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Combien de fois quatre ans ? Trois textes sur les viols et les violences sexistes dans le milieu alterno

mis en ligne le 25 novembre 2008 - Anonyme

juillet 2004

La première fois que j’ai couché avec un garçon j’avais dix-huit ans. C’était le début de l’été… Quand je dis coucher, je parle bien sûr de coït avec pénétration vaginale, moi en dessous, lui au dessus. Les câlins, les préliminaires, c’est des fioritures mais ce n’est pas considéré comme « l’acte sexuel ».
Je ne le connaissais pas, je l’ai rencontré parce qu’il jouait en concert sur Paris. Je l’ai dragué, lui ai fait comprendre qu’il me plaisait beaucoup physiquement, on a parlé d’anarchisme, de végétarisme, de bd (facile pour un punk végan). Je ne sais plus comment, on a fini par se faire des bisous, et puis on a été se coucher. C’était un peu chiant, on n’avait pas vraiment d’intimité, y avait des mecs qui continuaient de picole à côté et qui faisaient des réflexions de beaufs. Je lui ai donc proposé d’aller chez moi.
On y va. J’avais un peu la pression mais je le trouvais beau et marrant. Et puis chez moi, on s’est déshabillés, tripotés, je n’osais pas lui dire que j’avais un peu peur ; je voulais que la « première fois » se passe vite, sans chichi, parce que beaucoup de mecs tirent une gloire ou une fierté de dépuceler une fille. Et je ne voulais pas ça.
J’étais angoissée, et puis à cette époque je connaissais très mal mon corps, surtout mon vagin, j’étais incapable de me détendre.
Il met une capote. Elle était mal lubrifiée et ça me faisait mal avant même qu’il rentre. Je lui ai demandé d’enlever la capote, ça m’irritait trop. Il l’a fait.
On s’est frottés un peu, lui me serrait (j’étais écrasée sous lui), je ne savais pas trop quoi faire, je lui disais d’aller doucement, je gémissais pas mal, le repoussais mais l’embrassais. J’attendais que ça arrive. Mais quand j’ai senti que ça allait arriver, j’ai eu très peur, je ne voulais plus, j’aurais voulu qu’il s’arrête.
J’ai dit non, sans grande conviction, mais je l’ai dit. Pas très fort, mais plusieurs fois.
Et puis il m’a pénétrée, sans que je m’y attende, un peu comme quand un médecin fait une piqûre en disant « tu vas voir, tu vas rien sentir » ; j’ai eu assez mal. Je crois qu’il a joui pas très longtemps après.
Je crois qu’après on s’est endormis. J’étais soulagée, enfin dépucelée ! On s’est réveillés, j’aurais voulu qu’on discute, qu’on soit peut être potes…
Il est parti après avoir mangé un yaourt, m’a dit un truc genre « salut c’était sympa, à la prochaine ». Je l’ai vu se barrer dans les escaliers, me laissant toute seule comme une conne, dégoûtée de me faire planter si vite…
J’ai été au toilettes pisser, j’avais trop mal, comme si j’avais eu des bleus autour du vagin. Je me suis sentie trop nulle et trop seule.
L’idée que j’avais été violée m’a traversé l’esprit, mais je me disais que ce genre de chose ne pouvais pas m’arriver, moi si forte et grande gueule et vigilante. Et puis lui était cool et anti sexiste et vegan, alors…
Alors j’ai appelé ma voisine qui a à peu près mon âge, en pleurant, en lui disant que j’avais fait une grosse connerie, qu’il fallait que je prenne la pilule du lendemain.
Elle m’a envoyé chez le docteur, qui a halluciné. Surtout quand il m’a demandé quel pouvait être les risques qu’il soit séropo ou qu’il ai des MST, et que je lui ai répondu que j’en savais rien, que c’était juste un punk que j’avais rencontré dans un squat.
Par refus de cette image qu’on veut coller aux filles, d’être sentimentales, dépendantes des mecs, etc je me suis construit un rôle suite à cette histoire, je me suis complue à raconter ma première fois comme un truc dont j’avais rien à foutre. « ouais ben ma première fois, elle était nulle mais de toute façons, y a que les cruches qui veulent coucher avec un mec dont elles sont amoureuses »
Aussi, j’ai jamais osé parlé de viol parce que je me sentais débile, débile parce qu’il était plus populaire que moi, débile parce que je l’avais relancé et après j’avais été squatter chez lui quelques jours pendant les vacances et qu’il m’avait à peine calculée, débile parce qu’il me plaisait.
Et puis je me disais que un viol c’est forcément très brutal, et ça se passe dans une rue sombre, par un inconnu,…
J’ai pensé : « si je raconte ce qu’il m’a fait , il se défendra en disant que je suis une pauvre fille, que je suis dégoûtée parce qu’il m’a jetée. » J’en sais rien… j’ai pensé longtemps que j’étais une pauvre fille.

