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Feu aux culs ! 2

mis en ligne le 21 décembre 2017 - Anonyme

Subversion : Bouleversement, renversement de l’ordre établi, des idées et des valeurs reçues. — Grand Robert de la langue française, 1986

Une société normalisante qui détruit tant nos désirs fait de la destruction de toutes ces normes le seul futur désirable.

Bien sûr j’y suis retourné.

Un texto envoyé par Irina, viens au sauna chaton. La date tombe la veille de mon anniversaire, j’espère avoir droit à un beau cadeau avec plein de bougies.

Je vais traverser le pays pour repousser les limites de mon anatomie. Quel sens j’y vois ? Celui de me confronter à des complexes enfouis sous tout un tas de personnages mythologiques encore plus fucked up qu’Œdipe ? Celui d’assouvir des désirs inavouables, construits depuis l’enfance au plus profond d’un esprit frustré ? De tenter d’assumer une sexualité déviante, face aux assauts d’une société paradoxalement puri­taine et ultra sexualisée ? En tout cas c’est dans mon bide que ça bout, et j’ai envie d’écouter cette ébullition que j’ai tant laissée en suspens.

Toujours baissé la tête devant leurs injonctions. Pas de doigts dans le cul dans la baignoire ou de balles de ping-pong à nettoyer. Pas de porte-jar­retelles, chaussettes dans l’soutif, branlettes au caca. Ou seulement dans la honte. Humiliation, brimades, méprioctobres, et pendant ce temps je cache que j’suis puceau. Larchouma d’avoir des sphincters élastiques ; la classe c’est le coït et une meuf « bonne ». Et autour le stupre vend des bagnoles et des jeux vidéos. Moi je réprime parce qu’on m’a si bien appris à le faire. Deux skins qui s’enculent, la main dans le fion, gang-bang cuir-moustache, 2 girls 1 cup c’qui est dégueulasse c’est qu’ça les dégoûte ; les images tournent dans ma tête, au bout d’un moment j’suis obligé d’réaliser que mes désirs sont étranges.

J’ai beau avoir l’impression de désirs infinis, y a rien à faire, une fois de­vant le club, le trac monte. Bon et puis à un moment il faut bien se lan­cer, je passe pour un couple avec ma pote Sandy. Je sors vingt balles parce que jusqu’à présent j’ai pas trouvé d’espace autogéré à prix libre qui permette ces expérimentations. Quel dommage, un jour on ouvrira un donjon dans un squat, mais d’ici là, on a l’impatience chevillée au slip, et on veut plus attendre. Et puis transgresser leurs normes, ça vaut bien un bifton d’la CAF.

Ce soir, c’est BDSM, mixte. Irina est à la manœuvre et on trouve dans le sauna un surprenant mélange de queers squatteurs hardcore et d’hétéro­sexuels habitués aux soirées « classiques » du lieu. Le cocktail est explosif, presque autant que nos nuits incendiaires. Laisses, colliers, jock-strap, harnais, ball gags, simili-cuir et toys DIY. C’est quasiment notre première à toutes, pourtant on passe pour les plus obsédées des salopes de ce rade. À croire que je suis pas le seul à réprimer ma sexualité.

Le fil du temps transforme mon trac en excitation qui démange. Petit pas­sage à la pissotière pour me nettoyer les chicots, session fessées en intimi­té, ça se chauffe tranquillement. C’est bientôt minuit et à minuit c’est mon annif. Avec Irina on se met d’accord, un gang-bang d’anniversaire c’est le minimum et on se met en quête des 29 bougies.
Elle a son cortège de groupies, et Elle délègue à Farid la liste d’attente. On se retrouve donc à s’occuper d’un vétéran du lieu, agenouillé devant les air max TN de son Maître. Ton prénom c’est plus Marc, c’est Pimprenelle. T’as compris ? Oui. Oui qui ? Oui Maître. Mes orteils dans sa bouche, il s’arrête rapide­ment, le regard penaud et les yeux toujours baissés. Maître, j’y arrive pas, je suis désolé, je crois que c’est les poils de votre ami qui me rebutent. Ben c’est pas grave, je pensais que tu étais expérimenté, mais qu’est-ce qui te fait envie, tu veux en parler ? Il y a des pratiques qui t’intéressent plus que d’autres ? Je crois que je vais m’arrêter là, j’y arrive pas. Merci Maître.

