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Secrets et mensonges
mis en ligne le 13 décembre 2024 - Anonyme , No Trace Project
Sommaire
- Ne pas se lâcher (préface des éditions Ungrateful Hyenas)
- Secrets et mensonges
- Post-scriptum (pratique)
Ne pas se lâcher (préface des éditions Ungrateful Hyenas)
La culture de la sécurité peut être belle — on développe des pratiques communes pour se protéger soi-même et protéger les autres, on gagne en confiance dans nos relations en vue de mener des actions ensemble. On peut ressentir des formes de complicité et de solidarité, non seulement avec nos camarades les plus proches, mais aussi avec tous les anarchistes et rebelles du monde. Toute personne qui propage les flammes de la révolte partage des secrets précieux avec ses camarades de confiance, et cela fait vivre notre combat.
En pratique, cependant, c’est plus compliqué. Développer des manières communes de mettre en pratique les idées anarchistes peut être difficile et frustrant. Nos compétences en communication et notre capacité d’introspection sont inévitablement mises à l’épreuve. Les secrets nous pèsent et nous isolent. Ils sont un fardeau nécessaire que l’on doit essayer de porter ensemble.
Mais quand la culture de la sécurité perd son dynamisme et sa fluidité, quand, d’un processus mutuel basé sur nos engagements les un·e·s envers les autres et envers la lutte, elle se transforme en un rituel ambigu, voire principalement esthétique, alors elle devient un liquide corrosif qui pénètre et accroît les fissures autoritaires, hiérarchiques et égocentriques qui imprègnent notre monde. Cela peut menacer notre capacité à mener des actions, construite au fil des années, et mettre en péril notre sécurité (précisément ce que la culture de la sécurité devrait protéger). Lorsque ces fissures s’élargissent, elles peuvent même servir de points de départ pour des tentatives d’infiltration [1]. Lorsque notre base commune s’effrite, nous risquons de tomber et ainsi de nous éloigner de nos relations et de l’anarchie.
« Secrets et mensonges » a été écrit par une personne tombée dans ces fissures. Après s’être éloignée pendant quelque temps de la culture du secret, elle réfléchit aux effets néfastes de cette culture et à comment celle-ci aurait pu ou pourrait être différente.
L’auteur·e nous offre une occasion précieuse de questionner nos propres pratiques et normes — sont-elles nécessaires pour protéger nos luttes et nous-mêmes, ou servent-elles à indiquer notre appartenance à un club fermé ? Il s’agit souvent des deux à la fois, mais le vacarme que la menace imminente (et souvent réelle) de la répression crée dans nos esprits peut s’avérer si assourdissant qu’il couvre nos réflexions personnelles et collectives. Et ainsi, on évite la question douloureuse : la confiance que l’on porte à nos camarades et notre perception de soi sont-elles si fragiles que l’on ait besoin de ces signaux constants pour se sentir apprécié·e ?
Aux réflexions de l’auteur·e, je voudrais ajouter une autre norme qui, selon moi, nourrit ces dynamiques. Les anarchistes utilisent souvent leurs (nécessaires) secrets pour justifier une certaine fermeture ou un certain stoïcisme en ce qui concerne leurs émotions. Ce sont des révolutionnaires si dévoué·e·s qu’iels dissimulent leurs vies entières sous le voile du secret. Cette approche n’est pas propre à l’anarchisme, mais provient directement de la culture patriarcale dans laquelle nous avons tou·te·s grandi, qui nous apprend que la capacité à réprimer ses émotions est un gage de force. Au contraire, cette norme culturelle s’est révélée être une énorme faiblesse de nos milieux et n’est tout simplement pas viable. Quand les camarades qui savent bien enterrer leurs émotions tombent malades, s’isolent, développent des comportements paranoïaques ou abusifs, celleux qui ne peuvent ou ne veulent pas dissimuler leurs luttes intérieures sont relégué·e·s aux marges.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit indésirable ou inutile de réévaluer et de modifier des accords de sécurité en fonction de nos états mentaux et émotionnels. Bien sûr, il arrive qu’on ne puisse pas gérer la pression liée à une action, et on ne devrait donc pas y participer. Mais notre approche du bien-être mental et émotionnel dans les milieux anarchistes ne devrait pas évoquer un parfait petit soldat, mais plutôt refléter nos valeurs anti-autoritaires et anti-patriarcales, ainsi que nos désirs de vivre des relations affinitaires libres et basées sur la confiance. On a tous des émotions, on est tous brisé·e·s par ce monde, et on doit tous faire avec, pas seulement les plus visiblement fous/folles parmi nous. Et on devrait voir les choses sur le long terme — comment faire durer ces relations que l’on construit et la belle révolte qu’elles rendent possible, au-delà de sursauts relativement courts ?
De la même manière que l’on a besoin d’intelligence stratégique dans la rue, on a besoin d’intelligence émotionnelle pour ne pas propager les poisons que nous fait ingérer cette société et aborder l’inévitabilité du conflit de manière productive. Cette intelligence doit être entretenue activement par l’expérimentation, le partage et le soin, ce qui nécessite de vouloir apprendre et grandir.
