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Je suis pas froid et hautain, je suis autiste Pédagogie, analyses, et témoignage d’une personne autiste et trans

mis en ligne le 6 juillet 2020 - Anonyme

Qui je suis et pourquoi cette brochure ?

Je suis autiste. Je suis une personne transmasculine genderfluid (ftx). Je suis blanc, issu de classe moyenne, et j’ai fait des études après le bac. J’ai un passé et un présent avec la psychiatrie/l’HP. Je vous donne ces informations, parce que perso quand je lis un texte, je trouve que les enjeux de privilèges et d’oppression de l’auteur-e donnent un contexte essentiel à la compréhension. Politiquement, je m’identifie en tant que féministe et anarchiste.

Cette brochure voit le jour après plusieurs incidents psychophobes significatifs qui ont eu lieu dans ma vie ces 6 derniers mois. J’en ai eu marre de me faire maltraiter, rejeter, mal voir, juger, qu’on ne me respecte pas et qu’on ne prenne pas mon expérience en compte. Alors voilà, maintenant vous n’avez plus l’excuse de l’ignorance.

Dans cette brochure, je souhaite donner des informations de base sur ce qu’est l’autisme aux personnes non autistes. Je propose aussi une analyse de comment sont représenté-e-s et traité-e-s les autistes dans notre société. Enfin, je souhaitais partager mon expérience de personne autiste, et visibiliser mes difficultés passées et présentes. Dans l’idéal, j’aimerais que la brochure aide à démarrer un dialogue autour de l’autisme et du validisme dans les milieux féministe, queer, anarchiste, et militants en général.

J’espère que cette brochure évitera des jugements et davantage de violence contre les personnes autistes autour de vous. J’espère qu’elle vous donnera envie de vous remettre en question.

Au fait, n’attendez pas de moi que j’ai du tact, ou que je tourne autour du pot, ce n’est pas mon truc. Et si vous pensez déjà que je suis trop direct, sachez que le manque de tact est un point commun de beaucoup d’autistes, et qu’on peut être à la fois direct et respecteux-se. ;-)

Cette brochure n’est ni exhaustive, ni parfaite. C’est un début... J’entendrais volontiers vos retours, critiques, et remarques à froid@@@autistiche.org

Bonne lecture ;)

F

Quand tu me juges..

Quand tu me juges froid et distant, quand tu me colles ces adjectifs à la peau sans hésitation, ton jugement est le reflet de ton ignorance envers la réalité des personnes autistes et de ta psychophobie.

Quand tu me juges parce que je n’aime pas le changement et la nouveauté, et que j’aime que les règles soient claires et compréhensibles, tu fais passer des traits autistiques pour un trait de caractère comme un autre, un manque de flexibilité, une manière d’être qui t’énerve profondément.

Quand tu me juges dans mon dos, dans tes actes ou dans tes mots, ça a des conséquences sur ma santé mentale et physique, sur mon moral, ça me rend parano, et ça me stigmatise encore plus dans la communauté qu’on partage.

Quand tu es distant-e, que tu m’évites, que tu t’effaces parce que tu penses que je suis trop intense, trop froid, trop rigide, trop bizarre, que j’ai trop d’attentes. Tu as le privilège de ne pas voir que je ne fonctionne pas comme toi, que je ne pense pas comme toi, que je ne ressens pas comme toi : alors tu juges ce qui ne te plaît pas chez moi comme un trait de caractère et une option, et tu juges ta manière d’être comme légitime.

Quand tu me juges à notre première rencontre parce que je ne te regarde peu ou pas dans les yeux, que je te parle très peu (mais que je parle avec mes ami-e-s), que je ne suis pas avenant et sympa dès le départ, que tu me trouves froid : tu me mets dans une case, tu me stigmatises, tu m’isoles.

Quand tu me juges sans rien connaître à l’autisme ou aux autistes, je souffre de ton ignorance et de ta psychophobie.

C’est quoi l’autisme ?

L’autisme n’est pas une maladie. Ça n’est pas une déficience. C’est une condition de tout le corps, qui se manifeste par divers traits. Ces traits peuvent être vécus de manière positive ou négative par la personne. Beaucoup de ces traits sont handicapants dans la société occidentale actuelle validiste* et psychophobe*.

J’ai regroupé les traits que je reconnais comme autistiques en plusieurs grandes catégories. J’ai essayé d’inclure le plus de choses possibles en lisant, et en écoutant les gen-te-s autour de moi, mais malgré tout, ce n’est que ma manière de voir et de comprendre l’autisme, qui est subjective et partielle :

 Hypersensibilité(s) / hyposensibilité(s)
 Fonctionnement psychologique
 Communication, sociabilité, codes sociaux
 Manifestations physiques et "corps autiste"

Dans la partie "traduction des traits autistiques dans la vie quotidienne", je détaillerai ce que comporte chacune de ces catégories, et comment chaque trait joue dans nos vies et nos quotidiens.

Actuellement, l’autisme est plutôt décrit comme étant sur un « spectre », ce qui signifie qu’il en existe de très grandes variations, et donc plein de manières différentes d’être autiste. L’autisme peut impacter plus ou moins la vie quotidienne de chacun-e. On peut être complètement indépendant-e dans sa vie quotidienne, ou être en dépendance matérielle forte. On peut être invisible et avoir un passing non-autiste (pas sans effort), ou être plus ou moins visible selon les situations, ou bien encore être visiblement autiste quelle que soit la situation.

Et ce n’est pas parce qu’on parle d’autisme dans cette brochure, qu’on doit oublier que nos identités, les facettes de nos vies, les oppressions que l’on vit, sont multiples. On peut être autiste et trans, autiste et arabe, autiste, bi et pauvre, autiste, noir et trans, autiste, pédé cis et handi... Chacune de ces identités et les intersections qu’elle porte amène son lot de problèmes. Les oppressions et les clichés qu’elles véhiculent ont une manière assez insidieuse de jouer les unes avec les autres : faisons-y particulièrement attention.

