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Jeux Olympiques d’hiver, Grenoble 1968

mis en ligne le 3 juillet 2023 - saccage2024

En février 1968 et ce quelques semaines seulement avant le début des révoltes étudiantes à Nanterre eut lieu en France un autre évènement mémorable : les Jeux Olympiques d’hiver de Grenoble. Cette 10ème édition des Jeux Olympiques d’Hiver, la deuxième à se dérouler en France après celle de Chamonix en 1924, se tint du 6 au 18 février 1968, rassemblant plus de 1 000 athlètes venant de 37 pays différents, un record à l’époque pour des Jeux d’Hiver.

Depuis, les Jeux de Grenoble sont perçus comme étant les premiers Jeux de la modernité, permettant notamment à la ville de bénéficier de transformations qui auraient pris près de 20 ans sans cela [1].

Nous allons ici détailler précisément le bilan exact de ces Jeux.

Cette brochure s’appuie sur le rapport réalisé par les Verts « La face cachée de la Candidature de Grenoble aux Jeux Olympique d’hiver de 2018 », qui militaient à l’époque pour que Grenoble n’accueille pas les Jeux de 2018, édition ayant finalement échu à PyeongChang. Ce rapport très fourni est disponible gratuitement sur le net.

1- Les raisons de la candidature :

La candidature de la ville de Grenoble pour la tenue des Jeux Olympiques a été motivée par trois raisons principales.

La première est relative à la volonté de développer le tourisme et les sports d’hiver. L’idée est de profiter des JO pour moderniser les stations de ski et faciliter leurs accès.

Les stations furent évidemment très enthousiastes vis-à-vis du projet et versèrent 70 000 francs pour promouvoir le dossier de candidature de Grenoble.

La deuxième raison concerne l’opportunité de profiter de l’accueil de ces Jeux pour accélérer des projets d’urbanisme et rattraper un retard en infrastructures.

Enfin, la troisième raison réside dans la volonté même du président-dictateur Charles de Gaulle qui concevait l’organisation des Jeux comme une aubaine pour accroître le prestige de la France à l’international. Cette perspective restait fidèle à l’esprit de Coubertin qui voyait dans les JO l’occasion de « régénérer la race française par la rééducation physique [2] »

2- Les JO moteurs du développement ?

Il est indéniable qu’avec l’accueil des JO la ville de Grenoble se transforma radicalement. De nombreuses constructions furent réalisées telles que le Palais des Sports, l’Alpexpo, un nouvel Hôtel de Ville, l’Hôpital Sud, la Rocade Sud ou encore la création d’un aéroport et d’une gare SNCF. Le rôle que jouèrent les JO dans ces chantiers est cependant à relativiser.

En effet, toutes ces constructions étaient déjà prévues et auraient dû être réalisées d’ici 1970. Les JO n’ont fait qu’accélérer leur mise en place et permis qu’elles soient terminées pour fin 1967. Les JO n’ont pas fait gagner 20 ans à Grenoble, mais à peine 3.


La cérémonie d’ouverture des Jeux de Grenoble

Il est important de souligner que le développement des infrastructures propres au JO s’est fait au détriment d’autres, comme le montre le rapport de Danielle Dailly [3] :

« Compte tenu de la nécessité de réaliser certains équipements structuraux indispensables à la réussite des Jeux, notamment en voirie rapide, d’autres secteurs ont été dramatiquement sacrifiés. Dans certains domaines pourtant vitaux, les programmes ont été arbitrés à moins de la moitié des besoins. Comme exemple nous citerons le secteur de l’enseignement.

Pour l’enseignement primaire, 421 classes ont été créés sur les 848 prévues, soit 47%. Pour l’enseignement secondaire, 8 400 places nouvelles sont disponibles : sur 17 600 soit 47,7% et pour l’enseignement technique 1 728 places disponibles sur 4 320 imposées par les besoins.

Rien n’a été fait par ailleurs au moment des Jeux pour améliorer la circulation et l’organisation du centre traditionnel grenoblois. « Dans l’agriculture : des effets négatifs notables doivent être mentionnés : des exploitations ont été morcelées ou anéanties par les travaux routiers. Les expropriations ayant été menées trop rapidement, il s’en est suivi une hausse des prix des terres agricoles. »

Pour tirer un vrai bilan des infrastructures créées spécialement pour les JO, nous devons nous intéresser aux éléphants blancs qu’ils laissèrent derrière eux.

