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Laïcité néo-coloniale

mis en ligne le 18 mars 2020 - anonymes

La loi de 1905 et son contexte

En 1905 est votée la « loi de séparation des Églises et de l’état ».

Extrait d’une prise de parole à l’assemblée nationale lors des débats de l’époque :

« La soutane n’est pas une obligation pour les ecclésiastiques. Dans certains pays ou certaines périodes où le culte s’exerce librement, ceux­ci ne la porte pas.

­ La soutane constitue un acte permanent de prosélytisme sur la voie publique.

­ La soutane rend le prêtre triplement prisonnier, de sa « longue formation cléricale », « de son milieu étroit », « de sa propre ignorance ». Elle modifie « sa démarche, son allure, son attitude et par suite son état d’âme et sa pensée ».
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La soutane est un signe de soumission, d’ « obéissance (...) directement opposé à la dignité humaine ». Ensoutanés, les prêtres ne peuvent « échapper à la surveillance de leurs supérieurs » et il existe « une barrière infranchissable entre eux et la société laïque ». Elle fait subir aux prêtres une « tyrannie monstrueuse de tous les instants ».
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Un « grand nombre » de prêtres attendent « cette loi qui les rendra libres » en leur interdisant de porter « la robe sous laquelle ils se sentent mal à l’aise ». En « l’habillant comme tout le monde (...) faisons de cet adversaire des idées modernes, (...) un serviteur du progrès. De ce serf, de cet esclave, faisons un homme.
 »

On est en 1905 et ces mots sont ceux du député radical­socialiste Chabert (cité par Jean Beaubérot) qui proposait un amendement à la loi de séparation des Eglises et de l’état, avant qu’elle ne soit votée.

Ces arguments vous ont peut­être rappelé des discours plus contemporains. Pour s’en rendre compte, il suffit de remplacer les termes de la liste ci­dessus. « soutane » par « voile »,« prêtres » par « filles qui portent le foulard », « ecclésiastiques » par
« musulman∙e∙s ».

L’amendement Chabert fût rejeté.

Voici un extrait prononcé par Aristide Briand, rapporteur du projet de loi, juste avant le vote de cette fameuse loi de juillet 1905 :

« [Nous étions ] désireux de faire accepter la séparation par les nombreux catholiques de ce pays. Nous n’avons pas oublié un seul instant que nous légiférions pour eux et que les droitsde leur conscience exigeaient de la loi une consécration conforme à l’équité. C’est dans cet esprit que nous avons entrepris et réalisé cette grande réforme. [...] Dans ce pays où des millions de catholiques pratiquent leur religion – les uns par conviction réelle, d’autres par habitude, par
traditions de famille ­, il était impossible d’envisager une séparation qu’ils ne puissent accepter. »

L’effet de cette loi c’est de séparer ce qui est officiel et imposé à tou∙te∙s les citoyen∙ne∙s et ce qui est facultatif. Ce qui est officiel c’est la république – on est au début de l’installation de la troisième république, et ce qui est facultatif c’est le culte religieux ­ et de ce fait l’Église catholique en particulier.

L’intérêt de l’état dans tout ça c’est pas juste d’être sympa et faire en sorte que chacun puisse exercer le culte qu’il veut puisque cette tolérance religieuse existe déjà dans la france de 1905.

L’enjeu pour la génération d’hommes politiques au pouvoir à ce moment là, c’est d’installer la république. Et cela s’inscrit dans un combat violent contre la première puissance politique historiquement hostile à la république, à savoir l’Église catholique.

Voici un exemple pour donner une idée de la force politique de l’église encore peu de temps avant le vote de la loi. En 1876, il y a plus d’enseignants religieux que laïques et plus d’élèves dans les collèges religieux que dans les lycées d’état. La France est considérée par le nombre de prêtres et de religieux comme la première puissance catholique du monde. Or les Républicains ne veulent plus que l’Église s’immisce dans la vie politique. Gros enjeu ! Donc ils votent des lois sur l’école, sur le travail, sur les associations pour diffuser la morale républicaine plutôt que la morale catholique.

Et en 1905, c’est souvent avec le soutien des forces de l’ordre de l’état que seront retirés les crucifix des écoles voire que des prêtres seront traînés de force en dehors des salles de classe.

Un combat violent donc mais comme l’exprime le rapporteur de la loi, Aristide Briand, dans la citation au­dessus, l’Église catholique étant très influente, il faut quand même composer avec. Au final, en 1905, l’état a été plutôt accommodant avec la religion catholique.

Il a dû faire des compromis. Par exemple, en cédant gratuitement à l’église l’usage des quelques dizaines de milliers d’églises dont l’état était propriétaire ou encore en finançant les aumôneries ou lieux de cultes dans certains lieux publics comme les hôpitaux pour garantir le libre exercice du culte (encore d’actualité).

Et en vrai, l’état est aujourd’hui encore très arrangeant avec l’église catholique, voire la soutient financièrement et légalement. En voici trois exemples :
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 l’Alsace et la Moselle n’étant pas françaises au moment de la promulgation de la loi, elles ont encore aujourd’hui un statut spécial, car les évêques, les prêtres, les rabbins et les pasteurs (mais pas les imams !) sont toujours assimilés à des fonctionnaires et l’entretien des bâtiments est payé par l’état (mais pas les mosquées !). L’enseignement religieux dans les écoles publiques y est également conservé. Ce statut particulier de l’Alsace-­Moselle a été validé en février 2013 par le Conseil constitutionnel.

 la loi de 1905 précise que les édifices existants sont et demeurent propriétés de l’état, même si l’usage est permis à l’église catholique. Ce qui fait que les communes ont la charge financière de l’entretien de ces édifices existants depuis 1907, constitués à 90% d’églises catholiques.- par une décision du 2 juin 2017, le Conseil Constitutionnel a validé l’obligation légale faite à la Guyane d’assurer la rémunération du clergé catholique du département.

 par une décision du 2 juin 2017, le Conseil Constitutionnel a validé l’obligation légale faite à la Guyane d’assurer la rémunération du clergé catholique du département.

