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Vers un monde moins défoncé et merdique — Sobriété et lutte anarchiste

mis en ligne le 19 novembre 2022 - Nick Riotfag

« Vers un monde moins défoncé et merdique » [1] est sorti en tant que brochure auto-éditée en 2003, aux Etats-Unis. Quelques années plus tard, l’auteur-e, Nikita Riotfag, révisa son texte et écrivit une postface pour sa publication dans l’anthologie « Sober living for the revolution : hardcore punk, straight edge, and radical politics », parue chez PM Press en 2010. La brochure a été traduite en francais pour la première fois en 2014 par les éditions Paillettes, c’est à partir de celle-ci que j’ai effectué la nouvelle traduction que vous tenez entre les mains. Elle a été mise en page
et illustrée par Thomas. Merci a elles et eux.

L’auteur-e ne s’identifiant plus comme un homme aujourd’hui, j’ai toutefois conservé l’accord masculin concernant son expérience d’ homme queer de l’époque, et ce, en l’ayant interrogé-e sur ce point auparavant. J’estime qu’une partie de la force politique et du sens de ce texte aurait disparu si on avait perdu de vue qui l’avait écrite. Car cette brochure aborde l’intoxication, et notamment, c’est ce qui en fait son originalité selon moi, ses collusions avec le patriarcat, que ce soit par la violence perpétrée par les hommes sous l’emprise de l’alcool ou par la soi-disant impunité qu’ils s’octroient via cet état de conscience altéré.

Les pages qui suivent se proposent d’interroger également les liens entre les intoxicants et l’État, le capitalisme, la colonisation, et les complexités que tout cela peut créer dans les milieux politiques radicaux et/ou les espaces LGBTQI.

J’ai rédigé toutes les notes a l’exception de la note de l’auteur-e. Pour me contacter (...) : diffraction@@@riseup.net

diffraction éditions
2017, 2022


VERS UN MONDE MOINS DÉFONCÉ ET MERDIQUE — SOBRIÉTÉ ET LUTTE ANARCHISTE

Introduction

Cette brochure a été un projet en cours d’écriture dans ma tête et sur
le papier depuis plusieurs années maintenant. Depuis que j’ai décidé de
devenir sobre définitivement il y a plusieurs années de cela, j’ai
constamment lutté pour trouver des espaces safe  [2] ; lorsque j’ai commencé à faire partie de communautés radicales, anarchistes et activistes,
j’espérais trouver des personnes qui partageraient, ou du moins
respecteraient, mes convictions. Au lieu de cela, je suis tombé sur un
douloureux paradoxe : les milieux radicaux, qui étaient, de par bien des
manières, si accueillants et donnaient de la force, étaient également
incroyablement rigides et montraient peu de soutien vis-à-vis de mon
désir d’évoluer dans des espaces sobres.

De nombreuses raisons m’amènent à m’abstenir de la consommation
d’intoxicants, et certaines d’entre elles ne sont pas « politiques » en soi.
Certaines sont plus personnelles ou intimes : j’aime mon corps et veux
préserver ma santé ; je suis terrifié par les addictions ; je tends vers les
extrêmes, ainsi je pense que si j’avais bu ou m’étais drogué je l’aurais
trop fait ; dans ma famille, des personnes toxicomanes et alcooliques ont
ruiné des vies. D’autres raisons sont plus pragmatiques : en tant
qu’activiste, je prends part à des actions qui m’exposent au risque de me
faire arrêter, et les risques légaux encourus pour possession de drogue
n’en valent pas la peine ; je préfère mettre mon argent ailleurs ; etc.
Cependant, les principales raisons pour lesquelles j’ai adopté ce mode de
vie sont clairement liées à mes convictions politiques révolutionnaires,
féministes et anarchistes. Je ne pense pas que la plupart des personnes
avec qui j’élabore des projets politiques réalisent ou reconnaissent que
mon choix d’être sobre n’est pas simplement une préférence ou un dogme
puritain et chiant. Ce zine est une tentative d’exprimer pourquoi je
considère la sobriété comme une part fondamentale de mon anarchisme et de mon féminisme.

J’ai essayé de mêler ici théorie, analyse et expérience personnelle. Les
premiers points explorent les connexions que je vois entre l’intoxication
et différents types d’oppressions (désolé si cela devient parfois un peu
pompeux) ; les suivants abordent les manières dont l’intoxication s’immisce dans les communautés radicales ; puis vous trouverez deux histoires tirées de ma vie accompagnées de réflexions, et enfin la conclusion.

Je suis conscient que les personnes sobres ne sont pas traditionnellement reconnues pour présenter leur point de vue avec respect, écoute et bienveillance.

Je fais définitivement partie de celles et ceux qui se sentent coupables de
faire du matraquage avec mes convictions. J’espère qu’avec cette
brochure, je pourrai, du moins en partie, rectifier cette tendance en
exposant mes points de vue sans juger ou blâmer les personnes qui ne sont
pas sobres, ni en me voyant comme quelqu’un de supérieur aux autres. Si
cela échoue, je m’en excuse d’avance et vous invite à m’en faire part.

Cela étant dit, sachez que lorsque ma colère se manifeste avec un ton « donneur de leçon » ou sermonneur , cela est lié à un perpétuel rejet d’espace safe, de reconnaissance de la légitimité de nos ressentis et de nos
opinions, d’aliénation dans la plupart des environnements sociaux et, de
manière générale, de l’ignorance de nos préoccupations, de nos désirs et
de nos besoins. J’écris avec amour et rage, et ne m’excuse pour aucun des deux.

Une note rapide sur les mots

J’aime le terme straight edge, pas parce que je suis spécialement investi
dans ces groupes ou dans cette scène, mais plutôt parce que j’aime la
manière dont cela inscrit ma décision de ne pas boire ou prendre de drogue
dans une perspective plus large de critique sociale radicale et positive. Bien
sûr, je me suis rendu compte que la plupart des gens - et probablement
nombre d’entre vous également - n’associaient le terme straight edge qu’à
des choses négatives : des machos blancs tabassant des gens, de la musique
naze, des trous du cul super dogmatiques et prétentieux, voire des
extrémistes anti-avortement. Bien que je rejette toutes ces choses, je pense
qu’il y a encore un espoir à réhabiliter ce terme de manière positive. Mais
étant donné que pour la plupart des personnes à qui j’ai posé la question, ce
terme est plus souvent un obstacle qu’une aide, j’utiliserai les termes
« sobre » et « abstinent-e d’intoxicants » a dans cette brochure.

Voici quelques définitions de certains des concepts clés que j’aborderai :
intoxication : état de conscience altéré de manière artificielle par une
consommation de drogue et ou d’alcool.

culture de l’intoxication : un ensemble d’institutions, de comportements et de façons de penser centrés autour de la consommation de drogues et d’alcool.

masculinité patriarcale : manière de se comporter et de s’identifier en tant qu’homme basée sur des valeurs sexistes.

anesthésie : engourdissement artificiel des sensations et des sentiments.

Masculinité, culture du viol et intoxication

Cher-es lecteurs et lectrices : cette partie contient des textes autour des questions de violences sexuelles et d’autres choses pouvant être difficiles pour certaines personnes. Prenez soin de vous et voyez si et quand cela est possible pour vous de lire cette partie. Merci !

Une fois, alors que je me dirigeais vers le centre-ville de la
Nouvelle-Orléans sur mon vélo, j’ai vu un panneau d’affichage
sur lequel il y avait une publicité pour une espèce d’alcool de
luxe, du whisky je crois. Le slogan était : « C’est ce que font les hommes ». Ce message était presque réconfortant pour moi ; la seule conclusion que je pouvais en tirer, j’ai pensé, c’est que je
devais ne pas être un homme. Les médias de masse encouragent
les personnes socialisées en tant que « garçon » à affirmer notre
masculinité à travers l’intoxication, et notamment à travers la
consommation capitaliste d’alcool. Cette publicité pour du
whisky, celles de la bière Budweiser affichant une « fraternité
masculine a, celles de diverses marques de bière dans lesquelles
des hommes réifient les femmes, ainsi qu’un bon nombre d’autres
publicités, mettent en évidence l’alcool comme le fil rouge qui lie
les hommes entre eux dans les activités les plus viriles. Dès lors,
comment cela peut-il être surprenant que l’alcool soit presque
toujours impliqué dans certaines des violences les plus souvent
attribuées aux hommes : violences envers les femmes, violences
domestiques, agressions sexuelles et viols ?

La relation entre intoxication, genre et violence est complexe.

Une grande proportion des violences fondées sur le genre – notamment les violences sexuelles et au sein du couple à l’encontre des femmes sont commises par des hommes lorsqu’ils sont intoxiqués.
Bien sûr, cela ne veut pas dire que la consommation d’alcool ou
de drogue engendre nécessairement la violence, mais il serait tout
aussi imprudent d’ignorer cette corrélation. Dans les interactions
hétérosexuelles, les hommes, ayant appris via les médias et la
culture populaire à se voir comme des séducteurs et des initiateurs, utilisent l’alcool comme un outil pour outre-passer la résistance de la conquête qu’ils désirent sexuellement, ainsi que
celle de leur propre conscience. Dans le même temps, dans cette
culture profondément puritaine et sexe-négative [3], beaucoup comptent sur l’alcool pour dépasser la honte qu’ils ressentent à l’égard de leurs désirs sexuels. D’une manière générale, je pense que
la dépendance à l’alcool liée à la recherche de partenaire et
d‘expériences sexuelles qui prévaut largement dans cette société
embrouille nos sexualités, influe négativement la communication,
réduit notre capacité à donner et recevoir un consentement sérieux,
diminue la probabilité de pratiques sexuelles safe et renforce la
culture du viol. Lorsque cette dépendance et tous les dangers qu’elle
induit, se lié aux notions de sexualité patriarcale, en incluant le
sentiment de légitimité masculine, la dynamique chasseur/proie et le
mythe du « non qui veut dire oui », le résultat peut être désastreux.