* *


*

Je me dis qu’il y a plein de choses qui doivent sortir, qu’il faut que je règle des trucs. J’ai tellement toujours été flippée par l’idée de ne pas être forte et combative, de me retrouver à la place pourrie de victime, que je ne me suis jamais posée pour me dire que j’avais encaissé des trucs durs.
Encaisser ne m’a pas rendue plus forte. Ça a surtout faussé certains de mes rapports. Avoir l’air « d’assurer » alors qu’on est paumée, ça ne sert a rien.
J’ai revu plusieurs fois le punk. A des concerts, en coup de vent. Je lui ai rien dit. Juste bonjour.
Je ne sais pas si j’ai envie de lui dire ce qu’il a à entendre. Je ne sais pas s’il reconnaîtrait qu’il m’a blessée. J’ai l’impression que c’est tellement courant, tellement comme ça.
Je suis sortie avec des mecs parce que c’était normal. Ça ne m’as pas fait plaisir parce que c’était bon, mais parce que c’est ce qu’on attendait de moi, parce que c’était plus facile. J’ai dragué plein de mecs mignons, couché avec, sans désir particulier à part celui d’être reconnue, de me forger un rôle, celui de la fille sûre d’elle même qui les emballe tous. Et puis leur sauter dessus c’était anticiper sur le moment où eux voudraient me sauter.
Quelle marge de manœuvre j’avais ? Dans pas mal de milieux, et aussi les milieux alternatifs et militants, il faut coucher pour pouvoir l’ouvrir, être reconnue, ou sinon, être suffisamment jolie pour être agréable à regarder (pas à écouter)
Si je dis ça, c’est que je me rends compte que depuis que je l’ouvre mais que je ne « baise plus », il y a un net changement dans les attitudes. J’ai toujours été une grande gueule. J’étais considérée comme ayant du caractère. Le fait d’être un enjeu pour les mecs, d’être jolie et libérée, faisait passer pas mal de mes gueulantes.
Et puis là, ça fait un peu plus d’un an que j’ai décidé de rompre avec la bi sympa que j’étais, chaleureuse, avec qui on pouvais parler de mecs comme de filles, pour me pencher sur mes désirs et enfin vivre des histoires avec des gouines (parce qu’être bi dans un milieu de mecs, ça signifie techniquement être hétéro). Ben là, progressivement, j’ai commencé à être moins avec des mecs, mais à continuer à être comme d’hab’ avec mes potes quand je les voyais. J’ai rencontré des lesbiennes, des bies, j’ai eu des histoires, des ruptures, la vie quoi !
Du coup, ces derniers temps, on me trouve agressive, pas cool, lointaine. Plus assez dispo ? vous avez dit hétérosexualité obligatoire ?
Tout ce que j’ai pris dans la face, que je me suis imposé, c’est à cause de cette pression sociale de merde. Celle qui ne donne le choix qu’entre : être une coincée qui attend le prince charmant / être « libérée » (comprendre : dispo pour les mecs), être vierge ou salope, être LA meilleure ou une victime, être hétéro pour exister/coucher (avec des mecs) pour être reconnue ou être lesbienne pour les faire fantasmer, être cloîtrée (et)ou violée, être bonne, nonne ou conne, …
Maintenant j’accepte de ne plus avoir à prouver aux autres que je suis une wonderwoman active et battante. Je m’autorise à être fleur-bleue, timide, sentimentale, romantique,… Sans pour autant être possessive, hétéro ou en couple.
Je ne veux plus exister par le regard des mecs, ni pour eux, je veux vivre et me construire pour moi, m’éclater. La lutte est longue.
Autant de normes à déconstruire, et moi (nous), là dedans à se construire sans mode d’emploi.

* *


*

Si je me replonge dans cette histoire, quatre ans après, c’est qu’hier, j’ai fais la fête avec des copines. A la fin, j’ai été pisser dans la rue entre deux caisse. Y a un mec avec qui j’avais discuté pendant la soirée qui s’est ramené ; j’ai eu juste le temps de me relever, il m’a touchée, en essayant de mettre ses doigts dans ma chatte. Je l’ai poussé, je crois que j’ai gueulé (je ne me rappelle plus bien > trop picole). Et puis voilà.
Je l’ai dit à mes copines, j’étais un peu speed, mais il était parti déjà, alors j’ai continué la teuf, tout en me donnant l’air détaché. En fait, je pensais qu’avec tous les abrutis que j’ai laissé me baiser, c’était pas ça qui allait m’impressionner.
Et puis là, l’alcool s’est dissipé, la journée est passée, et je me sens mal.