Et après, on nous dit que l’état français ne favorise aucun culte !

La séparation des églises et de l’état n’est donc pas valable sur tout le territoire français. Un autre exemple de taille de contournement de ce principe d’équité de base est qu’en 1905, le gouvernement français a refusé d’appliquer la loi de séparation dans les colonies et les lieux de bagne (comme la Guyane), pour garder un contrôle strict sur l’islam. On y reviendra.

La loi de 1905 vise à séparer des pouvoirs pour installer la république mais pas à réprimer des pratiques religieuses, ni les rendre moins visibles dans l’espace public ni à « émanciper » malgré­ eux des croyant∙e∙s ou ecclésiastiques (même si des débats ont eu lieu sur le sujet àl’assemblée). Elle ne sépare même pas complètement le pouvoir étatique et le pouvoir religieux puisque plein de cadeaux, toujours valables aujourd’hui, sont offerts à l’église catholique et puisque l’état veut, déjà à l’époque, garder le contrôle sur l’islam.

La neutralité de l’espace public

Mais alors comment se fait­ il que la loi de 1905 soit invoquée pour imposer aux femmes de se dévoiler pour célébrer leur mariage, recevoir leur décret de naturalisation, être entendues devant la justice, passer un examen, intégrer une formation professionnelle ou universitaire ?

Pourquoi est­-ce qu’il a été interdit à des mères musulmanes qui portent le foulard
d’accompagner des sorties scolaires au nom de la laïcité ? L’état finance plus de 9000 écoles privées catholiques sous contrat [1] (contre trois écoles musulmanes sous contrat) mais la simple présence d’un signe religieux d’une personne participant ponctuellement à une activité scolaire fait débat ?

Comment, au nom de ce principe, peut­on on refuser de proposer un repas de substitution pour les élèves quand du porc est proposé à la cantine [2] ? Voire invoquer une « obligation laïque » pour les enfants de manger de la viande à la cantine ? L’état va jusqu’à financer des aumôneries dans les milieux fermés (hôpitaux, casernes, lycées, prisons, ...) pour garantir le libre exercice du culte catholique, mais donner le choix de nourriture halal dans les cantines
serait une entorse intolérable au principe de laïcité ?

Comment se fait­-il que la question du port de combinaisons couvrant tout le corps dans les piscines municipales semble pour certains poser un « problème laïc » [3] ?

Quel est le rapport ?

Comment ? Pourquoi « laïcité » est­il aujourd’hui devenu quasi­synonyme de « la religion doit rester dans l’espace privé » ?

Comment se fait­il qu’il semble désormais qu’il soit demandé d’être laïc aux individus
plutôt qu’à l’état ?

Parce que la laïcité a été redéfinie ces dernières années. Et que cette définition a fait
l’objet d’une lutte entre différentes tendances. D’un côté, ceux qui pensent qu’il existe un « problème musulman », conception associée à une certaine conception de la laïcité. De l’autre, ceux qui pensent que non, qu’il n’y a pas plus de « problème musulman » aujourd’hui en france qu’il n’y avait de « problème juif » dans l’allemagne hitlérienne [4] . Cette vision correspondant elle aussi à une autre conception de la laïcité. Et devinez quoi, c’est plutôt les partisans de l’existence d’un « problème musulman » qui ont gagné, imposant
leur vision d’ une « nouvelle laïcité ».

Pour donner un exemple de comment cette « nouvelle laïcité » est devenue un fourre­-tout, voici un extrait d’un rapport du gouvernement de 2003 :

« En fait, c’est l’identité française fondée sur l’universalisme, l’égalité (en particulier entre hommes et femmes) et l’humanisme qui est en jeu et c’est notre régime politique qui est questionné. Alors que notre société est bousculée par la mondialisation, la construction européenne et la décentralisation, la laïcité apparaît comme une référence stable et un peu mythique. C’est pourquoi elle est devenue un élément de référence de l’identité française. Sa remise en cause par le multiculturalisme et le communautarisme peut donc être perçue comme une
menace pour l’identité nationale.
 »

François Baroin, sur une commande de rapport sur la laïcité émise par Jean­Pierre Raffarin (1er ministre)

Extrait d’une publicité d’une marque de lingerie féminine où l’on comprend qu’il y aurait une version spécifiquement française de la « liberté » et que c’est en bikini que ça se passe...

On remarquera qu’il n’est plus question ici d’une certaine neutralité de l’état qui ni ne
promeut ni ne s’oppose à certaines religions mais il s’agit d’identité (française),
d’universalisme... La « nouvelle laïcité » ne parle plus d’enlever tout caractère institutionnel, officiel, étatique aux cultes religieux comme en 1905. Non, à partir des années 2000 surtout, il va s’agir par dessus­tout d’imposer la neutralité aux individus dans l’espace public. Et c’est alors sans suprise qu’on constate qu’elle semble se diriger exclusivement contre les musulman∙e∙s.

C’est ainsi qu’on entend parler d’ « occupation de rue »quand une prière musulmane déborde dans la rue parce que la mosquée ou salle de prière est trop petite voire inexistante.

C’est ainsi qu’ont été votées les lois sur les signes religieux « ostensibles » à l’école (2004) puis sur le voile intégral dans l’espace public (2010).

Tag islamophobe dans un stade de La Rochelle

C’est ainsi que la présence (l’existence ?) des femmes musulmanes qui portent le foulard en particulier et des musulmans en général est de plus en plus remise en question, à l’école, au collège, au lycée, à l’université, dans les entreprises, dans les crèches, dans les bureaux de vote, chez le médecin, dans des salles de sports, dans des restaurants, dans les couloirs du métro, au tribunal, sur les photos d’identité, à l’auto­école, à la piscine, sur les plages, à la mairie, au sport, sur des bases de loisirs municipales, pour faire du bénévolat dans des associations, aux restos du cœur, à l’assemblée nationale, au NPA, dans tous les autres partis politiques, au spectacle de fin d’année de l’école de leur enfant, dans la rue... C’est à dire, au final, à peu près partout sur le territoire français.

