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Les pensionnats indiens au Quebec 1931 - 1991 Colonialisme et génocide culturel du Canada - Témoignages de survivant-es

mis en ligne le 8 juillet 2023 - Larry D


"On nous a enseigné que tout ce qui était indien était mauvais"
Marceline Kanapé

Ligne de soutien psychologique pour les survivantes
et survivants des pensionnats, disponible 24H/24 :
1-866-925-4419


Le dernier pensionnat indien a fermé en 1996. Pendant des décennies, les survivant-es n’ont pas parlé de ce qu’ils et elles ont subi dans ces institutions. C’est seulement depuis trente ans que nous savons la violence infligée dans ces écoles industrielles. Oscar Kistabish, survivant Anicinape du pensionnat de St-Marc-De-Figuery, dit que les pires histoires ne sont probablement pas encore partagées publiquement.

Le régime d’apartheid avec les Autochtones fonctionne toujours aujourd’hui. En 2016, le Tribunal des droits de la personne a donné raison à Cindy Blackstock, et statue que le gouvernement du Canada faisait acte de discrimination envers les enfants autochtones, car les services sociaux offerts en réserve sont nettement sous-finances compare au reste du pays. Il y a aujourd’hui plus d’enfants autochtones dans le système de la protection de la jeunesse qu’il y en a eu dans les pensionnats au sommet de leur existence dans la première moitié du 20e siècle.

En 2021, le Canada faisait toujours appel en cours contre deux décisions :

(1) en faveur des enfants autochtones retirés de leur famille par la protection de la jeunesse et (2) pour l’application du principe de Jordan.

Malgré l’apparition d’une élite autochtone dans les dernières décennies, la pauvreté des services offerts dans les communautés maintient le statut socio-économique des Premières Nations, Inuit et Métis dans des conditions équivalentes aux pays en voie de développement.

Depuis quelques années seulement, les québécois-es s’intéressent beaucoup plus aux cultures autochtones, à leurs luttes contre l’État et à leurs récits de survivance. Certains parallèles boiteux sont tracés avec l’histoire de la domination anglaise sur les colon-es français-es. Pouvons-nous vraiment parler des Autochtones comme des cousin-es ? Les Québécois.es blanc-hes francophones avons une forte tendance de déresponsabilisation des violences coloniales. Le colonialisme de peuplement est un processus qui implique une part de responsabilité individuelle de chaque personne qui n’est pas autochtone ou dont les ancêtres ont été déplacés de force. Denis Vaugeois, ancien ministre de la Culture et historien, pouvait se permettre en 2019 de dire à la radio nationale que les pensionnats autochtones « ne sont pas une réalité québécoise ». Non seulement cette affirmation est complètement fausse car il y a eu une douzaine d’écoles ou institutions industrielles indiennes, mais la responsabilité québécoise dans l’histoire des pensionnats canadiens est prééminente. Le pensionnat de Kamloops où les restes de 215 enfants enterrés dans une fosse commune était géré par une congrégation québécoise. Le mythe fondateur du Québec bienveillant envers ses voisin-es autochtones maintient une fausse innocence à propos des violences coloniales.

Ce qui est primordial de comprendre dans l’établissement des pensionnats indiens, c’est que le système a été piloté et opéré par des gens bien intentionnés. Les congrégations chrétiennes voulaient apporter l’éducation et la foi aux enfants autochtones, pour leur offrir « les mêmes chances de participer à la vie citoyenne » qu’aux enfants dans les villes. Ce sont les frères et sœurs, cousin-es religieuses de nos ancêtres proches et lointains qui sont allé-es travailler dans les pensionnats au Québec et aussi dans l’Ouest canadien. Les pensionnats indiens, ce n’est pas seulement le colonialisme du gouvernement, mais aussi l’histoire de nos familles. On s’intéresse beaucoup à la domination économique du capitalisme sur les terres autochtones, et on identifie facilement l’État et les compagnies extractives comme des ennemies de la libération autochtone. Cette analyse permet aux colon-es de se frayer une place en allié-es environnementalistes et anti-capitalistes aux cotés des défenseur-es des territoires. Mais la religion a aussi joué un rôle majeur dans la colonisation de l’Île de la tortue. Comment se positionner en solidarité par rapport à l’impact de l’évangélisation et du rôle de l’Église dans la colonisation ?

Ce zine est une collection de témoignages de survivant-es et de résultats de recherches sur les pensionnats et écoles indiennes, majoritairement collectés à partir des archives et rapports de la Commission Vérité et Réconciliation du Canada (CVRC). Toutes les photos d’archives proviennent de pensionnats québécois.

Malgré les effroyables expériences vécues par les enfants dans les pensionnats, ceux et celles qui s’en sont sortis s’identifient à des survivant-es plutôt qu’a des victimes. C’est selon cette optique que ce recueil d’informations présente les faits et les expériences auxquelles les enfants autochtones ont fait face et ont survécut. Il est en hommage aux mort’es et en l’honneur de tous ceux et celles qui ont lutté pour leur liberté et leur guérison des traumatismes infligés par le gouvernement, la police, les ordres religieux, et les enseignantes et enseignants laïques qui ont rendu possible les pensionnats indiens au Québec.

LARRY D


Pendant plus de cent ans, 150 000 enfants autochtones ont été envoyés de force dans les pensionnats à travers le Canada.

La Commission Vérité et Réconciliation du Canada a pu identifier qu’au moins 4100 enfants qui y sont morts. Le juge Murray Sinclair estime en 2021 que le nombre pourrait plutôt ressembler à 15 000 morts ou même plus.

Le premier pensionnat quebécois ouvre à Fort George (Chisasibi) en 1931, et le dernier ferme à Pointe-Bleue (Mashteuiatsh) en 1991.

Environ 13 000 enfants autochtones ont été pensionnaires au Québec.

Génocide

Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique indienne du Canada étaient les suivants : éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits humains, prendre contrôle des territoires et au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités legales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada. L’établissement des pensionnats indiens a été un élément central de cette politique.