En tant qu’homme, une partie de ma décision d’avoir un mode de
vie straight edge ou sobre est en partie issue de ma prise de
conscience que patriarcat et culture de l’intoxication marchent main
dans la main. L’intoxication est utilisée comme excuse pour justifier
(et légalement, peut constituer une circonstance atténuante) un
large champ de comportements inacceptables tels que le
harcèlement sexuel et le viol. Dans mon expérience personnelle,
beaucoup de personnes que j’ai rencontrées - le plus souvent des
hommes - changeaient significativement de comportement lorsqu’ils
étaient intoxiqués, d’une manière qui renforçait directement
l’oppression qu’ils exerçaient (c’est-à-dire qu’ils devenaient plus
ouvertement homophobes et misogynes dans leur discours, plus
agressifs sexuellement, etc.), et s‘attendaient à ce que le fait d’être
ivres allégerait leur responsabilité envers ces comportements.

L’idée qu’être intoxiqué-e rende en quelque sorte moins capable de prendre des décisions rationnelles et compatissantes devrait être une raison pour s’abstenir de drogues et de l’alcool.

Je souhaite préciser que je n’entends pas blâmer les victimes en écrivant cela ; il n’y a absolument aucune excuse pour les violences sexuelles ou domestiques, peu importe que l’aggresseur-se ou le-la survivant-e soit intoxiqué-e ou non. Je refuse que l’intoxication
d’une personne lui permette de minimiser sa responsabilité envers
ses comportements minables. S’il y a une possibilité quelconque
que boire ou se droguer amène quelqu’un-e a être violent-e ou
abusif-ve, alors je considère cela comme une raison plus que
suffisante pour être abstinent-e d’intoxicants. Si tu prends la
décision de t’enivrer ou de te défoncer, et que tu es soucieux-se de
vivre tes idées de manière cohérente, tu dois réfléchir aux façons de
rester responsable, pour toi-même et les autres, de ton
comportement dans les relations sexuelles et au-delà.

Je veux souligner le fait que ce n’est pas quelque chose qui
n’existe que dans la société dominante, comme si les communautés
radicales ou anarchistes étaient immunisées contre cela. Des femmes dans nos communautés rapportent des harcèlements, des agressions sexuelles et des viols commis par des mecs « radicaux ». Dans pratiquement tous les cas dont j’ai été au courant, l’alcool a joué une part majeure dans ces événements. L’une des mes plus chères amies a été harcelée à de multiples reprises et agressée sexuellement par des mecs anarchistes ivres, qui, lorsqu’ils étaient
sobres exprimaient des convictions anti-patriarcales résolues et
fermes. Oui, des mecs anarchistes, féministes, qui disent combattre
le patriarcat de toutes leurs forces, c’est-à-dire nous ; si nous
prenons au sérieux l’idée d’être responsables, d’être des alliés
anti-sexistes des femmes, je crois sérieusement que nous devrions
examiner de manière très critique les façons dont nous nous intoxiquons [4].

En cas d’intoxication, ce schéma de transgression des limites
n’est pas l’apanage d’un genre plus qu’un autre. Parfois, des
femmes profitent sexuellement des hommes en utilisant des
intoxicants ; d’autres fois il est difficile de savoir qui est
responsable lorsque les deux personnes sont ivres ; parfois les
personnes impliquées n’entrent pas nettement dans des cases de
genre et les dynamiques de pouvoir s’exercent avec plus de
complexité. La coercition induite par l’alcool et un consentement incertain existent aussi dans les relations et interactions sexuelles des personnes de même sexe, et il est difficile d’y
échapper au vu de l’emprise de la culture de l’intoxication dans
les communautés LGBTQI.

Bien que le conditionnement des hommes dans notre culture du
viol patriarcale contribue à faire grimper le taux de mecs
franchissant les limites du consentement, chacune d’entre nous – mecs, femmes, et les autres, transgenres ou non – avons le pouvoir de violer d’autres personnes. Plus important encore : nous avons aussi tous-tes la capacité de devenir des allié-es dans la lutte
contre le patriarcat et la construction d’une société basée sur le
consentement. Je crois que grâce à cela, toutes les personnes
investies dans la lutte contre la culture du viol et le patriarcat
peuvent tirer profit d’un examen critique de nos modes d’intoxication et de discussions sur les manières d’être et de rester responsables de nos actes, aussi bien lorsque nous sommes défoncé-es que lorsque nous sommes sobres.

Oppression et anesthésie

Maintenir un privilège et continuer d’opprimer un groupe de personnes n’est possible que lorsque les oppresseur-ses considèrent les personnes qu’elles oppriment comme moins qu’humain-es. L’une des tactiques majeures dans le processus de déshumanisation est l’anesthésie de l’oppresseur, qui s’engourdit afin d’être incapable de se montrer compréhensif envers les personnes qu’il ou elle relégué au statut de sous-humain-e. Mab Segrest a écrit un essai afin de dire combien la stratégie clé pour maintenir le privilège blanc est l’anesthésie des
personnes blanches envers la souffrance des personnes de couleur, à travers la mise a distance (loin des yeux, loin du cœur), la justification, l’intoxication, et d’autres méthodes. Similairement,
la masculinité opère en forçant les hommes à rester détachés et
impassibles face à la douleur physique ou émotionnelle, en
catégorisant la sensibilité et l’empathie comme des caractéristiques féminines (et donc inférieures). Construire une masculinité insensible - anesthésiée - rend possible l’énorme
souffrance infligée par les hommes envers les femmes (et d’autres
hommes) a travers la violence, le viol, la maltraitance des enfants,
le refus de l’accès aux moyens de contraception et à la prise en
charge médicale, la famille nucléaire patriarcale, et par bien
d’autres moyens. Dans ce contexte, lier intoxication et masculinité
fait parfaitement sens. L’intoxication diminue souvent la capacité
des individus à être empathiques, il s‘agit d’une partie intégrante du fait d’être oppresseur.

Une amie me fit remarquer que lorsqu’elle était au lycée, la
plupart des personnes de son âge qu’elle connaissait et qui avaient
idée de ce qui se passait dans le monde se défonçaient aussi souvent
qu’elles le pouvaient pour neutraliser la douleur de cette prise de
conscience. Je peux comprendre qu‘ un certain nombre d’activistes
qui (théoriquement) refusent d’ignorer la souffrance et
l’oppression dans le monde, font face à la grande tentation de
s’insensibiliser, et ce même temporairement, face a la douleur
qu’ils-elles voient, ressentent et contre laquelle ils et elles se
battent chaque jour. Cependant, je crois aussi fermement que si
tout le monde dans notre culture était pleinement conscient de l‘ampleur réelle de la merde sur laquelle repose notre société – et refusait simplement d’ignorer la douleur de cette prise de conscience à travers diverses méthodes d’intoxication et d’anesthésie, de l’alcool à la télévision [5] – alors on ne le tolérerait tout simplement pas.

Même en prenant en compte les personnes (une minorité, je
pense) qui sont simplement cruelles et haineuses, je crois vraiment
qu’une population qui fait face de manière sincère aux réalités de la pauvreté, de l’oppression et de la misère qui sévissent dans cette culture, ne peut le faire qu’en ayant l’esprit lucide et
réfléchi. Lorsque les esprits sont embués, la lucidité et la
pleine conscience deviennent de moins en moins importants.
Quand des individus refusent de s’anesthésier la tête et
éprouvent réellement la souffrance de ce monde, cela pousse
a l’action. Je crois que notre tâche en tant qu’activistes ou
personnes souhaitant changer de culture est avant tout d’être
réceptif-ves a cette douleur profonde, de la ressentir, de la
déplorer, et de la haïr, afin qu’elle allume des feux dans nos
poitrines qui brûlent de notre participation a la lutte révolutionnaire.

Libération de la jeunesse et sobriété

Iconiques du mouvement straight edge, les X que certain-es straight edge se tracent sur les mains trouvent leur origine dans un acte de solidarité avec la jeunesse. Encore aujourd’hui, les
ados se rendant aux concerts et autres événements servant de
l’alcool se voient souvent tracer des X noirs sur leur main par
les personnes qui tiennent l’entrée afin de signaler qu’elles ne
sont pas autorisées a boire. Au début des années 1980, lorsque le
groupe Minor Threat [6] commença porter un message en faveur de l’abstinence d’ intoxicants dans la scène punk, certaines
personnes remarquèrent les jeunes marqué-es des X symbolisant
leur minorité et leur non-accés légal à la consommation
d’alcool, et commencèrent à les tracer sur leurs mains, en dépit
de leur âge, afin d’afficher leur solidarité avec la jeunesse ainsi
que leur propre engagement à rester sobres. En raison de la
prévalence de la culture de l’intoxication, les concerts et autres
événements coûtent souvent plus cher pour les jeunes, ou
ceux-ci n’y sont parfois pas du tout admis. Cette limite d’âge
pour boire sert d’outil légal de renforcement de la ségrégation
et de la discrimination envers les personnes plus jeunes, en
mettant en place un système entier dédié à la consommation
d’alcool, dévalorisant simultanément les jeunes et glorifiant
l’intoxication en l’érigeant comme ayant trait à la maturité et à
tous les autres traits positifs associés à l’âge adulte.

Par conséquent, parmi les jeunes, l’aspect mystérieux de cette
culture de l’intoxication mène à une consommation à moitié
dissimulée d’alcool et autres drogues, et ce souvent a un niveau
destructeur. Chez les jeunes entre 18 et 22 ans, juste avant et
après la limite d’âge légal [7], la possibilité de prendre enfin part au « privilège » très convoité de la culture de l’intoxication mène à un culte de l’hyper-intoxication, renforçant toujours plus le mythe. Lorsque les conséquences destructrices de cette défonce
se manifestent de manière dramatique chez les jeunes, comme l’indique le nombre de décès suite à un binge drinking [8], alors, des adultes condescendant-es et pas informé-es se lamentent et pointent du doigt la « pression de groupe » comme
en étant la cause, alors qu’il est flagrant que les causes résident dans leurs propres actions.

