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Contre la grève des matons
Deux réponses depuis l’intérieur des taules, janvier 2018
mis en ligne le 15 octobre 2018 - Marina , Un collectif de détenus incarcérés à la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis
En janvier 2018, suite à l’agression de plusieurs maton·ne·s par un prisonnier dans le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, la profession se met en grève dans toutes les prisons françaises pour réclamer plus de moyens. Pendant les deux semaines que dure le mouvement, les conséquences sont lourdes pour les prisonnier·e·s et leurs proches : parloirs retardés ou supprimés, activités annulées, libérations et permissions repoussées, promenades raccourcies ou inexistantes, absence de cantines, distributions aléatoires de la gamelle et du pain, manque de soins médicaux, jusqu’à la séquestration totale en cellule dans certains établissements.
Les médias relaient allègrement le discours des maton·ne·s et les attaques à leur encontre, qui n’ont pas manqué de se multiplier vu la tension créée par les blocages. Ils invisibilisent la violence à l’origine de ces agressions : celle qui s’exerce contre celles et ceux qui n’ont pas choisi d’être là, à savoir les détenu·e·s.
Heureusement, d’autres échos résonnent à travers les murs. La colère des prisonnier·e·s se fait surtout entendre par des refus collectifs de réintégrer les cellules à l’issue des promenades, comme à Fleury, Beauvais, Séquedin, Pau, Nantes, Valence, Laval, Metz, Varennes-le-Grand, Longuenesse, Villefranche, Meaux. À Rennes-Vezin, les prisonniers vont jusqu’à forcer les grilles de la cour pour rejoindre le chemin de ronde, et le feu est mis à des draps et des détritus. à Moulins-Yzeure, c’est le stade qui est investi après que deux portes ont été cassées. À Maubeuge, outre un blocage de promenade, des saccages se produisent dans les coursives (vitres, mobiliers et serrures détruites, eau savonneuse répandue dans les couloirs pour compliquer le sale boulot des ERIS [1]). à épinal, plusieurs foyers d’incendie sont allumés dans une aile. À chaque fois, l’intervention des ERIS, parfois épaulées des CRS, met fin aux rébellions en quelques heures.
À Fresnes, deux détenus profitent de la confusion pour s’attaquer au mur pourri de leur cellule. L’un des deux sera rattrapé quelques heures plus tard dans l’enceinte de la prison.
Quelques lettres parviennent aussi jusqu’à l’extérieur pour contrebalancer le discours sécuritaire ambiant. Nous retranscrivons ici deux d’entre elles.
À l’extérieur, quelques tentatives d’apporter de la solidarité voient le jour.
La première lettre de cette brochure a été diffusée aux personnes se rendant au parloir par une soixantaine de personnes devant la maison
d’arrêt de Fleury.
À Dijon, une trentaine de personnes manifestent devant la maison d’arrêt avec une banderole « Pas de compassion pour les matons, solidarité avec les prisonniers ».
À Toulouse, la circulation est momentanément perturbée à différents endroits de la ville par le déploiement d’une banderole et la distribution d’un tract contre la grève des maton·ne·s.
Pour un monde sans prisons.
