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Scénographie répressive basique
Analyse stratégique des montages médiatico-policiers
mis en ligne le 10 juillet 2005 - Anonyme
Déclaration d’intention
Hé oui ! Nous voici une fois de plus face à l’un de ces textes cafardeux sur les montages policiers. Une nouvelle occasion pour nous de nous sentir conforté-e-s dans notre rôle de victimes en le lisant, d’accord avec nous-mêmes et avec ce que nous faisons... Martyr-e-s du XXIème siècle crucifié-e-s au nom de la liberté, au nom de la solidarité avec la réalité d’autres peuples que nous ne connaissons pas, à la recherche d’un-e autre martyr-e parmi les prisonnier-e-s en lutte, au nom de l’anti-globalisation...
Assumer le rôle de victime est assez confortable, on n’a pas à douter ni à se poser de questions : l’hostilité du pouvoir nous donne automatiquement raison. Il y a des martyr-e-s de plusieurs sortes ; il y a les aimables, les désagréables, celleux par vocation et celleux qui s’adaptent à la situation. Tou-te-s ont un facteur commun : illes ne sont pas utiles au projet révolutionnaire et c’est pour cela qu’illes ne nous intéressent pas.
Ce texte ne prétend en aucun cas être un apport à “l’ABC du victimisme” où l’on se plaint du manque de démocratie (aux chiottes la démocratie !). Ce ne sera pas non plus le récit lacrymal relatant comment l’État malveillant a coincé et enfermé quelques bons gars pour leur rendre la vie impossible. Et ce texte prétend encore moins faire une apologie mythificatrice du passage à la clandestinité armée.
Ce que l’on prétend avec ces réflexions, à partir de quelques faits répressifs qui semblent apparemment n’avoir rien à voir, c’est d’essayer d’en analyser les coïncidences possibles. Analyser des méthodes répressives, comme le montage médiatico-policier, dans lesquelles se manifestent clairement des ressorts répressifs déterminants qui nous permettent de deviner par intuition le fonctionnement actuel des appareils de contrôle social.
Tout cela en considérant que ces derniers agissent sous les ordres de l’État et des classes dominantes, à l’abri de leurs nécessités et des exigences du système capitaliste pour se perpétuer d’une manière plus ou moins constante.
Les montages ne sont qu’une fraction de la guerre que maintiennent les institutions contre la dissidence , c’est pour ça que, au-delà de descriptions détaillées de chaque cas, ce dont il sera question est le montage dans le contexte de la guerre sociale ou de classes, en essayant d’en extraire les enseignements qui puissent nous être utiles pour l’avancement du projet révolutionnaire.
Le montage comme moment répressif dans lequel interviennent en parfaite synchronisation les principaux acteurs du contrôle social est une opportunité pour apprendre. Il nous faut connaître l’ennemi pour adapter continuellement nos stratégies aux circonstances du moment et appliquer les connaissances acquises.
Cela peut nous servir, en inversant la perspective, pour connaître à la fois les possibilités du moment, nos points forts et les aspects à améliorer.
La répression en tant que telle ne peut pas se combattre. Dans le contexte de la guerre sociale c’est une arme de l’ennemi qui a existé et existera toujours parce que nécessaire à la perpétuation du système. C’est pour ça qu’elle change et se transforme selon les circonstances et c’est ça que nous cherchons à connaître pour l’appliquer à notre pratique révolutionnaire quotidienne.
Ce qui suit vise à contribuer à l’analyse, passage obligé pour élaborer la stratégie révolutionnaire essentielle.
La révolution ne se fait pas sur la défensive. Les martyr-e-s sont encombrant-e-s. La victimisation nous maintient à notre place d’esclaves. Commençons à démonter, démontons en attaquant.
Madrid, juin 2002
Post-scriptum : Nous indiquons, à titre d’exemple, quelques extraits d’articles de presse. Nous pourrions donner beaucoup d’autres exemples, faire une étude détaillée et minutieuse : courage à cellui qui s’y mettra. Dans tous les cas, le fait d’accumuler plus de données ne variera pas le contenu que nous voulions donner à ce texte, donc ça reste comme ça pour le moment.