De nombreu·x·ses camarades sont sceptiques face aux professionnels de la santé mentale, à raison — car iels haïssent la violence des institutions psychiatriques, ou ont été directement ou indirectement traumatisé·e·s par ces institutions, ou souvent les deux. Tout le monde n’a pas besoin de voir un psy, et pour celleux qui le font, ce n’est pas une solution miracle. Le point important est de reconnaître qu’on a tou·te·s une responsabilité de chercher des formes de soutien. Il y a beaucoup de choses dont on ne peut pas parler, ce qui est une raison supplémentaire de travailler sur ce dont on peut parler. Nos traumatismes d’enfance, nos conflits interpersonnels, notre peur de l’abandon, nos addictions et autres mécanismes de défense nocifs, le trauma de l’enfermement — tous ces problèmes, si on ne les gère pas, peuvent monter en tension et nous submerger, surtout dans les moments de stress auxquels les anarchistes doivent souvent faire face.
Récemment, à une occupation en défense des terres, j’ai entendu une conversation où une personne disait que tout le monde a besoin d’aller voir un psy et une autre, une personne autochtone, disait que son psy, c’était la hutte à sudation. Des ami·e·s ont étudié la thérapie somatique et les manières de réguler le système nerveux [2]. Des camarades de New York ont créé des groupes d’aide psychologique, s’auto-formant à se soutenir les un·e·s les autres dans un cadre dans lequel iels pouvaient avoir confiance [3]. Il y a des groupes de soutien pour les personnes queer, pour les proches de personnes dépendantes, pour les survivant·e·s de violences sexuelles. Il y a tant de façons de chercher du soutien, parler à un psy n’étant qu’une façon parmi d’autres, donc quand un·e camarade refuse d’essayer ou invente des excuses, je vois cela comme un signal d’alarme et un obstacle majeur à une potentielle complicité. Même si on n’est pas encore prêt à le faire pour notre propre bien, on le doit à nos camarades d’essayer.
Bien qu’il soit crucial d’avoir du soutien en dehors de nos groupes affinitaires, certains sujets ne peuvent être abordés qu’avec nos camarades les plus proches. Raison de plus pour que celleux qui agissent ensemble ouvrent des espaces pour discuter des aspects émotionnels et psychologiques de la prise de risques. Un de mes amis a été très affecté par le stress d’une action — les circonstances de celle-ci ont malheureusement conduit les personnes impliquées à jurer de ne jamais reparler de l’action entre elles. Dans l’année qui a suivi, il a surmonté ce stress en se tournant vers l’héroïne, ce qui a finalement mené à l’arrêt de son cœur — un cœur que nous aurions dû aider à gérer des peurs que personne d’autre ne pouvait gérer.
« We all got born so afraid
And still search for words
To describe that pain
And cling to each other
Like pigeons in the rain
(Hang on to each other)
And nuzzle over feathered breast
(Hang on to each other)
With beaks all worn and cracked and stained
(Hang on to each other)So this one’s for the lost ones
(Hang on to each other)
And the dead ones and the ones who fell away
(Hang on to each other)
All our busted brothers
(Hang on to each other)
And tumbled lovers
(Hang on to each other)
Spitting at the rain
(Hang on to each other) »— Hang On to Each Other (Ne pas se lâcher), A Silver Mt. Zion
Secrets et mensonges
Le texte qui suit a été écrit par un·e camarade anarchiste impliqué·e dans l’action directe et l’organisation informelle. Dans nos relations affinitaires rebelles, où l’amour fusionne avec l’envie irrépressible et sincère d’attaquer ensemble cette société, on doit faire attention aux conséquences de nos actions et aux personnes avec qui on s’implique. On doit comprendre la domination telle qu’elle est. Quand les choses s’effondrent, et tout finit par s’effondrer, on doit avoir des moyens de se soutenir, d’éviter la sorte de fragmentation qui détruit les personnes et leurs envies de continuer la lutte.
« La dimension psychologique du conflit est aussi importante que sa dimension physique. Le conflit est une lutte de volontés, qui a lieu autant dans les esprits des individus que sur le champ de bataille. Le conflit est une lutte pour le pouvoir. Le pouvoir peut être politique (idéologique), militaire ou économique (matériel). Les conflits les plus impitoyables sont généralement basés sur l’idéologie. Les attitudes et comportements des individus (amis, adversaires et ceux qui sont encore indécis ou non alignés) peuvent à terme déterminer l’issue du conflit. »
— Opérations psychologiques, Manuel de doctrine interarmées, Forces canadiennes (2004)
Il m’est arrivé de vivre dans le monde de la pénombre. Un monde de secrets et de mensonges. De non-dits. Un endroit où la question ne doit pas être posée. Un espace où les réponses ne sont pas immédiates, où intrigues et subterfuges existent. Où la bande se renforce elle-même. Où se déroulent des jeux de pouvoir soi-disant nécessaires, et où des camarades sont retiré·e·s en chuchotant de la compagnie des non-initié·e·s, et en silence de celle des initié·e·s. Un monde où seul·e·s les plus fort·e·s survivent, et où les autres sont mis·e·s au rebut, ami·e·s, amant·e·s ou adversaires. On voit les yeux d’un proche qui cherchent les mots adaptés qui permettront de contourner la vérité, et on fait de même avec les autres. Parfois, on ne voit même pas les yeux. On peut voir les mécanismes, mais on ne peut pas dire ce que l’on voit. On fait confiance à l’autre de tant de façons, mais on ne peut pas dire ce que l’on sait. C’est l’endroit où la question est crime. Où on perd sa voix. Où la vérité est impossible. Où on est confiné — surtout si on est pas dans le secret, si on est exclu — à un monde de conjectures tourettiennes, de déni, d’insécurité, de frustration et de paranoïa. À travers ce crible de secrets et de mensonges, à travers ces milliers de trous percés dans la structure de nos relations sociales, on peut se perdre soi-même. On peut se perdre les un·e·s les autres. Là où l’honnêteté n’est plus, nous devenons nos propres prisons.
