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Contre la légende et l’oubli

mis en ligne le 19 juin 2024 - Anonyme

Écrit en mai 2018.
Publié en juin 2024.

Je dédie ce livre à mes camarades
de France et d’Espagne,
car il faut que nous cherchions à dégager
de la légende et de l’oubli le vrai visage
de la révolution,
il le faut pour épurer nos forces,
obéir plus librement à la plus haute nécessité,
ne pas lui demander de justifier nos fautes,
mieux accomplir ce qui doit être accompli,
et que l’Homme renaisse un jour en tout homme.

Victor Serge, Ville conquise (1932)

Ces « Notes partielles et partiales » ont été écrites, sans diffusion publique, depuis la Zad de Notre-Dame-des-Landes (NDDL) de janvier à mai 2018. Elles étaient à destination de soutiens qui étaient loin de la Zad et ne comprenaient pas la complexité des enjeux, des conflits, des processus à l’œuvre. Cette tentative de reportage informel, voire d’analyse sur le vif est politiquement située du côté de ce qui s’est appelé, au cours de la lutte, la dissidence de la Zad. Ces notes sont précédées de deux articles écrits en août et octobre 2017 pour un fanzine militant, diffusé uniquement sur papier : le Tiramisu.

Six ans après la période des expulsions et la fin des expériences sociales anti-autoritaires sur la Zad de NDDL, certains groupes, qui ont ramassé la mise (et habitent toujours la zone) se retrouvent à la tête du mouvement des Soulèvements de la Terre (dont deux des porte-paroles médiatiques). Depuis ce qui a été appelé la « victoire » de la lutte contre l’aéroport et son monde, la Zad sert de caution, de modèle pour faire rêver et attirer du monde dans les luttes environnementales. Nous proposons de rendre disponibles ces documents afin de comprendre ce que fut ce modèle dans une période de grande tension (les expulsions de 2018), moment où les masques tombaient dans l’urgence des intérêts à sauver.

Ce texte (et certaines des photos) prennent aujourd’hui une valeur d’archives, réactualisées au moment où nombre de militant-es ou sympathisant-es se posent des questions sur l’organisation des Soulèvements de la Terre et leur participation ou non à ce mouvement. Ce document permet d’avoir un regard critique sur ce qu’implique une alliance avec d’autres composantes, dont la Confédération paysanne.


Des chicanes sur la ZAD

 [Article écrit en août 2017 et publié dans le Tiramisu.]

La route des chicanes est un lieu célèbre sur la ZAD de Notre Dame des Landes. Officiellement, c’est la D281 qui relie les Ardillières au nord et La Paquelais au sud. C’est au moment de l’opération César en 2012, lors de la tentative d’expulsion de la zone ordonnée par le gouvernement PS, que sur environ deux kilomètres de cette D281 furent construites de multiples chicanes et barricades pour empêcher la circulation des forces de répression.

Depuis, cette route est toujours aménagée de chicanes et cabanes en bois et en terre, habitées par des gens qui l’occupent. Depuis, cette route fait l’objet de nombreux fantasmes, peurs et conflits. Quelles sont les raisons de ce point de fixation sans cesse réalimenté ?

En premier, les agriculteurs affirment l’impossibilité de circuler avec les tracteurs et les remorques pour travailler dans les parcelles adjacentes. En second, l’ACIPA, association des populations alentours, voit d’un très mauvais œil cette occupation pérenne d’un espace public. De leur côté, certains Zadistes, voulant imposer une zone « non-motorisée » à l’est de cette route, cherchent à refuser l’accès aux engins agricoles. D’autres Zadistes souhaitent contrôler la vitesse des véhicules du fait du passage de nombreux piétons et vélos.

Au printemps dernier, des paysans et certains occupants de la ZAD ont décidé, après plusieurs réunions, de réaménager cette route, laissant les habitations mais enlevant certaines chicanes qui gênaient le passage des tracteurs. Le but était aussi de permettre aux habitants de la région d’emprunter de nouveau cette route plus sereinement. Quelques temps après, sont apparues de nouvelles chicanes et des ralentisseurs faits en gros cordages de marine. Et certains habitants, même favorables aux Zadistes, continuent de s’opposer à ces chicanes.

Pourquoi tant d’ardeurs et de passions de part et d’autre ?

Ne serait-ce pas parce que cette route est devenue le symbole de l’opposition de deux mondes qui s’affrontent ? Un monde où l’espace public est approprié par un groupe non-légitimé par l’État : quelques Zadistes obstiné-es. Des gens qui s’arrogent le droit de contrôler éventuellement la route et remettent ainsi en cause, sur cette zone, le privilège de l’État qui, lui, peut envoyer les forces de l’ordre boucler une cité sans que personne ne s’en offusque.

Sur cette route, certains automobilistes auraient été rackettés de quelques euros ou effrayés par quelques personnes cagoulées en 2013, plus rarement depuis. Alors que Vinci rackette lui aussi les automobilistes consentants à tous ses péages d’autoroute.

Par ses chicanes, cette route fait concrètement l’éloge de la lenteur alors que les transports à l’heure actuelle imposent un monde de circulation à grande vitesse pour les marchandises et les personnes (TGV, LGV, TAV, sans oublier le transport aérien), une application concrète de la devise libérale : « Laisser faire, laisser passer ».

L’opposition entre propre et sale semble être aussi un enjeu important, actualisé dans l’entretien ou non des bas-côtés, le nettoyage ou non des mûriers et des haies

Enfin, le fait que des gens construisent des habitations sur la moitié de la chaussée scandalisent de nombreux habitants des bourgs avoisinants, alors que cela se faisait fréquemment dans le passé notamment sur les ponts et dont on peut voir un des derniers exemples à Landerneau.

Ainsi, les conflits au sujet de cette route semblent renvoyer à des intérêts politiques qui s’expriment d’une manière détournée et non-consciente. Ces deux kilomètres de la D281 pourraient donc être vus comme le théâtre où s’affrontent de manière euphémisée un monde de production marchande et un monde qui tente de faire sécession.

Du coup, loin d’être des chicaneries, cette route est devenue une zone test et il s’agira de rester attentif, dans la période qui s’annonce, aux rapports de force qui pourront y être mis en scène.

La ZAD sans les Zadistes ?

[Article écrit en octobre 2017 et publié dans le Tiramisu.]

Ou du moins sans certains Zadistes... C’est ce qui pourrait se dessiner à l’issue de la période de Médiation, qui prendra fin le 1er décembre, après six mois d’auditions avec certaines composantes de la lutte.

A ce jour, ont accepté d’y participer les membres de la Coordination des opposants à l’aéroport qui regroupe une soixantaine d’organisations très disparates [1]. Par contre, les occupant-es de la ZAD ont refusé, à ce jour, d’y participer, certain-es ne reconnaissant pas de légitimité à cette Médiation, d’autres se positionnant comme une force d’opposition permanente. Dans les faits, il n’y a pas de voix commune parmi les occupant-es : certain-es définissent déjà des projets, agricoles ou non, à présenter éventuellement au gouvernement, d’autres estiment que leur présence sur ce territoire est déjà effective depuis près de dix ans pour les plus ancien-nes, et qu’elle n’a pas à être négociée.

Les paysans du collectif COPAIN [2] avaient refusé de participer à la première partie de la Médiation, volet technique sur l’aéroport, mais envisagent d’y participer, maintenant que l’avenir de la ZAD est à l’ordre du jour. Participation qui s’inscrirait dans le cadre d’une délégation commune avec le maximum d’entités contre l’aéroport.

Les réflexions qui suivent ne sont en rien une version officielle ou unanime, mais sont basées sur nos observations et réflexions qui ont eu lieu sur la ZAD dans le courant de l’été.

Rappelons qu’une Médiation a été nommée par le premier ministre, M. Philippe, le 1er juin, dans le but : « d’identifier la mesure la mieux apte à satisfaire les besoins de transport à long terme et de préservation de l’environnement, [...] tout en permettant un retour à l’état de droit et le respect de l’ordre public. » (Lettre de mission signée par M. Hulot. De son côté, M. Macron avait déclaré à WWF (source Le Monde) : « Je prendrai ma décision six mois après l’élection, mais avec malgré tout en tête le fait que la concertation locale a donné un avis favorable. Donc, il faudrait des éléments forts pour que nous y revenions. »

On ne peut être plus clair. De chaque côté de cette lutte, il s’agit de l’aéroport et son monde.

La ZAD est un endroit exceptionnel, en ce sens qu’il est possible d’y expérimenter différents types d’organisations sociales et matérielles, sans que ni la police, ni aucune forme de contrôle social ou par les normes n’intervienne. Ceci à la suite de l’échec cinglant de l’opération César en 2012, et du rapport de forces qui s’est imposé alors et qui perdure. Contrairement à de nombreux endroits en France ou dans le monde où les forces de répression interdisent toute mise en place d’une société autonome.

La lutte contre l’aéroport

C’est le premier temps imposé par la Médiation : analyser les conséquences économiques, sociales, environnementales, agricoles, techniques, d’un transfert ou non de l’aéroport de Nantes-Atlantique à NDDL. Les Naturalistes en lutte ont été auditionnés par la Médiation sans pouvoir présenter tous leurs arguments, sous prétexte qu’ils avaient déjà été déboutés en justice ; étaient présents à cette même audience les experts de Vinci. La Coordination y est allée porter ses expertises techniques.

Plaçons-nous dans l’hypothèse où la Médiation conclut à l’absurdité du projet et que le Président, E. Macron, conclut à son annulation. N’oublions pas que cette victoire indéniable contre un grand projet inutile et imposé ne perturbera en rien l’organisation du transport aérien. Et tout ne sera pas terminé à ce moment-là. Pourtant, certaines composantes de la lutte pourraient bien s’arrêter là, estimant que les Zadistes n’auraient plus besoin d’être sur Zone.

Mais une nouvelle lutte commencera.

La lutte contre son monde

C’est le second temps préparé par la Médiation qui a débuté en septembre. La lutte se déplace clairement sur le terrain de la propriété et du foncier. Déjà des forces se structurent qui ont des intérêts divergents, voire antagonistes.

Du côté des paysans, des personnes sont à peu près sûres de retrouver la situation d’avant : ce sont les paysans qui ont résisté. Les paysans regroupés dans le réseau COPAIN, appuyés par d’autres composantes du mouvement, ne veulent pas voir les agriculteurs qui ont vendu à VINCI revenir sur les anciennes terres. Une lutte risque alors de s’engager au sein de la mouvance paysanne.

Le mouvement de lutte a déjà récupéré 230 ha sur les 1650 ha de la ZAD et souhaite en prendre d’autres, voire la totalité, en charge. La manifestation des 21/22 octobre pour la prise de nouvelles terres et l’aménagement de nouveaux projets, a servi à montrer cette détermination [3]. Certaines terres servent à des Zadistes ayant le statut de paysan pour faire la production de lait, de pain, de bière ou des petits élevages. D’autres terres sont communisées et servent à de grandes cultures (céréales, maïs, pommes de terre, oignons, tournesol...). D’autres sont utilisées pour du maraîchage approvisionnant le non-marché au sein de la ZAD. Enfin des Zadistes ont imposé une zone « non motorisée » d’une trentaine d’hectares où ils vivent et cultivent de manière non conventionnelle. On voit donc que derrière la façade unitaire le mouvement est très divers.

Une ZAD sans Zadistes ou presque

En ce qui concerne le sort des occupant-es, de nombreuses questions sont soulevées. La lettre de mission de la Médiation le précise bien : « [...] tout en permettant le retour à l’état de droit et le respect de l’ordre public. »

Verra-t-on se dessiner une sorte de compromis proposé par la Médiation ? Déjà, on entend dire en réunion que « tous les Zadistes ne pourront pas rester » ou que « il faudra faire des projets ou des compromis pour être entendus ». Cela veut-il dire que certaines personnes risqueraient de devoir quitter les lieux ? Or, pour de nombreux Zadistes, le slogan « contre l’aéroport et son monde » gardera tout son sens, même après l’abandon du projet. Et ils/elles n’accepteront probablement pas que l’Etat capitaliste reprenne possession de la Zone, ce qui équivaudrait à la vider de toutes les cabanes hors normes, de toutes les cultures sans autorisation, de toute tentative de vie sociale sans oppression.

Pour éviter cela, certaines composantes cherchent à créer une « entité », comme il y a eu au Larzac, qui pourrait devenir une sorte d’interface entre l’Etat et les Zadistes. Mais il y a de nombreux Zadistes à ne pas légitimer cette autorité, d’autant que cette dernière risquerait de chercher à donner des gages de bonne volonté à l’Etat, pour asseoir sa crédibilité. Se dessineraient alors des positions devenues antagonistes, entre celles et ceux qui chercheront une solution juridique, reconnue par l’Etat et en négociant avec lui, et celles et ceux qui refuseront toute négociation avec l’Etat, en se disant prêt-es à une confrontation directe pour éviter l’expulsion.

Cela revient à poser des questions plus fondamentales : qui donne autorité aux autorités ? Qu’est-ce que la propriété ? Peut-il exister une propriété commune des terres, des habitations ? Peut-il exister des propriétés sans Etat pour les légaliser ? Quelles sont les personnes qui pourront rester sur la Zone ? Selon quels critères ? Edictés par qui ? Qui se chargera de « faire le ménage » ? Et, en parallèle, on peut se poser la question : quelles seraient les caractéristiques des gagnant-es et des perdant-es ?

Si, pour tirer son épingle du jeu, il faut avoir une position proche de celles attendues par l’Etat, et si celles et ceux qui perdront le plus ont les positions le plus « hors cadre », le contenu et le résultat de la lutte risque de prendre un tout autre aspect. Et bien des occupant-es de longue date risquent de ne plus trouver intérêt à rester dans un tel univers en voie de normalisation.

Si on arrive au constat que, plus on est conforme aux règles et plus on gagne au jeu, pour qui pourra-t-on parler de « victoire » ?

Avec la victoire, on a tout perdu !

[Nouvelles partielles et partiales n°1.]

Salut,

Au lendemain de la « victoire » contre l’État et Vinci, voici quelques impressions absolument pas impartiales, mais quand même utiles, peut-être…

Nuance : victoire contre l’État ?

Les fractions dominantes du mouvement se mettent progressivement en conformité avec les règles légales en vigueur : forcing de la charte des 6 points qui se révèle être l’ébauche d’une norme, d’un droit commun, forcing dans l’urgence pour le choix d’une délégation inter-composantes à la négociation y compris avec les Zadistes ; forcing dans l’urgence pour la constitution d’une association loi 1901 dans le but de signer l’accord avec le gouvernement (sic), réflexion poussée avec des juristes sur les sorties légales comme bail emphytéotique, société civile type Larzac, sans parler de la commission juridique renommée commission hypothèse pour l’avenir, commission gestion des conflits, sous-commission cartographie et recensement des sites de la Zone, commission Premières installations renommée commission Bienvenue, pour mettre au jus les nouveaux candidats. Si ce n’est pas une ébauche de pouvoir central, qu’est-ce que c’est ?

Le contrôle qu’exerce l’État se retrouve donc progressivement, à plus petite échelle, sur la ZAD. Les fractions dominantes du mouvement se sont mises en marche vers l’État qui les reconnaît maintenant comme interlocutrices potentielles. Ce qui ne préjuge pas des suites…

C’est ainsi que l’on entend des Zadistes (ceux du groupe Com’ externe, bien sûr) qui parlent depuis hier de régler les problèmes en interne. Non seulement aux médias, mais, n’en doutons pas avec des sous-fifres du gouvernement. Gouvernement qui les a entendus et leur a laissé jusqu’à la fin de la semaine prochaine pour « libérer LES routes ». Ce qui, politiquement et économiquement serait plus rentable pour le pourvoir.

Ce qui leur manque à ces fractions dominantes du mouvement pour obtenir la légitimité de la part du gouvernement, c’est évidemment la démonstration qu’elles sont en mesure d’instaurer l’ordre sur la Zone, celui du mouvement se rapprochant de celui de l’État. (Et pas l’inverse. Il y en a un qui fait un pas vers l’autre.)

C’est ainsi qu’on pourra comprendre l’empressement de ces fractions dominantes du mouvement à sortir les tracteurs et à virer les cabanes sur la route des Chicanes, bien sûr après décision prise en AG « souveraine » ! La division du travail est désormais bien réglée.

Pour nous la victoire est plutôt dans le camp de l’État qui réinstaure son sacro-saint état de droit, à quel prix pour les Zadistes qui se veulent « hors-contrôle » ?

Nuance : Victoire sur Vinci ?

L’abandon de l’aéroport va-t-il changer quelque chose à la manière dont Vinci va tirer la plus-value de l’exploitation de ses travailleurs, avec l’aménagement de l’aéroport de Nantes (ce qui lui aurait été possible aussi si l’aéroport avait été transféré à NDDL) ? Et, cerise sur le gâteau : on se dit que Vinci est déjà en train de placer en bourse, avec effet de levier (l’effet de levier doit être, si on a bien compris, le fait de faire un investissement sans avoir le capital, d’autant plus facilement que cette rentrée future est garantie par l’État) de placer en bourse donc les futures indemnités que l’État, (donc les contribuables, donc les travailleurs) va reverser à la multinationale.

Pour nous, la victoire est du côté de Vinci et de la politique d’accroissement du transport aérien.
Cependant, nous ne boudons pas le soulagement que procure l’annonce du gouvernement.

Hier soir, nous avons fait un tour rapide à la Vache-rit, lieu appartenant au plus gros agriculteur de la Zone qui gère environ 300 ha, lieu fermé au mouvement depuis avril pour cause de discorde. La route D81 (pas la D281, nouvelle nuance) était bloquée… par les voitures qui affluaient dans le coin. Et aucun tracteur pour la libérer. Que faisait la police ? Il y avait les comités de soutien, les paysans de Copain, les militants de la Coord. Pour ce qui est des zhabitant-es de la Zad, y avait quelques pontes, et des gens isolés, mais pas la majorité des gens qu’on fréquente, loin de là.

Alors on est repartis, libérant la route d’une épave que les forces de… n’ont pas eu le plaisir de dégager. Et on est allés passer la soirée avec d’autres qui ne se réjouissaient pas tant que ça. Des pro-aéroport ? Ben non, quand même pas. Mais des anti-monde de l’aéroport, et pour elles et eux, c’est pas la liesse.

En effet, ces copains copines rappelaient que ce n’est pas qu’une lutte des paysans, il y a eu aussi les « habitants qui résistent », et qui ne retrouveront pas tous leurs billes (et certains ne le veulent même pas). Ainsi que restera-t-il de l’Auberge des Q de plomb, quand il faudra la mettre aux normes, crainte exprimée par son tenancier, Ti-Claude ?

La route des chicanes reste au cœur des discordes, non horizontales, puisque dans cette histoire, il se dessine des groupes plus égaux que les autres. Une fois cette route libérée, nettoyée, dégagée, rendue à l’État, quel sera le sort de celles et ceux qui ont porté le soutien à cette route comme un combat non symbolique mais de préservation d’un mouvement encore une fois « hors-contrôle » ? On veut parler ici de la zone « non motorisée » que les paysans vivent comme une épine dans le pied depuis des années, du non marché, de l’accueil des gens non productifs, etc.

Depuis longtemps, depuis l’arrivée des Zadistes sur zone, les différentes composantes (non homogènes) en soutiennent certains pour en lâcher d’autres, font le tri dans leurs appuis. Il s’avère qu’au-delà de la « bienveillance » affichée comme dogme, le nettoyage de la zone se fera d’ici le printemps. M. le premier ministre a donné carte blanche au mouvement pour faire son boulot de façon à ce qu’il (le ministre) n’en soit pas éclaboussé.

Tout cela ne se fera pas sans conflits, résistances, oppositions. Quelles en seront les formes ? Quelle en sera l’intensité ? C’est ce qui va se vivre dans les semaines qui viennent. L’univers de la Zone va devenir d’autant plus impitoyable que la galette est maintenant sur la table et que chacun a en main une fourchette plus ou moins aiguisée, plus ou moins émoussée.

On en arrive en effet au moment où les masques vont tomber, y compris du côté de la FNSEA : il s’agit enfin de choses sérieuses : il s’agit de la production marchande, il s’agit du foncier, comme le disait Paul Blineau : il s’agit de la propriété privée.

Info toute fraîche (9h30) : des barrages filtrants de gendarmeries ont été signalés via le téléphone d’urgence de la Zad dans les bourgs avoisinants, avec contrôle d’identité et fouille de véhicules. Ils sont là pour quelque temps, sûrement. Ils sont là pour dissuader les éventuels soutiens non désirables.

Ça passe ou ça casse

[Nouvelles partielles et partiales n°2.]

Salut,

7h30 heures de réu non-stop hier, après une nuit courte pour certains qui ont fêté LA victoire.
17h/20h : réu des zhab
20h/0h30 : réu extraordinaire
Seul objet de "notre" ressentiment : la route des chicanes.

Tous les arguments se sont interchoqués, des plus émotionnels au plus autoritaires.
Tensions, engueulades, menaces, accusations, règlements de contentieux...
On vous passe le contenu que vous imaginez, on préfère réfléchir sur la forme.
Après coup, on voit que la réu a été préparée à l’avance, que les mises en scène ont été calculées pour manipuler les opposants à la "libération" de la route.
3 heures d’embrouille où aucune des grosses pointures ne se manifestent, seulement la piétaille.
A 23h : certaines composantes sortent, pour "discuter entre elles".
Du coup, interruption de séance pour 10 minutes pour tout le monde.

Retour des composantes qui prennent la parole :
« Au nom de Copain, de l’Acipa, de la Coord, des Comités qui se sont exprimés ce soir, du comité de St Nazaire, de l’Adeca, du Cedepa, et des Naturalistes en lutte... »
Les naturalistes se sont désolidarisés, ils avaient été mis dans le package, au cas où...
Sont nommées ici des composantes absentes de cette réunion...
Dès le début de la réunion, les postes clés ont été verrouillés par des membres de la fraction dominante des habitants de la Zad, les propos hostiles étaient hués ou la facilitatrice (une vétérante) a tenté de raccourcir les interventions hostiles.

On reprend le déroulé :
« Au nom de..., nous ferons un chantier lundi pour nettoyer la route : enlever les cabanes et les obstacles (seule concession, ils laissent Lama Fâché, une des 4 cabanes en terre) ».
Pas de "on vous propose de" ou de "ça vous va si..."
Quelques questions techniques sur les ralentisseurs que les zhabs veulent "tout de suite".
Copain répond : « On enlève, on nettoie, on ne met rien ». Pas de concession.
Du coup, certains se tournent vers la préfecture pour demander la livraison de ralentisseurs.

Après ces combats d’arrière-garde, la décision passe dans les têtes sans appel au consensus.
Pas de "Y a-t-il une personne qui s’oppose ?" comme cela se faisait habituellement.
On vous laisse vous faire votre opinion sur la culture de l’"horizontalité" et de "l’unité dans le respect de la diversité".
De toute manière l’opposition se fera sur le terrain lundi matin, physiquement.
Et peut-être même avant ?
Les gens de l’Est ne fréquentent plus ces AG depuis longtemps.

Premières ondes de choc

[Nouvelles partielles et partiales n°3.]

Que ceux et celles qui peuvent affirmer
avoir sur cette phase de la lutte à NDDL
une vision complète et objective se lèvent…

Salut,

Moins d’une semaine après l’annonce du gouvernement d’abandonner un projet d’aéroport trop coûteux économiquement et socialement, se dessine un mouvement qui se fissure comme growlers au soleil de l’Arctique.

Rappelons le contexte pour celles et ceux qui ne sont pas trop au fait. Il s’agit maintenant de se partager une galette de 1650 ha de terres justes bonnes à du pâturage, et une culture de céréales de mauvais rendement, de landes humides et de forêts.

Sur ces 1650 ha :
- environ 400 ha reviennent de droit aux agriculteurs qui ne sont pas partis, même s’ils ont été jugés expulsables en janvier 2016.
- 400 autres ha sont des forêts, des chemins, des habitations.

Restent 850 ha qui deviennent objet de convoitise.
- Depuis 2013, « Sème ta ZAD » occupe et s’occupe de 230 ha environ (devenus 270 au fil des semaines) : pour des cultures collectives (pommes de terre, oignons, céréales, maraîchage...) et pour de l’élevage (bovin, caprin, ovin, volaille). Une partie est utilisée par des occupant-es qui mènent une activité agricole personnelle plus ou moins dans les clous. Environ 24 ha ont été déclarés, par d’autres occupant-es, « zone non motorisée ». Sur d’autres parcelles sont installées des habitations auto-construites, sans droit ni titre.
- Les 600 ha qui restent sont redistribués par la Chambre d’agriculture (tenue par la FNSEA) chaque année aux agriculteurs qui ont vendu à Vinci et qui ont reçu compensation et priorité pour d’autres terres hors ZAD. Ces baux précaires sont renouvelés chaque année.

Depuis le 17 janvier, un tsunami avec ondes successives secoue le « mouvement ».

Première onde de choc : la route des Chicanes, symbole de la lutte de toute part. Les agriculteurs (Copain) et la Coordination (dont l’Acipa) voulaient depuis 2013 la rendre à une circulation normale. Des occupant-es se sont progressivement rangé-es à cette option. Beaucoup d’autres jusqu’à jeudi 18 janvier s’y opposaient. Après des réunions marathon très intenses, émotionnellement et stratégiquement, le groupe Copain et l’Acipa ont décidé unilatéralement de nettoyer la route le lundi 22 janvier. Ils ont été appuyés en cela par une partie des occupant-es, partie pour qui la négociation avec l’État ne pose aucun problème. Cette décision a été très vraisemblablement prise après négociation en sous-main avec la préfecture de Nantes.

Depuis lundi, la route est nettoyée, de force par les paysans qui veulent aller à la négociation avec l’État pour les terres, sans cette épine dans le pied. Cette opération nettoyage, qui ne permet pas de rouvrir officiellement la route, puisque c’est le travail de la DDE, est l’occasion de reconfigurer les forces au sein du mouvement : qui prend la direction, qui suit, qui sera combattu comme fauteurs de troubles, etc.

Seconde onde de choc

Cette façon de procéder, de passer en force sans recherche du fameux consensus, qui a fait l’image de marque de ce mouvement anti-aéroport et de moins en moins « contre son monde », fait grincer beaucoup d’occupant-es. Appelé-es dès 2009 quand le monde paysan et les « habitants qui résistent »avaient besoin d’eux pour s’opposer à l’État, et aux gendarmes mobiles, ils sont maintenant tenus pour quantité négligeable lorsqu’ils gênent le bon déroulé des négociations.

Dans les discussions autour de soupes partagées, certain-es pensent quitter la Zone : ils étaient venus pour s’opposer non seulement au projet, mais plus politiquement à l’État. Maintenant que les agriculteurs, aidés de pas mal de Zadistes, font le travail de l’État, ils ne voient plus l’intérêt de vivre sur la Zone.