La fabrication des montages
Les faits répressifs se succèdent les uns après les autres. Le rythme s’accélère à des moments déterminés mais ne ralentit jamais suffisamment pour que nous ne l’ayons pas toujours présent, bien présent dans nos têtes. La répression étatique est parfois capable de nous bloquer.
En certaines occasions, l’intensité des coups durs répressifs nous paralyse. Nous nous voyons comme des êtres isolés incapables de supporter le poids des institutions répressives.
Une grande partie de l’efficacité du contrôle institutionnel se base justement sur cette sensation d’isolement que nous ressentons. Cependant, lors des détentions, montages, interrogatoires, etc., il y a des aspects qui se répètent. La mélodie répressive est comme le tube de l’été, différente en apparence mais dans l’essentiel répétitive. Les notes qui composent cette mélodie sont toujours les mêmes et, même si leur disposition varie légèrement, on peut percevoir des aspects concrets qui nous révèlent des compositions préfabriquées pour des moments et des circonstances similaires.
En décomposant les montages policiers s’ouvre la possibilité d’interpréter la partition de l’orchestre répressif dans son ensemble et au complet, incluant le chef d’orchestre, les musiciens et les compositeurs.
Démasquons le compositeur qu’il y a derrière chaque montage policier. Découvrons la trame de chaque événement répressif.
Les coïncidences
Dans la guerre que mène le système contre toute forme de dissidence, est toujours “montée” une structure organisationnelle hiérarchique similaire à la structure étatique.
De cette manière, face à la figure du leader gouvernant, ils cherchent et modèlent un leader (un pour chaque forme de dissidence) qui lui fasse face. Le milieu antiautoritaire, qui rejette par nature les leaders, n’échappe pas à cette imposition. En cas d’absence de soumission à un chef, se seront les institutions qui le choisiront. À partir de ce moment là, qu’il le veuille ou non, il se convertira en tête visible (ou de turc) dans l’affrontement entre le pouvoir et les dissidents. [1]
De la même manière ce sont les institutions qui, à côté d’un chef, élisent un “état major” et assignent généralement, selon leurs propres critères et leurs nécessités, une place dans la “hiérarchie de l’organisation” à chacun des protagonistes.
Si “le bien” est représenté par les leaders gouvernementaux, le mal doit être comme une bête à sept têtes qui, bien qu’ayant différents visages, doit avoir un corps commun. Cette représentation infantile se matérialise dans ce qu’un gouvernant a défini comme étant “l’axe du mal”. [2]
Dans cet axe se situeront toutes les formes de dissidences aussi différentes et opposées qu’elles puissent être. Et pour donner un aspect plus menaçant au monstre on le grossira avec les fameuses “connexions internationales”. [3]
Dans la guerre pour l’imposition de la paix sociale, les institutions ne peuvent pas se soumettre aux lois. Celles-ci sont trop rigides pour s’adapter suffisamment rapidement aux circonstances.
L’image que reproduisent les caméras de contrôle policier ne peut percevoir chaque action de révolte anonyme. Les frontières qui séparent le légal et l’illégal deviennent diffuses. Ils attribuent des actions menées dans l’ombre à celleux qui défendent ouvertement des idées de révolte. Ils prétendent mettre un visage derrière chaque action pour essayer, en embastillant les idées, de freiner l’activité de la rue.
Les opérations répressives ressemblent parfois à des bandes annonces de film d’horreur, à des promotions de marketing pour créer des personnages au regard sinistre et aux pensées sombres. Il s’agit de transformer la guerre sociale en une affaire psychiatrique, en analysant la personnalité de la ou du détenu-e, ses antécédents policiers et de vie pour en arriver à la conclusion selon laquelle tout se limite à une erreur de fabrication de l’individu au lieu d’un modèle social divisé en classes. [4]
Ce film a besoin de noms tapageurs qui se fixent dans la mémoire ; qu’on les invente ou qu’on les transforme importe peu. [5]
Pour la promotion de ce film devront être utilisés des grands titres dans lesquels apparaisse clairement la relation directe entre la détention et le délit. Peu importe qu’on précise ensuite dans le corps du texte qu’il manque des preuves : seul le titre demeure en mémoire.
