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Récit du mouvement dit anti-CPE à Lyon

mis en ligne le 20 novembre 2007 - Anonyme

"Si t’es contre le CPE, tape dans tes mains"...

Le mardi 7 février, première manif à l’appel des centrales syndicales, entre 5-000 et 15 000 personnes, peu d’étudiant-es. À ce moment, les réunions d’information sur le CPE organisées à la fac Lyon II [1] par les syndicats étudiants regroupent péniblement une centaine de personnes, assez vite saoulées par les discours des apprentis tribuns des diverses tendances gauchistes locales (UNEF, FSE – qui rassemble d’assez intéressants spécimens staliniens au sens propre du terme – LO, LCR). L’AG interpro à la fin de la manif est un peu bordélique, mais arrive quand même à tomber d’accord pour appeler à une manif le jeudi.

Le mercredi l’affreux Villepin viole les nobles principes démocratiques qui veulent que ce ne soit pas un type qui décide tout seul de la vie de 60 000 000 d’administré-es, mais 500 délégués du peuple, en utilisant le fameux « 49-3 ». Malheureusement il semble que le peuple lyonnais ne soit pas prêt à prendre les armes pour défendre la république en danger, et seul un millier de personnes manifesteront le jeudi ; au cas où l’esprit des Canuts et de Jean Moulin se serait subitement réveillé [2], la préfecture avait fait suivre le cortège par une quinzaine de véhicules de flics, préfigurant l’important dispositif porcin qui allait être une constante des manifs lyonnaises. Dans le genre « tous ensemble, tous ensemble, ouais ! ouais ! », on notera aussi la présence (timide) du PS et d’un SO relou.

Le rythme manif mardi-jeudi se met gentiment en place, et le 14 il y a à peu près autant de monde que le 9, essentiellement des lycéen-es, quelques étudiant-es, pas forcément les mêmes qui étaient à l’AG UNEF-SUD-FSE du matin à la fac de Bron [3]. Pas vraiment de syndicat sauf la CNT (présente à toutes les manifs). On peut assister à un concours du cortège le plus affligeant qui oppose l’UNEF à sa petite soeur lycéenne : une dizaine de diant-diant semble vraiment (c’est ça le pire) se faire plaisir avec des « si t’es contre le CPE tape dans tes mains », tandis que la FIDL nous a gracieusement envoyé de Paris un camion sono et un Gentil Organisateur qui passe de la soupe à la mode à des lycéen-es qui ne savent pas encore qu’une manif qui déborde est incomparablement plus festive qu’une boîte de nuit.
Le lendemain, mercredi 15, une centaine de personnes se retrouvent devant le rectorat pour « accueillir » le ministre de Robien. Même si la plupart sont encartées et que les flics sont plus nombreux, le principe de l’« action » était intéressant : pas de délégation, on ne veut pas discuter, on veut bloquer...

Le même jour, circule un appel à se rassembler le lendemain matin pour débrayer des lycées. C’est écrit : « si ça ne marche pas cette fois, on recommencera ». Le matin on doit bien être 7 ; on recommencera...

Le jeudi 16 après-midi, même manif que le mardi, puis tout le monde part au ski pendant deux semaines, fin du premier acte (attendez, partez pas, ça a pas l’air terrible jusqu’ici mais après ça s’améliore !).

C’est (re)parti !

On reprend le 7 mars, avec le « temps fort syndical ». 15 000 personnes dans la rue, gros cortège rouge et noir (500 personnes). L’AG qui suit à la bourse du travail désigne un « comité de lutte », et appelle à des « actions dont les modalités restent à déterminer », tout ça autour du mot d’ordre « retrait du CPE ». Dans les jours qui suivent, en marge des AG à la fac de Bron, un groupe se charge de mettre en place une action dite « anti-medef », au sens large, c’est-à-dire qu’elle pouvait frapper les intérêts du patronat où qu’ils se trouvent (bon ok, c’est pas tout à fait comme ça qu’elle a été présentée). Toujours est-il qu’a circulé un appel à occupation d’un « bâtiment symbolique » pour le lundi 13. Les termes de l’appel sont assez intéressants pour illustrer à la fois l’évolution du mouvement et ses différentes tendances : l’action se devait d’être « non-violente », mais se trouvait justifiée par le principe « sans justice, pas de paix » ; les revendications ont été étendues au CNE, à la précarité, au retour du statut de pion dans les collèges et lycées et au soutien aux révoltes populaires de novembre !

Le lundi matin 70 personnes se retrouvent à Bellecour, ainsi qu’une ou deux caméras et un ou deux RG. Ça part en footing sur quelques centaines de mètres, ce qui affole plus les journaleux que les keufs, direction le local de l’UMP rue Herriot. Là un groupe de complices est déjà dans la place [4], donc une partie des joggeur-es peut investir les lieux. Les occupant-es ne savent pas trop quoi faire une fois rentré-es, le choix étant largement restreint par la présence des caméras (journaliste et flic ; journaliste = flic...). Certain-es balancent les affiches de Perben et Sarkozy par les fenêtres – affiches que celleux qui sont resté-es en bas se chargent de brûler, d’autres exproprient une caisse de rouge et des bombes de peintures.

Comme les flics ne semblent pas être prêts à intervenir, et que le groupe d’occupant-es préfère ne pas les attendre, tout le monde se regroupe et défile joyeusement sur quelques centaines de mètres, pour se retrouver place de l’Opéra. La cible la plus proche est alors l’agence ANPE Terreaux, et un conseil improvisé est en train de se mettre d’accord pour aller y faire un tour quand une demi douzaine de voitures de flics débarquent. Là ça va très vite, les condés commencent à encercler, quelques manifestant-es descendent dans une bouche de métro, un keuf cravaté gueule à ses gorilles blindés « arrêtez-les », et tout le monde s’envole vers les pentes de la Croix Rousse, sauf quelques personnes qui se font embarquer, faute de réaction collective et solidaire. Le temps pour les échappé-es de se regrouper et d’envoyer des émissaires à la fac pour rameuter les participant-es à l’AG pour venir soutenir les camarades enfermé-es, et quelques dizaines de personnes se rassemblent devant le commico du premier arrondissement. Les flics s’y attendaient pas, et il n’y a pas de comité d’accueil, ce qui permet à deux trois énervé-es de mettre des coup de lattes dans la porte fermée, avant que quelques keufs sortent et se postent devant l’entrée. « Libérez nos camarades », « les enfants de Cayenne », « l’Internationale », « police nationale, milice du capital », les assiégeant-es révisent leurs classiques. Enfin, environ une heure après, une centaine de personnes arrivent de la fac, renforçant la pression. Les « leaders étudiants », qui n’ont évidemment pas participé à l’action, profitent de la présence des journaleux pour accroître leur capital médiatique en donnant des interviews ; les flics prennent des photos depuis les étages et renforcent leur présence devant le bâtiment (il semblerait qu’un troupeau de lardus ait été interrompu dans sa séance de natation pour venir filer un coup de main à leurs collègues). Le secrétaire départemental de FO intervient en faveur de la libération des 8 personnes interpellées, poursuivies pour violence (imaginaire) envers un umpiste, dégradation et vol (le carton de vin). La maire du premier arrondissement vient faire sa belle devant les caméras et s’entretenir avec le condé-en-chef. Finalement, les 8 sont relâché-es au compte goutte, et la plainte pour violence est abandonnée. À ce jour (février 2007), pas de nouvelles de poursuites judiciaires.

"La fac, faut qu’ça rock"

Sentant le mouvement s’intensifier, et après avoir participé au début d’occupation de Bron, un groupe d’une dizaine de personnes décide le lundi soir d’aller occuper Lyon II sur les quais. Rien de bien compliqué en fait : passer deux trois coups de fils, attendre gentiment que le dernier cours de l’amphi choisi se termine, y entrer, et une fois que les derniers étudiants sont sortis, barricader. Là on peut faire la teuf un petit moment, genre boire les bouteilles de l’UMP (pas à la hauteur de ce qu’on pouvait imaginer il faut bien le dire) avec certaines des personnes arrêtées pour fêter leur sortie.

Et ensuite les choses sérieuses commencent avec l’arrivée de la BAC qui tourne autour de la fac, puis du président de l’université. Celui-ci est un peu énervé, d’autant plus qu’il avait négocié avec l’AG qu’il n’y aurait pas d’occupation de nuit, en échange de l’arrêt de la pénalisation des absences et du contrôle continu ; c’est bête les occupant-es n’étaient pas à l’AG...

Voyant que cet argument (la menace ne sera d’ailleurs pas mise à exécution) n’a pas l’air de les convaincre, Puech (le président), commence à parler d’intervention des forces de l’ordre, mais se ravise finalement quand les occupant-es récupèrent des barrières de chantier pour monter des barricades. À la retraite quelques jours plus tard, il n’a visiblement pas envie de finir son mandat avec l’assaut de sa fac assiégée. Donc il finit par se barrer, expliquant que si le lendemain des dégradations sont constatées il virera tout le monde (mais à force de pas tenir ses promesses de répression il est de moins en moins crédible).

