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La prison à la maison ?
Quelques notes sur le contrôle judiciaire...

mis en ligne le 22 juillet 2009 - anonymes

Le contrôle judiciaire a été créé en 1970. Présenté à l’époque comme une alternative à la détention provisoire, il permet au juge de garder une personne sous la main de la justice en attente du procès sans pour autant remplir les prisons. Souvent présenté comme une façon d’échapper à la prison, il permet à l’État d’avoir le contrôle sur une personne suspectée. En ce sens, il constitue une autre forme de sanction, qui vient s’ajouter à l’incarcération et étend les possibilités de la justice pour contrôler et punir. En fait, le contrôle judiciaire s’ajoute doublement à la prison : d’abord parce que, de fait, les prisons sont toujours aussi pleines, on n’envoie pas moins de gens en prison, ensuite parce que la période passée sous contrôle judiciaire n’est pas comptabilisée dans la condamnation (contrairement à la détention provisoire), elle s’ajoute à la période d’incarcération.
Concrètement, le juge choisit parmi un panel de règles et d’obligations : pointages réguliers dans un commissariat (de une fois par mois à une fois par jour), suivi social (obligation de travailler ou de rechercher un emploi), interdiction de se rendre dans certaines parties du territoire, interdiction de voir certaines personnes, restrictions d’horaires, interdiction de quitter son domicile, obligation de soin, interdiction de se déplacer hors du cadre autorisé sans l’avis du juge d’instruction… Toutes ses règles personnalisées multiplient les raisons d’être incarcéré (ou réincarcéré) car ne pas les respecter peut être puni de plusieurs mois de prison. Elles sont des contraintes qui agissent sur le quotidien : une partie assure « l’insertion sociale », l’autre la surveillance pure et simple.

Les dispositifs voués à la mise au travail et au contrôle se développent sur toute la population.
La fonction sociale de la prison est de gérer la misère et d’être un repoussoir pour tous afin d’accepter l’exploitation. Sous couvert d’objectifs d’insertion, le suivi social ressemble bien souvent à une mise au travail forcée. Ainsi, les dispositifs du contrôle judiciaire sont similaires à ceux du contrôle des chômeurs, où le moindre faux pas peut être suivi d’une suppression d’Assedic ou autres allocations. Ce sont autant de rendez-vous qui rappellent à l’ordre et contraignent à accepter n’importe quel boulot. Bien déçu celui qui pense y trouver une activité épanouissante, il n’y trouvera que travail de merde et discipline.
Le contrôle judiciaire est toujours un contrôle des déplacements et des fréquentations, dans une dépendance permanente aux instances judiciaires. Les projets personnels sont, dès lors, placés sous leur surveillance et soumis à leur accord. Ainsi, dans beaucoup d’affaires, des proches sont considérés comme des complices et il est interdit de les rencontrer, ce qui a pour conséquence d’isoler et de briser les liens. Parfois même, le contrôle judiciaire interdit de se rendre dans le territoire de son lieu d’habitation.
Cette surveillance est facilitée et renforcée par un maillage policier resserré sur tout le territoire. L’ensemble de la population est régulièrement contrôlé : la vidéosurveillance se développe encore, jusque dans les rames de métro et les halls d’immeuble, les téléphones portables permettent de suivre à la trace et de connaître le carnet d’adresse ; dans les transports en commun la puce du « pass navigo » permet d’obtenir des informations sur l’identité, les droits sociaux, les stations empruntées ; sur les routes la sécurité routière est un bon prétexte aux contrôles ; dans les rues les contrôles au faciès vont bon train. Les contrôles de douane ne se font plus seulement aux frontières mais sur tout le territoire. Les frontières se matérialisent à chaque contrôle de papier au travers duquel certains passent et d’autre non.

En prison, les interdictions et l’absence de liberté sont palpables à chaque instant à travers les murs et les barreaux. Avec le contrôle judiciaire, chacun est sommé d’intérioriser les interdits et les obligations. A l’instar de bien d’autres aspects de notre société au premier rang desquels le salariat, le contrôle judiciaire participe de cette intériorisation de la résignation, de cette auto-discipline qui doit faire accepter à chacun de rester à sa place et de ne pas faire de vagues. Ceci a pour objectif de neutraliser toute volonté d’émancipation et de révolte face au fonctionnement de cette société. Les assignations à résidence et les interdictions de rencontrer des proches favorisent l’isolement, le repli sur soi et la limitation des déplacements au trajet domicile/travail, ce qui représente pour le pouvoir le mode de vie idéal pour contrôler et gérer la population.