Le terme génocide a obtenu le statut juridique en 1948 à l’ONU et est alors devenu un crime international. On le définit comme l’un de ces actes, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux :

 le meurtre des membres du groupe ;
 l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale du groupe ;
 la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; imposition de mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
 le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Selon la CVRC, un génocide culturel est la destruction des structures et des pratiques qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que groupe.

Les États qui s’engagent dans un génocide culturel visent à détruire les institutions politiques et sociales du groupe ciblé. Des terres sont expropriées et des populations sont transférées de force et leurs déplacements sont limités. Des langues sont interdites. Des chefs spirituels sont persécutés, des pratiques spirituelles sont interdites et des objets ayant une valeur spirituelle sont confisqués et détruits. Des familles à qui on a empêché de transmettre leurs valeurs culturelles et leur identité d’une génération à la suivante.

Évangélisation

L’origine de l’évangélisation des enfants autochtones remonte au début de la colonie française. Plusieurs institutions ont été créées par des missionnaires catholiques dans le but de scolariser les jeunes Autochtones. Les familles résidant assez loin des colonies échappent plus longtemps à l’emprise du christianisme.


Marie de l’incarnation, au couvent des ursulines à Quebec

Le rôle des Oblats

1840 : la congrégation catholique francophone des Oblats de Marie-Immaculée est invitée par l’évêque de Montréal Ignace Bourget à venir évangéliser les Autochtones.

Cette convocation marque leur arrivée en Amérique. Les Oblats deviennent responsables d’établir et d’opérer la majorité des pensionnats indiens administrés par l’Église à travers le Canada.

En admirant leur zèle évangélique, en donnant cours aux sentiments qu’inspire le sublime dévouement de ces héros de l’Evangile, ne devons-nous pas vénérer les pieds de ces apôtres qui vont porter la croix de Jésus-Christ avec le flambeau de la civilisation au sein des plus profondes ténèbres de la barbarie ?

Assimilation forcée

La planification d’un système pancanadien de pensionnats a véritablement commencé à la fin des années 1870, au même moment qu’est instaurée la Loi sur les Indiens.

Un Programme scolaire qui "civiliserait" les enfants Autochtones et qui les assimilerait à la société chrétienne canadienne est développé par le gouvernement sous John A. MacDonald. La responsabilité d’opérer les écoles est donnée aux groupes religieux.

Alors que les Premières Nations et les Métis deviennent une menace à l’expansion territoriale du Dominion, des mesures drastiques sont mises en place. Macdonald est l’architecte de plusieurs politiques de suprématie blanche au Canada en plus des pensionnats indiens : la pendaison de Louis Riel et la répression de la révolte du peuple Metis, la Loi de l’exclusion des Chinois interdisant l‘immigration des ressortissants chinois, et la propagation de famines contr6lées et d’épidémies chez les Premières Nations et Métis dans les prairies.

John A. Macdonald était membre de l’Association loyale d’Orange du Canada, un ordre ethno-nationaliste sectaire et chauvin qui glorifie la suprématie de l’Empire britannique dans le monde.
« Les enfants indiens devraient être retirés le plus possible de l’influence de leurs parents, et la manière d’y arriver est de les placer dans des écoles industrielles ou ils vont acquérir les habitudes et les pratiques des Blancs ». John a. Macdonald 1883


Les statues de John A. Macdonald sont déboulonnées à travers le pays depuis 2020

Enfants volés, terres volées

En 1884, la scolarisation des Autochtones devient obligatoire au Canada. Les enfants sont parfois escortes au pensionnat par la police. Les parents qui refusent d’y envoyer leurs enfants sont menacés d’être envoyées en prison.

Le processus de sédentarisation dans les réserves est intimement lié aux pensionnats. Une fois les enfants partis, les parents étaient en détresse. Le mode de vie nomade perdait son sens et les familles n’avaient plus la capacité de se rendre en forêt.

Les Abitibiwinnik (Algonquins) ont demandé de s’établir dans une réserve pour résider à proximité de leurs enfants envoyés à l’école résidentielle de St-Marc-De-Figuery, prés d’Amos. En réponse à leur demande, Pikogan est fondée en 1958, en bordure de la ville.

La réduction de la présence des Autochtones sur leurs territoires a permis au colonialisme d’aller de l’avant avec le peuplement et l’extraction de ressources.

Au Québec, une loi provinciale obligeant tous les enfants de 6 à 16 ans à aller à l’école arrive plus tard, dans les années 1940. Cette différence explique entre autres pourquoi les pensionnats québécois ouvrent plus tardivement.

Ce sont les Oblats qui recommandent auprès du gouvernement l’instauration de pensionnats au Québec. Les missionnaires sont déjà installés comme curés dans les réserves depuis des décennies. Les Oblats sont très présents au Québec, mais aussi en Alberta, au Manitoba, au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest.

Ils vont diriger les pensionnats francophones à Sept-iles, Pointe-Bleue, St-Marc-De-Figuery, Fort George, et la résidence à Louvicourt.

Prédateurs en série

Le père Edouard Meilleur, un Oblat en mission dans la communauté de Manawan de 1938 à 1953, était exhibitionniste. En 1953, le curé Meilleur a été remplacé par Jean-Marc Houle, qui était lui aussi un agresseur. En 1970, les autorités religieuses ont déplacé le curé Houle à Pessamit. Son successeur, Clément Couture, était l’ex-directeur du pensionnat de Pointe-Bleue.

Il est resté en poste à Manawan jusqu’en 1996, s’en prenant à une troisième génération d’Atikamekw.

Le père Edmond Brouillard était président du conseil d’administration de la résidence Notre-Dame-de-la-Route. Il a plaidé coupable à des accusations d’agressions sexuelles sur six enfants des communautés de Kitcisakik et de Lac-Simon. II vit à la résidence des Oblats de Notre-Dame-du-Cap, à Trois-Riviéres.