Les personnages du scénario doivent être reconnaissables, on utilisera donc des stéréotypes, des personnages déjà fabriqués dans des romans, des films ou des feuilletons télé (la conspiratrice froide, la fille dans les vapes qui ne sait pas trop dans quel merdier elle se fout...).
L’accusation doit faire peur car c’est cette peur qui donnera ses fruits plus tard. On la présente ainsi comme une menace soudaine ou qui a soudainement augmenté de façon alarmante.
Pour augmenter la gloire des forces répressives, il doit y avoir des informations (de “sources sûres” bien entendu) sur ce qui se serait passé si les malfaiteurs n’avaient pas été détenus (leurs plans futurs, leurs conspirations, leur soif de sang...). [6]
Premières réflexions
En situant les montages dans leur contexte, celui de la guerre sociale, nous comprendrons quel rôle fondamental de propagande ils remplissent.
L’importance que prennent les médias dans la fabrication des montages, ajoutée au peu de gens qui subissent habituellement ces actes répressifs, nous incite à penser que ce dont il s’agit est principalement la recherche du spectacle.
Ils sélectionnent certaines personnes déterminées, connues de leur entourage, et la répression retombe sur elles. De plus, ces personnes deviennent l’objet de l’application littérale, de la part des journalistes, des manuels de contre-insurrection, c’est à dire d’un traitement déshumanisant. Tout indique qu’il s’agit d’une propagande de guerre.
Cette forme de propagande cherche à canaliser la frustration que provoquent les conditions actuelles de survivance en direction de celleux qui ne sont pas d’accord avec le modèle social actuel. Il s’agit de présenter cellui qui lutte contre l’état actuel des choses comme étant le-la coupable de cette même situation, le-la présentant comme un être antisocial. On prétend ainsi isoler les révolutionnaires et les rebelles en générant à la fois la peur et la démoralisation entre celleux qui veulent en finir avec la société capitaliste.
La propagande de guerre institutionnelle se charge aussi de préparer le terrain pour d’autres formes de répression plus larges (les lois, l’augmentation des crédits pour le contrôle social, plus de police, plus de prison...) et d’entretenir la soumission des exploité-e-s face aux consignes officielles.
De manière secondaire, mais non moins importante, on veut provoquer à l’aide de ces moyens une terreur généralisée dans laquelle fleurissent la délation, la collaboration citoyenne avec les corps répressifs et la complicité des opprimé-e-s avec leur propre oppression.
Tout cela est impulsé par l’excuse de l’alarme sociale qui est créée à son tour par les propres moyens de propagande du système (la presse, la radio, et la télévision surtout). Pour cela, celleux qui bénéficient de l’exploitation et de la domination des autres, qui sont celleux qui s’alarment réellement face aux éruptions de l’insoumission, essaient d’étendre leur peur au reste. La socialisation de la peur des classes “privilégiées” consiste à faire en sorte que nous autres exploité-e-s assumions comme nôtre la peur qu’ont les exploiteur-euse-s d’une possible révolte.
Pour ce processus de socialisation de la peur, le système ne nous fabrique pas des monstres que nous pouvons toucher, mais plutôt des fantômes. Des entités plus ou moins imaginaires et sinistres tirées des contes pour enfants, qui par leur propre omniprésence invisible peuvent provoquer davantage d’angoisse.
Dans la majorité des montages, autant la police que la presse ont l’habitude de présenter les détenu-e-s comme des individus très dangereux en y ajoutant de grandes doses de mythification, nécessaire à une plus grande splendeur des professionnels de la répression.
