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TransPédé.eGouines cependant

mis en ligne le 22 janvier 2022 - anonymes

« Je respecte le pronom de toute personne, en tant que part importante de son humanité et de son individualité. L’usage de mon propre pronom a été complexifié par le chevauchement des oppressions.
Mais ces dernières années, je me suis autant senti·e proche du pronom nous que des pronoms il, elle, et iel. »

– Leslie Feinberg, Notes de l’auteur·e pour l’édition anniversaire des 20 ans de Stone Butch Blues

Qui et pourquoi ?

Nous, qui écrivons ce texte collectivement, sommes nombreux.ses et multiples : des personnes transmasculines, personnes transféminines, gouines, féministes, pédés folles, mectransgouines, meuftranspédées, Ft*, Mt*, tafioles, biEs, butchs, fems, “de travioles”, queers, TPG, tordues enragées. Mais aussi des prolos, des racisé.es, des putes, des TDS, des précaires, des lumpenproletariat, des campagnardEs, des sexiléEs, des salopes, des cagoles, des kékés, des keupons [1] .

Au-delà des mots que nous pouvons poser sur nos identités, nous manifestons un désir politique commun.

Nous avons investi du temps et du travail pour arriver à produire ce texte. Nous l’avons fait collectivement pour joindre ensemble les compétences de chacun.e.

Nous espérons y transmettre ce que nous avons appris, y apporter nos propres propositions, et donc participer à nos éducations populaires mutuelles, tradition des milieux politiques qu’ils soient anar, communistes, féministes, queer, etc…

Pourquoi ce texte ? Nous voulons, en écrivant ce qui va suivre, réagir à certaines attaques, postures, discours en vogue au sein de “nos communautés” et que nous détaillerons plus bas, mais que nous allons introduire ici de manière large :

Une offensive contre le droit à l’autodétermination, et plus globalement une remise en question d’une pensée queer, transpédé.egouine et féministe dont nous nous réclamons.

Nous revendiquerons, tout au long du texte, les proximités, la fluidité de nos alliances et de nos identités qui se nourrissent les unes des autres : Les meufs trans et les pédales. Les travesties et les tafioles. Les mecs trans et les butchs. Les folles et les fems. Les mecs trans et les meufs trans. Eccetera. Et vice versa. Et dans tous les sens.

Nous avons pour nous les multiples possibilités de co-construction ; les proximités et les inspirations mutuelles sont infinies, quand bien même elles seraient illogiques et bâtardes : il faudra vous habituer.

Car nous considérons que tant que les catégories “féminin” et “masculin” existent, tant que l’ensemble de nos manières d’être au monde seront lues à travers ce prisme, ces catégories n’appartiennent à personne et appartiennent à tout.e.s. Les pronoms, les expressions de genre, les codes vestimentaires et tout l’arsenal genré peuvent être partagés, pratiqués, appropriés librement par tout.es, en attendant la destruction complète du genre comme catégories binaires hiérarchisées.

Nous avons fait le choix, dans ce texte, d’utiliser alternativement le “nous” pour parler parfois de certain.es d’entre nous, parfois d’autres d’entre nous. Un nous multiple et en constant changement au fur et à mesure de la lecture, afin de montrer les liens entre nous tou.te.s, les perdant.es du système hétéropatriarcal.

Ce nous, très concrètement, c’est nous tout.es qui avons : proposé, rédigé, annoté, commenté, relu, amendé ce texte. Cela pourra désormais aussi être le nous de tout.es celleux qui s’y reconnaitront et le partageront.

Ainsi, la forme même des lignes qui viennent reflète le discours qui nous correspond.

Here we go again

Nous allons, dans chaque partie argumentative, résumer (et parfois simplifier malheureusement) le contenu en sous-titre comme ceci :

Ces débats ne sont pas anecdotiques. Ils sont émotionnellement chargés et importants politiquement.

Soyons clair.es, ce texte n’existerait pas si nous n’étions pas la cible continuelle de discours qui soutiennent que les personnes “transmasculines” (pour expliquer notre choix de mots qui n’est pas parfait et qui a clairement ses limites c’est ici [2] : feraient partie de la « classe des hommes », des « dominants », des « oppresseurs », des « ennemis de classe », des « traîtres à la cause », des “privilégiés”, etc.

Ces discours, qui renvoient les personnes transmasculines au groupe oppresseur sur l’axe du genre, produisent actuellement les effet suivants :

 la remise en question de la légitimité des personnes transmasculines à être partie prenante des luttes féministes
 L’injonction à qualifier d’hétérosexuelle toute relation entre une gouine et une personne transmasculine, entre un pédé et une personne transféminine.
 la mise en demeure pour une personne transmasculine de ne pas utiliser le terme transgouine ou gouin(e), tout comme pour sa/ses partenaires de cesser de s’identifier gouine
 la mise en demeure pour une personne transféminine de ne pas utiliser le terme transpédé(e) ou pédé(e) tout comme pour son/ses partenaires de s’identifier pédé
 la mise en demeure pour deux personnes transmasculines qui sortent ensemble de ne pas utiliser le mot gouines pour définir leur relation

Cette liste des sommations et des bannissements n’est pas exhaustive d’ailleurs [3]

Tout cela étant prescrit par des agent.es auto-déclaré.es de la police des mots que l’on trouve dans des milieux politiques variés, voire parfois clairement opposés : différents courants féministes, personnes qui se réclament du queer, autres personnes trans, personnes qui se réclament du “matérialisme”, TERFs, etc.

Ces attaques sont cycliques et ce depuis des décennies, et prennent une autre dimension à l’heure des réseaux sociaux – c’est en tout cas la situation que nous constatons en France, mais bien d’autres milieux queer hors France ont réussi à dépasser ces conflits désolants.

Ces injonctions invalidantes ne concernent pas que les personnes trans mais tout.es les autres queer, car derrière elles se cache une remise en question d’un certain nombre de principes fondamentaux de la pensée queer féministe. Nous pensons donc nécessaire de revenir, dans ce texte, sur l’histoire des idées féministes et queer. En effet c’est en s’y référant que nos débats pourront être contextualisés et rendus possibles et fructueux.

Nous allons essayer ici de rappeler ce que nous, qui nous réclamons de courants queer, marxistes et féministes, entendons par “queer”, par “classe des hommes”, par “féminisme”, par “gouine”, par “trans”, par “pédé”, etc.

À la fin, une fois qu’on se sera bien compris.es, il est très possible qu’on ne soit toujours pas d’accord. Ce n’est pas bien grave, c’est simplement le symptôme de différentes écoles de pensée qui font scission. Mais au moins chacun.e aura en main les termes du débat pour pouvoir décider si iel se reconnaît dans tel discours ou un autre.

Voici en tout cas, plus humblement, les termes que nous pouvons transmettre.

Un contexte émotionnellement chargé

Ces débats sont chargés d’émotion et c’est normal. À travers eux, chacun.e a l’impression que c’est sa propre identité et sa propre histoire, son propre militantisme, sa propre vision du genre et de l’organisation du monde qui est attaquée.

Cependant, en préalable au développement qui suit, nous posons ici que l’émotion et la colère ne peuvent pas justifier tous les comportements toxiques, destructeurs, favorisés par internet et les réseaux sociaux. Harcèlement, insultes, diffusion d’infos, de photos, appels à se lâcher sur une personne, sont des méthodes utilisées par les TERF, les abolo, les masculinistes, l’extrême-droite … et malheureusement de plus en plus par des personnes qui se réclament du féminisme. Nous condamnons ces outils fascistes, nous refusons de nous reconnaître comme camarades de celleux qui les utilisent.

Ceci étant posé, revenons à ce qui, dans ce que nous défendons, semble heurter d’autres personnes.