Le mystère que revêt l’intoxication construit entièrement par
les adultes, ainsi que par les politiques inconscientes et
hypocrites qui promeuvent des produits intoxicants
potentiellement fatals tout en réprimant virulemment les moins
nocifs, ainsi que l‘oppression et la dépréciation des jeunes en
général, conduisent fréquemment au désir d’imiter les schémas
destructeurs et tordus de l’intoxication adulte avec la
véhémence de la jeunesse. Aux chiottes la « pression des
paires » - d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours
ressenti une pression acharnée de chaque domaine de la société
adulte pour m’intoxiquer par tous les moyens possibles. Est-ce
que les adultes pensent honnêtement qu’un « programme
d’éducation sur les drogues » en CM2 et quelques invité-es
condescendant-es venant parler dans une classe de lycée vont
annuler les effets d’un système social tout entier basé sur
l’oppression, nécessitant intoxication et anesthésie pour survivre ?

Ma décision de m’abstenir totalement de cette culture de l’intoxication a beaucoup à voir avec mon souhait de voir la jeunesse se libérer. Peut-être que je ne veux pas du privilège qui vient avec l’âge adulte de détruire mon corps en toute légalité. Peut-être que je n’avale pas l’argument que seuls les adultes, étant naturellement supérieurs aux enfants selon la logique adulte réac’ - sont suffisamment responsables pour gérer leur défonce. Je crois que ce qui est impressionnant, c’est d’être assez fort-e pour survivre sans se défoncer - si devenir adulte veut dire accepter le besoin de m’engourdir le cerveau en acceptant le statu quo, alors merde, je vais suivre Peter Pan et ne jamais grandir.

Intoxication et vie sociale

Sérieusement, une des raisons pour lesquelles vivre dans une communauté qui boit constamment me dérange est que cela rend les conversations tellement lassantes ! Je peux difficilement sortir avec d’autres personnes sans que des conversations tournent pendant un temps considérable autour du fait de
boire, de se défoncer, de ce qu’elles ont fait en étant défoncées,
d’à quel point elles étaient défoncées, blah blah blah. Qui en a
quelque chose à foutre ? Les gens sont-ils si barbants au point
qu’ils ne méritent pas qu’on leur parle tant que leur conscience
n’est pas altérée par des multinationales ? Ne pouvons-nous
vraiment pas penser à autre chose de plus intéressant à nous
raconter que de parler de notre propre auto-destruction ? Qu’en
est-il de nos rêves, de nos passions, nos idées folles, nos espoirs
et nos peurs ? Je déteste aller à des fêtes où l’intoxication
ankylose l’individualité au point de la réduire en bouillie, où je
peux avoir les mêmes railleries stupides avec cent personnes
mais pas une conversation ayant un tant soit peu de sens avec
une seule personne. Suis-je antisocial de rester chez moi avec
une bon-ne ami-e ou un livre quand c’est l’unique alternative ?

Au-delà des conversations rasoirs, la dépendance à l’alcool
limite nos vies sociales à d’autres égards. Dans la culture bar,
l’interaction publique est limitée au cadre où nous devons
acheter quelque chose afin de passer du temps avec d’autres
personnes. Cela nous rend moins aptes à apprécier la
compagnie d’un-e autre dans un état d’esprit ordinaire ou sans
intervention de l’industrie. Nous créons des liens en achetant,
en consommant, en s’anesthésiant l’esprit, etc. plutôt qu’en
créant, en expérimentant, en ressentant, ou via nos
personnalités. Au lieu de remettre ça en question, nous
acceptons l’idée que nous avons besoin de consommer pour être
capables de « se laisser aller », passer du bon temps, et d’aller
au-delà de nos complexes et de nos propres limites qui
contraignent nos vies.

Intoxication et culture d’entreprise

Je connais un nombre inquiétant de personnes au sein de
communautés radicales qui dépensent tout leur revenu dans de
l’alcool et du tabac. Des personnes qui volent à la coopérative
locale parce qu’elles ne veulent pas payer pour de la nourriture
se rendront au magasin appartenant à une chaîne et verseront le
peu d’argent qu’elles ont à certaines des entreprises les plus
atroces en activité aujourd’hui. Il semble y avoir un incroyable
angle mort autour de l’alcool et du tabac dans la perspective
d’une consommation éthique ; les mêmes jeunes qui vont manifester contre Wal-Mart ou Exxon [9] pour leurs conditions de travail ou leurs pratiques environnementales vont ensuite aller
acheter des cigarettes et de la bière dans des magasins ayant des impacts négatifs et dévastateurs sur les communautés locales et qui ont été produites par des entreprises responsables de tout ce
qui est affreux dans le capitalisme mondialisé. Des jeunes qui,
au moins, font un effort pour acheter local, font pousser ou
brassent leurs propres produits, et ainsi de suite, reçoivent des
éloges ; mais l’industrie se repaît d’eux tout autant, car plus
ils-elles sont dépendant-es de stimulation chimique, moins
ils-elles se soucieront de leur provenance.

Faire pousser du tabac est incroyablement destructeur pour les
terres : après trois ans de cette culture, le sol est telle
épuisé que rien ne peut y repousser pendant les vingt
prochaines années. Le tabac (cultivé par des employé-es sous
des contrats proches de la servitude et des esclaves) était
l’unique raison pour laquelle la première colonie anglaise en
Amérique a réussi à survivre ; et avec l’augmentation du nombre
de colons blancs requérant de nouveaux andains de terre tous
les trois ans pour maintenir l’économie coloniale, ce n’est pas
exagérer que de dire que le tabac a motivé le vol de terres des
autochtones et a été l’un des principaux catalyseurs de la
campagne génocidaire à leur encontre, toujours en cours
actuellement. Ce processus existe toujours à travers le monde,
puisque les entreprises de tabac absorbent constamment de
nouvelles parcelles de terre afin de nourrir l’appétit insatiable
de millions d’accros autour de la planète. Pour obtenir ces
terres, les entreprises volent des terres publiques ou
appartenant à des tribus indigènes, les « achètent » à des
paysan-nes si appauvri-es par le capitalisme global qu’ils-elles
n’ont pas d’autres choix que de les vendre (afin qu’ils-elles
puissent être plus facilement contraint-es de travailler dans les
nouvelles usines), ou bien reconvertissent des cultures vivrières
qui précédemment nourrissaient réellement les gens au lieu de les empoisonner.

Dans la plupart des nations du Sud, le tabac est séché a l’air
chaud, un processus de travail intensif nécessitant une
déforestation massive. Un-e chercheur-se a estimé que la
culture et l’industrie du tabac étaient responsables de la défo
restation d’un arbre sur huit dans les pays sous-développés.
Alors que de plus en plus de terres sont dévastées par la culture
du tabac, le cycle s’accélère, de moins en moins de terres sont
disponibles pour produire de la nourriture, et de plus en plus de
produits chimiques mortels et génétiquement modifiés sont
nécessaires pour faire pousser quoi que ce soit. Les entreprises
du tabac offrent des subventions et un soutien technique
aux agriculteurs et agricultrices dans les pays sous-développés
pour remplacer la nourriture par du tabac, et depuis que les
programmes d’ajustement structurel du FMI [10] ont décimé le soutien public à l’agriculture, de nombreux-ses agriculteur-rices n’ont d’autres choix que de se
convertir à la culture du tabac, ce qui affame encore plus
l’intérieur de leur pays et augmente leur dépendance au marché
capitaliste global. Le tabac est au cœur du système d’agriculture
capitaliste terriblement malsain qui fait passer le droit de
s‘empoisonner des habitant-es des pays industrialisés avant le
droit de manger des habitant-es du Tiers-Monde.

L’intoxication dans les communautés opprimées

Les drogues et l’alcool ont été utilisées comme armes
coloniales contre les personnes d’origine africaine aux
États-Unis. Frederick Douglass [11] a fait observer dans son récit sur
sa vie passée en tant qu’esclave que durant les vacances, les
maîtres encourageaient les esclaves à boire à l’excès dans le but
de biaiser leur perception de ce qu’était la liberté et de promouvoir la passivité le reste de l’année. Des franchises de magasins d’alcool dans les quartiers noirs à l’introduction du crack par la CIA comme arme contre les communautés noires, les personnes blanches ont profité de la perte financière, de
l’affaiblissement physique, des conflits sociaux et de la violence
exacerbée par l’alcool et les drogues dans les communautés
noires. La tradition révolutionnaire noire états-unienne a une
forte inclination à la sobriété, de Malcolm X aux Black Panthers
en passant par Dead Prez, établissant des liens spécifiques entre
l’oppression des personnes noires et culture de l’intoxication.

« Lorsqu’un esclave était ivre, son propriétaire n’avait pas peur que celui-ci cherche à préparer une insurrection ; il n’avait pas peur que celui-ci veuille s’échapper vers le Nord. C’était l’esclave sobre, à l’esprit clair, qui était dangereux, et la vigilance du maître était nécessaire pour le maintenir en esclavage. »
Frederick Douglass

Les communautés autochtones qui survivent en Amérique
du Nord sont presque toutes dévastées par l’alcoolisme. L’abus
d’alcool a sévèrement désorganisé les structures communautaires
qui avaient survécu au génocide européen. Au cours de
ces cent dernières années, l’alcool a été utilisé par des blancs
opportunistes comme un moyen d’escroquer les autochtones
afin qu’ils signent des « traités », afin de leur voler leurs terres
et semer la discorde au sein de communautés auparavant
unies, harmonieuses et sobres. Actuellement, l’alcoolisme est
une des principales causes de mortalité chez les personnes
autochtones ; les premières « drunk towns » [12] blanches ont
bourgeonné autour des premières réserves où l’alcool était
interdit, avec des dizaines de bars et de magasins ABC [13] aux frontières de la réserve afin de transformer l’addiction des indigènes en profit capitaliste, entraînant bien souvent des conséquences fatales.