Dans les communautés innues de Nutashkuan, Ekuanitshit, Unamen Shipu et Pessamit, se sont aussi succédé des prédateurs en série : Sylvio Lesage, Roméo Archambault, René Lapointe, Alexis Joveneau, Joseph Pirson.

Le père Oblat Alexis Joveneau aurait abusé sexuellement de la moitié du village de Pakua Shipu.

L’abbé Raynald Couture aurait abusé plus d’une vingtaine de jeunes garçons atikamekw entre 6 et 16 ans à Wemotaci, entre 1981 et 1991 : « La congrégation ne m’a jamais aidé et pourtant, on avait un psychologue dans la communauté. Je lui en ai parlé, puis il m’a dit : « c’est ton problème, règle-le. »

Raynald Couture vit aujourd’hui dans la résidence de retraite de la Congrégation des Oblats, à Richelien, en Montérégie.

Déracinement

Le processus d’extirper l’identité autochtone des enfants commençait dès les premières minutes de leur arrivée au pensionnat.

A leur arrivée, les noms que leur avaient donnés leurs parents étaient effacés et on leur attribuait un nom chrétien ou un numéro. On rasait ou coupait court leurs longs cheveux.

Les vêtements qu’ils avaient apportés étaient jetés pour être remplacés par des uniformes. Souvent, on séparait les enfants d’une même famille et on leur interdisait de parler leur propre langue —même avec leurs frères et sœurs. Les enfants pouvaient être envoyés dès l’âge de quatre ou cinq ans.


Avant et après l’arrivée à St-Marc-De-Figuery, 1957

Les enfants étaient envoyés le plus loin possible de chez eux, pour éviter le contact avec la famille et les risques de fugues.

En 1950, la communauté d’Opitciwan écrit une lettre aux Affaires indiennes pour demander la construction d’un pensionnat dans la communauté, un geste pour tenter de garder les enfants plus proches des parents. Leur requête est refusée.

«  C’était quelque chose comme une journée grise, c’était une journée ou y a pas de soleil. C’était l’impression que j‘avais, que j‘avais juste 6 ans, puis, ben la, les religieuses nous ont séparées, mes frères, puis mes oncles, puis là je ne comprenais plus. Ça, ça a été une période de souffrance, des soirées en pleurs, on s’entassait ensemble dans un coin. C’est-à-dire qu’on se rassemblait, puis on pleurait. Nos soirées étaient comme ça.  »
Marthe Basile-Coocoo au pensionnat de Pointe-Bleue

« " Le personnel a emporté mes affaires, mes valises ; ma mère avais mis dans ma valise des choses que j’aimais. J’avais quelques jouets/ J’avais quelques vêtements que ma mère avait faits pour moi, et je ne les ai jamais revus. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait de ces choses."
Carmen Petiquay à l’école de St-Marc-De-Figuery »

Certains élèves pouvaient retourner à leurs familles pendant l’été. Mais beaucoup d’enfants ne reverraient pas leurs familles avant de nombreuses années. presque tous les élèves souffraient horriblement de solitude et de peur et se sentaient abandonnées par leurs familles, qui étaient impuissantes à protéger leurs propres enfants.

« "Nous ne revoyions nos parents qu’une fois au cours de l’année... Comme nous étions à l’âge où on change beaucoup, je me souviens d’une année où ma mère, venue me chercher pour les vacances, est passée à côté de moi sans me reconnaître..."
Gilbert Flamant à Pointe-Bleue »

« "La relation familiale avait changé, je dirais, comme si nous étions devenus des étrangers. Encore aujourd’hui, cela se ressent. Nous nous donnons peu d’accolades."
Andre Mowatt à St-Marc-De-Figuery »

Avant l’expansion du système des pensionnats à la province du Québec, certains enfants autochtones de la province ont été envoyés dans des pensionnats ontariens. C’était le cas d’enfants Kanien’keha:ka, Anishinabe, Eeyou et Eenou. Paul Dixon était l’un deux :

« Mon père s’est fâché et m’a dit : « Je n’avais pas le choix, tu sais ». Cela m’avait bouleversé. Je ne l’accusais de rien, vous comprenez. Je voulais juste des explications. Il a dit : « Je, je serais, je serais allé, je serais allé en prison, je serais allé en prison si je ne t’avais pas laissé partir. »

Plusieurs enfants ont toutefois évité le pensionnat, pour un an ou plus, grâce à leurs parents qui les cachaient hors de portée des autorités le jour de la rentrée. Les pensionnats n’ont jamais cessé de susciter la résistance des parents tout au long de leur histoire.


Pensionnat catholique St. Phillip’s à Fort George (chisasibi)

Éradication de l’identité

« Et j‘avais honte de mes parents parce qu’on m’a dit que les Indiens sentaient mauvais et qu’ils ne parlaient pas, et je me suis dit de moi-même, « faites qu’ils ne viennent pas » parce que j’avais honte, j’espérais qu’ils ne viendraient pas parce que je, j’ai espéré qu’ils viendraient à un moment donné. A, à un certain moment, mes parents sont venus et jetais heureuse. J’étais heureuse de les voir, et j’espérais qu’ils partent bientôt. Parce que ça faisait tellement mal d’avoir été enlevée à ses parents de cette façon-là, et que ça faisait mal de dire des choses à propos des parents d’une personne et d’avoir honte d’eux. Je le croyais parce qu’on m’avait dit que les Indiens sentaient mauvais et qu’ils ne se lavaient pas. Et ma mère m’a apporté une orange, et j’ai garde l’orange pendant longtemps, je ne l’ai jamais mangée, je l’’ai gardée parce qu’elle venait de ma mère. C’est quelque chose que je regrette d’avoir pensé de mes parents, que mes parents sentaient mauvais. »
Carmen Petiquay à St-Marc-De-Figuery