Voici quelques reproches et accusations qui reviennent chaque fois qu’une personne transmasculine s’affirme transgouine, refuse d’être assimilé à l’hétérosexualité, ou à la “classe des hommes” :

 dire que les personnes transmasculines ne font pas partie de la classe des hommes, cela signifierait que les mecs trans ne peuvent pas se définir comme hommes s’ils le souhaitent. Provoquant de la colère chez certains hommes trans qui perçoivent nos discours comme des attaques qui remettent en question leur légitimité à se dire hommes.

 cela signifierait que les personnes transféminines ne feraient pas partie de la classe des femmes et/ou ne pourraient pas, elles, se dire transgouines ou gouines. On comprend que ce sujet soit sensible quand on sait à quel point les femmes trans sont régulièrement ciblées par des discours transphobes de la part de TERF, LGB transphobes et du reste du système hétéropatriarcal, qui remettent sans arrêt en question leur légitimité à se dire femme et/ou lesbiennes et/ou gouines.

 il s’agirait d’une tactique des personnes transmasculines pour refuser de reconnaître leur privilège masculin. Évidemment, au sein de mouvements qui fondent une grosse partie de leurs discours sur la reconnaissance des privilèges, ça fait mauvais genre.

Nous constatons que beaucoup de personnes transmasculines, craignant peut-être d’être qualifiés de mauvais “““alliés””” des femmes, des féministes ou des meufs trans, s’empressent de rejeter nos discours, peut-être parfois moins parce que ça ne leur parle pas (ce qui est leur liberté bien-sûr) mais plus par peur de passer du “mauvais côté”.

De notre côté, comment recevons-nous, comment vivons-nous ces discours, ces injonctions et les campagnes régulières qui imposent ces grilles de lecture notamment via twitter, facebook et instagram ?

Au prétexte de ce débat, nous sommes la cible de propos très violents. On nous accuse entre autres joyeusetés d’être des “ennemis politiques”, propos de moins en moins minoritaires et souvent relayés, parfois même par des représentant.es d’orgas militantes importantes.
Et ce, alors que nous faisons pourtant partie intégrante de nos communautés, du militantisme queer et féministe, depuis bien longtemps.
Et ce alors que nos identités nous mettent en marge du système hétéropatriacal, dont nous subissons, nous aussi, les conséquences et les violences.

Pourtant, on peut semble-t-il, nous traiter de cette manière, et relayer, retwitter et partager ces propos sans que grand monde ne s’insurge, sans que grand monde n’invite à plus de mesure dans les propos. Sans que grand monde ne relève qu’on devrait se dépêcher de se rappeler qui sont réellement nos ennemis politiques.

Nous vivons le fait d’être qualifié.es contre notre gré d’hétéros, d’hommes, de femmes, etc… comme une attaque contre notre liberté à nous autodéterminer.
Les mots que nous choisissons pour nous nommer sont le reflet de nos identités intimes et politiques. N’importe qui peut comprendre combien poser sur nous-même les mots qui font sens pour nous est extrêmement important et combien cela peut-être bouleversant quand on tente de nous l’interdire. Ces mots sont aussi le reflet de nos appartenances communautaires, espaces de lutte et de politisation, communautés qu’un grand nombre d’entre nous a par ailleurs contribué à bâtir.

Croyez-nous, ces discours, qui renvoient donc les personnes transmasculines au groupe oppresseur sur l’axe du genre et de la sexualité, font très concrètement du mal. Par exemple [4] :

Donc oui, ces débats sont chargés et il est difficile de se retenir d’écrire des tweets lapidaires pour renvoyer brutalement notre colère. Mais nous voulons sortir de ces méthodes, les refuser, c’est pourquoi nous choisissons plutôt d’écrire ce texte et c’est pourquoi nous l’écrivons collectivement, c’est un choix politique en soi.

Les personnes transmasculines appartiennent-elles à la classe des hommes ?

’Non, ils ne possèdent pas le “privilège masculin”. Un “privilège” est à différencier d’un “confort/sécurité” circonstanciel. Ils sont opprimés par l’hétéropatriarcat. Ils n’exploitent pas le “groupe des femmes”. Et on ne peut pas parler de classe si on ne parle pas d’exploitation.

Qu’on désigne les personnes transmasculines comme illégitimes à se dire féministes, qu’on qualifie leurs relations et leurs partenaires d’hétéros (indépendamment de ce que les deux partenaires souhaitent ensemble), ou qu’on leur intime de cesser d’utiliser certains mots pour se définir, tout cela s’appuie sur l’idée que les personnes transmasculines posséderaient un privilège masculin et appartiendraient à la classe des hommes.

Classe des hommes dans le sens d’une division sexuée de l’humanité en deux groupes hiérarchisés, la classe des hommes vs. la classe des femmes, telles qu’ont pu le théoriser Christine Delphy et Nicole-Claude Mathieu, en intégrant le patriarcat à l’analyse de l’exploitation économique.

Si ces analyses ont permis de rendre visible le travail gratuit des femmes au sein des sphères “privée”, sexuelle, familiale, et de complexifier et compléter l’analyse marxiste du capitalisme, c’est tout de même une vision un peu poussiéreuse et qui ne permet pas de penser l’existence même des pédés, des gouines et des trans – mais nous y reviendrons plus bas.

Nous allons commencer par développer en quoi cette idée selon laquelle les/des personnes transmasculines détiendraient le privilège masculin et appartiendraient à la classe des hommes – par opposition à la classe des femmes – ne tient pas.
Ce ne sont pas nos termes, mais puisqu’ils sont largement utilisés contre nous, nous allons commencer par répondre sur ce terrain.

Personnes transmasculines et privilège masculin

Nous savons et rappelons que d’autres personnes transmasculines s’identifient comme hommes et nous ne sommes pas là pour les blâmer ni tenter de mettre leur discours en défaut. Si tu as des doutes et tu penses que nos discours empêchent des mecs trans d’être des hommes, clique ici [5] :

Il est communément admis dans les milieux féministes que lorsqu’on parle de classe des hommes on parle d’un groupe opérant au sein d’un système. Un système patriarcal qui divise artificiellement les individus entre la classe des hommes et la classe des femmes et donne à l’une de ces classes du pouvoir et des privilèges sur l’autre. Notamment le privilège masculin.

Nous pensons qu’il est tout d’abord important de rappeler que le spectre du privilège masculin, a d’abord été utilisé contre les personnes transféminines par les TERFs, et ce dès les années 70. Ces TERFs prétendaient (comme le font toujours les TERFs actuelles) que les meufs trans conservaient leurs privilèges masculins.

Les mêmes accusations, venant des mêmes discours, sont rapidement apparus contre les personnes transmasculines en les taxant d’acquérir par cette transition ces dits privilèges masculins.

Ces accusations, portées aujourd’hui par un courant qui se définit pourtant comme « transinclusif », découlent bien du même cadre de pensée que celui qui chargeait les meufs trans du privilège masculin il y a quelques décennies.

En effet, il ne s’agit que d’un simple renversement au sein du cadre de pensée imposé par les TERFs, là où nous devrions refuser en bloc les termes du débat qu’elles nous imposent – « vrais hommes », « vraies femmes », « women born women » … et le fameux « privilège masculin ». Répondre terme à terme, au lieu de s’extraire radicalement d’un cadre de réflexion binaire et essentialiste, ça n’est finalement que le reconduire en le dépoussiérant un peu. Ce néo-essentialisme à visage inclusif s’est progressivement imposé en France depuis une quinzaine d’années ; la notion de privilège masculin, qu’il aurait fallu déconstruire au lieu de se le refiler d’une catégorie de personne à l’autre comme une patate chaude, est donc désormais utilisé par des personnes trans contre d’autres personnes trans… ainsi que par des personnes qui se disent queer et croient s’opposer à la pensée TERF alors qu’elles utilisent bien les mêmes catégories, les mêmes mots, le même cadre.

Nous trouvons alarmant et franchement triste de voir comme ce concept a fait son chemin et est maintenant utilisé par “nos” propres “communautés” et contre elles-mêmes.