Par ailleurs, on peut remarquer que certains traits dits autistiques se retrouvent individuellement chez des personnes non-autistes, par exemple : hypo ou hypersensibilités, difficultés sociales et de communication, fonctionnement psychologique divergent, etc. La différence, c’est qu’une personne autiste :

1- Cumule les traits. C’est donc beaucoup plus impactant au quotidien, et plus visible par les autres
2- Vit l’autisme de manière globale et dans tout son corps, et non comme un trait isolé
3- Sera stigmatisée et oppressée en conséquence...

Traduction des traits autistiques dans la vie quotidienne

Pour information, les traits décrits ici ne sont pas présents chez toutes les personnes autistes, même si la majorité d’entre eux sont assez courants. Chaque personne autiste est unique et présente donc une combinaison unique de traits autistiques, qui se manifesteront différemment selon la personne, et au fil de la vie.

Hypersensibilité(s) et hyposensibilité(s)

C’est le fait d’être extrêmement sensible à un ou plusieurs sens (ou peu/pas sensible, pour l’hyposensibilité). Cela peut impacter : toucher, ouïe, odorat, vue, goût, proprioception*, sens vestibulaire* ou interoception*.

Ces traits sont très communs chez les personnes autistes et impactent beaucoup nos quotidiens. Selon le niveau de stimulation, cela va entraîner des difficultés et/ou des douleurs dans certains espaces : environnements trop bruyants, trop odorants, des lumières fortes, des espaces bondés, etc.

L’hypersensibilité implique qu’on reçoit beaucoup d’informations en peu de temps, et à un volume très élevé : on va donc se fatiguer plus rapidement, et on aura besoin d’un certain temps pour récupérer.

Si l’environnement est stable, favorable, agréable, l’hypersensibilité peut apporter du plaisir et nourrir la créativité.

Exemple.
Je suis hypersensible au son. A la table d’un café, j’entends assez fort et sur le même plan les voitures qui passent, le bruit de la machine à café qui siffle, les discussions de la table derrière moi, et la voix de la personne qui me parle.

Dans ce cas là, plusieurs options s’offrent à moi pour gérer la situation. Je peux me concentrer beaucoup plus et essayer d’entendre la personne, mais ce sera très fatiguant : sur une journée entière, c’est impossible de faire ça pour chaque situation. Je peux me concentrer pour cette situation, et laisser tomber les autres activités de ma journée car je serai ensuite trop fatigué. Je peux me rapprocher, demander à la personne de répéter plusieurs fois, ou lui demander d’aller dans un autre espace. Mais je risque d’être vu comme bizarre, ou qu’on suspecte mon autisme. Je peux refuser l’invitation et ne plus sortir. Je peux aussi proposer en amont un espace qui convient mieux à mon fonctionnement, et/ou informer les gen-te-s de mes spécificités sensorielles (meilleure stratégie que j’ai trouvée pour l’instant).

Fonctionnement psychologique

Notre cerveau ne filtre pas les informations de la même manière que celui des non-autistes : on va avoir plus de mal à filtrer les informations "non nécessaires". C’est-à-dire que notre cerveau ne le fait pas automatiquement, qu’il faut se concentrer pour le faire, et donc que c’est bien plus fatiguant pour nous. Dans l’exemple du café, tous les bruits à part la conversation que j’ai avec mon ami-e, peuvent être considérés comme non nécessaires.

Dans une société où les stimulations sensorielles sont omniprésentes quel que soit l’espace (maison, travail, école, rue, commerce...), ce trait couplé à l’hypersensibilité peut présenter de vraies difficultés.

Pour nombre d’entre nous, faire plusieurs tâches en même temps est difficile ou impossible. Par contre, si un sujet nous intéresse, on peut se concentrer plus rapidement, efficacement, et très longtemps.

Toute activité qui demande de l’improvisation et qui implique des paramètres ou des règles nouvelles ou inconnues va poser des difficultés. A l’inverse, la répétition, la routine et les activités prévues à l’avance sont rassurantes et agréables.

Contrairement aux clichés, les personnes autistes ont une empathie souvent plus élevée, et ressentent les émotions de manière très intense. Certaines personnes ont appelé ce trait le "syndrôme du monde intense". La raison pour laquelle nous sommes souvent considéré-e-s comme froid-e-s, c’est que nous avons une manière différente des non-autistes de montrer nos émotions : les expressions du visage, la position du corps, et le langage/vocabulaire utilisés peuvent prêter à confusion pour les personnes qui n’ont pas les mêmes codes.

La plupart d’entre nous arrivons à comprendre le fonctionnement psychologique des non-autistes, même s’il n’est pas le notre, car c’est le fonctionnement majoritaire et donc "obligatoire". On nous martèle depuis très jeunes que c’est la seule manière d’être qui est valable. Quel que soit notre genre, nous l’avons bien intégré. Même si comprendre (et faire semblant d’avoir) un fonctionnement qui n’est pas le nôtre peut poser problème à plein de moments, c’est un travail que nous faisons en permanence. A l’inverse, je ne vois (presque) aucun-e non-autiste faire le travail pour comprendre notre manière de fonctionner...

Exemple à propos de l’inconnu et de la nouveauté.
Quand j’étais plus jeune, alors que j’étais à l’aise à l’intérieur du lycée (j’étais interne), je vivais chaque sortie avec beaucoup d’anxiété et d’appréhension. Je voyais ces trajets comme des sources d’incertitude et d’anxiété impossibles à contrôler.

J’habite toujours dans la même ville que je connais à peu près par cœur maintenant, donc les variables inconnues ont diminué. Mais je voyage très peu, et vais rarement dans des endroits nouveaux, ou si je le fais, je suis obligé de me préparer de manière intense pour être le moins angoissé possible : recopier mes trajets et toutes les informations nécessaires sur papier, vérifier plusieurs fois l’heure de départ et d’arrivée du train/bus, etc.

J’ai échafaudé plein de stratégies au fil du temps pour diminuer mon angoisse : par exemple, quand je voyage je prends souvent 3 objets différents pour m’occuper pendant les trajets.

Communication, sociabilité, codes sociaux

Certaines personnes autistes utilisent le langage oral, d’autres pas. Les caractéristiques qui suivent sont à propos des personnes autistes qui utilisent le langage oral.

Difficultés avec le langage non verbal, qui peut nous sembler obscur et incompréhensible. Langage non verbal : toute communication qui ne passe pas par les mots. Les personnes autistes privilégient la transparence et l’honnêteté, et ont du mal avec les sous-entendus et les double sens.