D’autres, sans faire partie du groupe dominant qui prend la direction du mouvement de plus en plus ouvertement, espèrent pouvoir tirer leur épingle du jeu, s’ils se font petits dans leur coin, et s’ils acceptent les conditions de normalisation qu’est prête à proposer d’emblée la délégation inter-composantes qui ira à la négociation avec le gouvernement.

Enfin, une bonne partie des Zadistes, qui ne viennent ni aux réunions ni aux AG, et qui ne participent pas aux commissions, se disent qu’ils en ont « jusqu’au printemps », date fixée par le premier ministre pour amorcer les expulsions des indésirables. Et que personne ne les soutiendra parce qu’ils n’ont soit pas l’envie, soit pas la force de présenter un projet conforme aux normes.

Bien sûr, le groupe qui prend la direction du mouvement affirme que tous les Zadistes pourront rester, que la « charte des 6 points » affirme le refus de toute expulsion. Mais il ajoute : « pourront rester tous les Zadistes, enfin ceux qui le veulent. »

Comme les entreprises qui rechignent à licencier et préfèrent pousser à la démission ceux qu’elles désirent voir partir, est-il excessif de penser que les indésirables risquent d’être poussés à quitter les lieux, de leur plein gré bien sûr ?

Cela sera là une seconde onde de choc. Pas la dernière...

Et l’État vous dit merci !

[Toujours notre chronique à chaud, partiale et partielle n°4.]

Salut,

Un épisode d’une contre-histoire, à l’instar de quelques autres qui s’écrivent ou se racontent dans des cabanes de la ZAD… Mais qui ne seront jamais réunies en compil !

Ce lundi 22 janvier, dès 10h00, la Coord et Copain avaient mobilisé leurs troupes. Plus d’une demi-douzaine de gros tracteurs avec fourches et remorques, plusieurs centaines de retraités des comités de soutien des alentours avec pelles et sacs poubelle, ont envahi la route des chicanes pour la « libérer ».

Ce qui avait été dit le lendemain de l’AG marathon de jeudi en « ateliers de préparation pour le chantier », et redit le lundi matin avant le démarrage, c’est : on déblaye toutes les chicanes. On déblaye le salon qui empiète sur la route aux Planchettes. On laisse Lama Fâché (la préfète est d’accord), on installe des ralentisseurs en gros cordage de marine (apparemment procurés par la CGT). Et, en signe d’apaisement, on laisse (pour le moment) l’Epicerie du Sabot.

Lama Fâché et le Sabot étant des lieux symboliques de la lutte de 2012, auxquels sont fortement attachés les Zadistes historiques, annoncer de suite leur destruction n’aurait pas été bien malin...

L’atmosphère était calme, mais les gens étaient sur leur garde.

Les visages des paysans, conscients de la situation à risque, étaient fermés. Ceux des organisateurs, talkie-walkie à la ceinture ou en main, étaient tendus. La piétaille mobilisée, laissée dans l’ignorance des conflits engendrés surtout par la manière dont la décision avait été imposée, affichait sourire aux lèvres et bonne humeur à la boutonnière. Ils parlaient de consensus, ce qu’on leur avait dit. Ils ne se souciaient pas de la brutalité du processus jusqu’à ce que...

Les « Zadistes » étaient partagés. Certains étaient affairés, pris par l’organisation matérielle, d’autres s’étaient donné le rôle de négociateurs : la consigne était à l’apaisement. Quelques-uns gardaient de façon déterminée des lieux symboliques afin qu’ils ne soient pas détruits. D’autres encore participaient en signe de conciliation et pour éviter le pire. Ou tout aussi probablement pour tenter de maîtriser l’angoisse qui grossit quand on pense à l’avenir. Quelques-uns allaient et venaient. Pas mal n’ont pas voulu en être, même s’ils ne pensaient qu’à ça au fond de leur tête.

La victoire, la revanche se lisait sur le visage de certaines composantes. L’échec, l’amertume, l’humiliation sur celui des autres.

Peu de banderoles ont été affichées :
- Et l’État vous remercie, qui a été vite arrachée
- L’État nous pisse dessus, l’Acipa dit qu’il pleut
- On a gagné
- Alors, on fait copain-copain ? (quelques jours plus tard)
- Citoyennistes liquidateurs des luttes (quelques jours plus tard)

La matinée s’est passée comme prévue par les organisateurs : les tracteurs ont déblayé les chicanes et les pneus. Un manitou a déblayé les carcasses. Les comités de soutien et quelques Zadistes ont remblayé les trous. Certains triaient le matériel pour reconstruire.

Le désaccord a pu certes s’exprimer de manière édulcorée à l’échelle individuelle, un zadiste se désolait que les citoyens à la manœuvre jettent les débris d’une cabane incendiée il y a trois semaines dans le fossé. Une autre demandait qu’on leur laisse encore un peu de temps, manière de résister à la pression de l’urgence. Une autre encore replantait des adventices sur un reste de chicane destiné à être de toute façon poussé dans le fossé au godet.

Seule « tâche » dans le scénario : des irréductibles de Jesse James refusaient de laisser la place propre devant l’entrée de leur lieu de vie. Et en plus, ils parlaient mal le français ! Plusieurs Zadistes ont joué les conciliateurs. A l’usure, les habitants de J J ont accepté d’abord le retrait d’une carcasse, puis deux. Et le reste ensuite…

L’après-midi fut plus hard-core.

Les paysans, réunis pour pique-niquer, ont décidé de détruire l’Epicerie du Sabot, contrairement aux bruits qu’ils avaient fait courir le matin pour éviter les confrontations. Du coup, plein de gens se sont retrouvés devant l’Epicerie. Pendant une heure, les paysans de Copain et les pontes de la Coord se sont réunis dans le pré d’en face. En rond. Cercle fermé qui n’accepta aucun intrus. On les voyait s’engueuler, sans rien entendre. C’est eux qui avaient la main. C’est eux qui prenaient la décision. Les autres, Zadistes, comités de soutien étaient massés devant ou dans l’Epicerie. Là aussi, les gens discutaient et s’engueulaient. Beaucoup étaient déterminés à ne pas laisser les tracteurs pulvériser le Sabot.

Au bout d’une heure, les paysans sortirent de leur pré. Ils annoncèrent qu’ils ne détruiraient pas cette Epicerie, pour ne pas se confronter aux résistances. Mais il fallait que les Zadistes la détruisent eux-mêmes dès le lendemain. Sinon… les gendarmes (qui exercent toujours une pression en contrôlant certains ronds-points dans les alentours, mais pas aux abords immédiats de la Zad) les gendarmes mobiles viendraient eux-mêmes et que :
- 1) dans cette situation, personne ne viendra soutenir les Zadistes, alors seuls contre la force publique
- 2) quand « ils » seraient là, ils ne se contenteraient pas de nettoyer la route. Ils nettoieraient aussi les cabanes aux alentours, par souci de sécurité, bien sûr. Suivez mon regard…
- 3) Copain ne viendra pas dégager l’Epicerie avec des tracteurs le lendemain.

Sur ce, ils quittèrent le terrain et retournèrent à leur salle de traite. Il était 16h30. Une partie des Zadistes, en particulier ceux qui habitent dans la zone Est, se sont réunis à leur tour dans le pré pour s’engueuler sur le fait de détruire eux-mêmes ou laisser le Sabot sur la route. Nous n’avons pas participé à cette réu. On n’avait pas le cœur de jouer les spectateurs dans ce douloureux psychodrame.

Le lendemain, le Sabot fut détruit, à la pioche et à la pelle par des Zadistes. Ils ont donc obtempéré, espérant sauver Lama Fâché, la dernière habitation en terre-paille sur la route. Redoutable, le diktat de Copain et de la Coord : « vous ne voulez pas qu’on fasse le boulot que l’État nous demande de faire », ou plutôt, ne réécrivons pas l’histoire : « vous ne voulez pas qu’on fasse le boulot que, depuis des mois, voire des années, on promet à l’État de faire, parce que cela nous arrange, alors faites-le vous-mêmes ! » oblige des Zadistes à faire ce qu’ils ne s’imaginaient pas de faire, quelques heures auparavant. Ils ont autogéré la destruction de leurs propres symboles de lutte. Nous n’avons pas assisté non plus à cet épisode qui fut tumultueux, selon un témoin avec qui on a parlé.

Un paysan rencontré l’année dernière nous avait dit « les Zadistes seront les cocus de l’histoire ». On pensait alors qu’il regrettait cette situation. On a vu ce même paysan, lundi, être déterminé à tout nettoyer, à libérer la route.

Le réel objectif de ce nettoyage, chantier programmé sur trois jours, n’est pas la réouverture de la route, puisque la mise aux normes pour la réouverture d’une départementale est menée à son terme par la DDE. L’objectif est bien de prendre la main sur la partie réfractaire du mouvement, en lui imposant ses décisions, en l’obligeant de gré ou de force à participer. Un exemple : une camionnette installée en chicane, fut déplacée sur le talus. Jamais la DDE ne la laissera à cette place. C’est une mise en scène pour travailler sur l’acceptation symbolique de cette domination.

Les Zadistes, qui avaient avalé bien des couleuvres depuis cinq jours, avaient eu le toupet de manifester un sursaut de résistance. Pas tous les Zadistes, vous l’avez compris maintenant. La fraction dominante se désolidarisant du reste du lot. Il fallait briser un bon coup les résistances. Ce fut l’objet de l’épisode suivant, joué le mardi matin, au moment même où le Sabot tombait sous les coups de pelle et de pioche.

La préfète l’avait accepté : Lama Fâché resterait sur la route. Du moins, c’est l’annonce que l’interlocuteur de la préfète, un paysan de Copain, avait diffusée. Mais, le matin de ce mardi, deuxième jour de nettoyage, la préfète ne voulait plus laisser Lama Fâché sur la route. Du coup, les paysans ont annoncé qu’ils détruiraient ce lieu hautement symbolique, mercredi. Deuxième fois qu’ils passent en force, sans même faire semblant de rechercher le consensus. Normal, cette méthode avait marché une première fois, jeudi dernier. Il n’y eut pas de réelle réaction de la part des Zadistes opposants, mais isolés et démoralisés. Marchera-t-elle cette deuxième fois ?

Nous le saurons ce matin. Vous le saurez un peu plus tard.

Pour le moment, l’amertume et la désillusion assomment le monde des occupants. Pas tous, évidemment. Les gens participent ou assistent à leur propre implosion.

Pour certains observateurs, le groupe de paysans poussent les Zadistes récalcitrants à bout, soit pour les mater un bon coup, soit pour les amener au clash et pouvoir se désolidariser d’eux en les accusant d’être les diviseurs. C’est une sorte de stratégie du choc, un tsunami sciemment provoqué, sans que nul ne puisse en contrôler toutes les conséquences. De toute manière, lors des négociations pour le foncier qui s’ouvrent, ils ne veulent pas s’encombrer d’encombrants. Il faut neutraliser les Zadistes devenus désormais inutiles.

Cette route, fermée par l’État en 2013 et toujours interdite à la circulation, a été réouverte en 2013 « par le mouvement » quelques jours après que l’État ait mis des blocs de béton en travers. Ce sont les tracteurs qui ont poussé ces blocs de béton, avant tout pour libérer l’accès aux parcelles desservies par cette route. Mais tout le monde luttait main dans la main à l’époque. Et cette analyse était alors inaudible.

Maintenant, ce sont les mêmes paysans qui obligent au nettoyage de cette route : ils n’avaient jamais accepté ces chicanes et ces cabanes, mais faisaient le dos rond tant que la lutte continuait. On ne sait jamais. On pouvait avoir besoin de ces chicanes et des Zadistes combattant les CRS en cas de reprise des travaux.

Maintenant, « le mouvement » nettoie lui-même la route. Il est même prévu un service d’ordre lorsque la préfète viendra parader sur cette même route, enfin normalisée, en fin de semaine.

Pour de vrai, il n’y a jamais eu de « mouvement » unitaire. Et il est fort probable que, ces derniers jours, on ait assisté au point de rupture irréversible dans ce dit mouvement. Comme dans la lutte No-TAV, en Italie, où depuis quelques temps déjà, les anarchistes ont été sortis du mouvement, manu militari, par leurs propres alliés de la veille. A NDDL, il se passe le même processus : les alliés de la veille brisent les résistances internes de leurs ex-camarades de lutte.

Avant de gerber, on se doit d’analyser cette situation de fin de conflit afin de réfléchir avec qui on s’allie dans nos combats actuels ou futurs. Encore une fois, les luttes de territoires sont traversées par des luttes de classes. Au moment où il s’agit d’engranger les bénéfices de la victoire, ceux qui ont fait confiance à ceux qui les dirigent, qui les organisent dans la lutte tomberont de haut. Sachons que nos alliés d’aujourd’hui seront nos adversaires de demain, voire les alliés de nos ennemis.

AG exceptionnelle du mouvement ce soir (mercredi 24 janvier). Après les deux passages en force des « composantes » [4], il est patent que l’horizontalité, la bienveillance, l’AG souveraine ne sont que du blabla pour endormir les idéalistes. Ceux qui ont « les pieds sur terre » (titre d’un film sur le Liminbout, village de la ZAD où vivent des paysans historiques) jettent les masques et ne s’embarrassent plus de ces fadaises. Beaucoup s’inquiètent pour l’avenir. Beaucoup sont dégoûtés : ils ne se sont pas battus pour en arriver là. En 2012, ils combattaient le préfet, ils ne se reconnaissent plus dans un mouvement qui aujourd’hui protège la préfète. Il est clair que l’écrémage, le nettoyage, vont se faire sans que l’État n’ait besoin d’intervenir. Il est toujours plus économique de pousser à la démission que de licencier, pas ?

Petite note pour ceux qui sont en relation avec les Zadistes du groupe de tête [5] qui avaient trouvé horribles nos articles sur la ZAD écrits en août et octobre 2017 :

Non seulement on ne retire rien de ce qu’on a écrit, mais on les trouve bien modérés. Ce qui se passe sur le terrain confirme ce qu’on prévoyait. Ce qui se passe sur le terrain est encore plus horrible que nos articles écrits cet été.

La route passe, la lutte trépasse

La lutte ne trépasse pas encore,
mais comme l’oiseau de Prévert,
elle a une aile arrachée...

[Nouvelles partielles et partiales n°5. Vendredi 26 janvier.]

Salut,

Mercredi soir : en AG

Rappelons la situation au soir du mercredi : toute la route est presque dégagée. Des Zadistes ont détruit eux-mêmes le Sabot : il n’en reste pas un grain de sable, seulement des cicatrices. Cependant, la destruction de Lama Fâché est enrayée par l’opposition des gens qui tentent une dernière bagarre d’arrière-garde. Copain n’est pas passé en force, tracteurs en action, mais fait des pressions énormes pour faire céder. Il s’appuie sur des relais au sein de la « fraction dominante » des occupants.

A l’AG exceptionnelle de mercredi, savamment cadrée par un professionnel de la lutte à Dijon (les Tanneries) et une professionnelle de la manipulation d’ATTAC au sein de la Coord, le point sur la route D281 a été bâillonné : il n’était plus question d’en discuter, juste d’entendre le retour de toutes les composantes qui s’étaient réunies, chacune de son côté depuis la veille.
Ce qui fut fait sous la forme de lecture de textes.
Copain a eu la parole le premier en réitérant son objectif de dégager totalement la route, pour la rendre à sa fonction normale. « C’est un enjeu fondamental pour construire ensemble l’avenir sur la ZAD. Si les flics intervenaient, Copain 44 s’en irait du mouvement. » Menace forte et qui a plus porté que : si les flics viennent vous foutre la raclée, on ne bougera pas [6].
Les Habitants, qui s’étaient réunis la veille au soir pendant 6h30, ont accepté de démonter Lama Fâché, à condition de le faire eux-mêmes. Ils notent le mépris des Comités de soutien à leur égard, alors que certains habitants avaient accepté de faire cette autodestruction pour « faire plaisir aux voisins et améliorer les relations »… Ils émettent des craintes pour la destruction à venir de la zone non motorisée.
Copain reprend en répétant ses engagements de normaliser la route.
La CLIC, groupe des Zadistes devenus paysans avec vente de leurs productions à l’extérieur, s’aligne sur COPAIN et promet de s’engager à sauvegarder les cabanes quand la route sera dégagée.
Le CMDO, fraction pensante, agissante et dominante des occupants, se fait le défenseur de la ZAD et des habitats auto-construits, mais menace : soit on est capable de libérer et on sera là avec le mouvement pour faire le travail sur la route, soit les flics viennent… Rappelons que le CMDO a quitté la réunion des Habitants du Jeudi depuis plusieurs mois.

Et puis voilà, c’était torché. Le sort de Lama Fâché était scellé. On avait été prévenus que Lama Fâché risquait d’être incendié pendant la nuit. Cela ne fut pas fait, « de peur de brûler les arbres alentours ».

Le point suivant fut la proto-délégation pour une « première prise de contact » avec la préfète. On ne sait pas qui peut croire qu’il n’y a pas eu de contacts depuis des semaines…

Un rapporteur annonça que la Commission Hypothèses pour l’avenir [7] avait décidé que pour une première délégation, ce sont les membres de cette commission qui étaient les plus qualifiés. Et donc que les représentants des occupants s’étaient auto-désignés : 2 membres du CMDO. Évidemment parce qu’il faut rencontrer dans l’urgence la préfète. Évidemment sans prise de décision en réunion des zhabitants, puisque le CMDO ne reconnaît plus cette instance…

La seule incartade à cette mise en scène chloroformée a été le cri d’un ex-habitant, qui a quitté le mouvement parce qu’il ne s’y reconnaissait plus. Il fut rapidement entouré et après quelques bousculades, il fut contraint à quitter la salle. La violence, pas seulement symbolique, est à l’œuvre...

C’est la stratégie du choc version salamis : tous ces coups portés à la fameuse unité, au fameux consensus (réitéré dans un texte adopté en AG le 18 janvier et qui est lisible sur ZAD-nadir), assomment les zhabitant-es. Ils et elles avaient créé des liens forts personnels avec toutes les composantes du mouvement d’opposition et maintenant tombent des nues. Il n’y eut pas d’oppositions vives à ce nouveau coup de force.

Il faut dire que dans l’après-midi (parallèlement au démantèlement de la route), se mettait en place un processus trop long à expliquer ici de choix des délégués pour la négociation qui devrait s’ouvrir avec l’État : réunions, petits groupes, discussions, élaboration de listes, désignation dans cette liste de 8 pré-candidats selon des critères bien définis en réu, etc. Le CMDO est arrivé à cette réunion de l’après-midi, et sans avoir envie de participer à ce processus. Ils sont venus en disant : dans cette délégation, il y aura un candidat du CMDO, que cela vous plaise ou non. Voici notre liste, signée de 42 noms. Quelques engueulades qui ont glissé comme de l’eau sur le plumage d’un canard. Mais ils sont restés pour faire du lobbying pour leur liste dans les groupes qui se sont constitués dans la foulée.

Jeudi matin, sur « la route » [8]

Quand nous sommes arrivés, à 10h30, Lama Fâché était en cours de destruction. Certains étaient sur le toit, pied de biche ou clé à molette à la main. D’autres aussi sur le toit montaient en pression. A terre certains récupéraient les matériaux pour les entasser dans un coin du champ limitrophe. Une chaîne s’était formée pour déplacer pierres, pneus et planches.

Les comités avaient été appelés en renfort, les paysans de Copain aussi, mais sans les tracteurs. Certains mettaient les mains dans la boue, beaucoup d’autres regardaient et bavardaient de choses et autres. Leur seule présence mettait une terrible pression.

Des occupant-es étaient en larmes, tous avaient le visage tendu, fermé.

Puis un occupant se jucha sur le point le plus haut du toit qui était en train d’être démantelé. Les Zadistes occupés à défaire ce toit ont continué malgré les interpellations de ce gars. A un moment, la tension monta quand ce gars fut gênant pour la suite des travaux. Il fut pris à bras le corps pour être descendu. Il s’accrocha à une poutre. Il y eut d’en bas des invectives « vous êtes pires que les flics » et autres insultes. Quelques coups ont été échangés entre Zadistes. Des gens grimpèrent alors sur le toit (bien fabriqué parce qu’il a supporté au moins une vingtaine de personnes sans s’écrouler). Les occupant-es ont crié aux badauds : cassez-vous ! Laissez-nous entre nous !

Il a fallu du temps à tous ces braves gens, dont beaucoup ne se rendaient pas compte du rôle de voyeur et de pression qu’on leur faisait jouer, pour comprendre qu’il valait mieux partir plus loin. Ils se sont repliés aux « Fosses Noires », pour boire un coup et pique-niquer.

Nous sommes partis aussi boire un café avec une copine pour « faire un pas de côté et réfléchir ». Nous ne sommes pas revenus à la route dans l’après-midi, des contingences domestiques nous appelaient ailleurs…

Ce qui suit vient de témoignages. La pression n’est pas retombée de suite, les engueulades à huis-clos ont continué. Mais ne doutons pas que des truchements ont été mis à la manœuvre. On nous a raconté que la suite du démontage de Lama brisé avait été menée à son terme, de façon plus calme dans l’après-midi. Merci aux musiciens qui sont venus sur place…

Jeudi soir, réu des Zhabitant-es

On n’y a assisté qu’un petit peu. Nous sommes arrivés en cours de route et nous sommes repartis avant la fin.

Premier point : les ressentis. Ce fut ce qu’on peut appeler une séance collective de reconstruction du groupe qui s’était entre-déchiré depuis des jours et des jours sur cette route. « Séance d’illusion groupale » diraient certains psy [9]. Ont parlé à cette séance plus psychologique que politique les perdants, les truchements. Mais pas les deux membres du CMDO qui étaient présents. A noter que, s’il y avait eu près de 150 Zadistes à la réu de mardi soir (qui avait duré 6h30), il n’y avait quasiment aucune personne de l’Est, les vrais vaincus de cette histoire et qui n’ont pas fini de perdre, ont été absents de cette réunion.

Puis le point suivant a été long et chiant : comment améliorer le processus de désignation des délégués à une négociation dont personne ne voulait il y a quelques semaines encore.

La venue de la préfète a été évoquée. Quelques banderoles pour ne pas se sentir totalement humiliés. Certains voulaient empêcher la venue de la préfète. Mais avoir fait tous ces « sacrifices » pour rien n’enchantait pas beaucoup de monde.

Un habitant a tenté de politiser la situation en demandant si on était étonné que ceux qui possèdent les moyens de production prennent le pouvoir. Dans cette ambiance post-traumatique, il n’a pas a été entendu.

Un bruit court que le CMDO pense sérieusement à se dissocier du mouvement des occupants, les sales gosses qui ne font que s’engueuler et n’agissent que sous la contrainte. Ce qui ne serait que la suite de leur scission avec la réu des zhabitants et fait écho à ce que disait le CMDO à l’AG de mercredi « on sera avec le mouvement si... »

Comme on sent que les paysans se positionnent dès maintenant pour gagner les élections à la Chambre d’agriculture de l’année prochaine, ils ont une bataille ici à gagner, et prendre de vitesse la FNSEA.

Les plans sur la comète n’ont pas fini d’être tirés. La négociation devrait porter sur la gestion collective (entendons Copain Acipa CMDO) des terres. Or, la presse vient d’annoncer que l’État voulait vendre les terres… Ce qui fout tout par terre.

Pour le reste, vous verrez la retransmission de la visite de la préfète. Maintenant, les gendarmes vont pourvoir circuler sur toute la ZAD...

Le mot des envoyés spéciaux qui vous ont fait ces 4 épisodes depuis une semaine :

C’est une première phase de recolonisation de cette enclave intérieure ayant fait un temps sécession. Avant, il a fallu rouvrir un axe routier, un axe stratégique de pénétration, le préalable a été que la pensée d’État soit réactivée dans la tête des Zhabitant-es. Ce fut le rôle des instances du mouvement qui ont forcé l’allure pour mettre en place une bureaucratie qui cadre les pensées et positions depuis des mois.

Ceux qui, parmi les Zadistes, s’opposeraient à ce processus de recolonisation ne pourront plus compter sur les appuis dont ils bénéficiaient aux alentours. Il a été nécessaire de retourner une partie des élites internes pour s’en servir de cadres. Eux-mêmes attirant des « éléments-charnière » pour s’infiltrer au sein des opposants.

A été aussi mis en œuvre la guerre psychologique : faire circuler de fausses informations, comme on a pu en donner quelques exemples dans les lignes qui précèdent.

Pour le côté spectaculaire de cette destruction : certains ont regretté que les médias ne soient pas là. Ils étaient tenus à distance à chaque entrée de la route. Ainsi, il n’y aura pas eu de témoins de la mise en œuvre de cette domination d’une partie du mouvement sur une autre.

Des grains de sable dans la machine… d’État

[Relations partiales et partielles n°6. Semaine du 28 janvier au 2 février.]

Après le chapitre sur le déblayage de la route des chicanes qui a connu 5 épisodes, voici un nouveau chapitre, celui des travaux. Il va falloir se mettre au parfum avant de venir le 10 février !

La préfète est donc venue le vendredi 27 janvier remercier ses acolytes pour leurs bons et loyaux services. COPAIN et la Coord avaient donc maté la canaille. Canaille qui, comble d’ironie, a détruit elle-même les deux symboles de cette route, auxquels elle tenait le plus.

Il y avait eu quelques banderoles, sorties de l’écomusée de la ZAD ou toutes fraîches : alors, on fait copain-copain ?, en solidarité avec Rojava, mais pas avec Lama Fâché, yes, chicane, capitalisme vert, le mur de toute manière…

Quelques Zadistes ont salué la préfète en montrant leurs fesses, ce qui a régalé les journalistes, mais n’a pas vraiment soulagé les occupant-es de l’humiliation et du traumatisme subis pendant cette semaine frénétique. Si cette réaction peut être comprise dans la logique de l’honneur et des relations interpersonnelles, elle nous semble décalée par rapport à ce que représente la violence symbolique produite par le fait de l’État mettant un pied sur la ZAD, la préfète en visite officielle et médiatisée. Un hélico survolait en rase-motte, à la recherche d’éventuels trublions, des camions de robocops stationnaient à proximité. Ne dit-on pas « baisser son froc » ou « prendre une déculottée » pour décrire une situation d’infériorité ?

Samedi 28 Janvier, un chantier débutait dès le lendemain pour reconstruire Lama fâché appelé maintenant Lamassacré. Un hangar a été donné pour remonter ce lieu et en faire un lieu de rassemblement.