« Nous savons que la nature même du secret peut affecter la personnalité de ceux qui sont dans le secret. Cela est vrai de toutes les formes de secret, de la société secrète primitive au cloisonnement par nom de code. Ce dernier est une forme intensifiée de secret qui présente de nombreux points communs avec la société secrète primitive. Il a l’aura d’une société secrète. Il a son processus d’initiation, ses serments, ses phrases ésotériques, ses zones à accès restreint et ses secrets dans des secrets. Et au lieu de mots de passe et de signes de la main, il y a des acronymes sur des badges. Il y a des endogroupes et des exogroupes. Pas étonnant, donc, que le cloisonnement par nom de code ait des effets psychologiques imprévus. »
— Rapport de la CIA de 1977 « Critique of the Codeword Compartment in the CIA » (Critique du cloisonnement par nom de code à la CIA)
Peut-on croire que l’État n’est pas autant expert en matière de secret qu’il l’est en matière de guerre ? Les employé·e·s des agences secrètes de tous les pays du monde ont une expérience directe de l’impact du secret sur la psychologie de ceux qui sont dans le secret et de ceux qui ne le sont pas. Peut-on croire qu’après des millénaires passés à aiguiser le couteau, il ne sait pas quelle chair il coupe, selon quel angle, pour la meilleure viande ? Bâtir des secrets c’est bâtir des murs, des jugements, des divisions, semer le malaise, la méfiance, la paranoïa, isoler celleux qui ont des choses à dire sur l’existant de celleux qui pourraient les entendre. Et ainsi l’État écrit un nouveau chapitre de la guerre psychologique. Créer un jardin où l’on sème des secrets, c’est semer le pouvoir et la corruption.
En d’autres temps (et encore de nos jours, à certains endroits), les activités secrètes avaient lieu sous serment. L’État assassinait des gens non seulement pour leurs actions, mais aussi pour le simple fait d’avoir prêté serment de confidentialité à un groupe menant des actions contre l’État. Et au sein des organisations secrètes — Captain Swing, les luddites, les Molly Maguires, l’Armée républicaine irlandaise, pour n’en nommer que quelques-unes — les paramètres étaient clairs. Il y avait des processus, il y avait des rituels, il y avait des initiations et des désinitiations, non seulement pour les combattant·e·s, mais aussi pour leurs familles et leurs communautés. Bien qu’on ne choisisse pas d’assumer ouvertement nos actes dans la lutte contre l’État, choisir le secret n’est pas pour autant un gage de force. C’est une nécessité regrettable et un état de fait que l’État maintient, car cela lui convient aussi bien que si on assumait nos actes.
Dans un monde de secrets et de mensonges, il y a un monde d’ombres. Les ombres sont noires, froides, plates. Elles ne saignent pas et ne crient pas. Elles n’ont pas de texture. Pas de couleur. Elles ont un contour d’humanité mais manquent d’une âme. Il y a un simulacre de puissance dans ce défilé d’ombres. Il y a une désindividualisation, et en même temps les individus tentent de se réaliser à travers les rites d’initiation bancals qu’ils découvrent tout juste, rites qui leur ont été fournis par l’État par la criminalisation de tous nos instincts humains, y compris notre instinct d’ouverture aux autres.
D’une certaine manière, et en l’absence d’une intimité réelle et d’une couleur émotionnelle, les ombres se fondent les unes dans les autres. Dans cette sombre imitation, cette tentative uniforme de fuir la solitude et l’isolement, les ombres fusionnent. Et sont un mur entre soi et « les autres ».
« Larson et Chastain (1990) ont découvert que la tendance à garder des secrets, aussi appelée la dissimulation de soi, contribuait aux affections physiques et à la dépression, bien au-delà des autres facteurs de stress associés aux problèmes physiques et psychologiques tels que les expériences traumatiques ou le manque de soutien social. Sur la base de ces constatations, Larson et Chastain (1990) ont conclu que le secret, indépendamment du type de secret qui est gardé, ’a un prix et fonctionne comme un facteur de stress interne.’ […] La recherche et les théories sur le secret chez les adultes suggèrent que les désavantages physiques, psychologiques, et sociaux du secret pourraient être substantiels. »
— Article de recherche de 2002 « Keeping Secrets From Parents : Advantages and Disadvantages of Secrecy in Adolescence » (Cacher des choses à ses parents : avantages et désavantages du secret à l’adolescence)
Par sa nature même, le secret sépare celleux qui sont dans le secret de celleux qui ne le sont pas. Qui garde un secret est gardien·ne de l’accès au secret. En tant que gardien·ne, iel doit émettre des jugements de valeur sur les qualités et la fiabilité de celleux qui l’entourent, et l’opportunité ou non de les mettre dans le secret. La capacité à sélectionner d’autres gardien·ne·s du secret n’est pas neutre. C’est une capacité puissante. Et si on croit réellement que le pouvoir corrompt, alors on doit faire attention avec le choix de garder des secrets.