Les communautés LGBTQI luttent avec des taux
d’alcoolisme astronomiques, dus à la fois a la tentative
d’échapper à la pression de devoir cacher leur sexualité a leur
famille, leurs ami-es, et à la société, ainsi qu’à l’importance de
l’alcool en tant que loisir au sein de la culture LGBTQI
dominante. Les entreprises de bière font partie des sponsors les plus nombreux des « marches des fiertés », et font énormément de publicité dans les publications LGBTQI ; dans la plupart des endroits des États-Unis, les premiers espaces sociaux d’interactions LGBTQI-friendly (voire LGBTQI-safe) sont les bars, dont la fonction première est de vendre de l’intoxication. Dans de nombreuses villes, les premières organisations
spécifiquement gays et lesbiennes sont issues des Alcooliques
Anonymes. Le taux d’abus d’intoxicants parmi les personnes
LGBTQI est également majeur, un nombre considérable de
ravers et de fans de danse en club se détruisent à la cocaïne, au
crystal meth, à l’ecstasy, et à d’autres intoxicants. L’épidémie
de Sida et autres IST [14] continue, en dépit des incroyables efforts
d’éducateurs-rices, et d’activistes à travers le pays, en grande
partie a cause des pratiques sexuelles a risque pratiquées en étant intoxiqué-e. Pour les personnes LGBTQI sobres, il n’existe pratiquement pas d’espace collectif physique ou social.

Intoxication et communautés radicales

La réticence des communautés « activistes », « anarchistes » ou « radicales » a reconnaître à quel point cette culture de l’intoxication est tordue me déroute sincèrement. Depuis que je
suis investi dans des mouvement politiques radicaux, ces liens
m’ont semblé évidents, toutefois le fait que si peu de personnes
semblent se mettre d‘accord m’a fait me demander si ce n’était
pas moi qui me trompais. La (sur-)consommation d‘alcool, de
tabac, et de drogues variées ont été des éléments centraux dans
la vie d’une vaste majorité des personnes radicales avec qui j’ai
bâti des projets. Ce n’est que récemment que j’ai commencé à
entrer en contact avec d’autres personnes radicales sobres, mis
à part quelques connaissances dispersées, et rapidement
chacun-e d’entre nous a fait part du sentiment d’isolement au
sein de nos communautés, d’aliénation vis-à-vis de nos pair-es
et de frustration quant au manque de soutien que nous
ressentons dans la création d’espaces safe et sobres.

Néanmoins, le fait que nous soyons minoritaires, isolé-es et
sobres ne signifie en aucun cas que nous soyons les seul-es à
voir ou à nous plaindre des problèmes causés par la culture de
l’intoxication dans les communautés radicales. Mes conversations inter-individuelles avec de nombreuses personnes non sobres révèlent souvent une véritable anxiété par rapport
aux conséquences négatives de leur dépendance à l’alcool et
aux drogues ainsi que celle du milieu radical. Mon expérience
personnelle, ainsi que celle de nombreuses femmes, personnes
de couleur, personnes LGBTQI avec qui j’ai discuté de ce
problème, m’ont confirmé a quel point les personnes qui en
appellent a se battre contre l’Oppression tout en participant
fièrement a la culture de l’intoxication peuvent être hypocrites. Ce problème semble de plus en plus comme un éléphant dans le coin de la pièce que personne ne veut voir ou reconnaître.

Je pense qu’il est grand temps que nos communautés entament des discussions sérieuses autour de la question de la sobriété et de l’intoxication - et il faudra des allié-es non sobres
avec nous qui prennent un rôle actif aux côtés des personnes
abstinent-es des intoxicants pour que cela fonctionne. Nous
avons besoin de négocier des accords dans les espaces et les
maisons collectives, les rassemblements sociaux, les concerts et
événements, et les autres espaces de nos vies, qui respectent à
la fois les besoins des personnes sobres et de celles et ceux qui
ne le sont pas, en portant une attention particulière au respect
des demandes des femmes et des personnes trans, dont les
besoins sont moins souvent pris en considération lors du
développement de modèles communautaires. Ce n’est pas
quelque chose que la plupart de nos communautés sont
habituées à faire, mais pour moi c’est absolument essentiel. Ce
processus a le potentiel d’être une transformation révolutionnaire, parce que nous passons d’un groupe de personnes associées travaillant simplement ensemble à une véritable communauté où nous respectons les besoins de chacun-e et où nous nous tenons responsables les un-es envers les autres.

Intoxication et « autonomie » vs. responsabilité

Dans le processus de développement d’accords communautaires, certaines personnes peuvent ressentir qu’elles sont privées de leur « autonomie », de leur droit de vivre leur propre
vie comme elles l’entendent, incluant le droit de se défoncer si
c’est leur souhait. Personnellement, je soutiens de tout cœur le
droit de tout individu à s’intoxiquer à l’aide de produits
chimiques autant qu’il le veut, sans sanction de l’État, d’une
religion organisée ou d’écrivain-es de fanzines moralisateur-rices. Cependant, je soutiens seulement ce droit si
vous contenez la destructivité de vos choix pour vous-mêmes ; comme l’a dit un-e sage : « La liberté d’agiter vos poings se termine là où mon nez commence. » Et je ferai remarquer que très peu de
personnes qui choisissent de se défoncer cherchent sincèrement et
réellement a savoir comment leurs choix affectent les autres, en
particulier les personnes opprimées.

Du soutien financier d’entreprises mortifères, au ciblage des
personnes de couleur ou LGBTQI ainsi que du taux croissant de
dépendance et de ravages dûs aux intoxicants dans ces
communautés, aux liens entre intoxication et masculinité
patriarcale, jusqu’au comportement abject envers les femmes qui
arrive si souvent avec l’intoxication... Ce n’est PAS juste un simple
choix personnel que vous faites et qui n’implique que vous, dans une
bulle, lorsque vous fumez, buvez ou vous droguez, Il y a une énorme
quantité d’aspects à prendre en compte allant de pair avec la
décision de se saoûler/se défoncer, et que les communautés
d’activistes, d’après mon expérience, reconnaissent rarement.

Certain-es anarchistes voient l’anarchie comme la capacité à faire
ce qu’ils-elles veulent, sans avoir de comptes a rendre a personne
pour leurs actions. Je pense personnellement que ce genre d’attitude
n’est que le reflet de la connerie américaine qu’est « l’individualisme farouche » [15], reconditionné en alternative faussement radicale, car elle ne conteste pas l’aliénation fondamentale que nous endurons sous le régime capitaliste et l’État. Si notre société remplace le sens
véritable de communauté par la culture de la consommation,
l’autorité et l’oppression, alors cette sorte d’anarchisme rejette
simplement n’importe quelle idée de communauté possible. Pour
moi, l’anarchisme, c’est supplanter la fausse communauté d’État et
la culture de la consommation par une communauté basée sur
l’entraide plutôt que la concurrence, l’économie du don plutôt que le
capitalisme, des accords collectifs fondés par le consentement total
et l’association volontaire plutôt que des règles ou lois basées
sur la coercition étatique et la violence. Au lieu de rendre des
comptes à l’autorité, je souhaiterais qu’on soit réellement
responsables les unes envers les autres. Une grande part de
cela est d’être en mesure de se réunir en tant que communautés
radicales et d’avoir des discussions sur la façon dont l’alcool et
les drogues influent sur nos projets, nos espaces, nos relations
et notre unité, afin de déterminer quelles sortes d’accords et de
limites ont du sens pour nous.

Comme parfait exemple du genre de réponse communautaire
à la question de l’alcool et des drogues, prenez le mouvement
zapatiste au sud du Mexique. Durant les quelques semaines que
j’ai passées au Chiapas a en apprendre plus sur leur lutte, j’ai appris quelque chose que la plupart des personnes portant un t-shirt à l’effigie du sous-commandant Marcos ne mentionnent pas : toutes les communautés autonomes zapatistes sont a 100% sans alcool. Aucune boisson alcoolisée n’est vendue ou
consommée dans ces municipalités autonomes, et sur les
panneaux indiquant que vous entrez dans un territoire zapatiste
en rébellion contre le gouvernement mexicain, nombre d’entre
eux stipulent expressément que ce sont des espaces sans alcool
ni drogues. J’ai également appris que cette initiative fut lancée
suite à une demande de grande envergure de la part des femmes
participant aux discussions concernant la nouvelle société
qu’ils-elles construisent. Les femmes mexicaines ressentent
profondément les effets de l’alcoolisme, en termes de violences
conjugales et sexuelles, mais aussi car dépendre financièrement
des hommes dans une société patriarcale signifie que lorsque
les maris dépensent l’argent familial dans la picole, les épouses
ont de la peine à payer leur nourriture et celles de leurs
enfants. Une personne en charge d’un collectif féministe à San
Cristobal m’a rapporté que l’abus d’alcool des hommes est l’un
des problèmes majeurs que rencontrent les femmes au Mexique actuellement.

Par conséquent, les communautés ont accepté la demande
des femmes de fonder des communautés sans aucune drogue ni
alcool, en dépit du fait que beaucoup d’hommes voulaient avoir
la possibilité de boire. Certains villages se sont même divisés
autour de cette question. Actuellement, l’accord du sans alcool
est appliqué par la communauté, et il est presque toujours
respecté ; les personnes qui refusent de respecter l’interdiction
sont mises à l’écart, ou, si elles refusent de changer leur
comportement, sont expulsées de la communauté (à l’heure
d’aujourd’hui, cela n’est quasiment jamais survenu). Un
voyageur que j’ai rencontré, qui était passé par le Guatemala et
les parties sud-mexicaines sur son chemin vers le Chiapas, a
mentionné que dans la plupart des villages ruraux qu’il avait
parcourus, la majorité des hommes étaient ivres à partir de dix
heures du matin, et ce tous les jours. Les communautés
zapatistes, a-t-il remarqué, avaient une toute autre ambiance ;
beaucoup plus de choses sont accomplies et les personnes se traitent avec plus de respect.

