I
In The Spirit Of Stonewall
mis en ligne le 29 janvier 2018 - Leslie Feinberg
À 8 heures du matin, par une fraîche matinée de printemps, je suis monté.e dans une fourgonnette avec quatre lesbiennes que je ne connaissais pas. Elles avaient fait une longue route pour me conduire à une conférence des comités régionaux d’organisation des Gay Prides, qui se tenait dans un hôtel, dans le centre du New Jersey. Alors que nous nous dirigions vers l’autoroute, elles m’ont expliqué que j’allais m’adresser à des activistes qui organisaient des marches des fiertés lesbiennes, gays et bi.e.s depuis le Maine jusqu’à Washington DC. Certains de ces comités, tel que celui du New Jersey, incluaient déjà transgenres ou trans dans le nom de leur manifestation. Mon objectif était de motiver les autres comités à faire pareil.
Quand nous sommes arrivé.e.s à l’hôtel, le hall était plein d’activistes lancé.e.s dans des conversations animées. J’ai trouvé la salle de conférence, et j’ai déposé sur chaque chaise un tract invitant à une manifestation contre les coupes dans le budget fédéral et contre la répression. Pendant que les gens entraient dans la salle et s’asseyaient, je les observais lire le flyer. J’ai réalisé que j’étais en présence de syndicalistes locaux/ales aguerri.e.s. D’abord, les gens ont lu le texte et les revendications. Ensuite, beaucoup se sont arrêté.e.s sur la liste des individus et collectifs signataires. J’en ai vu certain.e.s montrer du doigt les signataires à leurs voisin.e.s, d’un air approbateur.
Je connaissais ces personnes, aux vies tellement semblables à la mienne – qui s’épuisaient à écrire brochures et articles de presse, à passer des coups de fil, à envoyer des e-mails, à fermer des enveloppes, à forger la solidarité, et à lutter férocement. Je me suis dit que si je parvenais à leur expliquer en quoi l’inclusion des personnes trans renforcerait cette lutte, beaucoup dans cette pièce remueraient ciel et terre pour construire une coalition. J’avais préparé un discours, mais l’ambiance dans cette salle était si conviviale que j’ai eu peur de passer pour un « beau-parleur ». Alors j’ai laissé de coté mes notes toutes prêtes, et j’ai parlé avec mon cœur.
Je pense que la libération des lesbiennes, des bisexuel.le.s et des trans ne peut être conquise qu’en se battant côte à côte.
Dans ma vie, ces luttes sont inséparables. Je suis opprimé.e en raison de mon attirance sexuelle, et je suis opprimé.e en raison de mon expression de genre. Je suis sorti.e du placard à l’adolescence, quand je fréquentais les bars ouvriers, gays [1] et drags du nord de l’État de New-York et du sud de l’Ontario. Nous avons livré quelques batailles qui ont ouvert la voie au jeune mouvement de libération gay, lui permettant ainsi d’un jour marcher dans les rues.
Nous sommes-nous battu.e.s parce que nos amours étaient interdits ? Ou parce que nous étions des hors-la-loi du genre ? Je ne me suis jamais posé cette question. Je ne me souviens pas qu’un.e seul.e de mes ami.e.s ait jamais formulé cette question. Nous avons serré les rangs, et lutté de toutes nos forces.
Mais ce n’est pas parce que je n’ai jamais pris le temps d’y réfléchir que cette question n’est pas importante – dans le sens où elle clarifie les relations entre nos communautés. Un exemple : en 1969 à Greenwich Village, lors des 4 nuits consécutives de soulèvement contre les violences policières qui ont donné naissance au mouvement de libération gay [2], ce sont des drag queens afro-américain.e.s et latinas qui ont tenu les premières lignes. Alors ? Est-ce que Stonewall était une insurrection gay ou bien une insurrection trans ?