Souvent, en raison de la nature extrêmement informelle de nos réseaux et de l’entrelacement des mondes militants et sociaux, notre usage du secret peut engendrer une confusion autour de ce qui est confidentiel ou non, de qui est dans le secret ou non. Et parce que les groupes militants se mélangent aux groupes sociaux et aux collectifs d’habitation (qui eux-mêmes se recoupent beaucoup), les comportements témoignant de la présence d’un secret sautent souvent aux yeux, ce qui, ajouté aux besoins de l’ego, peut souvent dégénérer en un spectacle, une démonstration de force et de préférences interpersonnelles qui ne vaut pas mieux qu’une grossière mentalité de bande. On prétend être neutres et sérieux, mais comparons nos comportements et processus au groupe anarchiste polonais du tournant du 20ème siècle Rewolucyjni Mściciele (Vengeurs révolutionnaires) dont les membres avaient l’interdiction d’exprimer une opinion politique sur leur lieu de travail afin de ne pas compromettre les activités secrètes du groupe. On pourrait les accuser d’avant-gardisme, mais iels ont aussi des choses à nous apprendre. On choisit souvent des gardien·ne·s de secret car iels sont séduisant·e·s, désirables, ont un certain statut social, une réputation, portent les bons vêtements, lisent les bons livres, se comportent de la bonne manière, ont les bonnes relations, et parce qu’iels sont nos ami·e·s. Et on peut isoler des gens sur les mêmes critères : parce qu’on a arrêté de les apprécier, arrêté d’avoir des relations intimes avec elleux, parce qu’une autre personne était plus excitante, parce qu’une autre personne a un meilleur statut ou une meilleure réputation, ou simplement parce qu’on en est capable — si on est doué·e pour manipuler les relations sociales. Le groupe affinitaire a son rôle et ses forces, mais il a aussi ses inconvénients, dont l’un est le manque de responsabilité personnelle et politique. Quand on a un tas de groupes vaguement connectés dont les membres ne ressentent pas forcément d’affinité ou de responsabilité envers les personnes des autres groupes, il y a un risque d’aboutir à des processus problématiques, notamment à cause de la prolifération de dynamiques personnelles tacites et de l’impossibilité d’une médiation par un tiers pour prévenir les abus de pouvoir lorsque des problèmes surviennent dans le domaine personnel ou militant. Pour des raisons de sécurité, quand une personne est exclue, elle ne peut pas en discuter avec des gens extérieurs à ces groupes. Cela lui impose donc un double isolement — isolée de la société en général de par ses perspectives politiques et sa vie, et maintenant isolée de la bande.
Plus que toute autre forme d’organisation, le concept de groupe affinitaire, si présent dans les milieux militants, soulève la question du rapport entre le personnel et le politique, une question complexe et délicate qui est difficile à gérer pour nombre d’entre nous.
Le prix à payer pour le secret et les mensonges est élevé : déni, fragmentation et dissociation sont nécessaires, aussi bien de la part des gardien·ne·s du secret que des exclu·e·s (qui peuvent être des ex-gardien·ne·s). J’envisage généralement une culture du secret comme faisant partie de la culture de la sécurité : une réponse nécessaire à la répression. Mais j’ai aussi l’impression qu’elle est plus que ça. Qu’elle peut, sans qu’on en ait pleinement conscience, devenir d’une certaine manière une fin en soi. Des études ont montré que les effets du secret sur les adultes sont extrêmement négatifs, entraînant des sentiments d’isolement, de dépression et des affections physiques (pour celleux qui sont dans le secret comme pour celleux qui ne le sont pas ; malgré leur statut de gardien·ne·s, celleux qui sont dans le secret sont aussi prisonniè·re·s de leur propre connaissance). Les effets négatifs d’une culture du secret et d’une mentalité de bande sont flagrants dans n’importe quel milieu militant.
Cela dit, il est intéressant de noter que des études sur des adolescent·e·s ont montré que le secret peut être un facteur positif dans la transition de l’enfance à l’âge adulte, de la dépendance à l’accomplissement personnel. Si on applique cette idée à certains groupes de résistance contemporains, alors on peut envisager le secret comme une sorte de choix. Dans un monde où on est privé de tout sentiment et possibilité de maîtrise de soi, où on est privé de sens, alors une culture du secret peut non seulement représenter une nécessité tactique, mais aussi psychologique. Tout comme l’adolescent·e choisit d’avoir des comportements secrets pour se différencier des autorités auxquelles iel fait face — ses parents, professeurs, etc. — et pour commencer à s’affirmer comme différent·e et autonome, il est possible que la culture du secret dans certains groupes militants soit, en plus d’être une réponse à la répression et au besoin de se protéger de la surveillance et des conséquences légales d’une action, un processus inconscient similaire à celui observé chez l’adolescent·e.