Lorsque John Kistabish a quitté l’école de St-Marc-De-Figuery, il ne savait plus parler algonquin, alors que ses parents ne parlaient pas français, la langue qu’on lui avait enseignée à l’école. Il lui était presque impossible de s’ouvrir à eux sur les maltraitances qu’il avait subies au pensionnat :

« J’ai essayé de parler avec mes parents, mais non ça ne marchait pas. C’est qu’on vivait avec eux autres comme si c’était... On était ben pareil parce que je savais ben que c’était mes parents, quand je suis sorti du pensionnat. Mais la communication n’était pas là. »


Pensionnat de St-Marc-De-Figuery

Malgré la consigne habituelle de mener la vie de l’école en anglais ou en français, certains élèves parvenaient à parler leur propre langue en cachette. Monique Papatie raconte qu’a l’école de St-Marc-De-Figuery, les élèves « ...allaient dans un coin pour parler notre langue, même si nous n’avions pas le droit. Nous avons gardé notre langue, l’anishinabemowin, et je le parle très bien aujourd’hui, et c’est ce que je veux enseigner aux enfants, aux petits-enfants et aux arrière-petits-enfants de ma mère. »

"Ils nous donnaient une leçon sur la Pentecôte, pis le père principal était venu avec monsieur l’inspecteur. Pis il fallait être bien de sa personne, pis il fallait avoir une bonne posture. Il nous a expliqué la Pentecôte. Il dit : "Les apôtres ont eu des langues de feu sur le dessus de la tête, et ils se sont mis à parler toutes les langues." Je dis : "Non, non, ils ont pas parlé ma langue." Pis là, il insistait : "Oui, Jeannette, ils ont parlé ta langue.". "Non ça se peut pas qu’ils aient parlé ma langue." Le Dieu que ma grand-mère m’a enseigné, mes grands parents m’ont enseigné, il était pas du tout comme le leur. Je disais : "Non, ils n’ont pas parlé ma langue". Il fallait pas, on n’avait pas notre mot à dire. Je me rappelle qu’il m’a dit : "Mets ta main sur le bureau." Il ne fallait pas le contredire, je mets ma main sur le bureau, pis avec la règle, il fallait que j’y répète, il fallait que j’y répète que les apôtres ont parlé ma langue. Moi ça m’a pris du temps avant que je le dise, mais tu sais c’est ça, j’ai reçu une marque : coups de règle, il y avait une petite lame au bout de la règle. J’ai écrit un poème là-dessus. Mes valeurs étaient bafouées, ma croyance a été humiliée, j’ai subi un infanticide. Après toutes ces horreurs, mon corps, mon esprits, ils devaient adhérer."

Jeanette Basile Lalote au pensionnat de sept-îles

Le hockey

Beaucoup de pensionnats ont offert des programmes de sport, et notamment de hockey. C’était une autre façon d’assimiler les enfants à la culture canadienne-francaise :

« Pour les petits Indiens comme pour tous les autres petits Canadiens, c’est enfin leur après-midi de hockey. Les premiers occupants du pays jouent aux habitants. Petits Indiens d’Amos, Russes, Suisses, Torontois ... quand ils mettent le pied sur la glace, se sentent tous un cœur de Canadien.  »
Père Louis-Roger Lafleur, St-Marc-De-Figuery


Pointe-bleue (mashteuiatsh)

Certains enfants ont survécut à leur passage au pensionnat grâce aux sports, où ils y trouvaient une forme de refuge. La participation des élèves à l’athlétisme leur donnait un sentiment d’accomplissement. Malgré beaucoup de souvenirs positifs, le climat n’était pas nécessairement rose. Pierre Papatie était gardien de but pour l’équipe de St-Marc-De-Figuery :

« Mettons quand qu’on perdait, c’était un coup de règle. Il fallait toujours qu’on gagne. On sa... On savait pas comment perdre. C’était toujours gagner, gagner. »

Variations

Les écoles résidentielles n’étaient pas toujours vues comme des succès par leurs instigateurs. Différentes formules ont été tentées. D’autres écoles font aussi partie du système pancanadien d’assimilation et d’éducation occidentale imposée aux Autochtones, avec la complicité des communautés religieuses.

Après la fermeture du pensionnat de St-Marc-De-Figuery en 1975, le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada a financé la transformation d’une ancienne école à Louvicourt, à 30 km de Val-d’Or, pour qu’elle devienne la Résidence Pavillon Notre-Dame-de-la-Route, gérée par les Oblats. Les enfants Anicinapek (Algonquins) de Kitcisakik et certains de Lac-Simon y ont été envoyés jusqu’en 1991. Ils prenaient l’autobus pour se rendre à l’école provinciale de Val-d’Or tous les jours. En 2020, des membres de la communauté de Kitcisakik ont déposé une demande d’action collective pour les sévices subis.

Certains enfants Atikamekw de Manawan ont été placés dans des familles Blanches de Joliette pour aller à l’école en ville entre 1973 et 1976.

Les enfants qui n’étaient pas envoyés loin de la maison devaient aller à l’école de la communauté et rentrer à la maison le soir. A travers la même période historique, il y aurait eu plus d’enfants dans les écoles de jour que dans les pensionnats.

il y a eu plus de 65 écoles de jour au Québec, dans pratiquement toutes les réserves des Premières Nations et villages Inuit. Depuis 2019, un recours collectif permet aux survivantes et survivants de réclamer des réparations monétaires et programmes de guérison pour la perte de la langue, la négligence et les abus sexuels subis.

Les pensionnats en anglais

Les Anglicans étaient responsables des enfants Eenou et Eeyou (Cris) aux pensionnats de Fort George et de La Tuque. Ce dernier ouvre en 1963. Le gouvernement fédéral y reprend le contrôle en 1969. Le curriculum ontarien y est enseigné jusqu’au milieu des années 1970. Le pensionnat de La Tuque ferme en 1978.