Mai 2008

Il y a huit ans, j’avais 18 ans, j’ai rencontré un gars, chanteur d’un groupe anarchopunk en vogue, lors d’un de ses concerts.
Ce garçon, je l’ai dragué, je l’ai ramené chez moi, et je me suis mise au lit avec lui.
Oui j’avais envie, mais « je ne l’avais jamais fait », bref j’étais vierge et je lui ai dit. J’avais pas envie d’en faire un tout un plat, parce que je n’ai jamais cru dans une histoire de prince charmant, qui vient cueillir ma fleur, mais j’avais un peu peur que ça me fasse mal.
Bon, il met une capote, et je ne sais pas si elle était pas assez lubrifiée, ou si c’était moi, mais ça me faisait mal. Genre ça chauffait. Je lui dis de l’enlever. Ce qu’il a fait.
En y repensant, je me dis que je n’ai même pas osé dire : j’ai mal, on arrête ; j’avais mal mais je ne voulais pas me dégonfler, j’ai préféré me mettre en danger.
Finalement, il m’a pénétrée, sans la capote, alors que j’étais sous lui et que je lui disais « attend, attend, aïe, aïe ». Je ne sais plus si je lui ai dit non, mais j’étais assez paniquée, et ça m’a fait très mal quand il est entré.
Heureusement ça n’a pas duré très longtemps, il s’est très vite retiré, juste avant d’éjaculer.
Je crois qu’on a du s’endormir juste après, vu qu’on était bourrés.
Quand on s’est réveillés, la première chose à laquelle j’ai pensé c’est « je me suis faite violer ». Pensée que j’ai tout de suite chassée « mais non, comment peux tu penser ça ».
Il a bouffé un yaourt et il est parti, en me disant « à la prochaine ».
J’ai été aux toilettes, j’ai eu très mal en pissant. Je me sentais nulle, vraiment l’impression de m’être faite baiser. Littéralement.

Après ça, ça a été tous les « effets secondaires »… Gros coup de stress…
Je prenais ma pilule de manière assez chaotique à ce moment, donc gros flip, ma voisine qui est aussi mon amie m’envoie direct chez le médecin, pour que je gère au moins ce qu’il y a à gérer dans l’urgence.
Pilule du lendemain, ordonnance pour faire des examens MST… Je mise sur le fait qu’il a mis spontanément une capote (même si il l’a vite enlevée), pour écarter la possibilité de transmission de sida.
Je suis un peu perdue, l’impression d’avoir fait une grosse bêtise.

Quelques semaines après, je suis en vacances, je décide d’aller voir des potes qui habitent dans la même ville que lui. Je ne sais pas vraiment ce que j’attends, peut être de la reconnaissance. Je me sens encore plus nulle, totalement boulet.

Je pars rejoindre un autre amant. Il est beaucoup plus âgé que moi, rencontré dans un cadre un peu alterno.
Il a une copine et deux jeunes enfants, notre relation un peu clandestine me fait triper…
Enfin, par ailleurs il me dit plein de connerie, genre il a des idées toutes faites sur la libération sexuelle, que toutes les femmes libérées se masturbent (moi je ne me suis jamais beaucoup masturbée), il est super misogyne. Le pire, je crois que ça a été quand il m’a dit que les règles le dégoutaient, que j’ai eu mes règles, et qu’il m’a foutu la pression pour que je mette des tampons, histoire qu’on puisse quand même « faire des trucs ». Moi je n’avais aucun désir, je me sentais coupable d’avoir mes règles et il me le reprochait.
Mais il était fou de moi, alors ça me faisait du bien.

Et puis, je suis rentrée de vacances, j’ai continué mon histoire avec le mec plus âgé, mais de loin, vu qu’on n’habitait pas dans la même ville, et vu sa situation familiale.

Là ça a été le moment de gérer les examens, le dépistage HIV, bref, toutes les joies de l’après.

J’ai été dans un laboratoire d’examens médicaux horrible. Je n’ai appris malheureusement que bien après que il était réputé pour ça.