Le triangle terroriste
L’imposition d’un système basé sur l’exploitation exige la présence d’institutions consacrées au contrôle social. Ces institutions, et le personnel à leur solde, sont chargées d’éviter que la frustration des exploité-e-s ne se convertisse en conscience et en révolte. Selon leur fonction on peut les grouper en trois axes : le politique, le médiatique et le juridico-pénal.
L’axe politique est formé de la chienlit chargée de canaliser toute protestation vers les voies sans issue de la négociation et du pacte. Depuis les ONGs ou les groupuscules gauchistes jusqu’aux syndicats et aux partis politiques, illes sont tou-te-s à l’origine de la récupération des luttes et par conséquent du maintient du système tel qu’il est. Illes n’hésiteront pas le moment venu à signaler celleux qui ne passent pas par le cercle des voies institutionnelles, participant ainsi à la répression comme complices plus ou moins actif-ve-s.
L’axe médiatique est composé des journalistes des différents médias de “communication”. Fer de lance de la propagande institutionnelle de guerre, les médias déblayeront le chemin de la répression et justifieront ensuite toute mesure cœrcitive en s’appuyant sur la gravité de l’affaire.
L’axe juridico-pénal est formé de l’ensemble des entités qui vont du policier de quartier au maton en passant par toute la chienlit des palais de justice et, pour les affaires de caractère international ou d’importance particulière, l’armée.
Le triangle que nous avons décrit est celui chargé de veiller à ce que l’économie des capitalistes ne se voit pas altérée par des incidents surgis des secteurs exploités. Son rôle est celui de chien de garde.
Pour maintenir l’ordre, ce triangle doit faire peur, peur pour éviter que celleux qui n’ont rien à perdre ne se lancent contre les responsables de la misère généralisée. Dans ce but, les institutions qui forment le triangle répressif exerce leur besogne moyennant le jeu morbide, gagné d’avance, de la terreur.
Cette peur fabriquée par le triangle terroriste, est diffusée comme la lumière d’un phare partout où l’on perçoit que la soumission des esclaves peut se briser. Mais le processus de la peur sur certains secteurs déterminés de la population doit être justifié d’une manière quelconque au yeux du public. Et c’est là qu’interviennent les médias, générant la peur qui réclame des lois, des détentions, des centres de réclusion ; investissements et intérêts qui à leur tour se chargeront que la peur ne se dissipe pas.
Ainsi la peur n’est pas seulement le produit qui sort de cette fabrique triangulaire, mais aussi sa matière première. Les intérêts qu’il y a derrière l’industrie de la sécurité, autant publique que privée, sont ceux qui se chargent, en premier lieu, de convertir la “sécurité” en un produit de première nécessité. En second lieu, ce sont ceux qui délimitent et marquent le niveau d’insécurité nécessaire pour que la production et la vente ne stagnent pas.
Dans l’écologie du contrôle social, le triangle formé par les politicien-ne-s, les journalistes et les corps répressifs, se convertit en fabriquant de terreur et en symbole du recyclage de la peur. Peur qui nous transforme en accusé-e-s et qui, au fond, est la même que celle avec laquelle il justifie son existence.
Inquisition démocratique et guerre sainte
La peur dont nous venons de parler a été un instrument de contrôle social de base dans l’histoire de l’exercice du pouvoir. Les prêtres des religions primitives, déjà, s’appuyaient sur la peur de l’inconnu pour rendre leur pouvoir effectif. Aujourd’hui les choses ont très peu changé.
L’État démocratique, surgit du triomphe de la révolution bourgeoise en France, substitua le culte des dieux traditionnels par la dévotion à l’État ; la Bible par la Constitution ; les prêtres par les juges et les politiciens ; les paroissien-ne-s par les citoyen-ne-s responsables.
Dans cette ambiance tant chargée de foi, la dissidence doit être traité comme hérésie. Le révolutionnaire sera la réincarnation du mal sur la terre, il sera jugé et condamné à la manière de l’Inquisition.
Dans l’endoctrinement religieux nécessaire pour guider le troupeau, on appellera éducation démocratique et information objective ce qui n’est que jugements moraux et propagande de foi.
