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"Science" et "délinquance"
Génétique de l’agressivité ou agressivité de la génétique ?
mis en ligne le 8 juillet 2009 - Anonyme
En 2005, L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (l’INSERM) établissait une « étude » sur « Troubles des conduites chez les enfants et adolescents » visant à faire croire que des signes de délinquance à venir peuvent être repérés et traités dès avant l’âge de trois ans.
En 2006, N. Sarkozy déclarait à l’Assemblée nationale que « les mineurs de 45 n’ont rien à voir avec les géants noirs des banlieues d’aujourd’hui », lançait la construction de prisons pour mineurs et laissait entendre qu’une partie de la population, jugée fondamentalement mauvaise, ne méritait rien d’autre que d’être passée au kärcher.
Début 2007, l’INSERM menait une enquête auprès de 4000 lycéen-ne-s des Ardennes sur le lien entre les gènes et la consommation de stupéfiants avec un prélèvement ADN à la clé.
En mars 2007, N. Sarkozy affirmait l’existence de la prédisposition génétique des « pédophiles » ou ou des jeunes « suicidaires ».
En janvier 2008, l’Assemblée nationale approuve la création de centres où l’on puisse garder enfermés « préventivement » des individus après qu’ils ont purgé leur peine, parce que jugés comme irrémédiablement dangereux. Tout comme le fichage ADN, qui a d’abord été justifié au grand public par le biais de la répression de la pédophilie et l’instrumentalisation de faits divers, cette mesure a fait directement l’objet d’extensions, dans un premier temps à tous les criminels condamnés à plus de quinze ans.
Ces différentes études, lois et déclarations convergent vers l’idée que nos comportements seraient déterminés, codés par nos gènes, ancrés en nous de manière définitive. L’éducation, la société, la culture, les discriminations n’y seraient pour rien ou si peu....
Dans une société obsédée par la sécurité et la délinquance, nourrie médiatiquement de la peur des jeunes, des terroristes, des pauvres, des étrangers, on cherche à définir des rapports entre les gènes et des comportements considérés comme déviants (« troubles », « nervosité », « rébellion », « agressivité »...). Il s’agit d’identifier des personnes « malades de naissance » qu’il faudrait éduquer différemment, soigner, enfermer, contrôler, diriger vers des institutions spécialisées au plus tôt.
En parallèle, un nombre croissant d’établissements scolaires mettent en place un fichage biométrique [1] des élèves pour l’accès à la cantine, le ministère de l’intérieur préconise un fichage génétique systématique de toute personnes arrêtée par la police, et les candidats au regroupement familial sont appelés à fournir des tests ADN d’authentification de filiation...
Qu’est-ce que la génétique ?
Les gènes sont des parties d’ADN dans chaque cellule permettant la synthèse des protéines qui vont constituer les caractéristiques de fonctionnement de notre corps. Nos gènes nous sont transmis à part égale par notre père et notre mère « biologiques », ils sont le support de l’hérédité. Ils définissent notre constitution physique, couleur de peau, vulnérabilité à certaines maladies dites « génétiques » et un ensemble de potentiels liés à des capacités généralement partagées par les autres êtres humains, telles que le langage, la souffrance et le plaisir, des possibilités de réflexion... La génétique est la science qui étudie le rôle et l’action des gènes sur les êtres vivants.
Tout est-il déjà joué à notre naissance ou sommes-nous toujours en devenir ?
Les dépressions et volontés suicidaires dépendent-elles plus des situations désespérées au travail, d’échecs scolaires, d’exclusions ou de quelconques défaillances génétiques ?
Si au début de la génétique le rêve de trouver dans les gènes un programme capable d’expliquer les évolutions et les comportements des êtres vivants était très fort, la plupart des chercheurs s’accordent aujourd’hui sur la complexité des rapports entre facteurs environnementaux (le type de société et de culture dans lesquelles on baigne, notre éducation, notre alimentation, nos rapports affectifs, notre parcours individuel depuis notre enfance) et génétiques (et plus largement biologiques), entre « acquis » et « inné ». On parle de « terrain », de « risques » pour la disposition à certaines maladies héréditaires par exemple, mais la plupart des chercheurs ont abandonné les équations du type 1 gène = 1 fonction = 1 comportement.