Comme face à toute mesure visant à soumettre et à contrôler chacun, que ce soit dans les transports, au travail ou à la CAF, il existe de multiples formes de résistances et de contournements des mesures du contrôle judiciaire. Toutes sortes d’arrangements, de magouilles et d’esquives permettent de ne pas se soumettre en permanence, de continuer à vivre et donnent pleins de raisons de ne pas se résigner. Dans chaque procédé de contrôle, il y a toujours des failles et ce n’est pas l’accumulation de ces mesures coercitives qui entameront la détermination à lutter pour une société libérée de l’exploitation et de l’enfermement.

Contrôle judiciaire d’une personne mise en examen :
quelques exemples de l’étendue des possibilités d’astreintes...
La personne mise en examen « sera astreinte à se soumettre aux obligations suivantes :
Art. 138 1° - Ne pas sortir sans autorisation préalable des limites territoriales suivantes : ...
Art. 138 2° - Ne pas s’absenter de son domicile ou de sa résidence qu’aux conditions ou pour les motifs suivants : pour l’exécution de son activité professionnelle, se rendre chez son conseil, répondre aux convocations de l’autorité judiciaire et des services désignés dans la présente ordonnance.
Art. 138 5° - Se présenter une fois par semaine au Service de l’Exécution des Décisions de Justice.
Art. 138 6° - Répondre aux convocations de l’autorité judiciaire et de la personne désignée ci-dessous :
Service du contrôle judiciaire,
Justifier de ses activités professionnelles ou son assiduité à un enseignement, un rapport trimestriel nous sera adressé.
Art. 138 7° - Remettre les documents justificatifs de son identité suivants au greffe du juge d’instruction, en échange d’un récépissé valant justificatif d’identité : sa carte d’identité et son passeport.
Art. 138 9° - S’abstenir de recevoir, rencontrer ou d’entrer en relation de quelque façon que ce soit avec les personnes suivantes : x, y & z »

Voici quelques extraits de témoignages de personnes soumises à un contrôle judiciaire et dont certaines expliquent pourquoi elles s’y sont soustraites.

Lettre de Farid, réincarcéré pour "violation de contrôle judiciaire" (mars 2009)

« Après près de dix mois en “liberté provisoire”, les juges m’ont réincarcéré le 11 mars pour “violation volontaire aux obligations de contrôle judiciaire”. Sur la base d’un rapport de la section anti-terroriste de la brigade criminelle, ils me reprochent d’avoir parlé avec Ivan lors de deux manifestations de solidarité avec “Isa et tous les prisonniers” au mois de Janvier. Que les sources de ce rapport de police soient plus que troubles, qu’il ne comporte aucune photo à l’appui et que je me sois expliqué n’y a strictement rien changé. Dans un monde où police et justice sont les deux faces de la même machine à opprimer, rien de bien étonnant là-dedans. »

« Sans doute auraient-ils voulu qu’après 4 mois de détention préventive pour “association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste”, nous prenions peur et nous désertions ce qui était, avant l’offensive de l’État, nos terrains de lutte, pour la liberté de tous, contre tous les enfermements. Cela n’a pas été le cas, car de l’autre côté du mur, face à la logique judiciaire d’emprisonnement massif des pauvres et des étrangers, face à la réa-lité carcérale d’écrasement et d’annihilation, nos idées et notre rage n’en sont sorties que plus déterminées. C’est donc bien pour cela, parce que nous sommes restés debout, refusant l’isolement qui nous était promis, que les juges se sont décidés à nous “punir” et à nous renvoyer derrière les hauts murs. D’ailleurs dans l’ordonnance il m’est reproché d’avoir plusieurs fois osé demander des modifications du contrôle judiciaire, montrant bien ce qu’est le contrôle judiciaire, une “liberté” surveillée par les juges, les flics et les assistantes sociales ; et à condition de fermer sa gueule. »

Encore un clou tordu. Message d’Ivan... (mars 2009)