Du coup pendant la nuit ça discute de la suite à donner à l’occupation, ça renforce les barricades devant les portes de l’amphi avec le mobilier des salles de cours, et ça prépare l’accueil des étudiant-es le lendemain. Une grande banderole festive « la fac, faut qu’ça rock » sur la façade et une plus agressive « si tu cherches un emploi stable, la police recrute » dans le patio sont déployées, et une pancarte à l’entrée de l’amphi indique que les occupant-es se reconnaissent dans la tendance « ni cpe, ni cdi » du mouvement.

Pendant la nuit il a semblé que c’était une bonne idée d’occuper « l’amphi le plus classe de Lyon » (Laprade pour les connaisseur-es), mais au matin il s’est avéré que dans l’amphi le plus classe de Lyon, c’est les étudiant-es les plus abruti-es et les plus bourgeois-es de Lyon qui ont cours. A part quelques un-es qui semblent intéressé-es par la transformation de leur salle de cours en dortoir, cuisine et lieu d’activité (projection prévue l’après-midi), la grande majorité est clairement hostile (même une connasse avec un sac « che guevara »). Matinée éprouvante pour les occupant-es : se taper des discussions stériles avec des fils et filles de bourges au réveil après deux heures de sommeil c’est pas la joie, heureusement qu’il y a leur gueule déconfite devant l’impossibilité d’aller en cours (l’horreur !), et quelques perles dans la conversation (« La misère ça se vit tout seul. Moi j’ai d’la thune et j’vous emmerde »).

L’après midi du mardi 14 a lieu une AG sur les quais, mais celle-ci est investie par les étudiant-es vénères que leur amphi soit occupé, et l’UNI peut même s’y faire applaudir, sans que ça ne choque outre mesure ceux et celles qui sont sensé-es être là pour organiser une lutte. L’AG (environ 300 personnes) vote donc la fin de l’occupation de l’amphi, dont les protagonistes partent dégouté-es, après avoir essayer de botter le cul d’un mec de l’UNI pour se défouler. Pour parfaire son ridicule, l’AG vote aussi le « blocage filtrant » (un an après j’ai toujours pas compris en quoi ça pouvait bien consister) et un appel à la grève des IATOS (tiens j’aimerais bien voir la réactions des diant-diant-es si les IATOS les appelaient à faire grève en solidarité, nan mais y doutent de rien...).

Le point positif c’est que le matin l’AG de Bron a voté le blocage avec occupation, sûrement boostée par la prise de Laprade. En plus l’administration déclare la fermeture administrative des campus de Bron et des quais, sans qu’on sache exactement à quoi c’est dû : une nana qui se serait blessée en essayant de franchir une barricade à Bron, l’occupation sauvage des quais ou les rumeurs de débrayage par la manif lycéenne de l’après-midi...

Dans les lycées, ça swing grave

Chouette manif d’ailleurs, puisque la FIDL et l’UNEF, qui y avait appelé initialement ont finalement renoncé à y participer, du coup il y avait quand même environ 150 personnes, essentiellement des lycéen-nes, sans SO et sans trop de flics. Donc ça part de Bellecour bien dynamique, sans parcours déposé à la pref’, ce qui permet d’aller débrayer un premier lycée (Récamier à Perrache). Pas de casse à l’intérieur, il faut dire que y’a pas mal de caméra et d’appareil photo journalistico-policiers.

Ça repart sur Ampère Bourse, sauf que là l’administration a fermé la porte d’entrée. Qu’à cela ne tienne, les manifestant-es attendront l’heure de la sortie. Mais l’administration a prévu le truc : elle se sert du sas d’entrée, que les manifestant-es investissent aussitôt la porte ouverte. Après avoir pété une caméra de surveillance et mis deux trois coups de pied dans la deuxième porte, la solution vient d’un lycéen habile qui avec son couteau suisse l’ouvre en douceur. Donc ça part joyeusement en courant dans les couloirs, ne tenant pas compte des récriminations des proviseurs et CPE du lycée. A bout d’un moment, après avoir fait le tour de toute les salles [5], le mot passe que l’administration veut enfermer les manifestant-es à l’intérieur en attente des flics. Une porte arrière donnant sur les quais a permis à tout le monde de se barrer avant, à ma connaissance.

Pendant ce temps, l’AG de l’IEP se prononce pour le retrait du CPE et du CNE...

Fac occupée, fac libérée

Le mercredi 15 mars, Lyon II est donc fermée administrativement, mais les étudiant-es négocient avec la présidence la réouverture pour pouvoir occuper. Cette dernière accepte à condition qu’un seul amphi soit occupé la nuit, l’amphi Cassin, isolé des autres bâtiments, et laisse les bâtiments stratégiques fermés (BU, cafeteria, resto U, salles informatiques).

Du coup le soir quelques dizaines de personnes dorment sur place, et sont rejoints par 200 autres au matin, pour bloquer totalement ce campus réputé imblocable. Finalement, cadenas, mobilier, poubelles et sabotage auront raison de l’architecture préventive de ceux qui dans les années soixante-dix croyaient avoir trouvé la réponse aux mouvements étudiants. Une seule entrée est laissée libre pour permettre d’assister aux activités (projection, bouffe, débats...).

Il y a peu de tensions avec les anti-bloqueurs, une partie des étudiant-es venu-es pour aller en cours rejoignant l’occupation et une autre promettant de revenir aux manifs. Les seules oppositions sont le débloquage d’un amphi, vite rebloqué, par des étudiant-es de l’IUT et un feu de poubelle déclenché par des militants de l’UNI ( !). Suite à ces quelques incidents, un service de sécu est mis en place, et les « patrouilles anti-uni » et les checkpoints où des gens tapent le carton donnent un petit côté « guerilla sud-américaine » assez sympathique, manquent plus que les casquettes militaires et les kalachnikovs. Sinon, les activités à l’intérieur c’est les diverses commissions, les films, les débats, un training « comportement en manif », et quelques guitares avec leur chevelu.

Ce jeudi 16 les lycéen-nes de Sembat à Vénissieux débrayent, et viennent rendre une visite à la fac occupée à Bron. L’UNEF panique, prévient la sécurité de la fac pour des soi-disant bris de rétro sur le parking, et celle-ci appelle les flics pour des voitures en feu ! Les condés rappliquent en nombre, (4 voitures, 5 camions, plus deux BAC), et l’occasion est à nouveau manquée de créer de véritables liens entre les lycéen-nes dynamiques et les étudiant-es structuré-es. Alors qu’il semblerait que seul quelques dégradations des locaux soient « à déplorer », l’AG diant-diante (1000 personnes) votera quand même une motion dénonçant la casse (et se prononcera contre la violence en manif)...

La reconduite du blocage est aussi votée, ainsi que la négociation (avec la CGT ?) pour obtenir des trains gratuit pour aller à la manif centrale à Paris, la demande de réouverture des bâtiments fermés par l’administration, l’affirmation du soutien réciproque avec l’AG des personnels de la fac, le débrayage de Lyon III, et le fait que le mouvement continuera même en cas de retrait du CPE. Le même jour l’AG de l’IEP vote le blocage, mais la présidence décide d’une fermeture administrative.

Syndicats gestionnaires : "des fanions, pas des réunions"

La manif de l’après-midi rassemble 8000 personnes, et un certain nombre d’étudiant-es ont décidé de former un cortège « ni cpe ni cdi » (« le CPE on s’en fout, on veut plus de patron du tout »), juste devant celui de la CNT. À nouveau les flics sont massivement de sortie, encadrant les cortèges lycéen et « -anar » avec des rangées de civils.

Dans cette manif, comme dans d’autres, FO joue la récup’ à fond, distribuant allègrement drapeaux et autocollants, heureusement vite détournés (la plupart des autoc’ sont collés après avoir déchiré la mention FO et certain-es lycéen-nes ne gardent que l’anse des drapeaux !).

A l’arrivée place Guichard, la bourse du travail est fermée par la CGT par craintes de débordements, donc pas d’AG post-manif. Du coup des lycéen-nes continuent la manif pour aller bloquer le tram. Illes se font vite encercler par les keufs et le SO de l’UNEF empêche le reste des manifestant-es de les rejoindre et de les soutenir !

Ça bouge à Lyon2, ça frémit ailleurs

Le vendredi le blocage de Bron tient bon, une centaine de personnes y ont dormi, 300 les rejoignent le matin.

Lyon1 commence à bouger, un peu : un communiqué annonce que « Le président soutient inconditionnellement le mouvement. Les étudiants sont dispensés de TD pendant les AG et manifs. » ( ! ).

A Lyon3 , un comité de mobilisation est formé, et il y a des barrages filtrant à l’entrée de la fac... tenus par la sécu... (dans ce cas là je vois bien ce que c’est un barrage filtrant par contre). Pour donner une idée de l’état de la mobilisation dans cette fac, il suffit de dire que là-bas l’UNEF est quasi clandestine car considérée comme subversive, les moyens d’action qui lui reste sont de proposer le port d’un « brassard anti-CPE »...

L’AG de Lyon2 est toujours aussi schizophrène, elle vote en vrac :
 le fait que des délégués de syndicats patronaux puissent assister aux AG, si réciprocité !
 une motion « anti-bureaucrate » (rotation de la tribune)
 le démarchage des syndicats cheminots pour les trains pour Paris et une demande d’aide financière à la mairie.
 un appel aux lycéens et banlieusards pour les manifs.
 le maintien du SO (de justesse après l’attitude du SO UNEF le jeudi, l’AG lui demande quand même des excuses...)