Dimanche 29 en fin d’après-midi, sur le chantier même de cette reconstruction, s’est tenue une AG improvisée, avec pour une fois les « gens de la route », les « gens de l’Est », bref les Zadistes qu’on ne voit jamais en réu parce que ça ne leur va pas le blabla. Mais là, sur leur « territoire », concernés qu’ils étaient par la suite du processus de normalisation de la D281, ils et elles ont discuté sec. Il y avait plus d’une centaine de personnes, en plein air, dans le froid et la bruine, puis le crépuscule.

Il fallait décider d’une position, si possible commune, pour le lendemain. Parce que la préfète allait très vite. Le lendemain, la DIRO (Direction Interdépartementale des Routes de l’Ouest) allait commencer les travaux. Quelle position adopter ?

Il fut décidé de laisser entrer les ingénieurs de la DIRO, pour qu’ils fassent un diagnostic de la route. Mais il fut aussi décidé de ne pas laisser pénétrer les flics. D’ailleurs, en pleine AG, les keufs sont venus se poster au bout de la route. Immédiatement signalés dans l’AG, une délégation est partie leur dire que leur présence était une provocation. Ils sont partis. Comme quoi, l’État n’a pas forcément envie de commencer les hostilités tout de suite.

Le lundi matin, la DIRO et les keufs étaient attendus par deux fois trente occupant-es à chaque bout de la route, plus des composantes (style la Coord qui est là pour rappeler que si les jeunots vont trop loin et que la police investit les lieux, personne ne les soutiendra, et les naturalistes en lutte qui jouent les médiateurs dans cette histoire).

Après discussion avec la DIRO et les gendarmes, les ingénieurs acceptent de faire leur taf sans être accompagnés des flics qui se retirent un peu plus loin, prêts à intervenir.

Leur taf dure une heure : un peu rapide pour décider d’un chantier qui va coûter entre 600 000 € et un million d’€, pour une route qu’ils n’ont pas surveillé depuis cinq ans… Ils repartent en disant que le temps de faire leur rapport et d’organiser le chantier, les travaux ne commenceront pas avant le jeudi 1er février.

Mardi, c’est avec stupeur que les occupant-es voient débouler les broyeurs, toujours accompagnés des keufs. Nouveau barrage. Nouvelles négociations : les ouvriers entrent mais pas les flics. C’est d’ailleurs écrit sur une banderole en début de route : les travailleurs, oui, la police, non. Pour les deux jours suivants, ils doivent broyer les arbres des côtés et curer les fossés, dans une partie de la D281 qui n’est pas sur la ZAD. Jeudi, il est prévu que les ouvriers entrent « en zone sensible » (dixit la pref).

Mercredi soir, cela fait trois jours que le chantier a démarré. Il y a une AG des usages, celle qui doit faire référence maintenant. L’AG du mouvement étant liée aux affaires courantes. A cette AG donc, il n’est pas prévu de point sur la route, mais des sujets à négocier avec l’État : la gestion du foncier. La facilitatrice a été apparemment choisie pour son autoritarisme. Elle a l’intention de cadrer la parlote.

Sauf que c’est sans compter avec quelques occupant-es de la route qui sont venu-es exceptionnellement et qui ne respectent pas les us et coutumes. Pendant le point info, ils et elles prennent la parole, et la reprennent avec insistance. Ce qu’ils ont à dire ? « On a des copains qui, demain, vont se coucher dans les fossés pour empêcher les engins de continuer à broyer les arbres et curer les fossés. Qu’est-ce qu’on fait ? » Ou plutôt « qu’est que vous faites de cette information ? » Silence radio de toutes les composantes, bien qu’elles soient emmerdées. Il a fallu plusieurs interventions pour que ce problème soit discuté, sans trouver de solution, évidemment. Et le point D 281 qui n’était pas à l’ordre du jour a été de fait mis en discussion. La facilitatrice s’est faite débordée. Il a duré 1h15mn.

Les gens de la route, appelons-les comme ça pour le moment parce qu’ils s’appellent ainsi pour le moment, toujours méprisés et niés, et qui seront la variable d’ajustement mise dans la balance des négociations et qui le savent, les gens de la route, par leur détermination et leur action directe avaient imposé leur existence dans cette assemblée qui voulaient parler de choses sérieuses : le foncier.

Au bout de l’heure et quart, un agriculteur de COPAIN se lève en colère : « y en a marre ! Si on continue de parler de la route, je quitte l’assemblée ». La facilitatrice, du coup, se met en colère, et d’autorité coupe court à la discussion : « ceux qui veulent parler de la route : dehors ! » L’agriculteur de COPAIN se marrait en se tournant vers son voisin. C’était une mise en scène pour rappeler à la facilitatrice ses responsabilités. Et la suite a été l’exposé de la gestion du foncier selon les rêves de la future entité gestionnaire et interface avec l’État.

Nous écrivons que le problème n’a pas pu être solutionné, évidemment. Parce que maintenant, il va falloir se coltiner avec le problème : qui va mater la canaille, une deuxième fois ? Et si possible définitivement.

L’État a reculé les deux jours précédents : il ne veut pas se salir les mains. Les composantes ne veulent plus en entendre parler (clairement exprimé par leur non-intervention dans l’AG), ils s’occupent maintenant du partage du gâteau, et gageons que les négociations en sous-main ont déjà débuté. Le CMDO a gardé le silence, aussi. Les interventions de COPAIN, la Coord, ou le CMDO pourraient être très mal vues. Il reste comme négociateurs avant qu’ils se brûlent les doigts, une personne de la Coord qui joue les mamies fâchées et menace sans cesse des gaz lacrymogènes, et un naturaliste en lutte.

Qui va mater la canaille ? Il reste les pairs : ceux qui ont participé au sacrifice des cabanes de la route des chicanes, il y a tout juste une semaine, et qui ne veulent pas avoir fait ça pour rien. Il reste les potes qui ne se sentent ni d’affronter les flics à cause de broyeurs, ni de regarder ailleurs s’ils interviennent. Et cette question cornélienne et douloureuse est sous-jacente à toutes les discussions.

En fait, les gens de la route ont pris cette position pas tant contre les travaux, puisqu’ils sont d’accord pour les laisser passer (encore qu’il y en a qui doivent être contre), mais contre le mépris. Le mépris des composantes d’abord. Et par cette action, ils ont imposé un minimum d’écoute et de considération. Le mépris de la préfecture ensuite qui impose un rythme très rapide aux travaux, à l’étonnement même des ouvriers qui ont dû délaisser d’autres chantiers pour venir à NDDL. Les gens de la route veulent du temps, c’est toujours un de leurs modes de résistance contre « l’état d’urgence » sans cesse imposé pour faire passer des décisions. Le mépris enfin parce que les travaux sont envisagés sans même les consulter : la préfète informe le leader de COPAIN, qui dispatche les infos comme il lui semble bon de le faire, mais cela ne va pas aux autres occupant-es. N’ayant pas d’infos, les premiers intéressés par la route ne peuvent ni anticiper ni intervenir. N’ayant pas d’infos, les rumeurs les plus contradictoires circulent sans cesse, ce qui met en rage tout le monde.

Jeudi matin, beaucoup de monde sur la route. Un peu de tension. C’est le naturaliste qui s’y colle. Il obtient (quelle victoire !) que les arbres à 1 mètre de la chaussée ne soient pas coupés, mais juste ceux à 0,5 m… N’empêche, la détermination des gens de la route qui n’ont même pas peur des menaces de la mamie fâchée de la Coord, et la volonté de l’État de laisser faire « l’autorité palestinienne », la police intérieure, ont amené au résultat suivant : les ouvriers de la DIRO sont repartis avec les keufs. Victoire des sans-grades et des sans-droits. Ce qui a dû faire rager les autres composantes.

Jeudi soir : Réunion des Zhabitant-es. Un peu de fierté des uns, de la désolidarisation de certain-es qui ont peur que les composantes quittent le mouvement et fassent cavaliers seuls. Trois heures de discute rien que pour ça. On est partis avant la fin. L’idée était de bloquer les travaux jusqu’au 10 février, de présenter des revendications qui sont de l’ordre de la cogestion des travaux, connaître le calendrier, etc. Rien de subversif : juste de la reconnaissance, en vrai.

A noter que la pref attendait un coup de fil d’un gars du CMDO présent à cette réu, qui devait avertir le leader de COPAIN, qui devait négocier à… 22h00 avec la DREAL (service aménagement de la pref).

Vendredi matin, sûrement après le coup de fil (qui a dû avoir lieu plus vers 23h00), la pref a décidé de ne pas envoyer les ouvriers sur la route. Mais a menacé de faire intervenir la police si les cancres du fond de la classe n’étaient pas remis à leur place.

Vendredi soir, au non-marché, lieu où les mêmes cancres du fond de la classe s’approvisionnent en légumes, pains et laitages à prix libre, il n’y a pas eu de laitage. Les gens de Bellevue se sont mis officiellement « en grève ». Abusant de leur position de pouvoir, ceux qui « nourrissent les luttes » (cf. l’opération « la cagette des grèves »), ont refusé d’approvisionner le non-marché, punissant ainsi les gens avec qui ils sont en désaccord. Privés de dessert, les garnements. Rappelons que Bellevue (lieu du festival-carnaval du 10 février) est LA ferme de COPAIN. Les occupant-es qui approvisionnent le non-marché en légumes se sont désolidarisé-es de cette grève.

Samedi et dimanche, réus exceptionnelles à Lama Fâché, pour décider de ce qu’ils feront lundi, devant le haussement de ton de la préfète.

Désolés, on n’a pas de conscience professionnelle, on ne travaille pas le WE…

A noter que les infos sont tronquées, et retenues. Que le seul interlocuteur officiel avec la préfecture est un leader de COPAIN, qu’aucun habitant qui ne fait pas partie des dominants n’a d’infos de première main. C’est comme les ouvriers de la DIRO qui ne savent pas grand chose sur le chantier qu’ils sont amenés à faire. Peut-être cela renvoie-t-il à une forme de division du travail ? Ce texte n’en est que plus partiel.

Mouvement, où est ta victoire ?

[Tract diffusé le 10 février auprès des soutiens venus pour « la fête de la Victoire », les invitant à se rencontrer en « off ».]

Le communiqué du mouvement du 17 janvier fanfaronne : « Il s’agit bien d’une victoire historique face à un projet d’aménagement destructeur. »

Certes, le projet d’aéroport a été abandonné, et c’est un soulagement dans le monde des tritons et des salamandres. Et encore, nous y reviendrons. Certes, c’est une victoire de la lutte contre l’aéroport de Notre Dame des Landes.

Mais beaucoup d’entre nous avons lutté et soutenu la lutte contre l’aéroport et son monde. Le monde capitaliste, pour dire vrai, le monde des inégalités économiques et sociales, le monde de l’oppression et de l’exclusion. Cette lutte-là est-elle victorieuse ? Et si elle ne l’est pas, comment peut-elle quand même rayonner vers d’autres luttes contre de grands projets inutiles et imposés ?

Cette lutte est-elle victorieuse contre VINCI ?

Vinci sort gagnant de cette situation : non seulement, il touchera des centaines de millions d’euros de compensation pour l’abandon du projet, non seulement il engrangera les profits liés à la modernisation de l’aéroport Nantes-Atlantique, mais il va négocier sa montée en capital dans la gestion des Aéroports de Paris (ADP), imposant à l’État de devenir minoritaire dans la gestion aéroportuaire... On comprend que Vinci soit des plus conciliants dans cette affaire !

Est-ce donc une victoire remportée sur le monde de l’exploitation, des profits, sur le monde de l’aéroport ?

Cette lutte est-elle victorieuse contre l’État ?

Beaucoup de celles et ceux qui ont lutté contre l’aéroport voudraient que l’abandon du projet signifie aussi l’abandon de la lutte contre le monde capitaliste. Déjà se dessinent les luttes dans le domaine de la propriété privée, pour la mainmise sur le foncier entre les paysan.ne.s de la Confédération Paysanne et les agriculteur.ice.s de la FNSEA. Rappelons que l’agriculture, bio ou conventionnelle, n’existe qu’encadrée par des normes édictées par les administrations de l’État et que la propriété privée n’existe que garantie par l’État. Illes vont négocier avec un État qui organise depuis des décennies la disparition des paysan.ne.s les plus fragiles, notamment par la normalisation des productions. Déjà se pointe à l’horizon la lutte pour le contrôle de la Chambre d’Agriculture 44 (élections en janvier 2019). La ZAD sera un champ de bataille agricole.

Parmi les occupant-es de la ZAD, se dessinent aussi des luttes de pouvoir. L’autogestion a donné lieu à de nombreuses groupes-assemblés-commissions. Les inégalités de classes n’ont pas disparu pour autant, et certain.e.s profitent de ces structures décisionnelles tandis que d’autres s’en sentent exclu.e.s. Dans les assemblées, les positions dominantes sont les moins radicales et les plus diluées.

Ce qui manquait à ces fractions dominantes du mouvement pour obtenir la légitimité de la part du gouvernement, c’est évidemment la démonstration qu’elles étaient en mesure d’instaurer l’ordre sur la Zone, l’ordre du mouvement se rapprochant de celui de l’État. C’est ainsi que l’on peut comprendre le nettoyage de la D281, véritable épreuve de force au sein du mouvement. Là où en 2012 l’État s’était embourbé, il peut aujourd’hui compter sur des intermédiaires à l’intérieur du mouvement pour pacifier la résistance radicale et normaliser la zone. Le contrôle qu’exerce l’État se retrouve donc progressivement facilité, et même mis en œuvre, sur la ZAD. Les fractions dominantes du mouvement se sont mises en marche vers l’État qui les reconnaît maintenant comme interlocutrices potentielles. Ce qui ne préjuge pas des suites…

Cette lutte est-elle victorieuse pour le monde des tritons ?

On comprend que les salamandres et autres bêtes des prairies humides ont bien du souci à se faire, entre une route normalisée où certains rêvent d’y installer quelques crapauducs, et des parcelles qui pourront enfin être remembrées après leur mise en vente par l’État. Que restera-t-il de ce bocage qu’on voulait préserver ? Une mini-réserve ou un écomusée ?

Cette lutte est-elle victorieuse pour les expériences qui se mènent ici ?

Des expériences hors normes sont menées ici depuis des années : des productions agricoles hors circuit marchand, des habitats auto-construits, des expériences sociales hors contrôle. Ici existent des lieux de vie pour des personnes sans papiers ou illégales, une radio pirate, des groupes de santé mentale, une cabane non-mixte, de l’agriculture végane, des groupes de gestion de conflits qui ne font pas appel à la justice ou la police, des réappropriations des plantes et des soins médicaux, une zone non-motorisée, de l’auto-média, une aide concrète à d’autres luttes (cantines, caisses de soutien, mise à disposition de lieux d’organisation…) des expériences de permaculture. Cette zone est une zone de rencontre et de friction de nombreuses visions politiques et de vécus différents. C’est cela qui donne son sens à la pérennité de cette lutte et qui a enrichi les imaginaires des soutiens extérieurs. Ouvrir la porte à l’État lui donne le pouvoir d’étouffer un par un ces projets qui ne se conforment pas aux normes (impôts, sanitaire, urbanisme, …). Les exigences de l’État, relayées par l’Entité interne qui se met en place, fera disparaître ces projets. Cette lutte est-elle victorieuse contre le capitalisme, le sexisme, le spécisme, le mépris de classe et les pratiques autoritaires ? Après l’abandon du projet, se profile le risque d’une confiscation de cette lutte politique par une mise à l’écart de sa dimension radicale.

Pour qui peut-on alors parler de victoire ?

Depuis le 17 janvier, nous ne sommes plus en lutte contre cet aéroport, mais nous sommes toujours en lutte contre son monde et ses alliés. Ce qui se passe maintenant dans cette lutte se passe aussi dans de nombreuses autres luttes, environnementales ou sociales.

A partir du 10 février, rencontrons-nous et discutons-en, sur la Zad et ailleurs.

Invitation à se rencontrer, le 10 février :
11h : à Lamassacrée
, pour manger des crêpes, discuter, aider au chantier de reconstruction, faire une table de presse et differ auprès des gens qui arrivent pour la kermesse de la victoire.
Après-midi : une discussion surprise, à la Wardine pour qu’on réfléchisse ensemble de comment faire face aux prises de pouvoir dans des luttes : ici, au Val de Susa, à Bure ou ailleurs.

Semaine d’après la gueule de bois du 10 février

[Nouvelles partielles et partiales n°7.]

Salut,

Chantier de Lama Fâché

Quand vous êtes allés à l’endroit où se reconstruit Lama Fâché le 10 février, vous avez vu un début de plancher dans un champ ?

Un camp se met en place avec cantine sur place, dont les produits viennent de certains lieux de la ZAD mais pas tous, et avec soutiens, récup et dons. Le four à pizza de Lama Fâché a été réinstallé. Un concert de soutien y a été donné mercredi soir. La boue n’a pas empêché les spectateurs et spectatrices de danser.

Une personne a proposé de donner son hangar en bois. Il a donc été démonté en fin de semaine et dimanche, il était déjà en bonne voie de remontage. Les graviers mis en place par les tracteurs de COPAIN le 22 janvier, 1er jour de nettoyage de la route des chicanes, sont récupérés et mis dans le champ pour que l’accès au hangar et à la cantine ne soit pas bourbeux.

Les conditions de remontage et d’aménagement sont rendues difficiles par la pluie et la boue. Si vous passez par-là, il serait « malin » de ne pas venir les mains vides. Il manque des trucs : bacs fermés pour la bouffe, PQ, de la bouffe, clous, vis, outils, matos pour continuer le chantier et la cantine.

Les gens qui se sont mis au boulot pour faire ce chantier n’ont pas demandé (ni attendu) une autorisation aux instances qui ont la main sur la ZAD. Il n’y a donc pas de soutien venant des autres occupant-es qui ont des désaccords politiques avec les fameux « gens de l’Est » alias « copains des bois », alias « gens de la route », alias...

Travaux sur la route D281

La semaine dernière, les engins de la DIRO (DDE de l’Ouest) ont continué à curer les fossés. Maintenant, il n’y a plus un brin d’herbe ou de plantes entre la route et les haies qui bordent les fossés. Les haies sont tellement élaguées qu’elles sont devenues translucides.

Aux dires des naturalistes en lutte qui servent de caution verte à cette renormalisation (ils sont allés en délégation à la préfecture pour plaider pour « un nettoyage respectueux de la biodiversité », et ils ont négocié les premiers jours avec la DIRO sur la route pour que les travaux soient soft) ; ces naturalistes ont reconnu en AG que la DIRO « n’avait pas fait du bon boulot »…

Doux euphémisme pour dire que la DIRO n’avait tenu aucun compte des plaidoyers verts malgré leurs « oui-oui », et qu’ils s’asseyent sur tout plaidoyer. Les naturalistes vont-ils obtenir un crapauduc ?

La DIRO, et les flics, ont exigé qu’il n’y ait plus aucun obstacle à moins de 4 mètres de la chaussée. « Et encore, vous avez de la chance, pour une route à 90 km/h, on exige aucun obstacle à moins de 7 mètres ! ». 90km/h ? Mais il était promis une route à 50km/h et même à 30 km/h dans la portion centrale. C’est écrit dans Ouest France ! Les promesses n’engagent que ceux qui les croient… Cette nouvelle exigence n’est certes pas la dernière.

Vous connaissez la fable de la grenouille dans son bocal ? On met un feu doux dessous. La température de l’eau du bocal monte doucettement. La grenouille ne se débat pas, ne saute pas hors du bocal, tellement le changement de température se fait imperceptiblement. Et à un moment, elle est cuite. C’est ce que des comités, à la réunion plénière du 11 février ont demandé : « A quel moment on réagit ? » C’est bien la question qu’on peut continuer de se demander.

Exemple concret : la cabane des Planchettes avait été démontée (son extension « salon » sur la chaussée) la semaine du Grand Nettoyage (22/25 janvier). Ce matin (lundi 19 février), toute la cabane a été déplacée avec un manitou, pour la mettre aux normes. Sera-t-elle détruite pour répondre aux futures normes de la DIRO ?

Les flics n’ont pas été aussi intrusifs que la semaine précédant le 10 février. Ils n’ont pas envahi les parcelles alentours, rentrant dans les lieux de vie non protégés. Ont-ils toutes les infos qu’ils souhaitent ? Ils étaient néanmoins présents autour des machines.

Toujours est-il que le marquage des flics, 10 heures par jour est épuisant, physiquement (sous la flotte) et nerveusement. Une réunion a été proposée par des habitant-es aux autres composantes pour « porter » ensemble cette situation. Mais les autres composantes (COPAIN, Coord, ACIPA, CLIC, ADECA, CMDO) ont bien dit que si les flics étaient sur zone, c’était la faute des gens de l’Est, alias…, qui « s’opposaient » aux travaux de la DIRO. Et que cette merde, ils devraient la gérer tout seuls. On verra ce soir, si certaines composantes se mêlent à la piétaille boueuse.

En attendant, il y a des cordages ralentisseurs qui refleurissent sur la route de façon aléatoire, des poubelles déversées en guise de chicanes, de petits trous creusés dans le vieux revêtement… Résistance et sabotage, l’arme des dominés.

La poursuite de la négociation ; l’AG des usages de mercredi 14 février

Présentation de la nouvelle association : l’objectif qui était au départ de faire seulement office de (dixit) « stylo pour signer les accords avec l’Etat », devient une collégiale de 15 membres qui ont pour objectif de piloter les futurs porteurs de projets.

Extraits des futurs statuts :
« La mise en œuvre de projets d’avenir dans les domaines agricole, environnemental, forestier, artisanal, architectural, culturel, et social impliquant les habitant-e-s du territoire.
La formation, le conseil, et l’accompagnement des porteurs de projet d’activités sur la zone impactée.
 »

Cela nous paraît être en vrai une tentative de mise en place d’une administration par délégation. Quelle pourra être la place des personnes qui n’ont pas de projet et veulent simplement « vivre » sur la ZAD ?

Les statuts ont été lus à la réu, sans opposition. Toujours la fable de la grenouille : le nettoyage de la route a été obtenu, puis l’idée d’aller négocier avec un Etat que beaucoup sur zone combattent, avec un processus de désignation des délégués, a été obtenue, maintenant l’entité « provisoire » mais « La durée de l’association est illimitée » selon l’article 3 des statuts. Ah oui, on oubliait, dans le projet de pacte de confiance, adossé à ces statuts, il est indiqué que la durée serait de trois ans… Statuts, pacte de confiance, grenouille dans son bocal…

La première réunion de négociation à la préfecture de Nantes devrait se tenir le 28 février.

Épisode délégataire

[Notes partielles et partiales n°8. 3 mars.]

Côté route

Les travaux se font au ralenti. Tous les aménagements extérieurs (haies, fossés, buses) sont terminés. Quelques sabotages (bris de buses) sont constatés et photographiés par la DIRO. Pas de conflits à ce jour entre les forces de l’ordre et les « gens de la route ».
Lors des expulsions à Bure, une barricade a fleuri de nuit sur la route des chicanes, avec une banderole de soutien aux expulsés. Barricade détruite par les GM (gendarmerie mobile) le lendemain.
Il y eut une réunion, le dimanche 25 février, à Lama Fâché (qui devient le nadir de la Wardine, lieu des AG officielles) pour décider d’une action de soutien à Bure. Ce fut très difficile, la plupart des « gens de la route » ne comprenaient pas pourquoi il faudrait se solidariser avec les gens de Bure, alors qu’eux-mêmes subissaient l’abandon et le mépris d’une partie du Mouvement d’occupation.

Le hangar de Lama Fâché (il est décidément dur non seulement de changer de nom mais de prononcer certains mots pour les mécréants : Lama Sacré ou La Massacrée ne passe pas), qui a été donné par une voisine, est maintenant remonté, avec un toit et trois murs. Le mur Sud sera vitré. Y a eu lieu une rencontre, vendredi 2 mars, à l’initiative de quelques réconciliateurs et trices irréductibles qui ont invité les paysans de COPAIN à venir partager leur repas hebdomadaire à Lama Fâché plutôt qu’à Bellevue. En fait, le sacro-saint repas du Vendredi de COPAIN à Bellevue ne s’est pas délocalisé à Lama Fâché. Malgré l’invitation officielle de quelques habitant-es, aucun COPAIN n’est venu manger. Trois paysans sont venus à 14h00, disant qu’ils ne resteraient qu’une heure. Deux personnes de comités alentours les ont accompagnés. Pas de sujets qui fâchent. Seulement raconter comment chacun-e est arrivé-e sur la ZAD… alors que le problème qui devient pressant, voire angoissant pour certain-es (parce qu’ils n’ont pas de solution de repli) est comment on va être poussé-es dehors ? Dégoûte-es ou viré-es ? Schizophrénie ou aveuglement ?
Petite note de fin de paragraphe : la route des chicanes qui pouvait faire un obstacle aux expulsions militarisées a été ouverte par les paysans de COPAIN, il y a un mois tout juste.

Côté institutionnel

La semaine qui a fait la liaison entre la kermesse du 10 février et la rencontre avec l’État le 28 février (la semaine zadiste n’est pas de la même durée que la semaine babylonienne…) a été saturée en réunions de toutes sortes et en groupes de travail sur les différents thèmes que les composantes voulaient voir aborder lors de cette première rencontre de négociation : l’habitat et les expulsions, l’« Association Pour un Avenir Commun dans le Bocage » (dont les statuts ont été déposés en préfecture), future gestionnaire de la ZAD, les amnisties.

La délégation « inter-composantes » a été reçue par la préfète, entourée de deux pontes de la DDTM (Territoire et Mer), le 28 février, à Nantes.
Un compte-rendu a été fait à l’AG des usages, le soir.
Ce compte-rendu est diffusé sur radio Klaxon (en streaming) 3 fois par jour.

En gros, ils sont sortis « déçus » mais pas « surpris » de ce que la préfète les écoute poliment (2h30), pour leur dire que leurs beaux projets n’étaient pas ceux du gouvernement. Et que personne d’autre qu’elle (entendez le premier ministre) n’avait la main pour prendre les décisions.

La préfète a félicité les délégués pour leur bonne gestion du problème de la route des chicanes. Il y en a qui en étaient fiers. D’autres ont dû se sentir péteux, mais peut-être qu’il n’y a même pas de pluriel à mettre à « d’autres ».

- Pour les expulsions, la préfète a dit « je vous mentirais si je vous disais qu’il n’y aura pas d’expulsions ». Donc c’est clair, il y en aura. Mais, a-t-elle confirmé, pas d’opération de grande envergure (donc expulsions ciblées), et dans les règles (donc après le 31 mars ? Mais quand ?…).