On ne peut manquer de relever l’hypocrisie patente de cette prétendue neutralité quand celle­-ci n’est jamais vue comme compromise ni par les marchés de Noël, leurs décorations et les chants qui crachent dans les hauts parleurs des villes pendant tout le mois de décembre, ni par les calvaires et les croix un peu partout ni encore par le voile porté par les nonnes catholiques.

Les discours dominants politiques ou médiatiques ne traitent jamais des manifestations de la religion catholique en france comme une question religieuse qui devrait rester privée. La prétendue neutralité de l’espace public ne semble donc pas remise en question par le fait que toute la vie sociale en france s’organise autour d’héritages chrétiens : le calendrier, les jours fériés, les noms et prénoms des gens, des rues, des villes, le mariage, la morale...

Deux exemples parmi plein d’autres : la ville de Lyon organise chaque année une « fête des lumières », qui est en fait un hommage à la Vierge Marie pour avoir accordé sa protection à la ville en stoppant une épidémie de peste. Toute la communication faite autour de l’événement prend bien soin de préciser qu’il s’agit désormais d’une fête « populaire »... Populaire plutôt que « religieuse ». Donc aucun problème à la financer avec de l’argent public, ou à occuper l’espace public pendant une semaine.

Récemment le conseil d’état a autorisé l’installation des crèches de noël dans les mairies. Il reconnaît qu’elles ont un « caractère religieux » car elles illustrent « une scène qui fait partie de l’iconographie chrétienne ». Mais elle sont aussi « un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement (...) les fêtes de fin d’année ». Les crèches sont donc autorisées si elles n’ont qu’un « caractère culturel, artistique ou festif ».

Heu, ça vous semble pas un peu arbitraire à vous ? Les crèches ça passe parce qu’on décide qu’elles sont plutôt du domaine du culturel, du festif, de l’artistique et puis c’est la tradition quoi ! Mais dès qu’il s’agit de l’islam ça ne serait que du religieux pur et dur, sans culture, sans art et sans fêtes ?

La neutralité, c’est quoi ?

Une discussion en famille... Ou plutôt une engueulade en famille. Y’avait ma mère, mon père, ma sœur et je me rappelle plus comment on en est venu à parler de la loi d’interdiction du voile à l’école. C’est vite parti en vrille, en conflit politique quoi.
J’étais le seul à tenir la position que 1°) cette loi est islamophobe et 2°) c’est un problème qu’elle le soit.

Ma famille au contraire défendait la loi. Je vous épargne l’historique des arguments. En tous cas, ma mère a clos le débat avec cet argument « massue » :

« Mais toi tu ne te balades pas en affichant tes croyances partout »

en accompagnant cette phrase d’un geste de la main, comme si elle me dévoilait de haut en bas pour illustrer son propos. « Mais toi tu ne balades pas en affichant tes croyances partout ». Cette fois comme pas mal d’autres, j’ai rien su répondre, j’étais scié. Ce qu’elle me disait en somme, c’est que j’étais « neutre », que j’incarnais une (prétendue) neutralité.

C’est le moment où je dois préciser que je suis un homme, cis, blanc, hétérosexuel, athée qui s’habille avec un style « citadin décontracté » qu’on pourrait qualifier de « passe­partout » tellement il se fond dans la masse. La neutralité, c’est donc ça. C’est même exactement ça.

C’est l’alignement sur les normes dominantes et les codes sociaux dominants. C’est ce qu’on voit même plus comme un code, tellement c’est présenté comme ce qui est normal.

Aux yeux de ceux qui définissent la norme, une femme musulmane se singularise enportant un foulard et porte donc atteinte à la « neutralité de l’espace public ». Ce qu’on lui demande donc en réalité à travers cette injonction à la « neutralité », c’est de se conformer à des normes dominantes, à l’identité (prétendue universelle mais pourtant bien particulière) dominante. C’est de l’assimilation [5] forcée.

A ce propos, Pierre Tévanian dans un article intitulé « Une révolution conservatrice dans la laïcité » écrit :

« La manière par exemple dont on a dit et répété aux musulmans qu’ils « pouvaient » vivre et exprimer leur foi tant qu’ils voulaient « chez eux », « dans la sphère privée », mais que « dans l’espace public », ils devaient, « laïcité » oblige, « rester neutres », n’est pas sans rappeler le discours quasi­identique qui continue d’être tenu aux homosexuels : « vous faites ce que vous voulez chez vous, c’est votre vie privée, mais vous n’avez pas à vous afficher dans l’espace public. ». Dans les deux cas, le même semblant de « respect » et de « générosité » (« vous avez le droit de
faire ce que vous voulez chez vous ») masque la même discrimination, la même assignation à un silence, une invisibilité, une soumission à un ordre totalitaire auquel les « majoritaires » échappent ».

Cette conception implique une suppression totale de la liberté d’expression. Un espace public dans lequel les individus sont tenus de « rester neutres » est un espace totalitaire. Ce concept de « neutralité » est donc un outil pour exclure tout une catégorie d’individus du groupe majoritaire [6] . Un outil de stigmatisation et de répression.

De plus, un espace public où l’on ne peut laisser s’exprimer qui l’on est réellement
amènera la même dynamique de répression de soi à l’intérieur du domaine privé. Interdire « dans l’espace public », c’est donc déjà commencer à réprimer jusque dans les espaces privés (et dans les esprits), ces espaces n’étant qu’artificiellement séparés dans les discours, pas dans nos réalités psychiques.

Des couples homosexuels ont pu témoigner de cette continuité entre l’espace public et privé. Ainsi certains couples qui ne se montrent pas d’affection en public par crainte de réactions voire d’agressions homophobes racontent avoir fini par « prendre le pli » et par ancrer cette habitude dans leurs corps et pensées et par éprouver ainsi de grandes difficultés à s’exprimer leur affection jusque dans leur intimité.

La laïcité islamophobe

Cette affiche diffusée par Al­kanz date de 2011 lorsque la direction du lycée Blanqui à Paris a convoqué des lycéennes pour leur expliquer qu’elles devaient venir en cours « en jean et en T­shirt comme tout le monde » sous peine d’être exclues. Leur crime ? porter des robes longues unies, des robes jugées « trop ostentatoires ».
Qu’est­-ce que ça veut dire « comme tout le monde » ? Une tenue qui ne pourrait pas laisser penser qu’elles sont musulmanes ? Est­ce que ça veut dire que « tout le monde » n’est pas musulman ?