Pareil avec les autres codes sociaux. Tout ce qui n’est pas explicité sera difficile à comprendre et utiliser. Et on a plus de mal que des non-autistes à se plier aux codes sociaux qu n’ont pas de sens ou nous blessent. C’est probablement pour ça que bon nombre d’entre nous sont queer et/ou trans.

Manière de parler des personnes autistes jugée différente, étrange : vocabulaire, registre, énonciation...

Difficulté à moduler son attitude et sa manière de parler en fonction de la personne.

Difficulté dans les situations de sociabilité informelles.

Difficulté pour parler devant un groupe, ou à une personne qu’on ne connaît pas (situation inconnue + codes sociaux). Difficulté à tenir une conversation, notamment à faire du bavardage.

Difficulté à se faire des ami-e-s, à conserver des relations : les clichés qui disent que les personnes autistes n’aiment pas sociabiliser sont à mettre à la poubelle. Pour beaucoup d’entre nous, il est difficile de sociabiliser, communiquer, et donc avoir des relations humaines durables, non pas parce qu’on ne le veut pas, mais à cause de la discrimination dont nous faisons l’objet. Etre perçu-e comme bizarre, méchant-e, snob, rigide, à cause de tous les traits cités au dessus, amènent souvent les gen-te-s à nous éviter ou à couper les liens brutalement.

Exemple 1.
Parfois, il peut être difficile pour certain-e-s personnes autistes de comprendre certaines situations ou conversations, car les non- autiste se reposent énormément sur la communication non verbale. Le langage non verbal, comme la plupart des codes sociaux, peut poser de grandes difficultés car il repose sur des non-dits, et change constamment selon la situation et la personne. En communication, comme dans le reste de nos vies, avoir des "règles du jeu" claires et explicites est important. Tous les éléments de communication qui reposent sur des non-dits vont être compliqués à comprendre et à utiliser : les blagues, l’ironie, le sarcasme, la drague, certaines attentes relationnelles qui peuvent sembler évidentes, etc.

Exemple 2.
J’ai des difficultés à me faire des ami-e-s car je ne maîtrise pas certains codes sociaux, je ne les comprends pas, ou je les rejette. Ne pas regarder quelqu’un-e dans les yeux en lui parlant, avoir une énonciation hors de la norme, bouger ses mains quand on est stressé-e sont autant de facteurs qui peuvent amener les gen-te-s à nous juger et à nous rejeter. Dans les cas les plus subtils, comme dans des milieux militants par exemple, on peut être jugé-e-s snobs, méchant-e-s, froid-e-s ou hautain-e-s, parce qu’on est un peu trop franc.he.s quand on parle, parce qu’on ne sourit pas, ou pas au bon moment, qu’on n’est pas assez avenant-e-s, ou qu’on utilise un vocabulaire trop soutenu (le rapport des personnes autistes au langage est un sujet intéressant mais que je ne développerai pas ici).

Manifestations physiques et "corps autiste"

Les maladies ou troubles du système digestif sont courantes : constipation ou diarrhée chroniques, intolérance au gluten, au lactose...
Difficulté à regarder dans les yeux, ou au contraire regard prolongé jugé « intense ».
Difficultés ou impossibilité de communiquer pendant ou après des surcharges sensorielles. Grande fatigue et besoin de rester seul-e pour se recharger après activités sociales ou après surcharges sensorielles. Sommeil agité ou insomnies dû à l’anxiété élevée, à l’hypersensibilité au son, au toucher, etc.
Plus généralement, expressions du visage et du corps non conforme aux attentes sociales.

Utilisation du stimming (anglais) (ou stéréotypies (français), ou auto-stimulation) pour gérer le stress, se détendre, se concentrer.
Le stimming est la répétition d’actions ou de mouvements spécifiques afin de gérer son stress, s’apaiser, se concentrer.
Exemple : faire tourner ses mains, balancer son corps d’avant en arrière, manipuler un objet d’une certaine manière, etc.
Dans le passé et encore largement aujourd’hui, ces comportements sont vus comme pathologiques, et sont causes de stigmatisation et de discrimination intenses. Beaucoup de personnes autistes sont contraintes par leur entourage ou s’obligent elles-mêmes à réduire ou arrêter de stimmer en public.

La pathologisation des personnes autistes

Actuellement dans cette société, l’autisme est toujours vu comme une maladie par la majorité des personnes. Le milieu médical ne fait pas exception. La psychologie et la psychiatrie appuient fortement leurs théories et leur diagnostics de l’autisme sur le DSM*, ce qui pose certainement problème. Le DSM est une sorte de dictionnaire écrit par des psychiatriques étasuniens, qui prétend recenser et définir toutes les pathologies mentales. Le DSM a récemment changé d’appellation pour l’autisme et a regroupé plusieurs "conditions" sous le nom de "trouble du spectre de l’autisme".

Ce DSM, comme la psychiatrie, change au fil des époques et ajoute, enlève ou modifie certains "troubles" et leurs symptômes en fonction du contexte culturel, historique, des normes sociales, etc. Pour rappel, la psychiatrie (comme le système justice/prison) n’est qu’un système parmi tant d’autres pour contrôler et enfermer les personnes indésirables (à l’état ?). Bien sûr, cela n’est jamais présenté comme ça, et les psychiatres, autant que les médecins, adorent se vanter de leur grande objectivité, et de leur sainte mission de soignant-e-s (#ironie).

Dans les années 50, l’autisme était considéré comme un "trouble schizophrénique". Il y eut ensuite diverses théories sur les causes de l’autisme, dont celle de la mère trop protectrice (qui fait étrangement penser à certaines théories expliquant l’homosexualité), celle des gênes, etc. Comme d’habitude, la plupart de ces soit-disant explications se basent plus sur des clichés oppressifs et des normes sociales, que sur la réalité des personnes concernées.

Depuis quelques années, le DSM est passé à une vision plus ouverte en adoptant le terme de "spectre", mais reste sur une définition pathologique de l’autisme, qui serait toujours un "trouble", une "maladie" ("disorder" en anglais). Le militantisme autiste et anti-validiste se bat pour faire reconnaître les personnes autistes (et généralement neuro-atypiques) comme faisant partie d’une neuro-diversité oppressée, pas comme des personnes malades que l’on devrait traiter. Mais cela demanderait aux non autistes de reconnaître que leur manière d’être et de penser n’est pas la meilleure, mais juste une parmi tant d’autres. Et la route est longue...