La paix sociale que veulent ces illuminé-e-s a besoin d’une guerre sainte contre la dissidence, contre le mal. Une guerre qui retrouve de l’importance à un moment de transformation du capitalisme qui peut donner lieu à des ruptures dans la foi.
La guerre sainte contre quiconque se rebelle ne peut se cantonner aux schémas rigides de la loi. Ainsi, tout comme les institutions tolèrent des illégalités dans des affaires économiques, d’exploitation salariale, de drogues, etc., il y a des activités apparemment non illégales qui sont poursuivies pour leur caractère potentiellement déstabilisateur. S’accrocher aux dogmes de la loi n’est en aucun cas une garantie pour ne pas subir le poids de la répression.
À l’égal de l’Inquisition catholique d’hier, l’inquisition démocratique d’aujourd’hui suppose une guerre, surtout sur le terrain psychologique, contre toute force d’insoumission, y compris celle qui surgit à l’intérieur de nos propres têtes.
Le caractère international de cette offensive nous confirme seulement ce que nous savions déjà, à savoir que les révoltes ne doivent pas s’enfermer dans des limites géographiques ou étatiques mais qu’elles doivent s’étendre au moyen de la solidarité révolutionnaire en nous faisant complices des révolutionnaires des autres lieux.
Social-démocratie et montages
La social-démocratie parlementaire, extra-parlementaire, “OèNeGère” ou citoyenne joue un rôle important dans le contrôle social. Elle accomplit aussi un travail essentiel dans les montages policiers puisqu’elle fait partie de l’axe politique du triangle de la terreur.
Cependant la particularité de la gauche est la capacité qu’elle a de s’infiltrer parmi nous et de déformer la vision de la réalité répressive. Son double jeu nous oblige à lui prêter une attention spéciale pour démasquer son activité manipulatrice.
Il y a beaucoup de coïncidences entre l’image que projettent aussi bien la gauche que les institutions concernant les montages policiers ; des coïncidences qui trahissent des prétentions similaires de leur part.
Théorie de la conspiration
L’idée selon laquelle il y aurait une conspiration en marche a été utilisée par les politicien-ne-s de toutes les époques pour se présenter comme persécuté-e-s par des trames obscures.
Les théories conspiratives aident à rendre plus facilement compréhensibles les règles complexes de cause à effet dans les relations humaines. Elles facilitent les campagnes de propagande contre la dissidence menées par l’État. Elles aident la gauche à créer une vision simpliste dans laquelle les conspirations étatiques et les conspirations “des radicaux” la situent comme le point d’équilibre hypothétique.
Les théories conspiratives servent aussi de bouc émissaire. Elles sont utiles à l’État parce qu’elles servent à ce que la frustration causée par la misère quotidienne soit canalisée, non pas vers ses véritables responsables, mais contre la dissidence. La social-démocratie essaie de justifier avec les théories relatives à une conspiration “radicale” son attitude conventionnaliste, récupératrice et sa misère politique.
En personnifiant le mal en une entité conspiratrice, l’État essaie de parvenir à ce que la société s’identifie au pouvoir et aux institutions par peur. La gauche utilise pour sa part ces théories pour engendrer la confusion et éloigner le reste des exploité-e-s des positions révolutionnaires et de l’action directe.
Les théories conspiratrices aident à fabriquer une vision simpliste de la réalité, dans laquelle les scélérats conspirent contre les “honnêtes gens”. Elles compliquent la capacité de compréhension de l’environnement, en substituant le rôle que joue toute personne en relation avec le pouvoir et l’exploitation par le caractère plus humain ou espiègle de chacun-e. Elles servent aussi à diriger la rage vers des positions inoffensives pour le système.
Dans ces théories, les conspirateurs et conspiratrices sont caractérisé-e-s comme un groupe monolithique et infaillible qui est partout en dépit de son invisibilité, pratiquement omnipotent et qui représente la réincarnation satanique sur terre.