« [Le secret] contribue à lui seul au bien-être psychosocial des adolescents et semble être un facteur important dans leur sentiment d’autonomie. »
— Article de recherche de 2002 « Keeping Secrets From Parents : Advantages and Disadvantages of Secrecy in Adolescence » (Cacher des choses à ses parents : avantages et désavantages du secret à l’adolescence)
Lorsque ces groupes luttent pour affirmer leur autonomie personnelle et idéologique face aux autorités répressives de l’État, de la Justice, du monde de l’entreprise, de l’industrie et de l’armée, lorsque qu’ils luttent pour « se distancer et se désengager de leurs adultes référents [l’État et les structures sociales familliales, éducatives, etc.] et établir des frontières entre le ’soi’ et le ’non-soi’ » et pour « établir et renforcer leurs capacités d’auto-régulation et d’auto-détermination », ces milieux choisissent le secret, non seulement en réaction, comme un moyen d’éviter d’être détectés et punis pour leurs attaques contre l’État, mais aussi comme un moyen d’établir leur différence, de créer une bande.
La répression a de nombreux visages, et seul l’un d’entre eux est la brutalité physique et les menaces d’incarcération. L’autre impact de la répression et du système capitaliste et totalitaire en Europe est un processus institutionnalisé d’infantilisation et de dépendance. On est dépendant pour tout, y compris l’essentiel — c’est-à-dire la capacité à manger, avoir chaud, se déplacer, s’éduquer, etc. — que l’on ait 3 ans ou 67 ans.
On a rarement la possibilité de se réaliser, et nos rêves et désirs ne peuvent jamais librement s’exprimer. On est ainsi dans un état d’immaturité perpétuelle.
L’être humain lutte pour la liberté, pour la force, pour la réalisation de son potentiel malgré tous les obstacles. À l’adolescence, on le fait en rejoignant des bandes, en adoptant des initiations, des uniformes, des signes vestimentaires, des normes communes, des identités, des secrets qui nous sont propres. Des sous-cultures. Celles-si présentent le risque d’être fondamentalement réactionnaires, et, au niveau des idées, si on ne veut pas rester insignifiants et reproduire des structures de pouvoir insidieuses, on ferait mieux d’être conscients de l’impact psychologique de ces structures et comportements.
Ce n’est pas en vivant dans un état de développement arrêté qu’on pourra se réapproprier notre humanité.
« Les trois objectifs de base des PSYOPS [Opérations psychologiques] sont :
- Affaiblir la volonté de l’ennemi ou de l’adversaire en baissant son moral et en réduisant son efficacité par la génération de doute, de dissidence et de mécontentement au sein de ses rangs.
- Renforcer les sentiments positifs des alliés.
- Obtenir le soutien et la coopération des non alignés et des indécis. »
— Opérations psychologiques, Manuel de doctrine interarmées, Forces canadiennes (2004)
Toutes les cultures du secret rencontrent des problèmes. Si elles visent l’efficacité et la sécurité, alors elles doivent être révisées de temps en temps. Même la CIA admet les problèmes psychologiques et effectifs des hauts degrés de secret. Un rapport a même suggéré que le secret créait de l’insécurité et empêchait d’être efficace : les informations non sensibles étaient protégées au même titre que les informations hautement confidentielles, ce qui conduisait par exemple à des échecs en action, du mécontentement et des dynamiques de pouvoir inutiles.
Quand des cultures pathologiques du secret se développent, si nos objectifs sont la santé humaine, le respect mutuel, la solidarité, la réalisation de notre potentiel (et de ceux de nos camarades) et l’autonomie, alors on doit constamment faire attention à nos motivations et à la manière dont on se comporte les un·e·s envers les autres et envers le reste du monde.
Parce qu’on bascule dans le « militantisme » de manière très informelle et désordonnée, on n’y arrive pas toujours en pleine conscience, via des discussions ou une invitation formelle. Que ce soit au sein ou en dehors des secrets, la tendance est aux tensions dans les relations interpersonnelles, à la paranoïa, aux sentiments d’inclusion et d’exclusion, à une baisse de moral, aux sentiments d’isolement et de privilège, aux hiérarchies et au manque de confiance en soi. Cela peut être destructeur et paralysant. La question qu’on doit se poser est la suivante : dans tout autre monde, cette vie de secret, au fond ce rapport particulier aux autres, serait-elle ce que l’on choisirait, et si oui, pourquoi, et si non, alors comment peut-on minimiser les dégâts causés par une situation qui nous est imposée ? Quel monde veut-on, et quels mondes est-on en train de créer, parce que si on continue à se faire du mal les un·e·s aux autres dans le présent, est-ce qu’on peut vraiment croire en un futur libérateur où tout cela va miraculeusement changer ?!