Est­-ce un hasard si en même temps que la laïcité devient une sorte de « bonne culture », de « bonnes moeurs », elle semble se diriger exclusivement contre les musulmans ? Non puisque les musulman∙e∙s de france sont majoritairement descendant∙e∙s de colonisé∙e∙s. Et les colonisé∙e∙s ont toujours été supposés avoir une « mauvaise culture », à civiliser, à éduquer, à intégrer.

En fait, la « nouvelle laïcité » cache (mal) une politique d’assimilation qui cherche à
soumettre les corps et les esprits des musulman∙e∙s. L’école est aujourd’hui un des premiers postes de la mise en place de la nouvelle laïcité. Parce que les missions de l’école, c’est notamment d’éduquer, d’intégrer.

Ce n’est pas non plus un hasard si l’école est aujourd’hui un des hauts lieux des
discriminations islamophobes. La loi du 15 mars 2004 (sur le voile à l’école) a d’ailleurs été justifiée ainsi. Il faut interdire le voile à l’école parce que l’école publique doit « réunir les conditions de l’intégration ».

Selon le Haut conseil à l’intégration, l’école a pour mission de « donner aux élèves le sentiment de faire partie d’un même peuple, unis par des principes fondamentaux (...) ».

Unis par des principes fondamentaux ainsi que par un certain code vestimentaire, une certaine culture, apparemment.

Lundi 4 janvier 2016, rentrée des classes après deux semaines de vacances pour les élèves. Pour certains – et certaines ! – cette rentrée est aussi synonyme de peur du rejet. Depuis les attentats du 13 novembre 2015, de nombreux témoignages alertent sur une nouvelle hausse des actes islamophobes à l’école. Le collectif des enseignants pour l’abrogation de la loi de 2004 nous livre ce témoignage.

« Le vendredi 20 novembre à 8 heures du matin, deux élèves arrivent dans leur lycée de la région lyonnaise. Comme tous les jours, les deux jeunes filles enlèvent leur voile avant de rentrer dans l’établissement. La conseillère d’orientation les prend alors à partie en leur reprochant que leurs tenues ne seraient pas réglementaires mais ostentatoires. Leurs tenues seraient « trop longues et trop noires » (répété à plusieurs reprises). Les remarques des deux élèves, insistant sur le fait que robe et jupe ne sont pas des signes ostentatoires et que « tout le
monde en porte », ne change rien. La conseillère d’orientation fait enlever à l’une des deux jeunes filles, Samira 16 ans en classe de première, sa robe et celle­ci se retrouve en legging et débardeur dans la cour de récréation. La CPE reproche alors à la jeune fille d’être trop dévêtue ! « Avec toi c’est tout ou rien ! » La jeune fille est restée une demi heure dans cette tenue avant de remettre discrètement sa robe et de retourner en cours. »

Comme on peut l’entrevoir à travers cet exemple, l’islamophobie est un racisme qui
touche en premier lieu les femmes. Laïcité et féminisme sont aujourd’hui régulièrement associés, comme si les deux avaient un lien naturel, présentant au passage la république française comme une pionnière de la défense du droit des femmes (joli renversement !). Et comme si religion et féminisme devaient nécessairement s’exclure mutuellement.

Et comme souvent, on peut trouver des origines de l’acharnement de l’état français contre les musulmanes et musulmans dans l’histoire de la colonisation...

Algérie sous domination coloniale et france islamophobe

« A travers les récits de voyage, la peinture et la photographie, les études ethnologiques, sociologiques et les rapports officiels, la femme algérienne ­symbolisée et réduite le plus souvent au harem, à la polygamie et au port du voile – fût représentée soit comme opprimée, analphabète et passive, soit comme objet de fantasmes sexuels des hommes européens.

Sauf quelques exceptions, cette vaste production insistant sur le statut dégradant de la femme algérienne fut utilisée à des fins politiques afin de valider l’idée que les algériens musulmans étaient culturellement si différents ­donc inférieurs­ qu’ils ne pourraient jamais être assimilés à la civilisation française. (...) L’argument de la pratique de la polygamie et de la répudiation devint un instrument politique afin de dénier aux algériens l’accès aux droits civiques et politiques. »

La similarité du processus est frappante quand aujourd’hui de nombreuses femmes
musulmanes qui portent le foulard et de nombreux musulmans « trop visibles » sont licenciées ou subissent de la discrimination à l’embauche. L’accès à des droits basiques est là aussi entravé du simple fait de leur assignation à la figure d’un « autre » fondamentalement « incompatible » avec le « nous » d’une identité dominante occidentale qui, à travers les âges, semble encore et toujours vouloir se construire en opposition à cet autre inférieur, « barbare ».

« Votre barbe est trop longue (...) Si vous voulez, pour votre anniversaire, je vous offre une tondeuse. »
sont les propos tenus par son supérieur à un agent de sécurité de l’aéroport d’Orly à Paris en novembre 2015 peu avant de recevoir son licenciement pour « faute grave » après avoir refusé de raccourcir sa barbe (d’autres collègues musulmans se sont trouvés dans le même cas).

Encore une fois des membres d’un groupe culturel jugé « différent » se voient discriminés en raison de leur appartenance à ce groupe. Dans cet exemple, le processus d’infériorisation qui vise à justifier la discrimination s’appuie sur un signe religieux supposé marqueur d’« islamisme », appartenance elle­même supposée entraîner le soutien voire la participation à des actions terroristes. Le glissement est rapide et la déshumanisation n’est pas loin.