Notons que la délégation est restée assise dans le bureau de Mme la Préfète, alors qu’il avait été validé auparavant en AG que la menace d’expulsions était un motif pour rompre les négociations. Il est vrai que, d’une part la préfète a clairement dit qu’elle n’envisageait pas de négociation avec la délégation, et que ces menaces ne sont pas déclarées « imminentes »…

Quand la délégation a demandé quels seraient les critères pour désigner les cibles de ces expulsions ciblées, la préfète a répondu « Vous savez bien, ceux qui ne veulent pas d’un État de droit mais qui touchent le RSA, et autour de la route. » Elle a nommé aussi « ceux qui ont montré leurs fesses à mon passage le vendredi 25 janvier ».

Note : s’il y a bien un fichier sur les « bénéficiaires » du RSA, on ne connaissait pas l’existence du fichier « paires de fesses ».

- Pour les paysans historiques, ils retrouveront leurs droits, en écrivant directement à Mme la Préfète qui s’engage à tout régler au plus vite.

Pour les occupant-es ayant des projets agricoles dans les clous, il y aura aussi des solutions « au cas par cas » La CLIC (regroupement des occupant-es ayant déjà des activités agricoles pour leur compte sur la ZAD) doit respirer. En Convention d’Occupation Précaire.

Les autres n’ont pas de projet et donc rien à faire sur la ZAD.

Notons que l’ACIPA doit jubiler, elle qui n’arrête pas de seriner aux occupant-es depuis des années : « pour rester, il vous faudra faire des projets ».

- Pour la gestion des terres, principal souci des paysans maintenant. La préfète a déclaré « il n’y aura pas un second Larzac ». Ce qui veut dire, qu’avant que la délégation ait pu décliner son projet de gel de distribution des terres et d’association gestionnaire, elle était au courant et ne veut pas de solution collective. Elle cherche le cas par cas, pour affaiblir le mouvement.

Notons que toutes les hypothèses de négociation « si on est bien gentils et qu’on apporte un dossier bien ficelé » tombent à l’eau. Mais le CMDO ne baisse pas les bras : « On n’a pas fait tout ce travail pour être retoqués au premier rendez-vous ».

Mais la préfète a pensé à tout : il y aura un Comité de Pilotage (un « CoPil » en langage bureaucratique), première réunion le 19 mars. Y sont invités des élus, la Chambre d’Agriculture, les 4 syndicats d’agriculture (FNSEA, Conf, Jeunes Agriculteurs, Coordination Rurale), des associations comme l’ACIPA, l’ADECA (Marcel Thébault et les 3 autres « paysans historiques »), et l’association des agriculteurs de la FNSEA 44, l’Amelaza.

Quant à l’ACIPA, l’association n’a rien demandé, et est bien embêtée parce qu’elle n’a pas envie de représenter le mouvement.

Marcel a déclaré que quoi qu’il arrive, l’ADECA irait au Comité de Pilotage, parce qu’il ne pratiquait pas la politique de la chaise vide. Il est en cela « pardonné » publiquement par le CMDO qui a déclaré comprendre que : « pour ces paysans, ce n’est pas la même chose. »

Notons que les paysans historiques ne courent aucun risque puisque la préfète les a rassurés d’entrée (voir plus haut), mais ils vont quand même jouer leurs propres cartes, alors qu’il avait été validé en AG (la démocratie directe n’engage que ceux qui y participent !) que ce serait tout le monde ou personne.

Du coup, comme la préfète a claqué la porte des négociations à la délégation « unitaire », elle l’entrouvre pour trois des composantes : ADECA, ACIPA et Conf. Bonjour l’unité qui était proclamée depuis des lustres… La discussion est maintenant (à l’AG du mouvement le 6 mars, et à l’AG exceptionnelle le 12 mars) : est-ce que ces composantes iront au comité de pilotage ? Rappelons qu’une partie (pas la plus intégrable, celle qui est contre l’État de droit) est sous préavis d’expulsion, et qu’il était dit qu’il n’y aurait pas de négociation sous cette menace.

- Pour les amnisties, la préfète a déclaré que ce n’était pas de son ressort, et qu’il fallait s’adresser ailleurs, mais qu’elle acceptait de transmettre une liste nominative des intéressé-es… Les avocats sont déjà sur l’affaire (aux affaires).

Il apparaît que le cheval « négociation » a été renvoyé à son écurie. Le CMDO a émis l’idée de faire des actions pour établir un rapport de force. Mais depuis des mois, ils impuissantent, paralysent, affaiblissent, immobilisent tous les occupant-es qui veulent recréer un rapport de force digne de ce nom, en prétextant qu’il ne faut pas fâcher le gouvernement : d’abord au moment de la médiation (1er juin/1er décembre) puis avant l’allocution du premier ministre (17 janvier), et enfin pour permettre une soi-disant négociation. C’est ce qu’on pourrait appeler un « engluement bureaucratique ». Que reste-t-il de la niaque des occupant-es et des comités de soutien ?

À la réunion des Zabitant-es du jeudi 1er mars, certain-es se sont avoué-es soulagé-es que cette négociation, dont une partie du mouvement ne voulait pas, tombe à l’eau. « On pourra enfin repartir ensemble (version 2012) pour des actions collectives. Ça ne dépend plus que de nous ». Des « gens de la route » ont averti qu’ils allaient commencer à barricader la forêt (la zone non motorisée où sont beaucoup de cabanes) et inviter des soutiens à un camp à Lama Fâché, mi-mars. D’autres ont eu des interventions plus « relou » : « les points de fracture, c’est la route, la zone non motorisée et le chantier de Lama Fâché. Ils provoquent la présence des flics sur la route, et l’appel à faire venir des gens fin mars, début avril à Lama Fâché est nuisible, il ne peut y avoir que des embrouilles ». Il fut répondu qu’il y avait aussi des appels à chantiers lancés par le CMDO pour la même période (à l’Ambassada, entre autres), et que personne ne criait au loup.

Du fait du calendrier du pouvoir, le « tous ensemble », qui a existé vers 2012/2015 (le Rosier, la Chateigne, Bellevue, manif sur le pont de Cheviré, avec les soutiens et les tracteurs), n’existe plus que dans l’imaginaire des « dominé-es » : tentatives de réconciliation et espoirs de luttes communes.

On ne pense pas que les paysans aient envie de se remettre une once de radicalité dans leur picotin. Félicités par la préfète, invités via la Conf au comité de pilotage, que gagneraient-ils à jouer du tracteur en solidarité avec des « allumés de l’Est » ?

À noter, pour celles et ceux qui sont pas loin :
- mardi 6 mars à la Wardine, 20h30 : AG du mouvement
- lundi 12 mars : ……………………. : AG exceptionnelle
- WE 17/18 : grand jeu de rôle avec répétition de ce qui se passerait en cas d’expulsion d’envergure (communication entre les gens, jeu de gendarmes et voleurs...)

À lire pour le futur immédiat ce que propose le CMDO :
Propositions sur les mobilisations à venir pour l’avenir de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (et au-delà)

En particulier :
- le 31 mars : appel aux comités de soutien pour faire des manifs contre les expulsions à la fin de la « trêve hivernale », ce qu’ont apprécié les chouettes hiboux de Bure, expulsés le 22 février… A organiser conjointement avec les assos contre les expulsions d’immigré-es, et autres squats.
- le point 6 du texte : « dérange ta chambre ». Ce qu’apprécieront les paysans hors-normes qui se sont faits au mieux snober, au pire envoyer bouler le 10 février avec leurs propositions d’aller manifester devant les MSA, Chambre d’agriculture, etc. Gageons que ce n’est pas contre les normes que le CMDO appelle à manifester, mais bien pour l’application des règlements.

Résistance et sabotage...

[Niouz partielles et partiales n°9. 19 mars.]

Sabotage

Dans la nuit du mercredi 14 au jeudi 15 mars, un petit groupe a rendu une partie de la D 281 praticable à vitesse réduite, en enlevant, devant Lama Fâché, quelques m² de bitume qui avait été coulé le jour même. Du coup, ils en ont fait des chicanes.

Le motif n’est pas clair : juste un ras-le-bol d’être pris pour des pions, malgré les demandes de dialogue entre la DIRO et des intermédiaires de la ZAD ? ou revendication de ralentisseurs que la préfète aurait promis (par voie de presse, mais au sujet desquels COPAIN a refusé de demander confirmation écrite en disant « on lui rappellera ses promesses ») et qui ne sont plus à l’ordre du jour ?

Les réactions ne se sont pas fait attendre : les keufs circulent maintenant jour et nuit, sur la ZAD. Des rondes de deux à cinq cars toutes les deux heures environ, parfois plus rapprochées, parfois plus espacées. Une minorité d’occupant-es continuent leur surveillance, puisqu’ils repoussent pacifiquement les patrouilles qui s’immiscent dans les chemins de plus en plus loin. Mais, notera un des délégués, « personne n’aura fait plus d’effort sur cette zone » pour mettre ses idéaux dans sa poche et modérer ses envies de riposte vis-à-vis de ce qu’on peut appeler une double violence légitimée : celle de l’État qui envoie ses troupes, et celle de la fraction dominante du mouvement qui laisse tout seuls « les gens de la route » et les culpabilise. Le Conseil départemental qui s’était fait prier pour commencer les travaux les a interrompus.

Du côté du « Mouvement » (qui est mort, mais comment dire autrement ?), COPAIN fait mousser la mayonnaise. Des paysans en son sein prennent prétexte de ce geste pour se désolidariser et pour se désengager des promesses d’intervention en cas d’expulsion, dans le genre « on ne va pas risquer nos tracteurs pour ces emmerdeurs. Que l’Etat les expulse, on sera plus tranquille ». Pour l’ACIPA, maintenant en retrait, ce doit être du pain béni : ils ne voulaient déjà plus se ranger du côté des occupant-es qu’ils n’ont jamais vraiment acceptés, maintenant, ils les condamnent.

Le rassemblement du 19 mars à Nantes : « dérange ta chambre »

Peu de monde (250 d’après Ouest Rance) à ce rassemblement pour dire que malgré la désunion, on était unis... Quelques tracteurs de la ZAD, quelques-uns de COPAIN. Deux vaches et quelques moutons. Le couscous royal s’est transformé en pique-nique tiré du sac...

Un désaveu de COPAIN dont on a deux versions, selon le paysan qui la raconte. L’un dit que les paysans se désinvestissent parce qu’il y a une bande d’emmerdeurs qui ne jouent pas le jeu. L’autre parle d’une manipulation de la Conf’ (qui participe à ce Comité de Pilotage) : alors qu’en début de réunion, COPAIN 44 s’organisait pour débouler dans Nantes devant la Pref’ à une centaine de tracteurs, le jour du Comité de Pilotage (délégation ZAD non invitée, ADECA présente, ACIPA absente mais n’appelant pas au rassemblement, Conf’ présente mais ayant signé l’appel au rassemblement), trois pontes de la Conf’ déboulent à la réu et démobilisent tout le monde. On ne connaît pas leurs arguments, mais on les devine. Du coup, il n’y a eu qu’une dizaine de tracteurs à la Pref lundi...

Ce ne sont pas toujours les mêmes qui trébuchent

D’après quelques informateurs, un des "chefs" de la ZAD a lui aussi réagi immédiatement en faisant jeudi un texte qu’il a présenté le lendemain à des gens choisis (pas forcément des potes, mais des entre-deux aussi) pour condamner les saboteurs et proposer que le « Mouvement » uni rebitume la partie abîmée. Réunion secrète mais houleuse. Quelques participants ont fait enlever du texte les condamnations et ont relooké certains termes un peu stigmatisants. Mais sans faire de blocage.

Samedi, un troisième couteau du CMDO est venu présenter ce texte à une réu à Lama Fâché. Il n’a pas dit d’où venait ce texte, mais il y avait un gars du CMDO et un proche, présents et muets. Le texte a été repoussé par cette réu de façon unanime. Les participants étaient assez véners. Comment a été choisi ce messager qui allait au casse-pipe ? Ce gars inspirait une certaine confiance parmi le public de Lama Fâché, puisqu’il a vécu longtemps dans la Zone non motorisée, avant de migrer dans un lieu en dur (Noé Verte). L’initiateur du texte s’est bien gardé de venir lui-même !

Dimanche, le CMDO avait organisé une réu un peu plus ouverte, mais pas annoncée largement. Le but était de faire signer ce texte, sans amendements possibles, par cette réunion. Ils sont venus à cinq. Quand ils ont vu le public de ce dimanche, ils ont appelé des renforts. Mais rien n’y a fait. Quelques anarcho-véners sont montés au créneau, soutenus par d’autres. « Même si le sabotage de la route n’est pas judicieux, aller négocier avec un Etat qui ne tient pas ses promesses ne l’est pas non plus ! On ne va pas réparer la route, pourquoi ne pas réparer les vitrines cassées en manif ? ». Du coup, le CMDO est sorti d’un seul bond. La réu était finie. Le texte non validé. C’est le premier sursaut de la partie opposante des occupant-es.

Pourquoi tout ce zèle de carpette ? Parce que S. Le Cornu, le bras droit de N. Hulot qui est soi-disant venu rencontrer les associations de Bure, alors que se déroulaient le même jour les expulsions des chouettes hiboux le 22 février, vient rencontrer les « acteurs » ces jours-ci à Nantes. Et la délégation se veut unie et responsable devant un représentant du ministère !

Pendant ce temps...

Le camp de Lama Fâché continue de s’autogérer. Le chapiteau a été relevé, le hangar, maintenant fermé des quatre côtés a été transformé en cuisine et salle de réu. Des projections, des spectacles et des concerts y sont programmées et reçoivent un chaleureux accueil. Les occupant-es n’arrêtent pas de construire, tout en se sachant les premiers visés. Le bordel y est ambiant, les engueulades existent aussi. L’accueil y est toujours amical. Juste humain, peut-être ?

L’organisation de la défense contre les expulsions se fait, pas à la façon efficace des dominants, mais elle se fait. Et elle en étonnera plus d’un-e...

… CMDO, dégage !

[Niouz partielles et partiales n°10. 28 mars.]

« Tu finiras dans un coffre de voiture du CMDO ! »

C’était une blague qui courait sur la ZAD, il y a quelques temps. Elle s’est arrêtée sinistrement à la Gaité, cabane à l’Est de la Zone, le 20 mars au matin.

En effet, quelques personnes cagoulées sont entrées dans la cabane, ont gazé les dormeurs. Ils se sont acharnés sur l’un d’eux. D’après le propre récit de ce dernier, ils l’ont embarqué ligoté dans un coffre de voiture. Quelques kilomètres plus loin, une autre voiture attendait. Il fut alors violemment frappé avec des bâtons, ce qui occasionna plusieurs fractures au bras et à la cheville, et des contusions à la tête. Remis dans le coffre de la voiture, il fut jeté à cinquante mètres de l’hôpital psychiatrique de Blain. C’est le personnel soignant qui le prit en charge, un peu plus tard.

Des gens sont immédiatement allés dans deux lieux de vie du CMDO pour demander où se trouvait leur pote enlevé. Ils furent reçus par des personnes cagoulées et armées de bâtons (décidément, la fête des bâtons a des sursauts inattendus…) qui ont nié toute participation à cette action.

Une réunion a eu lieu à Lama Fâché, au cours de laquelle il fut décidé de partir dans toutes les directions rechercher la personne enlevée dont personne n’avait de nouvelles : bois, bocages, côte, gendarmeries et hôpitaux. Il fut aussi décidé que l’AG « du moment » qui devait se tenir le soir n’aurait pas lieu tant que le pote ne serait pas retrouvé.

A l’AG extraordinaire du soir, les quatre facilitatrices auraient bien voulu que ce point reste cantonné aux « points infos ». Le premier point de débat fut sur les expulsions, sans tenir compte des « gens de l’Est » qui étaient venus exceptionnellement en nombre. C’est à 23h00 que les facilitatrices durent se résoudre à mettre le point de l’enlèvement du matin en débat. Deux heures trente pour réaffirmer que toutes les composantes allaient réactiver leurs réseaux pour s’opposer aux expulsions « au sein du mouvement », main sur le cœur. La veille une militante d’ATTAC 44 avait fait publier dans ZadNews, un article disant qu’elle avait tout fait pour le mouvement, mais qu’elle ne soutiendrait plus les gens qui se dissociaient du mouvement, et même le mettaient en danger. Si ce n’est pas donner une caution morale pour se dissocier des gens qui « se mettent hors du parti », non pardon du mouvement, qu’est-ce que c’est ?

Bref, pas de décisions rassurantes concernant une prise en main collective de la défense des gens et des lieux. Juste de la langue de bois qui rassure celles et ceux qui veulent se rassurer.

La personne enlevée avait été retrouvée aux urgences du CHU de Nantes, et des potes l’avait ramenée en fauteuil roulant à la Wardine, en pleine AG. C’est là qu’il raconta, à 23h00 donc, son agression. Lui et ses potes demandèrent que l’AG prenne position pour demander que ses agresseurs, dont personne ne doute qu’ils soient du CMDO ou proches, quittent la ZAD. Il y avait eu par le passé des expulsions, de gré ou de force (le fameux coffre de voiture) de « gens dangereux » qui avaient attaqué d’autres personnes. Il était demandé l’application de la même pratique. Loin de condamner ces agresseurs, la plupart des gens qui ont pris la parole se sont démarqués de cette brutalité (« c’est pas bien ce qu’on t’a fait »), mais se sont empressés de faire le procès de la victime du moment (« tu as mis en danger les autres en débitumant (pas seul) la route », « depuis le temps que tu agis seul, sans concertation avec le reste du mouvement... » (personne n’agit de cette manière sur zone ?), « je n’ai jamais été d’accord avec ce que tu fais », etc.

On a quitté la salle au milieu de ce procès obscène, où tout le monde parlait en même temps que les autres. On se demande même si cet occupant n’a pas été choisi pour « ce coup de pression sur lui et les autres » parce que, justement il n’est guère apprécié par une bonne partie des occupant-es. L’agression d’un autre occupant, plus apprécié, aurait probablement suscité plus d’indignation, pas forcément plus de réaction vu le degré de désarroi dans lequel est le « mouvement ».

A l’arrivée de cet occupant en fauteuil roulant, la plupart des gens du CMDO avaient quitté la salle. Personne de ce groupe ne prit la parole pour critiquer ou dénoncer cette action.

Pour aller plus loin, lire la prise de position de la légal team sur les actions de milice à la zad (mars 2018) :
https://nantes.indymedia.org/posts/40672/
Voir également le témoignage de l’occupant dans Le commun de l’autonomie. Une sociologie anarchiste de la zad de Notre-Dame-des-Landes, de Margot Verdier :
https://editions-croquant.org/sociologie/756-le-commun-de-l-autonomie-une-sociologie-anarchiste-de-la-zad-de-notre-dame-des-landes.html

On apprit plus tard que, au moment même où se tenait cette AG, une voiture flambait devant la Gaîté et que les ordinateurs de cette cabane se volatilisèrent. Tout seuls ?

Dans la nuit qui suivit, La Freuzière, ancienne ferme en dur dans le voisinage de St Jean à l’Ouest, partit en fumée à la suite de deux explosions. Il ne reste rien des bâtiments. Les gens étaient partis en emportant caravanes et camions. La destruction de ce lieu a été très probablement l’œuvre des ex-habitants du lieu qui, se sentant en danger parce que dans l’opposition active au CMDO, et étant en désaccord profond avec beaucoup d’occupant-es, ont voulu mettre en scène leur « auto-expulsion ».

Et la négo, dans tout ça ?

Avec tout ça, on n’oublie pas les rencontres au sommet. Le sous-ministre de Nicolas Hulot passait deux jours à Nantes pour rencontrer les « acteurs » du mouvement. Les acteurs se sont donc précipités, le 20 mars, dans le théâtre préfectoral, les 9 délégués, les mêmes que le 28 février. Mais contrairement au 28 février, la délégation ne prit pas la peine d’appeler à une réunion extraordinaire pour savoir s’il y avait une modification du mandat donné par l’AG des usages, la seule compétente à mandater la délégation. Mais, suis-je bête, le « mandat impératif » qui a été donné par l’AG des usages en février, est un mandat « de confiance ». Il ne sert à rien donc de déplacer tant de gens pour réitérer la confiance à nos délégués…

Il y eut un rapide retour de cette entrevue, par une déléguée des occupant-es. Puis le lendemain, un autre délégué prit la peine d’enregistrer pour la radio un compte-rendu de douze minutes. La déléguée affirma qu’il ne s’était rien dit de nouveau (ce qui n’étonna personne), que le gouvernement continuait à vouloir vendre les terres, à traiter au cas par cas, et qu’il était toujours question d’expulsions ciblées. Personne ne s’est levé pour signifier son désaccord. Émotion ou accord sur le principe ? La déléguée dit qu’elle savait dès le début que cela ne servait à rien, mais qu’elle avait été choisie par les autres occupant-es, c’est la raison pour laquelle elle allait cautionner cette procédure de cogestion.

Aucune discussion sur ce point, puisqu’on parlait des expulsions et de l’enlèvement dans le coffre. Mais il serait souhaitable, à notre sens, de se poser de nouveau (ou plutôt enfin, parce que cette question a été censurée auparavant) la question de la pertinence de la présence des délégués des occupant-es à cette pitrerie. Pour cela, il faudrait que les occupant-es, en réu du jeudi, se posent la question de savoir si on continue sur un chemin qui ne convient pas à la plupart des occupant-es, mais qu’on suit « pour rester ensemble ». Il faudrait que les délégués se sentent soutenus par un mouvement collectif pour rompre avec la délégation et affirmer haut et fort que « le mouvement est mort ».

Le lendemain, S. Le Cornu, accompagné de la préfète et des gendarmes en nombre, a eu l’outrecuidance de venir parader sur la route. Aucun incident ne fut signalé. Certains lui dire « au revoir » ou « dégage » quand il s’arrêta à Lama Fâché. Mais l’habitant des Planchettes serra la main du sous-ministre (photo dans Presse Océan), dans l’espoir d’être régularisé. Au cas par cas, vous dis-je ! L’État n’a plus peur de cette zone d’horribles terroristes pour venir les provoquer de la sorte. Certains dits terroristes ont bien limé leurs dents pour serrer la main qui va les mordre.

Maintenant, la frénésie des réunions reprend. Entre le déménagement des habitats isolés, la mise en lieu sûr des biens matériels les plus précieux, et des animaux, on trouve le temps de se réunir « par quartier ». Pour organiser la défense en cas d’expulsion.
Enfin !

Ni un paso atràs

Si tocan a unos, tocan a todos ! Ni un paso atras ! Solidaridad con la ZAD [10]
Message de soutien venant du Mexique, 2018.

[Notes prises au cours d’une discussion avec les gimenologues [11]. 19 avril 2018]

Les dynamiques brièvement exposées, telles que nous les avons analysées, à Myrtille et Vincent, gimenologues patenté-es, leur ont permis de faire quelques rapprochements avec les dynamiques mises en place pendant la Guerre d’Espagne, au sein de la mouvance anarchiste. En voici, résumées, les notes prises « sur le bord de la table ».

Pour désactiver les tendances les plus radicales, le gouvernement républicain a intégré des représentants de la CNT-FAI qui apparaissaient comme les plus radicaux aux yeux des militants de base, tel Juan García Oliver. Ce fut une grande victoire pour la reconstitution de l’Etat.

Pour sauver l’unité de l’organisation, les plus radicaux acceptent « la responsabilité militante ». Durruti protégeait l’expérience collectiviste. Il lui a été demandé de partir de l’Aragon pour défendre Madrid. Il a refusé pendant deux mois. Puis il a accepté au nom de la « responsabilité militante ». Cela a permis à l’Etat d’intervenir, les forces qui protégeaient les communes collectivisée ayant été désactivées.

A penser la transition, motivée par les circonstances, à élaborer des choix stratégiques (avec qui s’allier ?), les plus radicaux ont perdu ce qu’ils défendaient.

Les informels sont contre l’institutionnalisation, contre la forme que se donne l’Etat et qui est supérieure au combat. L’organisation doit survivre au combat, perdurer, dans le but de battre le capitalisme ou l’Etat.

Les tendances radicales, pas toujours conscientes d’elles-mêmes, vont être taxées « d’incontrôlables », parce qu’elles refusent de jouer le jeu.

La syndicalisation est obligatoire, ce qui provoque l’arrivée de tout le monde dans les organisations syndicales. Ce n’est plus un mouvement homogène, l’espace de décision est resserré, verrouillé. Les comités directeurs circonscrits sont alors revendiqués.

Les plus chiants, ce sont les militants intermédiaires qui font la navette entre la direction du syndicat et les ouvriers pour leur faire accepter l’entrée de dirigeants anarchistes au gouvernement et la reprise du travail dans les usines. Ils font la navette entre les dirigeants et la base, en répercutant les décisions. Certains ouvriers de la base (on ne peut affirmer que la réprobation fût unanime…) s’opposent aux manœuvres des militants cénétistes, refusent cette orientation, la désavouent : ils font de la résistance passive par le sabotage, le refus d’aller travailler, l’absentéisme. Ces intermédiaires, qui jouent ce rôle par « responsabilité militante », sont mal vus de la base « vous n’êtes qu’un patron de plus ». Certains sont si mal qu’ils demandent à partir au front.

Les gens de la base n’étaient pas au courant, et à plus forte raison ne participaient pas à la prise des décisions. Les intermédiaires formaient une sorte d’écran de fumée : il n’était pas concevable que ces gens puissent trahir. La première expérience d’anarchistes au gouvernement s’est passée en Allemagne. Ceux qui y font référence passent pour des chieurs, des saboteurs.

La presse est contrôlée. Une presse clandestine (jeunes libertaires) continue de râler et de critiquer la ligne de la CNT. « Il ne faut laisser tomber personne ». En riposte, la CNT publie des journaux mimétiques, reprenant les expressions radicales pour jeter la confusion et rallier les indécis à la ligne de la CNT.

« Il y a un point qui me vient à l’esprit, c’est la fameuse question du "réalisme" : les dirigeants de la CNT n’étaient pas pires que les militants de la base, mais ils avaient le souci de l’efficacité. C’est en cela qu’ils étaient "responsables". Et c’est cette responsabilité qui les a conduits, déjà avant la révolution comme on peut s’en rendre compte en suivant les pérégrinations idéologiques de Santillán, à aborder la réalité sociale en gestionnaires, avec des calculs d’intérêts en tête. Ils ont mis en avant, dès le 21 juillet, la "réalité" des puissances capitalistes qui ne verraient pas d’un bon œil l’instauration du communisme libertaire en Catalogne. En y renonçant, ils n’ont pas compris qu’ils désamorçaient la révolution en même temps que toute réelle solidarité susceptible de se former à l’étranger, voire dans d’autres régions d’Espagne. Et ce renoncement sera redoublé par le reproche amer qu’ils adresseront plus tard au prolétariat français, principalement, coupable à leurs yeux de ne pas se mobiliser en faveur de ce qui n’avait même plus l’apparence d’une révolution…
Je vous laisse libres de tracer les parallèles…
 » Vincent

Tout ce qui était horizontal devient vertical.