Vision hiérarchique
Depuis ses instruments de propagande, l’État insiste pour présenter toute forme de révolte comme le fruit de la conspiration de quelque organisation possédant une structure hiérarchique et un leader. Cette manière de décrire les actes d’insoumission n’est pas accidentelle et ne surgit pas non plus à cause de la déformation mentale des fonctionnaires du pouvoir, mais au contraire parce qu’elle remplit des fonctions stratégiques importantes.
En premier lieu, les institutions ne peuvent pas permettre que, sous couvert de l’anonymat, des groupes d’exploité-e-s décident de frapper directement les structures qui les oppriment. Cela pourrait s’étendre s’il devenait évident combien c’est simple. Ainsi, la première chose que fait le pouvoir est d’attribuer chaque action à une organisation (réelle ou inventée) qui puisse être surveillée et punie. L’existence physique ou virtuelle d’une entité à laquelle parler et laquelle accuser facilite les besognes judiciaires, policières et journalistiques. De plus, cela sort l’action de l’anonymat et on l’attribue à des entités plus ou moins visibles et prévisibles.
Ensuite, attribuer tout geste de désobéissance anonyme à une structure hiérarchique sert au pouvoir à nier aux exploité-é-s la possibilité de se rebeller, en faisant croire au “public” qu’on ne peut agir qu’en étant encadré par un quelconque type de structure militaire, soumise aux directives de quelques chefs.
Nous voyons ainsi que, aussi bien en reliant toute action à des sigles qu’en imprimant un caractère pyramidal à sa structure interne, cela remplit la besogne stratégique de désarmer le prolétariat conscient. C’est notre tâche d’annuler les effets de ce type de propagande de guerre.
Que révèlent les montages ?
La meilleure arme de la répression institutionnelle est la peur, la sensation d’isolement. Pour cela, le meilleur outil anti-répressif est de replacer chaque détention, rafle ou matraquage dans son contexte : la guerre sociale ; de contextualiser pour pouvoir analyser et développer des stratégies, des projets qui suscitent la révolte et la conscience révolutionnaire. Il faut garder à l’esprit que la peur est une arme à double tranchant qui peut durer peu ou produire l’effet inverse à celui recherché.
Les montages font partie de la propagande de guerre contre la dissidence. On peut voir en eux les ressorts du triangle créateur de peur que forment les politiciens, les journalistes et les fonctionnaires des corps répressifs. Ce sont ce triangle et les intérêts qu’il y a derrière qui définissent le niveau de peur que l’on doit respirer dans notre milieu.
La peur est l’objectif que recherchent les institutions et, pour cela, elles usent d’un langage religieux dans lequel le dissident est traité comme un hérétique.
La social-démocratie joue un rôle actif dans la guerre contre la dissidence en désarmant et en isolant les rebelles, principalement sur le plan psychologique.
On porte l’accusation de terrorisme parce que l’existence de dissident-e-s contre la démocratie doit être cachée. Avec les montages l’État cherche à : 1) enfermer ou enterrer juridiquement les révolutionnaires ; 2) criminaliser et effrayer celleux qui désobéissent aux consignes du pouvoir et se solidarisent avec les luttes ; et 3) essayer de faire croire qu’il faut se soumettre à une organisation hiérarchique similaire à l’État pour lutter contre le pouvoir.
Les montages nous permettent de voir que ce que craint l’État n’est pas une action ou une perturbation concrète mais le message selon lequel qui que ce soit peut, avec de la détermination et quelques moyens, faire face et affronter le pouvoir ; l’État redoute aussi la possibilité que les rebelles de différentes réalités prennent contact entre eux et s’enrichissent mutuellement.
Les institutions ont peur de la diffusion de l’idée révolutionnaire (difficilement punissable) qui peut engendrer des luttes, des actions, de l’agitation... Elles ont peur que les petits signes d’insatisfaction qui font le tour des exploité-e-s se reconnaissent dans la théorie et la pratique insurrectionnelles. Pour tout cela elles essaient de freiner les actions (et leur extension) en enfermant quiconque défend ouvertement les idées.