Autre exemple ; autour de l’affaire de la crèche Baby­Loup (licenciement d’une assistantematernelle portant le foulard), on a aussi pu lire dans la presse française des avis de psys nous alertant sur les « probables conséquences néfastes » pour la santé des enfants dans le cas où ceux­-ci seraient en contact avec des femmes musulmanes qui portent le foulard. Ainsi Caroline Eliacheff, psychanalyste et pédopsychiatre nous fait part de ses inquiétudes :

« On peut effectivement se demander si être en présence d’une femme voilée a une incidence sur leur représentation du corps humain. La réponse est que, jusqu’à présent, on ne sait pas. Je n’ai pas trouvé d’études sur le sujet. On peut s’interroger sur les conséquences pour un nourrisson de ne voir que le visage de face, une tête amputée des oreilles, des cheveux et du cou. ».

Oui, on peut s’interroger en effet. En attendant en france, on estime qu’une fille sur cinq et un garçon sur treize subissent des agressions sexuelles avant l’âge adulte, qu’un enfant sur trois subit des violences psychologiques (de vraies, cette fois !) et qu’au moins 300 enfants sont tué∙e∙s tous les ans [7] sans qu’aucune politique publique ne prenne la mesure du problème, mais continuons de nous interroger parce que « nos » chères têtes blondes pourraient être gravement perturbées du simple fait de côtoyer des femmes musulmanes dont on ne voit pas les oreilles. Là encore, ce sont ces mêmes « autres » qui, sous l’apparence de l’innocent « questionnement » sont encore et toujours suspects.

Retour en Algérie coloniale. L’ignorance généralisée de l’histoire coloniale française et son enseignement à l’école en france autorisent certain∙e∙s à penser que la colonisation a eu des aspects voire un « impact globalement positif ». C’est notamment le « oui mais on a construit des écoles quand même » qui n’est pas l’apanage des vétérans nostalgiques de la guerre d’Algérie, loin de là, malheureusement. Alors analysons brièvement quelle a été la politique
scolaire coloniale en Algérie (cas le mieux documenté) et quelles continuités on peut tracer avec l’islamophobie contemporaine en france.

En 1892, un décret rendit l’enseignement obligatoire aux indigènes en Algérie. Il ne
concernait que les garçons.

« Des écoles « pour filles indigènes » furent créées, mais elles ne dispensaient qu’un enseignement ménager. Le décret de 1892 prend soin de stipuler que « dans les écoles de filles. les élèves consacrent la moitié du temps des classes à la pratique des travaux d’aiguille et de ménage ».

En 1948, 55 pour 1000 des musulmans algériens et 14 pour 1000 des musulmanes algériennes savaient écrire le français.

avant 1958, l’enseignement ne fut pas obligatoire pour les filles. »

Ces chiffres de scolarisation très bas sont dûs aux résistances à cette politique scolaire, aussi bien de la part des colons que de celle des musulman∙e∙s elleux­mêmes. Ainsi Hubert Desvages, historien, écrit :

« L’histoire de la scolarisation dans les années 1892­-1908 n’est en effet qu’une continuelle lutte des français d’Algérie contre les écoles indigènes, appuyée par la résistance passive des musulmans. »

et
« Dans ces écoles, les musulmans voyaient un double piège, destiné à leur ravir et leur religion, et leur nationalité, ce qui, au fond, n’était pas si inexact • Cette attitude a pesé lourd dans l’échec de la scolarisation des musulmans, dans la mesure où elle donnait aux colons un argument supplémentaire. »

Là encore, on peut trouver de nombreuses similarités avec la situation française
contemporaine, d’abord dans les résistances à l’instruction des « indigènes ». De nombreux enfants issus de l’immigration post­coloniale se trouveront encore aujourd’hui orienté∙e∙s vers des filières courtes dites « professionnelles » plutôt que vers celles plus longues qui donneront accès à des statuts sociaux plus élevés, des emplois mieux rémunérés et moins pénibles.

Certes, il ne s’agit pas uniquement d’islamophobie dans cet exemple mais d’un refus d’égalité raciste qui s’étend à tous les descendant∙e∙s de colonisé∙e∙s quelle que soit leur confession réelle ou supposée.

On peut aussi mettre en parallèle la non­scolarisation massive des filles indigènes en Algérie coloniale avec la principale conséquence de la loi sur les signes religieux ostensibles à l’école votée en 2004 en france, c’est à dire, l’exclusion de l’école des musulmanes qui portent le foulard. Toutes n’auront pas les moyens financiers de rejoindre une école privée. Cette exclusion risque donc fort, dans la plupart des cas, de réduire l’accès de ces femmes à des emplois moins précaires que les travaux d’aiguille et de ménages auxquels on destinait déjà les filles indigènes (mais pas uniquement indigènes) dans l’Algérie coloniale.

Sur l’évolution du droits des femmes d’une manière plus globale, en Algérie sous
domination coloniale, Ryme Seferdjeli écrit :

« Plus globalement, il ne fait pas de doute que l’impact indirect de la colonisation sur la condition féminine et en particulier sur le travail des femmes en Algérie fût particulièrement négatif. Les travaux de l’historienne américaine Julia Clancy­Smith ont notamment révélé l’importance de leur rôle économique avant le début de la colonisation, en particulier dans les domaines du textile, de la poterie et de l’artisanat, et l’effet délétère de la colonisation pour ces activités. L’historienne a montré ainsi comment l’expropriation des terres, l’urbanisation et l’intégration de l’économie algérienne à l’économie globale, le tourisme et les migrations ont
engendré une dislocation des économies locales, une paupérisation de la paysannerie, de nouvelles préférences et donc un déclin rapide de l’artisanat produit par les femmes. »

Extraits de : La politique coloniale à l’égard des femmes « musulmanes » ­ Ryme Seferdjeli in l’Algérie à la période coloniale

Autrement dit, la colonisation française a sapé les fondements de l’autonomie des femmes algériennes, réduisant d’autant leur pouvoir dans la société algérienne.

De plus :
« (...) les femmes paysannes étaient particulièrement touchées par la destruction de leurs maisons, par les bombardements aveugles, par les viols des militaires français et par les politiques de regroupement, qui força la moitié de la population rurale à vivre dans des camps ou des bidonvilles. »

Extraits de : L’enjeu des femmes dans la guerre – Neil Macmaster in L’Algérie à la période coloniale

Ces quelques éléments permettront de mieux saisir ce qui ne serait que d’un grotesque ridicule si cela n’avait pas tant de conséquences dramatiques, l’auto­proclamation d’un prétendu féminisme spécifique français, par la voix de l’armée.