Pour faire accepter la militarisation de la milice, le discours est : « nous serons toujours les mêmes, les hommes du 19 juillet. On ne changera pas. On restera toujours des anarchistes. C’est juste l’uniforme, et les galons, c’est l’enveloppe qui change. » En fait, il n’y a pas eu de commandants communistes, que des anarchistes... contrôlés par les communistes.

Les assemblées, après le 19 juillet sont de simples chambres d’enregistrement : les décisions sont prises avant les AG, par des groupes qui ne laissent pas de traces. Les militants historiques de la CNT reprochent à la base de ne pas s’exprimer en réunion. Les gens n’y viennent même plus.

Les petits arrangements avec les principes de la collectivisation ont été engagés bien avant Juillet 36.

Dictature de l’urgence : il ne faut pas perdre de temps (on est en guerre), on ne prend pas le temps de construire une critique. Petite exception, l’article de Camillo Berneri : « Attention, tournant dangereux », paru en novembre 1936, dans la revue Guerra di Classe.

« […] il faut donc que notre presse […] soit tout au moins désintoxiquée du malencontreux esprit « d’union sacrée » qui a fini par réduire à un minimum imperceptible la critique politique. »

Même en exil, il y a une réelle hégémonie de la vision historique du mouvement anar. Les voix dissidentes se sont tues « pour ne pas être utilisées par les Staliniens ».

A chaque paragraphe, correspond un aspect de la lutte à NDDL :

Sursis ou sursaut, Le manteau et le corps.
Textes parus dans le ZAD News en automne 2017.

- l’intégration aux mécanismes de l’État de ceux qui s’affichent comme les plus radicaux
- la notion de « responsabilité militante », même si ce n’est pas ces mots qui sont employés aujourd’hui, le mécanisme de silence ou d’acceptation de l’inacceptable au nom du mouvement (médiation, D 281, négociation, et bien d’autres couleuvres)
- les gens de l’Est qui sont considérés comme des incontrôlés, des « bouffons »
- les intermédiaires qui sont mal et mal vu-es
- les assemblées qui sont verrouillées par des facilitateurs choisis
- le contrôle de la com’ externe
- la mise en avant du travail pour sauver les luttes
- la dictature de l’urgence
- le silence des voix dissidentes
et la liste n’est pas exhaustive…

Il n’y a que ce qui se passera en « exil » qui n’a pas encore été expérimenté, bien que pas mal d’occupant-es ont déjà fui la zone, n’y trouvant plus leur place ni leurs idéaux. Peu d’écrits publics venant de leur part.

Il est difficile de ne pas faire des parallèles avec d’autres luttes, de voir des points communs à ces deux moments (Espagne 36/37, mouvements de contestation contemporains), et aussi avec l’URSS des années 20 : un contexte global marqué par l’émergence ou l’omniprésence d’un État moderne, d’une division capitaliste du travail, d’une production de masse dite « industrielle », d’un marché administré par des normes.

Comme les formes du travail dans la société capitaliste, le travail politique qui vise à produire, faire circuler et consommer des représentations de la société (une production « idéologique » mais avec des effets très réels), rassemble des groupes hétéroclites dans une organisation plus ou moins formelle à laquelle certains assignent un objectif précis.

Toutes les luttes de classes sont interclassistes de fait comme toutes formes de production structurées par la division capitaliste du travail. La forme nécessaire pour encadrer ces activités sociales est l’État moderne dans son acception large (on pourrait parler de formes bureaucratiques : représentation, délégation, commissions, normes communes, etc.).

« L’État était le représentant officiel de la société tout entière, sa synthèse en un corps visible [...] » (c’est du Engels, et la suite c’est que l’État dépérit après s’être emparé des moyens de production…)

Mais Berneri ajoute : « Ce n’est pas le prolétariat russe qui s’est emparé de la puissance de l’État, mais bien le parti bolchevique qui n’a pas détruit du tout le prolétariat et qui a en revanche créé un capitalisme d’État, une nouvelle classe bourgeoise, un ensemble d’intérêts liés à l’État bolchevique, qui tendent à se conserver en conservant cet État. » (in Abolition et extinction de l’État)

D’où de sottes évidences, mais qu’il n’est pas inutile de rappeler, que ceux qui dirigent et organisent un travail nécessairement social se donnant des fins précises et mettant en œuvre des moyens collectifs, sont bien placés pour en approprier les résultats pour leurs intérêts particuliers.

D’où également des généralisations, qualifiées de hâtives, qu’une des manières immédiates de s’opposer à ces confiscations est de mettre en œuvre le refus concerté du travail, autrement dit la grève. A défaut, l’absentéisme, le refus des « cadences infernales », le coulage, la perruque, le sabotage, etc.

La perspective plus lointaine est bien sûr de collectiviser les moyens mis en œuvre (ici certaines connaissances et techniques) et de communiser les produits (ici l’expérience acquise par quelques-uns au détriment du « plus grand nombre »).

A terme, l’expression des antagonismes de classes serait mise en œuvre d’une manière explicite et permanente, et non cyclique et confuse.

Le désert des tartares

[Notes pas totales et pas objectives n°11.]

De la trêve hivernale aux expulsions vernales...

Durant la dernière semaine de mars, il y eut ce qu’on peut appeler un repositionnement ou une restructuration dans tous les sens.

Il y eut des réunions de bilan ou d’ultimes réflexions entre potes, histoire de se retrouver encore et de tenter de comprendre toujours. Il y eut d’autres réunions dites « de quartier » pour s’organiser en vue des expulsions, logistique et solidarité. Le grand espoir, c’est « qu’on prenne soin les uns des autres », qu’on s’entende ou pas.

Il y eut aussi des départs, beaucoup de départs. Des gens qui se sentaient expulsables et qui ont préféré prendre les devants au dernier moment, sachant bien que les gens en capacité de mobiliser du monde ne viendront pas au secours des « bouffons de l’Est ». Des personnes qui ne voyaient plus de sens à demeurer sur une zone en voie de normalisation, pour défendre quels idéaux ? Certain-es s’en allèrent, sacs au dos, chien aux basques, vers la ville, sans cérémonie ; d’autres firent le tour des cabanes ou organisèrent une dernière soirée entre potes, pour rire encore une fois.

Il y eut ceux et celles qui sont resté-es et qui ont mis quelques affaires, une caravane, un chien ou un chat à l’abri, qui ont vu le vide se faire autour d’eux ou d’elles, et ne se sentaient pas d’organiser plus qu’une résistance aux expulsions, mais aucun contre-pouvoir comme imaginé avant le 10 février. Il y eut ceux et celles qui attendaient sereinement ou qui l’affichaient comme tel : fatalisme et/ou expérience, avec ou sans zone de repli, c’est un peu le chacun pour soi, l’attente.

Il y eut aussi ceux qui organisaient leur avenir agricole et leurs projets légalisables, qui appelaient à chantier pour enraciner l’avenir, mais on ne peut pas être partout et nous ne fûmes pas partout...

Surtout, il y eut ceux et celles qui, à Lama Fâché, déployèrent une énergie extraordinaire pour construire sous la pluie et dans la boue, une tour de 12 mètres de haut au moins (plus haute que les engins militaires pour déloger les « hauts perchés »). Sans aide mécanique. Ils et elles trainèrent à une vingtaine des troncs gigantesques au poids formidable pour les sortir de la forêt et les installer au milieu du camp. Il fallut une après-midi pour les assembler à terre puis les redresser à la main, les amener à 45°, avec la force des bras et l’aide d’étais déplacés centimètre par centimètre. Sans organisateurs, chacun-e prit une initiative, pour aller clouer des bastaings, pour construire une échelle de corde, pour préparer à manger. Difficile d’avoir des repères, chacun-e fait comme il/elle veut. Le temps presse « pourvu qu’ils nous laissent le temps... ». Mais on prend aussi le temps d’une bière ou d’une chanson à la guitare.

La folie du projet (construire une tour de guet au bord de la D 281) donna une confiance que rien ne fit flancher. Si la nuit tomba sur la construction à moitié levée, la nuit suivante tomba sur un tripode bien dressé et solidement amarré. La fierté et la joie des personnes ayant participé à cette construction furent communicatives. « On est le dos au mur ! On ne peut rien faire d’autre que d’avancer ! ». Toute cette énergie pour une construction qui risquait d’être la première cible des militaires remontait le moral de celles et ceux qui venaient donner un coup de main ou soutenir les efforts.

De dures journées

[Notes ni totales et ni objectives n°12.]

Lundi 9 avril

Les engins qui étaient arrivés devant les Vraies Rouges hier à 7h00 du matin, c’est-à-dire quatre heures après le début de l’assaut, étaient toujours à la même place le lendemain à 23h00, heure à laquelle nous avons quitté la zone.

Toute la journée une bataille s’est enflée sur la route des Fosses Noires. Toujours la même bataille : sommations enregistrées par une voie féminine, gazage ou grenadage, puis tentative de faire avancer le brise-barricade. Parfois ça marche et les gens reculent, parfois ce sont les keufs qui reculent et les gens avancent, de quelques mètres. Le chemin de la Noue qui était tenu par les keufs hier était tenu par les potes aujourd’hui.

A l’AG du soir, aucun représentant de COPAIN, aucun de la Coord ou de l’ACIPA.

La militante d’Attac organise toujours son camp d’interposition « des cheveux blancs », mais aucune apparition à l’AG. Y étaient quelques Zadistes et beaucoup de nouveaux. AG qui s’est donc transformée en points infos « bienvenue ». En fait cette militante est venue par erreur à cette AG. Elle fut prise à partie par des occupant-es qui étaient en colère contre son texte de la semaine précédente dans le ZadNews disant qu’elle ne serait solidaire des zadistes qu’au cas par cas, certain-es s’étant mis-es en dehors du mouvement en retirant 2 m² de bitume.

La journée de mardi s’est terminée par un statu quo. Les keufs sont restés toute l’après-midi à gazer et grenader les gens qui étaient devant les Fosses Noires, à avancer et à reculer, pour occuper les gens et les forcer à rester sur ce point précis ? On entendait les engins détruire par derrière.

Les Vraies Rouges, cabane qui est à côté des Fosses Noires et qui s’occupe d’un jardin aromatique et médicinal, et qui participe au maraîchage de Rouge et Noire, a été menacée toute la journée. Mais ils ne l’ont pas écrabouillée. Pour des raisons pseudo-légales ? Autres ? Au soir les keufs sont repartis sur la D 281.

Pendant la nuit, les gens ont reconstruit des barricades à la main… qui ont été balayées sans problème le lendemain. Quelques Molotov sur quelques blindés sans conséquence, un ou deux engins embourbés dans les champs.

Pourquoi cet enkystement ?

Les hypothèses vont bon train :
- ils n’ont pas l’intention d’avancer tant que les pelleteuses n’auront pas nettoyé toute la zone contrôlée de tout matériel de reconstruction.
- stratégie des keufs pour maintenir un maximum de gens par ici, pendant qu’ils cassent en zone non motorisée ou détruisent la Chèvrerie en envoyant une personne à l’hôpital
- les valeureux warriors font trop peur avec leurs Molotov et les boules de boue, leurs techniques de guérilla et leurs gavottes au son d’un accordéon.
- des tractations se font entre les composantes (en individuel, c’est validé par l’AG) : menace de plus large mobilisation si pas de pause ou de reculement.

Durant une bonne partie de la nuit, un hélico était en stationnaire au-dessus de l’Est, avec gros spots.

Quel état d’esprit ?

Toujours est-il qu’il est arrivé beaucoup de monde hier : des soutiens des comités, mais aussi des jeunes qui viennent en groupes affinitaires et avec un équipement ad hoc. Dans la nuit, des files de petites loupiotes progressaient sur les routes, apportant nourriture et matos.

Bien sûr, ces soutiens remontent le moral, par rapport aux appels contre la solitude du premier matin de l’expulsion, quand il n’y avait que la « route » qui était visée. Certes, cet afflux pose des problèmes de logistiques : nourrir et coucher toutes ces personnes.

Évidemment, il y a toujours des groupes qui se vantent d’être au bon endroit et qu’il n’y a qu’eux qui s’organisent. Pour le moment, les polémiques se font en sourdine. Mais les tensions inter individuelles sont fortes. Les gestes et les dires des un-es et des autres sont mémorisés pour la suite.

Que font les tracteurs ? Où sont-ils ? Combien ? Et quelles sont les déclarations des un-es et des autres ?

Si « l’unité » se fait, dans les actes, contre cette agression démesurée, les luttes internes ne sont pas oubliées pour autant, et il n’est pas question de laisser les uns tirer, par la suite, la couverture de la gloire et du mérite, et donc du pouvoir, à eux.

Ce matin, mercredi 11 avril, on se réveille avec les détonations dès 6h30, du côté de la D 281. Et l’hélico qui tourne à nouveau depuis 6h00.

Toute la matinée, les keufs ont bloqué la Zone non motorisée, là où il y a les cabanes en bois de tout style. Ils ont fermé la D 281 et la D42. Les gens avaient été virés la veille de leurs cabanes, y étaient revenus dormir, ont été revirés au matin. Des informations contradictoires ont circulé toute la matinée, du style « la Bellish a été détruite », et plus tard, « non, elle est encore debout » (avait-elle été reconstruite entre temps ?). Bref, ils ont grillagé les accès, ont investi les bois. Personne ne pouvait approcher, il n’y avait que des infos sonores pour essayer de comprendre la situation.

En début d’après-midi, la zone non motorisée, renommée récemment « les noues qui poussent » par les potes qui y habitaient, était un lieu de saccage : cabanes détruites, chemins défoncés, arbres bousillés, occupant-es expulsé-es. Et les salamandres qui sont en période de reproduction ?…

Les autorités avaient l’esprit plus libre : derrière eux, c’était tabula rasa. Cela évite qu’ils laissent des endroits de repli et des cachettes. Du coup, ils ont avancé sur la route des Fosses Noires. Malgré une foule de plus en plus importante. Importante : tout est relatif : lundi, il n’y avait que quelques soutiens, ils sont venus plus nombreux mardi. Mercredi, ce n’était pas noir de monde comme lors des kermesses festives organisées sur Zone ! Malgré tout, il y avait des dizaines de gens, beaucoup de jeunes en groupes et de l’étranger, plein de retraité-es aussi, venu-es parce que : « envie de bouffer du keufs », ou « atteint-e dans sa citoyenneté », chacun-e avec ses motivations.

Bref cette foule s’est massée sur la route vers les Fosses noires. Vers la fin de la matinée, les keufs se déployaient dans les prés depuis la Rolandière et la ferme de la Vache rit (les Domaines), vers les Fosses à l’Est. Pareil des deux côtés de la petite route des Fosses.

Puis en milieu d’après-midi, ce fut la charge de la cavalerie lourde. D’après les potes présents, ce fut hyper rapide et violent, les gaz très concentrés, les grenades de désencerclement lancées dans une foule encerclée… Des blessé-es. La medic en aurait dénombré une trentaine pour la journée d’hier.

Les keufs se sont arrêtés (tout seuls) au carrefour de la Saulce. En moins d’une heure, ils avaient fermé une zone plus grande. Les maisons en dur sont debout. Mais les gens sont dedans, enfermés, une ligne de keuf devant leur porte, quasi. La nuit, l’hélico a tourné au-dessus de leur tête (paraît 2000 € l’heure de carburant). Les Fosses debout, la Grée debout, les Vraies Rouges aussi, la Bellish aussi.

Ils ont coupé l’électricité sur le chemin des Fosses et de Suez. Donc pour les habitations, recharge de portable, radio, c’est évidemment une galère de plus.

Le moral était dans les chaussettes, mais n’a pas tardé à remonter car la rage fait tenir les gens.

Autour, la zone est contrôlée par la gendarmerie à tous les carrefours. Parfois ça passe, une demi-heure plus tard, ça ne passe plus. Une fois ils contrôlent les coffres, une fois, ils photographient les papiers, etc.

Des observateurs ont parlé de « tracteurs vigilants » sur place, qui amenaient du matos et des vivres aux Fosses Noires. D’autres les ont vus « mais ils ne faisaient rien ». D’autres observateurs ont vu des armes à feu ostensiblement portées, on ne peut dire quoi, des famas nous a-t-on dit.

Au soir, l’État pérorait : on a détruit 29 squats (sur l’objectif de 40).

Jeudi 12

L’Hélico a tourné toute la nuit, plus sur l’Ouest au matin. Préparent-ils une destruction par-là ? On craint pour les vaches laitières…

Pour le moment (10h00) pas d’offensive, pas de gazage. Ils contrôlent encore plus serré les accès à la zone. Vont-ils en faire une zone étanche ? Peu probable, sinon les soutiens qui restent dehors vont les attaquer par revers.

On en est réduit aux supputations.

Ce dont on a l’impression, c’est que les keufs ont fait ce qu’ils voulaient, quelles que soient les résistances. C’est la puissance qui impressionne. Le nombre de camions et de blindés, le nombre d’engins de destruction massive, le nombre de keufs engagés. Pour 150 personnes qui squattent des parcelles en friches…

Pendant l’opération César, les potes étaient les maîtres du bocage, sautant barbelés et haies à qui mieux mieux. Les robocops ne pouvant faire 50 mètres dans les champs sans s’essouffler, restaient sur la route. Ils ont appris depuis, et en deux mois de « travaux » en février mars, ils ont eu le temps de prendre la mesure du coin. Cette fois-ci, non seulement, ils maîtrisent la route (des quarantaines de blindés, de camions sont signalés toutes les heures, arrivant ou se déplaçant), mais ils contrôlent très bien le bocage. Ils s’y déploient quelques heures avant l’attaque (c’est ce qu’ils ont fait mercredi matin et début d’après-midi). Par groupes de quelques-uns, ils se montrent et n’ont pas trop besoin de bouger. De fait, ils piègent la foule de warriors et de papis-mamies sur la route devant eux, et les mènent comme un vacher mène son troupeau.

Certain-es estiment que le fait que la zone la première visée soit l’Est visibilise les clivages au sein du mouvement. Une clarification ?

Avec les protestations institutionnelles qui commencent à se manifester (de Bové qui demande un cessez le feu jusqu’aux gendarmes qui s’insurgent, voir plus bas en fin de notes n°14), cela devient un kyste qui dépasse les squatteurs. Le dénouement ne se fera pas sur le terrain mais par téléphone entre « responsables » de tous bords. Mais cela n’empêche pas que la résistance est super importante voire héroïque, vu la disproportion des forces.

Le moral tient aussi parce que cela s’inscrit dans un mouvement social, tout aussi verrouillé qu’avant mais très véner, qui part de tous les côtés : fonctionnaires et cheminots, étudiant-es et migrant-es.

Il tient aussi parce que, à l’extérieur, beaucoup d’actions de solidarité : barrages de 4 voies, occupation de mairies, pique-nique devant Nobelsport, etc.

NB : les potes de la radio font un travail de ouf, 24/24. A entendre leurs voix, ils sont nases, mais gardent leur calme et leur humour. Ils assurent grave les petites pannes et le manque d’électricité. Leur boulot est vital pour la lutte, et ils et elles ne se prennent pas du tout au sérieux. Un petit message (écrit plus que vocal) sympa ou d’infos (y a pas internet à la radio) de temps en temps peut les aider plus que vous le pensez. N’hésitez pas, surtout si vous êtes loin ou en contact avec d’autres radios, ils et elles seront super content-es.

Rappel

Demande de soutien moral, matériel (du chocolat aux batteries 12 volts chargées) et physique, comme chacun-e le sent.

Samedi 13 : d’autres manifs dont Nantes.
Appel à venir dimanche 14 à la ZAD pour « reprendre son bâton » et commencer à reconstruire.
Suivre sur ZAD nadir. Les infos en direct : radio klaxon.

La niaque

[Notes ni totales ni objectives n°13. Vendredi 13 avril.]

NB : il y a des cartes sur ZAD nadir pour vous repérer.

Jeudi 12 avril

La journée a été étonnamment calme. On aurait dit la fin des opérations. Le soleil printanier, les fines feuilles vert tendre aux noisetiers, les épines noires en fleurs et la douceur de l’air.

Les lieux de repli dans les lieux du centre de la ZAD sont bien sûr bousculés, il y a de plus en plus de monde sur la zone, et qui cherchent à manger et à dormir. Des tentes partout, au moins une vingtaine à Bellevue, à la Wardine, des sleepings qui se montent ou se remontent en vitesse. Et les cantines qui turbinent. Lundi, on était à peine 4 pour éplucher pommes de terre et oignons. Maintenant, il y a au moins une dizaine de personnes qui se relayent, des cantines tournent en permanence.

Plein de gens nouveaux, plein de langues nouvelles sur la ZAD.

On reconnaît les nouveaux à leurs chaussures et sacs à dos tout propres. Et ceux et celles qui reviennent « du front » à leurs vêtements boueux, voire déchirés, et à leurs masques qu’ils gardent autour du cou comme des distinctions…

Quand même, au Club Med, il y a l’électricité dans tous les lieux. Alors que sur la ZAD, EDF a coupé l’électricité le long de la route des Fosses Noires et du chemin de Suez. Et pour la cantine du soir, il n’y a que les frontales qui permettent de voir son assiette. Et il y a aussi les portables et les Talkies qui doivent être rechargés. C’est donc une galère de plus… Et aussi la radio qui a besoin d’électricité et qui émet toujours. Comment font-ils et font-elles ?

La réu du soir s’est tenue sous le hangar de l’avenir qui a une électricité d’enfer (car à Bellevue, tout est en ordre). On y voit comme en plein jour. Et des gradins pour faire les AG plus confortablement.

Cette réu des Usages extraordinaire a été aussi verrouillée que d’habitude. Une habitante a tenté de contester le monopole de l’information par le groupe presse. Il y eut donc constitution d’un groupe pour faire un communiqué commun pour le weekend : manif à Nantes et rassemblement de reconstruction à la ZAD (pour la suite, voir plus bas, à l’AG du lendemain...).

Il y eut aussi COPAIN avec qui la préfète a négocié la sortie des tracteurs de la zone contre une annonce de « l’arrêt des opérations ». Macron avait déjà annoncé la veille que « tout ce qui était évacuable avait été évacué », ce qui ne veut absolument rien dire. Une quarantaine de tracteurs (mais sept chauffeurs...) s’étaient postés parfois au carrefour de la Saulce, ou aux Fosses Noires. On les a vus au pique-nique, symbolique, dans le pré en face des Fosses, le jeudi. Le soir, ils étaient à la Vache Rit. Et quelques-uns du côté du Hangar de l’Avenir, à Bellevue.

En direct dans l’AG, Ouest France « numérique » a publié l’annonce de la préfète à 22h15, lue triomphalement par un des leaders de COPAIN sur sa tablette. Le merveilleux du numérique… et des pourparlers en sous-main !

Du coup, tout le monde (sauf les vigies des barricades et les guets aux alentours) est allé se coucher, vers minuit, en se disant que les opérations étaient finies, qu’on était les plus forts, et qu’on pourrait négocier en position de force !

Ah oui, on oublie de dire que très tôt dans l’AG, il a été question d’enlever les barricades pour rendre « les routes circulantes », parlant du syndrome du barricadier dont il fallait se défaire. Il y eut quand même des réactions un peu vives face à cette précipitation de normalisation.

Nous sommes allés nous coucher, sous le ciel étoilé, la fraîcheur qui descendait et surtout le chant des rainettes qui commençait à envahir le bocage…

Vendredi 13 avril

Le chant des rainettes, certes, mais aussi dès deux heures du matin celui de l’hélico qui tournait sur la zone. Du mal à s’endormir un peu quand même.

A 6h30, réveil par l’hélico, à nouveau, qui scrutait la ZAD de son projo hyper puissant. En se levant de son plumard, on avait l’impression de vivre une scène de 1984, l’hélico fouillant dans les maisons par les fenêtres. Brr !

Mais comme dit une copine, c’est beau le bocage le matin quand on voit plein de lucioles cheminer pour aller relever une barricade ou aller faire autre chose…

Pas le temps pour le romantisme. Dès 7h30 on entendait des grenades du côté de Lama, et même à la Saulce. Les GM avaient passé la nuit en retrait au sud de la D281, au Bois Rignoux, comme chaque soir. Et ils sont revenus en force. A pied et avec des colonnes de fourgons. Ils ont tout de suite investi les champs au Sud de la Wardine, ont réveillé les campeurs dans leurs tentes avec des lacrymos et fait des contrôles d’identité. Comment la cantine a-t-elle pu être déménagée aussi vite pour redevenir fonctionnelle en moins de deux heures sur un autre lieu ?

La radio et les talkies annoncèrent tout de suite ce que la préfète avait répondu à COPAIN : fin des évacuations, mais maintenant on passe aux arrestations de personnes ayant agressé les forces de l’ordre.

Aussitôt après la Wardine, les keufs ont investi le chemin de Suez. A la hauteur de l’Ambazada, un immense portail en fer (barricade des lascars) bien barricadé protégeait l’entrée. Ils ont amené un blindé pour défoncer la barricade. Et, rigolade du moment, ce dernier a dérapé dans le fossé boueux. Des photos circulent. Piteux. Un deuxième blindé ne put le sortir, il fallut un engin de levage. Les nains ! Bon, la rigolade fut de courte durée. Pendant près de deux heures, ils ont gazé tout le chemin de Suez jusqu’à la Wardine, pourchassant les gens dans la forêt de Rohanne. Ils y avaient été vus patrouillant dedans la veille...

Ils sont ressortis sur la D81 dont les barricades avaient été pulvérisées la veille et reconstruites la nuit et à nouveau défoncées... D’autres continuaient de gazer le chemin de Suez. Ils sont repartis en fourgons vers les Ardillères, gazant leurs arrières parce qu’ils étaient poursuivis par des défenseurs de la ZAD très véners.

Dans le même temps, ils encerclaient pour la deuxième fois la Grée. Cette fois, il n’y avait pas grand monde, ils ont perquisitionné les locaux, trouvé une ou deux fusées. Un des gars sur le toit a exigé qu’un OPJ lui remette en main propre son mandat d’arrêt. L’OPJ a trouvé cela trop dangereux. Du coup, les keufs l’ont laissé sur le toit et sont partis ailleurs !

On remarque qu’ils ont utilisé trois fois la même méthode en cinq jours. Lundi, ils ont foncé jusqu’aux Vraies Rouges : en 2 heures à peine, ils avaient atteint leur objectif. Ils ont démoli et mardi, ils ont évacué les gravats de toutes les cabanes autour de la D 281. Mercredi, ils ont détruit beaucoup de cabanes de la zone non motorisée qui, du coup, était à nouveau motorisée. Mercredi après-midi, les keufs ont à nouveau gazé tout le monde et avancé jusqu’au carrefour de la Saulce. D’un coup et en moins d’une heure, ils ont repoussé leurs adversaires sur plus d’un kilomètre. Jeudi, ce fut la pause des opérations militaires pendant que les engins de démolition travaillaient. Et vendredi matin, ils ont attaqué la Wardine par le Sud et le chemin de Suez par l’Est et la Grée plus loin. Gaz et grenades. On parle de grenades incapacitantes, aussi.