La première vitrine, la première grenade, la première barricade...

La manif du samedi 18 mars est la plus grosse à Lyon jusqu’ici, avec environ 25 000 participant-es (dont un millier dans le cortège rouge et noir).

Mais c’est surtout l’après manif qui est particulier : juste à l’arrivée place Bellecour, laissant à peine le temps aux syndicats de remballer leur matos (alors qu’une AG devait se tenir en plein air avec la sono de la cégèt’), avait lieu une manifestation de nationalistes turcs contre la reconnaissance du génocide arménien. Environ 5000 personnes, avec des drapeaux turcs et français et des pancartes négationnistes, faisant le signe du mouvement fasciste turc des « loups gris », se massent sur le centre de la place. Plusieurs centaines de manifestant-es « anti-CPE » expriment leur hostilité, et un important cordon d’une bonne centaine de gardes mobiles s’interpose entre les deux.

La tension monte, les nationalistes turcs tentent plusieurs fois de charger les contre-manifestant-es, mais sont retenus par leur impressionnant SO (c’est pas très agréable d’être protéger par un SO et des flics, mais il faut bien avouer que sans ça on se serait fait rétamer). Finalement les mobiles repoussent les contre-manifestant-es à coup de lacrymo pour permettre aux fascistes de défiler (en parlant de fascistes, un petit groupe de spécimens locaux se trimbalait aussi dans le coin, attendant on sait pas trop quoi).

La contre manif suit le parcours dans des rues parallèles, pour arriver aux Terreaux, où la tension monte encore d’un cran : les nationalistes balancent les chaises des terrasses, une vitrine tombe, des petits groupes de lascars du quartier et de manifestant-es du matin commencent à monter une barricade sommaire rue Romarin, profitant de l’occas’ pour affronter les flics, et ils sont soutenus par certain-es habitant-es qui leur ouvrent les portes des traboules pour leur permettre de se barrer lors des charges de gardes mobiles. Plusieurs personnes se feront tout de même arrêtées côté « anti-CPE », accusées d’avoir balancer une barrière de chantier sur les keufs. Devant le caractère manifestement arbitraire de l’arrestation de deux d’entre elles, et la mobilisation de quelques personnes venues chercher de leurs nouvelles au commico, elles sortiront après une nuit de garde-à-v’ et avec une convocation en maison de justice pour octobre, où elles seront condamnées à une amende de quelques centaines d’euros.

Première manif qui déborde à Lyon, même si c’est dans des conditions particulières.

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À Bron le blocage tient, malgré la présidence

Côté diant-diant, pas grand chose à signaler pour le mardi 21 mars : l’AG revote l’occupation de nuit, Puech menace de faire intervenir les CRS. On peut quand même noter que les questions du contrôle bureaucratique des AG et du rôle du SO se posent de plus en plus. Les négociations avec les syndicats pour avoir des trains gratos échouent, ces derniers préférant se concentrer sur les élections professionnelles qui auront lieu le jeudi. La SNCF veut bien affréter 3000 places, à un tarif à négocier, et le PS paierait le reste...

Coté lycéen, comme souvent, c’est plus intéressant : au moins 16 lycées touchés (bloqués, fermés ou perturbés), et une manif (environ 800 lycéen-nes, 200 étudiant-es) qui excite les flics (une dizaine de voitures dont deux avec caméras, 3 fourgons, une cinquantaine de civils en tout genre).

Le 22 mars (certain-es étudiant-es cultivé-es notent l’anniversaire), la situation est contrastée suivant les facs : à Lyon I, les étudiant-es décident de vendre des gâteaux pour financer le mouvement, une AG de 1000 personnes à Lyon III se prononce contre le CPE (victoire ! l’UNEF n’aura pas oeuvré en vain), l’IUT de Bron connaît la première AG de son histoire, l’IEP vote l’occupation de nuit, l’ENS (Ag de 200 étudiant-es sur 500) la grève interprofessionnelle, et joint sa caisse de grève à celle de Lyon II.

À Lyon II, la réaction met la pression : des rumeurs circulent d’une descente de l’UNI le lendemain à 9 h à la fac, soit pendant que tout le monde sera à la gare ou dans les trains, et la présidence envoie un petit mail à tout ses administré-es, reproduit ici in extenso, tellement il est caricatural (même la pref est moins répressive, puisqu’elle a refusé l’intervention des flics à la fac) : « Le campus de Porte des Alpes a été occupé la nuit du 21 au 22 mars.

Le concours des forces de police pour procéder à une évacuation a été, malgré les dangers pour la sécurité des gardiens et des lieux, refusé à l’Université.

Malgré la mise en place d’un important dispositif de blocage par une coordination étudiante au matin, les campus ont été ouverts ce mardi 22 mars. Le blocage a empêché une majorité d’étudiants de suivre leurs cours.

L’accès à leur lieu de travail a été refusé à certains personnels enseignants ou IATOS.

Jeudi 23 mars, l’Université sera ouverte. Il est demandé aux personnels enseignants et IATOS d’assurer leur service et aux étudiants d’exercer leurs droits dans le respect des libertés de chacun ». Ne dites plus « Bonjour monsieur le président » mais « Crève salope ! », comme on disait à l’époque...

"Tou-te-s à Paris !" (ou pas)

Un autre truc à plus dire, c’est « merci le PS » (enfin perso je l’avais jamais dit) : les crapules socialos ne financeront finalement que 380 billets pour Paris (la SNCF offrant gracieusement une réduction de 50%). Les buros qui ont valeureusement négocié vont pouvoir pratiquer leur clientèlisme habituel pour la distribution de ce maigre butin.

Seulement l’AG commence par voter que si c’est comme ça personne ne part à Paris. Et que tout le monde fout le bordel à la gare... heu enfin pas tout à fait, en fait elle vote le principe d’action « non-violentes » (on n’en sortira donc jamais !) sur la presqu’île. Mais, coup de théâtre, les buros débarquent avec leurs billets dans les mains, font revoter le truc, et obtiennent qu’ont les laissent distribuer l’os à ronger que leur à jeté leur grand frère socialo, au mépris de la réaction collective qui avait été décidé jusqu’ici. L’AG qui ne s’est toujours pas émancipée de la tutelle bureaucratique refuse de voter une dénonciation de ces petites manoeuvres ainsi qu’un communiqué expliquant que le PS et la CGT ont refusé d’aider le mouvement.

Le rendez-vous devant la gare est maintenu le lendemain, pour une tentative d’imposer directement la réquisition de trains, ou servir de point de départ aux actions du matin. Certains aimeraient même venir plus tôt pour empêcher les heureux élus de se barrer tout seuls avec les places PS, mais finalement ça se fera pas (tant mieux, qu’ils se barrent ces jaunes, on se marrera mieux sans eux).

Environ 1000 personnes se retrouvent devant la gare Perrache, traversent la galerie commerciale et sont bloquées à l’entrée de la gare par une maigre rangée de condés. Mais les boucliers-matraques-lacrymos semblent plus convaincants et convaincus que les capuches-foulards, donc il n’y aura pas d’affrontements directs à ce moment là. Quelques camarades à casquettes essaient pourtant d’initier les étudiant-es à leur pratique offensive, et à une certaine conception pragmatique et radicale du rapport avec les forces de l’ordre (un lascar, parlant des CRS : « eux ils sont là parce qu’on leur a donné des ordres, nous on sait pourquoi on est là, on est déterminé, on est plus fort qu’eux »). L’arrivée des renforts porcins empêche de justesse l’invasion des voies par une entrée de côté, et les manifestant-es en sont réduit-es à gueuler des slogans, qui se radicalisent avec le niveau de confrontation, et visent aussi bien l’ennemi du moment (la SNCF), que les ennemis structurels que sont l’Etat, les flics et les patrons.

Tout cela ne reste tout de même pas juste symbolique, puisqu’un cheminot syndiqué (à sud ou la cégèt’) informe par téléphone les manifestant-es depuis l’intérieur que tous les trains ont été détournés vers la gare de la Part Dieu.
Une fois qu’il a été clair que la pseudo négociation de la SNCF ne servait qu’à gagner du temps, le cortège s’est rassemblé à nouveau sur la place Carnot. Il semblerait qu’à ce moment une personne ait été arrêtée, mais il n’y a pas plus d’information.

Les buros étant partis à Paris ou rentrés chez eux se préparer pour la prochaine AG, l’auto-organisation s’impose, et les manifestant-es font l’expérience des prises de décisions collectives. Le débat porte sur le choix stratégique de retourner défendre la fac contre une possible descente de l’UNI (des rumeurs circulent depuis la veille), de faire une manifestation sauvage sur la presqu’île ou de viser plus particulièrement le blocage économique. Finalement, sans qu’il soit besoin d’un vote, c’est plutôt la troisième solution qui est retenue, avec dans l’idée de bien montrer aux autorités que le mouvement se constitue en une véritable force, capable de frapper leurs intérêts (« on va leur faire regretter de ne pas nous avoir laisser les trains gratos, le prochain coup on les aura »).

Les plus motivés définissent une cible, le mot circule, et tout le monde part en courant direction le périph’. Les voies sont vite occupées, certain-es commençant à les bloquer avec les blocs de béton armé qui délimitent la chaussée. Les flics arrivent, passent sous la bretelle où sont les manifestant-es, et la tentation est grande de s’en faire un ou deux à coup de blocs de béton, mais manifestement le niveau de conflictualité n’en est pas là à Lyon.