En tant que féministes, quand nous parlons de privilège masculin nous l’entendons tel qu’il a été développé dans les théories féministes, c’est à dire en se basant sur l’identification de plusieurs lieux de manifestation de la domination patriarcale, notamment : le travail (et l’accès aux ressources et aux richesses), la famille et le couple (et le partage des tâches à l’intérieur de ceux-ci, qu’elles soient ménagères ou émotionnelles), l’accès à l’espace public, la médecine en général et les droits reproductifs en particulier, les violences sexuelles, les violences conjugales, etc..

Les théorisations queer et transféministes ont ajouté à ces axes celui de l’obligation de conformité à la binarité genrée et hétérosexuelle qui va de pair avec ce système patriarcal et qui est une menace potentielle pour toute gouine, tout pédé et/ou tout.e personne trans. C’est pourquoi nous parlons souvent d’hétéropatriarcat.

Comme nous le rappelerons plus bas, les personnes transmasculines sont opprimées à tous ces endroits, à tous ces points cardinaux du régime patriarcal.

Ce qui est le plus fréquemment avancé comme preuve de notre privilège masculin est l’exemple du harcèlement de rue et de notre perception dans l’espace public. On nous renvoie régulièrement au fait que les personnes transmasculines ne sont plus harcelées dans l’espace public, ignorant systématiquement toutes les autres dimensions de nos vies, en dehors du strict moment d’aller au supermarché – couple, travail, droits reproductifs, santé, famille etc. De plus c’est aussi faire le choix d’ignorer les différences d’accès à l’espace public d’une personne transmasculine à l’autre (on n’a pas tous un “passing” de mec cis hétéro et on ne le souhaite pas tous non plus), les conséquences qu’un “passing” peut avoir sur notre peur d’être découverts, les conséquences qu’un “passing” peut avoir si l’on commence à être perçu comme un homme noir ou arabe en France, les conséquences d’un “passing” lorsqu’on est surtout perçu comme folle ou pédale, etc… C’est tendre vers une universalisation de nos identités et de nos parcours vécus, autrement dit cela vient supprimer nos multiples réalités trans.

Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la focalisation actuelle du féminisme hégémonique sur la seule question du harcèlement de rue, ses implications racistes et classistes, et sa simplification drastique des enjeux féministes à une seule géographie, un seul lieu, une seule dimension, à son évacuation pure et simple de ce que peuvent également vivre des hommes perçus comme racisés ou comme homosexuels.

Avons-nous besoin de répéter tout ce que les personnes transmasculines perdent, tout ce à quoi elles n’accèdent pas, dans la distribution des dividendes de l’entreprise patriarcale ?

Liste non-exhaustive de quelques exemples concrets qui montrent que si, le cis-tème hétéropatriacal continue de nous en mettre plein la gueule :

 quel que soit notre « passing » ou notre éventuel changement d’état civil, les personnes transmasculines sont vulnérables face au corps médical et victimes des violences qui en découlent.

 les personnes transmasculines sont directement concernées par les luttes féministes des droits reproductifs, que l’on parle d’avortement, de contraception, de pouvoir faire ou pas des enfants comme nous le souhaitons et selon nos conditions
 [6]

 concernant nos conditions matérielles : les personnes transmasculines ne sont pas, post-transition, les premières recrues du capitalisme. Une fois des hormones dans le sang, nous ne faisons pas éclater le plafond de verre pour rejoindre le palmarès de la répartition genrée des richesses. Nous sommes discriminés dans le monde du travail, (au risque d’y être outés et mis en danger), pour trouver un logement, face à l’administration, chaque fois qu’il faut prouver son identité (passage de frontière, la banque, la poste, l’administration, le système scolaire etc..) L’oppression est décuplée pour ceux d’entre nous qui sont racisés, puisque les contrôles d’identité sont beaucoup plus fréquents.

 nous sommes nombreux à être rejetés, niés ou isolés par nos familles ou à y être en danger de par nos transidentités

 nous sommes nombreux à avoir été victimes de violences sexuelles et de violences physiques en général et au sein du couple, avant, pendant ou après transition. Il a déjà été étudié que les personnes transmasculines sont une catégorie démographique à haut risque d’y être confrontées, notamment au sein du couple, de rencontres, ou lorsque les gens nous “découvrent”.

Extrait original en anglais en bas de page [7] :

“Connaissant la violente transmisogynie de nos sociétés, on pourrait supposer que les femmes trans constituent la majeure partie des victimes. L’étude statistique menée par FORGE, organisation de défense des droits des personnes trans, a révélé que les hommes trans connaissent en fait des taux légèrement plus élevés dans la plupart des types de violence sexuelle et domestique (ndr : sauf dans le domaine des crimes de haine liés au fait d’être trans, où bien qu’ils en soient beaucoup plus victimes que ce qu’on peut imaginer, ils le sont effectivement moins que les femmes trans). Cela rend en fait les hommes trans statistiquement plus vulnérables que les femmes cisgenres” (ndr : notamment dans les catégories : violences domestiques, physiques et sexuelles).”

nous sommes nombreux à avoir vécu des violences policières spécifiques à la découverte par les forces de “l’ordre” de notre transness (et cela même avec un changement d’état civil) et à être particulièrement vulnérables vis à vis de la police et de la justice de ce fait également, d’autant plus pour ceux d’entre nous qui sont racisés (allez-vous nous dire que “passer” pour un mec noir ou arabe, par exemple, est un privilège ?). Plusieurs d’entre-nous étant militant.es, nombreu.x.ses à être terrifié.es à l’idée de se retrouver en garde-à-vue ou en prison dans la population cis-homme et avec des matons qui se serviraient de notre transidentité pour nous exposer à encore plus de risques et de violences, ce qui a déjà été vécu par certains d’entre-nous. [8]

À tout cela s’ajoute la difficulté de n’être jamais perçus pour ce que nous sommes (trans ET queer ET féministes), que ce soit (à notre grande tristesse) par d’autres lgbt ou par des femmes cis qui nous renvoient au groupe des hommes cis, ou par les hommes hétéro cis qui s’essaient à la solidarité mascu, ce que nous refusons bien évidemment, bien trop souvent au risque de notre propre sécurité.

Enfin, croyez-vous qu’à partir du moment où certains d’entre nous se font moins emmerder dans la rue, la peur disparaît et avec elle tous les traumas causés par les violences patriarcales subies ? Ces peurs et traumas qui ont accompagnés nos vies depuis toujours et qui ne s’effacent pas avec l’apparition d’une moustache ou d’un torse plat, peurs et traumas liées aux souvenirs de nos agressions, menaces, viols, violences, sexualisations, infantilisations, aliénations de nos libertés individuelles, tentatives de nous conformer de force à un “genre” artificiel, menaces si nous sortions de nos rôles assignés, etc. Tout cela influe sur notre rapport au monde et notre manière de relationner avec les autres et produit des réflexes pour toujours ancrés en nous.

Nous parlons ici de peur et de trauma mais aussi bien évidemment de notre colère qui vient aussi de ces vécus. Cette colère, cette peur, ces réflexes intégrés sont partagés par tout.es les perdant.es du système patriarcal : les personnes transféminines, les personnes transmasculines, les gouines (cis ou pas), les pédés (cis ou pas), les femmes (cis ou pas) que ce soit par les expériences partagées depuis l’enfance, plus tard ou maintenant.

Privilège ? Ou confort/sécurité circonstanciels ?

Nous pensons que nombre de personnes confondent “privilège” et “confort/sécurité” ponctuelle. Le principe du privilège est qu’un groupe social en bénéficie de manière continue et structurelle, et non “selon les circonstances”, un “privilège” ne se retourne pas contre celui ou celle qui le “possède”. Le privilège blanc est un privilège car il sera toujours effectif et présent que ça soit dans le monde du travail, de la santé, vis à vis de la police, etc. Il n’est pas ponctuellement donné et retiré aux personnes blanches en fonction des différents lieux fondamentaux d’oppression.

