvent être simplement retirés hors de l’eau, laissés à suffoquer dans des casiers à glace. Cette méthode simple est de plus en plus utilisée pour les truites. La glace, qui est censée garder le corps de la décomposition, prolonge l’agonie et les souffrances : les poissons peuvent rester conscients plus d’un quart d’heure !
 Ils peuvent être électrocutés dans de grands réservoirs.
 Ils peuvent être tués d’un coup sur la tête. Il y a de forts risques que cela soit mal fait, blessant le poisson sans l’assommer vraiment. Il arrive par exemple que des poissons perdent un œil dans l’opération, tout en restant conscients. C’est que, comme dans les abattoirs de « volailles » ou autres, il faut « exécuter » sa tâche le plus vite possible !
 Ils peuvent aussi se faire couper ou arracher les branchies pour qu’ils se vident de leur sang. Ils se convulsent et éprouvent des spasmes musculaires pendant un temps considérable avant de mourir. Ils sont parfois précédemment étourdis dans un réservoir d’eau saturée de dioxyde de carbone. Cette méthode en elle-même cause une grande panique, les poissons cherchent violemment à s’échapper lorsqu’ils s’y retrouvent plongés. Bien qu’ils soient tétanisés très rapidement (en moins d’une minute), ils mettent généralement 3 à 9 minutes à perdre connaissance, et sont donc tout de même souvent saignés alors qu’ils restent conscients. Les pisciculteurs norvégiens, quant à eux, tuent les saumons en tranchant les principales artères derrière la tête. Ils sont ensuite remis dans l’eau, où ils s’affaiblissent et finissent par mourir d’hémorragie.


Evolution des élevages de poisson dans le monde selon la FAO. 90 % des poissons d’élevage sont produits en Asie.

La croissance exponentielle de la pisciculture n’a guère retenu l’attention de la population. Il s’agit pourtant d’une industrie similaire en bien des points à celle des poulets en batterie, et qui cause bien plus de victimes que l’ensemble des élevages de cochons, moutons, vaches, veaux, chèvres, chevaux, etc. On estimait il y a quelques années que ces pratiques concentrationnaires concernaient quelques 50 millions de poissons : ce chiffre a été démultiplié depuis, étant donné que ce « secteur d’activité » explose. Les méthodes de « mise à mort » qui y sont en vigueur, si elles étaient appliquées à tout autre animal, entraîneraient des poursuites pénales !

Les poissons ne sont jamais considérés pour eux-mêmes, à tel point que ce sont les seuls animaux dont l’utilisation ne fait pratiquement jamais l’objet de réglementations ; pour ce qui est des aquariums, il n’existe aucune disposition légale visant à leur garantir un minimum de bien-être ; et il n’existe aucune réglementation de la pêche sur ce sujet ; concernant les élevages, seule la « mise à mort » semble parfois réglementée dans un souci de limiter leurs souffrances – bien qu’en général des considérations d’hygiène l’emportent dans les textes et peuvent entraîner une agonie bien plus longue. On sait de toute façon qu’en la matière la législation est généralement peu respectée et ne garantit pas nécessairement d’améliorations notables… mais elle donne bonne conscience aux consomm-acteurs. Son absence est par contre un signe certain de notre incroyable indifférence à l’égard de ces êtres sensibles des rivières, des étangs, et des mers.

Expérimentation sur les poissons

[En Europe 2,5 millions de poissons subissent l’expérimentation animale (25% des animaux testés) en 2019 [22]. Une classification est maintenue administrativement, pour classer les conséquences "légères", "modérés", "sévère" et "sans réveil", ils sont pour la plupart tués à la fin des expériences, si ceux-ci ne les ont pas déjà tué. Saumon, cabillaud, lieu noir, poisson zèbre, lompes, de nombreuses espèces sont concernés.

Qu’est-ce qui peut être testé ? Ingestions de médicaments, pesticides, produits chimiques ou radioactifs, qui peuvent être intégré dans leur environnement ou dans leur nourriture pour déterminer les seuils de nocivité, il peut y avoir aussi des chirurgies des poissons. Une loi européenne impose de faire des testes sur les animaux avant diffusion de nouveaux produits chimiques et pharmaceutiques.
Les poissons peuvent y subir des modifications génétiques. En France l’INRA s’est amusé à produire des truites fluorescentes, ça peut être aussi pour leur ajouter des hormones de croissances, ou tout un tas de choses. L’espèce "GloFish", qui est un poisson breveté, une marque déposée d’un poisson zèbre génétiquement modifiée pour avoir des couleurs rouges, verts aux ultraviolets, "l’animal de compagnie le plus vendu" dans certaines parties du monde.

Il y a aussi ces expérimentations à ciel ouvert militaires, comme les essais de bombes nucléaires en profondeurs ou autres explosifs, tuant des milliers de poissons et ayant des conséquences indéfinissables sur l’écosystème.]