La génétique peut permettre de mettre en lien certains traits physiques (la faculté de voir, la couleur des yeux) ou déficiences (des maladies héréditaires) avec certaines associations de gènes. Pourtant, même dans le cas de traits « physiques », la puissance de détermination des gènes est toute relative : un enfant dont le développement est contrarié pourra devenir aveugle et certaines maladies héréditaires pourront être évitées suivant le mode de vie d’un individu. En ce qui concerne des comportements sociaux et affectifs c’est encore plus complexe, les gènes donnent peut-être à chaque être humain un potentiel de sociabilisation, d’affection, de conscience et de compréhension du monde, mais ce que devient ce potentiel c’est notre parcours de vie qui le construit. La case « innée » qui définit ce potentiel peut se remplir, un peu, beaucoup ou pas du tout et de plein de couleurs et matières diverses et variées en fonction de nos « acquis ». Quels que soient nos gènes, on aura une personnalité et des comportements complètement différents en fonction de notre éducation, nos expériences, notre culture, nos ami-e-s, notre milieu social...
Doit-on croire en la science ?
La science s’est développée, notamment à l’époque des Lumières, avec pour projet la diffusion généralisée des connaissances afin de faire reculer l’ignorance, la superstition et l’emprise de la religion sur la vie sociale. Si cet idéal de connaissance partagée peut parfois se vérifier, il ne faut pas oublier pour autant que la parole dite « scientifique » n’est jamais neutre et ne va pas toujours dans le sens d’un « progrès ». Depuis les origines de la biologie, des scientifiques de renom ont fait dire à peu près tout et n’importe quoi aux corps et aux gènes en fonction de leur idéologie politique et de ce qu’ils/elles cherchaient à prouver.
La science est autant un outil de savoir que le reflet de la société dans laquelle elle s’inscrit. N’oublions pas à ce titre que le moteur de la recherche scientifique actuelle n’a actuellement plus grand-chose à voir avec l’amour de la connaissance, mais surtout avec des financements privés et l’obligation de trouver au plus vite des applications commerciales rentables. La science est ainsi aujourd’hui plus que jamais instrumentalisée pour créer des machines de guerre, des centrales nucléaires, des pesticides, des gadgets de consommation, pousser à l’ingurgitation de médicaments ou justifier les vues politiques de nos dirigeants.
L’importance que l’on accorde aux gènes est-elle une question scientifique ou politique ?
« Je crois comprendre qu’il pense que le mal existe comme une entité séparée, claire, métaphysique, objectivable, à la manière d’une tumeur, sans aucune relation avec le social, la société, la politique, les conditions historiques. Je le questionne pour vérifier mon intuition : de fait, il pense que nous naissons bons ou mauvais et que, quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse, tout est déjà réglé par la nature. » Michel Onfray, philosophe, à propos de son entretien avec M. Sarkozy en mars 2007, dans lequel ce dernier évoquait pour la première fois la prédisposition génétique de la pédophilie et des tendances suicidaires.
« Pendant la seconde guerre mondiale, il y a eu des scientifiques d’extrême droite pour penser qu’on a tout à la naissance et qu’on ne peut plus rien changer. » André Langaney, généticien.
Malgré les nombreuses remises en cause de la prédominance du déterminisme génétique, pourquoi certains scientifiques et politiciens continuent-ils, à grand renforts médiatiques, à faire croire à l’existence de gènes de la fidélité, de l’homosexualité, de l’agressivité chez les Noirs ou du suicide chez les jeunes, ainsi qu’à promouvoir des recherches dans ce sens ?
Le degré d’importance que l’on accorde aux gènes ou à l’environnement n’est souvent pas tant une question scientifique que politique. Elle implique avant tout une vision du type de société dans laquelle on entend vivre. Poser l’importance du contexte environnemental, c’est concevoir qu’on ne naît ni bon, ni mauvais, que chaque individu est ancré dans une histoire en devenir et que donc il peut changer si on lui en donne les moyens. C’est partir du principe que les êtres humains sont avant tout le reflet de la société dans laquelle ils vivent et que l’on peut à tout moment débattre collectivement de ce type de société et la faire évoluer en fonction de ce qui pourra être épanouissant pour chacun-e.