A la différence du soit-disant privilège masculin d’un mec trans : nous considérons qu’une personne transmasculine, avec un “cispassing hétéro”, ne bénéficie que d’une sécurité et d’un confort de vie ponctuels en marchant dans la rue. Car sa condition de trans lui retire par ailleurs du pouvoir à de nombreux autres endroits, pourtant points cardinaux de l’oppression patriarcale. Il ne s’agit donc pas ici de posséder le “privilège masculin”. D’autant que le passing masculin, s’il apporte du confort à un endroit, en enlève à d’autres (comme le risque d’être victime de violences si on est “découverts”).

Dire que les mecs trans possèdent le privilège masculin de la classe des hommes est une négation et une invisibilisation des violences et oppressions subies par les personnes transmasculines.

Au point qu’il faille que l’on prouve sans cesse ces violences et ces oppressions.
Au point qu’il faille qu’on présente des études statistiques pour qu’on nous croit.

Tu parles de classe sans parler d’exploitation ?

Les exemples concrets listés plus haut montrent que les personnes transmasculines ne sont pas les bénéficiaires de ce système de classe hétéropatriarcal, et sont même, à des endroits, plus vulnérables que d’autres personnes que vous classeriez pourtant dans la “classe des femmes”. Par ailleurs il convient de noter que l’oppression hétéropatriarcale n’est pas une force binaire qui s’active ou s’inactive en fonction du sexe perçu : toutes les femmes cis ne vivent pas l’oppression hétéropatriarcale avec la même intensité et aux mêmes endroits.

Vous remarquerez que certains de ces exemples concrets relèvent non-seulement du manque de privilèges des personnes transmasculines, mais AUSSI de leur non-exploitation du “groupe des femmes” ET de leur place en tant que catégorie sociale elle-même exploitée.
Et c’est extrêmement important.

Parler de classes ne se résume aucunement à la seule notion de « privilèges », qui semble pourtant devenue centrale aux yeux des mêmes qui se réfèrent constamment à la notion de « classes de genres ».
Mais aux dernières nouvelles, les classes n’existent que parce que l’une d’elle exploite l’autre.

Le concept de classes, avant de causer privilèges, parle d’exploitation.

Et si on considère les so-called classes d’hommes et de femmes, on parle précisément d’exploitation du travail gratuit, sexuel, de care et de reproduction. Et nous affirmons que les personnes transmasculines n’exploitent en rien la “classe des femmes” à ces endroits (pas plus que les pédales d’ailleurs).
Non seulement parce que, comme dit plus haut, nous sommes tout autant concernés par les restrictions d’accès à l’avortement partout dans le monde, nos droits reproductifs sont contrôlés voire refusés par l’Etat (PMA, contraception,etc..), et tout autant exploités, contrôlés et dominés que celles que vous classeriez dans la “classe des femmes”. Mais aussi que nos corps sont exploitables et non exploitants à plusieurs autres points névralgiques :

 Nous n’avons bien entendu pas la possibilité d’imposer une grossesse à nos partenaires (par le fait de contraindre, convaincre, faire pression à provoquer une grossesse et/ou à poursuivre une grossesse non désirée, issue ou non d’un viol conjugal).
 Nos corps peuvent être alternativement fétichisés ou dénigrés.
 Nombre de personnes transmasculines pratiquent ou ont pratiqué le travail du sexe.
 Nous connaissons la valeur et pratiquons, pour nombre d’entre nous, tout l’éventail du care et du soin à autrui, et ce souvent d’autant plus que nous nous savons largement surveillés à cet endroit, et parce que nous savons l’infinie importance de ces tâches considérées comme « féminines ».

Bref : nous considérons que nous n’exploitons nullement, au sens marxiste du terme de classes, les femmes, et que nous partageons au contraire avec elles une condition d’exploité.es sur bien des terrains spécifiques au patriarcat.

Il est absurde de parler d’appartenir à une “classe” si l’on n’en parle pas comme d’un groupe qui non seulement jouit de privilèges sur un autre groupe social mais aussi l’exploite, se nourrit de l’oppression de l’autre groupe, le tout au sein d’un système organisé à cet effet. Donc la tentative de renvoyer les personnes transmasculines à la “classe des Hommes” échoue, cela n’a matériellement pas de sens, ou alors on ne parle pas de la même chose quand on parle de “classe” et on vous laissera le soin de redéfinir entièrement les théories marxistes là dessus.

La classe des Hommes vs. la classe des Femmes ?

La grille d’analyse de la classe des hommes vs. la classe des femmes est hétérocentrée mais aussi datée. On ne peut pas y faire rentrer d’un “côté” ou de l’autre les les Trans, les Pédés, les Gouines… Ainsi que beaucoup d’autres personnes et ce à cause de multiples facteurs d’exploitation ou de pouvoir qui complexifient cette apparente dualité.

Mais du coup, si les personnes transmasculines n’appartiennent pas à la “classe des hommes”, ça veut dire qu’ils appartiennent à la classe des femmes ?

Eh non, pas nécessairement. Voilà pourquoi il est nécessaire de sortir de la notion de classe des hommes vs. classe des femmes telle que portée par Delphy. Il y a eu beaucoup de théoriciennes marxistes et/ou queer qui ont écrit autre chose sans passer par l’impasse des notions de classes H/F dans lesquelles il faudrait faire rentrer au forceps les pédés, les gouines et/ou les personnes trans.

Il n’est pas nécessaire de pouvoir lire des livres longs, denses, des livres inaccessibles si on n’a pas fait Science Po, pour se renseigner sur les différents mouvements de pensée féministes, marxistes et queer avant de s’en réclamer. Ces pensées circulent largement sous différentes formes (podcast, rencontres interpersonnelles, tracts et brochures, blogs, manifestes, etc…).

Nous-mêmes, qui nous reconnaissons dans ces courants de pensée, y avons réfléchi, depuis des années, beaucoup plus grâce à ces médias-là que sur les bancs des universités.

Pour faire court : cette notion de classe des hommes VS. classe des femmes, qui reprend les termes de l’hétéronorme exclut de l’équation toutes les personnes qui sont des anomalies dans ce système (pédés, gouines et/ou personnes trans, et/ou personnes intersexes), et même plus largement toutes les autres personnes qui sont opprimées, exploitées par ce système d’organisation du genre et des échanges sexuels on pense par exemple aux jeunes migrants qui se retrouvent travailleurs du sexe et HSH [9], donc qui, sans être forcément gays, ne bénéficient pourtant pas du système hétéropatriarcal et sont exploités sexuellement dans tout un tas de capitales d’Europe. Ou encore aux enfants, qui sont à la merci de la violence sexuelle des adultes et ce qu’ils soient assigné.es fille ou garçon.

Cette notion de classe de sexe a d’ailleurs déjà largement été complexifiée par des théoriciennes et des grilles d’analyse qui incluent les dynamiques nord-sud. Comme par exemple les migrations qui amènent une large frange du travail du care et de reproduction en Occident à être déléguée aux personnes racisées, hommes comme enfants et femmes, migrant depuis le Sud global (agents d’entretien, femmes de ménage, travailleur.ses du sexe, etc).

Nous nous réclamons d’autres courants de pensée qui créent des alliances entre tout.es celleux qui sont devalué.es parce que traversé.es par le féminin d’une manière générale – toutes les personnes trans, évidemment les femmes et les gouines, et aussi les pédés et plus particulièrement les folles.

Mais, permettons-nous ici une digression pour essayer de préciser ce que signifie fondamentalement ce “féminin” dans la pensée héterosexiste majoritaire. De façon consciente ou pas, le « féminin » est directement lié à l’idée de passivité au sens sexuel du terme. Et la passivité sexuelle, est dite “dégradante”, et les hommes cis hétérosexuels mettent tout en place pour se distinguer de cette passivité qui s’oppose à leur virilité, et utilisent des termes comme “enculés”, “baisser son froc” ou “se faire baiser” pour bien démontrer le caractère rabaissant et insultant de cette passivité. Les viols punitifs sont quant à eux un paroxysme de ce renvoi violent aux places subalternes que la société nous assigne, en même temps qu’une réassurance, pour l’agresseur, de sa place de vrai homme.