« J’étais convoqué mercredi avec la prison garantie à la fin de l’interrogatoire. Je veux vous adresser quelques mots au moment où je suis contraint de disparaître, à chavirer le cours de ma vie, engluée au TGI de Paris. C’est la veille du jour où je pensais voir mon contrôle judiciaire (CJ) descendre d’un cran, important, celui de l’assignation à résidence, que j’ai appris que des rapports de police bidonnés me signalaient à des manifs et rassemblements de solidarité avec Farid (surnom), réincarcéré depuis hier mercredi 11 à la Santé. Les procureurs voulaient nous voir enfermés tout comme la juge d’instruction qui nous avait promis la taule à la prochaine infraction de CJ. J’ai choisi de leur échapper.
Que dire de cet acharnement, sinon que le CJ au-delà de tenir à disposition de la Justice, leur permet de sanctionner bien au-delà des faits jusqu’à nos attitudes. Et les juges d’argumenter sur la base de commentaires psychanalysant d’une assistante sociale à la fonction de contrôle ainsi explicitée.
Que c’est de ne pas avoir renoncé à participer aux luttes qui nous traversent que la Justice se venge. »

« C’est avec autant de joie que de douleur que je me soustrais à la fois à leur décision et à la vie que je menais. Je ne compte pas me cacher trop longtemps, ni même trop me cacher. »

"Le cadeau" de la juge antiterroriste : durcissement du contrôle judiciaire d’Ivan et Farid (septembre 2008)

« Vendredi 19 septembre, la juge du pôle antiterroriste Marie-Antoinette Houyvet convoque en urgence Ivan et Farid suite à un rapport de police constatant “une violation flagrante” de leur contrôle judiciaire. La juge met la pression : elle demande de renoncer au délai de cinq jours préalable à toute convocation pour assurer les droits de la défense (accès au dossier…). Menaçant en cas de refus, de faire un mandat d’amener doublé d’un mandat de dépôt.
Lundi 22 septembre, alors qu’Ivan et Farid se présentent l’un après l’autre devant la juge, ils apprennent que le procureur demande leur incarcération motivée par un rapport de filature des RG. Une photo les montre ensemble quelques jours auparavant alors que leur contrôle judiciaire leur interdisait “d’entrer en contact de quelque manière que ce soit”.
Lors des interrogatoires, la juge use de son pouvoir pour infantiliser et faire la morale tout en laissant croire pendant plus d’une demi-heure qu’elle va, comme le procureur, demander l’incarcération. Elle finit par décider du durcissement de leur contrôle judiciaire présentant son choix comme un “cadeau”. Elle maintient les obligations précédentes : interdiction de communiquer entre mis en examen, pointage chez les flics, chez l’assistante sociale, travail, etc. ; et les assigne à résidence de 21h à 6h… la prison à la maison. Un avant-goût des assignations à résidence, principale mesure du projet de loi pénitentiaire destinée à augmenter le nombre de détentions préventives tout en économisant les places de prison. »

Pourquoi je me suis fait la malle. Lettre ouverte de Bruno (juillet 2008).

« Je me suis fait arrêter en janvier et après quatre mois et demi de prison, et de luttes aussi pour obtenir des conditions décentes de détention, me voilà dehors en contrôle judiciaire depuis un mois. Le contrôle judiciaire, c’est une espèce de loi individuelle qui te dit ce que tu dois faire et ce qu’il t’es interdit de faire. Moi je ne devais pas sortir du territoire de Belfort, ni du département de la Haute-Saône (Est de la France) où était fixée ma résidence, chez mon père. Mes déplacements étaient théoriquement limités à la recherche et à l’exécution d’un travail ou alors pour les besoins de l’enquête. L’idée, c’est un contrôle social fort et une mise à disposition de son corps à la police et à la justice. Moi je devais par exemple aller chaque semaine montrer ma face à la gendarmerie locale et être “suivi” deux fois par mois par un flic social de la pénitentiaire, sorte de relais local avec le juge d’instruction. En gros les choses sont simples, tu te tiens à carreau, on/tu te trouves une place et tu y restes ou alors tu retournes en prison, et t’as pas intérêt à déconner avec ça.
J’ai eu, pendant le mois où je suis resté en contrôle judiciaire, la désagréable sensation d’être en dehors de tout espace de luttes, d’assister à ma propre mort en tant que sujet politique. En acceptant leurs règles du jeu, c’est comme si je signais ma propre soumission, ma réédition en tant que révolté, même si parfois nous pensons qu’il est possible de se dire “je joue le jeu un moment et après je serais tranquille” ou alors “je joue le jeu en façade”. Voilà, je me suis senti dépossédé du comment je choisis de me battre avec l’existant, je me suis senti dépossédé du comment je lutte pour une transformation radicale des espaces où nous vivons, et contre la médiation capitaliste de nos vies.
Alors mon geste est le geste simple de ma révolte contre ce que l’on tente de m’imposer. Je ne possède rien sinon ma propre vie et je pouvais choisir entre me laisser broyer et annuler tout ce que j’avais fait jusqu’alors ou bien me battre, ne pas accepter la situation qui nous est faite, prendre les espaces qui s’ouvrent à moi. Il me restait comme marge de manœuvre que l’illégalité, la clandestinité et la fuite. D’abord pour mettre un peu de distance entre les flics et moi. Ensuite pour oser vivre au présent, sans regrets. Je sais que ce chemin est dur, que bien souvent, c’est la prison qui nous rattrape, que les griffes de la répression finissent par s’abattre sur celles et ceux qui luttent dans l’illégalité. Je sais aussi que je préfère quelques heures de liberté volée, arrachée à ceux qui nous oppressent plutôt que respirer au compte-goutte et de la main du maître. »