Et à chaque fois, après leur démonstration de force « on se sent impuissants devant cette société de contrôle » disait une personne hier soir, ils se replient et vont dormir dans leurs hôtels, laissant quelques fourgons au Bois Rignoux.

Ils doivent faire des expériences de contrôle de foule en mode campagnarde, dans les champs et le bocage après s’être exercés dans les cités et les immeubles.

Vendredi, après la pause repas, il n’y eut plus de mouvement de keufs. Ils se sont repliés. Les contrôles des alentours qui s’étaient resserrés pendant la matinée se sont relâchés dans l’après-midi. Seul l’hélico continuait à prendre des infos sur Zone.

Au soir, « C’est l’horreur ! Les gens de l’Est sont revenus » comme disait la femme d’un paysan de COPAIN. Elle s’inquiétait du fait que les indésirables qu’elle croyait éliminés par les forces du désordre allaient encore remettre en cause le processus de négociation. Elle parlait des escarmouches entre gendarmes et warriors, avec quelques barricades enflammées.

Les gens de l’Est se sont déjà mis à reconstruire. La Grée se transforme en ressourcerie. Tout ce qui est récupérable est récupéré, de jour comme de nuit. Les premières cabanes se reconstruisent, obligeant les keufs à revenir sur ce qu’ils croyaient « sous contrôle », comme à la Chèvrerie qui ne se laisse pas démoraliser.

A la réunion de vendredi soir, le communiqué qui devait être commun a été lu. Très consensuel, il aurait pu plaire à tout le monde. Mais il est net que COPAIN veut dicter sa loi. Les occupant-es qui baissaient la tête jusque-là se rebiffent, et devant les menaces de COPAIN, et de la Coord de ne pas signer le texte, ils et surtout elles ont dit : « puisque c’est comme ça, on va écrire un texte beaucoup plus radical. Et vous écrirez ce que vous voudrez. » Du coup, il y eut des tentatives pour recoller les morceaux, et puis chacun est reparti « pour en discuter entre soi ». Il faudra voir à l’AG de samedi soir.

Il est évident pour tout le monde maintenant que la négociation que propose la préfète est un leurre. Elle propose un dialogue tout en envoyant des grenades et en faisant des arrestations. N’empêche. Copain dit qu’il est prêt à négocier si les flics se retirent de la zone. « Mais attention, on parle de zone, mais pas des routes. On comprendrait qu’ils veuillent sécuriser la D281 »… Quant à la Coord, elle se dissocie des occupant-es qui voudraient reconstruire des cabanes. Puisque la préfète a interdit ces reconstructions, COPAIN est sur les mêmes positions, parlant pour le rassemblement de dimanche, de « reconstruction symbolique ». Pour l’avenir, COPAIN compte bien s’opposer au mitage et contrôler les constructions qui se feront autour des bâtis en dur déjà existants. Mais la Coord, comme l’ACIPA, perd en force et en crédibilité, chaque jour un peu plus, dans la tête d’une bonne partie des occupant-es. Ces derniers restent minoritaires dans le Mouvement, cependant. Les élus (CEDEPA) ont été pratiquement virés de la délégation unitaire, puisqu’ils ont dit qu’ils ne reconnaissaient pas l’AG des Usages. Certains veulent se précipiter pour aller négocier un pseudo « cessez-le-feu », qui dans les faits n’a pas eu lieu.

Et l’avenir ?

La réalité montre que l’État ne négociera pas avec les occupant-es. Il continue d’exiger des régularisations individuelles sur base de projets agricoles. Avec des formulaires simplifiés. Il n’entendra pas la proposition de projets collectifs s’il n’est pas maintenu un rapport de force sur le terrain. N’empêche que celles et ceux qui ont conduit le Mouvement sur le chemin de la négociation avec l’État continuent de justifier leurs positions comme si les faits ne leur avaient pas montré leur « erreur ».

Comment se recomposeront les rapports de force au sein du Mouvement, après cette période guerrière ? Les anti-autoritaires reprendront-ils du poil de la bête ? Les paysans de la Conf’ continueront-ils à accepter de négocier avec un Etat qui fait la part belle à la FNSEA ?

COPAIN 44 s’illustre par une absence d’offensive sur la zone. Des tracteurs en nombre (40) mais pas de chauffeurs (7), qui sont en arrière des points chauds, et qui sont pourtant dans les médias, puisqu’on lit (mais peut-on croire les médias ?) que le porte-parole de COPAIN aurait déclaré que les tracteurs protégeaient les habitations. En fait, il n’y eut aucune action semblable à 2012/2015 de la part des paysans pour s’opposer à la militarisation de la zone. Quelques ronds-points bloqués par des tracteurs de COPAIN 35, répondant à l’appel « d’une mobilisation massive » de la Conf’.

Pour la reconstruction, cela va se faire sous conditions. COPAIN et la Coord entérinent la destruction des cabanes de l’Est. Ils n’ont pas l’intention d’aider à leur reconstruction, qui se fera de toute manière, sans leur aide ni leur autorisation. Faudra-t-il alors en arriver à une chasse interne aux « illégaux » pour légaliser les projets de l’Ouest ? La Coord trouve déjà que le « camping des Cheveux Blancs » est trop près de la D 281, et n’approuvera aucune reconstruction d’habitation, et aucune construction à l’Est du Gourbi.

Pour la manif de reconstruction du dimanche 15 avril, qui s’annonce massive, il est prévu de reconstruire le Gourbi « en plus grand et plus beau ». C’est un lieu à l’Est de la D 81, mais bien loin de la D 281. C’est un lieu qui servait pour des réunions et pour le non-marché. Une sorte de construction symbolique pour la manif. On verra les plans pour des Halles qui serviront de lieu de réunion et de divertissement un peu plus tard. De toutes manières : « reconstruit dimanche, le Gourbi sera détruit lundi » clament les plus fatalistes.

Voilà donc vers quoi s’achemine la kermesse du 15 avril : départ 12h00 de Bellevue pour reprendre son bâton planté en octobre 2016. Et défilé jusqu’au Gourbi, mais pas plus loin !

Celles et ceux qui voulaient reconstruire Lama dimanche, ont suggéré de planter les bâtons à Lama, symboliquement, puisque c’est le mot du jour. Cela ne fut pas repris, manière efficace de s’opposer…

Rappelons que ces deux réunions, à Bellevue, sont select : les nouveaux n’ont pas le droit à la parole, il y a même des habitants qui se proposent de faire les videurs allant au contact des nouveaux qui persistent à vouloir donner leur avis, symboliquement bien sûr... Une AG à l’intention des nouveaux « afin qu’ils captent les enjeux et les règles de vie non sexistes, blabla » a lieu chaque soir à la Wardine.

A l’heure où on finit ce texte (samedi matin), on entend les grenades. Il y eut des échauffourées, comme on dit, pendant la nuit à Lama. Les keufs font des incursions éclairs de plusieurs fourgons dans différents lieux, gazage devant la Rolandière (protégeons les livres de la bibliothèque du Taslu !), un aller et retour dans le chemin de Suez, histoire de déstabiliser l’adversaire et de vérifier si les routes et chemins « restent circulants »… Et toujours devant les Vraies Rouges.

Le conseil municipal de NDDL est en train de siéger pour abroger l’obligation faite aux keufs de demander un arrêté municipal de démolition avant de tout bousiller. La cabane des Vraies Rouges, sur la commune de NDDL (les autres cabanes étaient sur Vigneux), compte ses heures...

Pour finir, on voudrait quand même souligner la niaque, moral et dynamisme, des occupant-es, sûrement porté-es par la solidarité qui se concrétise chaque jour, par les messages, les dons et les arrivées de personnes, avec bouclier et masques ou avec cabas et tentes. Les reconstructions commencent, sachant que les keufs redétruisent derrière et qu’ils reconstruisent encore après, etc. La préfète avait annoncé « on ne recommencera pas César », mais comment se débarrasser de ces sangsues qui s’accrochent aux toits, quittent à se cisailler les mains aux tôles, de ces berniques qui s’accrochent à leur lutte sans autre envie que de continuer ? L’Etat peut avoir des analyses fausses : NDDL s’inscrit dans un « climat social » très déterminé et très divers, avec des revendications différentes, mais une rage grandissante. Des expulsions dans les facs, sur les piquets de grèves, dans les squats de migrants, des manifs partout.

Pauvre keuf ! « T’aurais mieux fait d’rester chômeur »… comme le chante Serge Utgé-Royo.

NB : ne croyez pas la presse. Les « zadistes » ne tendent pas la main à la préfète. Ou alors quelques-uns en cachette des autres. La préfète assure que 7 associations se sont déclarées pour être reconnues. La seule qui est officiellement revendiquée est celle appelée « Vivre dans le Bocage » ou un truc comme ça, censée devenir l’entité gestionnaire de la zone, dans les rêves de quelques-uns. La préfète déclare aussi tendre la main avec un formulaire simplifié de déclaration individuelle de projet, en se regroupant ensuite… A l’heure qu’il est, aucun-e zadiste ne revendique devant les autres le fait d’envisager de remplir un tel formulaire…

On s’arrête là.
A chacun-e de tenter de faire son opinion.

Bilan de la médic à la fin de la semaine (samedi 14 avril)

Il y eut quand même des blessés, 150 depuis le début de l’opération (source : Presse Océan), dont 4 ou 5 évacués, un qui a eu une trentaine de points de suture aux mains en se retenant aux tôles du toit de sa cabane. Et des arrestations, une demi-douzaine aujourd’hui. Ce qui est très bizarre, c’est qu’à part un mineur et un autre qui ont été incarcérés, les autres arrêtés sont ressortis après une GAV, sans poursuite annoncée (jusqu’à quand ?). Il y en a même un qui est ressorti sans avoir donné son identité !

Communiqué du groupe médic : Depuis le début de la semaine, au moins 148 personnes ont été prises en charge par le groupe médic’ (ce bilan n’est pas exhaustif : 23 personnes ont subi des éclats multiples éclats de grenades, 8 personnes avec des hématomes avec des phénomènes de compression liés à l’utilisation des Lanceurs de balles défensives, 3 personnes avec des atteintes neurologiques (vertiges, céphalées, confusion...) suite aux explosions de grenades, 1 personne atteinte à l’œil par un éclat de grenade, 3 autres souffrent de baisses d’audition sévères liées à des explosions de grenades…

Convergence des huttes

[Notes ni objectives ni totales n°14.]

Quelques slogans sur les murs de la Grée :
Voilà Macron qui fait son Bachar à la ZAD
Faire la vaisselle, vider le compost, exploser l’Élysée

Dimanche 15 avril

Jour de fête !

En moins de trois jours, un appel à venir sur la ZAD pour reprendre les bâtons et reconstruire a été lancé. Des milliers de gens (entre 5000 et 10000) se sont garés loin de la ZAD, ont transporté matériel de secours, de soin, de télécom, de reconstruction, de bouffe sur leur dos, pendant des kilomètres dans le bocage plein d’eau.

Les keufs, dès le matin, ont eu l’attitude arrogante de lancer des grenades à la Saulce et de tenir la D 81 en plus des D 281 et D 42. Ils ont encerclé le Gourbi, puisque le mouvement voulait reconstruire « symboliquement » une halle pour le non-marché à cet endroit. L’Etat entendait bien dire qu’il contrôlait le terrain et les quelques lascars qui ont voulu forcer le blocus pour se rendre à l’Est ont essuyé des tirs de grenades. Plein d’autres ont fait des détours dans les champs pour rejoindre malgré tout La Grée, mais sans beaucoup de renfort.

En deux jours, une scierie mobile avait été acheminée et s’était mise au travail. Dix charpentiers s’étaient mis à construire une vingtaine de fermes de charpente pour monter deux mini hangars, celui du Gourbi et un autre dans le champ entre l’Ambazada et la Wardine. Sacré efficacité !

Au discours de départ de manif pour aller planter le hangar à la Wardine, pas un mot, pas un seul mot pour les gens qui, au même moment à la Grée, appelaient au renfort pour aider aux vraies reconstructions d’habitation pour dormir, pas seulement symboliques. Silence total sur cette lutte acharnée pour refaire vivre le bocage, silence aussi sur les copains en GAV ou en taule au même moment. Seule la radio a relayé l’appel de la Grée. Deviendra-t-elle le Cronstadt de cette guerre ?

Une foule de gens de bonne volonté est donc venue et a été intégrée à une journée d’activités symboliques dont le protocole était décidé en amont (prendre un bâton, suivre un cortège, applaudir à la construction de ce hangar en bois), sans bien sûr comprendre les enjeux de cette lutte interne au mouvement. De par leur présence, ils ont conforté la lutte, mais quelle lutte ?

Dans la nuit, un groupe d’une centaine de personnes est parti porter l’autre hangar, plus petit, en passant à travers champ, jusqu’au Gourbi. Le hangar a été monté à l’emplacement prévu. Le lendemain, les keufs le dézinguaient et le tronçonnaient. Suffisamment mal pour que les morceaux soient rapportés à la Wardine et que les fermes soient reconstruites pour être reportées au Gourbi une prochaine nuit.

Nos nuits sont plus belles que vos jours...

Lundi 16 avril

Journée de soutien à un copain qui a été chopé à La Grée au petit matin, vendredi dernier. Il a refusé toute la procédure d’identification et de comparution immédiate. Il est britannique de nationalité. Du coup, il s’est pris plus d’un mois de préventive en attendant son procès le 18 mai.

Quatre camions de CRS attendaient les zadistes devant le tribunal de Nantes, ne laissant entrer personne. Avec le copain de la ZAD, comparaissaient plusieurs personnes arrêtées à la manif de samedi à Nantes. Certaines auront leur procès fin mai, et sont ressorties sous contrôle judiciaire.

Le rapport de la légal team annonce que si les premier-es interpellé-es sur la ZAD la semaine dernière sont reparti-es sans inculpation immédiate, les inculpations viendront peut-être ensuite, quand la lutte sera moins solidaire. Les condamnations en comparution immédiate de ces derniers jours sont très lourdes : dommages et intérêts divers s’élevant à 2x500€ + 800€, avec 150 jours de TIG, et du sursis, ce n’est qu’un exemple.

Nous sommes partis pour assister à une AG à Bellevue, sous le hangar super éclairé, avec deux gradins circulaires, fauteuils donnés et bancs faits sur place.

Ce fut une AG super houleuse. Avec engueulades, mais aussi « casse-toi » à l’égard de filles qui n’avaient pas une position majoritaire, des ricanements ostensibles de la part des groupes organisés, des facilitateurs qui coupaient la parole « ce n’est pas à l’ordre du jour, plus court, on n’a pas le temps... ». Une déclaration d’un groupe de soutien de Nantes disait en début d’AG : « on est véners de ce qui se passe, on n’a plus confiance dans une partie des composantes, etc. » Ces personnes furent sifflées, et empêchées de parler, comme d’autres.

Le seul point à l’ordre du jour : la délégation pour la préfecture. Cette AG avait été précédée par une réu entre habitant-es, elle aussi très conflictuelle. Bien évidemment, certain-es voulaient aller dialoguer, d’autres non. Le compte-rendu de cette réu à l’AG du soir était très « unitaire », plusieurs habitantes ont fait remarquer qu’il y avait des oppositions vives à cette idée de délégation : « On ne va pas parler à un Etat qui mutile et condamne nos camarades ! ». Une habitante de l’Est qui dort à nouveau dans sa cabane détruite dans les bois a fait une déclaration très forte, parlant de sa non-vie au quotidien, bloquée par les keufs, se nourrissant de poireaux abandonnés. Elle demandait juste d’exister aux yeux des autres composantes. Et d’être « reconnue ». Les facilitateurs lui ont coupé la parole, il a fallu batailler pour qu’elle finisse ce qu’elle avait à dire. Cela frise l’obscénité.

A la réunion de samedi, la question de la présence des GM sur la zone avait été évoquée. Ce lundi soir, cette question n’a pas été posée. Ou plutôt, l’AG a été facilitée de sorte à ce que cette question qui divise ne soit pas abordée. Divise ? L’ACIPA, sans le dire ouvertement, comprend cette présence du fait des centaines de trublions qui se sont ramenés sur la ZAD ; COPAIN dit, ouvertement, qu’ils demandent le retrait des forces de l’ordre sur la zone, tout en précisant que les routes étant « du commun », ils acceptent de négocier avec les keufs sur les routes pour qu’elles restent circulantes. La fraction CMDO n’a pas envie que les keufs passent la Saulce et s’en prennent aux habitant-es dans l’opposition et vivant à l’Ouest. St Jean du Tertre, fief du CMDO, a même demandé à COPAIN de les aider à retirer les barricades du secteur « pour ne pas attirer ni les trublions ni les keufs près de leurs habitations », sans l’accord du reste des personnes de leur quartier. Les autres habitant-es mettent comme condition à la reprise du dialogue le retrait total des keufs de la ZAD et des alentours. A noter la différence entre « demande » et « la condition est ». Il n’y a pas d’un côté la volonté réelle du retrait et de l’autre la force suffisante pour imposer cette condition.

A l’AG, par contre, ont été abordés les points de condition de reprise de la négociation, dont la pose des ralentisseurs sur la D 281, que la Coord transforme aussitôt en parlant de la « question de la vitesse » sur la D 281. Il était aussi question d’une rencontre « en terrain neutre ». COPAIN a eu une attitude condescendante, et la question est passée sous le tapis. Plus personne ne parle d’amnistie, alors que des condamnations de plus en plus lourdes tombent en ce moment même.

Surtout, il a été débattu des reconstructions. La Coord ne soutiendra aucune reconstruction dans la zone interdite par l’État (tout ce qui a été détruit la première semaine), seulement quelques reconstructions collectives d’une manière symbolique… L’ADECA veut une prise de position telle que qu’aucune construction se fasse près de la D 281, proposition minimale qui réunit beaucoup des participant-es du mouvement et qui implique une reconnaissance de la légitimité des règles d’urbanisme. Copain, à l’image de la Conf’, se déclare contre tout mitage. OK pour reconstruire, mais une « reconstruction réfléchie », expression reprise immédiatement par le CMDO. Cela veut dire : dans les normes, acceptées par une commission habitat interne, et surtout autour des bâtis en dur. Sorte d’éco lotissement, en fait. Les occupant-es qui résistent à ce laminoir veulent une prise de position officielle sur : tout-es les occupant-es qui ont vu leur habitation détruite par les keufs doivent avoir le droit de reconstruire où ils et elles veulent, et que toutes les composantes les aident. Les occupant-es qui résistent ont résisté au chantage de la division et ont bloqué le communiqué commun sur cette question : « en fait la reconstruction est un point de rupture », elles étaient trois à avoir ce courage, quand on sait que les oppositions peuvent se régler dans l’ombre physiquement. Les facilitateurs ont fait un boulot de merde à vouloir faire entrer dans les clous ce qui ne pouvait pas l’être. A minuit, les trois copines n’étaient toujours pas d’accord, mais le rapport de force était tel qu’elles ne pouvaient plus rien faire. La délégation ira bien à la pref…

Une copine disait : « c’est beau le matin, ces lucioles dans le bocage, avant le lever du jour ». C’est aussi beau la nuit, quand chacun-e part trouver un peu de sommeil précaire avant une relève sur un poste de vigie ou de bagarre. Mais c’est la tête lourde et la bouche amère que chacun-e est parti-e ce soir-là, au son de l’hélico qui a continué de tourner jusqu’à 3h00 du matin, éclairant certains coins du bocage.

Et de toute manière ces discussions roublardes, faites de batailles sur un mot et de sous-entendus n’ont aucun sens parce que, pendant ce temps-là, à l’Est se pratique la propagande par le fait. Que les bureaucrates de tous poils le veuillent ou non, les gens sont déjà en train de reconstruire, et de prendre de sacrés risques pour le faire : réels risques de blessures par grenades ou de condamnations pénales.

Pendant ce temps… à l’Est, des gens, pas nombreux et qui appellent à venir les rejoindre, continuent de reconstruire des barricades chaque nuit quand les keufs repartent dormir dans leurs hôtels, continuent d’aller chercher du matos dans les cabanes démolies et que les bennes n’ont pas encore évacuées, continuent à faire un atelier RAP, parce que certain-es ont remis l’électricité qu’EDF avait coupé il y a quelques jours. Elles et ils continuent à se projeter pour faire de nouvelles cabanes. Peu viennent en réu ou AG, mais ils et elles sont celleux qui donnent le plus de fil à retordre aux « forces de l’ordre ». S’il n’y avait pas de personnes à veiller nuit et jour aux avant-postes des barricades, s’il n’y avait pas des gens à braver les grenades offensives que lancent les GM sur des civils qui viennent juste chercher dans les gravats de quoi reconstruire, s’il n’y avait pas des gens pour préparer des pizzas parties, des concerts de RAP, pour éditer le ZadNews en « pleine guerre », s’il n’y avait pas des gens qui, plusieurs fois par jour bravent le blocus des keufs dispersés sur les routes et dans les champs pour isoler « la Grée » et la centaine de personnes qui y dorment, s’il n’y avait pas des personnes qui, avec courage et ténacité, organisent délibérément des réus importantes à la Grée, s’il n’y avait pas toute cette niaque, les GM ne crieraient pas « ce n’est plus un bocage, c’est un bourbier » (Le Monde ou Le Point, mercredi 18 avril).

Dans les assemblées, il y a effectivement un rapport de force défavorable à ceux qui portent une position autonome vis-à-vis des différentes organisations et institutions, pendant ce temps dans l’Est, ces groupes sont par eux-mêmes matériellement forts, mais sont institutionnellement faibles. On pourrait définir ces tentatives d’autonomisation comme un processus remettant en cause la subordination des nécessités matérielles aux logiques d’organisation.

Mardi 17 avril

Mardi, il y eut de nouveau l’hélico à 6h00 du mat, avant le lever du jour, toujours avec son œil lumineux de Big Brother, ne laissant que peu de place au chant magnifique et revigorant des rainettes dans les prairies humides, et celui des fauvettes sur les branches de prunelliers et de noisetiers des haies. Ces chants encourageaient les petites mains qui, avec calme et détermination, allaient à leur taf : barricades, postes de telecom, logistique, cantines…

À Nantes, des gens avaient repris un rassemblement devant le tribunal protégé par les CRS en tenue de combat, pour le soutien aux arrêtés.

À la Grée, les barricades étaient de nouveau remontées et défendues par des potes. Une nouvelle journée de routine commençait : attaque des keufs à la Saulce et à Lama, avec grenades et lacrymos, travail de reconstruction dans l’Est, de relation avec la Pref dans l’Ouest.

Des réunions ont eu lieu à la Grée (et aussi ailleurs, mais on n’est pas partout).

Pour arriver à la Grée, il faut forcer le blocus qui varie ses positions : tantôt beaucoup dans tel champ, sur tel chemin ou route, tantôt ailleurs. Il faut faire des kilomètres, sacs chargés de vivre et de matos, pour déjouer les fourgons ou attendre le moment du repli des keufs à leurs hôtels parce que les routes sont peu ou pas contrôlées à la tombée de la nuit. Le blocus varie aussi en intensité : parfois, les GM courent après les gens dès qu’ils les voient au loin, parfois, ils les laissent passer à quelques dizaines de mètres.

Toujours à la Grée, de nouvelles réunions se font « en non mixité de domination » : CMDO, POMPS, CHIPS et consorts malvenus...

À celle de mardi, il fut question de… reconstruction et de moyens de capter les gens qui veulent aider à reconstruire et qui ne savent pas où aller, puisque les cartes officielles de la ZAD (issues du groupe presse) s’arrêtent désormais aux Fosses Noires. A l’Est, il n’y a sur cette carte que quelques points noirs représentant quelques cabanes dévastées. Difficile quand on débarque à Bellevue de savoir où se rendre pour faire ce pourquoi on est venu.

Il fut donc question de : comment reconstruire et comment acheminer les matériaux qu’on peut encore récupérer et les stocker sur le seul lieu en dur : les bâtiments de la Grée, hangar et dalle en béton qui offrent une énorme capacité de stockage. Ce qui était sous-entendu c’est : peut-on, vis-à-vis des nouveaux ou des anciens qui reviennent, les impliquer dans ce projet en leur montrant qu’il n’y a pas que le projet officiel de reconstruction « réfléchie » et qu’il y en a d’autres qui se mettent en place ?

La question de l’autonomie de cette partie des occupant-es vis-à-vis du reste du « mouvement » (qui est « mort » depuis longtemps, rappelons-le) a été abordée sous cet angle très pratique. Les participant-es se reconnaissent numériquement fort-es et politiquement faibles. Ils et elles recherchent des moyens de communiquer leurs prises de positions qui pourraient intéresser les personnes qui arrivent pour soutenir ces projets.

Il fut proposé de venir en nombre à la prochaine AG des usages pour signifier la rupture avec le processus officiel. Mais y aller, c’est aussi les reconnaître… Et de fait, par leur absence et leurs actions non contrôlables sur le terrain, ils et elles forcent le reste du mouvement, si ce n’est de les reconnaître, du moins de les prendre en compte dans leurs hypothèses pour l’avenir.

Se rejoue, comme pendant l’opération César, l’inégalité de la redistribution des dons matériels (dont 10 000€, rien qu’en soutien financier) qui sont déposés à Bellevue, ou à la Wardine et qui peinent à arriver jusqu’à la Grée.

Il s’agit maintenant de faire de la Grée un nouveau pôle d’arrivée des sympathisants : cantine, sleeping… Iront à la Grée des gens qui non seulement sont valides et capables de jouer au chat et à la souris, mais aussi ne sont pas ligotés par la propagande officielle du « mouvement » qui organise un silence destructeur sur ce qui se passe à l’Est.

L’opération RPP, mise en œuvre en 2012/2013, reprend donc : Récup, Pillage, Partage. Il s’agit d’aller chercher les dons où ils sont concentrés, et de les mettre à disposition de celleux qui en ont le plus besoin. Il s’agit de se donner les capacités de reconstruire de manière autonome. L’autonomie concrète dont on vient de parler n’est possible que si ils et elles sont en capacité d’imposer l’autonomie politique.

Ce qui n’a pas été discuté, c’est la manière de diffuser l’information, il s’agit de briser un blocus médiatique qui vient là du groupe presse interne, sans utiliser les moyens de com’ médiatique, plutôt pédagogie par la pratique. Cela prendra du temps pour percer le silence.