Nous émettons l’hypothèse que les enfants, ce groupe dominé par excellence et sexuellement exploité, font en ce sens aussi partie de notre groupe. Celui des personnes perçues comme pénétrables et/ou pénétrées (indépendamment de leur pratiques réelles) – et donc placées en dehors du groupe des Hommes qui se voit et se vit comme : le groupe des Pénétrants Impénétrables. Nous avançons qu’il y a ici encore des alliances à articuler, une politique des passivEs, un front commun de celleux perçues comme telles, de celleux qu’on renvoie à la pénétrabilité, les enculéEs, les baisables, les mal-baiséEs, celleux qu’on peut dominer ou exploiter sexuellement.

Bref, nous nous réclamons de courants politiques qui considèrent que les pédés, les gouines, et/ou les personnes trans, déstabilisent l’hétéropatriarcat. Iels ne sont pas les seul.e.s. Les personnes intersexes (qu’iels soient pédés, gouines, trans ou non ou autre) subissent de façon violente et coercitive l’assignation dans les cases de ce système et invalident la naturalité de la binarité des sexes par leur existence même. Les bi.es, en tant que groupe et identité politique, font aussi partie intégrante de nos communautés et de nos luttes queer – rappelons-nous que c’est the Mother of Pride, Brenda Howard, qui se définissait comme femme féministe juive bisexuelle, qui organisa la première manifestation commémorative des émeutes de Stonewall – ce qui allait devenir la « Marche des fiertés », dont le principe a essaimé dans le monde entier. S’identifier comme bi.e, en continu ou stratégiquement, c’est, comme l’identité transgouine ou transpédé, une modalité de refus de la binarité genrée, cette fois du point de vue du désir et non du genre. Nous refusons la fâcheuse tendance dans nos communautés à vouloir ramener également les bi.es du côté de l’hétérosexualité.

Plus largement, nous considérons que par mille pratiques de genre et de la sexualité, les queers font exploser le système des catégories homme/femme. Système qui non seulement se base sur la division binaire artificielle entre deux classes de genre, mais prétend ces classes immuables, essentielles, “naturelles”, complémentaires et mutuellement exclusives, notamment en Occident, particulièrement obsédé par la différence des sexes depuis des siècles.

L’hétéropatriarcat est donc intrinsèquement lié à l’hétéronormativité, à la sexualité hétéro comme hégémonique et constitutive du genre, mais aussi lié à l’idée de deux genres uniques, naturels et essentiels. Il en découle que les pédés, les gouines et/ou les personnes trans sommes tout.es des anomalies dans ce système et sommes tout.es les perdant.es du système hétéropatriarcal.

Ainsi, nous posons qu’il n’est pas nécessaire d’être une “Femme” pour appartenir à ce que vous désignez comme “La classe des femmes”, dans le sens d’une classe opprimée et exploitée par le patriarcat.

Beaucoup d’entre vous se réclament de Wittig ; nous vous conseillons chaleureusement de la relire. Et de la relire comme elle nous a appris à penser : hors de tout un langage et de toute une grammaire hétérosexuelles.

Nous nous reconnaissons dans la pensée wittigienne qui postule que les lesbiennes ne sont pas des femmes du point de vue de l’hétérosexualité.

Ce que dit Wittig c’est que “les lesbiennes ne sont pas des femmes” car elles sortent de ce contrat hétérosexuel qui régit la société et définit ce que sont les “hommes” et les “femmes”.

La-Femme est un mythe qui n’a de sens que dans un rapport de force hétérosexuel homme-femme. Non seulement l’hétérosexualité ne peut exister que si il y a des “Hommes” et des “Femmes”, mais aussi : sorti.es de l’hétérosexualité les individu.es cessent d’être ce que ce contrat nomme “Homme” ou “Femme”

En ce sens, les personnes transmasculines non plus, ne sont PAS des femmes. Et pour certain.es d’entre nous, personnes transféminines comme transmasculines, transitionner a pu être le souhait non pas tant d’arriver dans un genre opposé que de quitter un genre assigné.

Les lesbiennes et les personnes transmasculines ont en commun d’avoir quitté cette place matérielle et sociale – la place de femme – sans avoir pour autant intégré la place des hommes. Puisque justement les catégories homme/femme n’existent que dans la pensée straight et sous un régime hétéropatriarcal.

Il ne s’agit pas pour autant de dire que toutes les personnes à l’extérieur de ce que vous nommez la classe des hommes créent un groupe homogène. Au contraire nous y avons chacun.e des places différentes et justement ce que nous développons permet de l’affirmer, à l’inverse de la vision classe des hommes VS. classe des femmes -comme si ces groupes étaient uniformes et universels, comme si les questions de classe économique, de racialisation, de migrations, etc.. ne bouleversaient pas de fait cette vision qui prétend dire de manière simpliste qui opprime qui, qui exploite qui !

Oui, bien-sûr, nous connaissons tout.e.s des exemples de personnes qui, telles les contremaîtres de l’usine hétéropatriarcale, ne tentent pas seulement de sortir de leur condition mais le font en participant à l’oppression des leurs ; femmes réac pro-harcèlement (pardon, pro-“liberté d’importuner”), gays follophobes et machistes, lesbiennes transphobes, lesbiennes et mecs trans misogynes, etc… : nous avons conscience que toutes les femmes et les personnes LGBT peuvent être des agent.es actives de l’homophobie, la transphobie, la lesbophobie, la misogynie, etc. Mais ces contre-exemples ne changent rien au fait que nous, gouines, trans et/ou pédales, avons en commun d’être des irrégularités dans le système hétéropatriacal. Et des cibles de choix pour tout un tas de violences et d’oppressions certes variées, différentes, mais toutes issues de l’arsenal large dont dispose ce système.

La politique affinitaire du grain de sable

Mais tout n’est pas sombre. Nous ne nous résumons pas à être les perdant.es de ce système : en tant qu’anomalies [10] il en découle également que nous détenons tout.es un grand pouvoir de subversion, que cela soit conscient ou non, qu’il soit mis à profit ou non, parce que nos existences mêmes représentent un danger pour les principes sur lesquels s’appuie l’hétéropatriarcat. Nous sommes, nous pouvons être, le grain de sable dans l’engrenage.

Ce système nous encourage à nous fondre dans la masse, à nous “normaliser”, pour gommer notre pouvoir subversif, qui menace ses croyances (par exemple l’idée qu’il existe une nature féminine et masculine par essence et que les deux sont complémentaires). Ne reproduisons pas la même chose les un.es contre les autres. Refusons de fonctionner en petites cases mathématiques qui sont les miettes de ce que l’hétéronorme nous laisse : “une femme c’est comme ça, un homme c’est comme ça, une gouine c’est comme ça, un pédé c’est comme ça”. Et par extension “si tu utilises tel mot ça veut dire que tu me le retires à moi”.

C’est pourquoi, nous pensons qu’il est bien plus pertinent de se rappeler ce qui nous lie, nous rapproche, nous co-construit, faire tomber les murs plutôt que d’en construire, plutôt que de chercher qui parmi nous aurait rejoint le camp de l’oppresseur. Bien plus pertinent d’envisager les transpédégouines comme tout.es dissidentes au système hétéropatriarcal. Et ce malgré nos places différentes, nos endroits de confort/sécurité ponctuels occasionnellement différents.

Rappelons-nous combien nos existences mêmes, de gouines, de pédales, de trans et autres queers, remettent en question la réalité et la naturalité d’une division du monde en deux sexes, tout autant qu’en deux classes de genre.

Nous ne transitionnons pas POUR remettre en question la binarité. Pas plus que nous n’assumons d’être des gouines et des pédés et de vivre nos relations gays ou lesbiennes dans l’optique d’être des statements politiques vivants. Nous ne sommes pas queers pour la beauté du geste subversif. Transitionner est une question de survie pour beaucoup d’entre nous. Se fondre dans la masse également. Ca n’est pas un jeu. Mais les violences à notre encontre sont bel et bien celles d’un ordre oppressif qui se voit dénaturalisé, déstabilisé, menacé par nos existences.