Au contraire, dans l’histoire des idées, un déterminisme biologique réductionniste (ici déterminisme génétique) a généralement permis de justifier un ordre établi. Il a plus d’intérêt en tant que moyen de cautionner un état de fait et les stéréotypes qui l’accompagnent, qu’en tant que moyen de modifier le monde.
Pourquoi la conception du monde selon laquelle « l’inné » (les gènes) prédomine sur « l’acquis » (l’expérience) présente-elle donc de nombreux avantages pour le pouvoir politique ?
Ne pas remettre en cause la société, les dominations et discriminations
Cette conception du monde minimise la responsabilité de l’État et de l’organisation sociale dans les souffrances de la population. Affirmer la prédominance génétique de telle ou telle pathologie, c’est faire passer à l’arrière-plan le contexte social et environnemental. C’est couper l’herbe sous le pied des individus et des organisations politiques qui considèrent la structuration actuelle de la société comme la principale cause des souffrances psychiques, des maladies, des suicides et de la misère.
La fatalité du chromosome qui se substitue à la condition humaine et à son contexte, quoi de plus pratique en réalité pour une société qui ne sait plus comment traiter ses propres vices : ses inégalités, son absence de perspectives en dehors de la consommation et du petit écran, son exploitation des trois-quarts de la population mondiale pour la prospérité d’une minorité d’occidentaux, ses ghettos et son rejet des étrangers... Nous voilà d’un coup de baguette magique déchargés de dérangeantes remises en question.
Justifier les discriminations par la « Nature »
Plus profondément, cette idéologie donne ainsi un pseudo sens moral et « naturel » à certaines formes de discrimination « sociale ». Certain-e-s seraient fait-e-s pour commander, d’autres pour être guidé-e-s, certain-e-s pour être riches, d’autres pour vivre dans des HLM...
Pour ceux qui accordent un rôle primordial au déterminisme biologique, la nature – équivalente à un dieu bienveillant – donnerait un rôle à chacun qu’il s’agirait de suivre. Des tenants du darwinisme social aux néo-conservateurs d’aujourd’hui, en passant par les eugénistes, la nature a pu ainsi ordonner au gré des époques, de se mettre au service de son mari, des blancs, ou d’accepter que les échanges économiques reposent sur la loi du plus fort...
En réalité, le discours d’une nature intelligente dont il faudrait suivre les ordres a toujours servi d’argument à ceux qui voulaient entretenir leurs privilèges. Les luttes pour les droits des femmes ou contre la colonisation, les mouvements ouvriers, etc., ont heureusement prouvé que la nature ne prévoyait pas que les dominés demeurent soumis aux normes qu’on tentait de leur imposer.
Encourager les logiques répressives et carcérales
Cette conception du monde encourage les logiques répressives et carcérales. Si certains individus sont intrinsèquement agressifs ou pédophiles, ils sont incurables. Plutôt que de changer les rapports sociaux, il ne reste qu’à les repérer, les enfermer ou les « neutraliser » socialement par la camisole physique ou chimique. Cela permet de remplacer les expériences éducatives par des prisons pour mineurs et les surveillant-e-s de lycée par des caméras de vidéosurveillance, d’établir des quartiers entourés de barrières et de vigiles pour protéger les riches des pauvres aux gènes « mauvais ».
La logique du déterminisme génétique poussée à son extrême peut aussi amener à faire renaître des formes d’eugénisme. L’eugénisme, c’est définir ce que serait un « bon »être humain dans une société réservée aux « valides », et justifier stérilisations et éliminations avant la naissance de ceux qui auraient des gènes considérés comme porteurs de handicaps comportementaux, comme déviants sociaux. L’espoir d’éliminer les gènes porteurs de comportements antisociaux est la base de l’eugénisme, systématisé par F. Galton à la fin du XIXe siècle en Angleterre, en s’appuyant sur la théorie de l’évolution de C. Darwin, son cousin, et rapidement repris aux États-Unis, où plus de 60 000 personnes furent stérilisées... Les victimes étaient les personnes considérées comme délinquantes (une loi permettait la stérilisation d’une personne qui avait été condamnée pour des infractions à trois reprises), antisociales, « malades mentales » ou homosexuelles. Ces stérilisations forcées furent pratiquées dans une trentaine d’états et ne prirent fin que dans les années 1960. L’Allemagne nazie s’inspira des « travaux » américains. Les gouvernements anglais et suédois pratiquèrent aussi l’eugénisme et les stérilisations forcées.