Il y a quelques temps, j’ai posé cette question à Silvia Rivera, drag queen, portoricaine, et combattante de Stonewall. Je lui ai demandé : « Est-ce que vous luttiez contre les violences policières ? Est-ce que vous vous battiez contre le racisme ? Ou pour votre droit à être gay ? Avez-vous riposté parce que la majorité des drag queens ne pouvaient pas présenter l’ordre d’incorporation dans l’armée que les agents du gouvernement réclamaient cette nuit-là [3] ? Ou parce que tant d’entre vous étaient sans logement, crevaient de faim et étaient en danger dans les rues ? »
Sylvia m’a répondu, d’un ton calme et solennel : « nous nous battions pour nos vies. »
Est-ce que Stonewall a été un moment phare du combat pour la libération gay, ou pour la libération trans ?
Sylvia nous a offert la réponse la plus brève et éloquente qui soit : les deux à la fois. Dans la vie des personnes gay et drag, les différentes oppressions s’imbriquent. Toutes les facettes de ce que nous sommes se mélangent dans le sang versé en nous défendant.
Trans gays, lesbiennes ou bi.e.s, nous ne sommes souvent reconnu.e.s qu’en raison de la répression de notre sexualité. Par exemple, quand il m’arrive de parler face à une assemblée constituée pour une bonne part de femmes masculines ou travesties, les médias décrivent le public comme « majoritairement lesbien », plutôt que transgenre, se référant uniquement à une supposée attirance sexuelle.
Beaucoup de femmes masculines et d’hommes féminins font régulièrement face à cette question : pourquoi ont-ils/elles l’air d’ « attirer » tous ces problèmes – problèmes que les autres gays et lesbiennes n’ont pas. Et à chaque fois que nous échouons à répondre à cette question, une honte intime creuse son chemin au plus profond de nos corps usés. L’émergence d’une libération trans nous a offert un langage pour dire : « je suis opprimé.e en raison de mon expression de genre, autant que de ma sexualité ».
Il y a des millions de femmes masculines et d’hommes féminins dans ce pays. Une partie d’entre elles/eux sont bisexuel.le.s, gays et lesbiennes. Mais combien ? Aussi longtemps qu’on courra le risque d’être viré.e.s, expulsé.e.s, tabassé.e.s ou jeté.e.s en prison parce qu’on aime une personne du même sexe ou qu’on est bisexuel.le, on ne le saura pas. Pourtant, beaucoup de termes du folklore gay désignent des hors-la-loi du genre : camionneuses, tapettes, butchs, divas, folles, travelos, drag king, drag queen.
Et on peut dire avec certitude que les personnes trans homosexuel.le.s ont contribué à façonner le mouvement lesbien, gay et bi contemporain. Les personnes trans ont été, et sont toujours, en première ligne parmi les plus féroces combattant.e.s de la libération lesbienne, gay et bi.
Et pourtant j’entends parfois dire qu’il n’y a pas de connexion entre les lesbiennes, gays ou bi.e.s et la libération trans, sous prétexte que la majorité de la population trans serait hétérosexuelle. Est-ce une raison valable pour refuser cette alliance ? Je ne crois pas.
Nous n’avons pas construit le mouvement de libération gay sur la base de détails relatifs à ce que chacun.e de nous fait avec des partenaires sexuel.le.s consentant.e.s. Au contraire, nous avons lutté pour défendre notre liberté sexuelle et pour combattre les discriminations et la violence que nous subissons en raison de notre sexualité. Et ces oppressions sont inextricablement liées à la libération trans. Dans une société où l’hétérosexualité et les façons dites masculines ou féminines de s’habiller et de se comporter sont décrétées et renforcées par la loi, les personnes gays, lesbiennes, bi.e.s et trans transgressent tou.te.s les règles du genre.
Il n’y a pas de frontières entre les territoires que nous habitons ; nos populations se chevauchent. Les revendications des lesbiennes, des bi.e.s et des gays ne peuvent pas être séparées de la libération trans.
Nous avons notre propre passé, et nos histoires ont fini par s’entremêler. Partout où l’oppression a pointé son visage menaçant, les flics, procureurs, juges et gradé.e.s de l’armée nous ont jeté.e.s ensemble dans des cellules de prison et des camps de concentration. Ils nous ont considéré.e.s toutes et tous coupables du même crime : « être queer ».