Aujourd’hui je ne peux pas parler. Mon cœur est dans ma bouche. Ma tête est paralysée. Ma gorge. Ma bouche. Ma langue. Mes lèvres. Mes mots. Mes pensées. Il n’y a plus de communication. L’honnêteté n’est plus. À la place, il y a des regards, des allusions, des suppositions, des sourires furtifs, des gestes, des personnes qui en prennent d’autres à part, à côté de gens qui peuvent ou peuvent ne pas être inclus dans les secrets discutés. Je ne suis jamais sûr·e de comprendre ce qui se passe et je n’ai aucun moyen de vérifier. La confusion se répand. La sécurité est brouillée, mélangée. Il n’y a pas de logique. Il y a des endroits où il est acceptable de parler ouvertement, mais ils ne semblent pas plus sûrs que d’autres. Il y a les gens qui décident de ce qui est acceptable ou non. Il n’y a pas de structure. Il n’y a pas de clarification. Il y a la paranoïa. Il y a la confusion. Il y a la peur de l’exclusion. Le soulagement de l’inclusion. Il y a le pouvoir et l’ego. Chaque fois que je parle, je ressens des vagues de panique. Chaque fois que j’ouvre la bouche je sens mon visage rougir de peur. Chaque fois que ma bouche se referme après avoir émis des sons, chaque fois que je parle au téléphone, chaque fois que j’envoie un e-mail, je sens l’adrénaline monter. Je ne peux plus parler des choses les plus simples sans ressentir ces sensations. Ma langue s’assèche. Mes pensées s’éparpillent. Ma bouche se crispe et je tire un voile devant mes yeux pour qu’ils ressemblent aux tiens. C’est un processus de mimétisme, qui se produit inconsciemment dans des situations d’exclusion sociale pour tenter de pacifier ou de s’attirer les faveurs de l’autre. Chaque interaction est entachée de la même suspicion, la même gêne et la même peur que l’on ressent quand on passe en procès. Chaque amitié devient une prison où l’autre se trouve de l’autre côté du mur. L’amitié, enfin, n’est plus.
Je croyais qu’on était des rebelles. Au lieu de ça, je suis un adolescent vieux de plusieurs décennies planté au bord de la cour de recréation qui se demande pourquoi plus personne ne veut jouer avec lui. De l’autre côté de la cour se trouve la bande dont j’ai fait partie. Rien n’a changé. Sauf que je ne suis plus là-bas. Je suis ici. En dehors. De l’autre côté du mur formé par celleux qui étaient encore récemment mes ami·e·s, amant·e·s, camarades. Parce que je ne conviens plus. Parce que mon amant·e m’a quitté·e, mon ami·e m’a quitté·e aussi, parce que j’ai senti qu’il fallait que je quitte notre maison commune et que je ne sais pas vraiment où aller et je me retrouve dans un pays bizarre où je n’ai pas grandi et dont je ne parle pas la langue. Et parce que je me suis un peu cassé·e sous la pression, je ne suis plus considéré·e comme capable de participer aux actions. J’ai été jugé·e par quelques-uns sans procès, dans mon dos, au cours de conversations secrètes dont on ne m’a pas informé·e jusqu’à ce que j’en fasse la demande. Je connais les signes, les regards, les constellations. Seulement, rien de tout ça ne m’est adressé désormais. Et ce qui me paraissait être un aspect nécessaire de la lutte lorsque j’en faisais partie me semble maintenant être un spectacle. Un spectacle du secret dont l’une des motivations semble être de rappeler aux autres leur exclusion tout en exhibant notre inclusion. Et soudain, dans ce monde de rebelles qui ont généralement des choses à dire sur tout, personne n’a rien à dire : pas de qu’est-ce qu’il s’est passé, qui a décidé ça et pourquoi, où est-ce que tu es, comment tu vas, est-ce que tu as un autre groupe, comment est-ce qu’on gère ça ? La question n’est pas autorisée. Et bien que certain·e·s restent « ami·e·s », cette amitié reste bloquée derrière le bourbier de la trahison et de la rupture de la complicité.
Je ne veux plus faire partie de la bande. Je veux seulement à nouveau être inclus·e. Il n’y a pas de sens de la solidarité ni d’affinité. Il y a la colère et l’impuissance. Il y a l’isolement et la dépression. Il y a l’épuisement. Il y a la fierté. Il y a la frustration. Les rires arrogants des gardien·ne·s sont lourds de secrets, leurs corps sont lourds de mensonges. Leurs yeux regardent partout sauf dans les miens, et pour la première fois de ma vie, après avoir vécu la prison, des arrestations, des attaques, des émeutes, des discussions, je n’ai pas de camarades.
Des expériences d’exclusion sociale ont montré que les personnes exclues de groupes avaient littéralement plus froid. Quand on leur demandait d’estimer la température de la pièce, elles indiquaient une température en moyenne plus froide que les personnes qui avaient été incluses. Quand on leur demandait de choisir parmi une sélection de nourriture et de boissons, les personnes qui avaient été exclues demandaient nettement plus de nourriture et de boissons chaudes que les personnes qui avaient été incluses.
— Résumé de l’article de recherche de 2008 « Cold and Lonely : Does Social Exclusion Literally Feel Cold ? » (Froid et seul : est-ce que l’exclusion sociale nous refroidit littéralement ?)