Mercredi 18 avril

Dès le matin les attaques à la Saulce ont repris. Les blindés sont revenus sur la D 281. L’opération du jour est de couper l’électricité qui avait été remise artisanalement. Les gens de la Grée avaient de l’élec et pas les voisins extérieurs à la ZAD qui, privés d’électricité se sont vus dotés (qui va payer ?) d’énormes groupes électrogènes devant leurs maisons. Une trentaine a fleuri en moins de 24 heures dans le voisinage.

Les barricades sur la route des Fosses Noires, qui bouchaient la route mardi soir ont été déblayées mercredi matin pour faire passer un camion de 17 tonnes ENEDIS qui s’est occupé de trois transfos autour de la Grée. Les keufs entourent la Grée pour la journée…

Message sur le téléphone d’urgence : AUJOURD’HUI LES GM JOUENT AVEC L’ELECTRICITE. Rappel des épisodes précédents : mercredi dernier lors d’une attaque massive les gendarmes ont pris position autour de la Grée et coupé l’électricité aux différents lieux de la zone. Enedis, contacté, a affirmé que la gendarmerie refusait de les laisser rétablir le courant. Un petit lutin s’est donc occupé de rétablir l’électricité quelques jours plus tard. Ce matin, sous couvert de protéger Enedis qui vient vérifier que le rétablissement n’est pas dangereux, la gendarmerie lance une opération imposante, plusieurs centaines de gendarmes mobilisés, deux blindés, le GIGN, une équipe cynophile, les drones... parce que plutôt que venir à pied ils préfèrent attaquer systématiquement toutes les barricades de la zone, encercler la Grée, prendre position devant les Fosses Noires en bloquant - une fois de plus - l’accès au camping des cheveux blancs... on a eu des témoignages de gens qui se sont fait tirer dessus dans le dos alors qu’ils partaient de la Grée en courant, d’autres qui ont reçu des grenades assourdissantes sans sommation.
Mise à jour 11h52, l’élec est revenue, par contre l’accès à l’eau du réseau a été coupé. Le sous-préfet Stéphane de Riboux, présent sur place, prétend ignorer d’où vient l’ordre. A suivre…

Un chantier collectif de maraîchage aux Rouges et Noires est prévu dans l’après-midi… Ce maraîchage qui alimente le non marché a été bombardé de lacrymos. Toute la première semaine. Mais les personnes qui s’en occupent ne baissent pas les bras et y retournent, alors que la zone est toujours occupée par les keufs, par des centaines de keufs (les fourgons arrivent par 20, 30, avec 10 GM en moyenne dedans).

Message sur le téléphone d’urgence : La semaine dernière le chantier des Rouges et Noires n’a pu avoir lieu pour cause de charges de gendarmes extrêmement violentes. Cette semaine il n’est pas question de renoncer, appel donc à venir jardiner, aujourd’hui, avec des masques à gaz s’il le faut ! La ZAD vivra, on ne renoncera pas ! 

Pour finir, bien sûr, on n’est pas dupes, mais on ne résiste pas à vous partager cet extrait d’un article de France Bleu :

« LES GENDARMES SONT EPUISES !
Les gendarmes mobilisés depuis le 9 avril sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en ont-ils ras-le-bol ? Oui, répond Gendarmes et Citoyens, association professionnelle nationale militaire créée en 2008 pour "défendre les intérêts collectifs et individuels des militaires de la gendarmerie".
(...) "déblayer le terrain et avancer, ça on sait le faire, il n’y a pas de souci. Le problème c’est que derrière, il faut le tenir le terrain et quand on vous donne l’ordre de reculer et de ne plus tenir le point que vous avez dégagé, ça sert à rien, ça n’a aucun intérêt."
"Le maintien de l’ordre sur la ZAD est quelque chose de très compliqué et lorsque ça s’inscrit dans la durée, c’est extrêmement usant et fatigant pour les militaires". Le militaire ajoute que s’il communique aujourd’hui, "c’est parce que l’inquiétude des gendarmes sur le terrain à Notre-Dame-des-Landes est massive".
Mieux encore, ils menacent de lâcher l’affaire : "Quand un militaire commence à réfléchir à la pertinence de son engagement dans une mission ambiguë sur le résultat à atteindre, il s’approche dangereusement vers une forme de désobéissance passive", préviennent-ils.
 »

C’est con, étant militaires, les gendarmes n’ont pas le droit de se syndiquer, on leur suggère donc, à défaut de pouvoir exercer leur légitime droit de retrait, de se faire porter pâle... ou mieux encore de changer de vie et de démissionner : il n’est pas trop tard pour trouver une activité utile !

Heureusement, les femmes de gendarmes, s’inquiètent pour leurs maris. Elles réclament plus d’armes pour les protéger contre les dangereux radis-co.

Signe ou saigne

Titre d’une chanson de ZSR, ZadSocialRap

[Notes ni objectives ni totales, n°15.]

Mercredi 18 avril

La délégation est repartie à la préfecture. Les keufs sont sur zone, harcelant les défenseurs dès 7h00 du matin parfois. Un des « curseurs bas » était qu’il n’y aurait pas de délégation « si les expulsions étaient imminentes » ou si les keufs étaient sur zone. Les deux conditions étaient plus que réunies, après neuf jours d’occupation militaire. Mais la délégation est repartie à la Préfecture. Cette fois le ministre de la transition écologique et solidaire était venu les rencontrer à Nantes.

« S’en sortir, c’est se soumettre à l’appareil »
Herbert Marcuse

Que fallait-il attendre de cette réunion ? Les délégués sont venus réitérer leur demande d’une gestion collective des terres, le gouvernement, inflexible, est venu mettre une pression qui, cette fois-ci, a été efficace. Il faut avoir rempli un formulaire simplifié, avec nom, adresse, projet et n° des parcelles convoitées avant le 23 avril. Sinon, « la main de l’État restera ferme » et les expulsions recommenceront.

Ce que fut l’AG de retour de délégation, on n’en sait rien, on n’y était pas. Selon quelques participant-es, elle fut plutôt amorphe. Les gens accusant le coup, puisque la délégation revint sur le mode de convaincre le plus possible de personnes de signer ce fichu formulaire avec projet, agricole ou non, dans l’espoir de « bénéficier » d’une Convention d’Occupation Précaire, une COP.

Rappelons que depuis des mois, la commission hypothèses pour l’avenir, émanation de l’AG des Usages, étudie l’option d’une entité qui gérerait collectivement les terres de la ZAD. C’est l’idée du manteau cachant le corps : une entité couvrant à la fois les activités légales et illégales des occupant-es. Cette administration centrale interne a eu du mal à se faire accepter par la plupart des occupant-es. Il y en a encore qui n’en veulent pas, et ne sont pas prêt-es à reconnaître une telle autorité. Qu’ils et elles soient rassuré-es : l’Etat non plus ne veut pas en entendre parler, et lui est en position d’imposer son refus.

N’empêche que la délégation, soi-disant mandatée sur ce point (pas par tou-tes les occupant-es) présente depuis février à chaque réunion « la petite histoire », comme dit l’un des délégués, de cette association Pour un avenir commun dans le bocage. Réunion après réunion, la délégation recule, step by step, tout en revenant vers les mandants en leur racontant la petite histoire de « on les a bien eu. On accepte ce que la préfète demande, mais c’est pour mieux contourner ses directives ». Qui croit à cette petite histoire ? Peut-être même pas les délégués...

Jeudi 19 avril

Presque tous-tes les habitant-es de la ZAD furent démarché-es par les proches de la délégation qui s’étaient répartis chacun un quartier. Les pressions, la culpabilisation (« si tu ne signes pas, le processus est bloqué »), la peur d’être expulsé-es, le sentiment de no future, le découragement firent que, dans la plus grande majorité des lieux, il se trouva des personnes pour remplir et signer ce formulaire. Parfois en y croyant sans le dire, parfois par dérision. Au soir du 19 avril, il n’y avait plus que 7 lieux de vie (les lieux détruits ne comptent plus) qui avaient refusé de signer.

Et c’est maintenant une ambiance délétère entre celles et ceux qui ont signé, et les autres. Parfois à l’insu des autres. C’est ainsi qu’à la Grée, vendredi midi, personne ne savait qui, dans le groupe, avait ou non « signé ». Dans d’autres lieux, il a suffi que quelques membres du collectif acceptent de « signer » pour que le lieu soit déclaré « signataire ». C’est ainsi que les Habitant-es de l’Est sont déclaré-es « proactives dans le processus »... Les habitant-es du Rosier ont même appris à l’occasion que leur voisin, éleveur de moutons, avait créé une association sans leur dire, sur des parcelles relevant de fait du Rosier. Vous imaginez l’ambiance, aggravée par la fatigue, la mauvaise digestion des couleuvres avalées précédemment, et la pression des futures expulsions.

Les partisans de la signature de ce formulaire disent que c’est un moyen légal pour faire montre de bonne volonté et pour éviter la reprise des expulsions. Les adeptes de la résistance pointent le risque de triage au sein des occupant-es, d’auto-dénonciation pour les répressions futures et de fragilisation de celles et ceux qui ne pourront ou ne voudront pas entrer dans les cadres administratifs.

Evidemment les individus qui vont accepter de se légaliser devront accepter les diktats de l’administration par la suite et devront aussi se soumettre aux lois du marché capitaliste, puisqu’il leur faudra devenir rentables, en payant toutes les taxes. Ce qui tue les petits agriculteurs de la « société réelle », qui croulent sous les normes, va étrangler ces nouveaux paysans qui se sont d’ores et déjà passé la corde au cou. Comme le dit un-e occupant-e : « ce qui m’inquiète, ce n’est pas ce que deviendra la ZAD si le processus de légalisation ne réussit pas, mais ce qu’elle deviendra s’il réussit. »

Vendredi 20 avril

A la Wardine, une partie des habitant-es se sont senti-es obligé-es de faire une réunion impromptue au sujet de ces signatures, à l’adresse des gens arrivés pour soutenir la ZAD (quelle ZAD ?) depuis le 9 avril. En effet, il est difficile de comprendre, quand on n’a pas les neurones formatés Zadistes, comment il est possible de se soumettre aux injonctions de l’Etat dans de telles conditions : 275 blessés dont 10 graves, 11 000 grenades et 60 interpellations, 4 personnes en préventive, et des condamnations lourdes. Les raisons des appels à soutien très en sourdine étaient incompréhensibles pour les personnes venues, au nom d’une ZAD rebelle et autonome, faire de la chair à canon. L’un des occupants laissa échapper, au cours d’une réponse un peu tendue :
« On ne peut élever des moutons et appeler à aller aux barricades ».

Cette justification fut faite de manière lisse, sans rappeler que les différentes prises de positions s’expliquent par les différents intérêts défendus par les un-es et les autres, et par les différentes manières de mener cette lutte, dans la phase intense que l’on connaît. Sans dire non plus que, quelles que soient les positions des occupant-es, c’est « en haut lieu » que se prendra la décision politique de reprendre l’éradication d’une partie de la ZAD tout en menant la normalisation de l’autre partie.

Heureusement que le temps estival et surtout la nette diminution de la pression permettaient une relative détente. Comme dans un pays occupé, le fait que les forces de répression, que les bombardements n’aient pas lieu pendant quelques jours, permet de recroire à la beauté du monde et à la chaleur des relations entre potes. Le non-marché, tenu envers et contre tout, fut le lieu de discussions dans l’herbe ou à l’ombre des jeunes feuilles de chênes.

Le soir, une AG extraordinaire fut bien moins bucolique. Les délégués ont commencé à raconter sur le mode burlesque et caricatural leur entrevue avec les administratifs de la préfecture. Ils avaient déposé 35 dossiers, dont 29 avec des activités agricoles. Ils voulaient tromper l’administration avec des projets nominatifs imbriqués les uns avec les autres sur une même parcelle ou différents projets dans un même lieu de vie. Cette manière de présenter ce renoncement ne fit qu’exaspérer l’auditoire, fait de nouvelles recrues qui ne sont pas aussi blasées que les zadistes de longue date.

Les délégués furent malmenés. A la question : quel mandat justifie une telle attitude de votre part, ils ne purent que répondre « le mandat de confiance de l’AG des usages ». A celle de savoir pourquoi ils acceptaient les injonctions de l’Etat alors que les keufs ne sont pas partis de la ZAD (en fait depuis fin janvier, date du début des travaux sur la route des chicanes), ils bottèrent en touche : « il était bien dit qu’on n’irait pas négocier si les forces de l’ordre étaient sur zone, mais l’AG des usages nous a demandé d’y retourner (?). Si c’est une erreur, c’est l’AG qui s’est trompée, pas nous ». La mauvaise foi atteignit de belles proportions quand il leur fut demandé quelle légitimité ils avaient. L’un des délégués répondit « on n’était pas candidat-es pour être délégué-es, nous avons été désigné-es par les potes. Ce n’était pas des élections. Nous ne faisons rien de notre chef. » Bref, la responsabilité n’est pas des délégués, mais de l’AG... Rien pourtant ne les empêche de démissionner, si ce rôle de « bouffon », comme ce délégué l’a lui-même reconnu, ne leur convient plus. « Ce n’est pas forcément malin d’aller à la préfecture, c’est peut-être plus malin de défendre la ZAD sur les barricades, mais c’est ce qu’on nous a demandé de tenter. Alors, on le fait. »

La préfète a « apprécié le travail colossal » des occupant-es ayant rendu ces dossiers. Mais elle ne prendra en compte que les dossiers agricoles : « Sur les 29, il y en a 7 qui ne posent pas de problème, 18 qui sont sur le point d’aboutir, et le reste qui pose problème. » Elle aurait dû être prof ! On a l’impression qu’elle est en train de rendre des copies. Sauf que dans ce jeu de triage, accepté par une partie des occupant-es, il y en a qui jouent leur présence sur la zone et leur rêves fracassés dans la normalisation.

Pendant ce temps-là, à la Grée, et dans les cabanes autour, la vie continue. Peu de gens de l’Est à ces réunions, puisqu’ils disent qu’ils ne voient aucun délégué de l’Est sur les photos des médias. Ils continuent à appeler des soutiens pour construire un sleeping, et reconstruire quelques abris. Mais l’énergie des jours précédents baisse d’intensité : la fatigue, l’isolement (même si une rupture est souhaitée visiblement par certain-es), la répression (le procureur a menacé de 6 mois ferme pour toute tentative de reconstruction), la chaleur aussi qui cloue les gens à l’ombre.

Il y a toujours une multitude de réunions dans tous les coins et tout le week-end, d’un côté pour peaufiner les dossiers, de l’autre pour se regrouper et écrire un texte contre la légalisation de la zone, de l’autre pour continuer à trier les décombres et encore d’un autre côté pour siroter une bière entre potes à l’ombre d’un auvent improvisé.

Si mardi 24 ou mercredi 25, il n’y a pas de reprise des hostilités, ce sera une manière d’acter la partition de la ZAD. Et si la répression s’abat mardi, il y en a qui joueront leur peau. Nous disons cela parce que dans le bilan de la medic team, il est dit que l’équipe redoute le risque de morts, au vu de la violence des combats.

PS : Samedi et dimanche : dans l’œil du cyclone

Les réunions se chevauchent tellement qu’il y en a de programmées à 22h00. Qui peut tenir ce rythme ? Il est sûr que le lobbying pour faire signer les gens a été ressenti comme odieux par beaucoup de monde. Et des opposant-es tentent d’écrire des textes, jusque tard dans la nuit, pour comprendre et faire comprendre ce qui se passe « aux soutiens », ce qui n’est pas simple.

Sans oublier les concerts et les moments d’enregistrements de chansons, rap ou autres...

Pendant ce temps, à la Grée et dans les alentours, plein de gens creusent des tranchées, montent des barricades, reconstruisent la petite Chèvrerie, qui attend le loup avec détermination. Ils et elles accrochent des hamacs un peu partout dans les arbres, fabriquent des tours et des tripodes qu’ils et elles placeront à des endroits stratégiques, de nuit, et sur lesquels se percheront des volontaires, à l’arrivée des keufs. Si ces lascars ne font pas la Une des journaux, ce sont elles et eux qui tiennent la dragée haute aux keufs. Avec la force de l’évidence qu’il n’y a que ça à faire. Heureux de cette dynamique bordélique et énergique. Horizontale.

Pendant ce temps, ils lâchent (du) l’est

[Notes ni totales ni objectives n°16. Semaine 23 / 29 avril.]

Côté cour : à quand le logo « made in ZAD » ?

La reddition est en cours d’acceptation par le gouvernement. On attend le verdict pour celles et ceux qui ont refusé de participer à cette capitulation en rase campagne. Mais tout « ceux qui comptent » se félicitent de la bonne tournure de ce processus.

Que ce soit la préfète qui « apprécie le travail colossal » du CMDO, l’Etat qui est tellement soulagé de cette « sortie de crise » que la préfète a même dit que ses services accompagneraient les dossiers qui ne sont pas acceptés pour qu’ils puissent entrer dans les clous. Le premier sinistre repousse la date de l’ultimatum au 14 mai, jour d’une nouvelle réunion. Deux semaines pour faire jouer le piège de manière d’autant plus efficace que les autorités internes auront le temps de faire pression sur les récalcitrants.

Les composantes aussi sont soulagées. Un des fleurons, Marcel Thébaut, paysan historique, trouve « réconfortant » de pouvoir travailler avec des « personnes qui pensent que la société va de travers », que c’est un « encouragement pour l’avenir ». Ce n’est pas une caricature. Quand on a entendu cette même personne rembarrer en AG de façon très méprisante ces « anarchistes » qui ne pensent pas comme lui, on ne peut que se réjouir de comprendre enfin que le CMDO pense juste que la société va de travers.

La Conf’ est rassurée au vu de cette quarantaine de dossiers qui ont été déposés et dont elle a parrainé une partie (des paysans cautionnant les dossiers présentés par des personnes qui n’ont pas de diplôme agricole) et se dit prête à aider à l’installation de ces jeunes postulant-es.

Et les paysans de la CLIC se relayent auprès des médias pour faire preuve de leur soumission, chacun-e baissant la tête un peu plus bas que l’autre. Les 100 noms déclarent avoir pucé leurs brebis après l’expulsion de leur lieu de vie. Un maraîcher à la Noé Verte, avoue payer ses cotisations MSA « avec enthousiasme » et ne pas avoir peur de payer les taxes que l’État lui demandera. Le brasseur aux Fosses Noires clame qu’il a construit son hangar « aux normes » et les bruits courent qu’il a même pris sa carte d’électeur... Tous ces gens espèrent bien continuer à exploiter une main d’œuvre bénévole pour continuer leur business. Avant c’étaient les zadistes qui les aidaient, en contrepartie de produits apportés au non marché ou autres services internes. Il ne faudra plus compter sur elleux. Mais il y aura toujours des citoyennistes qui paieront de leur personne pour faire fonctionner ces nouvelles exploitations agricoles. Il y a bien des stagiaires prêt-es à payer financièrement pour travailler dans des fermes biodynamiques de renom !

Et tout ça avec bonne conscience, puisque, par ce processus, ils disent « protéger tous les lieux ». Tous ces dossiers sont liés à des parcelles. Cela ne préjuge pas de l’acquisition de la terre. L’État va laisser fonctionner le libre jeu du marché.

Le premier sinistre, le jeudi 26 avril, a dit clairement que ceux qui « ont compris que nous étions déterminés et qui veulent rentrer dans le droit chemin » devront se plier au droit commun. Ah ! le fameux commun qui est revendiqué par ceux qui constituent « la direction » d’un mouvement déjà mort... Les dossiers acceptés par la préfète (28 d’après le premier sinistre) auront juste le droit de participer à la concurrence avec les autres agriculteurs. Et ceux qui espèrent toujours que la préfète, sévère mais juste, gardera la main en octobre quand la Chambre d’agriculture (tenue par la FNSEA) entamera le processus de redistribution des terres, tomberont encore sur leur cul. Une fois de plus...

Ces futur-es exploitant-es ne sont plus en mesure, même si un jour ils et elles l’avaient envisagé, de lutter contre les normes. Normes qui étranglent les petits agriculteurs immergés dans le marché capitaliste et le carcan administratif. Ils et elles croient qu’en se pliant aux règles qui tuent les voisin-es, ils seront épargné-es. Quel triste avenir pour elles et eux et pour les agriculteurs hors normes qui espéraient s’appuyer sur cette lutte pour mener la leur.

Et puis on est loin du travail « colossal » fait par la commission « hypothèses pour l’avenir » de cet hiver : « l’Etat restera propriétaire et il nous confiera la gestion des 1650 ha par le biais d’un bail emphytéotique. C’est notre association qui dirigera tout ça. Et si on n’a que les 250 ha, ce sera un échec, parce que ce sera parcellisé, et donc on sera entourés de méchants productivistes. ». Les dossiers signés récemment « couvrent » à peine les 250ha gérés depuis 2013 par « Sème ta ZAD ». Aux yeux mêmes de ces légalistes, c’est un recul sur leurs anticipations.

Et bien sûr, on ne parle plus de la zone qui est désormais interdite. Les personnes qui y habitaient sont deux fois éliminées : dans les faits par la destruction de leurs cabanes, dans les pensées par la non mention systématique de ces personnes dans les discours. Le procureur menace de 6 mois de taule toute tentative de reconstruction. Personne ne soutiendra ces occupant-es qui ne veulent pas de négociation. Ils n’auront de soutien que par eux-mêmes, ce qui renforcera un processus d’autonomisation déjà en cours depuis la destruction de Lama Fâché.

Il est clair dans les faits, même si c’est nié avec véhémence, même si les gens qui le constatent à haute voix sont traités de calomniateurs, que l’Est est rasé et rayé de la carte (au sens propre, il n’y a qu’à voir les nouvelles cartes publiées sur zad.nadir), que plus personne n’en parle, pendant que d’autres préparent leur avenir légalisé.

Côté jardin : ni un paso atràs

Les opérations militaires offensives pour casser les cabanes sont stoppées depuis deux semaines (jeudi 12 avril).

Le Figaro estime à 5 millions d’euros le coût de cette opération depuis le 9 avril, ce qui n’est pas démenti par le premier sinistre. Il est probable que cela soit bien plus : 300 000 euros par jour en moyenne depuis 20 jours. Plus 11 000 grenades à 60 € de moyenne. 1500€ l’heure d’hélico, etc. Plus le coût des soins des keufs qui se font éclater leurs propres grenades sous eux... Coté répression judiciaire, les condamnations en comparution immédiate sont lourdes, il y a systématiquement des mois de sursis (et même de prison ferme) et des amendes de plusieurs centaines d’euros à verser aux keufs qui ont porté plainte !

Et voilà, tous les jours les keufs créent des « points de fixation », ils arrivent à une trentaine de fourgons minimum sur la route des chicanes ou sur la route des Ardillères, bloquent une ou deux routes. Puis au bout de quelques temps, ils font descendre la piétaille qui se disperse dans les champs ou s’engage dans un chemin. Bien sûr, ils rencontrent des barricades ou des barrages humains. Après un face à face statique, ils font « une dernière sommation » puis gazent et chargent.

Mardi, du côté de Lama alias Lamassacré, alias Lamatraqué, mercredi, du côté de Bison Futé ; jeudi du côté de la Saulce et de la barricade des Lascars ; vendredi à la fois aux Fosses Noires et à Lascars. La Grée est toujours dans le collimateur, sans intrusions pour l’instant : encerclement, contrôles d’identité en sortie de la ferme, poursuite dans les champs des gens qui y vont ou en viennent, etc.

Quels sont leurs objectifs ? Ils ont la suprématie dans le domaine militaire. Au bout de presque trois semaines d’opération, à quels résultats sont-ils arrivés ? Quel est leur plan d’ensemble ? Ils arrivent tôt le matin, précédés d’un vol d’hélico pour commencer à mettre la pression. Ils déblayent les routes encombrées la nuit, à coups de confrontation et de gazage, ils se dispersent dans certains champs, poursuivent ou non les gens présents, ils « sécurisent » une zone pour que les tractopelles et les bennes évacuent les restes des cabanes. Puis vers 19h, ils repartent à leurs hôtels, laissant la zone libre pour toute action rebelle et nocturne. Et ça recommence le lendemain.

Certain-es pensent que les keufs font des expériences de maintien de l’ordre en terrain bocagé, qu’ils apprennent ainsi à perfectionner leurs compétences répressives, qu’ils essayent des nouvelles grenades. De l’autre côté, les opposant-es renforcent aussi leurs compétences insurrectionnelles ! Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont très réactifs quant aux reconstructions de ruines (la Sécherie) ou de cabanes (La Chèvrerie). Ils n’hésitent pas à venir en convoi suréquipé pour reboucher un trou qui sera recreusé la nuit suivante.

Ils essayent de récupérer tout le matos des cabanes qu’ils ont détruites, 185 bennes à ce jour pour 33 habitats expulsés (d’après le recensement off de la ZAD). Pour qu’il ne reste rien.

Pour cela, ils bloquent la D 42 et la D 281 qui encadrent la zone à raser, ils fixent les résistant-es dans un endroit éloigné de leur véritable objectif, par la manœuvre décrite ci-dessus. Et ils peuvent embarquer des dizaines de tonnes de gravats en loucedé.

Ils continuent à faire des blessé-es, parfois graves, ils lancent les grenades en tir tendu, ce qui provoque beaucoup de blessures au visage (il y eut même des casques explosés), au thorax, aux membres ou aux parties génitales. Ils continuent aussi à faire des interpellations, avec « simple » contrôle d’identité ou garde à vue, les personnes sortent sans poursuite (immédiate) ou avec une date de procès. Il y a 4 personnes en préventive pour plus d’un mois dans l’attente de leur procès. Ils continuent à prendre des renseignements pour la répression des mois à venir : photos, enregistrements, relevés de plaques minéralogiques, fouilles des véhicules qui arrivent et repartent.

Ils forcent de l’ordre, on force le désordre

Du côté des occupant-es (à nuancer avec les habitant-es qui n’occupent plus mais ont bien l’intention d’habiter la zone), il n’y a pas de démoralisation, ou pas longtemps ou pas tous en même temps. Loin des réunions à n’en plus finir et des textes qui se ressemblent, souvent écrits dans la précipitation et l’énervement, ils pratiquent la propagande par le fait. Ce sont eux et elles que le premier sinistre vise, celleux qui n’ont pas « vocation à entrer dans le droit commun » et qui, en plus le revendiquent. Ce sont eux et elles qui devront être parti-es au 14 mai, et qui sont visé-es par les militaires qui les gazent et les interpellent.

Ce que les keufs détruisent le jour, ils et elles tentent de le reconstruire la nuit ou le week-end, quand les keufs sirotent leurs bières au bord de la piscine de leur hôtel. Ils ont reconstruit ce week-end la Chèvrerie, qui a été détruite lundi matin, ils et elles la reconstruiront. Ils et elles construisent des tours et des tripodes, pour se jucher dessus, ils et elles installent des habitats précaires en hauteur, ils et elles transforment la Grée pour accueillir des dizaines de personnes, en camp autogéré.