Comme pour l’autisme, le DSM et les psychiatres occidentaux continuent de pathologiser la transidentité, malgré les demandes incessantes et la lutte de longue date de tant de personnes trans. Aujourd’hui dans le DSM, l’autisme a été placé sur un "spectre" mais est toujours considéré comme une maladie. En quelques dizaines d’années, la transidentité est passée de "transsexualisme" à "trouble de l’identité de genre" à "dysphorie de genre". Ils ont beau changer d’appellations, on n’est pas dupes, ils nous voient toujours comme des malades, des anormaux, des pas-comme- elleux. Tant que la psychiatrie existera, nous personnes trans et/ou autistes, qui ne pouvons ou voulons pas nous intégrer, seront probablement toujours vu-e-s comme des fous-folles*.

Autisme et handicap

De nos jours, la majorité des traits autistiques sont présentés par les médecins et les médias comme des déficiences, des incapacités. Or, si on prend de la distance par rapport aux normes et avec ce qu’on considérerait comme « évident », comme je l’ai dit plus haut, ces traits sont justes des différences. Nous, personnes autistes, avons une manière différente (des personnes non-autistes) de ressentir, de penser et de réagir au monde autour de nous. Cette différence est seulement présentée comme une déficience, parce que nous sommes en minorité et en situation d’oppression par rapport au groupe/à la pensée majoritaire validiste. Dans ce contexte, oui, cette différence est un vrai handicap.

Le capitalisme en général et le monde du travail en particulier sont d’ailleurs des acteurs de premier plan dans le maintien d’oppressions comme le validisme. De la même manière, ils se servent et nourissent aussi le racisme, le sexisme et le classisme, afin de justifier l’exploitation et le travail gratuit de toute une frange de la population.

La société occidentale est hostile à nous. De différentes manières, par différents biais, elle prend soin soit de nous marginaliser, soit de nous forcer à nous intégrer.
L’école nous rejette et nous maltraite. La psychiatrie nous silencie, nous enferme. Le monde du travail nous exploite quand il ne nous rejette pas tout simplement.
Plusieurs de ces systèmes sont des institutions de l’état français, ou sont régulés, approuvés, renforcés par l’état. Cet état est responsable dans ses lois, dans ses institutions, dans ses discours, dans sa forme même, du maintien de l’oppression validiste.

Comme dans bien d’autres cas de violences systémiques, nous ne sommes que peu ou pas entendu-e-s. C’est pourquoi il est crucial pour moi d’écrire cette brochure pour vous toustes. Que vous lisiez et entendiez ce que veut dire être autiste et trans dans la société occidentale. Que ce handicap invisible ne soit plus passé sous silence dans nos milieux militants.

Représentations de l’autisme dans la société

Dans la société occidentale

Dans l’imaginaire collectif, être autiste, c’est forcément être un homme cis* blanc autiste. En plus de ça, voici une liste de traits qui constituent le stéréotype de "l’autiste" dans l’imaginaire occidental. Grandes difficultés ou incapacité à communiquer avec les autres. Fait des crises de colère intenses et "sans raison", devient mutique. A un côté « bizarre » qui est soit tourné en ridicule, soit montré comme un moindre mal, dans le cas ou la personne est décrite comme surdouée/génie. La personne est souvent dépendante matériellement et psychologiquement de sa famille.

Ces traits constituent un stéréotype, et ne sont pas en eux- mêmes problématiques ou négatifs. Ce qui est problématique, c’est de montrer une seule et même réalité, alors que nos expériences sont multiples et extrêmement variées.
Par rapport aux autistes montrés comme des génies, on peut supposer qu’à partir du moment où tu es jugé-e "utile" aux non- autistes, ou "productif" pour la société, tu as un intérêt et donc tu es montré-e comme une curiosité, plutôt qu’un-e monstre.

Dans le milieu médical

Les tests de diagnostic médicaux sont construits autour des expériences d’hommes cis blancs autistes. Sont donc sous- diagnostiquées et discriminées dans leurs parcours médicaux, toutes les personnes qui n’ont pas cette expérience là. Récemment, les différences ou inégalités de diagnostic entre « hommes et femmes » sont davantage reconnues publiquement.

Cependant, beaucoup de pays continuent à traîner du pied et refusent de remettre en question leur système de diagnostic sexiste, raciste et transphobe. Et certains soit-disant « professionnels de l’autisme » continuent à refuser de reconnaître leurs biais, voire même les justifient en disant qu’il y aurait naturellement plus de "garçons/hommes" autistes.

La plupart des articles et de la documentation parlant des biais sexistes dans les diagnostics d’autisme sont cis- centrés/transphobes. On parle d’hommes et de femmes sans préciser cis ou trans. Dans de très rares études, les participant-e-s seront classé-e-s selon les catégories "homme", "femme", et "autre". Alors qu’il y aurait tellement à dire sur l’impact de l’assignation du genre à la naissance, et de la transidentité, sur ces diagnostics. Alors que des personnes transmasculines et transféminines sont sous-diagnostiquées, voire écartées volontairement de protocoles de diagnostic et de soin, parce qu’iels sont trans. Alors que les personnes racisées sont elles aussi sous-diagnostiquées [voir article étasunien dans "en savoir plus" qui analyse le sous-diagnostic des personnes noires et latinx à travers plusieurs études].
Certes, ces études et la reconnaissance d’un biais sexiste est un début et une amélioration. Mais il ne faut pas oublier qui est, une fois de plus, oublié, invisibilisé, et donc discriminé : les personnes trans et/ou racisé-e-s.