Pensionnat de la tuque

Après les fêtes de Noël, les religieuses ont demandé à toutes les petites filles de leur montrer leurs cadeaux de Noël. Les enfants pensaient que les sœurs voulaient admirer leurs beaux cadeaux. Elles ont sorti toutes sortes de beaux objets artisanaux... des moufles, des mocassins, des tissages de perles, et ainsi de suite, avec toutes les heures de travail et l’amour des mères. Les religieuses ont fait se tenir les enfants à la fenêtre de leur chambre. Elles ont mis les cadeaux en tas sur la pelouse, les ont arrosés d’essence et les ont brûlés devant les enfants.
témoignage ANONYME

Les écoles résidentielles chez les Inuit

En 1912, les frontières du Québec sont prolongées pour inclure le Nunavik. Dans les années 1930, le gouvernement fédéral refuse d’accepter toute responsabilité pour le bien-être des Inuit du Québec alléguant que, comme il en s’agit pas d’"Indiens", ces derniers relèvent de la province. En 1939, la Cour suprême du Canada tranche en faveur du Québec et établit que les Inuit sont des "Indiens" et qu’à ce titre, le gouvernement du Canada est responsable de leur bien-être dans tout le pays. C’est seulement dans les années 1950 que des externats administrés par le gouvernement sont établis au Nunavik.

Comme pour leurs voisins du sud, le système des pensionnats et des écoles est imposé aux Inuit sans consultation, par des gens qui ne parlent pas leur langue. La plupart des parents ne sont pas allés à l’école et les résidences sont souvent situées à des milliers de km du foyer familial. Les parents n’ont pas la chance de voir où leurs enfants habiteront ou de garder contact avec eux après leur départ.

« Je me souviens que, les premières nuits que nous étions au pensionnat, lorsqu’une personne commençait à pleurer, toutes les, toutes les petites filles commençaient à pleurer ; chacune d’entre nous. On n’avait pas toutes le même âge. Et on pleurait comme de petits chiens, pendant toute la nuit, jusqu’à ce qu’on finisse par s’endormir ; on s’ennuyait énormément de nos familles. C’est le souvenir que j’en ai. »
Betsy Annahatak à l’école résidentielle de Payne Bay (kangirsuk)


Port Harrison (Inukjuak) Federal hostel

La construction d’une série de petits foyers dans les villages de l’Arctique de l’est et du Nord-du-Québec a accéléré le processus par lequel les Inuit sont passés d’un monde composé de près d’un millier de communautés migratoires à la sédentarisation. Les planificateurs du gouvernement pensaient que les familles laisseraient leurs enfants dans les pensionnats et continueraient de passer une partie de l’année sur leurs terres. Les parents choisissent plutôt de s’installer toute l’année dans les villages situés à proximité de leurs enfants.

La gestion de l’éducation est réquisitionnée par les Inuit avec la Convention de la Baie-James et du Nord du Québec en 1975.

Il y avait en 2015 environ 350 survivantes et survivants Nunavimmiut (Inuit du Nunavik) de ces foyers.

Abus sexuels

Les viols étaient tellement fréquent qu’ils sont décrits comme institutionnalisés.
Les punitions corporelles étaient régulièrement utilisées par le personnel enseignant. Dans bon nombre de cas, les élèves ont subi différents types d’abus.

Dans certains cas, les pensionnaires sont enchaînés, séquestrés ou grièvement battus. Jean Pierre Bellemare, qui est allé au pensionnat de St Marc de Figuery, dit avoir subi "de la violence physique, de la violence verbale, des attouchements et tout ce qui vient avec".

Le membre du personnel qui a agressé sexuellement Elizabeth Ashini à l’école de Sept-Îles, lui a dit qu’elle ne pourrait jamais dire ce qu’il lui avait fait. Il lui a dit : "Faut que tu le gardes pour toi, parce que petit Jésus il va être fâché, il ne sera pas content." Elle n’a jamais dénoncé les abus qu’elle a subis.

"Le prêtre était là. Il m’a dit de me mettre à genoux. je l’ai fait, et il a alors commencé à lever sa robe, sa tunique, c’était une longue robe noire, et quand il a commencé à lever la robe, j’ai commencé à crier et à pleurer, en criant, j’ai crié et il m’a finalement laissé partir."
Marie Therese Kistabish dans le confessionnal de l’église à St Marc de Figuery.

Louisa Papatie a déclaré qu’à St Marc de Figuery, une fois la directrice de l’école lui a demandé d’aller à l’étage supérieur :

« « Viens. » C’est ce qu’elle a dit, « Viens avec moi. » Elle m’a, elle m’a embrassée sur la bouche. A un moment donné, elle a commencé à me caresser le dos, et je me suis débattue, et j’ai essayé de m’enfuir, mais je n’avais pas assez de force, parce que j’étais juste une enfant et qu’elle était plus grosse et plus grande que moi. »

Si un employé était dénoncé par un élève ou un parent, l’administration du pensionnat pouvait le renvoyer en silence ou bien le transférer dans une autre école. Les responsables ont souvent délibérément détruit les preuves.

Les filles qui tombaient enceinte suite au viol pouvaient être expulsées de l’école, cachées dans une autre institution religieuse, ou portée disparues.

"Les religieuses nous lavaient. C’était toujours les mêmes quand c’était le temps de la douche. Elles nous frottaient les parties intimes. Longtemps... J’aimais pas ça... Y choisissaient toujours les mêmes enfants ! On m’avait peur de se laver. J’ai vu un psychologue... Je me demandais si c’était normal... quand j’ai eu des enfants. Je voulais pas toucher à mes enfants là."
Une survivante de pointe bleue

"Moi, comme tel, je n’ai pas été agressé sexuellement. Mais mes 2 meilleurs amis l’ont été, par des religieux. L’un des deux s’est suicidé. Presque toutes les femmes plus âgées que moi ont été agressées au pensionnat. Des attouchement du curé durant la confession. Toutes les filles y ont passé. Les abus étaient institutionnalisés."
Marcel Boivin, au pensionnat de St Marc de Figuery.