Algérie coloniale : Les dévoilements

« La « conversion » des militaires français à l’ « émancipation » des femmes, entre 1955 et 1957, s’explique par plusieurs raisons. D’abord, la révélation que des algériennes participaient aux maquis de l’ALN [8] comme infirmières et combattantes armées (moudjahidate) ou comme terroristes urbaines (fidayate) (...). Contredisant le stéréotype orientaliste de la femme musulmane obéissante soumise et spectatrice silencieuse de la guerre, ce constat provoqua une véritable course stratégique militaire pour « se gagner les algériennes » (...). Cette prise de conscience fut renforcée par la pénétration rapide dans l’armée française de la doctrine de la guerre révolutionnaire, à savoir l’idée que la clef de la victoire ne résidait pas dans la guerre conventionnelle, mais dans la conquête morale et politique de la population.

Les 17 et 18 mai (1958), les spécialistes de la guerre psychologique organisèrent à Alger de grandioses cérémonies lors desquelles des femmes musulmanes enlevèrent et brûlèrent leurs voiles devant des foules rassemblées sur le Forum et « fraternisèrent » avec les « soeurs » européennes en leur donnant la main. (...) le rituel du « dévoilage » fut rapidement organisé dans toute l’Algérie, les foules étant acheminées vers les centres urbains dans les camions de l’armée.

Les archives de l’armée montrent (...) de façon détaillée que ce sont les responsables de la guerre psychologique qui orchestrèrent les rituels et ce, en obligeant les femmes à y participer. Ainsi Monique Améziane, une lycéenne de dix­huit ans, fut contrainte, sous la menace de voir tuer son père, de se présenter devant une foule immense au balcon du théâtre de Constantinople, le 26 mai 1956, où elle lut un texte d’ « émancipation » que l’on avait préparé pour elle, avant d’ôter son
voile et de le lancer dans la rue aux femmes qui y étaient rassemblées. Le général Salan envoya force télégramme aux autorités à Paris pour assurer l’authenticité des cérémonies (...) Des groupes des femmes musulmanes ont hier soir brûlé, d’elles­mêmes, leur voile en disant « Aujourd’hui, nous sommes françaises ! ».

Des jeunes femmes nationalistes qui étaient allées à l’école et qui ne portaient pas le voile s’attachèrent à le défendre comme un symbole patriotique et se mirent à le porter, bien qu’il fût interdit pendant les examens du baccalauréat. »

Extraits de : L’enjeu des femmes dans la guerre – Neil Macmaster in L’Algérie à la période coloniale

Comment ne pas voir une continuité flagrante de l’oppression coloniale des dévoilements forcés organisés par l’armée française dans les velléités contemporaines de contrôler l’habillement des femmes musulmanes, vues comme forcément victimes (qu’il s’agisse de hijab, niqab, burkini, etc) ?

Rappelons brièvement aussi, qu’à l’époque où la france par la voix de son armée se présente ainsi comme l’égérie de la défense du droit des femmes, les femmes françaises ne pouvaient voter que depuis une dizaine d’années seulement, n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’accord de leur mari, n’avaient aucune possibilité légale d’avorter et que le concept de viol entre époux n’existait même pas juridiquement.

Rappelons aussi qu’aujourd’hui encore, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint en france et non, les femmes musulmanes ne sont pas sur­ représentées dans cette catégorie.

Algérie coloniale : l’état gestionnaire de l’islam

L’Algérie a été la première colonie française où a été appliquée la loi de séparation des pouvoirs entre l’état et l’église catholique. Mais en Algérie, la loi est appliquée grâce à un décret séparé du texte de loi et écrit directement par le pouvoir exécutif, plutôt que par le parlement. Au final, ce n’est plus du tout le même texte qui concernera l’Algérie.

Pourquoi ce traitement particulier ?

Car l’Algérie est un territoire majoritairement musulman. Après la conquête de l’Algérie, le gouvernement colonial français avait pris l’engagement de respecter le libre exercice de la religion musulmane. Mais il a flippé que les algérien∙ne∙s résistent à la colonisation sous la bannière de l’islam. Alors l’état français a décidé de contrôler un canal important d’expression collective des populations colonisées, l’islam, et de réformer les conditions de pratique de la religion musulmane.Finalement, l’état cherche à contrôler et à encadrer la pratique de l’islam, en construisant notamment un islam d’état. Ça passe notamment par
­
 un contrôle policier des lieux de cultes et du personnel religieux ­

 l’encadrement de toutes les manifestations collectives musulmanes : célébration des fêtes religieuses, pèlerinage à la Mecque­

 la restriction de l’expression religieuse extérieure aux lieux de culte, pour consolider l’existence d’un « islam officiel »

 la nécessité pour les confréries musulmanes, à l’origine de révoltes jusqu’à la fin du 19ème siècle, d’obtenir des autorisations pour la tenue de rassemblements religieux

Comme le précise le rapporteur du projet de décret, « les inévitables aménagements » à la loi de 1905 avaient pour principal objectif

« d’approprier (la loi de 1905) à la situation spéciale de l’Algérie et de permettre au
gouverneur général, à qui incombe la responsabilité des intérêts de notre domination, de prendre les mesures nécessaires à la préservation de ces intérêts »
.

Autrement dit, l’enjeu du gouvernement français c’était d’adapter la loi de 1905 pour
maintenir la domination coloniale et empêcher la libération de la sphère religieuse du contrôle de l’état.

L’état français avait même constitué un clergé de quatre­cents imams, pour contrôler
l’exercice du culte musulman. Et l’association cultuelle musulmane d’Alger est alors dirigée par le secrétaire de la préfecture ! L’état ne s’encombre alors pas trop de séparation des pouvoirs...

Mettre fin au contrôle de l’islam par l’état français a été une revendication forte des
mouvements décoloniaux algériens tout au long des années 1930, 1940, 1950. Revendication reprise dans les programmes et pétitions du mouvement national algérien. Sans être obtenue.