Mon meilleur ami m’a accompagnée, j’étais complètement flippée. D’abord on devait me faire un frottis.
J’ai fait une crise d’angoisse sur la chaise de gynéco, je me suis rhabillée, et sortie.
Puis mon ami m’a rassurée, et j’ai bien voulu y retourner.
La meuf m’a enfourné un spéculum sans ménagement. Je n’avais jamais eu d’examen gynéco avant ça, et je pense que j’avais une mycose (mais ça je ne l’ai pas compris sur le moment, je connaissais très mal mon corps, et surtout mon vagin). Bref, l’espèce de coton tige pour faire le prélèvement m’a fait horriblement mal, et je l’ai très mal vécu.
Après ça a été prise de sang. J’en ai profité pour en balancer plein la gueule à la meuf, qui venait de m’arracher l’intérieur de la chatte.

Et voila, bilan des courses, rien, pas de MST, pas de SIDA, pas de souci.

Et pourtant…

Rien ?

Non, pas rien !

L’année d’après, j’ai fait des folies de mon corps. Je me suis faite piercer le téton. Expérience très douloureuse sur le coup mais qui m’a donné beaucoup de force.
Et surtout expérience choisie !

J’ai eu plein d’amants, je sortais beaucoup, je buvais beaucoup, mais je m’amusais, j’étais en première année de fac, je ne foutais pas grand-chose, et les gens autour de moi était quand même plutôt bienveillants. Une très belle année. J’ai fait n’importe quoi mais je ne me suis pas une fois sentie en danger. Et je crois que je ne l’ai pas été.

J’ai rencontré plein de gens, des milieux squats dans d’autres villes, j’ai rencontré des féministes… Je veux dire, des féministes de mon âge, avec qui j’avais envie de partager.

Je me rappelle très très vaguement d’une discussion, une fois. Une copine parle de M., le punk qui m’a violée quand j’avais 18 ans. Elle raconte qu’il a été limite avec sa copine, qu’il est pas clair avec les filles. Je crois qu’elle prononce le mot viol.
Je ne me rappelle plus exactement ce qu’elle a dit.
Ce que je me rappelle très précisément, c’est d’avoir pensé très fort « ce mec est un violeur, et il m’a violée moi aussi », et juste l’instant d’après « mais non enfin, tu tripe ». Et j’ai fini par lâcher, en me sentant totalement conne : « oh ça craint, t’es sûre que c’est un violeur… c’est le premier mec avec qui j’ai couché ». Point.

Et puis j’ai commencé à y penser. J’ai eu des histoires avec des mecs, un peu plus longues que les plans d’un soir que j’avais enchainé.
J’étais pas toujours à l’aise au niveau sexuel. Globalement ça allait, mais à un moment, ça devenait le blocage total, et je fuyais.

Je ne sais plus trop à quel moment j’ai admis qu’il m’avait violée. Il y a 4 ans je crois… Quand j’ai commencé à militer avec des féministes, que je me suis plus posé la question de mes désirs, que j’ai mieux découvert mon corps, que j’ai appris à l’écouter, et plus à refouler.
Et puis d’échanger, de parler, de se rendre compte qu’on est plusieurs à avoir voulu jouer à « la femme libérée », « pas frigide », alors qu’on a juste été des femmes en libre service.
Qu’on a accepté de faire des choses parce qu’on pensait que c’était normal, ou « comme ça ».
Qu’on était plusieurs à avoir été traitées de salopes quand on avait été moins passives, et qu’on avait eu plein d’aventures sexuelles choisies.

Et puis en devenant féministe, je me suis aussi rendue compte que pleins de gars se disaient féministes, ou pro-féministes, tout en conservant leurs privilèges, en se faisant mousser comme gars « super cool », et en se tapant pas mal de meufs au passage.
Ça me foutait en l’air que des gars utilisent cette force, notre force, pour encore une fois nous embobiner.
J’ai détesté me rappeler que M., le punk violeur, était très bien vu dans les milieux squats, punks, etc. car il était l’antisexiste de service, à faire des dessins qui mettent en scène des meufs militantes, genre tout le monde il est beau au pays des crêtes, genre moi j’ai réfléchi à plein de trucs, chuis pas un bourrin basique, je suis un bon militant.

Je savais pas trop quoi faire, parce que j’avais peur d’en parler, de ressortir un passé pas très glorieux, de minette qui se fait embobiner. J’avais peur qu’on me dise « ouais t’as les boules qu’il se soit cassé, et t’as inventé toute cette histoire pour te venger ». Peut être que oui.
Peut être que si il s’était pas juste vidé les couilles et parti, j’aurais pas relevé.
Parce que nous les filles, on est biberonnées à penser que si l’autre nous aime, tout va bien. Que finalement, notre désir, notre plaisir est secondaire, que ce qui compte c’est d’être aimée.
Dressées à être un réceptacle, à se satisfaire d’avoir donné du plaisir à l’autre, pourvu qu’on nous laisse pas comme une vielle chaussette.