Beaucoup des lois antigays utilisées de siècle en siècle ont pris pour cible les hommes gays féminins et les lesbiennes masculines. Et des hétérosexuel.le.s travesti.e.s ont été emprisonné.e.s car accusé.e.s d’être gays.
Aujourd’hui, chaque femme lesbienne, chaque homme gay et chaque personne bissexuelle se retrouve, à un moment ou à un autre, personnellement confronté.e aux oppressions liées au sexe et au genre..
Après tout, les lois interdisant le mariage ente personnes du même sexe reposent sur le présupposé que le désir sexuel pour « le sexe opposé » est inné et naturel. Donc aimer une personne du même sexe, ou se sentir attiré.e sexuellement par différents sexes, est considéré comme une déviance de genre, et donc interdit. Pourtant, les lesbiennes, gays et bisexuel.le.s en sont des preuves vivantes : le fait d’être né.e avec des organes génitaux donnés ne détermine pas automatiquement qui va les caresser.
Lorsqu’elles font leur coming-out auprès de leurs ami.e.s ou de leur famille, combien de femmes s’entendent dire : « au moins, tu n’es pas comme ces camionneuses qui se prennent pour des mecs », ou bien : « laquelle de vous deux fait l’homme ? ». Combien d’hommes gays ou bisexuels se sont entendu dire : « au moins, tu ne fais pas partie de ces tapettes maniérées qui se trimbalent en robe », ou bien : « ne le laisse pas faire de toi la femme du couple ! »
Il s’agit de trans-phobie et de discrimination liée au genre. Et c’est aussi totalement sexiste ! Ce sont là des craintes et des préjugés quant au fait qu’une personne puisse dévier des normes d’habillement et de comportement qui lui ont été imposées à la naissance. Mais les humain.e.s ne sont pas des rubik’s cubes.
Alors, que répondons-nous à celles/ceux qui nous balancent ces questions réactionnaires ? Si, dans un soupir de soulagement, vous répondez « Non, je ne suis pas comme ces gens-là », est-ce que votre position se trouvera renforcée ou affaiblie ? Si vous affirmez au monde entier que vous n’êtes pas comme nous, vous vous obligez vous-mêmes à devenir super-conformes aux rôles et aux stéréotypes de genre. Pourquoi je dis super-conformes ? Parce que vous le savez, vous êtes déjà sous étroite surveillance en raison de votre sexualité. C’est une condamnation à vie à la camisole du genre.
Et que se passera-t-il pour ces millions d’entre nous qui sont des butchs camionneuses et des tapettes maniérées ? Celles/ceux qui s’acharnent sur nous et tentent de nous priver de nos droits viendront ensuite pour vous. Ne serions-nous pas tou.te.s plus fort.e.s au sein d’un mouvement diversifié, dans lequel chacun de nos droits et chacune de nos existences seraient défendues par la force collective ?
Nous avons tou.te.s intérêt à reconnaître les interdépendances de nos luttes et de nos histoires. Ce qui nous réunit, ce n’est pas d’avoir des orientations sexuelles identiques. Si vous en doutez, feuilletez donc les petites annonces de nos médias communautaires ! Nous ne sommes pas obligé.e.s de chercher du commun dans nos sexualités. Contrairement aux produits laitiers, la sexualité n’a pas besoin d’être homogénéisée !
Par exemple, l’inclusion des bi.e.s a renforcé notre mouvement. Nous avons bâti une alliance avec un autre groupe de personnes luttant pour défendre leurs vies et leurs amours.
La bisexualité touche une large part de l’humanité, à travers différentes formes de sexualité. Cette inclusion nous a ouvert.e.s à une meilleure compréhension qui nous a permis de réaliser que les personnes bisexuel.le.s ne peuvent pas rentrer dans des catégories aussi formelles que « mi-gay, mi-hétéro ». Les gens continuent à être bisexuel.le.s, ou omnisexuel.le.s, quel.le.s que soient leurs partenaires à un instant T. L’application draconienne de l’hétérosexualité au niveau légal et social ne te fait pas de cadeau parce que tu es « mi-hétéro ».