Maintenant, regardons d’un peu plus près cette différence de diagnostic qui existe entre "les hommes et les femmes".
Il existe un ensemble de stratégies qu’on peut regrouper sous le terme "camouflage" : ces stratégies servent à masquer ses propres traits autistiques, et ainsi "ne pas avoir l’air autiste". Bien que le camouflage soit utilisé par toutes les personnes autistes, il est utilisé de manière beaucoup plus extensive et efficace par toutes les personnes qui ne sont pas des hommes cisgenres (càd les personnes trans et les meufs cis). En effet, iels développent des stratégies en lien avec le sexisme et/ou la transphobie propres à leur genre dès le plus jeune âge. Les personnes racisées, autistes ou pas, quel que soit leur genre, développent également des stratégies puissantes de camouflage et d’adaptation à cause du racisme.
J’ai identifié 3 causes principales au sous diagnostic des personnes non mecs cis en lien avec le sexisme :

 1 D’abord, l’apprentissage et l’intériorisation des attentes genrées : les personnes non-mecs cis apprennent à s’adapter aux autres, à communiquer, à prendre en charge le travail émotionnel et relationnel, à faire du soin et de l’écoute, à prioriser les autres, à intérioriser leur angoisse, et donc à ne pas extérioriser certaines émotions comme la colère.
Donc : beaucoup savent bien communiquer, ne font pas de crises à cause des surcharges sensorielles (ou pas en public), et beaucoup ne stimment pas de manière visible.

 2 Ensuite, la vision genrée de la société :
Une "fille" timide et en retrait, qui ne parle pas trop, n’a pas trop d’ami-e-s : c’est normal.
Un "garçon" timide et en retrait, qui ne parle pas trop, n’a pas trop d’ami-e-s : c’est pas normal. Les pairs vont chercher une raison.

 3 Comme dit plus haut, outils de diagnostics défectueux, qui ne prennent pas en compte les différences de manifestation de l’autisme selon le genre des personnes.

Conclusion : Sous-diagnostic des personnes non mecs cis. Sans développer davantage car je ne suis pas une personne concernée, mais en suivant la même logique, je peux également dire avec conviction que toutes les personnes racisées sont elles aussi sous- diagnostiquées. Donc, il y a sous-diagnostic de toute personne qui n’est pas un homme cis blanc. Et pas de diagnostic = gestion invidivuelle des difficultés, plus d’anxiété, dépression, d’apparition de TCA*, etc.

Quand on est un-e enfant trans et autiste (blanc-he)...

A propos de la théorie sur le rapport entre autisme et genre dans le milieu médical occidental...

D’après de nombreux soignant-e-s, il y aurait donc beaucoup plus "d’hommes" autistes que de "femmes" autistes. Même si iels n’arrivent pas à trouver de preuves, beaucoup continuent d’assurer qu’il existe un facteur biologique à l’énorme différence de diagnostic entre ces deux "camps".
C’est quoi cette différence concrètement ? Actuellement, 1 "femme" diagnostiquée pour 4 "hommes". La différence était bien plus importante encore il y a quelques années, et elle est en train de diminuer petit à petit. Mais les théories les plus stupides continuent de peupler le milieu médical et la société.
Quand on remarque que bon nombre de personnes pensent encore qu’il y a des différences biologiques significatives entre "hommes" et "femmes", on ne peut pas être étonné-e-s que le même genre de théories sexistes et transphobes existent pour les autistes aussi.

Par exemple, dans les années 90, un chercheur britannique nommé Baron-Cohen a développé la théorie du "cerveau hyper masculin". Cette théorie se base sur des études avec des biais sexistes évidents, et a pourtant largement influencé la vision des personnes autistes dans le monde médical. D’après lui, les hommes et les femmes se trouveraient aux extrêmités opposées d’un continuum, et les traits autistiques, donc la majorité des autistes, se trouveraient systématiquement du côté "masculin". Cela expliquerait l’énorme différence de diagnostic entre hommes et femmes. Au lieu d’interroger le sexisme et la transphobie qui existait déjà dans les diagnostics d’autisme, il n’a fait que les renforcer, en essayant de les prouver de manière scientifique.

A propos du rapport entre trans-identité, identités queers, et autisme...

Quelques études commencent à montrer qu’il y a proportionnellement beaucoup plus de personnes autistes qui s’identifient comme non hétérosexuel-le-s, et/ou non cis, que de non-autistes. La différence, de ce que j’ai pu lire, semble significative.

Pourquoi cette différence ? De fait, les personnes autistes ont l’air de moins accepter de se plier aux règles sociales qu’iels jugent inutiles ou injustes. Ou en tout cas d’accorder moins d’importance à certaines règles, qui peuvent sembler évidentes ou indépassables pour beaucoup de non autistes. Le système d’assignation d’un genre à la naissance et l’hétérosexualité obligatoire étant des injonctions particulièrement violentes et réductrices, il semble logique que beaucoup de personnes autistes décident de rompre avec.

A propos des personnes trans et autistes en particulier...

Les personnes trans sont généralement sous diagnostiquées, comme vu plus haut. De plus, nous sommes psychiatrisé-e-s de force si nous voulons transitionner médicalement : pour obtenir des hormones, des chirurgies, une ALD*, on nous demande la plupart du temps un certificat de psychiatre.

La CPAM attend du psychiatre d’attester de notre trans-identité (parce que bien sûr notre seule parole n’est pas suffisante), mais aussi de certifier que nous ne sommes atteint-e-s d’aucune autre pathologie mentale. D’après la CPAM, avoir une maladie mentale porterait le risque que la trans-identité soit seulement le fruit d’un "délire", et ne viendrait pas réellement de nous. Ce processus est bien sur hyper paternaliste, psychophobe, et nous force à mentir et à cacher notre identité et nos difficultés mentales, s’il y a.

Dans ces circonstances, quand on est trans et autiste, on peut ne pas vouloir le révéler aux soignant-e-s qui nous suivent dans le cadre de notre transition, par peur de se faire refuser certains soins.

Représentations dans les médias

Trigger warning : attention, les mots et les concepts utilisés ici ne sont pas la réalité de ma vision des personnes autistes, mais la vision de personnes non-autistes.

On trouve deux figures dans les médias :

 le surdoué/génie/bête de foire intelligente. C’est le plus présent dans les films. Vision paternaliste caricaturale.
Exemples : Raymond dans Rain Man, Forrest Gump, John Nash dans A Beautiful Mind (personne qui était soit disant schizophrène, mais qui est montré avec de nombreux traits autistiques dans le film)...

 l’enfant mutique. Se renferme à un jeune âge et ne communique plus. Fait des crises de colère incohérentes et sans raison. Epuise ses parents.
C’est l’image utilisée par les institutions dans les campagnes d’informations et de prévention.