Encourager une société gérée par des machines
La promotion du déterminisme génétique nous familiarise avec un certain discours, certains mots, une certaine vision des êtres humains. Dans une société automatisée et gérée par des machines, l’idéologie généticienne participe à légitimer un rapport mathématique et binaire au monde. Face à des machines, la complexité des relations sociales disparaît ; il n’y a plus possibilité de dialoguer, de négocier, de s’adapter au contexte et aux situations, de faire preuve d’empathie.
La promotion de la génétique comme une science exacte, rigoureuse et positive aide à faire accepter une société basée sur des outils de contrôle qui utilisent la génétique et plus généralement les outils qui caractérisent, sélectionnent, différencient les êtres humains en fonction des seules différences biologiques et corporelles. C’est le cas du fichage ADN (voir encadré), des machines de reconnaissance biométrique qui se multiplient dans les lycées ou les lieux de travail, des nouveaux passeports, des projets de puces informatiques implantées sous la peau pour suivre nos déplacements... À l’inverse, l’énorme propagande faite autour des enquêtes de police à base d’ADN aide à faire admettre petit à petit la génétique comme une science sur laquelle se reposer.
La généralisation du fichage ADN
« Les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance. » Christian Estrosi, remplaçant N. Sarkozy à une réunion européenne des ministres de l’Intérieur en 2007.
Début mai 2007, deux enfants de 8 et 11 ans étaient convoqués pour relever leurs empreintes génétiques. Motif ? Avoir volé deux « tamagotchis » et deux balles rebondissantes dans un hypermarché du nord de la France. Suite à la protestation des parents et quelques articles dans la presse nationale, le procureur a finalement fait marche arrière.
Depuis mars 2003, la police réalise un prélèvement ADN des personnes présumées ou jugées coupables de presque n’importe quelle action illégale, sans limite d’âge. Tag sur un panneau publicitaire, vol à l’étalage, fauchage d’un plan de maïs OGM, collage d’affiche, arrestation dans une manifestation... Les seuls délits écartés du fichage ADN sont ceux des riches et puissants : la corruption, les abus de biens sociaux. Avec la loi Sarkozy, le fichage génétique s’est démultiplié jusqu’à atteindre 330 000 personnes en 2006... L’objectif du gouvernement est d’atteindre le million de personne fichées en 2008. En octobre 2007, au moment où les rafles d’étrangers se multiplient en France, la nouvelle loi sur l’immigration prévoit que les candidats au regroupement familial fournissent des tests ADN.Des laboratoires en biotechnologies tentent cependant d’aller encore plus loin dans l’utilisation des gènes à des fins policières. Leurs recherches visent à déduire, d’un simple prélèvement ADN, un maximum d’informations sur son propriétaire : portrait-robot, groupe ethnique, maladies congénitales, séropositivité... C’est le cas de la firme états-unienne DNA Print Genomics, sollicitée par les polices du monde entier. Pour obtenir les échantillons d’ADN nécessaires à ses recherches, cette start-up effectue des campagnes de prélèvement génétique sur toute la planète. Elle sollicite notamment les clubs de généalogie, promettant à leurs membres de leur révéler leurs origines lointaines, en échange de leur ADN (L’Express, 28/03/2007).
À quoi peuvent aboutir le fichage ADN et la croyance dans le déterminisme génétique ?
Les états totalitaires ont toujours rêvé de pouvoir traquer, pister les êtres humains dans leur individualité, leur intimité, contrôler leur corps et leur esprit. Quand on pense que les gens naissent mauvais et que l’on ne peut vraiment les changer, ce que l’on qualifie de prévention, c’est de les écarter avant même que tout « délit » ait été commis. Dès aujourd’hui, on tente de limiter les actes de contestation sociale en fichant l’ADN des militants et pauvres en leur faisant donc planer la menace d’être encore plus impitoyablement tracé et traqué. Comment être sûr que demain, sur la foi de découvertes plus ou moins contestables, le grand fichier de notre patrimoine génétique ne sera pas mis à contribution pour arrêter « préventivement » ceux qui ne collent pas avec des standards ou qui risquent de ne pas coller dans l’avenir ? Que va donc devenir un tel fichier dans les mains d’un individu si prompt à considérer que l’on « naît pédophile » ?