[Limites : Dans ce document on cite beaucoup de chiffres, mais ils sont forcément biaisés par de nombreux facteurs. Entre autre, ce témoignage glané au cours des recherches : « Dans les meilleures circonstances, l’estimation de la santé des stocks de poissons d’un pays est une science obscure. Les chercheurs marins aiment à dire que compter les poissons, c’est comme compter les arbres, sauf qu’ils sont pour la plupart invisibles - sous la surface - et en perpétuel mouvement. » [23]. Les chiffres officiels s’appuient sur des registres de bateaux qui ne sont pas toujours remplis ou modifiés.

Conclusion

S’il me semblait important de remettre à jour et diffuser un texte qui met en avant les conséquences pour les poissons de toutes les activités humaines, c’est que leurs vies et leurs souffrances ne sont jamais prises en considération dans nos sociétés spécistes. Cette idéologie place l’être humain au dessus des autres espèces et légitime le fait de pouvoir s’arroger tout droit sur leur corps et leur environnement. S’ils sont capables de souffrir et ont une place en tant qu’être vivant, il est important qu’on entre en empathie et considère cela dans nos rapports à eux.

Une opposition forte doit se porter contre cette industrie du massacre et l’exploitation animale (humaine [24] et non-humaine). Le capitalisme n’a pas de limite en terme de domination, torture, et destruction, c’est à nous de lui mettre des bâtons dans les roues et d’agir contre lui.

A nous de développer des luttes contre le spécisme, prendre en compte ces problématiques dans nos vies et dans nos collectifs.]

[2Note de l’éditeur : pour quelques noms de poissons, nous n’avons pas trouvé l’équivalent français. Nous les avons soit laissés tels quels, soit traduits littéralement en indiquant le terme anglo-saxon entre crochets

[3Un article de 2020 Douleur des poissons : va-t-on continuer à noyer… le poisson ? de https://www.fondation-droit-animal.org/ cite d’autres études plus récentes sur le sujet, ou encore « Les poissons ressentent la douleur » de https://zoopolis.fr/

[4Article Une mémoire de poisson rouge ? sur le site zoopolis.fr

[5Les poissons ont des personnalités sur https://zoopolis.fr/

[6Article les poissons : des matheux ! Sur zoopolis.fr

[7Voir le cours reportage « ce poisson a dessiné cela » du zapping sauvage.

[8Sources : Article Poisson rouge : définition de aquaportail.com ; ainsi que l’article de France 24 (05/04/2018) Pourquoi il est cruel d’avoir un poisson rouge dans un bocal

[9Dans les salles de séjour, les restaurants ou les espaces commerciaux, en France les poissons constituent la première catégorie d’animaux de compagnie avec 26 millions de poissons d’aquariums en 2021 (45 % des animaux domestiques sont des poissons).

[10Traduction libre d’extraits de l’article de Sandra Altherr, « Wegwerf-Artikel Zierfisch », paru dans Tierrechte n°22, nov. 2002, édité par Menschen für Tierrechte, Rörmonder Strasse 4a, D-52072 Aachen – Allemagne.

[12Les usines chinoises qui transforment le poisson d’Afrique de l’Ouest en poudre, 25 mars 2021, BBC news Afrique.

[13La pêche à la crevette est-elle nuisible pour l’environnement ? Publié en 2016 sur https://www.futura-sciences.com/

[14Sources : https://www.federationpeche.fr/, et Combien de pécheurs en france sur https://www.lechasseurfrancais.com/

[15Article La pêche : un loisir cruel de peta France, https://www.petafrance.com/nos-campagnes/divertissement/la-peche-un-loisir-cruel/

[16D’après Réformer la pêche de loisir, LFDA, 2002, complété par un article de France3 du 10 juillet 2023 par Fabrice Dubault Interdiction de la pêche au vif : "la torture de poissons vivants doit cesser", une association dénonce une pratique cruelle et lance une pétition.

[18Les poissons prédateurs peuvent accumuler un toxique dans leur chair jusqu’à dix millions de fois la concentration de cette substance dans l’eau...

[19Les animaux détestent le nucléaire, et vice versa, brochure disponible sur infokiosques.net

[20Manger du thon, oui, à condition de mieux gérer les stocks naturels de www.ird.fr

[22Article wikipédia d’avril 2023 sur l’expérimentation animale.

[24Témoignage d’un employé d’un chalutier péchant pour les usines de farines de poisson « Il m’a montré un grand nid de journaux froissés, de vêtements et de couvertures, où, selon lui, plusieurs membres d’équipage dormaient depuis plusieurs semaines, depuis que le capitaine a embauché plus de travailleurs que le navire ne pouvait en accueillir. "Ils nous traitent comme des chiens", a déclaré Jarju. » Les usines chinoises qui transforment le poisson d’Afrique de l’Ouest en poudre, 25 mars 2021, BBC news Afrique.


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