Les institutions de contrôle craignent les pratiques qu’elles ne peuvent pas contrôler : la révolte diffuse, l’action anonyme ayant lieu dans un contexte social d’insatisfaction, l’activité en marge des organisations hiérarchiques, militaristes, de masse, légales, etc. qui rendent difficile la récupération politique et militaire de la révolte.
Les montages nous indiquent le chemin que le pouvoir redoute car il ne peut le contrôler : le conflit permanent qui affronte les différentes facettes du capital sans se soumettre à la dictature du dialogue et à l’imposition de la culture du pacte, l’activité développée en marge des organisations qui sont par leur structure ou leur dynamique facilement manipulables par le système et les réseaux de solidarité révolutionnaire qui se tissent entre celleux qui luttent contre le système capitaliste et qui s’exprime de forme percutante dans la rue.
Les montages nous indiquent aussi que le système se trouve dans une phase de transformation dans laquelle il devient plus vulnérable. C’est pour cela qu’il se lance dans l’offensive en essayant que rien n’échappe à sa griffe. Son agressivité dénote une inquiétude certaine pour ce qui pourrait se passer dans un futur proche.
L’exploitation et la domination continuent à marquer nos conditions de survivance. La société est toujours divisée entre celleux qui sont couverts et celleux qui pour vivre doivent se soumettre à l’exploitation salariale ou courir le risque de finir enfermé-e-s. Dans tous les cas, ce qui nous définit comme exploité-e-s est que pour obtenir les moyens de vivre nous perdons le contrôle d’une grande partie de nos vies.
Notre activité devrait s’appuyer sur cette base : observer l’environnement ; nous définir des objectifs à court et moyen termes ; développer des projets visant à atteindre ces objectifs et revoir continuellement l’accord entre ce que nous cherchons et comment nous le cherchons.
C’est en cela que consiste basiquement la réflexion stratégique, une tâche qui, bien développée, nous évite de rester longtemps sur la défensive, à la dérive, perdu-e-s, désarçonné-e-s en attendant de recevoir le coup suivant. Nous ne devons pas accepter de nous trouver face à une guerre qui profite seulement à l’ennemi. Mais accepter le fait que nous faisons partie de cette guerre (qu’on le veuille ou non) nous mène à nous demander comment réussir à renforcer notre camp et à affaiblir celui de l’ennemi pour pouvoir le mettre dans des situations difficiles dans lesquelles il dévoile sa véritable essence et pour pouvoir le détruire définitivement.
C’est une guerre non conventionnelle, une guerre qui affecte tous les aspects de la vie. Une guerre sociale, une guerre de classe, entre celleux qui défendent ce système et celleux qui veulent en finir avec lui. Les conditions dans lesquelles se déroule cet affrontement changent mais le conflit demeure et pour agir de la manière la plus efficace nous devons être très attentif-ve-s à tous types de signes qui nous indiquent les nouveaux points de collision, attentif-ve-s pour comprendre comment et de quelle manière agit l’ennemi.
Le développement de la pensée stratégique et de l’intelligence collective des révolutionnaires est une autre des craintes du pouvoir,pour les possibilité de déstabilisation que cela ouvre. Pour toute cette tâche il devient nécessaire d’abandonner des postures de victimes, la mythification des martyr-e-s, des héro-ïne-s présumé-e-s, etc.
Atterrissons et observons la réalité comme elle est pour pouvoir démolir toutes les barrières qui nous oppriment et en finir avec ce système qui nous maintient dans une situation de misère générale.
[1] “Lavazza, un cerveau capable de diriger tout type d’entreprise” ; “Ghislain, la main armée de Lavazza” (El Mundo, 12/11/00). “Un troisième suspect, qui pourrait être le cerveau des attaques, pourrait avoir fuit” (Diario16, 10/11/00). “Ils recevaient toutes leurs instructions des dangereux prisonniers Lavazza, Gisbert et Cobos” (El Mundo, 10/11/00). “Le cerveau arrêté : bombes, séquestration et vols ; 11 personnes arrêtées dans toute l’Italie” ; “Son initiative a créé une fracture entre le groupe de Bonnano et la Fédération anarchiste italienne” (articles de presse à propos du montage Marini [Ndt : à propos du montage Marini, voir le dossier sur APA et Mutines Séditions).