Les étudiant-es pacifistes se laissent encercler en bêlant « la police avec nous » ou un truc dans le genre, et la plupart des autres se barrent par un talus, certains jetant quand même quelques morceaux de bétons aux condés. Les pacifistes se font gazer. Le sérum phy de ceux et celles qui savent que la police n’est pas avec nous circule.

Finalement, tout le monde (environ 2000 personnes) se retrouve place Carnot, et ça part en manif sauvage, qui tente de débrayer un lycée, mais les flics sont sur place et trop nombreux.

Arrivé sur le pont de la Guill’, des manifestant-es matérialisent le clivage qui existe entre eux et les forces de l’ordre au moyen de barrières de chantier. Les CRS balancent les lacrymos, que quelques personnes équipées (foulard lunettes etc) tentent de leur renvoyer, et chargent. Le cortège et coupé en deux, mais se réunifiera vers Lyon II, pour continuer à défiler, sans chercher l’affrontement avec les flics, mais en essayant plutôt de les balader, et en retardant leur avancée en balançant sur la route tout ce qui lui tombe sous la main (containers à verre, panneau de signalisation, barrières...).

Au bout d’un moment, on voit réapparaître les petits chefs buros, qui se pointent d’on ne sait où et qui se placent tout naturellement en tête de cortège, avec leur mégaphone. On voit même des abrutis qui s’imaginent reformer un SO et canaliser la manif en faisant la chaîne ! La manif perd donc peu à peu de son intérêt (d’autant que la présence policière est de plus en plus massive), et finit par se dissoudre place Guichard, après que tout le monde s’est donné rendez-vous pour la manif « officielle » de l’après-midi.

Quelques gamins qui sortent de leur collège aimeraient bien que ça ne s’arrête pas là : « hé, vous voulez pas retourner notre collège aussi ? ».

La jeunesse emmerde la police nationale

Côté lycéen, ça s’agite aussi pas mal ce jeudi 23 : dans le quartier des Etats-Unis, comme la veille, les lycéen-nes manifestent dans leurs rues, et sont assez violemment réprimé-es par les condés, mais sont soutenu-es par la population qui voit d’un mauvais oeil l’occupation policière du quartier.

Quelques échauffourées ont lieu dans la journée entre les jeunes casseurs et les forces de l’ordre, comme on dit à la télé. Au lycée Diderot, les élèves ont décidé de bloquer la route devant leur établissement à 13h. Les CRS sont présents, et négocient que s’il n’y a pas de jets de projectiles (certain-es lycéen-nes commençant à s’équiper...), ils n’utiliseront pas leurs matraques, leurs flash-balls, ni leurs lacrymos. Évidemment on sait ce que vaut une parole de flic, et la commissaire justifiera la charge avec armes par un « ça vous apprendra à respecter la loi », sans qu’on sache vraiment si c’était ironique ou non...

Les lycéen-nes se sont réfugié-es lors de la charge dans leur lycée, sauf un qui a été arrêté, et les blessé-es ont été soigné-es à l’infirmerie.

Après les heurts du matin, la manif’ de l’après-m’ s’annonce tendue. Et en effet les flics et les SO sont sur les dents, notamment celui de la FIDL qui a recruté une bande de merdeux qui s’étaient déjà fait remarquer au début du mouvement en agressant des manifestant-es (c’est d’ailleurs à ma connaissance les seuls cas de ce genre à Lyon, rien à voir avec les descriptions médiatiques des hordes de lascars dépouillant tout sur leur passage). Des lycéens à casquettes courent dans tous les sens pour mettre les nerfs aux bakeux, qui arrivent finalement à les chopper. Le cortège s’arrête pour les soutenir, malgré les syndicalistes de l’UNSA (police ?), et réussit à les faire relâcher. Ça repart, les flics se sentent tout permis et circulent au milieu des manifestant-es en bagnoles, gazant ceux et celles, trop rares, qui tentent de les bloquer, alors que la BAC continue sa chasse à la casquette, non sans se faire légèrement caillasser au passage.

Six personnes sont arrêtées, mais cette fois la manif ne s’arrête pas, faute de réflexes de solidarité. Des étudiant-es tentent de bloquer la voiture sono de la cégèt’, et les CRS profitent du flottement pour couper le cortège en deux. La CGT, sous la pression, contacte ses dirigeants départementaux et commence à négocier avec les keufs la libération des personnes arrêtées, mais finalement elle force le passage et repart. Trois personnes sur les six sont libérées.

La manif continue dans ce climat de tension jusqu’à la place Guichard, où les manifestant-es décident après discussion d’aller jusqu’au palais de justice à une centaine de mètres pour réclamer la libération des personnes interpellées. Seulement les condés profitent de l’agencement de la place (une sorte d’arène avec deux entrées) pour encercler la manif et la disperser. Les lycéen-nes commencent par fuir devant la charge, puis reviennent, certain-es balançant quelques trucs aux flics, plus par rage que dans un réel but d’affrontement.

Ça charge un peu dans tous le sens, la BAC s’en donne à cœur joie, usant des flash-ball (parfois à 2 m et dans le dos) pour les lascars et des lacrymos pour les autres. Il y a au moins vingt cinq interpellations, et une permanence est mise en place devant Marius Berliet (le commico central) pour attendre la sortie des personnes arrêtées et des coups de fils sont passés à tous les postes de police pour avoir de leurs nouvelles. À ce moment, l’activité anti-rep’ n’est pas vraiment organisée, et est plutôt prise en charge par des personnes de la mouvance libertaire ayant un peu d’expérience en la matière (notamment des gens de l’association témoins). Une des personnes arrêtées ce jour là, accusée de jets de pierre sur les forces de l’ordre, s’est vue convoquée au tribunal en octobre après une nuit de garde-à-vue, et a finalement été relaxée.

Triste démocratisme étudiant et joyeuse agitation lycéenne

Pas grand chose à signaler le vendredi 24 du côté de la fac, et pour cause, la journée est parasitée par l’inévitable débat en AG entre bloqueur et anti-bloqueur. Le seul point positif de ce petit jeu démocratique de la course à la légitimité, c’est la possibilité de se marrer en écoutant les « propositions alternatives » des anti-bloqueurs, qui n’empiéteraient pas sur leur « droit à étudier » : grève de la faim géante sur le parking de la fac, occupation de la pref, du medef ou de l’hôtel de ville. [6] ! Dommage que le mouvement ne soit pas allé jusqu’à l’annulation des examens, on aurait pu assister au joyeux spectacle de braves apolitiques réclamant qu’on pende Villepin avec les tripes de Sarkozy plutôt que de les empêcher de décrocher leur diplôme...

Pour se rendre bien compte à quel point le débat sur le blocage a été hypertrophié et a concentré toutes les énergies, on peut citer l’exemple de Lyon III, où le maigre comité de mobilisation n’envisageait même pas la mise en place de ce type de pratique, et où c’est le camp des anti-bloqueurs qui a imposé que cette question soit votée, avec urnes et tout le folklore démocratique.

Encore une fois, c’est des lycées que sont venues les initiatives les plus intéressantes en cette journée du 24 : plusieurs établissements sont bloqués, comme à Faÿs où les flics délogent par la force les élèves et personnels qui bloquaient l’entrée. Seulement, une fois l’accès dégagé, personne n’entre, même le facteur venu apporter un colis, comme au bon vieux temps où la dignité prolétarienne interdisait de franchir un piquet de grève.

À Vénissieux, une cinquantaine de lycéen-nes de Sembat-Seguin sont rassemblé-es devant les grilles, pour protester contre la répression policière de la veille. Leurs petit-es camarades de Jacques Brel entament au même moment une tournée de débrayage des lycées de la ville. Mais les CRS [7] s’interposent pour éviter la jonction, chargent à tour de rôle les un-es et les autres, gazent tout le monde et font une interpellation. Des lycéen-nes enfermé-es par la direction dans leur lycée foutent le feu à un camion sur le parking, et ceux et celles qui restent dehors pètent quelques rétros en se barrant devant la charge des CRS.

À Oullins, le lycée Jacquard est bloqué spontanément le mercredi 22, puis le blocage est reconduit avec cadenas les jours suivants. Le lundi 27, des lycéen-nes balancent des oeufs et des pierres sur les vitres de l’établissement, et les flics interviennent pour les disperser.

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Blocage, actions et manif de masse

Mardi 28, plusieurs établissements du secondaire sont bloqués, comme à St-Genis Laval ou Faÿs à Villeurbanne. Depuis ce dernier, une tentative de débrayage de Brossolette à la récrée s’organise, et parviendra à vider les cours d’une moitié de leurs effectifs. Il faut dire que l’administration met la pression sur les profs et les élèves et interdit la tenue des AG dans la cour. Des discussions ont lieu à propos de la tactique à adopter : blocage ou autres types d’action, mais il semble qu’à l’inverse des débats stériles des facs, ce soit vraiment de stratégie qu’il soit question ici, pas de « droit à étudier ».