Ainsi Anna Bozzo, dans Islam et République, une longue histoire de méfiance, écrit :

« Depuis la conquête de l’Algérie, la France a donc attribué à l’islam, à tort ou à raison, selon les époques et les lieux, un potentiel subversif dont elle aurait à se protéger. »

On voit que les partisan∙e∙s de la « nouvelle laïcité » n’ont pas ré­inventé l’eau chaude. Il n’y a pas , en réalité, une « bonne laïcité originelle », « pure » mais qui aurait été dévoyée par de méchant∙e∙s racistes. Dès 1905, ces chers députés républicains­socialistes et confrères ont prévu toutes les entorses au principe nécessaires à la domination coloniale.


Laïcité néo­-coloniale

Si vous suivez les actualités de l’islam en france, tout cela vous a peut­-être semblé
familier...

En 2003, Sarkozy crée le conseil français du culte musulman (CFCM), association qui doit représenter les musulmans de france auprès de l’état. Le CFCM a été maintes fois dénoncé comme une « cléricalisation » [9] de l’islam de france et la résurgence de pratiques coloniales.

En 2005, Dominique de Villepin, alors Premier Ministre, crée la Fondation des œuvres de l’islam de France (FOIF), avec une dotation d’un million d’euros issue d’un don de l’industriel et sénateur de l’Essonne Serge Dassault. Son objectif au début est de concentrer les ressources de la communauté musulmane pour centraliser (et pour que l’état français puisse mieux contrôler) des dons afin de financer ses œuvres. Elle a aussi pour objectif de favoriser, « par des actions éducatives, culturelles et sociales », l’affirmation d’un « islam humaniste, d’un
islam de France qui reconnaît les valeurs et principes de la république ».

Mettre en doute que les musulmans peuvent être de « bon∙ne∙s républicains » et exiger d’eux qu’ils le prouvent n’est pas nouveau. C’est un des nombreux héritages de la colonisation.

L’état français voit dans l’islam et les musulman∙e∙s, soit des populations à éduquer, « culturellement différentes » donc « inférieures », soit une menace des intérêts de la civilisation blanche occidentale.

Et jusqu’en 2018, qui était président de la fondation des œuvres de l’islam de france ? Jean­ Pierre Chevènement (non­musulman et qui s’est fait remarqué par son conseil paternaliste et raciste de « discrétion » adressé aux musulman∙e∙s de france) ! En terme de contrôle du religieux par le politique, on fait difficilement mieux !

D’ailleurs, les représentants de la Grande mosquée de Paris ont dénoncé dans un
communiqué « toute forme d’ingérence dans la gestion du culte musulman » avant de refuser de participer à cette fondation. C’était en janvier 2017.

On ne compte plus les sorties d’hommes politiques pour promouvoir l’idée d’interdire à l’islam d’utiliser des financements venus de l’étranger ou de rendre le français obligatoire pour les prêches. Cela, toujours, dans la perspective de mieux contrôler les musulman∙e∙s (l’utilisation du français dans les prêches a parfois été justifiée comme une mesure facilitante du travail des services de renseignements).

Emmanuel Macron pourrait amender la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’état. Au programme une volonté affichée de plus de contrôle de l’état sur l’Islam de france.

D’après un conseiller du président, « les objectifs sont de responsabiliser les gérants des lieux de culte, de prévenir les dérives et de réduire l’influence étrangère ». C’est là une résurgence d’une pratique de gestion étatique du culte musulman, dans la droite ligne de la laïcité coloniale appliquée à l’Algérie.

Le culte de la nation

Au passage, au milieu de tout cela, l’état réussi le tour de force de se présenter comme un arbitre au dessus du lot, ne cherchant qu’à protéger ses sujets de tout extrémisme, comme si la morale que Luc Ferry demandait aux instituteurs d’inculquer aux enfants en cours d’éducation civique était neutre. En vérité, depuis la révolution de 1789, la nation, la constitution, les lois, ont été érigées en « choses sacrées ». Il était demandé de prêter un « serment civique » pour une adhésion solennelle à la société, et ceux qui ne le faisaient pas risquaient l’« excommunication civile ». La révolution, l’école laïque, la loi de séparation de l’église et de l’état, sont toutes allées dans une même direction : créer un état fort, un sentiment d’appartenance à la nation, des citoyen∙ne∙s dociles et obéissants. Et pour cela, il fallait détrôner la concurrence que représentait l’église catholique.

Bref, l’état instaure de nouvelles croyances obligatoires. Celles­ci ne sont pas dites
« religieuses » et pourtant, le délit de blasphème existe en France. On peut en effet être puni de ne pas agir selon les croyances dominantes dans la nation française, la république. Par exemple, les lois Sarkozy de 2003 répriment toute « offense au drapeau ou à l’hymne national ». La marseillaise. Vous savez cette chanson raciste et guerrière ? Eh bien si vous la sifflez par exemple, vous risquez de très lourdes amendes voire une peine de prison. Ça ressemble beaucoup à quelque chose de sacré qu’on n’a pas le droit de questionner.

Conclusion

La laïcité française n’a jamais été synonyme de libertés pour les musulman∙e∙s mais bien de dispositions de contrôle strict de l’islam au travers de décrets spéciaux s’appliquant à l’Algérie. Ceci contraste particulièrement avec l’application de la vision libérale dominante de la loi qui a garanti à l’église catholique des accommodements généreux encore d’actualité.

On voit que la « nouvelle laïcité » s’inscrit dans une continuité d’un traitement spécifique de l’islam par l’état français qui cherche à garder le contrôle sur la religion majoritaire des descendant∙e∙s de colonisé∙e∙s encore vu∙e∙s aujourd’hui comme « à civiliser », « à éduquer », « à intégrer »... Ce qui peut expliquer que l’école soit aujourd’hui un haut lieu de la discrimination islamophobe.

On constate aussi qu’il y a un réel contre­sens historique dans les comparaisons de la lutte pour la séparation de l’institution étatique et l’institution de l’église catholique en france et la lutte contre les représentant­e­s d’une religion minoritaire qui n’a jamais eu le pouvoir en france, qu’il soit politique, économique, médiatique, culturel ou social.