Salle mousse, minuit passé de quelques minutes. Le public se rassemble autour de la table ronde au centre de la pièce, tout en restant à distance respectable. Le haut-parleur amène les derniers curieux : « mesdames et messieurs, un gang-bang se prépare dans la salle mousse, pour l’anniver­saire d’un participant ; vous êtes tous et toutes invitées ». Irina attache mon collier à un côté de la table, les deux chevilles écartées à l’autre, mes mains sont vite et solidement menottées dans mon dos. Le spectacle commence et avec lui les coups répétés sur tout mon corps, avec des mains, des martinets, des TN, ma laisse. Il est difficile de trans­mettre les sensations éprouvées tant elles dépassent tout ce que j’ai pu expérimenter auparavant. Mais ce qui jaillit partout, c’est une incroyable conscience de mon propre corps. Les coups pleuvent et sont autant de décharges électriques qui déclenchent réflexes musculaires, cris et ruades démesu­rées, mais qui font surtout danser ce splendide kaléidoscope derrière mes paupières closes.

Les quarts d’heure s’écoulent et avec eux le lâcher prise total permis par ma relation de confiance avec Maîtresse Irina. Tout au long du gang-bang, Elle qui connaît mes limites et mes expériences, va assister les par­ticipants et s’assurer que les bites soient capotées et les mains gantées. Elle est Ma Maîtresse mais Elle est davantage à mon service qu’Elle ne m’ordonne. La laisser gérer les aspects non excitants de la situation me permet de partir dans différentes phases de transe successives, des mo­ments semblables à des voyages psychédéliques, réalisés en pleine conscience.

Jeanine, la cinquantaine, accroupie sur mon visage, pousse des hurle­ments : leck mein Arsch ! Leck meine Muschi ! Claire la remplace. Habillée en infirmière sexy, elle frotte sa chatte sur mon nez par petits mouvements secs. Marc-Pimprenelle, quant à lui, est apparemment moins dérangé par mes poils lorsqu’il s’agit de m’insérer son sexe trapu entre les amygdales. Je me régale, les godes dans mon anus s’élargissent. Farid me frappe avec ses air max, je crie mon plaisir. Soudain une intense morsure me court sur le dos, et j’ai besoin de quelques secondes pour reconnaître des gouttes de cire. Nouvelle découverte, nouvelle douleur, nouveau plaisir. Quelques coups de pied dans le gode en place achèvent de me faire partir dans l’espace. Lorsque je reviens à moi, la table est entourée d’un cercle d’inconnues et d’amies fraîchement rencontrées qui m’adressent leurs plus grands sourires. C’est alors que retentit le plus beau des joyeux anniver­saires que j’ai connus. Merci, merci à vous, non merci à toi, mais merci bien, merci à toi, merci les amies, et merci les obsédés.

De retour au squat, les yeux pétillent entre nous de cette situation, extra­ordinaire pour la plupart d’entre nous. Les discussions vont bon train jusqu’à l’aube, chacune exprime en détails son ressenti sur la soirée. Certaines parlent de reconquête de leur corps, d’autres de complexes qui s’effritent. Nous convenons que les normes en chacune de nous ont été véritable­ment ébranlées au cours de cette soirée. Ces envolées fugitives ne peuvent toutefois pas souffrir d’être ici couchées sur papier, elles aspirent à partir à l’assaut du ciel.

L’émotion aidant, on nous voit parler de nous-même, certaines larmes coulent et glissent sur les sourires. On rit auprès des convecteurs, et le soleil finit, en se levant, d’achever cette petite aventure, cette expérience aux frontières de nos peurs et de nos désirs.

Not gay as in happy ; queer as in fuck you !

france
décembre 2017



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