C’est peut être cette ambigüité qu’on porte -préférer être maltraitées que mal vues ou mal aimées- qui fait que j’ai mis tant de temps à en parler, et que je continue d’être mal à l’aise quand on me demande des détails.
C’est le même sentiment que ces meufs qui se sentent flattées quand elles se font siffler dans la rue, qu’on leur lâche un « t’es bonne ». On est tellement lobotomisées qu’on finit par se sentir orgueilleuse d’être considérées… même si c’est être considérées comme un trou.

Finalement M. le punk m’a clairement renvoyé à ma condition de trou, alors que A., le père de famille alterno, a réussi non seulement à me faire penser que j’étais un trou, mais que en plus, c’était révolutionnaire ! Fortiche !

Paris le 10 juin 2008

Il y a deux jours je l’ai vu, toute une soirée, il était là, tranquille.

Et ce soir en farfouillant dans des vieux cd, je retombe sur un texte, écrit il y a quatre ans. Toujours la même période. Début juillet 2000. 14 juillet 2004. 10 juin 2008. Combien de fois quatre ans faudra-t-il pour que je n’y pense plus ? Pour que je ne ressasse plus ces questions idiotes...

« Oui, mais il me plaisait, alors était-ce vraiment un viol ? »

Quand un garçon nous plait, est on sensée avoir envie qu’il nous viole ?

Combien de fois quatre ans à relire des vieux textes qui disent toujours la même chose. Et que finalement toujours personne ne sache. Qu’il soit là, toute une soirée, tranquille ?

Combien de fois quatre ans pour oublier que, alors que ça faisait 5 ans et demi, je l’ai croisé par hasard et que j’en ai été malade, j’en ai perdu 5 kilos en une semaine.

Combien de secondes, de minutes, d’heures ai-je toléré sa présence l’autre soir ? Pourquoi je n’ai rien dit, rien fait ?

Pourquoi les seules personnes à « savoir » sont les personnes avec qui je partage une intimité ? Pourquoi c’est un secret, qu’est ce que j’ai à cacher ?

Epilogue

J’ai retrouvé la date exacte, c’était le 26 juin 2000. C’est fou ce besoin de précision…

Je venais d’avoir mon chat. Il était tout bébé.

* *


*

Pour le 1er de l’an, cette année (2008), il y a eu un genre de festival punk. On devait y aller le 2e soir avec plein d’amiEs. Je me fais une joie de retrouver des copinEs que je ne vois pas souvent parce qu’elles habitent loin.
Là je tilte.
Je ne sais plus pourquoi, je me dis : il va être là. Je commence à psychoter, à me dire que finalement je vais pas y aller. Je décide que je vais m’assurer de savoir si il est là ou pas, et puis y réfléchir.
J’appelle une copine qui me confirme.
Là, grosse déception, je n’ai plus envie d’y aller, je sens une espèce que grosse chaleur, genre coup de stress, je suis énervée et dégoutée.
Pourquoi je n’en ai pas juste rien à foutre, pourquoi ne pas tout oublier ?
Et puis là je me dis que non, que je ne vais pas gâcher ma soirée.
J’ai appelé quelques amiEs qui allaient à la fête. Je leur ai raconté et expliqué la situation. Ce mec m’a violée, il va être à la soirée, je ne veux pas qu’il s’approche de moi. Je ne veux pas qu’il se sente à l’aise et bienvenu. Je décide de ne pas exiger qu’il parte mais juste qu’il ne soit pas près de moi.
Je vais à la soirée, toute seule, mes potes ne sont pas encore là. Lui non plus.
Le plus insupportable a été d’attendre qu’il arrive. Tout ce moment où on se dit « merde mais qu’est ce qu’il fait, j’ai envie de me confronter à ce qui m’angoisse »… l’attente.
Il a fini par arriver, ça m’a tout de suite énervée. Je n’étais plus sûre de supporter ne serai-ce que de le voir.
Il est en fait resté à peine une demi-heure, et s’est barré.
Ça m’a soulagée. J’ai eu l’impression de gagner quelque chose.
Et puis ça a été le début de cette démarche. D’en parler. De le dire officiellement à mes proches, mes amiEs… De donner son nom.
Et ça a été un moment où j’ai été soutenue, où je me suis rendue compte que ce qui réparait le plus c’était d’être reconnue, appuyée.
Merci à mes amiEs.
Ce qui me répare c’est rendre cette affaire publique. Ce qui me répare c’est d’être soutenue par les gens que j’aime et que j’estime politiquement.
Rétrospectivement, je me dis juste que j’aurai du faire ça plus tôt.

combiendefois4ans at gmail point com
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