Une troisième figure est en train d’apparaître dans certaines séries :
 le jeune homme geek surdoué (toujours cis), qui a beaucoup de mal avec les interactions sociales. Légèrement plus nuancé que 27les clichés précédents, mais toujours aussi excluant et étroit. exemples : Sheldon dans Big Bang Theory, Abed Nadir dans Community...

Une représentation différente des précédentes :
 Temple Grandin (2010) (une meuf cis blanche)

A propos des rôles de personnes handicapées au cinéma

Ce sont très très majoritairement des acteur-ice-s non autistes qui jouent des personnages autistes (Tom Hanks dans Forrest Gump, Dustin Hoffman dans Rain Man, Claire Danes dans Temple Grandin...). Ces personnages sont d’ailleurs écrits par des personnes également non-autistes. Cela signifie que pratiquement toutes les représentations de personnes autistes aujourd’hui, représentations qui forment l’image et l’idée de l’autisme dans l’imaginaire collectif, sont écrites et représentées par des non-autistes.

Alors que dans nos vies quotidiennes, nous sommes oppressé-e-s et stigmatisé-e-s, pour un-e acteur-ice, jouer un personnage autiste est valorisé et souvent récompensé par des prix. Sa « performance » et sa capacité à se « transformer » sont saluées. Les films les plus connus avec des personnages autistes surdoués ne font pas exception. C’est même un processus quasi systématique que de récompenser ces acteur-ices :

>Rain Man (1988) : Dustin Hoffman remporte Meilleur Acteur aux Golden Globes et Meilleur acteur principal aux Academy Awards (équivalent des Césars aux Etats-Unis).
>Forrest Gump (1994) : Tom Hanks remporte Meilleur Acteur aux Golden Globes et Meilleur Acteur Principal aux Academy Awards.
>Temple Grandin (2010) : Claire Dane remporte Meilleure Actrice aux Golden Globes

Récompenser des acteur-ice-s qui jouent des personnages handicapés est une pratique extrêmement courante dans l’industrie du cinéma. On la retrouve au delà des personnes autistes, pour tous les autres handicaps mentaux ou physiques. Et non seulement on les récompense pour jouer des personnages aux handicaps souvent très stigmatisants, mais il ne vient même pas à l’idée de celleux qui font le film d’embaucher un-e acteur- ice qui serait concerné-e par ce handicap !

Pour résumer : l’industrie du cinéma adore les films qui parlent de handicap, mais pas les acteur-ice-s handicapé-e-s, ni la réalité de ces handicaps.

Quelques exemples :
nb : je n’indique ici que les oscars par volonté de simplification, mais iels ont reçu à chaque fois de multiples prix.

>As good as it gets (1997) Jack Nicholson joue un personnage avec des troubles obsessionnels compulsifs. Oscar du meilleur acteur.
>La leçon de piano (1994) Holly Hunter joue un personnage muet. Oscar de la meilleur actrice.
>The hours (2003) Nicole Kidman interprète l’écrivaine Virginia Woolf, qui était bipolaire. Oscar de la meilleure actrice.
>Happiness therapy (2013) Jennifer Lawrence joue un personnage bipolaire. Oscar de la meilleure actrice.

Témoignage sur mon autisme

J’ai 30 ans et je suis autiste et trans. Réaliser que je suis autiste a illuminé d’une manière toute particulière les 30 dernières années de ma vie. J’ai compris pourquoi on m’avait autant harcelé pendant des années et des années. J’ai compris pourquoi j’étais aussi intense, aussi empathique, aussi enclin à vouloir comprendre tout et tout le monde. J’ai compris pourquoi on m’avait autant rejeté, sans explication, sans merci ni au revoir.
Mon auto-diagnostic fut un long chemin : des allers et retours entre déni et réalisation pendant plusieurs années, l’ignorance des médecins, le déni de mes parents et de tous mes proches, puis le rapprochement avec une autre personne autiste qui fut le déclic... Aujourd’hui je suis heureux de me dire autiste, je suis heureux de mieux me comprendre, de pouvoir enfin commencer à m’aimer et d’arrêter de m’auto-flageller constamment.

Ce qui me fait souffrir, ce n’est pas d’être autiste en soi, c’est l’ignorance et la psychophobie des gen-te-s autour de moi, notamment dans les milieux que je fréquente, tpg, queer, féministe ou anarchiste.
C’est les difficultés invisibles et pourtant omniprésentes et énergivores dans ma vie autour de la sociabilité, des relations, de la communication.
C’est la manière dont on m’a parlé, avec condescendance et paternalisme, quand j’ai fait une critique à une personne qui m’avait fait du mal, et que j’ai eu le malheur de lui dire que j’étais autiste.
C’est l’énergie et le temps incroyables que je mets depuis toujours pour passer en tant que non autiste. Pour avoir l’air normal. J’en ai marre. Je suis fatigué de faire semblant pour vous.

Qui je suis vraiment ? Je suis intense. Je suis créatif. Je suis vrai. J’aime beaucoup et fort. Je déteste aussi beaucoup quand on me fait du mal ou quand on fait souffrir celleux que j’aime. Je suis très sensible au monde autour de moi, pour le meilleur comme pour le pire.
Voilà un échantillon de ce que représente l’autisme pour moi :

 Auto-diagnostic à 30 ans (après ma transition)
 Mon assignation et ma trans-identité ont influencé fortement les manifestations de mon autisme toute ma vie, ce qui l’a rendu difficile à diagnostiquer.
 Traumas et agressions psychophobes depuis très jeune jusqu’à aujourd’hui. J’ai vécu du harcèlement pendant toute ma scolarité, jusque dans mes années de fac.