L’islamophobie est un racisme étatique, institutionnel, structurel, dont la nouvelle laïcité est le nouveau cheval de Troie. Ce racisme vise principalement les femmes et prend ses racines dans la domination coloniale française. Elle peut prendre la forme d’un contrôle sécuritaire de la religion musulmane (sur fond de justifications de « guerre contre le terrorisme »). Elle est un moyen de refuser l’égalité, de maintenir une ségrégation spatiale et sociale raciste qui vise à refuser l’accès à certains droits, certaines professions, certains espaces, certains privilèges.

Ce refus tente de se justifier au moyen d’un discours universaliste et assimilationniste qui valorise la « culture républicaine », « l’identité française » et stigmatise, dévalorise systématiquement les manifestations de(s) culture(s) musulmane(s) rejetant les musulman∙e∙s dans une sous­-humanité.

C’est un racisme particulièrement virulent ces derniers­temps en france et dans le monde occidental, qu’il faut combattre comme tous les avatars de la suprématie blanche.

Post­scriptum :

Cette brochure est issue d’un travail collectif de personnes non­musulmanes et blanches qui avait pour objectif de présenter une conférence, un exposé ou du moins une production à l’oral, contre l’islamophobie en général. Le groupe s’est dissous et cette brochure constitue une tentative de rendre public, à l’écrit, une partie du travail effectué.

Pour moi, il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur « les religions ». En premier lieu parce qu’il ne s’agit pas ici de parler de religions mais d’un rapport d’oppression d’un groupe majoritaire envers un groupe minoritaire, bref de racisme. Que ce groupe minoritaire soit religieux ou non n’y change pas grand chose.

Ensuite parce que je ne crois pas qu’être de telle ou telle confession religieuse soit en soi contradictoire avec le fait de prendre part à des luttes anticapitalistes, contre l’état, contre la suprématie blanche, contre le patriarcat, contre l’hétero­normativité, contre la transphobie, contre le validisme ni contre la domination adulte, etc.

Enfin, j’ai mis en forme cette brochure sans penser faire quelque chose de parfait ni complet. J’essaie de présenter un point de vue qui me semble pertinent, argumenté et fondé sur des faits vérifiables mais qui ne prétend être ni la vérité ni la « pureté politique » ni non plus œuvre historique scientifique. Tout cela n’appelle qu’à être enrichi, corrigé, commenté, nuancé... Je suis très curieux de toutes critiques et retours, tant qu’il ne s’agit pas de remise en cause de la réalité de l’islamophobie en tant que racisme, ou du terme lui­même ni encore de critiques de l’islam ou des
religions (vous et moi y perdrions notre temps).

Merci aux personnes qui m’ont relu :)

Juin 2019

spiritfox@riseup.net

Bibliographie non-exhaustive et ressources :

 Islamophobie – Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman_ ? Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed
 Histoire de l’Algérie à la période coloniale – 1830-1962 – Sous la direction de Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ounassa Siari Tengour, Sylvie Thénault
 La haine de la religion, Pierre Tevanian
 La laïcité falsifiée, Jean Baubérot
 Les filles voilées parlent – Ismahane Chouder, Malika Latrèche, Pierre Tevanian
 La france en terre d’islam – Empire colonial et religions. XIX-XXe siècles, Pierre Vermeren
 La scolarisation des musulmans en Algérie (1882-1962) dans l’enseignement primaire public français. Etude statistique, Hubert Desvages
 Les mots sont importants - http://lmsi.net/
 Contre attaques - http://contre-attaques.org/
 Collectif contre l’islamophobie en france - https://www.islamophobie.net/
Wikipedia fr - https://fr.wikipedia.org/
 Les chroniques radio de Jade Almeida intitulées « Les propos islamophobes de Lynne Shand,élue municipale de Montréal » ou encore « La Laïcité à tort et à travers » sur https://jadealmeida.com
 Le podcast Kiffe Ta Race intitulé « De quoi le voile est-il le nom » - https://www.binge.audio/de-quoi-le-voile-est-il-le-nom/
 L’épisode « _Ainsi soient elles_ » d’_« _un podcast à soi_ » sur Arte Radio.
 Le film « _Moudjahidate_ » qui retrace des engagements de femmes dans les luttes pour l’Indépendance de l’Algérie au sein du FLN-ALN à travers des récits de vie d’anciennes combattantes. http://www.moudjahidate.com/

[1source : https://www.enseignement­prive.info/ecoles­colleges­lycees calcul à partir des chiffres fournis 15% d’établissements hors contrat parmi les 85% d’établissements privés catholiques.
http://www.katibin.fr/2017/10/13/ecoles­privees­musulmanes­en­france­etat­des­lieux/

[2Décision du maire LR de Chalon sur Saône en septembre 2015

[3« Rennes. Le burkini autorisé à la piscine : laïque ou pas laïque ? » (ouest­france.fr , 8 oct. 18)

[4On peut trouver des similarités et de grandes différences entre ces deux contextes historiques, il ne s’agit pas ici d’amalgamer deux oppressions spécifiques et particulières, simplement de
reconnaître que des parallèles peuvent être tracés.

[5Assimilation : processus au cours duquel un individu ou un groupe abandonne sa culture pour adopter les valeurs, la langue et les pratiques culturelles d’un nouveau groupe (souvent dominant)
en s’y conformant de manière plus ou moins profonde et complète

[6Les termes majoritaire/minoritaire renvoient ici à des notions de « groupe qui détient le pouvoir » ou non. Le groupe majoritaire n’est donc pas forcément plus nombreux.

[7INSEE­ONDRP, enquêtes « Cadre de vie et sécurité » de 2010 à 2015, cité in La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes. « Violences faites aux femmes : les principales données », n°=8, novembre 2015.

[8Armée de libération nationale, branche armée du FLN, Front de libération nationale

[9Création d’une hiérarchie religieuse sur le modèle de la religion catholique. Dans l’islam, cette hiérarchie n’existe pas.


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