Transfuges, dissidentEs, déserteurEs, hérétiques, nous sommes nombreuXses à échapper, matériellement, concrètement, chaque jour, à une analyse strictement binaire du genre. A en subir les conséquences. Mais aussi à construire nos solidarités, nos luttes et nos proximités émotionnelles, affinitaires et affectives indépendamment de celle-ci.

Car c’est aussi cela, vos mises en demeure à nous définir selon votre analyse simpliste, mécanique et néo-essentialiste du genre : une injonction à choisir de qui nous sommes proches et quelles devraient être nos affinités. Mais que vous le vouliez ou non, elles sont bel et bien là, nos complicités transpédéegouines, nos proximités, nos désirs communs, et tout ce que nous construisons indépendamment du référentiel insipide Homme/Femme.

Être transmasculin et se dire gouin(e), être transféminine et se dire pédé(e) ??

“Gouine”, “pédé”, et d’autres mots que nous pouvons choisir ou inventer pour nous décrire, représentent plus, voire autre chose, que “femme + femme” & “homme + homme”. Ce sont des identités politiques.

“Si t’es transmasculin, ça veut dire que t’es un homme de fait, tu peux pas te dire gouine ou transgouine, parce que les lesbiennes sont des femmes.”

Nos expériences de personnes transféminines et transmasculines sont toutes différentes et uniques. A commencer par la façon dont nous choisissons de nous nommer : hommes, femmes, ou d’autres comme hommes trans, femme trans, « trans » tout court, FTM, Ft* , transféminine, MTF, MT*, meuf trans butch, transmasculin, transgouin(e), transpédé(e) etc… On va pas vous faire la liste exhaustive justement car elle n’a pas de fin. Et nous pensons que c’est très bien comme ça.

Pourtant lorsque nous utilisons le terme “transgouines” s’ensuivent des attaques alors que, en tant que queer, nous considérons l’autodétermination de nos genres et de nos sexualités comme un pré-requis pour lutter et s’émanciper.

D’ailleurs, lorsque nous exigeons la liberté de poser les mots que nous voulons sur nous, nous l’exigeons pour nous tout.es et chacun.e d’entre nous.

Nous considérons donc, évidemment, que le terme de transgouine appartient autant aux meufs trans qu’aux mecs trans, et que l’identité gouine est à la fois une culture, une socialité, une sexualité, dans laquelle une pluralité de personnes peuvent se reconnaître.

Nous sommes nombreuses parmi les personnes transmasculines et transféminines à avoir un passé de gouine ou de pédé, parfois 2 fois, 3 fois ou 10 fois plus long que notre vie en tant que trans. Que croyez vous ? Que parce que nous changeons de pronoms nous perdons le lien avec notre identité gouine ou pédé ? Qu’elle s’efface magiquement lorsque nos seins ou nos poils poussent, alors que c’est précisément à travers elles que nous nous sommes construit.es, avons appris à relationner, avons milité et élaboré notre identité politique et sexuelle, et avons créé des cercles de solidarités ?

En tant que queer nous considérons que les termes de gouine et de pédé sont des identités politiques qui ne veulent pas simplement dire “fille + fille”, “garçon + garçon”, et certainement pas (l’enfer) “vulve + vulve”, “pénis +pénis”.

Gouine, butch, pédé, folle, fem, etc.. sont des termes, quand nous les utilisons, qui font référence à notre culture, à notre militantisme, à notre passé, à nos cercles, à nos manières d’aimer. En tant que queer nous considérons qu’il n’est pas contradictoire de se dire par exemple transmasculin ET gouine ou transféminine ET butch, ou trans ET pédé(e), folle, fem, etc…

Ces mots évoquent pour nous notre place dans le monde, la manière dont nous nous sentons, notre histoire personnelle et/ou notre héritage théorique et militant.. Rien de ce que vous pourrez dire ou faire ne nous empêchera de les utiliser. Ils nous appartiennent autant qu’ils pourraient vous appartenir et ce faisant nous ré-affirmons notre liberté à l’autodétermination individuelle et collective et nos politiques de re-signification des mots :

On tente de nous refuser ces termes ? Peu importe, on peut les réclamer et les re-signifier comme on veut.

C’est ça justement la force des minorités, produire des sens nouveaux à partir de vieilleries. Nous ne sommes pas attaché.e.s à la vieille différence sexuelle et à ses termes. Nous les reprenons et nous en faisons autre chose, plutôt que de nous accrocher aux mots tels que le Patriarche les a fixés.

Ironiquement, beaucoup d’entre vous qui vous insurgez que des personnes transmasculines utilisent le terme de “transgouine” avez lu Stone Butch Blues de Leslie Feinberg et l’avez aimé ..

Qu’est ce que vous ne comprenez pas dans ce texte ? Ne voyez vous donc pas la fluidité entre les identités de butch et de personne transmasculine de Leslie Feinberg/Jess ?

Si Leslie Feinberg était sur Twitter aujourd’hui, lui auriez vous fait un de vos tweets lapidaires pour lui dire qu’en embrassant son identité gouine butch et son identité trans à la fois, iel invisibilise les mecs trans pédés ou les meufs trans gouines ? Minnie Bruce Pratt, poétesse et activiste lesbienne, dernière partenaire de Leslie Feinberg est encore en vie. Allez-vous l’interpeller pour lui interdire de se revendiquer lesbienne ? Quelle insulte.

De même, allez vous dire à Linn da Quebrada, artiste iconique trans brésilienne travesti, qui représente ce terme en tant qu’identité de genre en amérique latine et qui a sorti l’an dernier son film « Bixa Travesti », qu’elle ne devrait pas s’identifier à la fois femme et tapette/travesti parce que ce serait transphobe ?

Nous fêtions l’année dernière (2019) les 50 ans des émeutes de Stonewall. Si elles vivaient encore, iriez-vous sérieusement balancer à Sylvia Rivera et Marsh P. Johnson, fondatrices (ensemble ou séparément) du Gay Liberation Front, de la Gay Activists Alliance, de la Street Transvestite Action Revolutionaries (STAR), que les pédales, les folles et les drag-queens les oppriment et s’approprient de façon transmisogyne leur féminité, comme il est désormais devenu semble-t-il possible et féministe (!) de le reprocher aux pédales ?

Les personnes qui se réclament du « queer » mais qui pourtant remettent en question la fluidité des identités au sein du nom « queer » comprennent-elles les enjeux politiques qui sont à la base des émeutes de Stonewall et des personnes qui ont contribué à la propagation du « mouvement » queer ?

Gouine, butch, pédé, folle, fem, trans, etc.. Ces mots s’inscrivent dans un spectre qui est définissable par le mot « queer » à son origine. Ce spectre est impossible à comprendre pour des personnes qui identifient les genres en deux pôles, et qui n’accordent pas de valeur politique au mot queer.

Ce mot permet une fluidité visant à questionner et démonter en permanence la « théorie du genre » et les arguments de ses partisans, il interpelle les personnes se fiant à la science ou aux normes sociales pour “comprendre” le genre .

Dans Stone Butch Blues, Feinberg nous parle de relation butch/fems. Ce type de relation qui historiquement était déjà attaqué par d’autres lesbiennes qui considéraient que c’était une trahison politique, que c’était jouer le jeu de l’hétérosexualité et donc que ce n’était pas de “vraies” relations lesbiennes. Nous voyons bien maintenant combien l’acceptation des relations butch/fems comme légitimement lesbiennes, queer et certainement pas “antiféministes” a fait son chemin – et heureusement !