Robert Boucher, Atikamekw de Wemotaci, a fréquenté le pensionnat de Pointe bleue de 1961 à 1971. Robert s’est suicidé le 11 février 2003 à l’âge de 48 ans. Il a été l’un des premiers pensionnaires à dénoncer publiquement les viols dont il a été victime :

« Okacic, une cigarette entre les doigts, regardant le lac, entre au plus profond de lui-même. Une forme de rage et de dégoût s’y trouve. Il serre les poings jusqu’à en trembler. Il a vu et entendu tellement de choses. Mais le geste qui marqua à tout jamais son existence, en plus de son déracinement, fut l’abus sexuel dont il fut victime. Il n’aurait jamais pensé qu’un être religieux puisse en arriver là. Il ne comprenait plus. [...] Okacic est maintenant debout. Il a hâte de réentendre sa langue, de la réapprendre. Il a hâte de découvrir sa culture. Il a hâte car, maintenant, il sait une chose : il ne reviendra plus... »

Malnutrition et maladies

Les considérations budgétaires du gouvernement ont pour cause bon nombre des problèmes dans les pensionnats mal financés : insalubrité, surpopulation et carences dans le régime alimentaire.
Les anciens élèves parlent de la façon dont ils étaient affamés dans les pensionnats. Les élèves qui ont dit avoir eu faim ont aussi parlé des efforts qu’ils ont faits, en cachette, pour améliorer leur situation.

Les carences nutritionnelles et le surpeuplement ont entraîné régulièrement des épidémies dans les écoles. Bien que la tuberculose et la grippe aient été les principales causes de décès, les élèves sont également touchés par des éclosions de variole, de rougeole, de typhoïde, de diphtérie, de pneumonie et de coqueluche.

Certains élèves sont sujets à des expériences nutritionnelles sans leur consentement ou le consentement de leurs parents. Ces études, approuvées par divers ministères du gouvernement fédéral, mentionnent le fait de restreindre à certains élèves l’accès à des éléments nutritifs essentiels et à des soins dentaires pour évaluer les effets des améliorations de la diète pour d’autres élèves.

Une fois, 3 ou 4 ans après l’ouverture de ce pensionnat, tout le monde, tous les enfants de ce pensionnat étaient malades ; 200 personnes malades au lit. L’une des choses qu’ils nous ont dites, c’est que "Celui qui parle français guérira le premier, ou guérira plus vite". Alors, quand les gens ont entendu parler de ce nouveau médicament, quand vous parlerez français, vous ne serez plus malade, vous pourrez alors sortir à nouveau. Nous sommes restés allongés dans nos lits pendant des jours, des semaines. Puis nous avons commencé à parler français et un miracle s’est produit. Nous étions à nouveau en vie. C’est pourquoi j’ai toujours l’impression que nous avons été drogués.
Richard Kistabish à St-Marc-De-Figuery


Pensionnat catholique de Sept-Îles (mani-utenam)

"Elle avait un handicap ; elle était petite pour son âge. On la traitait comme notre bébé. On avait l’habitude de l’habiller. De brosser ses petites dents pourries et de peigner ses cheveux secs. Pour nous elle était très belle. Une nuit, elle, elle est tombée malade. Ils sont venus me réveiller. Alors, j’ai dit que je resterais avec elle, avec son petit ours en peluche, et je lui ai chanté une berceuse que ma grand mère chantait pour nous lorsqu’elle nous mettait au lit. Je savais qu’elle ne se sentait pas bien.

Elle avait de la fièvre. Puis elle s’est endormie, alors je suis retournée au lit. Et puis, ils m’ont réveillée et m’ont dit qu’elle ne se sentait pas bien. Je suis donc allée la voir, et je savais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Je suis donc allée réveiller une de mes amies, et je lui ai dit : « Il faut l’emmener au dispensaire. Quelque chose ne va pas. » Elle ne pleurait pas, mais elle nous regardait en souriant, un genre de sourire qui nous disait que quelque chose n’allait pas. Alors, je l’ai enveloppée dans une couverture comme un petit bébé, avec son ours en peluche. L’autre fille a couru en bas pour aller chercher l’infirmière, et il y avait une chaise juste là, à côté de la porte de la clinique. Je me suis assise là, et je la tenais dans mes bras, et j’ai chanté pour elle. La fille qui était avec moi, qui a couru en bas, elle a dit : « l’infirmière s’en vient. » Je ne sais pas combien de temps on a attendu. Je sentais sous la couverture qu’elle était en train de se mouiller. On, on pouvait voir ses yeux regarder vers le haut, puis vers le bas. Elle est retournée en bas pour aller chercher l’infirmière. Quelques minutes après son arrivée, elle, elle avait son uniforme d’infirmière, on pouvait voir quelle avait pris une douche et tout, et quand elle a vu la petite fille, quand elle a vu Juliet, elle, elle m’a dit de la mettre sur le lit à l’infirmerie, alors je l’ai fait.

Elle n’était même pas venue, et elle, l’ambulance est arrivée, le médecin est venu ; je peux encore me souvenir de ce médecin... Quand ils l’ont descendue, j’ai tenu sa main jusqu’à la porte, puis ils l’ont mise dans l’ambulance, et c’est la dernière fois que je l’ai vue. Ce jour-là, après le dîner, ils nous ont appelés, tous, on devait tous aller dans nos chambres, et je savais qu’il y avait un problème. Alors, j’ai demandé a Candy, la dame qui s’occupait de nous, on avait l’habitude de l’appeler Candy parce qu’elle nous donnait toujours des bonbons, et elle, elle est morte, et elle ne voulait rien me dire. Et j’ai couru derrière elle, et elle a couru dans sa chambre, et j’ai couru derrière et je lui ai dit : « Dites-moi. » Elle, quand elle a fermé la porte, je suis allée dans sa chambre et je lui ai dit : « Dites-moi qu’elle est morte. » Elle ne voulait pas me le dire. Alors, ils nous ont rassemblés tous dans une chambre, et ils nous ont dit qu’elle était morte.