Le refus de fichage ADN
Pour faire pression sur la justice française, le refus en masse est une possibilité. La saturation des tribunaux s’envisage, en effet, avec seulement 10 % de refus. Plusieurs organisations soutiennent cette démarche : les faucheurs volontaires, la Ligue des Droits de l’Homme, la Confédération Nationale du Travail (CNT), la CGT, les Verts et le Syndicat de la magistrature. Vous trouverez des infos détaillées sur le site http://refusADN.free.fr/
Une grille de valeurs réductrice sur le comportement humain - questionner la notion de violence
Il y a plus de personnes qui volent pour survivre chez les pauvres, est-ce parce que ceux-ci ont des gènes différents ou parce que les situations désespérées poussent à certaines formes de débrouille ? Est-ce que les pauvres sont génétiquement plus violents ou est-ce que les médias stigmatisent plus volontiers leur violence ? L’agressivité est-elle biologique ou relative à l’ennui et à la frustration ? Pourquoi l’exploitation, l’accumulation de richesses, les magouilles financières et la cruauté punitive orchestrée quotidiennement par les classes dominantes n’apparaissent-elle jamais (ou presque) comme une violence, et surtout pas comme une tare génétique ? Peut-on réellement réduire la violence tant qu’on ne change pas les inégalités, le racisme, le sexisme, la compétition économique sur lesquels se base notre société ? Peut-on espérer changer cette société sans rapports de force et sans rage ?
En fonction des contextes (sociaux, économiques, démographiques et autres), certains comportements sont plus ou moins bien vus, plus ou moins utiles. On peut se poser la question de la valeur des comportements que l’on vise à attribuer aux gènes. L’agressivité, par exemple, est décriée chez les « jeunes des banlieues », et dans toute inscription dans un mouvement de contestation de l’ordre établi. Elle est par contre fortement valorisée par l’idéologie libérale en ce qui concerne les jeunes cadres blancs, poussés à se battre pour être les meilleurs sur le marché.
Les définitions de la déviance et de la violence englobent aujourd’hui quasiment toutes les réactions de refus ou de survie face à la misère économique, affective et sociale. Dans le rapport sur la prévention de la délinquance de l’INSERM, « l’attrait pour la nouveauté », « une diminution du sentiment de peur » sont catalogués dans les facteurs de « Trouble Oppositionel avec Provocation » poussant à la violence. On ne voit plus les « jeunes » qu’en termes de potentiel de nuisance, pour questionner s’ils sont délinquants ou non. On s’apprête à créer un « enfant-bulle » que l’on rêve inoffensif ou enfermé et médicamenté à la Ritaline (la Ritaline est un médicament qui est prescrit à des enfants dits hyperactifs ou, plus médicalement, à des enfants souffrant du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA)). Des facteurs équivalents jugés nuisibles ne peuvent-ils pas, en fonction de l’environnement et de l’analyse politique de la situation, être ce qu’il y a de plus créatif ? La capacité de prendre des risques, l’« attrait pour la nouveauté », ne sont-elles pas cruciales dans le développement d’une personnalité, d’un rapport autonome au monde ?
L’INSERM, Les politiques de « prévention de la délinquance » et la génétique
L’INSERM est l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, un organisme public à caractère scientifique et technologique, placé sous la double tutelle du ministère de la Santé et du ministère de la Recherche.
En novembre 2005, le « rapport Bénisti » a été remis par le député UMP du même nom à l’Assemblée nationale. Basé sur une étude de l’INSERM, il prédéfinissait notamment les stigmates de la « délinquance » en fonction du comportement des enfants, dès avant l’âge de trois ans. Les origines étrangères y étaient présentées comme des circonstances agravantes. Cette étude provoqua un certain tollé, notamment chez les médecins, psy et travailleurs sociaux lors de sa publication, jusqu’à entraîner des excuses publiques de l’INSERM.
Pourtant, deux ans plus tard, la nouvelle loi sur la « prévention de la délinquance » concrétise l’essentiel de ce projet. Votée en mars 2007, cette loi multiplie les outils de fichage des comportements jugés « déviants ». Les agents sociaux (assistantes sociales, éducateurs...) sont désormais incités à jouer le rôle d’informateurs auprès des forces de police. Des fichiers municipaux rassemblant les personnes présentant des « difficultés » sociales, éducatives, psychiatriques et financières sont créés, consultables par les autorités. Les établissements scolaires sont également mis à contribution.