[2] “(...) de plus on les rattache à des prisonniers inclus dans le fichier des détenus suivis spécialement pour leur dangerosité” (ABC, 7/10/01 [Ndt : ce quotidien espagnol n’a rien, mais alors rien à voir avec l’Anarchist Black Cross]). “L’ETA a des contacts avec des groupes violents, radicaux et indépendantistes catalans qui la fournissent en informations” (Major Oreja, ministre de l’intérieur, 28/01/01). “(la police) a réussi pour la première fois à démontrer la relation entre des groupes radicaux anti-système et l’ETA” (Julia Garcia Valdecasas, déléguée du gouvernement, in El Periódico, 25/01/01). “On craint qu’un nouveau bloc terroriste ne surgisse dans le sillage de l’ETA, d’un mélange d’anarchisme issu des GRAPO et de marginaux” (La Razón, 18/11/00). “des radicaux madrilènes apprennent Kale Borroka au Pays Basque” ; “Des agitateurs basques se déplacent entre les squats de Madrid et de Catalogne” (Diario16, 19/11/00). “L’ETA fiche les prisonniers les plus dangereux” (Interviú, 4/12/00). “L’état-major croit qu’il y a des liens entre l’ETA et les auteurs des bombes envoyées à La Razón” (La Razón, 11/11/00). “Des autocars de Jarrai sont arrivés à Barcelone pour briser le défilé militaire” (La Razón, juin 2000).
[3] “Ce groupe avait des connexions avec d’autres bandes italiennes et grecques au sein du dénommé triangle anarchiste de la Méditerranée” (El País, 4/10/01). “Les experts policiers consultés par ce journal ont indiqué qu’il existe des soupçons fondés à propos des relations de Lavazza avec des organisations similaires en France” (El Mundo, 10/11/00). “Ce genre d’activistes n’agissent pas seuls mais ont des contacts avec des gens d’autres endroits” (Juan Cotino, dir. gén. de la police, 10/11/00)
[4] “La totalité d’entre eux se trouvent dans les FIES [Ndt : quartiers spéciaux des prisons espagnoles, aux conditions particulièrement dures, classées en différents degrés. Voir L’Envolée, un catalogue composé de personnages de bas étage et de la pire engeance (...)” (Antonio San José, opinologue, dans Interviú, 4/12/00). “Ce sont les FIES CD, les hommes les plus durs de nos prisons, une cinquantaine de détenus qualifiés d’extrêmement dangereux par les autorités carcérales” (Interviú, 4/12/00). “Lavazza, personne froide et distante possédant un haut niveau intellectuel et une grande capacité de manipulation (...)” (El Mundo, 12/11/00).
[5] “Le ministère de l’Intérieur met en garde les syndicats contre d’éventuels attentats de la part des “anars”” (El Mundo, 31/01/02). “Les anarchistes radicaux (définis par les forces de sécurité comme anarcho-terroristes) voulaient être présents avant de finir l’année” (El Mundo, 4/1/02). “Les anarcho-terroristes ont essayé de commettre un attentat le 28 du mois dernier à Madrid” (El Mundo, 4/1/02). “Terrorisme anarchiste : 60 interpellés” (Corriere della Sera, 3/1/96). “C’était le noyau turinois de l’Organisation Révolutionnaire Anarchiste Insurrectionnaliste, le groupe néo-terroriste” (articles de presse à propos du montage Marini).
[6] “L’enquête policière dégageait le fait que la cellule désarticulée pourrait être connectée avec d’autres groupes qui ’peuvent mener à bien des actions dans les mois prochains’” (Época, 22/1/02). “Si les paquets n’avaient pas été désactivés par les tedax ils auraient pu tuer les personnes qui les auraient ouverts” (Juan Cotino, dir. gén. de la police, 10/11/00)
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