mars 2018
Maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis
Nous, prisonniers, condamnés ou prévenus, enfermés à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, lançons un appel contre la conquête sécuritaire qui se joue en ce moment à travers les mobilisations des surveillants de prison dans toute la France
Nous, prisonniers, condamnés ou prévenus, enfermés à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, lançons un appel contre la conquête sécuritaire qui se joue en ce moment à travers les mobilisations des surveillants de prison dans toute la France. Cet appel vise également à construire une force collective entre les détenus en lutte et à l’extérieur. Depuis plusieurs jours, des surveillants de prisons bloquent les entrées des maisons d’arrêt, centrales et centres de détention du territoire français. Ici, à Fleury-Mérogis, l’établissement est régulièrement paralysé depuis le début de semaine par plusieurs dizaines de surveillants, empêchant les parloirs avec nos familles, parfois venus de loin, empêchant les extractions dans le cadre des procédures judiciaires (bloquant les aménagements de peine), l’entrée des avocats, les cantines, les cuisines, le nettoyage et toutes les activités dédiées à la prétendue « réinsertion » Leurs revendications sont simples, ils réclament plus de moyens et plus de sécurité pour le personnel pénitencier, ce qui se traduit concrètement par un armement généralisé des surveillants, l’imposition de menottes aux détenus lors de leurs déplacements hors des cellules, et des restrictions conséquentes de nos libertés et de nos droits, pour le peu qu’il en reste. Leur mouvement fait suite à diverses manifestations supposées de violence depuis quelques temps, qui, si elles existent, ne sont que des actes isolés, bien souvent en réponse à une violence bien plus importante de l’institution carcérale et de l’État en général. Depuis une semaine, nous assistons à une surmédiatisation d’événements sporadiques et minimes sur toutes les chaînes de télévision, sur fonds d’antiterrorisme. Une insulte devient une agression, une bousculade un passage à tabac et un retard en cellule une mutinerie. Et nous voyons ainsi défiler ces mensonges sur BFM depuis le week-end dernier. Les surveillants et leur syndicat, interviewés par les médias, ont présenté la prison comme un« sanctuaire de criminels » où les détenus avaient« pris le pouvoir » dans des zones totalement abandonnées par les pouvoirs publics. Mais cette stratégie de désinformation ne s’arrête pas là et se couple à des actions bien réelles à l’encontre des détenus.
Ce jeudi 18 janvier au matin, alors que tous les parloirs avaient été annulés, que les activités n’avaient pas lieu et que nous étions séquestrés en cellule, sans information et sans même avoir été nourris, l’administration a finalement décidé, en réponse aux mobilisations de leur personnel, de lancer une nouvelle entreprise de terreur comme on n’en voit qu’en prison à l’encontre des détenus, et alors que rien ne s’était encore passé. Vers 11h, plusieurs dizaines de surveillants et d’Eris, armés, cagoulés et près à intervenir étaient déployés dans toute la prison. Alors que les départs en promenade se faisaient sous pression, ponctués de coups de matraque et de bouclier, de fouille à nu arbitraires et d’insultes diverses, nous avons décidé de nous organiser contre ces violences gratuites, exercées pour satisfaire des surveillants en mal de reconnaissance. Sur le bâtiment D2, nous étions plus d’une centaine à refuser de réintégrer nos cellules à l’appel de fin de promenade, qui avait été réduite à 45 minutes au lieu des deux heures quotidiennes. Sur le bâtiment D1, c’est cette fois l’administration qui nous enfermait plus de 4h en promenade, pour prévenir un risque de blocage et en profiter pour fouiller une bonne partie des cellules. Dans les autres bâtiments, nous tentions plusieurs blocages, la plupart mis en échec par l’intervention violente des Eris. À travers ces blocages, nous voulons exprimer notre droit à manifester, qui nous a été arraché lors de notre incarcération et nous voulons lancer un message vers l’extérieur, contre ce qui se joue en ce moment devant les prisons françaises : l’invisibilisation des violences quotidiennes à l’encontre des détenus insultes régulières, coups, pressions administratives, les suicides réguliers, les piqûres forcées, les cellules enflamme comme à Fresnes il y a quelques jours, et même les viols, comme à la MAF ou à Meaux il y a quelques mois. Mais également, la stratégie des surveillants qui rappelle celle des policiers qui manifestaient illégalement, masqués et armés, en direction des lieux de pouvoir à l’automne 2016 au cri de « la racaille en prison ! », pour réclamer et finalement obtenir un nouveau permis de tuer.
À travers ces actes de résistance collective, nous nous mobilisons contre cette répression grandissante et contre l’entreprise sécuritaire de l’État pénal. Mais pour ce faire, nous avons besoin de construire une force collective, et que nos luttes soient entendues et relayées à l’extérieur. La violence, la vraie, elle est du côté de la prison, de la justice et de la police, qui frappent, séquestrent et légitiment ces exactions. La violence, c’est l’État.