Pourtant, L’INSERM a « récidivé » cette année dans les lycées de Champagne-Ardenne où il a mené une enquête chez 4 000 élèves sur le lien entre gènes et consommation de stupéfiants, avec un prélèvement ADN à la clé. Seul un lycée de Reims s’est opposé au décryptage ADN de ses élèves.
Pourquoi la génétique intéresse les employeurs, les compagnies d’assurance et l’industrie en général ?
La discrimination génétique présente par ailleurs un intérêt certain pour le système capitaliste. Pour une compagnie d’assurance ou une entreprise, sélectionner ses clients ou ses employés en fonction de leurs prédispositions génétiques représenterait un nouveau critère de rentabilité.
Dès aujourd’hui, des discriminations génétiques se profilent par le biais des compagnies d’assurance ou de sociétés de crédit ou des entreprises. En effet, si l’on découvre qu’une personne a « un terrain génétique favorable à la maladie B32I, avec le risque de mourir dans un temps réparti entre 1 et 20 ans », alors que feront les assureurs, les patrons ? « Désolé, mais on ne peut pas prendre le risque de vous assurer, de vous employer, vous comprenez bien, 20 ans si c’était sûr, se serait encore envisageable, mais un an, non on ne peut pas ! »
Dans une société où de plus en plus de gens sont fichés génétiquement, que se passera-t-il si ces fichiers sont utilisés par des employeurs, des compagnies d’assurances, des propriétaires... ? Qui peut garantir que dans 10 ans le gouvernement ne leur en donnera pas l’accès ou, comme c’est déjà le cas aux États-Unis, que des demandes de tests ADN ne vont pas se répandre dans le privé ?
Plus généralement, l’idéologie généticienne, alliée aux nouvelles technologies, représente énormément de produits potentiels que des industriels en quête de nouveaux marchés rêvent de commercialiser dans les années à venir : des bricolages génétiques imposés pour neutraliser les « délinquants » ou des bricolages pour analyser les gènes avant la naissance et pouvoir sélectionner le type d’être humain bon à vivre... L’idéologie dite « transhumaniste », véhiculée par des chefs d’entreprises et groupes néo-fascistes qui rêvent à la création d’une élite de surhommes, rêve quant à elle de manipulations vendues à prix d’or pour « améliorer » génétiquement les classes dominantes et leurs enfants.
Que faire face à l’idéologie génétique ?
Malgré la peur distillée par les médias et politiciens, malgré l’envie de se soumettre pour l’illusion de plus de sécurité, il y a encore une résistance aux outils de surveillance et de contrôle, une méfiance vis-à-vis d’utilisations néfastes des sciences et nouvelles technologies, une volonté de protéger les libertés individuelles et publiques. Certains regroupements d’industriels le savent bien et n’hésitent pas à écrire dans leurs colloques privés qu’il va falloir proposer le plus possible d’applications récréatives ou orientées vers les enfants pour faire accepter ces outils à la population. [2]
Le retour actuel de l’idéologie génétique, reflet d’une société pourrissante, devrait rappeler à la mémoire collective certaines heures sombres du XXe siècle : celles où l’on a pu rafler et déporter des millions d’êtres humains parce qu’ils étaient fichés comme n’ayant pas la bonne « race » ou les bons comportements, celles où des eugénistes décidaient de stériliser de force les personnes de couleur, les pauvres ou les handicapés. Divers-es résistant-e-s de la seconde guerre mondiale rappellent d’ailleurs aujourd’hui qu’ils ont pu agir, sauver des vies et désobéir à l’époque, parce que tout le monde n’était pas encore fiché, parce que l’on ne pouvait pas encore contrôler à tout moment les faits et gestes des gens par des images vidéo, traces ADN, puces, machines biométriques... Et que la résistance a d’abord été la plus fabuleuse entreprise de faux papiers jamais vue...