Inclure les bi.e.s dans une coalition gay et lesbienne ne signifie pas s’unir autour d’une « sexualité commune ». Inclure les trans non plus. La population trans traverse le spectre des sexualités. Et on peut trouver toutes les variations de sexe et de genre chez les lesbiennes, gays et bi.e.s.
***
À chaque fois qu’émerge un nouveau combat contre l’oppression, certaines personnes éprouvent des sentiments contradictoires. Ils/elles savent bien que toute lutte contre le puritanisme et les discriminations profite en définitive à tou.te.s. Mais elles/ils craignent aussi que ces changements affectent leurs propres existences et sexualités.
La sexualité de certaines personnes trans peut être difficile à définir. Quand les frontières du sexe et du genre sont floues, la définition de ce qui est gay, ou lesbien, ou bi, le devient également. C’est précisément ça que certain.e.s redoutent avec la libération trans. Ils/elles ont l’impression que le sol s’effondre sous leurs pieds : « Nous avions enfin construit des communautés et un mouvement de lutte pour les femmes qui aiment les femmes et les hommes qui aiment les hommes ; et les personnes trans ont l’air de vouloir mettre tout ça sens dessus-dessous ».
C’est pourquoi certain.e.s craignent d’inclure les trans. Ils/elles ont peur de perdre le terrain sur lequel ils/elles se tiennent. Et donc elles/ils redoutent la disparition des séparations gay/lesbienne. Mais nous devons garder en tête que ces délimitations ne dépendent pas de la capacité à définir clairement chaque individu en tant que gay ou lesbienne. Ces contours irréguliers délimitent l’étendue de l’oppression ; ils tracent le périmètre d’une résistance collective.
La libération trans n’est pas une menace pour les femmes lesbiennes, les hommes gays ou les personnes bisexuel.le.s. Oui, la libération trans ébranle nos vieux schémas de pensées et de croyances. Parfait. Parce que la plupart des idées et des croyances que nous défions nous ont été imposées d’en haut. Elles étaient dès le départ pourries de l’intérieur et étayées par des lois réactionnaires. Mais nous ne vous retirons pas vos identités. Le changement de sexe de l’un.e ou la fluidité de genre de l’autre ne menace pas votre identité propre ni votre droit à l’auto-définition. Au contraire, notre combat soutient vos droits et vos identités. Mon droit à être moi-même est relié par un millier de fils à votre droit à être vous-mêmes.
Nous n’essayons pas de barrer votre chemin ; nous essayons d’ouvrir plus de routes pour l’auto-définition et pour nos identités, nos amours, nos sexualités. C’est une formidable évolution pour tout le monde.
Ce qui nous réunit, ce n’est pas une communauté de sexualité, d’expérience, d’identité ou d’auto-définition. Ce qui nous réunit, c’est que nous nous dressons face à un ennemi commun. Et cette étroite connexion entre nos luttes n’est pas juste un produit des sociétés occidentales contemporaines. Dans les sociétés divisées en classe, la résistance à l’oppression sexuelle - et à l’oppression de genre - a une histoire.
À Londres, 300 ans avant l’insurrection de Stonewall, la police faisait des descentes systématiques dans les « molly houses [4] » - des clubs fréquentés par des hommes travestis, féminins et présumés gays. Lors d’une de ces descentes, en 1725, le public majoritairement constitué de drag queens a livré une bataille rangée avec la police.
Et comme l’insurrection de Stonewall, le mouvement de libération homosexuel allemand [5] (né vers la fin du 19ème siècle) nous offre un exemple important de ces mouvements historiques dans lesquels les revendications et les forces lesbiennes, gays, bi.e.s et trans se sont entrelacées.