Nous ne sommes pas des bêtes, nous sommes des êtres humains, et nous refusons d’être enfermés et renvoyés à des faits qui feraient de nous des parias, sans droits et sans dignité. Nous en appelons aujourd’hui à toutes celles et tous ceux qui, à l’extérieur,luttent contre les violences d’État. Nos mobilisations sont vaines si nous ne sommes pas soutenus et si les acteurs des luttes actuelles ne se font pas écho de nos combats.En effet, nous payons le prix fort de ces blocages, la vengeance de l’administration est terrible, plusieurs personnes ont d’ores et déjà été envoyées au mitard, le quartier disciplinaire,et nous savons tous que nos conditions de détention seront rendues encore plus difficile, du seul fait d’avoir refusé ces injustices. Par ailleurs,nous avons besoin que des mobilisations fortes appuient nos mouvements, car l’administration sait qu’elle a les moyens de nous faire taire,en chargeant nos dossiers en vue de nos procès à venir ou en refusant nos aménagements de peine.
Ce texte ne s’adresse ni aux institutions, ni aux défenseurs des soi-disant droits de l’homme et des politiques traditionnelles car à nos yeux, il n’existe pas de prisons« plus justes ». C’est un appel à toutes celles et tous ceux qui, au printemps 2016,se sont soulevés contre la loi travail ; car nous aussi, nous sommes les premières victimes d’une précarisation massive qui nous a contraint à choisir entre la misère et la prison. C’est un appel à celles et ceux qui luttent contre le racisme, car nous aussi sommes les premières cibles d’un racisme d’État qui enferme toujours les mêmes personnes, des jeunes non blancs, parqués dans les prisons françaises. C’est un appel à celles et ceux qui luttent contre les violences policières, car nous sommes ceux qui subissent depuis toujours les violences des forces de police et nous sommes ceux qui se lèvent toujours lorsqu’un de nos frères tombe sous les coups ou sous les balles des forces de l’ordre.
Mobilisons nous, à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons. Construisons une vraie force contre la répression en bloquant et en perturbant les institutions répressives et les politiques sécuritaires. Brisons le silence de la prison,et brisons les chaînes qu’elle nous impose. Liberté pour toutes et tous.
Un collectif de détenus incarcérés à la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis
Centre pénitentiaire pour femmes de Rennes
Le 15 janvier a commencé un mouvement de maton.ne.s dans toutes les prisons de l’État français pour protester, soi-disant, pour le manque de mesures de sécurité dans les établissements pénitentiaires et dénoncer l’agression que quelques surveillant.e.s ont subi à la prison de Vendin-le-Vieil par un prisonnier. Les maton.ne.s se sentiraient ainsi en danger, elles manqueraient d’effectifs et d’instruments répressifs pour faire face aux prisonnièr.e.s qui les agressent ; elles ne se sentiraient pas valorisé.e.s socialement, ils manqueraient d’amour et de compréhension de la part de leurs semblables, lesquel.le.s ne comprendraient pas leur rôle sociale ; mais elles se feraient maltraiter aussi par l’État, lequel, en les sous-payant, n’apprécierait le grand service qu’elles rendent à la société en gardant les méchant.e.s à l’écart, hors de la vue des gens honorables.
Les maton.ne.s ne sont pas des ouvrièr.e.s, ils et elles sont des agents actifs dans la protection et préservation d’un système qui protège les riches et enferme les précaires. L’amélioration des conditions de travail qu’elles réclament ne sont autre chose qu’un manifeste à faveur d’un modèle de société basé sur la sécurité. Mais pas la sécurité d’avoir une vie digne et épanouie ; ni la sécurité de pouvoir arriver à la fin du mois avec suffisamment de ressources matérielles ; non plus la sécurité de ne pas manquer de logement ni de nourriture ni de chauffage ; ni la sécurité de ne pas se faire arrêter, contrôler ni tabasser dans la rue à cause de la couleur de ta peau, de ton idéologie, ta religion ou ton orientation sexuelle. La sécurité qu’elles défendent est basée sur le contrôle, la haine et la peur, elles demandent plus de caméras de vidéo-surveillance, plus de fouilles, plus d’armes, plus d’effectifs, plus de barbelés, plus d’isolement, plus de discrimination, plus d’obéissance.