3- Les Éléphants Blancs

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un éléphant blanc ? L’expression est employée pour désigner un ouvrage ou une construction monumentale très coûteuse s’avérant peu nécessaire. L’histoire des Jeux Olympiques est remplie d’éléphants blancs, de stades et de piscines aux coûts faramineux qui une fois les compétitions achevées ne sont que très peu utilisés et ou laissées à l’abandon [4].

En ce qui concerne les Jeux de Grenoble, l’éléphant blanc le plus célèbre est celui du tremplin de Saint-Nizier du Moucherotte. Comme l’explique le maire de la commune dans une interview pour le journal We Demain :

« Après les Jeux Olympiques, le tremplin a continué à servir pour des entraînements et des compétitions. Jusqu’en 1989. Et puis les normes ont changé. Il aurait fallu investir pour remodeler la piste de réception. Seulement, le saut à ski est une discipline mineure en France. Et Saint-Nizier ne dispose pas de structures de ski nordique alentour pour rentabiliser un tel investissement. »

Délaissé, le tremplin de 90 mètres et ses 2 ha de site olympique finirent par être fermés au public pour des raisons de sécurité.


Le tremplin laissé à l’abandon

« On a tout simplement pollué un bout de la montagne pour le construire », déplore Wladimir Andreff, professeur en économie du sport.

Une pollution ayant coûté la bagatelle de 5,9 millions de francs.

De son côté, l’anneau de patinage de vitesse a échappé de peu au statut d’éléphant blanc, son défaut principal étant son système de réfrigération coûtant trop cher pour être maintenu après les Jeux. Une solution est finalement trouvée et l’anneau est transformé en piste de roller et de skate. La piste de bobsleigh de l’Alpe d’Huez, elle, n’eut pas cette chance.

D’une longueur de 2 030 mètres et comprenant six virages et quatre courbes, la piste de l’Alpe d’Huez possédait un désavantage sérieux : son exposition plein sud. Malgré la hauteur de la station de ski (1860 mètres d’altitude), la glace ne tenait pas et les épreuves des JO durent se dérouler de nuit, essuyant de nombreuses interruptions dû au manque de glace. La piste fut désaffectée juste après les Jeux Olympiques. Sa construction a coûté la somme de 5,5 millions de francs.

Ces éléphants blancs laissés par les Jeux posent question quant au bilan économique des JO pour la ville de Grenoble.

4- L’impact économique des JO

Encore une fois, le rapport de Dailly dresse un bilan très éclairant sur à ce sujet :

« Un bon nombre d’activités secondaires et tertiaires ont profité du fonctionnement des Jeux Olympiques qui étaient des clients importants : les artisans, les industries de sport d’hiver, d’habillement notamment.

En outre, de nombreux emplois temporaires ont été créés, et c’est un fait non négligeable, car de plusieurs centaines d’emploi offerts pendant la phase de préparation, le total s’évaluait à plusieurs milliers d’emplois pendant les Jeux. La main d’œuvre locale était d’ailleurs nettement insuffisante et l’extérieur à fournir plus de 60% de ces emplois momentanés.

Donc à l’exception du bâtiment et des activités momentanées liées au fonctionnement même des Jeux Olympiques, l’économie grenobloise ne s’est guère trouvée concernée directement. »

Si de nombreuses entreprises sont attirés par la région après les jeux (comme Schneider ou Thomson), l’impact du tourisme reste assez faible pour la ville de Grenoble.

Ce sont surtout les stations de ski qui bénéficièrent d’un afflux de tourisme grâce à une augmentation de la qualité du service et de leur capacité d’accueil.

Au niveau de ses finances, la ville s’endetta énormément pour boucler le budget des JO et Hubert Dubedout (le maire de l’époque) augmenta les impôts locaux de 230 % en seulement trois ans.

En fin de compte, les Jeux coutèrent 1,1 milliard de francs et furent déficitaire de 80 millions. L’État prit en charge la majorité du déficit et laissa à Grenoble le soin d’en combler 20 %, que la ville mit 27 ans à rembourser.

Si le bilan financier est loin du succès vanté, qu’en est-il côté social ? Qu’ont réellement apporté les Jeux de Grenoble à sa population ?

5- L’impact social des JO

Si les Jeux de Grenoble sont un succès, ce n’est certainement pas du point de vue de leur fréquentation.

En effet, si les organisateurs comptaient vendre au moins un million de tickets d’entrée, il s’en est vendu deux fois moins malgré le fait qu’ils aient été bradés dès la deuxième semaine de l’évènement. Au final 503 700 billets à peine furent vendus.

La plupart des infrastructures ne furent remplies qu’à 70 %. « On a construit un hôtel flambant neuf qui n’a jamais fait le plein. Entre 15 et 20 % des chambres sont restées vides », explique Wladimir Andreff.