Quelle est aujourd’hui la stratégie la plus efficace pour construire un mouvement de résistance ? Devons-nous refuser les liens qui nous unissent en nous basant sur des différences relatives, et nous tenir à distance les un.e.s des autres ? Ça semble absurde. Et pourtant, je sais qu’il y a des lesbiennes et des gays qui craignent de se lever pour les droits des personnes trans, de peur de perdre les réformes législatives « gagnables » qu’elles/ils réclament.
Ils/elles plaident : « laissez-nous gagner sur nos revendications d’abord et ensuite ce sera plus facile d’obtenir ce que vous réclamez ». C’est là une théorie réformiste, selon laquelle le bien-être des riches finit par profiter aux pauvres. Mais celles/ceux d’entre nous qui ont été laissé.e.s pour compte par le passé ne se laissent plus tromper par cette stratégie.
Quand un mouvement social naissant enfonce les portes du placard sociétal et déferle dans les rues, certain.e.s activistes se mettent soudain à prendre conseil auprès d’un pouvoir qui ne s’est jamais montré « amical » auparavant. Ces conseillers/ères exhortent les leaders à envoyer leurs « porte-paroles les plus présentables, celles/ceux qui parlent bien » (nom de code pour dire blancs, de classe moyenne à supérieure) pour négocier une législation progressiste et d’autres réformes. Mais surtout, ils/elles conseillent : « tenez-vous en à une seule revendication simple. Et dissociez-vous de celles/ceux qui sont trop en colère et trop militant.e.s ».
C’est une vieille tactique. Quand j’étais un.e adolescent.e engagé.e dans les luttes ouvrières à Buffalo, New York, la direction envoyait ses émissaires délivrer le même genre de message aux militant.e.s syndicaux. Mais ça créait des divisions, car le rapport de force à la table des négociations est directement lié au rapport de force sur les piquets de grève à l’extérieur. En défendant ensemble une liste de revendications, en se remontant le moral sur les piquets de grève, en se serrant les coudes face aux attaques de la police et des sbires des compagnies, nous avons obtenu de nombreuses victoires.
Mais quand nous nous sommes laissé.e.s diviser de part et d’autre de la ligne d’oppression, nous avons perdu à chaque fois.
« Attaquer l’un.e des nôtres c’est nous attaquer tou.te.s ». C’est la vérité sur laquelle s’est forgé le mouvement syndical. C’est un socle solide sur lequel on peut également construire un mouvement de libération lesbien, gay, bi et trans. Et ça nous rappelle notre connexion avec d’autres, qui se battent pour la justice et l’égalité.
Nous ne sommes pas uniquement des personnes gays, lesbiennes, bi.e.s ou trans. Il y a parmi nous beaucoup de personnes de nationalités opprimées, des personnes vivant avec le sida, des femmes, des jeunes, des aîné.e.s, des personnes sans-emploi, sans logement, des sourd.e.s, des personnes handicapé.e.s, des prisonnier/ère/s, des personnes dépendant des allocations, des minimas sociaux, de l’assistance médicale.
Aujourd’hui, nous assistons à une violente attaque de notre niveau de vie [6]. Cette politique de la table rase va impacter des millions de personnes à travers le pays, dont des personnes lesbiennes, gays, bi.e.s et trans. N’est ce pas incroyable qu’au même moment des groupes sociaux et des communautés soient encore davantage pointées du doigt ?
Écoutez le bruit des bombes explosant dans ce bar lesbien d’Atlanta [7] – un bar fréquenté par des personnes bi.e.s, gays, trans et allié.e.s.
Écoutez les politicien.ne.s – depuis le bureau Ovale jusqu’aux couloirs du Congrès [8] – insulter et dénoncer nos amours. Sentez le souffle des explosions et des balles tirées sur les centres de santé pour femmes [9] . Inspirez la fumée des églises Afro-Américaines en flammes [10] , qui n’avaient plus été attaquées avec une telle violence depuis la contre-révolution menée il y a plus d’un siècle contre la Reconstruction Noire [11]. Observez les contours des croix gammées défigurant des maisons juives et des synagogues.