Même quand je suis dans le secret, même quand je suis inclus·e, je ne me sens pas à l’aise. C’est comme faire partie d’une famille abusive où on ne doit rien divulguer d’important aux personnes extérieures à la famille. Dans un monde de secrets et de mensonges, le monde entier est « autre ». Tous les autres sont des personnes qui ne sont pas incluses, pas dans la confiance, pas désirées, pas privilégiées. Tous les autres sont des personnes dont il faut se méfier. Tous les autres ne sont, par définition, dignes de confiance. On est fondamentalement séparé, dissocié de tous les autres. Notre conversation est fade et lourde de ce qui n’est pas dit, ce qui ne peut être dit. On est proche et pas assez proche. On est isolé et pas assez isolé. On vit dans un monde caractérisé par l’anonymat, mais pas assez pour que l’impact des secrets que l’on garde et partage, ainsi que les conspirateur·ice·s que l’on estime, soient dissimulés aux yeux des exclu·e·s qui peuvent être nos ami·e·s les plus proches. Les échanges avec les personnes extérieures à l’unité secrète, le tout petit groupe informel, ne sont plus libres et cela accentue le cycle de la dépendance envers l’unité secrète. On ne peut pas parler de tout ce qui nous dérange dans les secrets ou les comportements abusifs de l’unité secrète, ce qui accentue notre isolement — excepté vis-à-vis des autres gardien·ne·s de secrets qui sont la source du malaise. Coupé ainsi du reste du monde en qui on ne doit pas avoir confiance, on en arrive à se demander : pour quoi est-ce qu’on se bat, déjà ?
Pour la première fois depuis des mois, tu me demandes d’éteindre mon téléphone pour qu’on puisse parler librement et ma gratitude me donne envie de vomir.
Comment est-ce qu’on se sent quand on garde des secrets ? Militant·e, proche, fermé·e, mal à l’aise, confus·e, puissant·e, inclus·e, privilégié·e, fort·e, paranoïaque, stressé·e, euphorique, en danger, malhonnête, exigeant·e ? Comment est-ce qu’on gère tous ces sentiments, comment est-ce qu’on vit avec ? Comment est-ce qu’on fait attention aux nombreuses conséquences de ce genre de vie et aux raisons inconscientes derrière nos choix ? Quelle est notre relation avec celleux qui ne sont pas dans le secret ? Et sur quelles bases est-ce qu’on sélectionne d’autres gardien·ne·s du secret ? Qu’est-ce qu’on garde secret et quand est-ce qu’on garde des secrets par envie plutôt que par nécessité ?
Le monde des secrets est un monde d’amant·e·s, exclusif. Il est intimité et complicité. Il est le politique et le personnel. Se trouver à l’extérieur de cet amour peut être une souffrance. Surtout quand iels ont été nos amant·e·s. Se trouver à l’intérieur de cet amour peut être une souffrance. Surtout quand d’autres amant·e·s sont exclu·e·s.
Je sais que je trouverai d’autres amant·e·s et d’autres secrets. Mais j’essaierai de faire les choses différemment. Avec du respect pour celleux qui ont combattu avant nous, avec du respect pour la lutte pour la maturité, en pleine conscience de l’étendue des dommages qui nous sont infligés et que nous nous infligeons les un·e·s aux autres, nous devons combiner le secret à l’humanité et au courage de faire constamment attention au système en nous autant qu’au système à l’extérieur de nous.
Post-scriptum (pratique)
J’ai écrit « Secrets et mensonges » il y a un an. Au cours de cette année, je me suis entièrement retiré·e des milieux militants, j’ai passé du temps loin de tout et de tout·e·s celleux que je connaissais et à qui je m’identifiais. J’ai beaucoup réfléchi à la situation et au milieu qui ont mené à « Secrets et mensonges » : au rôle que j’ai joué dans tout ça, et aux rôles des autres. On a bien sûr tou·te·s le droit de décider de ne plus travailler avec quelqu’un et on doit à un moment ou un autre apprendre à gérer cela aussi bien de la position de l’excluant·e que de celle de l’exclu·e. Voici quelques réflexions à propos de choses qui auraient pu être mieux gérées dans une telle situation.
Lorsque la relation entre moi et mon/ma camarade a commencé à se détériorer, nous avons régulièrement discuté de la situation et essayé de continuer à avoir des projets communs, juste pas des projets trop « sensibles ». Ainsi, nous avons essayé de réapprendre à nous faire confiance et à nous connaître. Je recommande ce processus, même s’il n’a pas fonctionné dans ce cas précis.
Ne présuppose pas de la neutralité des gens : Si tu dois demander conseil dans une situation tendue émotionnellement et impliquant de nombreuses personnes, au moment de faire des choix, tiens compte des relations qui existent entre les gens et des valeurs et jugements que tu associes à certains comportements et réponses (en faisant attention, par exemple, aux comportements manipulateurs ou relevant de l’exploitation). Sois aussi ouvert·e que possible avec la personne exclue et reconnais l’impact de son exclusion. À moins qu’il y ait une très bonne raison de ne pas le faire, informe la personne exclue des discussions qui ont eu lieu à son propos, ou mieux encore, permets-lui d’être présente pour qu’elle puisse participer aux prises de décisions et contester des choses si nécessaire. Exclure une personne d’une action est difficile et être exclu·e puis se sentir abandonné·e dans une situation pleine d’enjeux de sécurité est irresponsable, non seulement pour le bien-être émotionnel de la personne exclue, mais aussi pour la sécurité de tou·te·s.