De la même façon qu’à Villeurbanne, à Lyon le lycée Diderot bloqué est la base de tentative de débrayage, notamment de St-Ex’ qui est jusqu’ici peu mobilisé, et d’autres lycées qui sont barricadés mais par l’administration. Tout ça dans une ambiance de manif sauvage, sur le parcours de laquelle il semblerait qu’une moto ait été brûlée, et qui se disperse sous la pression policière.

D’après des témoignages sur Rebellyon de lycéen-nes en lutte, la mobilisation des profs n’est pas à la hauteur, et ils ne sont même pas capables de réagir à la présence de CRS en armes dans leurs établissements.

La veille, les étudiant-es organisaient une action « symbolique et sympa » (un dying au centre-ville)...

La manif du mardi 28 après-midi est l’une des plus massives à Lyon (40 000 personnes), mais le même jour on en compte 60 000 à Grenoble et 20 000 à Roanne (40 000 habitant-es). Pas grand chose à signaler à priori, à part un sauvageon remis à la police pour avoir shooté dans une poubelle, apparemment par le SO de la CGT mais il semblerait que ça puisse aussi être des flics avec des autocollants.

L’AG « interpro » (mais en grande majorité étudiante) qui suit la manif vote l’organisation d’actions pour le jeudi. Les intermittents entrent en piste, avec une action « farine sur la place des terreaux », mais aussi avec la volonté de dépasser les happenings symboliques (ça serait pas plus mal en effet...). Dans le 9ème arrondissement, des lycéen-nes tentent de bloquer Jean Perrin, puis mettent en place un piquet sur la route avec des barrières de chantier. Les CRS arrivent, les barrières sont levées mais les lycéen-nes font un sitting, et se font gazer fleur à la main sous l’oeil de la direction du lycée qui ne réagit pas.

À Lyon II, les anti-bloqueurs utilisent les listes mails de l’administration pour mobiliser, et un appel à défendre le blocage est lancé, en précisant que celui-ci n’est bien qu’un moyen de la lutte et pas sa finalité.

L’AG est égale à elle même : quelques initiatives intéressantes (affirmation de l’élargissement des revendications du CPE à la LEC [8] ; opération escargot au péage du périph’), des trucs bizarres ou qui n’ont pas trop de sens (demander aux centrales syndicales la grève générale et la démission de gouvernement ; diff’ de tracts sur les marchés et devant les boîtes [9] ; soutien scolaire aux lycéen-nes et le maintien du mouvement dans l’impuissance (refus de bloquer les voies de communications, de faire une manif qui arrive devant la CGT pour lui mettre la pression et d’exclure les syndicalistes policiers des SO unitaires !).

Heureusement que le comité action tient un peu la route : il y a quand même un appel à des actions le jeudi, dans lequel il est affirmé que « les manifestations ne suffisent plus », et qui ne porte plus l’habituel label « action garantie 100% non-violente ».

Rien à signaler le mercredi, à part que le blocage est revoté à Bron et que le camp des bloqueur-es se renforce.

Le jeudi 30 au matin, des lycéen-nes de Tarare tentent de bloquer leur lycée mais en sont empêchés par les CRS. Finalement, ils bloquent la circulation une demi-heure en faisant un sitting. Dans cet établissement aussi la pression administrative se fait sentir, et certain-es internes sont viré-es suite à leur participation à la lutte.

"Manifester ne suffit pas"

En début d’après-midi, un demi millier de personnes se retrouvent à Lyon II quais pour partir en action. Ce genre d’initiatives commence doucement à être vraiment organisé, le comité action a défini des cibles, fait des repérages, etc. L’anti-rep’ se développe aussi un peu, avec diff’ de tracts sur le comportement en manif et garde-à-v’ et numéro d’avocat. Tout le monde part en manif sauvage, et étonnamment la présence policière est limitée à deux RG. La première cible est Lyon III, avec la volonté plus ou moins affichée de débrayer, mais évidemment tout est fermé à clé et la sécu attend derrière les portes au cas où. Difficile de tenter quelque chose de ce côté là, et il faut bien dire que c’est politiquement assez peu intéressant finalement.

Le cortège continue donc jusqu’au cours Berthelot, et bifurque tout à coup pour investir les voies de chemin de fer au niveau de la gare de la Guillotière. Les manifestant-es s’installent sur les rails, espérant que comme prévu les conducteurs qui doivent passer par là auront bien été prévenus. Il ne faut pas attendre longtemps pour que les condés débarquent, et le choix est fait de ne pas chercher la confrontation à ce moment là mais plutôt d’essayer de se barrer avant qu’ils ne bloquent tout le monde. Le problème c’est que l’endroit ressemble assez à une souricière, puisqu’il faut passer sous un pont pour se dégager, et évidemment les CRS bloquent l’accès. Le face à face dure quelques minutes, et finalement des employés de la SNCF ouvrent une autre sortie qui permet à tout le monde de se retrouver « dehors ».

La manif repart donc direction Saxe, et les flics reprennent leur stratégie de se maintenir à distance, renforçant leur présence par quelques condés en scooters. L’ambiance est plutôt joyeuse, même s’il est assez clair que l’affrontement est inévitable si d’autres actions sont prévues. C’est peut-être pour ça que les « organisateur-es » annoncent après un sitting au carrefour Saxe Gambetta qu’illes n’ont rien prévu de plus, et qu’à partir de maintenant la manif doit se dissoudre ou s’auto-organiser. La plupart des personnes présentes sont venues avec l’idée que « manifester ne suffit pas », et donc sont motivées pour aller bloquer à nouveau le pont de la Guill’, comme le jeudi précédent, en profitant du chantier. Les barrières sont posées, et les renforts porcins arrivent illico, en habit ou en civil, quelques costauds avec capuche-écharpe étant facilement identifiés parmi les manifestant-es, sans pour autant qu’ils ne se fassent foutre dehors. Pour gagner quelques minutes, la manif traverse le pont, et une autre barricade (symbolique) est montée rue de la Barre pour y attendre les CRS. Ils s’installent en face, font les sommations d’usage, se lâchent une lacrymo dans les pattes, et tirent une première salve de grenade. Mais ils visent trop loin, et les manifestant-es ne bougent pas (trop) ; quelques un-es sont équipé-es et, la pratique aidant, les étudiant-es ne sont plus effrayé-es par le premier gaz venu, c’est plutôt bon signe. Mais au deuxième tir les condés visent mieux, et chargent. Les manifestant-es se replient à l’autre bout de la rue, hésitant à continuer rue de la Ré (la grande rue commerciale de Lyon), à se rassembler sur la place Bellecour ou à se disperser.

Répression aléatoire ou ciblée

Les flics ne leurs laissent pas le temps de prendre une décision, chargent à nouveau, et ramassent trois personnes tombées dans la fuite. Pour justifier a posteriori ces arrestations, ils parleront de « participation à un groupement armé », les deux personnes embarquées ayant soi-disant été vues en train de charger leur sac avec des pierres lors de l’occupation des voies ferrées une bonne heure auparavant ( !) ; la troisième n’a pas été embarquée faute de place dans les paniers à salades (re- !). Mais les flics ne se contentent pas de ces prises au hasard, ils ont aussi leur cible : lors de la troisième charge, un des flics encapuchonés et « infiltrés » ceinture un manifestant [10], et trois autres empêchent les personnes à côté de lui de venir le libérer. Il est finalement porté par les cheveux et les jambes de l’autre côté de la rangée de CRS.

Personne ne comprend vraiment pourquoi Stéphane a été ciblé, même s’il est clair qu’il s’était fait remarquer lors de l’occupation de l’UMP où il tenait le mégaphone et dans plusieurs manifs en train d’insulter des flics, d’emmerder un peu des RG, et autres animations de ce genre. Bref, il était catalogué comme « agitateur ». D’ailleurs le motif de son arrestation et plus encore sa condamnation montrent clairement que les flics et les juges avaient envie de se le faire : il est accusé de vol avec violence sur dépositaire de l’autorité publique, tout ça parce qu’au moment de l’occupation des voies ferrées, il a un peu tiré sur le sac à main d’une RG, en disant aux personnes qui discutaient avec elle : « lui causez pas, c’est une flic ». Ça lui vaudra 6 mois de prison. (Cour d’appel de Lyon : 6 mois ferme pour Stéphane ! Incroyable)

Mais à ce moment, les manifestant-es ne sont pas au courant de tout ça. Ils cherchent à réagir : trouver les noms des personnes arrêtées (un lycéen a aussi été embarqué par la BAC pour un bris de rétro, et deux lycéennes dans des circonstances inconnues), contacter l’avocat, éventuellement se rassembler devant le commico ? Continuer la manif semble vraiment compliqué vu la forte présence policière (de nombreux civils tournent tout autour du groupe au milieu de la place). Plusieurs personnes prennent en charge les trucs urgents à faire, appeler les commicos pour avoir des nouvelles, diffuser l’info, etc., et l’idée retenue est de profiter de la manif « unitaire » de la fin d’après-m’ (17 h) avec les syndicats pour réclamer la libération des personnes arrêtées, éventuellement en la détournant vers le commissariat.