Cette idéologie de la division et ses attaques coup de poing sont dictées par une volonté de faire passer en force les restrictions dramatiques de nos niveaux de vie et de nos services sociaux. Aucun.e de nous ne peut se battre seul.e et espérer gagner, peu importe les sacrifices que nous faisons et la force avec laquelle nous luttons.
Vers qui pouvons-nous nous tourner ? Qui sont nos allié.e.s ?
Les communautés lesbiennes, gays, bi.e.s et trans sont des alliées naturelles. Tout au long de la dernière décennie, nous avons été plus fort.e.s là où nous avons formé des coalitions – sur les campus, sur les lieux de travail, dans les manifestations politiques.
Et chaque personne qui se trouve sous les feux de la réaction et de la violence économique est un.e allié.e potentiel.le. Les personnes lesbiennes, gays, bi.e.s et trans ont l’opportunité de jouer un rôle clé dans le mouvement de masse qui doit s’organiser pour faire face à ces attaques frontales. Nos communautés portent en elles l’enseignement des luttes militantes.
Nous pouvons développer des coalitions aux problématiques multiples, avec tou.te.s celles/ceux qui luttent pour la justice sociale et économique. Quand des gens aux positions sociales et aux parcours de vie divers se retrouvent ensemble dans une manifestation collective, ils/elles se souviennent ensuite de qui se tenait debout à leurs côtés quand les temps étaient durs. C’est ainsi que se forge la véritable solidarité.
Attaquer l’un.e des nôtres c’est nous attaquer tou.te.s ! Quand nous nous laissons diviser selon les lignes de l’oppression, nous perdons toujours. Mais quand nous portons ensemble une liste de revendications communes, et que nous luttons pour protéger les autres, nous gagnons souvent.
[1] Aux États-Unis, le terme gay est utilisé aussi bien pour parler d’hommes que de femmes (alors qu’en France il est souvent utilisé uniquement pour parler des hommes). Dans le présent texte, gay est donc à comprendre comme homo ou homosexuel.le.s.
[2] Dans les années 1960 à New-York, il est interdit de servir de l’alcool aux homosexuel.le.s, de danser entre hommes ou de porter des vêtements du « sexe opposé ». Les descentes de police dans les établissements fréquentés par des personnes queer sont nombreuses, généralement accompagnées de contrôles d’identité, de rafles, de violences physiques et/ou sexuelles. À Greenwich Village, quartier accueillant une large population homosexuelle, le Stonewall Inn est un bar tenu par la mafia, laquelle voit dans le public gay un filon rentable. Il est notamment fréquenté par celles et ceux qui ne rentrent nulle part ailleurs : drag queens, hommes efféminés, femmes trans, personnes racisées, jeunes, pauvres, travailleur/euses du sexe. Le 28 juin 1969, des policiers en civil font leur entrée dans le bar. Ils laissent partir une bonne partie de la clientèle et retiennent celles/ceux qui n’ont pas de papiers d’identité ou qui portent des vêtements assignés au genre opposé selon la police. Face aux brutalités policières, des affrontements éclatent devant le bar, contraignant la police à s’y réfugier, bientôt assaillie par de nombreux/ses gays, lesbiennes, trans, ainsi que par des voisin.e.s. L’émeute dure plusieurs heures, opposant jusqu’à 2000 personnes face à 400 policiers. Les jours suivants, la foule continue à s’amasser devant le Stonewall Inn et les affrontements avec les forces de l’ordre continuent. Ces événements sont devenus un symbole des luttes d’émancipation gay et trans, et sont souvent présentés comme le déclencheur des mouvements de libération LGBT qui ont fleuri au cours des années suivantes dans divers pays occidentaux. En juillet 1969, soit quelques semaines après Stonewall, est crée le Gay Liberation Front (Front de Libération Gay) à New-York. Le 28 juin 1970, les premières Gayprides sont organisées à New-York et Los Angeles, commémorant l’anniversaire des émeutes de Stonewall.