Je mentionne cet exemple pour un certain nombre de raisons.
D’une, je pense que de nombreux anarcho-alcooliques, qui
soi-disant idolâtrent la lutte zapatiste, pourraient en apprendre
davantage sur la façon dont ces communautés gèrent l’alcool et
les drogues. Aussi, je soupçonne que beaucoup d’anarchistes en
Amérique du Nord pourraient trouver une telle interdiction « autoritaire », voire pire. Cela nous amène au cœur du problème, et c’est mon point de vue sur la différence entre
l’hyper-individualisme et l’anarchisme basé sur la communauté. Il n’y a rien d’autoritaire, selon moi, en un accord conclu collectivement dans le but de restreindre les comportements individuels que la communauté juge collectivement comme nuisibles à elle-même. La clé du projet autonome zapatiste est
qu’il est totalement basé sur l’association volontaire ; aucune
communauté ou individu n’est forcé-e d’y participer. De
nombreux villages ont choisi de ne pas faire officiellement
partie du réseau des municipalités autonomes lorsqu’ils ne
consentent pas à tous les accords établis par le mouvement
zapatiste, et c’est très bien.En outre, les accords zapatistes sur l’alcool sont de véritables
exemples de reconnaissance et de respect direct de l’autonomie
des femmes. Combien de groupes ou communautés anarchistes
aux États-Unis prétendant être féministes ont réellement
intégré les désirs et les besoins des femmes dans leur pratique — ou ont simplement pris la peine de les interroger ? En somme, les personnes impliquées dans cette lutte ont décidé de placer
le bien-être de leur communauté, déterminé par consensus,
au-dessus de la « liberté » illimitée des individus à faire ce qu’ils veulent. Je mets au défi nos communautés anarchistes d’Amérique du Nord de réfléchir de façon critique à nos
priorités et d’aborder ces questions compliquées portant sur
l’individu et la communauté, l’autonomie et la responsabilité.

Histoire n°1

Ma première communauté activiste, quand j’ai emménagé
dans la ville où je vis actuellement était une librairie collective,
un super endroit rempli de personnes radicales portant des projets positifs.

Seulement un mois ou deux après être devenu très
impliqué, j’ai été invité à aller en vacances avec le conseil
d’administration dans une maison au bord de la plage à
quelques heures de l’endroit où nous vivions. J’ai entendu des
personnes qui rigolaient en évoquant combien elles allaient
s’amuser en s’alcoolisant là-bas, ce qui me fit immédiatement
me sentir mal à l’aise. Le fait que je ne conduise pas et n’allais
pas avoir de moyen de partir si je ne me sentais pas à mon aise,
que je ne connaissais pas très bien les personnes qui venaient
et que j’étais le seul jeune, me fit me sentir très nerveux par
rapport à la situation, et j’ai exprimé mes craintes à une amie
qui travaillait à la librairie. Elle m’assura qu’il n’y allait pas y
avoir beaucoup d’alcool, que les gens n’allaient pas trop se
bourrer la gueule, et que si je ne me sentais pas à l’aise, elle
pourrait être là pour moi. Avec cette assurance, j’y suis allé, un peu à contrecœur.

Le samedi soir, deux personnes sont parties pour aller chercher de l’alcool, et sont revenues avec quatre packs de bières et plusieurs bouteilles d’alcool fort. Tout le monde sauf moi était
adulte et tout le monde sauf moi but beaucoup cette nuit, y
compris la copine qui disait qu’elle serait là pour moi. Je me suis
senti très mal a l’aise, mais je n’avais aucun moyen de partir,
aucune idée d’où j’étais, ni aucune alternative pour me divertir,
alors je suis simplement resté assis en plein milieu. Le lendemain
main matin, nous avons commencé a travailler plus tard que
prévu car certaines personnes avaient la gueule de bois et
voulaient dormir. Quand nous avons débriefé à la fin de la
retraite, j’ai mentionné qu’il y avait une chose que j’aurais voulu
changer, c’était qu’il y eut moins d’alcool, mais je ne me sentais
pas assez à l’aise pour exprimer sérieusement à quel point je
m’étais senti aliéné et en danger, ou pour demander s’il y avait
des moyens pour qu’on tienne nos responsabilités en tant que
groupe la prochaine fois. Personne n’en a discuté davantage ou
ne s’est inquiété de mon inconfort. Je ne sais pas comment
évoquer le sujet sans mettre les gens sur la défensive, et j’ai
souvent l’impression d’être un égoïste, un pleurnichard, un
hypersensible, un « trouble-fête », ou d’être anti-démocratique
quand j’exprime comment je me sens pas rapport à ça. Je ne
pense pas nécessairement que ce serait juste de demander au
groupe de bannir complètement l’alcool des vacances, surtout
quand tout le monde à part moi aime boire dans un groupe de
quinze personnes, pourtant, la seule alternative semble être que
je sourie faussement et que je me tienne assis inconfortablement
dans des endroits qui me font me sentir seul et mal a l‘aise.

Une des manières d’aborder la situation pour que les personnes sonnes sobres se sentent à l’aise et capables de participer peut être de s’assurer à l’avance qu’il y aura au moins une ou deux autres personnes qui seront présentes et engagées à rester sobres pour la nuit (peu importe qu’elles le fassent habituellement ou non). De cette manière, le groupe pourra toujours s’alcooliser s’il choisit de le faire, pendant que la personne sobre pourra toujours avoir un moyen de se sentir en sécurité avec quelqu’un, ou partir si c’est nécessaire, sans se sentir totalement isolée. Je suggérerais de trouver quelqu’un que tu connais et en qui tu as confiance et qui tiendra son engagement de rester sobre pendant la soirée, et de s’assurer de lui demander
de s’engager en avance, de manière à ce qu’il ou elle ne se soit
pas enivré-e au préalable de l’activité. D’autres possibilités
peuvent être de demander à toutes les personnes impliquées
d’en faire un événement sans alcool, en particulier si c’est un
petit groupe ou un petit événement, ou alors de simplement
décliner l’invitation et d’exprimer clairement que la présence
de drogues et d’alcool est la raison pour laquelle tu ne viens
pas. Peu importe ce que tu décides, ça fonctionnera
probablement mieux si tu expliques calmement et de manière
précise ton inconfort, et fais attention à ne pas juger ou faire
des suppositions sur le comportement des autres personnes. Si
les personnes qui ont décidé d’être sobres cessent de trouver
des excuses, de rester chez elles, ou de garder le silence
lorsqu’elles ne se sentent pas en sécurité, avec un peu de
chance nous pourrons commencer à discuter de ce problème de
l’intoxication dans les communautés activistes, ce qui pourra
aider a créer des espaces sociaux pour les personnes abstinentes d’intoxicants.

Histoire n°2

J’ai participé à un camp de défense de l’environnement
pendant une semaine avec environ cent cinquante jeunes dans
les montagnes. J’étais très nerveux d’aller la-bas, sans moyen
de quitter le lieu, et avec une équipe de primitivistes chahuteurs
et saoulards, mais j’ai décidé qu’il était plus important
d’y aller et d’apprendre ce que je pouvais ) ! apprendre. Les
choses se passèrent étonnamment bien durant la plupart de la
semaine ; à la moitié de celle-ci il y eut un feu de camp, avec
peu d’alcool, qui était super chouette. Pour la dernière nuit, il y
avait une grosse soirée de prévue, avec toutes sortes de
préparations dans plusieurs tonnelets, de la bière brassée maison et autres. Étonnamment les organisateurs et
organisatrices étaient très impliqué-es de s’assurer que les
personnes qui voulaient rester sobres aient un espace safe, et
décidèrent d’établir en avance un accord communautaire clair
avec les zones sans alcool, etc. La réunion du groupe au complet
s’interrompit pour manger avant que la conversation fût
engagée, alors un groupe de la quinzaine de personnes
souhaitant constater que les espaces sobres fussent sûrs, resta
plus tard et parla des différentes options ’, de manière toujours
plus surprenante, presque tout le groupe était composé de
personnes qui comptaient boire, mais voulaient être des allié-es
des personnes sobres. Après un long et frustrant moment de
négociations, une zone feu de camp séparée devant être non
seulement sans alcool, mais également prévue uniquement pour
ceux et celles qui n’auraient pas bu cette nuit, a été établie avec
des personnes qui se sont engagées à apporter du bois et à
creuser la fosse. J’étais très excité, n’ayant jamais été
auparavant dans un endroit où les personnes reconnaissaient
que les personnes sobres avaient des besoins valables, sans
parler du fait qu’elles y mettaient du leur pour créer un espace
safe distinct et en faisaient une priorité.

Donc, j’ai passé cette soirée autour du feu de camp sobre… avec environ cinq ou six autres personnes. Nous étions un groupe plutôt calme et pour une fois, je me sentais clairement
maussade. C’était chouette d’avoir de la compagnie, mais je ne
pouvais pas me débarrasser du sentiment d’être en quarantaine.
Nous étions à seulement quelques centaines de mètres du feu de
joie massif et alcoolisé, avec plus d’une centaine de jeunes
braillant et tapant du pied, et bien qu’aucun-e d’elles-eux ne
pouvait venir à notre feu de camp, la plupart d’entre nous ne se
sentaient nullement à l’aise pour aller vers elles-eux, même si la
plupart de nos ami-es et amant-es étaient là-bas. Après trente
ou quarante-cinq minutes, la plupart d’entre nous sommes
parti-es vers nos tentes, les cris des joyeu-x-ses convives faisant
échos dans nos oreilles. Morose, je me suis assis auprès des braises qui diminuaient pendant un long moment, en essayant de comprendre pourquoi je me sentais si abattu. N’était-ce pas
ce que je voulais, notre propre « espace safe » séparé ? Je me
sentais coupable de ne pas suffisamment apprécier ce qui était
sans aucun doute l’effort le plus approfondi qui n’ait jamais
été fait dans un espace radical par rapport a mes besoins.
Enfin, alors que la fête principale se réduisait à des voix
isolées, des bagarres, des jurons ou des sanglots je suis allé me
coucher, en me sentant plus seul et isolé que jamais.