Il est aujourd’hui de notre devoir moral de désobéir, nous aussi, pendant qu’il en est encore temps. Ne nous laissons pas avoir par la propagande génétique et refusons de collaborer aux outils de contrôle qu’elle génère. Il est possible de refuser de répondre aux enquêtes ou au fichier « base-élève » [3], de refuser catégoriquement de donner son ADN ou celui de ses enfants à la police ou à des organismes d’études, de faire pression sur les commanditaires des enquêtes ou ceux qui les autorisent (les rectorats par exemple...), de refuser les lois et organismes qui voudront trier les enfants et leur affirmer qu’ils naissent bons ou mauvais, de développer des formes de solidarité et d’éducation qui vont à l’encontre des discriminations sociales... Parlons autour de nous, organisons-nous collectivement.
« (...) J’ai appris à désobéir au temps de Vichy et des nazis. Refuser les lois iniques, les décrets qui organisent la ségrégation raciale ou politique, rédiger, imprimer un journal clandestin, détruire des stocks alimentaires réservés à l’occupant, saboter des machines, des voies de chemin de fer, autant d’actions interdites dans un pays occupé et dirigé par un gouvernement collaborateur. Désobéissance aussi que l’accueil des persécutés, et l’organisation de leur sauvegarde grâce à la fabrication de fausses cartes d’identité. Que ce temps ne revienne jamais, avons-nous affirmé en 1945. S’il s’annonçait de nouveau dans ce monde en crise où la liberté et la dignité des Hommes sont menacées, la désobéissance se réveillerait : les « forces de l’ordre » n’obéiraient plus aux ordres d’arrestations arbitraires, des fonctionnaires refuseraient les directives d’une hiérarchie autoritaire, et surtout s’ouvriraient toutes grandes les portes des citoyens pour un lit, un repas, une sécurité à ceux que menaceraient les nouvelles formes de ségrégation.
La désobéissance, c’est la résistance active à l’iniquité, même quand elle prend la figure de la légalité. »
Lucie Aubrac – 1993
[1] La biométrie est l’étude et la reconnaissance des traits du corps dans chaque individu : empreintes digitales, mouvements, iris, formes du visage ou de la main. La biométrie a actuellement de nombreux débouchés dans les systèmes de contrôle : bornes dans les cantines des lycées, vidéo-caméras, passeports, entrées d’immeubles... L’installation de machines dans des lycées a déjà été plusieurs fois empêchée en France par des actions de pression, d’information, voire de sabotage de bornes biométriques.
[2] En 2004, le GIXEL (le lobby de l’électronique) publie un "Livre bleu", remis au gouvernement. Morceau choisi : « La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles. Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes : Éducation dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants. Introduction dans des biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo Développer les services "cardless" à la banque, au supermarché, dans les transports, pour l’accès Internet, ... La même approche ne peut pas être prise pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle, il faudra probablement recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gêne occasionnée. Là encore, l’électronique et l’informatique peuvent contribuer largement à cette tâche ».
[3] Expérimenté depuis 2004 et généralisé d’ici quelques mois, le fichier « base élèves » recense les enfants scolarisés, leurs « origines » géographiques, la langue parlée au domicile, leur culture d’origine, leurs résultats et difficultés scolaires, l’absentéisme, l’éventuel suivi médical, psychologique ou psychiatrique, ou encore la situation de la famille. Dans le contexte sécuritaire évoqué plus haut, ce fichier risque d’aller dans le sens de la discrimination des populations dès le plus jeune âge, en partant de l’école. Des associations de parents d’élèves, syndicats d’enseignant-e-s et des organisations comme la Ligue des Droits de l’Homme se sont lancées cette année dans une campagne de désobéissance face à « base élèves » : refus de remplir les fichiers, manifestations, blocage de formations « base élèves »...
Brochure créée au printemps 2008.
Quelques sites internet permettent de se tenir informé des lois, des initiatives privées ou publiques qui vont dans ce sens :
http://tomate.poivron.org : un site sur les oppressions et discrimations que subissent les enfants
http://pasde0deconduite.ras.eu.org : site du collectif « pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans ».
http://1984.over-blog.com : site du collectif « George Orwell contre la biométrie ».
http://panoptique.boum.org : site d’info sur les thématiques autour du contrôle social, notamment liées aux nouvelles technologies (biométrie, fichage ADN, vidéosurveillance et autres) ainsi qu’autour de l’enfermement et de la criminalisation de la jeunesse (Etablissements Pénitentiaires pour Mineur-e-s, Centres d’Éducation Fermés et autres).
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