 Hypersensibilité au son :
Pendant longtemps, je croyais que j’étais à moitié sourd (ou pas assez attentif...) jusqu’à comprendre que mon hypersensibilité au son + difficulté à gérer beaucoup de stimulations en même temps + espace bruyant = je n’entends juste pas.
Je suis très sensible et réceptif à tout ce qui a un rapport avec le son : notamment radio/podcasts et musique.
 Hypersensible à certaines drogues, notamment les excitants comme le café, le speed.
 Je ne sors jamais sans mes écouteurs et de la musique. Ca m’aide à contrôler mon environnement sonore, réduire la possible surcharge sensorielle d’une sortie, et donc à faire des trajets à l’extérieur moins stressants/plus confortables.
 Très sensible au toucher aussi. Pas du tout à l’odorat (je sens vraiment pas grand chose, quel que soit le type d’odeur)

 J’ai toujours eu du mal à me faire des ami-e-s, et c’est pas faute d’avoir essayé. J’ai une ou deux personnes très proches dans ma vie avec qui je suis à l’aise et avec qui je partage beaucoup de choses. J’ai du mal à maintenir les relations moins fortes ou intenses. Plusieurs personnes avec qui j’étais proche amicalement ont déjà rompu avec moi du jour au lendemain. Mon réseau est petit et repose sur 5-6 personnes.
 Je vais à des réunions et des évènements collectifs, mais je ne parle pratiquement jamais en groupe. Quand tout le monde me regarde, ça me paralyse.
 Je déteste regarder les gen-te-s dans les yeux. Si on est proches, c’est un peu moins pire.
 Je déteste le téléphone, je sais jamais quand c’est mon tour de parler.

 Je comprends pas le concept de politesse. Je trouve que la politesse est souvent utilisée dans des moments pour créer une illusion d’égalité entre deux personnes.
 J’aime être honnête et parler franchement. Ca me semble être l’option la plus efficace et respectueuse. Et j’ai du mal avec les gen-te-s qui sont pas honnêtes.

 J’ai beaucoup d’empathie. Je me sens souvent comme une éponge émotionnelle.
 Je suis intense. Hyper touché par mon environnement, par les galères et les joies de mes ami-e-s. Je peux trouver certaines choses très belles et touchantes facilement comme être parasité par les choses négatives autour de moi (quelqu’un qui a dit une chose négative à propos de moi va me stresser pendant plusieurs semaines).
 Vu que je ressens tout intensément, j’ai du mal à être dans la nuance. Assez commun chez les autistes il me semble, ce qui vaut à quelque un-e-s d’entre nous d’être diagnostiqué-e-s bipolaires, au lieu d’autistes.

 Plusieurs personnes m’ont renvoyé que j’avais l’air froid, hautain ou inaccessible. Alors qu’avant ma transition on m’avait jamais fait ce genre de remarques. Normal, vu que j’étais sensé être une meuf : une meuf en retrait, qui regarde pas trop dans les yeux, pas très avenante, c’est une meuf timide (=normale). Un mec avec les mêmes traits, c’est un mec froid et hautain. Bisous au joli croisement psychophobie/transphobie !

 Problèmes de digestion chroniques et toutes les conséquences médicales qui vont avec (hémorroïdes, douleurs...).
 Angoisse élevée tout le temps. Les moments où je suis le moins angoissé sont quand je suis seul ou quand je suis à deux avec une personne avec qui je m’entends très bien.
 Très à l’aise seul. Être seul me ressource, notamment après un moment de sociabilisation. Je fais plein de trucs et je suis productif quand je suis seul.

 Je ne suis pas multi-tâches. Ne me parlez pas pendant que je conduis une voiture. Je ne peux pas lire avec de la musique en fond. Si je parle avec quelqu’un-e, le moindre bruit ou mouvement va me faire sortir de la conversation : couverts sur la table, chat qui miaule, porte qui s’ouvre...
 Si il y a trop de stimulations et que je suis pas à l’aise, je me fatigue et je me déconcentre vite. Si la situation est propice, l’environnement calme, et que je suis intéressé par un sujet, je peux rester concentré/produire pendant des heures et des heures.

Quelques pistes pour les allié-e-s et les ami-e-s

 Ne pas partir du principe qu’une personne n’est pas autiste (ou valide en général) jusqu’à preuve du contraire.
L’évidence n’est pas notre amie.
Et ne jamais outer une personne autiste sans son consentement.

 Se renseigner : articles, zines, livres, etc. Voir tous les liens et les recommandations dans la partie suivante. Ne pas se renseigner auprès de psychiatres, psychologues et autres « experts de l’autisme ». Beaucoup de parents d’enfants autistes écrivent des blogs et ils ne sont pas tous pourris, mais je vous conseille largement plus de lire des blogs de personnes autistes qui écrivent sur leur propre vie sur internet.

 Comprendre que l’autisme n’est pas une pathologie, et aussi que c’est une condition globale (c’est-à-dire pas seulement psychologique, mais de tout le corps), qui impacte nos vies au quotidien. Ce n’est pas une faiblesse ou une déficience, mais par contre c’est un handicap.

 Réfléchir aux dynamiques individuelles et collectives. Les personnes autistes font un énorme travail d’adaptation aux normes validistes et psychophobes depuis l’enfance. Ce travail est fatiguant, invisible, et sans fin. Ce texte n’est pas un appel aux non-autistes à « s’adapter » aux autistes, mais à bousculer vos évidences en termes de fonctionnement psychologique, et à repenser globalement vos manières de faire. Notamment dans les espaces militants.

 Réfléchir à ses privilèges en tant que personne valide ou neurotypique. Ouvrir des espaces de parole aux personnes autistes. Visibiliser les enjeux autour de l’autisme et du validisme autour de soi et à ses proches.
 Si iels souhaitent en parler, poser des questions à ses ami-e-s ou camarades autistes sur ce qu’est l’autisme pour iels. Poser des questions et engager une discussion sur comment on peut modifier son comportement, individuellement et collectivement, pour créer des espaces et des relations moins validistes.

Quelques pistes lors d ’évènements collectifs

Cette liste apporte des pistes, mais ne rendra pas votre évènement "safe" ou non psychophobe. Elle peut servir de base de réflexion, ou de de base de discussion avec des personnes concernées en amont de l’organisation d’un évènement.

 Afficher visiblement l’agenda de l’évènement, et toutes les informations utiles aux participant-e-s. Beaucoup de personnes autistes fonctionnent et retiennent bien mieux les informations "visuelles".
 Ecrire ou afficher au fur et à mesure de l’évènement ce qui est produit (comptes rendus, décisions, réflexions...)