À cause du prix des billets, peu de spectateurs·rices étrangers·ères firent le déplacement et parmi la population locale beaucoup se contentèrent de regarder les Jeux à la télévision, où ils furent diffusés pour la première fois en couleur.

De plus, si les JO de Grenoble sont les Jeux de la modernité, notons qu’avec 211 femmes athlètes participantes contre 947 hommes ils ne furent certainement pas ceux de la parité.

Pire encore, ils marquèrent la bien longue histoire de la discrimination olympique avec la mise en place d’une nouveauté : les tests de féminité. Le test de féminité est un contrôle obligatoire auquel durent se confronter les athlètes femmes. Le contrôle consiste en une vérification gynécologique visuelle ainsi qu’un test génétique fait à l’aide d’un frottis buccal.

Si le test confirmait la présence des chromosomes XX (censément présents chez les femmes), les athlètes se voyaient discerner un certificat de féminité.

Le test est réputé très éprouvant pour les athlètes. S’il finit par être aboli par le CIO en 1999, celui-ci reste malgré tout pratiqué sur des personnes considérées comme « suspectes ».

Ce test a fait des victimes : pour exemple, au Jeux de Grenoble la skieuse autrichienne Erika Schinegger fut négative au test et se vit refuser l’accès à la compétition.

Enfin, concernant le volet de la militarisation de la société, l’armée française a été déployée pour l’organisation des Jeux Olympiques alors même que les JO sont un évènement privé dont le CIO est le seul propriétaire. Il faut donc prendre la mesure du fait que pour les Jeux de Grenoble, l’État français se mit littéralement au service d’une entreprise privée, qui plus est de droit Suisse et ne payant aucun impôt en France. Des milliers de militaires se sont ainsi vus mobilisés pour des missions aussi diverses que damer et préparer les pistes de ski, transporter du matériel et du personnel, mettre en place des clôtures, travailler sur les infrastructures et les parkings, prêter du matériel ou encore faire la police et/ou du secourisme sur les pistes.


Véhicule militaire déployé pour les JO de Grenoble

Conclusion

Les Jeux Olympiques ont permis à la ville de Grenoble d’accélérer certains chantiers de modernisation, ceux-ci se faisant au détriment de secteurs tels que l’agriculture ou l’éducation en plus d’entraîner une explosion de la dette et des impôts locaux.

Par ailleurs de nombreuses infrastructures créées pour les JO furent par la suite démantelées ou laissées à l’abandon.

Enfin, avec une organisation militaire omniprésente, des épreuves boudées par nombre de spectateurs·rices et la mise en place d’une discrimination systématisée sur le genre et le sexe, nous pouvons légitimement nous demander de quelle modernité les Jeux de Grenoble furent les initiateurs.

Sources en ligne

https://www.wedemain.fr/respirer/jeux-olympiques-la-malediction-des-elephantsblancs_a422-html/
https://www.20minutes.fr/societe/2214555-20180206-50-ans-jeux-olympiques-grenoble-gouffre-financier-pari-reussi
https://www.20minutes.fr/societe/2214559-20180206-jeux-olympiques-grenoble-traceslaisse-jo-1968-capitale-alpes
https://www.francebleu.fr/sports/sport-d-hiver-ski-biathlon/jo-de-1968-a-grenoble-lesjeux-de-chamrousse-1517424239
http://www.grenoble-ecologie-solidarite.fr/grenoble2008/IMG/pdf/Grenoble2018_La_ face_cachee_des_JO.pdf
https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/grenoble-1968-chantier-titanesque-jo-1401503.html
https://newsroom.univ-grenoble-alpes.fr/h-auteurs/numero-4/les-femmes-aux-jeuxolympiques-300727.kjsp
https://lactualite.com/sports/pour-en-finir-avec-les-tests-de-feminite-aux-jeux-olympiques/

[1« Sans les JO, ce changement aurait mis 20 ans à se faire » selon Pierre Chaix, membre du Centre de droit et d’économie du sport de Limoges.

[2Sport et éducation physique 1870-1970 : l’influence du mouvement sportif sur l’évolution de l’éducation physique dans l’enseignement secondaire Français de Jacques Thibault

[3L’influence des Jeux Olympiques sur le développement de Grenoble. 1970. Ce document est consultable librement aux archives municipales de Grenoble.

[4Vous pouvez retrouver une carte interactive de certains de ces éléphants blancs olympiques sur le site https://multimedia-sorbonne.com/jo/ElephantsBlancs


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