Cette expérience représente un mélange d’aspects positifs
et négatifs, et pourrait déboucher sur quelques réponses con-
destructives. Du côté positif, les organisatrices, organisateurs et
les participant-es (ou du moins certain-es d’entre elles-eux)
avaient fait un effort considérable durant la journée pour
monter un espace alternatif sobre qui serait safe ; du côté
négatif, le groupe élargi ne s’était pas engagé dans ce processus,
et en fait la plupart des personnes étaient simplement
informées que si elles avaient prévu de boire, elles ne
pourraient pas aller dans un certain espace, ce qui renforçait
l‘incontestable dichotomie sobres/non sobres qui me faisait
me sentir isolé. Coté positif, de nombreu-x-ses allié-e-s non
sobres ont pris le relais pour être sûr-es que les espaces safe
étaient respectés, ce qui est, je crois, extrêmement important ; côté négatif, les allié-es n’ont pas étendu leur soutien en participant avec les personnes sobres et en s’abstenant
elles-eux-mêmes, sauf pour une personne, et peu de personnes
sobres pour qui l’espace avait été conçu ont participé à son
élaboration. Côté positif, l’espace a été créé et respecté ; côté
négatif, il y a eu a peine quelques personnes dans cet espace, et
ce n’était pas très marrant, même si tout le monde était
d’accord pour dire qu’ils-elles étaient content-es d’être la. La
proximité avec la soirée « principale » alcoolisée, la sévère
disproportion entre le nombre de personnes sobres et de non
sobres, le manque de véritables activités au-delà d’un espace et
manque de soutien général parmi beaucoup de participant-es au
camp (excepté les organisateurs-rices et de merveilleux-ses
allié-es) ont fait que la réalité de l’espace sobre ne s’est pas
montrée à la hauteur des attentes.

Pour améliorer la situation dans le futur, voici quelques choses qui pourraient être changées :

1. S’assurer d’une large participation dans le processus de création d’espaces safe sobres ; l’intégrer dans une discussion en groupe au complet, faire qu‘un groupe de personnes ayant décidé de rester sobres soit une part essentielle du processus, et penser à quelques méthodes pour assumer sa responsabilité envers ce groupe.

2. Quand les circonstances le permettent, établir l’espace assez loin physiquement de la zone alcoolisée afin que nous ne nous sentions pas comme si nous étions simplement mis-es de côté de la fête « réelle », et pour que nous ne ressentions pas le besoin de défendre ce territoire comme nos seuls quelques mètres carrés d’espace safe.

3. Prévoir non seulement des espaces, mais aussi des activités pour les personnes sobres - soyez créatif-ves et ouvert-es, tout ce qui peut passer par la tête peut être intéressant et original. Jeu de la bouteille, chasse au trésor, cache-cache, twister, chasses au trésor, à vélo, boum, n’importe quoi ! L’idée n’est pas seulement de rendre ça plus amusant pour les personnes sobres, mais aussi d’en faire une incitation pour que certaines des personnes pas-toujours-sobres s’engagent a être sobres pour la soirée afin qu’elles puissent être avec le groupe festif. Ce peut être le meilleur type de plaidoyer en faveur de l’abstinence des intoxicants - montrer que les jeunes sobres peuvent s’éclater, et même mieux que les ivrognes-ses !

Conclusion : le commencement ?

J’espère que certaines des idées de cette brochure ont été
utiles, ou provocantes, ou ont peut-être montré les choses sous
un autre angle, et vous ont donné quelques pistes concernant
les inquiétudes des gens sobres dans votre communauté. Je ne
m’attends pas à ce que la plupart acceptent ou soient d’accord
avec tout ce que j’ai écrit, mais avec un peu de chance cela
ouvrira quelques esprits et quelques cœurs et permettra de
commencer à discuter. Aussi, certain-es d’entre nous sont en
train de réfléchir à développer un réseau de soutien sobre afin
de partager des ressources, créer de la propagande, commencer
des discussions dans nos communautés, identifier des espaces
safe, et soutenir chacun-e d’entre nous lorsque nous nous
sentons isolé-es. C’est une longue route « vers un monde moins
défoncé et merdique » [16], mais avec honnêteté, dialogue et le soutien des un-es et des autres nous pouvons commencer à nous engager dans cette voie. D’ici là,

avec amour et rage,
Nikita [Nick] Riotfag

POSTFACE

Vers un monde moins défoncé et merdique : 5 ans... et ce n’est pas fini

Au cours des 5 années ayant suivi la sortie de « Vers un monde moins défoncé et merdique : sobriété et lutte anarchiste », j’ai eu des centaines de conversations avec des personnes l’ayant lu et
ayant été touchées par ce texte d’une manière ou d’une autre.
Quand je l’ai écrit et publié, je ne m’attendais absolument pas à ce
qu’il résonne auprès d’autant de personnes différentes. Mais cela
m’a montré qu’il y a un désir considérable de se confronter aux
réalités de l’usage d’intoxicants et de l’intoxication dans les
communautés radicales. Dans ce court essai, je parlerai un peu de
la manière dont cette brochure en est arrivée là, et la manière dont
des personnes y ont réagi et je placerai ceci dans le contexte
d’autres discussions autour de la sobriété radicale ayant eu lieu
dans des espaces punksfanarchistes. En espérant que retracer cette
trajectoire pourra fournir un contexte au potentiel d’une sobriété radicale à l’intérieur de la résistance anarchiste états-unienne, à travers le prisme d’une brochure et de sa réception.

Comment ça a pris forme

Les idées qui par la suite allaient s’assembler dans « Vers un monde moins défoncé et merdique » ont commencé à prendre forme quand j’avais 17 ou 18 ans et que je m’investissais de plus
en plus dans des activités radicales et anarchistes. En assistant à
des conférences, des rassemblements, des mobilisations de masse
et d’innombrables concerts et repas collectifs, j’ai commencé à re
marquer des situations où la consommation de drogue et d’alcool
renforçait les oppressions plutôt qu’elle ne les récusait. Ma
décision personnelle de m’abstenir de drogue et d’alcool s’est
cristallisée avec mes convictions politiques : plus je me sentais confiant en cerclant mes « A », plus j’avais confiance en ma sobriété. Mais à ma surprise et frustration, mes camarades de
lutte voyaient rarement les choses de la même manière. La
question qui m’a toujours le plus troublé était celle-là : pourquoi
les personnes radicales ne se posent-elles pas les mêmes types de
questions auto-critiques à l’égard de l’alcool et de la drogue que
celles concernant de nombreux autres aspects de nos vieset de nos comportements ? Qu’est-ce qui est si différent dans l’intoxication, quand le simple fait de la mentionner peut
provoquer une vive attitude de défense, de rejet ou de moquerie ?

J’ai commencé à comprendre que ces réactions étaient liées à
l’impact du mouvement straight edge parmi les punks, anarchistes,
et radicaux-les états-unien-nes. Quand j’étais plus jeune, je ne
connaissais qu’un jeune straight edge autoproclamé. C’était un
véritable connard homophobe lorsqu’il se revendiquait straight
edge, puis après environ un an, il a lavé les X sur ses mains et a
commencé à se défoncer avec le reste des punks. Donc, à part mon
interaction avec un seul straight edge (absolument pas convaincante), je n’avais jamais été en contact ou appris l’existence d’une scène et d’un mouvement straight edge – jusqu’à mes 19 ans je ne
savais même pas qu’il y avait une telle chose que de la musique straight edge ! J’avais seulement entendu ce terme utilisé comme un synonyme de sobre.

Puis, comme je commençais à être plus investi dans des milieux
punks et anarchistes, j’ai commencé a entendre des histoires
d’horreur sur des jeunes straight edge qui harcelaient ou tabassaient
des personnes qui buvaient de l’alcool ou prenaient des drogues,
poussaient la masculinité à l’extrême de sa stupidité, et avaient des
attitudes incroyablement dogmatiques et détestables. Lorsqu’elles
étaient confrontées à ma décision d’être intentionnellement sobre,
beaucoup de personnes que je rencontrais manquaient d’un contexte de sobriété radicale et consciente. Pour eux, la sobriété était uniquement liée à une identité hardcore proche de celle d’un culte.
À mesure que je faisais face à la réputation que le mouvement straight edge avait acquise auprès de nombreux-ses anarchistes et radicaux-les, petit à petit, l’attitude de défense que je rencontrais devenait plus compréhensible.

Mais, alors que je commençais à rencontrer de véritables
hardcoreux-ses straight edge dont la plupart étaient amicaux-les et
respectueux-ses, je commençais à douter de la véracité de toutes ces
histoires. Est-ce que les buveur-ses sur la défensive créaient juste
un homme de paille dans lequel ils et elles pouvaient projeter
jeter tous leurs cauchemars fantasmés concernant ces idiot-es
puritain-es anti-drogues obsédé-es ? Est-ce que leur insistance sur le
mythe du-de la jeune straight edge violemment dogmatique servait
juste à éviter d’examiner de manière critique leurs propres
habitudes de consommation et la manière dont elles impactent
notre milieu ? Bien que je ne nie certainement pas que certaines
personnes aient eu des expériences négatives avec des individus
straight edge, celles-ci ne peuvent pas l‘emporter sur les
innombrables mauvaises expériences que nous avons tous-tes avec
des personnes intoxiquées désagréables.