[3] En 1969 les États-Unis sont engagés dans la guerre du Vietnam. En cas de contrôle d’identité, la police demande fréquemment aux « hommes » leurs papiers militaires. Ceux qui ne les montrent pas sont suspectés d’être des déserteurs.
[4] Le terme molly houses désigne des lieux de rencontre et de sociabilité fréquentés par des hommes gays, aux 18ème et 19ème siècles en Angleterre. Il s’agit de tavernes, brasseries, cafés ou lieux privés, régulièrement ciblés par des descentes policières. Jusqu’au milieu du 19ème siècle, la sodomie était passible de peine de mort en Angleterre.
[5] Dans les années 1890, divers groupes homosexuels se montent en Allemagne, publiant des journaux, ouvrant des librairies, et militant notamment pour faire accepter l’homosexualité et faire abroger l’article 175 du code pénal allemand pénalisant l’homosexualité. L’un des fondateurs de ce mouvement, Magnus Hirschfeld, médecin homosexuel, travaillait notamment sur le lesbiannisme, le travestissement et l’idée de « troisième sexe ».
[6] Pour exemple des politiques de régression sociale à l’œuvre aux États-Unis dans les années 1990, le Personal Responsibility and Work Opportunity Reconcilliation Act of 1996 a été la première attaque du système de sécurité sociale qui garantissait des droits aux personnes âgées, handicapé.e.s, chômeurs/euses, mères célibataires et enfants pauvres.
[7] En février 1997, une explosion ravage l’Otherside Lounge, un bar lesbien d’Atlanta, faisant 5 blessé.e.s. L’auteur de cette attaque, un identitaire chrétien, déclarera avoir agi par haine de l’homosexualité « publique ».
[8] Dans les années 1990 aux États-Unis, sous le gouvernement Clinton (1993-2001), une importante réaction face aux quelques avancées juridiques obtenues par les homosexuel.le.s se développe. À titre d’exemple, on peut citer le Defense of Marriage Act, voté en 1996, qui définit pour la première fois explicitement le mariage comme « l’union légale entre un homme et une femme ».
[9] Les cliniques pratiquant des avortements aux États-Unis ont été régulièrement ciblées par des attaques meurtrières (fusillades, explosions) de la part de groupes et d’individus d’extrême-droite. Sur l’année 1994 par exemple, 4 médecins pratiquant des IVG ont été abattus par des militants « pro-vie ».
[10] Entre 1995 et 2005, on recense pas moins de 2000 incendies d’églises noires aux États-Unis.
[11] La Reconstruction (1865-1877) succède aux États-Unis à la guerre de sécession. Il s’agit d’une période de réécriture des lois et de la Constitution pour garantir les droits des anciens esclaves et mettre en place des gouvernements « bi-raciaux ». Dans le Sud, des Afro-Américains votent pour la première fois en nombre, et accèdent à des fonctions publiques et postes de pouvoir politique (même si la majorité reste aux mains des blancs). Ces gouvernements mènent une politique progressiste inédite : accès au système scolaire, droit des travailleurs, lutte contre les discriminations raciales, regroupement des familles noires, établissement d’une église noire indépendante et pilier de la communauté. Divers groupes d’opposants, dont le Ku Klux Klan, lancent alors une violente campagne de meurtres et d’incendies criminels. Dans le même temps le Nord connaît un essor réactionnaire. Les gouvernements de la Reconstruction tombent un à un, jusqu’à l’établissement à la fin du siècle d’un système d’inégalités raciales, politiques et économiques dans tout le Sud. Par la suite, une propagande acharnée décrira ces gouvernements de la Reconstruction comme un désastre politique, utilisant ce mensonge révisionniste jusqu’en Australie et en Afrique du Sud pour justifier l’exclusion des non-blancs de la vie politique. En 1935, W.E.B Du Bois, militant afro-américain pour les droits civiques, publie Black Reconstruction In America, s’opposant à cette version officielle défendue par les historiens blancs, et réhabilitant le rôle des militant.e.s noir.e.s dans les changements politiques radicaux de la Reconstruction.
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