Si tu es exclu·e et que tu ressens le besoin de communiquer pour pouvoir tourner la page, notamment pour clarifier ce que pensent les autres ou ton propre point de vue sur la situation, mets-toi d’accord sur à qui est-ce que c’est OK que tu en parles. Tu pourrais avoir besoin de prendre l’initiative, car les autres peuvent se sentir gêné·e·s, ne pas savoir si c’est OK d’en parler, ou préférer faire l’autruche. Si possible, en toute sécurité, essaie d’en parler à une personne d’un autre groupe affinitaire ou à une personne de confiance extérieure. Les abus de pouvoir prospèrent dans les groupes fermés (par exemple au sein de la famille nucléaire). De plus, fais attention lorsque tu travailles avec des couples, assure-toi que tout le monde saura gérer la situation correctement. Pour rester en sécurité sur le long terme, fais attention aux autres et à tes comportements. On espère tou·te·s que nos ami·e·s et nous-mêmes ne deviendront pas des balances, mais si on jette un œil à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, à la répression contre l’ELF/ALF aux États-Unis, connue sous le nom de « Green Scare », on se rend compte qu’on ne sait pas comment les personnes et situations peuvent évoluer, au point où d’ancien·ne·s camarades ont été jusqu’à balancer leurs ami·e·s pour éviter de longues peines de prison.
Quand (si) la police finit par l’emporter et te jette seul·e dans une cellule, et te dit qu’untel a dit des choses sur toi ou a parlé, etc., tes expériences des personnes et de leurs comportements vont affecter l’efficacité de la guerre psychologique de l’État. Si une personne t’a abandonné·e, ou un·e bon·ne ami·e ou camarade a déjà agi dans ton dos ou que tu l’as vu·e agir dans le dos de quelqu’un d’autre, sous la pression, comment savoir si cette personne ne fera pas la même chose avec les flics ? Comment savoir si tu ne douteras pas d’elle ?
De même, si tu as vu un·e camarade s’effondrer sous la pression de la lutte dans sa vie et manifester des comportements et des réponses que tu ne comprends pas et avec lesquels tu ne te sens pas à l’aise ou en sécurité, comment savoir s’iel ne fera pas la même chose face à la terreur insidieuse de la police ? La répression d’État est conçue pour nous diviser, nous submerger et nous détruire — quelles sont les bases qui permettront à tes camarades de résister à cette répression ? Comment gérer les faiblesses, les limites et les forces des un·e·s et des autres ? Avec qui est-ce que tu as de l’affinité, et sur quelles bases ?
Sois perspicace en matière de secret : Un secret donné est-il vraiment nécessaire ou s’agit-il plutôt d’une question de pouvoir et d’ego ?
Prends au sérieux les dynamiques de pouvoir : Les gens peuvent être dans des positions plus ou moins fortes ou faibles en fonction des moments, et si une personne semble être ou se sent en position de faiblesse pour une raison ou une autre, essaie de comprendre pourquoi et envisage d’être indulgent·e.
On n’est pas des robots : Il n’est pas toujours facile de séparer le personnel et le politique, surtout dans des groupes/milieux basés sur l’affinité et l’informalité. Cela dit, on est tou·te·s différent·e·s. Certaines personnes doivent mieux tolérer les émotions d’autrui, tandis que d’autres doivent apprendre à mieux gérer leurs propres émotions. Si tu sais que tu es une « personne émotionnelle », sujette à l’insécurité, la jalousie, la fierté et autres péchés mortels, tu es responsable de ne pas te laisser déborder et de t’assurer que les situations soient gérées avant qu’elles n’explosent. Si tu n’es pas une « personne émotionnelle », il est probablement préférable de ne pas nier que ces émotions existent chez les autres, car cela revient à mettre la poussière sous le tapis et ne fait que retarder le problème. Les problèmes interpersonnels comme celui dont j’ai fait l’expérience font partie de la rébellion : ils représentent une occasion de créer/expérimenter de nouvelles relations sociales et de voir les comportements et dynamiques qui en résultent. Si on aborde toutes ces choses avec courage on peut approfondir notre rébellion et combattre plus longtemps et plus fort.
Bonne chance, prends soin de toi et des autres, et ne te fais pas attraper !
[1]
Toronto G20 Main Conspiracy Group : The Charges and How They Came to Be (L’association de malfaiteurs du G20 de Toronto : les poursuites pénales et leurs origines) raconte comment un infiltré a utilisé la culture du secret pour éviter de répondre aux questions sur son passé et empêcher des personnes d’exprimer leurs préoccupations à propos de détails qui ne tenaient pas debout.
[2]
Voir Survivre à une pandémie : des outils pour faire face à l’isolement, à l’anxiété et au deuil et Soaring Beyond the Walls : Tools for Building Capacity in Prison and Beyond (Voler au-delà des murs : des outils pour renforcer ses capacités en prison et au-delà).
[3]
Mutual Aid Self/Social Therapy (MAST) (Entraide et auto-thérapie / thérapie sociale).
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