Quand ils ont ramené le corps, la tombe était prés de l’église, ils ne l’ont même pas ouverte pour qu’on la voie. Je voulais la voir. Je voulais qu’elle, je sentais qu’elle n’était pas la, que tout cela était un mensonge. On allait l’enterrer, on n’était que cinq personnes. Les parents n’étaient même pas là. Ils ne les ont même pas invités, n’ont pas invité les parents à venir. Même aujourd’hui, je ne peux pas aller au cimetière, en sachant que je vais voir une petite plaque avec un simple numéro. »

Mary Coon au pensionnat de la tuque


St Marc De Figuery en 2007

Enfants disparus

De 1880 à 1920, de 25% à 30% des jeunes Autochtones mouraient au cours de leur séjour dans les pensionnats canadiens.
Pour 49% de ces morts, la cause du décès n’est pas inscrite ;
Pour 32% de ces morts, le nom de l’enfant n’est pas inscrit ;
Pour 23% de ces morts, le genre n’est pas identifié.

On répertorie un minimum de 38 morts dans les pensionnats du Québec.

Beaucoup des élèves sont morts de maladie. Mais d’autres sont décédés lors de fugues, par suicide, noyade, hypothermie ou dans des incendies.

Dans le reste du Canada, la CVRC a dénombré 37 cas où des incendies sont soupçonnés d’être allumés délibérément.

Les survivant-es ont aussi rapporté des cas d’enfants tués délibérément par le personnel des pensionnats.

En entendant les récits des survivant:es, les Autochtones ont demandé que la CRVC puisse enquêter sur les enfants assassinés ou disparus dans les pensionnats. La requête a été refusée par le gouvernement canadien.

Il n’était pas pratique courante de remettre la dépouille des élèves décédés dans les pensionnats aux communautés d’origine.

Les parents n’étaient pas toujours informés du décès de leur enfant.
Il n’était pas rare que les enfants qui mourraient au pensionnat soient enterrés dans des tombes non identifiées ou des fosses communes.

La plupart du temps, les cimetières dont la CVRC a fait état sont aujourd’hui abandonnées, désaffectés et risquent d’être profanés accidentellement.

En 2021, les communautés commencent à faire des recherches sur les sites des anciennes écoles pour retrouver, dénombrer et identifier les corps. Le premier site canadien à être fouillé, à Kamloops en Colombie-Britannique, compte 215 enfants.

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation a révélé en septembre 2019 les noms de 2 800 enfants autochtones morts dans quelque 80 pensionnats à travers le pays. Ils ne sont qu’une fraction des âmes perdues aux mains du système colonial. Puissions-nous honorer et ne jamais oublier ces vies volées.

Les noms qui suivent proviennent des pensionnats québécois de Fort George et de Sept-Iles.

Bertie Kitty 1946-01-23
Charlotte Sandy 1947-07-11
Clifford John Bearskin 1940-02-29
David Utchenayea 1940-06-02 — 1940-06-08
Harriet Mistacheshuk 1942-05-31
Henriette Myopa 1947-07-07
Joseph Georgeskish : ca. 1939
Maggie Sashawaskum 1945-05-03
Merilda Napess 1956-04-12
Mina Nero ca. 1944
Minnie Natwapinashkam 1937-02-20 |
Rebekah Agnes Sealhunter 1942-06-27
Samson Nine Oclock 1940-06-19
Sinclair Pestawayan 1940-07-02
Stephane Fiseman 1941-06-06
Stewart Spencer ca. 1937
Sydney Checkochee 1940-03-19

Les impacts sur les femmes

Non seulement l’installation du système de valeurs patriarcales catholiques a tenté d’effacer le rôle politique traditionnel des femmes autochtones, mais la vie quotidienne était aussi plus dure au pensionnat pour les filles. Elles recevaient une éducation moins poussée que les garçons parce qu’elles devaient entrevoir un futur domestique plutôt qu’un emploi.

De retour dans les communautés, la violence latérale a affecté beaucoup plus durement les jeunes femmes. Les abus psychologiques, physiques et sexuels vécus par les jeunes garçons a pu se refléter en violence domestique. Plusieures femmes victimes d’abus sexuels lorsqu’elles étaient enfants se sont résolues à l’industrie du sexe une fois adulte.

Il existe un lien inextricable entre le grand nombre de femmes autochtones assassinées et portées disparues et les nombreux facteurs liés aux séquelles laissées par les pensionnats. Les traumatismes ont engendré une plus grande vulnérabilisation.

Au nom du gouvernement du Canada, Stephen Harper s’excuse le 11 juin 2008.

Le Vatican refuse de s’excuser encore à ce jour.

Séquelles et traumatismes intergénérationnels

La fermeture des pensionnats ne marque pas la fin de leur histoire. Les impacts de leur existence demeurent encore aujourd’hui prévalents. Le fardeau de la honte et de la colère a souvent laissé place à l’alcoolisme, aux troubles mentaux et au suicide. Les séquelles ont aussi une incidence sur les familles et les nouvelles générations. Les traumas sont transférés aux enfants des survivant-es, et à leurs petits-enfants. Ils expliquent en grande partie les écarts importants sur les plans de l’éducation, du revenu et de la santé entre les Autochtones et les autres Canadiens.

Les conséquences se reflètent aussi dans la persistance du racisme éhonté que certain-es entretiennent envers les Premières Nations, Métis et les Inuit au Canada et au Québec. II n’est pas rare d’entendre des enseignant-es interdire à des enfants autochtones de parler leur langue en classe même aujourd’hui.

Long chemin de guérison

« Plusieurs membres de nos familles, frères et sœurs cheminent toujours vers la guérison. Alors, il faut garder espoir, il faut s’aider et aider aussi nos enfants et nos petits-enfants. Aujourd’hui, mes enfants transmettent à leurs enfants tout l’amour auquel ils ont droit. Dans nos valises de pensionnaires, il y a déjà eu notre haine, notre colère et notre honte. Aujourd’hui, dans ma valise personnelle, il y a de l’amour, de la tendresse, que je donne à mes enfants, à mes petits-enfants et à tous ceux qui me sont chers. Nous voulons que ça change, aujourd’hui.  »
Jackie Kistabish

Ma petite valise du pensionnat


Quand Je suis parti pour la première fois pour le pensionnat, ma mère prépara avec soin ma petite valise. Elle prit soin de mettre tout ce dont j’aurais besoin.