Les flics restent sur la place et occupent le terrain en attendant la manif’, pendant que les personnes qui se sont rendues au commissariat du 2ème apprennent que les camarades arrêté-es ont été transféré-es à Marius Berliet (commissariat central). La manif (1500 personnes) démarre dans une atmosphère tendue, les flics au cul et le SO qui verrouille toute tentative de détournement. Arrivé à Jean Macé, terminus officiel, l’UNEF déclare la dissolution, mais le cortège CNT et une grande partie des manifestant-es continuent en direction de Marius Berliet. Ils sont suivis par les gardes mobiles et encadrés par la BAC, et finissent par être bloqués sur un pont avant d’atteindre leur cible. Tout le monde parvient de justesse à éviter d’être pris en sandwich sur le pont [11], et se disperse devant l’impossibilité de continuer sans devoir se confronter aux lardus qui manifestent bruyamment leur envie de se servir de leur joujou soi-disant non-léthaux. Quelques lascars de la Duchère trouvent quand même l’idée chouette d’aller prendre d’assaut le commissariat central pour libérer des camarades (et sans doute pour venger les heures d’humiliation qu’ils ont pu y vivre en GAV), et tentent de convaincre les autres de les accompagner, arguant qu’eux ont l’habitude de se friter avec les condés.-

L’AG du 30 mars au soir condamne les violences policières et les arrestations et appelle à un rassemblement de soutien devant le tribunal le lendemain pour soutenir les personnes inculpées. Si le communiqué de l’AG reste dans le registre de l’indignation face à la répression policière sur des étudiant-es « pacifiques », une bonne partie des personnes impliquées dans le mouvement commence à prendre conscience que la police a précisément pour rôle de les réprimer, non-violence ou pas, et à la concevoir comme une ennemie naturelle. L’anti-rep’ se développe parallèlement, avec la création d’un collectif de soutien aux personnes arrêtées qui tente pour le moment d’organiser des permanences à la sortie du commico en cas de libération et aux comparutions immédiates. Des personnes interpellées la veille, seul Stéphane est maintenu en garde-à-vue, et il ne passera pas en comparution immédiate le vendredi mais devant le juge des libertés et de la détention le samedi, pour déterminer s’il est libéré ou transféré en prison en attente de son procès. Un rassemblement est donc appelé le samedi devant le tribunal.

Manif sauvage

Le vendredi 31, le blocage est reconduit sur les quais, et l’UNEF appelle à un rassemblement pour l’allocution de Chirac à 19h30 place Bellecour. Un autre appel à rassemblement, à 21h aux terreaux, circule également, notamment contre la répression et en soutien aux personnes interpellées et pour une fois il n’a pas besoin d’être validé par une AG ou une orga pour être considéré comme une émanation du mouvement lui-même.

Le soir environ trois cent personnes se retrouvent sur la place des Terreaux, sous les balcons de l’hôtel de ville où des types apparaissent et se font siffler (la mairie est PS à Lyon pourtant, hi hi hi…). Tout le monde se retrouve un peu en plan, ne sachant pas trop quoi faire, et quelques personnes essaient de lancer un départ en manif sauvage. Après quelques discussions, les voies de circulations sont occupées, sans réaction des quelques condés présents. Donc pas de raisons de s’arrêter là, et ça part finalement en manif dans les rues du centre ville. Les flics sont toujours aussi peu présents, et seuls quelques bakeux se pointent quand le carrefour du pont la Feuillée côté St-Paul est bloqué avec des barrières de chantier. La manif retraverse la Saône et repart sur la presqu’île, toujours en balançant quelques barrières en travers de la route (parfois pas très intelligemment en séparant le cortège en deux, ça manque d’expérience tout ça…). C’est assez plaisant de voir que même les types de l’UNEF (qui ont rejoint le groupe après avoir écouté Chirac à Bellecour) participent à ce genre d’action sans rien y trouver à redire, aucun rabat-joie ne la ramenant avec des « pourquoi t’es masqué hein ? c’est pour casser ? tu comprends pas que ça décrédibilise le mouvement ? ».

Le parcours donne lieu à quelques débats en tête de manif, qui se résolvent à moitié à la force de persuasion de la justesse stratégique de tel ou tel choix et à moitié au hasard. Une des idées retenues est d’aller débrayer les bars rue Ste-Catherine, histoire d’accroître la force de frappe par quelques types alcoolisés, mais ça ne sera pas très probant. Ensuite les manifestant-es bloquent le carrefour du pont Morand, les automobilistes s’énervent et la BAC commence à s’incruster dans le cortège.

La manif repart le long des quais, mais s’arrête à Cordeliers où la présence des flics en civils est de plus en plus massive, et la motivation des manifestant-es faiblit après une bonne heure de manif sauvage. La plupart de ceux et celles qui sont en état de juger du rapport de force décident de se barrer, les autres, bourré-es et/ou n’ayant jamais eu à faire à une charge de flics continuent jusqu’à République, où ils bloquent la circulation avec des barrières. Là, un flic manque de se faire écraser par un 4*4 qui entend bien défendre son droit de circuler et de polluer à coup de pare-buffle ; le 4*4 se fait éclater sa vitre par un tonfa et les bakeux finissent par le rattraper en réquisitionnant un taxi ; c’est assez réjouissant de voir des ennemis s’entre-taper dessus…

Il semblerait qu’un type ait assuré aux manifestant-es qu’à Bellecour c’était cool, que des gens les y attendaient, et qu’il n’y avait pas de flics. Apparemment c’était un RG qui préférait que le débris de manif se fasse charger au milieu d’une place immense et déserte plutôt que des vitrines de la rue de la Ré. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à la poignée de personnes qui restait, mais l’alcool aidant ils ont quand même foutu le bordel jusqu’à 4h du mat’ dans le quartier, en se faisant régulièrement gazer et au prix de quelques arrestations.

Solidarité

Le lendemain une centaine de personnes sont rassemblées devant le tribunal, pour la comparution de Stéphane devant le juge des libertés et de la détention et pour réclamer la libération des personnes arrêtées le vendredi. L’organisation de l’anti-rep’ continue, et un groupe tente de trouver des nouvelles, mais les commissariats refusent de donner des infos, même aux journaleux.

Un collectif de soutien est créé, et il est décidé d’intervenir en AG pour faire du soutien à toutes les personnes arrêtées un axe de lutte et un appel est lancé à se rassembler le lundi pour le procès de Stéphane (qui d’ici là fera un petit tour par la case zonzon), ainsi qu’à participer à la journée nationale anti-rep’ du mercredi 5. A ce stade du mouvement (le collectif dénombre une quarantaine de personnes passées entre les pattes des poulets), il est clair que la répression est partie intégrante de la lutte, et qu’il ne sert à rien de mollement demander qu’elle cesse au nom des valeurs démocratiques et républicaines, mais qu’il faut en prendre acte et y répliquer. Ce dont témoigne le titre du tract du collectif : « La répression s’amplifie ? Ok, on s’organise... » ; ce tract annonce aussi que la question n’est pas de savoir si les flics avaient un motif ou non pour l’arrestation, et que le collectif soutient même les innocents.

Réaction du parti de l’ordre, un camarade en fait les frais

La journée du lundi 3 avril commence à 5h00 pour une poignée de motivé-es qui vont differ devant les usines. Dans la journée, sur initiative de l’UNI, l’AG de Lyon III vote que la fac ne sera jamais bloquée, donnant assez bien la conception que les plus affichés défenseurs de la démocratie s’en font : on vote un truc qui régira indéfiniment la vie de la fac sans qu’il soit possible de revenir dessus. Cela dit, j’aimerais bien voir leur gueule si une fac votait le blocage définitif et l’impossibilité du déblocage...

Sur les quais, l’UNI fait aussi des siennes et quelques abrutis tentent de forcer les barrages, mais sont repoussés à coup de pied au cul.

Stéphane est jugé en milieu d’après-midi, il accepte la comparution immédiate par peur de rester plusieurs semaines en préventive. La salle est pleine et une grosse centaine de personnes attendent devant le tribunal pour le soutenir. Ça n’empêchera pas le juge de le condamner à 2 mois de prison ferme et 250 € d’amende et frais de justice, s’appuyant sur le fait que Stéphane a un casier (notamment outrage et rébellion), qu’il est au chômage [12], qu’il a plus de 26 ans et n’est donc pas concerné par le CPE (sic), et sur des notes des RG retraçant son comportement à la minute près lors de l’occupation de l’UMP. En fin d’après-midi, les personnes venues le soutenir verront passer le fourgon qui le ramène en taule...

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Manif, et plus si affinités

Mardi 4, y’a de quoi s’occuper dès le petit matin : diff’ devant Brandt à 5h30, rendez-vous à 6h40 pour aider au blocage de lycées, et rassemblement à 7h30 devant Sembat à Vénissieux pour manifester contre les charges policières de la dernière semaine. La manif syndicale de 11h rassemble autant de participant que celle du mardi précédent (45.000), mais un appel circule à continuer en manif sauvage après l’arrivée à Bellecour. Il faut d’abord commencer par « gentiment expliquer » à deux trois fafs qu’il vaudrait mieux pour eux qu’ils ne se baladent pas au milieu des cortèges avec leurs patchs tricolores [13]. Le départ est un peu laborieux, finalement 300 à 400 personnes se motivent (sur 45.000 ça fait quand même peu...), et partent en direction du vieux Lyon, suivies par une trentaine de civils. Puis le cortège revient sur la presqu’île, où les flics l’attendent en nombre à Cordeliers, devant la chambre de commerce et de l’industrie.