 Réfléchir à et proposer différentes formes de communication, de discussion, de participation. Le grand groupe en cercle est probablement la forme la moins accessible pour beaucoup de personnes autistes ou neuro-atypiques. Parler à l’oral devant un groupe n’est pas la seule manière de communiquer, on peut aussi écrire, bouger, danser, dessiner, etc.
 Inclure des pauses dans l’agenda de l’évènement. Au mieux une pause toutes les 1h30, au pire toutes les 2 heures.

 Si c’est possible, aménager un espace calme et fermé isolé de l’espace d’activité. Cet espace, selon les envies/besoins des participant-e-s, peut être défini comme "sans interactions", "mad room", ou autre.

 Réfléchir à tous les moments de sociabilité informels présents pendant votre évènement. Prenez en compte que beaucoup de personnes autistes auront des difficultés pour participer à ces moments. Faites en sorte de proposer des espaces ou activités alternatives. Par exemple, indiquez que des zines, du matériel de dessin, ou autres, sont à la disposition des participant-e-s à tel endroit pendant tout l’évènement.

 Une personne peut être désignée au début de l’évènement comme "écoutant-e" ou "oreille". C’est-à-dire que la personne est visible et disponible pour faire de l’écoute à des personnes individuellement pendant l’évènement. Le rôle peut tourner si l’évènement est long. La personne devra être un minimum formée en écoute active, être un peu au fait des enjeux d’oppression systémique, et comment ces oppressions peuvent jouer pendant l’évènement.

Pour en savoir plus

Avertissement : La plupart des textes et certaines brochures données ici ont une analyse cis-centrée/transphobe. Beaucoup sont écrits par des blanc-he-s, et donc ethno-centrés/racistes. Donc à prendre avec des pincettes ! Je les cite parce que j’ai tout de même jugé certaines de leurs analyses intéressantes, et que les ressources pas transphobes et pas racistes sur l’autisme sont presque inexistantes. Toutes ces ressources ou presque sont trouvables en tapant leur nom dans un moteur de recherche internet.

Témoignages

> Article "Autistic while black : How autism amplifies stereotypes" (anglais)
Article de Catina Burkett sur les thèmes : autisme, race, genre, travail.
> Article "Intense Connections" (anglais)
Article de Sonny Hallett sur les thèmes : autisme, trans-identité, race, communauté, neuro-atypie, identité(s)
> Brochure "In Camouflage : A zine on the intersection of autism and gender" (anglais)
> letemplebleu.over-blog.com
Blog d’une meuf cis à propos de sa vie et de son autisme.
> Article "I Identify As Tired" (anglais)
Article de Paige Ballou sur les liens entre épuisement physique et psychologique et autisme.

Plus d’infos sur l’autisme

> "Manifeste pour la bonne santé des autistes (et des non- autistes)" de Caroline Vigneron (personne concernée). Dispo sur internet. Elle explore entre autres le fonctionnement du corps des personnes autistes, dans la volonté de sortir de la théorie de la séparation corps/esprit et explorer l’autisme comme une condition globale. Thèmes : nutrition, microbiote, système nerveux, intestin...
> Article "Cartographier l’autisme en schémas pour mieux l’accompagner" très complet et intéressant !
> Article "Prevalence estimates for autism indicate bias against non-white groups" (anglais) Article de Jill Adams sur le racisme dans l’accès aux soins et dans les diagnostics d’autisme aux états-unis.
> tapsychophobiemenvahit.wordpress.com (queers et autistes)
> spectredelautisme.com
> spectrumnews.org (anglais)

A propos du camouflage

> Article "L’effet caméléon" sur le site letemplebleu.over-blog.com
> Etude "Me régler sur mon meilleur niveau de normalité : camouflage social chez les adultes ayant une condition du spectre autistique"
> Article "The costs of camouflaging autism" sur spectrumnews.org

Psychophobie et validisme

> Article "Qu’est-ce que la psychophobie ? Une mise au point"
> Zines "Sad Ghost Club" (anglais et français)
> Brochure " Étranger.e à soi, Réflexion sur le courant du self-care"
> Toutes les ressources sur zinzinzine.net

Anti-psychiatrie

> Brochure "Dictionnaire anti-psychiatrique (extraits)"
> Brochure "Les ami-e-s sont le meilleur des remèdes - guide pour créer des réseaux de soutien en santé mentale"

Lexique

> validisme
Oppression systémique des personnes qui sont handicapées, que ce soit physiquement, psychologiquement, ou les deux.

> psychophobie
Oppression systémique des personnes qui se trouvent en dehors des normes de fonctionnement psychologique : personnes handicapées psychologiquement, qui ont une maladie mentale, qui sont neuro-atypiques, fous-folles, etc.

> fou-folle
Terme stigmatisant réapproprié dans les dernières années par des personnes discriminées pour leur fonctionnement psychologique sortant de la norme, notamment des personnes psychiatrisées.

> personne cis / cisgenre
Personne qui se reconnaît dans son genre assigné à la naissance. Une personne assignée femme à la naissance (afab) qui s’identifie en tant que femme est une femme cisgenre.

> DSM
Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders / Manuel de statistiques et de diagnostic des maladies mentales. Ouvrage produit par la American Psychiatric Association, une association de psychiatres étasuniens, et utilisé par des soignant-e-s du monde entier. Il prétend recenser et classer toutes les maladies mentales, et leurs symptômes.

> proprioception
Capacité du corps à percevoir ses mouvements

> sens vestibulaire
Perception de la position du corps dans l’espace

> interoception
Capacité à comprendre certains signaux physiologiques comme la faim, la soif, l’envie de faire pipi, le froid, le chaud...

> ALD
Affection longue durée : les ALD sont habituellement délivrées par la CPAM à des personnes ayant des maladies chroniques, et servent à rembourser intégralement les soins qui y sont liés. La trans-identité n’est pas une maladie mais est quand même classifiée par la CPAM comme ALD (iels l’ont mise dans "ALD 31 hors liste").

> TCA
Troubles du comportement alimentaire : anorexie, boulimie, etc.

Brochure écrite pendant le confinement de mars-avril 2020 en france.
Retours, critiques, et remarques à froid@@@autistiche.org



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