Mon linge, quelques jouets que je ne revis jamais. J‘avais 6 ans pour ce premier voyage. Dans ma petite valise, ma mère avait mis aussi tout l’amour qu’elle avait sans oublier celui de mon père. Il y avait aussi des caresses, de la tendresse, du respect pour moi et pour les autres, le partage et beaucoup d’autres qualités qu’elle m’avait enseignée. Le voyage a duré 12 ans. Lorsque je suis revenu à la maison, ma petite valise était lourde. Ce que ma mère y avait mis n’y était plus ; amour, caresses, toutes ces belles choses avaient disparu. Elles avaient été remplacées par la haine, le rejet de moi, les abus de toutes sortes (alcool, drogues, abus sexuel) par la violence, la colère et les idées suicidaires. C’est-ce que j‘ai transporté pendant longtemps.

Mais j’ai fait le ménage dans cette valise. J’y ai remis tout ce que ma mère avait mis lorsque je suis parti la première fois : l’amour. Le respect de moi et d‘autrui et tout plein d’autres qualités. Ha oui... j’y ai rajouté la sobriété et surtout la spiritualité. Ma petite valise est très légère. Elle est pleine de bonnes choses que je peux partager avec toutes les personnes qui se trouvent sur mon chemin. Peu importe la couleur de la peau, blanc, rouge, noir, jaune, nous sommes tous des êtres humains, nous sommes tous des créatures divines.

Marcel Pitikwe, 2007


Un monument a été érigé sur le site de l’ancien

pensionnat de St Marc de Figuery en 2013.

Commémoration

Le pensionnat de Pointe-Bleue est un des derniers à fermer au Canada, aussi tard qu’en 1991. La bâtisse principale a été conservée et transformée en école secondaire de la communauté de Mashteuiatsh, renommée Kassinu Mamu (« tout le monde ensemble »). Une cérémonie de commémoration a eu lieu en 2017, et on peut y trouver un petit monument à la mémoire des ex-pensionnaires.

En 2012, d’anciens pensionnaires de Sept-Iles démolissent par le feu l’ancienne cordonnerie du pensionnat, là où la plupart des abus sexuels ont eu lieu.


La cordonnerie du pensionnat de Sept-les brûle.

Extrait de l‘enfance déracinée de Real Jr Leblanc, 2013

Une stèle et deux plaques commémoratives sont installées en 2013 et 2015 à Kanehsatake en l’honneur des enfants envoyés au pensionnat de Shingwauk en Ontario.

En 2006, une bâtisse du pensionnat de La Tuque est détruite lors d’une cérémonie où environ 200 ex-pensionnaires Eenou et leurs familles ont participé.

Paul Dixon, survivant de l’école de la tuque :

Je pense que nous cherchons à tourner la page. Et en démolissant ce bâtiment, c’est exactement ce que nous obtenons. Ça m’a fait du bien de donner ce coup de massue. Je pense que je vais le mettre sur Ebay, et je n’accepterai rien de moins qu’un million de dollars. Les Autochtones sont forts et ont résisté à l’épreuve du temps. L’homme blanc a voulu et continue d’essayer de se débarrasser de nous, mais il n’y parviendra jamais. Nous serons toujours là.

Quelle réconciliation ?

La Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, qui a débute en 2007, est le plus important règlement de recours collectif de l’histoire du Canada. Les survivant-es qui ont témoigné en privé pour recevoir une indemnisation signaient un contrat qui les empêchaient de révéler publiquement leur histoire par la suite.

La CVRC a été déclenchée en 2008. Plus de 6500 survivantes et survivants ont témoigné aux audiences. Très peu de non-autochtones ont assisté ou témoigné aux événements publics.
Critiquer la réconciliation, ce n’est pas faire honte aux anciens et aux personnes qui ont participé à la CVRC, c’est attaquer un gouvernement qui a profité de ce moment de vulnérabilité pour renforcer son image globale. Je l’ai déjà dit et je le répète, je ne blâme pas notre génération âgée d’espérer un avenir plus pacifique. Ceux qui ont vécu l’horreur des pensionnats et la rafle des années 60, le système de passe et les abattages de chiens de traîneau ne pouvaient que souhaiter une vie meilleure pour les générations à venir. Il est de la responsabilité de ces jeunes générations de se lever et de dire que ce qui leur est offert n’est pas suffisant. C’est à nous de dire que nous préférons encore cent ans de lutte plutôt que d’accepter la douce assimilation qui nous est offerte. C’est à nous de remercier nos aînés pour leur service et de nous tourner ensuite vers les lignes de front avec nos plumes, nos tambours et nos poings.

Tawinikay, 2019

Références

 Commission vérité et réconciliation du Canada
 Centre national pour la vérité et la réconciliation
 Fondation autochtone de l’espoir
 Gilles Ottawa, Les pensionnats indiens au Québec
 Marcel Pitikwe, Nipekiwan, je reviens
 CSSSPNQL, Recueil d’histoires de vie des survivants des pensionnats indiens du Québec
 Daniel Tremblay, L’éveil des survivants : récits des abus sexuels dans les pensionnats amérindiens du Quebec
 Pierre Lepage, Mythes et réalités sur les peuples autochtones 3° éd.
 Tawinikay, La réconciliation est morte : proposition stratégique
 K.L. Ladner & M. J. Tait, Survivivng Canada : Indigenous Peoples Celebrate 150 years of Betreyal
 Magalie Lapointe, Le diable de la Côte-nord
 Edouard Itual Germain, Ni kistisin / Je me souviens



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