La suite est racontée par un-e manifestant-e sur Rebellyon : « Devant le manque de volonté collective d’envahir la Chambre de commerce, étant donné la très forte présence policière tout autour (plusieurs bus de gendarmes mobiles plus très nombreux flics de la Bac) un appel à rejoindre les Terreaux pour dispersion à été lancé, en profitant de la seule issue non bloquée par les flics. Des Terreaux un groupe a souhaité tenter l’Hôtel de Ville [14]. Pas possible. Direction les quais du Rhône à 100m. Blocage du pont de l’opéra sur le Rhône en face du quartier des riches, le 6°. Les gen-gens se déplacent pour former un cordon, les bakeus prennent le pont pour empêcher l’accès au 6°, se regroupent rapidement à une 30aine. Charge impressionante des bakeus, course vers croix-rousse, arrestations (on donne pas cher de leur peau) début de guerilla urbaine à moins d’une centaine sur le bas du quartier, rapidement avortée : les flics savent bien qu’ils ont pas intérêt à s’engager plus, on est tous chez nous ici... des arrestations, impossibles à dénombrer, peut être une vingtaine ? ». Une des personnes arrêtées, jugée en comparution immédiate pour jet de pierre (il avouera avoir jeté un caillou vaguement en direction des condés par rage de s’être fait chargé pour rien), a pris 2 mois de sursis et 120 h de TIG. Le proc’ avait requis trois mois ferme, mais comme le prévenu était tout ce qu’il y a de plus présentable (fils de profs, pion, blanc, etc.) et qu’il avait un avocat renommé qui peut se permettre de bousculer un peu les juges [15].

L’après-midi a lieu une AG des intermittent-es, qui annonce des actions d’occupation. Enfin, deux interventions symboliques en centre ville sont organisées par les étudiant-es : une fausse manif de flics, assez sympa mais bon... ; et un « rassemblement pacifique avec des bougies » (sic) aux Terreaux, là je crois qu’on touche le fond mais je peux pas vous dire j’y suis pas allé.

Actions-réaction

Mercredi 5, une action était prévue à 7h du mat’ pour bloquer une route, mais comme ça nécessite un peu plus de monde que de differ un tract, ça a foiré. L’après-m’, le blocage est reconduit à Bron, mais pas sur les quais, par 620 voix contre 540 (vote avec carte d’étudiant ou certificat de scolarité...). Les intermittent-es et quelques étudiant-es (une centaine en tout) occupent une assedic, à propos du statut d’intermittent et de la précarité en général. Les occupant-es décident de quitter les lieux par eux-mêmes, mais annoncent qu’il y aura d’autres actions.

Le même jour, le parquet fait appel du jugement contre Stéphane, estimant que deux mois ferme ne sont pas assez pour punir un crime de lèse-RG… Il passera en appel le 16 mai devant la cour de l’infâme fini de rire et prendra 6 mois au lieu de 2. Le soutien est présent, et lui permettra de cantiner tout au long de ses 5 mois d’enfermement (avec les remises de peine) et fera un peu de bruit autour de son affaire.

Demandez l’programme

Agenda de la journée du 6 sur Rebellyon :

Actions

7 h : RDV Tram Gaston Berger pour partir en action directe non-violente sur la Doua.
10h45 : rdv Place Antonin Poncet pour autre tractage à Rhodia
11h30 : Tractage à la cantine de France Télécom (Part-dieu, sortie Villette).
14 h : Manif (rdv Bellecour).
20 h : Rassemblement aux Terreaux.

Assemblées Générales et comité de ville

11h45 : Assemblée générale étudiant-es & personnels de Lyon 1, Amphi 4 (déambulatoire - Campus de la Doua - Tram Gaston Berger).

Réunions de commissions

9 h : Commission débat et modalités d’organisation de la coordination nationale (amphi Cassin de Lyon II - Bron).
9h et 15h : Commission "bouffe" au forum de Lyon II - Bron.
12h : Commission "accueil et paperasse" à Lyon II - quais.

Débats

Sur le campus de Bron. Vous êtes tous et toutes invité-e-s à venir participer. (En outre, les personnes qui de manière régulière occupent la fac souhaiteraient qu’il y ait un peu de tournus, que cela ne soit pas toujours les mêmes qui bloquent dès 6h30).
À partir de 9h30-10h. Amphi D. · Discussion sur la grève de 1986 · Discussion sur la mémoire des mouvements sociaux.
À partir de 14h. Amphi D. Le mouvement ouvrier et les questions de démocratie.

Concrètement, une quarantaine de personnes sont présentes le matin à la Doua pour un blocage de voie de circulation, et il y environ 1500 manifestant-es l’après-midi, marqué-es à la culotte par les bakeus qui restent installés dans les cortèges, mais pas d’arrestations cette fois-ci, il faut dire qu’il ne s’est rien passé de notable...

Fin de la récréation

Les autres infos de la journée c’est que l’AG de l’IEP revote le blocage perdu le mardi, que le lycée Récamier est toujours bloqué, ainsi qu’un lycée privé à Oullins, et que la présidence de Lyon 2 continue ses coups de bluff en annonçant la reprise des cours à Bron pour le lundi matin, s’associant dans son communiqué envoyé par mail à tou-te-s les étudiant-es aux appels au retour à la normale des medias et des « partenaires sociaux » :
« Nous abordons à présent une étape nouvelle. Nouvelle parce que la mobilisation syndicale a eu pour effet de vider le projet CPE d’une grande partie de sa substance. Nouvelle parce que les négociations sont engagées, ou vont l’être. Mais nouvelle aussi parce que la poursuite du blocage des enseignements met l’année universitaire en péril.
Nous devons sauver l’année universitaire, nous devons garantir la crédibilité du semestre et des diplômes qui seront délivrés cette année à l’université Lumière Lyon 2.
Dans ce but et en accord avec les doyens et directeurs de composantes, l’équipe présidentielle a pris les décisions suivantes. Notre objectif est d’abord l’ouverture de l’Université. Elle implique la libre circulation des personnes et la reprise des enseignements. Cette reprise des enseignements pourra s’accompagner sur chaque site du maintien d’un espace permettant le débat public. Les enseignements reprendront jeudi 6 avril sur le campus Berges du Rhône à partir de 8 heures. La nécessaire remise en état des locaux sur le campus Porte des Alpes permettra une reprise des enseignements lundi 10 avril à 8 heures.
Cette reprise des enseignements conditionne le maintien du calendrier des examens.
Enfin pour préserver la valeur des diplômes, les équipes pédagogiques définiront des modalités de rattrapage. Nous en appelons à l’esprit de responsabilité de chacun et chacune d’entre vous. Gardons-nous de toute initiative qui affaiblirait notre Université de façon durable. L’équipe présidentielle.
 »
Crève salope !

Expédition dans la haute

Enfin, la journée du jeudi 6 se finit par une sympathique perturbation du concours de plaidoirie organisé à Lyon 3 en présence du président du conseil constitutionnel, dont le récit nous est fait sur Rebellyon [16] :

« Le rassemblement pour la manif sauvage était appelé à 20 h place des Terreaux. Rappelons en un mot le principe de ce mode d’action particulièrement à la mode : on se réunit, on avise collectivement de nos buts pour la manif, et on part sans avoir prévenu ni préfecture ni personne sur le parcours qui nous semble le plus approprié.

Le but est d’une part de provoquer le maximum de perturbations, d’autre part d’échapper à la monotonie des défilés officiels, et surtout de pouvoir improviser collectivement en créant l’espace d’un moment une petite zone de désordre dans ce monde si policé. C’est si bon !

Bref. On attend un peu sur la place, on n’est pas si nombreux/ses que ça aujourd’hui, le mot n’est pas bien passé. 21 h, on finit par décider d’une action : le très chiraquien président du Conseil Constitutionnel qui a validé la loi sur l’égalité des chances, qui autorise et le CPE et le travail de nuit à 15 ans et l’apprentissage à 14 rend une visite de courtoisie chez les bons jeunes Français, la France qui gagne et qui fait ce soir un concours de plaidoierie devant les responsables de tribunaux à la Manu [Manufacture des tabacs, les locaux de la fac de Droit] .

Une demi-heure plus tard on arrive aux portes de Lyon III, le repère des fachos et des libéraux, Lyon III l’infâme, connue dans le monde entier pour sa tolérance aux nazillons de tous ordres, et dans les bons jours, aux libéraux les plus extrémistes. On n’allait pas être déçu.

On débarque à une centaine, après avoir passé sans difficulté les barrières de l’entrée (ni BAC ni RG sur notre chemin, tiens, bizarre), dans une petite sauterie entre gens autorisés. Un "concours de plaidoierie", un gala de beaux-parleurs, avec une bonne douzaine de magistrats de la ville, un coktail à la sortie et un Mazeaud en cerise sur le gâteau.

Petit défaut de coordination, on n’arrive pas à enfoncer les portes pour aller dire ses deux mots à mister President. On s’invective un peu avec les jeunes gens de bonne famille présents, on cause quelques crises de nerfs, on fait du bruit, on leur fout un peu la trouillle et pis... rien. On vient nous demander d’être bien gentil/les et de présenter un délégué pour aller expliquer calmement pourquoi on n’est contre le CPE à l’assemblée gentiment encline à nous écouter.