Mais nous voyons le même genre de discours re-surgir pour cibler les relations entre meufs (en particulier si elles sont cis, en particulier si elles sont fem) et personnes trans masculines. Nous le répétons : nous n’empêchons personne de se dire hétéro, et nous demandons le même respect élémentaire dans le choix de mots que nous utilisons pour nommer NOS relations amoureuses et sexuelles. Nous dénonçons ces injonctions qui font désagréablement écho aux attaques historiques contre les couples butchs/fems. Ne comprenez-vous donc pas que beaucoup d’entre nous nous inscrivons dans la même continuité ?

Oui, dans certaines de nos relations, nous jouons ces jeux de rôle, nous fétichisons entre nous certains aspects de ce qu’on nomme la masculinité et la féminité. Et cela peut nous faire du bien, nous apaiser, nous soulager, nous être vital, comme nous amuser, ou nous exciter, sans enlever quoi que ce soit à la queerness de nos relations, présente et visible dans plein d’aspects de notre rapport à l’autre.

Cette obligation à se qualifier d’hétéro est émise indépendamment de l’accord qui existe ENTRE lesdit.es partenaires d’utiliser d’autres termes : ces injonctions, ces mises en demeure intrusives et autoritaires ne tiennent aucun compte de ce que peuvent souhaiter deux partenaires au sein d’une même relation.

Comment dire autrement qu’il nous est très désagréable que l’on tente de décider à notre place ce que sont nos identités et nos relations, quand bien même ça serait pour vous rassurer vous-même ?

Pile ou Face ?

Ne pensons pas les transmasculinités et les transféminités en miroir. Refusons de penser le genre dans la même dualité, dans la même opposition symétrique, que les straights [11].

On nous dit :

Du coup si des personnes transmasculines ont le droit de se considérer comme n’appartenant pas à la “Classe des Hommes”, ça veut dire que les femmes trans n’appartiennent pas, à vos yeux, à la “Classe des femmes” ?

ou Si vous vous autorisez à vous dire transgouin(e) ou transpédé(e) ça voudrait dire que les meufs trans qui sortent avec des meufs cis ou entre elles, ne sont pas des vraies gouines et celles qui sortent avec des mecs cis ou trans pas des hétéras ? Ca veut dire que les mecs trans pédés qui sortent avec des mecs cis sont pas des vrais pédés ?

Non. Ces équations mathématiques, ces petits calculs, ces idées sur le nombre limité de mots utilisables, cette impression qu’utiliser un mot le retire à d’autres, tout cela, nous n’y croyons pas.

Les transidentités “masculines” et “féminines” ne sont pas les deux faces d’une même pièce.

Nous tenons à être clair.es sur ce point : nous ne mettons absolument pas en parallèle nos parcours trans.

Nous l’avons dit plus haut, nous savons bien que les femmes trans partagent une communauté d’expériences passées et/ou présentes, de traumas, et d’oppressions et qu’elles appartiennent au groupe des femmes au même titre que les femmes cis. Qu’elles portent, tout comme ces dernières, la marque indélébile et infamante du féminin, doublée d’avoir osé faire sécession avec leur assignation à la naissance, les rendant cibles de choix pour la violence patriarcale.

La pensée queer nous donne la possibilité de considérer qu’un mot utilisé par des queer n’enlève rien à d‘autres queer, nous ne disposons pas d’un nombre limité de mots, nous pouvons en inventer, nous n’avons pas besoin de créer des symétries limitées plaquées sur ce que les cishétéros disent de nous ou pourraient dire de nous.

La logique ne nous intéresse pas, bien au contraire. Les combinaisons paradoxales, les mots bâtards, les polysémies, les concepts fluides qui échappent continuellement à la compréhension et la cohérence straight nous semblent une façon, puissante, de fissurer la binarité d’un ordre qui se pose comme naturel et logique.

Nous ne croyons pas en une « vérité du genre », et nous refusons d’ériger des barrières à l’intérieur de nous-mêmes. Nous préférons voir, et reconnaître, les perméabilités entre nous, les continuités dans nos vécus « pré » et « post » transition, et continuer d’interroger l’injonction faite à tou.tes de ne pas « mêler les genres », continuer d’interroger cette injonction comme nous encourage Sandy Stone à le faire, dans L’Empire contre-attaque, sa réponse-manifeste à L’Empire transsexuel, l’un des plus virulents pamphlets TERF.

Si vous pensez l’inverse, peut-être que nous ne faisons tout simplement pas parti des mêmes courants politiques et ce n’est pas la fin du monde. Mais laissez nous nous nommer et vivre tranquilles et comme nous l’entendons, car c’est ce que nous faisons avec vous [12].

Qui met en danger ?

Un rappel des réels “ennemis communs”.

On nous dit parfois que si nous utilisons ces mots là de “transgouine” ou “transpédée”, les straights ne vont plus rien comprendre et que ça aura des répercussions sur d’autres trans.

Qu’à tout brouiller, des personnes transmasculines se verront réassignées à une place de femme ou de lesbienne, et des personnes transféminines à une place d’homme ou de gay par des cishétéros transphobes. Que ça sera à cause de nos discours. On nous dit carrément que nous mettons en danger d’autres personnes trans.

Depuis quand se base-t-on sur ce que les cishétéros attendent de nous pour construire nos discours ? Sur les menaces que les transphobes font peser sur nous ? Nous ne renoncerons pas à l’autodétermination de nos identités pour rassurer les straights.

Nous ne fermerons pas nos gueules pour tenter d’entrer poliment dans les cases imposées afin d’éviter d’attiser la colère et la violence : ce raisonnement serait le signe d’un échec et d’une résignation que nous refusons.

N’inversez pas la charge. Notre autodétermination et les mots que nous souhaitons poser sur nous-mêmes dans toute notre complexité ne sont certainement pas responsables des agressions et des actes de réassignation punitive portés par les transphobes.

Le problème ne vient pas des mecs trans ou des meufs trans qui refusent d’utiliser les mots ou les cases tirées des miettes de ce que l’hétéronorme nous laisse, le problème ce sont les agresseurs, ce sont celleux qui refusent de genrer correctement les personnes trans, ce sont celleux qui réassignent des personnes trans à leur assignation de naissance, en mots comme en actes violents.

Pour finir et continuer

Nous tenons donc à rappeler que c’est bien le cis-tème hétéropatriarcal qui nous opprime tou.tes.

Et, bien qu’apparemment nous ne partageons pas cette conviction avec vous, nous ferons toujours front à vos côtés et chaque fois qu’il le faudra face à la transphobie, au sexisme, à l’homophobie et plus largement contre le racisme, la domination blanche, l’antisémitisme, l’islamophobie, l’état policier, le capitalisme, et la montée du fascisme, ainsi que contre toutes les violences faites aux personnes sous prétexte qu’elles sortiraient de la norme.

Nous sommes là quand il faut mettre en place des réseaux de solidarité et de lutte que ce soit en tant de crise comme la pandémie actuelle, ou le reste du temps. Nous l’avons toujours été et nous le serons toujours. Nous avons toujours milité et agit ainsi. C’est cela aussi le sens politique que nous mettons dans de “simples mots” tels que “queer” ou “transpédégouines”.

Ce texte affirme ce que nous sommes collectivement, le mouvement politique et de pensée dans lequel nous nous reconnaissons. Vous avez le droit de ne pas vous y reconnaître, nous ne sommes simplement pas du même bord sur ces points. Nous vous laissons, sans regrets, l’hétérosexualité et vos idées sur ce que sont “les hommes” et “les femmes”. Nous ne vous empêchons de rien. Laissez-nous être queer comme nous le souhaitons.

Nous évoluons dans une idéologie politique différente de la vôtre, un mouvement que nous appelons queer – et ce texte résume le sens que nous y mettons.
Nous continuerons de défendre ce courant de pensée si vous l’attaquez (et nous avec), tout comme nous continuerons de nous battre à vos côtés contre nos réels “ennemis politiques”, en ces temps de bashback masculiniste, de violences et de persécutions LGBTQIphobes, de montée des haines et des fascismes partout dans le monde.