Et en même temps, je me demandais si je n’étais pas en train de
commencer à incarner certains de ces traits caricaturaux. Quand je
débattais de mes choix avec d’autres, est-ce que je leur parlais d’une
manière qui leur paraissait moralisatrice, conflictuelle, est-ce que je
leur donnais une leçon ? En étiquetant « straight edge » ma décision
d’être entièrement sobre pour des raisons politiques autant que
personnelles, est-ce que je ne me plaçais pas dans une trajectoire
qui débouchait a coup sûr sur une attitude défensive ? Est-ce que je
ne fermais pas le dialogue plus que je ne l’ouvrais ?

Bien que la solidarité que j’avais découverte avec d’autres
individus straight edge me procurait Un certain soutien, le plus
souvent je trouvais qu’utiliser ce terme pour me décrire rendait plus
difficile l’entrée en contact avec des personnes avec qui je voulais
vraiment discuter des problèmes de la culture de l’intoxication. À
mesure que les discussions avec les utilisateur-ices de drogue ou
d‘alcool sur les manières de négocier des normes communautaires
saines et respectueuses de chacun-e devenaient de plus en plus
importantes pour moi, j’ai commencé à m‘éloigner de l‘étiquette
straight edge. Mais je voulais faire savoir que ma sobriété découlait
de mes convictions anarchistes et féministes, et qu’elle n’était pas
uniquement une préférence individuelle, sans pour autant dépendre
de l’héritage problématique straight edge.

J’ai donc écrit « Vers un monde moins défoncé et merdique » afin de détacher les discussions autour de la sobriété et de l’intoxication du contexte straight edge et des mythes qui l’accompagnent. Je
voulais parler de sobriété comme étant un choix de vie avec des
motivations politiques, et pas comme une simple préférence
individuelle sans dimensions collectives ou politiques, tout en évitant d’en faire une identité, un milieu ou une chose moraliste ou polarisante. Ça s’est révélé être plus difficile que prévu !
Heureusement, les réactions qu’ont suscité cette brochure ont
montré que la plupart des personnes qui l’avaient lue étaient
capables de voir les problèmes sous-jacents que je voulais
aborder au-delà de la controverse sur le mouvement straight edge.

Réactions et critiques

La principale réaction que j’ai reçue de la part de lecteurs et
lectrices a été un sentiment d’affirmation : les personnes me
disaient que les arguments et les histoires présentes de la brochure
faisaient écho avec leurs propres expériences et réflexions, et
étaient articulées d’une manière qu’ils-elles n’avaient jamais
rencontrée auparavant. Cela m’a surpris à deux niveaux : d’abord,
qu’autant de personnes réfléchissaient aux mêmes problématiques
et ressentaient Une aliénation et une frustration similaires ; ensuite,
qu’il y ait si peu de personnes qui s’exprimaient là-dessus. Une
autre surprise : la plupart des personnes qui m’ont écrit par rapport
à la brochure ne sont pas totalement sobres, mais ont ressenti
qu’elle parlait d’elle-eux et de leurs expériences. Il est certain que
de nombreuses personnes sobres/straight edge ont été sensibles à
ces idées et les ont propagées ; mais, de loin, la majorité des
personnes qui m’ont écrit ont plutôt envisagé ces idées comme un
angle critique sur leur propre intoxication et la société qui la
soutient. En plus du courrier venant de personnes issues du milieu
punk/anarchiste/activiste, j’en ai également reçu de la part de
lycéen-nes mainstream, d’adolescent-es isolé-es dans de petits
villages, d’ancien-nes alcooliques plus âgé-es, et de diverses autres personnes.

Les critiques les plus vives et pertinentes que j’ai entendues se
focalisaient sur la partie concernant l’intoxication et la masculinité
patriarcale. La partie qui apparaît sous le titre « Masculinité, Culture du viol et Intoxication » était très différente dans l’édition initiale ; le langage employé formulait de manière simpliste et
inexacte les violences sexuelles et domestiques dans des termes
liés à des genres spécifiques, représentait les travailleur-ses du sexe
de manière irrespectueuse, et il n’y avait aucun avertissement
concernant le contenu du texte pour prévenir du discours plutôt virulent sur des sujets sensibles. Après plusieurs conversations sur les imperfections de la partie originale, alors que je continuais à
distribuer la brochure, j’ai commencé à faire circuler un encart où
ces critiques étaient présentes et j’ai retravaillé cette partie. La
partie telle qu’elle apparaît dans la version actuelle comporte des
modifications importantes apparues suite à de nombreuses
discussions complexes et importantes, auxquelles je dois à leurs
initiateurs une critique plus nuancée des liens entre intoxication, masculinité et violence.

D’autres critiques diverses : plusieurs personnes m’ont fait remarquer que j’aurais dû approfondir davantage l’importance des espaces sobres pour les personnes en cours de sevrage, ainsi que
des idées de réduction des risques et des modèles radicaux de
sevrage. Certain-es voulaient que je développe la manière de créer
des espaces sobres qui ne soient pas juste des confinements mais
qui puissent intégrer des personnes sobres et des personnes non
sobres avec succès dans un environnement sans alcool sympa ; on
m’a également suggéré d’éviter le terme d’« espace safe », puisque
ça pourrait laisser entendre une peur de boire plus qu’une aversion,
ce qui clive plus que nécessaire. D’autres voulaient qu’il y ait plus
de mentions du brassage de bière et des cultures maison en tant
qu’alternatives au contrôle capitaliste de l’addiction. Quelques
unes ont remis en question les exemples historiques de sobriété
dans des mouvements radicaux que je donnais en mentionnant les
manières dont l’ivresse avait joué un rôle dans des histoires de
résistance, allant des émeutes de travailleur-ses ivres à l’utilisation
des drogues au sein de la contre-culture des années 1960. Certain-es
ont trouvé que la manière dont je parlais des personnes buvant de
l’alcool ou prenant des drogues était trop moralisatrice pour
stimuler le genre de conversation et d’auto-réflexion nécessaires
pour briser ces habitudes ancrées de déni, de responsabilité, et de
jugement. Je suis reconnaissant pour tous ces commentaires, ainsi
que d’autres, qui ont été matière à réflexion. Certains se reflètent
dans les changements apportés à cette édition, j’espère incorporer
les autres dans un future édition ; j’ai également décidé de laisser
certains passages tels quels, considérant que les arguments et le
ton employé étaient intentionnellement provocateurs, et provoqueraient toujours de la critique.Fort heureusement, la brochure a provoqué davantage que de la critique - comme certaines personnes ont pu m’en faire part, elle a
également inspiré des échanges et des actions aux États-Unis et au-delà. Dans le Maine, un groupe de punks l’a photocopie et distribué, puis a organisé un repas sobre afin de discuter des problèmes
soulevés et des liens avec leur milieu local. Un groupe d’anarchistes
canadien-nes a modifié la réglementation de la librairie radicale
communautaire et l’espace de spectacles qu’ils étaient en train de
mettre en place suite a la lecture de la brochure, en décidant de
présenter ce lieu comme une alternative explicitement sobre pour
personnes radicales. En Caroline du Nord, un-e lecteur-ice a lancé
un groupe de discussion hebdomadaire sur la sobriété dans un lieu
communautaire radical. Une semaine sur deux, la réunion était
ouverte a toutes et la discussion tournait autour du rôle de
l’intoxication dans leur milieu local et de la manière de créer des
espaces alternatifs ; durant les autres semaines les réunions étaient
réservées aux personnes en processus de soin de leur addiction
souhaitant se soutenir dans une perspective explicitement radicale.
Ces histoires et de nombreuses autres m’ont convaincu que les personnes radicales désiraient fortement remettre en question le rôle de la culture de l’intoxication dans les communautés de lutte.

Le futur de la sobriété radicale

Ces dernières années, j’ai également observé des virages dans la culture anarchiste allant vers la destruction de l’emprise de la culture de l’intoxication dans nos milieux - dans des brochures, des
ateliers, des discussions, et de nombreuses autres formes, nous avons exprimé, individuellement et collectivement, nos expériences complexes avec les drogues, l’alcool, l’addiction et la sobriété.

Depuis la sortie de « Vers un monde moins défoncé et merdique », plusieurs brochures abordant différents aspects de l’intoxication, de la sobriété, et de la résistance, ont fait leur apparition aux États-Unis. Celles qui suivent en sont quelques-unes que j’ai lues et appréciées. « Prescription for change » livre le récit d’une toxicomane en rémission, livre des critiques pertinentes du modèle des Alcooliques Anonymes, et les sentiments nuancés d’une personne extérieure au mouvement straight edge. « Distress #1-2 » offre des informations essentielles de pratiques de réduction des risques et des analyses sur la manière dont l’addiction est liée aux
enjeux de santé mentale. « Out from the shadows #1-2 » (successeur
du zine « Encuentro ») traite la sobriété radicale en mêlant
perspective végane straight edge militante et éco-anarchiste, le tout
avec un amour passionné pour le hardcore straight edge, et lie la
lutte contre la culture de l’intoxication avec la résistance à la civilisation. « Stash » décrit des histoires personnelles d’addictions et de rétablissement aussi bien que des violences domestiques et
sexuelles tout en questionnant le rôle des communautés radicales
dans la perpétuation ou la remise en question de ces dynamiques.
« Twinkle Pigs #35 » retrace le parcours d’une personne straight
edge entre exclusion, auto-définition, et critiques politiques de la
culture de l’intoxication. « Total Destruction #1-4 » se concentre
sur la théorie anarcho-communiste. la solidarité avec les
prisonnier-es. et l’éco-resistance, dans une perspective végane
straight edge. « Cuddle Puddles #1-3 » présente un point de vue
végane straight edge anarchiste sur différents problèmes politiques
ou liés aux modes de vie — le premier numéro aborde la pertinence
qu’a encore le mouvement straight edge. « Ruffsketch » chronique avec humour l’activisme pour les droits des animaux et des voyages à travers champs d’un hooligan végane straight edge. Ces quelques
zines et de nombreux autres documentent le mouvement de
réflexion et d’action sur l’intoxication et la sobriété au sein des scènes radicales.