Nous on s’en fout, on n’a rien à négocier, rien à déclamer, on veut des actes, des faits, les bonnes paroles sont du vent et n’engagent que celles et ceux qui les croient. Quelques étudiants insistent dont un gars des JC, qui veulent aller en délégation. Un groupe décide de partir avant l’intervention policière.

Plus tard, les flics débarquent. La délégation promise est remerciée (quoi ? une délégation ? mais il n’en a jamais été question) osera dire sans honte l’un des étudiants de Lyon III qui nous l’avait proposé. Les derniers manifestants partent.

Bilan ? Les diandiants de droit de la Manu vivent sur Mars, les flics n’en ont rien de foutre de protéger le président du Conseil Constitutionnel [ouais euh... c’est plutôt qu’ils nous prennent pas vraiment pour une menace réelle, et ça ça craint] , et c’est vraiment agréable de mettre la pression à celles et ceux qui nous gouvernent, dommage que cela n’ait pas été en face à face. La prochaine fois ! »

Ça sent la fin

Le samedi 8, la manif du matin ne réunit que 1000 personnes, il faut dire aussi que la passivité qui règne dans les cortèges lyonnais, soigneusement entretenue par la forte présence policière, n’est pas vraiment motivante pour se lever le samedi… Et au même moment a lieu la coordination nationale à Bron.

Lundi 10 est la journée test pour le mouvement lyonnais : d’un côté les crapules présidentielles ont annoncé la reprise des cours, et de l’autre Villepin lâche prise sur le CPE. Aucune effusion de joie à l’annonce du retrait, à peine le sentiment d’une demi-victoire, mais la conviction partagée que tout reste à faire.

Finalement la matinée est moins tendue que prévu, les bloqueur-e-s sont toujours nombreux et tiennent bon face aux étudiant-e-s revenu-e-s consommer leurs heures de cours. La présidence agite encore vaguement la menace d’une intervention policière, sans plus de conséquence que d’habitude [17]. Reste donc à attendre l’AG de l’après-midi, ou plutôt le vote de l’après-midi, puisque plus encore que d’habitude l’assemblée générale sensée organisée la lutte tournera principalement autour de « blocage ou pas blocage ». 1800 personnes sont présentes, et il faut donc se réunir dans un gymnase. Après quelques débats pas forcément intéressants, on procède au vote, en faisant sortir tout le monde, et rentrer les partisans de chaque camps par une porte différente pour les compter. À 1000 (dont une partie d’étudiant-es de la fac catho et de Lyon III) contre 800 (dont une partie de non étudiant-e-s qui tiennent à garder une base pour la lutte), le déblocage est voté. Ainsi, le blocage de la fac, qui avait commencé avec une trentaine de personnes, prend fin avec 800 partisans… misère du démocratisme…

Les occupant-es ont à peine le temps de récupérer leurs affaires, pressé-e-s par des abruti-e-s qui se sont jusqu’alors bien gardé de prendre parti mais que la position majoritaire rend soudainement agressifs. Sur Rebellyon, les commentaires annoncent que rien n’est perdu (sous-entendant aussi par là que contrairement au discours de ceux qui aimerait voir finir le mouvement, rien n’est gagné non plus), qu’il faut continuer, « tou-te-s à la manif demain ». À la manif, tou-te-s n’étaient pas là, mais quand même un millier de personnes, dont une partie se rend à l’action « -d’occupation de moyenne durée » organisée par des étudiant-e-s et la CGT chômeurs, au centre de tri de St Priest. L’accueil est plutôt bon de la part des salarié-e-s, mais les conditions ne sont pas idéales pour une jonction des luttes, la rencontre s’effectuant sous les yeux de la direction…

Le mercredi 12 se tient une AG de grévistes (enfin !), qui maintient l’appel à la grève et exige la dispense d’assiduité, mais qui ne décide pas de bloquer à nouveau. Une action d’autoréduction à la COREP est votée, en représailles des dons de cartes de photocopie aux anti-bloqueur-es pour imprimer leurs tracts.

Parallèlement, la déliquescence du mouvement s’exprime dans la multiplication d’appels à des actions plus ou moins bidons, happenings, marche de protestation, etc., qui sont rarement réalisées.

La dernière action un peu « massive » a lieu le vendredi 14, avec une occupation de la gare de la Part-Dieu, négociée avec la sncf ! Au bout d’un quart d’heure sur les voies, les « organisateur-e-s » de l’action annoncent que maintenant il faut y aller, que sinon la sncf va nous envoyer les flics ! Dégoûtée, la plupart des gens préfèrent partir pour essayer de foutre le bordel ailleurs que de continuer de participer à cette action merdique. Le cortège dégage donc les voies, se promène un peu à la Part-Dieu sous la menace des flics qui se préparent manifestement à arrêter des gens. L’autre cible du coin c’est le centre commercial, mais le groupe s’effiloche et seul une petite cinquantaine de personne se retrouve devant. Les CRS arrivent, à tout hasard les manifestant-es entrent dans le centre, sans trop savoir qu’y faire. Les vigiles s’excitent, tentent d’attraper une personne cagoulée, petite empoignade et finalement c’est les flics qui viennent séparer tout le monde et « raccompagner » les quelques personnes restantes jusqu’à la sortie.

Ainsi finit l’agitation de rue à Lyon au printemps 2006.

Quelques tentatives ont lieu par la suite à la fac de relancer le mouvement, prises en charges par les groupes qui se sont formé dans la lutte, mais l’approche des examens a définitivement installé le retour à la normale.

À suivre…

[1] Pour situer grossièrement le paysage universitaire lyonnais, Lyon I c’est le sciences dures (et c’est apolitique), Lyon II les sciences humaines (apolitique de gauche) et Lyon III le droit et les langues (apolitique de droite et politisée d’extrême droite).

[2] Bon, si vous le permettez, je vais abandonner là le style citoyenniste révolutionnaire...

[3] Le campus de Lyon II est divisé entre un partie en centre ville (les quais) et une autre en banlieue lyonnaise, à Bron.

[4] ... grâce à un subtil stratagème qui a consisté à prendre un rendez-vous bidon. Malheureusement, un des occupants a été reconnu par un ancien camarade de classe militant umpiste, et se fera plus tard convoquer au commico.

[5] ... et même de la bibliothèque, où un prof s’était réfugié en panique ; après avoir défoncé la porte, les assaillant-es ont fait marche arrière, déçu-es, pensant certainement trouver quelque chose de plus intéressant que des bouquins scolaires à piller.

6] Malgré ces efforts d’imagination et ces propositions somme toute constructives, le blocage sera reconduit jusqu’au mercredi suivant.

[7] Au nombre de 250 selon nos informations mais ça me paraît un tantinet exagéré.

[8] C’est peu mais c’est un début...

[9] En quoi il y a besoin de voter un truc pareil ?

[10] Puisque pas mal de bruit a été fait autour de cette histoire (en tout cas on a essayé), on peut l’appeler par son nom, Stéphane.

[11] Notamment grâce à un camarade qui s’est interposé devant les camions des mobiles, salut à lui.

[12] L’enjuponné : «  ça fait trois ans que vous êtes sans activité »
Stephane : « non, j’étais en congé paternité, je ne suis au chômage depuis qu’un mois »
L’enjuponné : « oui, c’est bien ce que je dis, ça fait trois ans que vous ne faites rien ».

[13] C’est arrivé dans plusieurs manifs, et à chaque fois les feufas la jouaient plutôt « profil bas », la palme de l’excuse bidon revenant à un petit nazillon expliquant que s’il s’affichait avec rangeos, bombers, crâne rasé, patch bleu blanc rouge et croix de fer, c’était parce qu’il cherchait à rencontrer des skins fachos « pour les éclater » (sic).

[14] Intervention au mégaphone : « y’a des flics partout, on n’est pas nombreux, mais on s’en fout, ON VA PRENDRE L’HOTEL DE VILLE ! ». Evidemment la maigre rangée de gardes mobiles devant la grille a suffit à dissuader toute tentative d’instaurer une commune libre à Lyon, mais un peu d’enthousiasme ne fait pas de mal...

[15] À propos de l’arme du crime : "mais dans un bac à fleur, on ne trouve pas des pierres, on trouve des graviers, tout au plus des petits cailloux".
À propos du danger que son client représente pour la société : "en 68, les étudiants ont fait bien plus que ça, et regardez ce qu’ils sont devenus aujourd’hui : des professeurs en facultés, des inspecteurs d’académies". Soit dit en passant, même si ça permet d’éviter la taule à quelqu’un, ça fait quand même chier d’entendre ce genre d’argument qui veut que la révolte n’engage pas à grand chose, que c’est passager (il faut bien que jeunesse se passe), que ça ne prête pas vraiment à conséquence...

[16] s’il y a de plus en plus de copié-collé de Rebellyon, ce n’est évidemment pas parce que je commence à en avoir marre de ce récit qui s’éternise, mais bien parce que l’utilisation de ce site internet par le mouvement est de plus en plus au point...

[17] depuis ces flics ratés ont eu l’occasion d’assouvir leur désir de collaboration : à coup de plaintes pour dégradations en réunion, pour insultes publiques, etc., ils ont enfin réussi à faire venir les condés sur le campus et à envoyer des étudiant-es en garde-à-vue.



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