Ils et elles détruisent, la nuit, la route D 281 avec de grands feux qui brûlent le macadam tout frais, ils et elles y font des tranchées, et y étalent tous les détritus que les keufs ont dû stocker aux abords, parce qu’ils ne se sont pas bien organisés pour les évacuer avant l’arrêt du travail. Des dizaines de mètres de poutres, de pierres, de merde en fait, que les keufs doivent déblayer le lendemain, pendant que les autres sont parti-es vivre leur vie ailleurs.

Ils et elles ont encore l’énergie pour organiser un jeu de rôle GN « Passe à l’Est » pour le WE.

Ce n’est pas pour ça qu’ils et elles ne réfléchissent pas à des actions en direction des autorités internes. Mais ceci sera une future histoire...

Au début du week-end, la presse annonçait que 1000 GM seraient retirés de la zone. Il n’en restait « plus » que 1500 ! Font-ils des économies de budget ou jugent-ils que la situation est « sous contrôle ».

La banalisation de cette occupation militaire est moins attirante que les journées d’affrontement militaire. Les activités de logistique, de coulisses sont moins racontables aux potes restés « au pays » que les charges et les poursuites, les blessures et le stress ! Il semble qu’il y a progressivement dans la semaine une désaffection des soutiens.

Absence de soutien de la part des agriculteurs dans leur majorité, rien à voir avec la complicité vécue pendant l’opération César de 2012. La Conf’, maintenant, est à son affaire : le parrainage des habitant-es qui rentrent dans le droit chemin... Pas en appui logistique pour les occupant-es qui résistent aux forces de répression.

Devant les Fosses noires, un panneau peint à la main dit explicitement : « Ici c’est un lieu qui n’a pas voulu ni amorcé les affrontements avec la police. Ne viens pas te réfugier dans la cour si tu es poursuivi au cours d’une charge. ». De même à l’Ambazada, lieu qui affiche sa non-violence, il est écrit qu’on ne rentre pas dans ce lieu si on a une arme ou un masque...

Week-end 28/29 avril

Un fort coup de rage a encore balayé les occupant-es, éclaboussant au passage les soutiens de toutes sortes. Le CMDO, encore lui, avec ses « larbins », encore eux, ont lancé jeudi un « appel à laisser les routes circulantes », hors période d’expulsion. Comme d’habitude sans concertation. Après le coup de la route des chicanes, ils arrivent encore à menacer : « Les barricades et obstructions faites en dehors des journées d’expulsions font monter grandement le ressentiment au sein de la population locale. Sans le soutien de celle-ci, qui est aujourd’hui rendu extrêmement fragile de ce fait, il nous sera très difficile de gagner les batailles à venir et sans doute impossible de nous projeter ici dans le futur. »

Pour les personnes expulsables, c’est de toute manière no future sur la ZAD, sauf à tenter d’imposer leur présence. Au même moment, la Rolls (la Rolandière) organisait une réunion privée intitulée « Nos futurs ».

Ce qui met le plus en colère, c’est le processus autoritaire de décision et le mépris dans lequel cet appel à débarricader s’est fait, et son application pratique : dans le secteur du Rosier, une réunion de quartier, où les résistant-es n’étaient pas, a décidé d’ouvrir la barricade sud, et a utilisé dans la foulée un tracteur pour transformer ladite barricade en chicane. Pareil dans le quartier grand ouest où St Jean du Tertre a appelé des paysans pour démonter les barricades qui protégeaient aussi les voisins de Pré faillite qui, eux non plus, n’avaient pas été concertés. Tiens, il y a encore des tracteurs sur zone ? Autre manipulation, certaines personnes de bonne volonté, se disant être les porte-paroles des voisins (mais habitant Nantes ou St Herblain) et des occupants de la ZAD, sont venus samedi porter une lettre aux creuseurs de tranchées (des bénévoles extérieurs). Ils portaient le message éculé maintenant : les voisins vont vous lâcher si vous continuez avec les barricades. Au cours de la discussion, ils ont admis que ce sont les flics qui les emmerdaient le plus.

Pendant ce temps-là à l’Est, malgré une affluence décroissante à la Grée, un jeu GN « Passe à l’Est » était organisé pour le weekend. Début à 5h00 du matin, avec pour objectif d’envahir la zone non motorisée, d’y porter du matos de reconstruction. Un jeu de gendarmes et voleurs, grandeur nature pour le coup, qui obligea les GM à travailler sous la pluie un dimanche.

D’autres groupes avaient organisé une action « repotagère » pour replanter et ressemer dans les jardins de l’Est, dévastés par les chenilles des tractopelles.

Se doutent-ils de quelque chose ?

[Notes ni totales ni objectives n°17. Première quinzaine de mai.]

Petit cours de novlangue appliquée

Les réunions se multiplient tellement que même les grand’ messes (l’AG des abusages, par exemple) sont annoncées à la va vite, par texto sur des listes affinitaires. Du coup, personne n’y est sauf ceux et celles qui y sont les bienvenu-es. Il paraît que la dernière en date, celle de mercredi, a été recadrée par un porte-parole de COPAIN. Il y avait eu trop de perturbations à la précédente, des personnes osant intervenir hors tour de parole, osant ne pas se taire sur injonction, osant tenir tête aux nervis.

La délégation du Mouvement se fait de plus en plus réduite : les délégués des habitant-es, un naturaliste sans lutte et un COPAIN. Les autres sont retournés à leurs affaires.

Il y eut deux entrevues bilatérales entre cette délégation et les services administratifs de la préfecture. Sous mandat rétroactif de confiance...

On se rappelle qu’il y a un peu moins de deux semaines, le délégué CMDO était revenu informer l’AG du mouvement de la séance où la préfète les avait félicités pour leur travail colossal. Il avait fanfaronné en disant que le montage fait par la délégation était si enchevêtré que les administratifs n’y comprenaient rien ! Les nuls, il avait fallu une bonne heure pour leur montrer que leurs fiches individuelles étaient de fait des fiches collectives. On les a bien eus !

Cette fois-ci, ce même délégué n’a pas jugé la peine de venir répondre de son mandat devant le groupe. Il faut dire que ce n’était que la réu des Zhabs, qu’il ne reconnaît pas. C’est un remplaçant qui est venu faire le compte-rendu de leur nouvelle reculade. Il a eu le culot de dire « On ne demande pas à siéger à la Commission de Pilotage. On a obtenu un cadre de négociation bilatéral satisfaisant. »

Satisfaisant ? Jugez plutôt :

A chaque fiche individuelle ne correspondra qu’un nom et une série de parcelles. Sur chaque parcelle n’est enregistré qu’un projet. Point. « Ils ont bousillé notre enchevêtrement... ». Satisfaisant ?

Chaque COP peut être assortie de clause comme « il est interdit de poser des caravanes ou habitats légers ». Satisfaisant ?

Les COP peuvent être dénoncées par les deux parties à tout moment, surtout par la DDTM, si les visites de contrôle ne sont pas... satisfaisantes.

Chaque porteur de projet doit se présenter individuellement en début de semaine prochaine pour passer un oral de 15/20 minutes devant des sous-chefs de service de la DDTM afin de tester de la capacité des individus à se projeter dans l’avenir de manière... satisfaisante. Il pourra être assisté d’un délégué. Ouf !

Les projets doivent pouvoir dégager un revenu décent, et prévoir les moyens de production ad hoc.

Les projets non agricoles seront pris en compte... plus tard.

Il y avait au départ 41 fifiches couvrant « presque la totalité de la ZAD », c’est-à-dire 270 ha, sur les 1650 en totalité, couvrant la quasi-totalité des lieux de vie (ceux détruits ne comptent plus, évidemment), et la quasi-totalité des habitant-es (bouffons non inclus). Il n’y a que 19 projets « aboutis ». 19 noms individuels. Sur des parcelles que les agriculteurs de la FNSEA convoitent aujourd’hui de leurs côtés. Satisfaisant ?

Comme le droit commun doit s’appliquer, le délégué mise sur la protection de la préfète, de l’Etat donc, pour appuyer ces dossiers individuels à la signature de COP, sur des parcelles en litige avec la Chambre d’Agriculture. Et on ne parle plus de bail emphytéotique puisqu’un fonds de dotation est déjà en projet pour pouvoir acheter les terres que l’Etat mettra en vente. Et on oublie le manteau, cachant un corps déjà meurtri. Les phalanges qui tomberont ou seront mutilées ne seront que des « couacs ».

Les 19 éligibles resteront en lice, sans état d’âme. Les beaux principes du style « on signe tous ensemble ou personne » ne sont que de la fumette. Et ceux qui passeront le cap de la mise en concurrence avec les agris du coin qui lorgnent sur ces terres depuis des décennies, devront se conformer aux normes administratives, et à la rentabilité capitaliste, sous la menace de se voir expulser de leur COP.

Se doutent-ils de quelque chose ?

Reproduire les schémas excluants

Le gouvernement a menacé d’expulser à nouveau les moutons noirs dans dix jours. Et toujours rien n’est organisé collectivement. Il y a de moins en moins de monde sur la zone. Beaucoup d’occupant-es sont parti-es voir ailleurs pendant quelques jours et vont revenir pour le 14 mai. Et ceux qui sont appelés les « soutiens » à leur grand dam ont aussi quitté le bocage. Les relations avec les occupant-es sont aussi conflictuelles que celles qui s’étaient nouées en 2010/2012 lorsque les premiers « zadistes » étaient accusés de vouloir coloniser la zone.

Les réunions sont déclarées ouvertes, mais dès qu’une personne nouvelle veut intervenir, on lui répond que ce n’est pas le lieu pour elle d’intervenir, qu’elle peut écouter en silence, parce que le temps urge.

Ce qui fait que ces « prolétaires des luttes » sont évidemment furieux de se faire évincer des endroits où il serait peut-être possible de « capter les enjeux », blessé-es par cette mise à l’écart peu diplomate. Et sur les barricades, tenues par ces gens-là et que d’autres voudraient faire sauter, il y a beaucoup d’expressions de mécontentement : « on n’est pas là pour se faire engueuler » ni même pour prendre les coups, sans rien dire. Les « soutiens » se sentent aussi occupant-es que les autres, prenant des risques que d’autres ne prendront pas.

Non seulement ce rejet des nouveaux est contre-productif, parce qu’ils et elles ne feront pas longtemps de la chair à canon si elles et ils ne savent pas pourquoi. Cela marque aussi le marasme dans lequel stagne cette lutte : les facilitateurs et facilitatrices reproduisent les schémas excluant des dominants dont ils et elles sont aussi victimes. Ils et elles nient même les principes pour lesquels ils et elles sont censé-es se battre. Niant ainsi une des raisons de leur présence sur cette ZAD.

Un avenir sans réelle opposition

L’avenir qui se profile tient en peu de mots : des projets agricoles individuels qui génèrent du profit.

Au soir du 10 février, il était possible d’espérer que le groupe qui avait préparé le festival « off » se structure un peu plus, qu’une réflexion collective se mette en place et que s’affirme une expression commune en AG. De là, on pouvait espérer qu’une dissidence structurée d’intellos (on entend par-là celles et ceux qui privilégient le papier comme mode d’action) contrecarre efficacement les projets d’installation dans les normes. Mais il a été impossible de continuer, chacun-e trouvant un bon prétexte pour éviter de s’engager plus avant. Il y a toujours des velléités de réunions affinitaires pour écrire un texte qui sera balancé sur les sites internet, lorsque le CMDO et ses sbires poussent trop loin leur avantage. Mais ce ne sont que des départs de feux, vite éteints par les pyromanes eux/elles-mêmes. Pour le weekend précédant les nouvelles expulsions, une sorte d’appel off est lancé pour que les personnes qui arrivent puissent entendre d’autres voix. Beaucoup de réflexions se font autour de la manière de subvertir, de « pourrir » l’AG des abusages.

Mais rien de réellement structuré à ce jour qui puisse désarçonner les fractions dominantes, ni en AG ni au-dehors. Il y a peu d’espoir de ce côté-là pour un autre avenir sur la ZAD.

A la Lama puis à la Grée, une dissidence de fait s’est construite, avec mise en pratique sans parlote. Des cabanes ont été reconstruites la semaine après les expulsions, aussitôt détruites par les forces de l’ordre. Les routes réaménagées la nuit avec ce que les keufs avaient déménagé mais laissé sur la zone. Des potagers sont chaque semaine remis en état, des fraises et des tomates sont plantées grâce à des dons. Cette énergie disparait en ce moment, la ZAD s’est vidée des personnes extérieures et des occupant-es durant cette soi-disant « semaine de trêve », pendant laquelle les patrouilles en convoi blindé et avec déploiement de keufs dans les champs continuent à s’imposer plusieurs fois par jour, et que des contrôles d’identité et des arrestations se succèdent. Que faire dans une telle situation de pénurie de main d’œuvre ? Des jeux de rôles, des constructions légères de dômes, des cueillettes dans l’Est. Pour signifier la niaque de toujours rester opposant-es à cet ordre destructeur.

De toute manière, les « gens de la Grée » continuent leur vie de résistance par le fait, sans s’occuper de l’Ouest. Sans non plus chercher à contester leur pouvoir dont ils ne s’occupent pas, même s’ils rêvent de le perturber comme des potaches face à un prof trop « relou ». Cette sécession n’aura pas de répercussion sur la direction générale du mouvement de légalisation. Ils seront probablement les premiers visés le 14 mai, puisqu’ils sont déjà l’objet de nasses quotidiennes, et que les keufs entrent dans le squat comme chez eux.

Ils se feront laminer, sans soutien interne. Qu’en sera-t-il des appuis extérieurs ?

La ferme des animaux

A l’AG des abusages de mercredi 9 mai, une trentaine de dissident-es ont bataillé pour présenter un texte de remise en cause du fonctionnement autoritaire de l’AG. Deux gradins face à face sous le hangar de l’avenir, fief de l’équipe dirigeante. Vous et nous. Texte qui demande une reconnaissance de la contestation à ceux qui depuis longtemps ne reconnaissent plus l’existence même des contestataires. Texte qui demande encore le dialogue avec ceux qui se sont rendus sourds depuis des mois. Pas moyen de prendre acte du divorce opéré dans les faits. « Si ça continue, on va claquer la porte, mais tous ensemble ». Dans combien de couleuvres les plus modéré-es vont-illes oser passer à l’acte ? Combien de mépris faudra-t-il aux plus décidé-es pour franchir le pas vers une émancipation ? On se heurte là encore à un aspect du travail des intermédiaires, pas forcément les mêmes qui font passer les mots d’ordre du CMDO, ils et elles sont parfois très critiques dans les mots, c’est même ça qui leur permet de retenir efficacement les velléités de scission qui poussent de plus en plus. Cette peur de la rupture ou cette mollesse sont d’autant plus dangereuses que cela engendre un attentisme dans les faits qui laisse la voie libre à la fraction dirigeante et pousse au départ isolé des occupant-es désemparé-es ou dégoûté-es.

Si on refuse de négocier avec la préfecture, pourquoi accepter de négocier avec l’AG des usages ?

Les pieds sur terre

Et voici un nouvel épisode de ce film de propagande qu’est Les pieds sur terre, qui raconte la vie mythifiée du hameau du Limimbout, sur la ZAD. Le jeudi 10 mai, le collectif des 100 noms a ouvert un squat dans ce village, sans prendre l’avis des squatteureuses d’en face. Mais c’est avec l’aval ponce pilatien des paysans du hameau, Sylvie et Marcel, et des tenanciers de l’auberge des Q de plomb, Christiane et Ti Claude « on veut bien que vous vous installiez, mais cela se décide en réunion de hameau », que cela s’est fait. Alliance locale du CMDO et de COPAIN. C’est la dernière maison en dur, avec eau et électricité, qu’il était possible d’investir. En ces temps d’expulsions où de nombreuses personnes ont perdu un toit ou vont le perdre dans la semaine qui vient, ce coup de force de la part d’un des collectifs les plus puissants de la zone, le mieux doté en capital social et économique est très mal vécu par les occupant-es. Le prétexte des moutons à abriter sous le hangar (qui sert en ce moment à abriter le sommeil des soutiens qui viennent sans tente) ne dupe personne : ils ont les réseaux suffisants pour trouver des prés autant qu’ils veulent.

En fait, ce sont des « propriétaires de la lutte » qui s’affrontent sur la légitimité d’usage d’une maison en dur. S’il n’existe pas (encore) de titres de propriété garantis pas l’Etat, ce sont bien des logiques de possession de biens et de contrôle social (on veut choisir nos voisins) qui sont à l’œuvre ici. Ce à quoi un des occupants a répondu, en rêvant à voix haute : « Quand les expulsions seront finies et qu’on repensera les habitats, il n’y a pas de raison pour que les maisons en dur ne soient pas redistribuées collectivement. »

La seule réponse fut une lettre de mécontentement dans laquelle les occupant-es proches du collectif feront enlever les mots qui fâchent (condamnation, ressources, privilèges) sans grande résistance de la part des « indigné-es ». D’autant que les voisines outragées étaient venues dire à la réunion qu’elles ne voulaient pas de guerre dans le hameau.

Pourquoi se gêneraient-illes franchement, tant que leur violence, qu’elle soit symbolique ou concrète, ne rencontre que de piètres réponses apeurées : on ne veut pas se fâcher avec ceux et celles qui nous oppriment et se foutent de nos positions ?

Du coup, à notre sens, ni les un-es ni les autres ne mettent en péril cette marche vers la normalisation. Et nombreu-ses sont celles et ceux qui se demandent quelle ZAD défendre demain contre les blindés et les lacrymos, et même s’illes vont en défendre une ? Et parmi celles et ceux qui restent encore, nombreu-ses ne restent que pour ne pas déserter devant l’ennemi étatique et pour être avec les copain-es.


Ce ne sera jamais fini !

Bien sûr, il y a des potes qui se glissent dehors, tous les jours, sur la pointe des pieds, en laissant un petit mot sur la table, sans autre effet d’annonce. D’autres s’en vont discrètement, juste un pot de départ au non-marché pour ne pas avoir l’air de fuir. Ce genre de départ laisse amer, non pas par un sentiment d’abandon, mais par un sentiment de fin de lutte sans perspective. Les personnes qui s’en vont seules risquent, comme dit l’une d’elles, de « se détester » un bon moment, et de ne pas remettre les pieds dans une lutte sans prendre quelques garanties. Celles et ceux qui restent rêvent de pouvoir partir après avoir organisé une manif de désoccupation, histoire que cette rupture avec « la » ZAD n’ait pas un goût d’échec personnel, mais l’aspect d’un dernier combat collectif.

Certain-es qui sont déjà parti-es dans les faits depuis plusieurs années et qui reviennent à l’occasion des expulsions ont déjà fait le deuil de ce mouvement. Et ils et elles expliquent à ceux et celles qui sont en train de faire le même cheminement, contraint-es et forcé-es, comment si le mouvement est mort, la lutte, elle, continuera.

Ce qui s’est vécu ici, quelques mois ou quelques années ne pourra pas être détruit : les relations affectives et intellectuelles, les complicités, les apprentissages divers que ce soit dans le militantisme ou dans la vie quotidienne. Si on parle des mythiques « 200 zadistes », sans jamais avoir pu faire un recensement de cette population nomade, il y eut des milliers de personnes venues et reparties et qui emportent avec elles des manières de voir qui peuvent rester dangereuses pour le pouvoir.

Comme dit un slogan tagué sur une carcasse de voiture : Ils ont voulu nous enterrer, ils ont oublié que nous étions des graines...

Et surtout la volonté de vouloir construire collectivement quelque chose hors de l’Etat pour certain-es, contre l’Etat pour d’autres ne finira pas avec la période des expulsions et de la normalisation.

Se doutent-ils de quelque chose ?

Des leçons à tirer ?

C’est probablement un peu tôt pour le faire. Voici quelques extraits d’une discussion dans l’atelier du Rosier à 2h00 du matin, ou au croisement de chemins sous le chant du coucou du lieu.

Beaucoup d’amertume est exprimée quand on aborde ce sujet. Beaucoup d’interrogations : comment en est-on arrivé là ? Et pour les personnes les plus anciennes, pas mal de culpabilité : « on n’a pas vu venir, on a été mauvais, trop faibles ». Il est vrai que les groupes antiautoritaires ont eu du mal, dans cette lutte, à s’organiser de façon suffisamment stable et pérenne pour tenter d’infléchir l’évolution vers la légalisation. Mais, plus que la responsabilité de telles ou telles personnes dans un camp ou dans l’autre, ce sont les dynamiques à l’œuvre qu’il faut décortiquer pour les voir venir la prochaine fois. Sans pour autant savoir comment les infléchir... Dans la durée, les mouvements de contestation existent en singeant une forme étatique. C’est ainsi qu’ils peuvent devenir les interlocuteurs de l’Etat, cherchant à masquer les antagonismes, à réduire les oppositions à l’impuissance.

Certain-es remontent au temps d’avant César pendant lequel la forme des AG ne menait pas à des prises de décision. Dans les premières AG, avant que le prétexte de l’unité soit mis en avant (au moment des procès après 2012 et donc de la nécessité que tout le mouvement soutienne les inculpé-es) chacun-e venait en AG et proposait une action. Une fois la proposition débattue, les personnes qui portaient l’idée pouvaient se regrouper pour la mettre en action. Tant que les AG étaient des lieux de discussion sans décision, les appellistes venaient en curieux sans savoir comment s’y insérer. Une fois qu’il y a eu une sorte de structuration qui tendait à unifier les différentes initiatives collectives, cela devint un outil dont allaient tenter de s’emparer des groupes qui visent à l’efficacité, puisque la recherche de l’unité et donc du consensus ouvre la porte aux processus de prise de pouvoir.

La croyance dans les AG structurées, facilitées, modérées, que portent les militant-es venant d’un milieu autonome, exclut plus qu’elle ne permet l’expression de tou-tes.

Quelques pistes de réflexion que nous emporterons avec nous sur la route...

Comment intégrer les manières de faire de l’Est, de ceux qu’on peut appeler « les prolétaires de la lutte » (on peut entendre par-là une situation de classe et non une origine de classe...), alias les Noues qui poussent, c’est-à-dire une sorte d’autogestion en acte, aux manières de faire de militant-es plus classiques qui enchaînent textes sur réunions ? Comment être « incontrôlables » et actifs sans prendre en compte les pouvoirs internes et en même temps tenter de réduire ces mêmes pouvoirs à l’impuissance ? Comment les amener de fait sur notre terrain tout en les empêchant de nous anéantir une fois qu’ils y sont ?

Pour reprendre deux titres de livres dont les contenus ne répondent pas aux questions : Comment changer le monde sans prendre le pouvoir ? Comment disperser le pouvoir ?

Comment des groupes anti-autoritaires peuvent-ils contrer les groupes autoritaires sans utiliser les mêmes moyens, qui les nieraient dans leurs principes ? Être anti-autoritaire condamne-t-il inéluctablement à l’inefficacité ? La recherche de l’efficacité conduit-elle fatalement à l’autoritarisme ?

Si être anti-autoritaire ne veut pas dire anti-organisationnel, quels garde-fous mettre en place contre des groupes ou des personnes qui cachent leurs objectifs de prise de pouvoir derrière des discours pseudo-libertaires ?

Comment faire pour que les nécessités matérielles ne soient pas subordonnées aux exigences de l’organisation politique, au sens dominant du terme. C’est-à-dire une forme légitime instituée pour recruter des petites mains afin de faire exister concrètement les directives données par les dirigeants de cette organisation ?

« La lutte fondamentale aujourd’hui est entre, d’une part, la masse des travailleurs – qui n’a pas directement la parole – et, d’autre part, les bureaucraties politiques et syndicales de gauche qui contrôlent – même si c’est seulement à partir des 14% de syndiqués que compte la population active — les portes des usines et le droit de traiter au nom des occupants. Ces bureaucraties n’étaient pas des organisations ouvrières déchues et traîtresses, mais un mécanisme d’intégration à la société capitaliste. »
Comité pour le maintien des occupations (l’original, pas la copie), Paris 22 mai 1968

[1Pour une liste non exhaustive : voir le site de l’ACIPA.

[2Pour plus d’infos, voir le site de l’ACIPA.

[3Détermination un peu flageolante, puisqu’il avait été précisé que si les agriculteurs à qui ces terres étaient « prises » venaient les cultiver, elles ne seraient donc pas reprises. A comparer avec la chanson de 1970 « tu ne feras rien pousser qui ne sera coupé »...

[4Rappel : la première jeudi 18 janvier 2018 quand Copain annonce le début de chantier de nettoyage de la route pour le lundi. Et hier mardi, quand les mêmes Copain annoncent qu’ils vont détruire Lama Fâché, et mettre les miettes dans le champ d’à côté, pour ceux qui voudraient le remonter ailleurs.

[5Nom que nous donnons pour aller vite aux zadistes qui ont pris la direction de la composante « habitants », qui ne font pas tous partie du CMDO, mais qui sont flattés d’être reconnus comme personnes de confiance.

[6Ironie de l’histoire, non seulement les flics vont venir pour protéger la préfète qui vient se pavaner sur la route ce vendredi matin. C’est ce qu’on appelle, si on ne se trompe pas, la remise de chantier : on remet le chantier au commanditaire. Plus, une délégation des Bourgeois de Calais, y compris des occupants, viendront lui remettre les clés de son Domaine. Plus amer encore, les travaux qui débuteront très vite se feront, selon Presse Océan, sous la protection des gendarmes. On n’en a pas fini avec le talon de fer.

[7Instance mise en place cet été et où siègent les différentes composantes et des Occupants, dont certains sont au CMDO mais pas tous, il existe des occupant-es charnière.

[8Que plus personne n’appelle : des chicanes.

[9L’illusion groupale est un état psychique collectif que les membres du groupe formulent ainsi : « nous sommes bien ensemble, nous constituons un bon groupe ». L’illusion groupale survient au second temps de l’évolution d’un groupe, après une première phase généralement dominée par l’angoisse persécutive. D’où le sentiment réactionnel d’euphorie d’être délivré de cette angoisse. L’illusion groupale cimente alors l’unité du groupe, ce qui est une source de jubilation supplémentaire pour les membres.

[10S’ils en touchent quelques-uns, ils touchent tout le monde ! Pas un pas en arrière ! Solidarité avec la ZAD.

[11Collectif d’historien-nes ayant publié des livres sur la Guerre d’Espagne, entre autres : Les fils de la nuit.


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Pour en savoir plus, des documents critiques sont en lignes sur :
- https://infokiosques.net/
- https://dimanche.pm/
- https://fr.squat.net/
entre autres.