« Fuir aujourd’hui au contrôle judiciaire, c’est me replacer avec celles et ceux qui luttent, c’est affirmer que je ne suis pas un corps à gérer, à qui on impose sa volonté, c’est dire que je n’en ai pas fini avec la critique de l’oppression, du pouvoir du capitalisme, que je n’en ai pas fini d’être un parmi des centaines et des milliers qui luttent dans les espaces qui sont les leurs contre la folie de notre époque. Je n’en ai pas fini de penser que c’est dans la lutte, cette réappropriation quotidienne de nos vies, que se trouve la liberté. »

Liberté conditionnelle, contrôle judiciaire, convocation...
quelques formulations judiciaires...

extrait d’une ordonnance de mise en liberté assortie du contrôle judiciaire
“Attendu (...) que le non respect du premier contrôle judiciaire a été sanctionné par une révocation dudit contrôle qui a conduit (x) a revenir en détention pour presque deux mois ; qu’il aura ainsi pu vérifier la réactivité de l’autorité judiciaire, réactivité dont il doit être désormais conscient et qui le cas échéant en cas d’un nouveau manquement aux obligations fixées ce jour, pourrait se répéter.”

extrait d’une ordonnance de rejet de modification du contrôle judiciaire
“Attendu que si la relation sentimentale de (x) et (y) ne doit pas être ignorée, il n’en demeure pas moins que l’instruction de ce dossier n’est pas achevée et que leur relation échappant à tout contrôle serait de nature à compromettre le déroulement de l’information.”

extrait de convocation d’un mis en examen
“Je vous invite à vous présenter à mon cabinet (...) Si vous ne comparaissez pas, vous pourrez y être contrainte par la Force Publique.”

extrait d’une ordonnance de rejet de modification du contrôle judiciaire
“Par sa demande de modification de contrôle judiciaire portant sur deux points essentiels de notre ordonnance [interdiction de voir sa sœur, et domiciliation chez ses parents], Monsieur cherche à réduire au maximum les obligations du contrôle judiciaire et à obtenir des choses qui, si elles avaient été contenues dans une demande de mise en liberté auraient fait obstacle à sa mise en liberté ; qu’il s’agit là d’une demande sans fondement réel, plus proche d’une manœuvre visant à vider de son sens le contrôle judiciaire, manœuvre dont nous ne serons pas dupes (...)”


Les personnes mises en examen évoquées dans cette brochure font toutes l’objet d’une même affaire juridique qui a débuté en janvier 2008 notamment pour transport de fumigènes et de clous tordus, et tentative d’incendie d’une dépanneuse de police lors des élections présidentielles.

Deux brochures relatent plus précisément ces affaires et esquissent quelques analyses : “ Mauvaises intentions" n° 1 et 2 .

Vous pouvez la recevoir gratuitement par courrier en envoyant un mail à
solidaritesinculpes (((AT))) riseup.net ou la consulter directement sur internet à l’adresse :
http://infokiosques.net/mauvaises_i.... Cette adresse permet aussi de se tenir au courant des dernières nouvelles.



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