Ce texte a été rédigé, commenté, annoté, relu, approuvé, corrigé… par nous tout.es :

Rokia, Noamdenuit, Sailor,
Gwenn, Raphaël, Morthy,
Claire, AnnaKarima, Ange,
Maïc, Quentin, Maddie,
NickLabaque, Olga, GaelAzel,
Célie, LindaDeMorrir, Océan,
JackyGaviria, Ernestine, Jasmin,
Ju, Kira, Saram, Liad,
Beverluxe, CassandreBactérie,
Sasha, Gael L, Chech, Loop,
Clara L, QueerFaithTheMany,
Jeannot, Eva-Luna, Arsène,
Flore, Cléo, Dionísio,
Juliet, Tom, Clémence,
Armin, FloZif, Mirek, Cha,
Clair, Cramé, Joh, NaomiNitel.
Et bien d’autres qui ont souhaité rester anonymes.

[1Nous précisons aussi que nous sommes nombreux.ses parmi nous à ne pas avoir construit nos discours dans les universités, ni dans des familles bourgeoises, mais à travers d’autres biais (à travers zines, blogs, discussions, nos propres vécus, livres, podcast, etc..), et à avoir pourtant réussi à co-écrire ce texte. Donc, prétendre qu’il aurait été écrit par des « universitaires » pour sous-entendre : des intellos bourges déconnecté.es de la réalité, et habitué.es à un jargon théorique imbitable est tout simplement faux. Nous ne pensons pas, d’ailleurs, « qu’universitaire » soit une insulte (mieux vaut se battre pour un accès aux « études supérieures » qui soit moins classiste que se traiter mutuellement « d’universitaires ») mais c’est une autre question, nous prenons ici les devant de ce qui pourrait être utilisé pour refuser de nous lire sous des prétextes fallacieux.

[2Nous précisons ici, que nous avons conscience des limites des mots transmasculin.es et transféminin.es qui participent à reconduire la binarité des identités, et invisibilisent l’exploration d’expressions de genre considérées comme féminines (pédale, folle…) que peut permettre une transition vers le genre grammatical masculin, tout comme l’exploration de sa butchité que peut permettre une transition vers le genre grammatical féminin. Nous connaissons aussi les limites de termes telles que Mt* et Ft*, qui mettent l’accent quant à eux sur l’assignation à la naissance. Nous savons que les termes parapluies sont intrinsèquement limités et partiels et qu’il est très difficile d’arriver à un consensus, mais pour une lecture relativement fluide du texte il nous faut pourtant choisir des mots. Nous utiliserons donc, malgré leurs limites, les termes de personnes transmasculines pour désigner les personnes trans qui utilisons majoritairement le genre grammatical masculin, et de personnes transféminines pour désigner les personnes trans qui utilisons majoritairement le genre grammatical féminin, indépendamment donc de nos expressions de genre.

[3interdiction aux pédales cis de se dire féministes (ils devraient se dire « pro-féministes », ou alliés), ou 2 personnes transfem ensemble ne pourraient pas se dire pédé.es, ou encore le mot transpédégouine pour s’identifier (utilisé par des personnes trans / genderfluid qui datent des personnes fem comme masc) est aussi souvent critiqué, etc

[4Un exemple des effets concrets de ces discours : il y a beaucoup de personnes transmasculines qui ne prennent pas d’hormones ou seulement à petites doses par peur qu’on leur reproche de « trahir » la classe des femmes, peur de perdre les liens avec une communauté lesbienne ou féministe qui pourtant est constitutive de leur identité. Nous ne parlons pas là des personnes transmasculines qui ne désirent pas prendre d’hormones parce qu’ils n’en ont pas envie, ce qui est leur droit, leur liberté les plus absolus et nous nous battons aussi pour cela. Non, nous parlons du fait que plusieurs d’entre nous craignent le passing, non pas parce qu’ils n’en ont pas envie quand ils se regardent dans la glace, mais plus parce qu’ils se sentent coupables ou ont peur d’être rejetés par leur propre milieu.

[5Nous ne nous exprimons ici que pour nous tout.e.s qui écrivons ce texte ou nous reconnaissons dedans ; pour parler de nos ressentis et de nos convictions. Et ce, sans nier les expériences ou convictions des autres car nous affirmons que cela est possible de discuter sans se faire juge ni maître des autres. Notre argumentaire reprend les termes du débat en utilisant le principe ( que d’ailleurs nous complexifions plus bas) de « classe des hommes ». Donc il s’agit ici de parler de classe, c’est à dire d’un groupe qui seraient, soit-disant, plus ou moins homogène, dominerait et en exploiterait un autre. Et cela, pour nous n’a rien à voir avec les mots que nous posons sur nous-même. Que même les cis « posent des mots » sur elleux-même quand elleux se disent « hommes » ou « femmes ». Ainsi, toi qui nous lis, même si tu n’es pas d’accord avec nous ou que tu ne fais pas partie des mêmes courants de pensée, nous considérons que tu as toute liberté, toute légitimité à être trans et à te dire Homme au même titre qu’une personne AMAB qui n’a pas transitionné se dit Homme. Toute liberté, toute légitimité à être trans et à te dire Femme au même titre qu’une personne AFAB qui n’a pas transitionné se dit Femme. Toute liberté et légitimité à te nommer comme hétér@, lesbienne, gouine, gay, pédé, etc.. bref de poser les mots que tu veux sur ton identité et ta sexualité. Nous ne faisons que réclamer la même chose.

[6Par exemple la PMA reste fermée aux personnes transféminines mais aussi aux personnes transmasculines avec CEC, et laisse dans un flou dangereux les personnes transmasculines sans CEC, invisibles dans la loi. Profitons-en pour rappeler par ailleurs, que même pour les lesbiennes cis ou les femmes cis célibataires l’accès à la PMA reste, pour l’instant un effet d’annonce et le projet de loi passe de commission en commission.

[7https://www.dailykos.com/stories/2019/8/9/1877651/-There-is-a-hidden-epidemic-of-violence-against-transmasculine-people « While those familiar with the violent transmisogyny in our society might assume that trans women make up the bulk of those victimized, research by the transgender advocacy organization FORGE found that trans men actually experience slightly higher rates of most types of sexual and domestic violence. This actually makes trans men more vulnerable than cisgender women. »

[8et sans même parler d’incarcération : au quotidien, quand nous sommes dans des espaces types bars, clubs etc…, nous, personnes transmasculines non-opérées, vivons avec la pression des confrontations dans les toilettes : s’il n’y a que des urinoirs dans les toilettes des hommes, nous craignons les réactions dans les toilettes pour femmes qui se sentent agressées par notre présence. Dans les toilettes pour hommes, nous avons perpétuellement cette angoisse d’être perçus comme trans car nous savons que cela nous exposerait potentiellement à des violences physiques et/ou sexuelles. Oui, les toilettes sont un lieu d’enjeux et de violences pour les personnes transféminines, et de manière générale et à différents degrés, pour toute personne qui sort des normes de genre attendues, mais c’est le cas aussi pour les personnes transmasculines, ne l’oublions pas.

[9Ce sigle inclut tous Hommes ayant des relations Sexuelles avec des Hommes indépendamment du fait qu’ils se reconnaissent comme hétérosexuels, bisexuels ou homosexuels.

[10D’ailleurs « queer » veut bien dire « étrange », « bizarre », « anormal.e » en anglais, terme originellement utilisé comme insulte envers nous et que nos communautés se sont réappropriées de manière politique.

[11Straights : par opposition à queers. A la fois « droits » et « hétérosexuels », les straights sont l’ensemble de tous ceux qui s’inscrivent dans l’hétéronorme.

[12Nous ne sommes pas à l’origine des attaques récurrentes et des campagnes de dénigrement si chères à « nos » so-called « communautés ». Par exemple, bien que nous ne nous reconnaissons pas dans une analyse dualiste du genre, nous ne sommes pas de celleux qui attaquent ou critiquent « les trans binaires » pour leur soit-disant « privilège binaire » ou autre bullshit de ce genre.


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