Cette explosion de discussions écrites autour de la sobriété
radicale s’est poursuivie lors de rassemblements.
Ma première expérience de la sorte eut lieu juste après la publication de « Vers un monde... » début 2004, à la Conférence Nationale sur la Résistance Organisée à Washington DC, une grande
conférence anti-autoritaire annuelle. Avec trois ami-es j’ai présenté
un atelier intitulé « Au delà d’une Culture de l’Oubli », qui parlait
de la contribution de la sobriété radicale à la résistance anarchiste.
À notre surprise l’atelier était bondé, avec plus de cent personnes
essayant de se serrer dans une minuscule pièce étriquée, ce qui
montre bien à quel point le désir de discuter de l’intoxication dans
les communautés radicales est répandu. Nous avons présenté
quelques critiques de bases de l’intoxication, accompagnées d’histoires issues de nos expériences, nous avons discuté du rôle de la sobriété et des individus sobres dans différents mouvements
radicaux de différentes époques et lieux, et avons essayé de faire de
notre mieux pour faciliter une discussion sur l’impact que la prise
de drogue et l’alcool avait sur les différentes communautés de lutte
représentées par les personnes présentes. Il y avait de nombreuses
personnes différentes dans la pièce, du straight edge râleur avec un
sweat-shirt « Fuck you for smoking » aux consommateurs et
consommatrices de drogue et d’alcool intransigeants qui défen-
daient farouchement leur choix, et par moment, l’antagonisme
rejaillissait. Mais globalement, la plupart des participant-es
semblaient juste reconnaissant-es d’avoir un espace pour faire part
ouvertement de leurs frustrations, a la fois vis-à-vis de l’emprise
de la culture de l’intoxication dans leurs scènes et du caractère
inadéquat des milieux straight edge et de leur esprit de chapelle
moralisateur comme alternative viable. Nous avons distribué des
copies de « Wasted Indeed ! » et « Vers un monde… » et encouragé
tout le monde à continuer les discussions dans leurs milieux. En
fin de compte, nous avons été surpris-es du succès de cet atelier et
en sommes sorti-es encouragé-es par l’enthousiasme mis en œuvre
pour aborder ces problématiques de maniere constructive.

Depuis, des ateliers et des discussions sur l’intoxication et
la sobriété ont surgi de plus en plus fréquemment à des rassemblements radicaux. Des gens se sont retrouvé-es pour discuter de cette problématique lors d’événements allant de la Richmond Zine Fair,
à la Crimethlnc. Convergence, du C.L.I.T. Fest (un festival
féministe punk) au Earth First ! Rendez-vous et de nombreux autres.
J’ai personnellement participé à la facilitation des ateliers à deux
rassemblements queer/trans radicaux, la Florida United Queers
and Trannies conference et la Southern Radical Queer and Trans
Convergence en Caroline du Nord ; cette dernière était un
rassemblement entièrement sobre, c’est la première conférence
spécifiquement queer/trans a le faire dont j’ai entendu parler, et a
notre surprise les organisateurs et organisatrices reçurent un
soutien quasi total des participant-es qui respectaient les accords
d’abstinence de drogue et d’alcool. De plus en plus de
rassemblements créent des espaces sobres pour les personnes qui
en ont envie ou besoin, en encourageant des événements sociaux
où l’abstinence de drogue et d’alcool est de mise, et en incluant des
discussions autour de la consommation d’intoxicants dans des
discussions plus larges sur le consentement et le respect. Cela
représente un mouvement subtil, mais important dans la culture
radicale vers la remise en question de l’ancrage de la culture de
l’intoxication et de laisser de la place à la sobriété radicale sans
l’imposer comme norme de manière verticale.

Curieusement, la plupart de ces discussions et de ces espaces dans
lesquels j’ai pris part n’utilisaient pas le mouvement straight edge
comme cadre de départ pour conceptualiser le choix d’être sobre. En
fait de nombreuses personnes disaient des trucs du style : « Je ne suis pas straight edge, mais… » pour expliquer leur choix de sobriété, ou de positionnement critique vis-à-vis de la culture de
l’intoxication, ce qui révèle les associations péjoratives que gardent
nombre de punks et d’anarchistes états-unien-nes à l’égard du
mouvement straight edge. Je pense qu’il est prématuré de sonner la
mort de ce mouvement, ou de commencer à parler de sobriété
radicale « post-edge » - je pense que cette brochure indique
clairement que ce mouvement détient toujours du pouvoir et de
l’importance pour beaucoup de personnes dans le monde. Mais il est clair que nous devrions inclure un éventail de moyens de potentiellement forger des identités de sobriété radicale, en y
incluant le straight edge, mais sans s’y limiter. Pour moi, peu
importe la relation qu’on a avec le phénomène straight edge, les
critiques sous-jacentes et les perspectives alternatives positives
restent aussi importantes aujourd’hui qu’elles l’étaient a l’époque
de Minor Threat. J’espère que ma brochure, cette anthologie [17] et toutes les conversations qui en découleront pourront nous aider à
trouver les outils qu’il nous faut pour combattre becs et ongles la
culture d’oppression et de domination sans jamais oublier de
s’aimer et de se soutenir les un-es les autres le long de cette voie.

[1Le titre original, Towards a less fucked up world, comporte un jeu de mot difficilement traduisible en français : « fucked up » signifie autant « défoncé » dans le sens d’être sous l’influence d’une substance psychotrope, que « merdique », « pourri », etc. qualifiant ici plus globalement le monde, la société.

[2Lieu ou espace engagé à respecter certaines conditions d’accueil matérielles et humaines par rapport aux lieux habituels, de par un certain nombre de prises de positions réfléchies en amont.

[3Contraire de sexe-positif, ou pro-sexe, terme issu de la vague de féminisme sexe-positif qui émergea au début des années 1980 aux États-Unis lors des débats virulents internes au mouvement féministe sur la sexualité, la pornographie, etc., sujets toujours clivants aujourd‘hui. Les féministes sexe-positives considèrent que les activités sexuelles consenties sont fondamentalement saines et agréables, et ont toute leur place dans le mouvement d’émancipation des femmes.

[4[Note de l’auteur-e] Pour clarifier : le fait que j’appelle les hommes qui boivent de l’alcool à analyser leur comportement ne sous-entend pas que les mecs sobres soient généralement tirés d’affaire, non susceptibles d’agresser sexuellement, ou exempts d’examiner nos conditionnements liés au consentement et a la sexualité. C’est terriblement élitiste si l’on considère que cela met les hommes sobres (et en particulier moi) sur un niveau inférieur de culpabilité et de responsabilité, et cela implique dangereusement que nous pourrions nous permettre, en quelque sorte, d’être moins vigilants vis-à-vis de notre capacité à violer les limites des autres. Chacun-e d’entre nous, quel que soit son genre, sa sexualité ou son usage d’intoxicants, a été élevé-e dans une Culture du viol, et en particulier les personnes socialisées en tant qu’hommes qui ont été exposées à des messages nocifs de masculinité et de sexualité violente. Bien que l’alcool, ainsi que le lien que les médias entretiennent entre masculinité et intoxication, peut être utilisé par les hommes comme outil facilitant cette culture du viol, choisir ou non de boire ne nous rend pas moins exposées à la socialisation que nous avons reçue et n’enlève pas la nécessité d’avoir un regard critique sur notre pratique du consentement et la sexualité.

[5Aux écrans.

[6Notamment dans les chansons « Straight edge » et « Out of step ». Bien que beaucoup de personnes aient trouvé dans leurs paroles une inspiration pour un autre mode de vie, le groupe de Washington DC
affirmera de nombreuses fois n’avoir jamais voulu créer un mouvement, quel qu’il soit.

[7L’âge légal pour boire de l’alcool aux USA est 21 ans.

[8Consommation massive d’alcool en un temps restreint.

[9Grandes chaînes de magasins.

[10Fonds Monétaire International.

[11Frederick Douglass, né esclave, réussit à s’enfuir. et devint orateur et abolitionniste. L’un de ses livres les plus célèbres a été traduit en français sous le titre : Vie de Frederick Douglass, esclave américain, aux éditions Lux.

[12Littéralement, villes ivres, ou villes d’alcooliques.

[13« Alcohol Beverage Control », magasins d’État de revente d’alcool.

[14Infections sexuellement transmissibles.

[15Quand l’auteur-e parle d’« individualisme farouche », il critique l’individualisme néo-libéral,
mais il semble cependant pertinent de rappeler l’existence d’un mouvement du XIXe-début XXe,
l’individualisme libertaire/anarchiste. Nombre d’entre eux ne consommaient ni alcool ni tabac, et
faisaient de la propagande contre ces substances qui faisaient des ravages y compris chez les anarchistes.

[16En anglais, il s’agit du titre : Towards a less fucked up world.

[17L’auteur-e fait allusion à l’anthologie Sober for the Revolution : Hardcore Punk, Straight Edge, and Radical Politics (PM Press) qui contient le présent texte et sa postface.


)

L’auteur-e :

Nikita Riotfag s’organise depuis une vingtaine d‘années dans les communautés radicales, notamment contre les
violences sexuelles. Iel a fait partie de blocs queers et de groupes affinitaires dans de nombreuses mobilisations de masse, en Caroline du Nord et dans l’état de New York, et a organisé, entre autres le Sweaty Southern Radical Queer and Trans Convergence en 2006.

Ses écrits, autour de la sobriété, du consentement et de la sexualité sont apparus dans une grande variété de brochures et d’anthologies, tels que Learning Good Consent, Mon edge est tout sauf straight, Accounting For Ourselves et de nombreux autres.



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