En prison nous vivons enfermées ce qui est en soi une mesure inhumaine d’une grande violence, mais nous vivons aussi sous la menace permanente. Au moindre incident ou montée de ton dans une discussion les matons débarquent à plusieurs, on se fait vite entourer d’uniformées prêtes à intervenir. Ils disposent de menottes, de casques, de boucliers, de la force brute, du nombre, de la menace. En cas de nécessité il y a aussi les ERIS, plus entrainés et avec plus de moyens. Un incident banal peut faire objet d’un CRI (compte rendu d’incident) lequel entraine un passage en commission disciplinaire. Les sanctions dont elles disposent sont bien connues : confinement, mitard, isolement, transfert disciplinaire, piqures d’anxiolytiques... La machinerie répressive dont ils disposent, donc, n’est pas négligeable. Cependant, toutes ces mesures se sont avérées complètement inefficaces puisque... les matonnes continuent à se faire agresser. Alors la solution passerait par les endurcir, les incrémenter, peut-être avec des Tyzer se sentiraient-elles mieux ? Et pourquoi pas un boulet attaché au pied ? Une caméra de gaz calmerait-elle les récalcitrantes ? En réclamant plus de moyens, ils réclament plus de contraintes pour nous, les prisonniers et les prisonnières, ce qui entraine plus de tensions, plus de rage, plus de violence.
Les surveillant.e.s de prison (conjointement avec les autres forces répressives) sont ceux et celles qui font le sale boulot aux états. Sont celles qui font que la machine tourne. Elles sont complices des politiques gouvernementales qui génèrent davantage d’inégalités et, donc, poussent aux pauvres et aux exclu.e.s à la débrouille, à la lutte pour la survie, à la lutte pour le changement social. Elles sont agents actifs dans la défense du modèle patriarcal qui enferme les femmes qui se sont défendues des attaques machistes, celles que s’écartent de leur rôle imposé de mère et d’épouse. Ils se plaignent de faire un boulot qui n’est pas valorisé socialement mais... comment veulent-ils qu’on valorise celui ou celle qui enferme des êtres humains dans des cages ? Les tortionnaires, eux non plus, ne sont pas bien vus ; par contre, tout le monde apprécie la boulangère du coin... il n’y a rien d’étonnant là-dessus, c’est plutôt une bonne nouvelle !
Avec les blocages des prisons les maton.ne.s ont fait une déclaration de guerre aux prisonnier.e.s. Elles se sont attaquées à toutes les choses qui nous touchent de près dans notre quotidien : Elles nous ont laissé sans parloirs, punissant au passage nos proches qui se sont déplacé.e.s pour rester à la porte ou qui ont vu le temps de parloir réduit considérablement. En empêchant l’entrée des intervenant.e.s elles nous ont laissé sans activités, sans formations ni travail, si on peut appeler « travail » à l’esclavage légal que s’applique en prison. En empêchant l’entrée aux docteurs, psys et infirmier.e.s (sauf une docteur et une infirmière) elles nous ont laissé sans soins ni médicaments. En bloquant l’entrée des fournisseurs elles nous ont laissé sans pain, sans cantines, sans produits frais, sans fruits et légumes. En retardant les mouvementnas elles ont raccourci les horaires de promenade et de sport ou les ont carrément supprimés.
Elles ne se sont pas attaquées à leur hiérarchie ni au fonctionnement de l’institution en ce qui concerne la question sécuritaire. Elles n’ont pas laissé les portes ouvertes ni n’ont menacé de le faire. Tout le personnel pénitentiaire est bien entré, ils continuent à nous enfermer dans les cellules, à faire des fouilles, à nous faire passer sous le portique, à faire des CRI... la machine fonctionne. C’est étonnant le zèle qu’elles apportent à leur tâche. Ils défendent le règlement et l’institution comme si c’était leur maison ou leur famille. Or... elles défendent quoi ou qui, au juste ? Un État qui les considère comme un pion de plus et qui n’est même pas en mesure de leur garantir une pension digne pour la retraite ? Mais c’est beaucoup plus facile de s’attaquer aux plus démunis, à celles qui ont les bras liés, à celles qui sommes ici retenues en otage, impuissantes de voir qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent et qu’ils bénéficient de totale impunité.
En effet, touts ceux qui s’érigent en défenseurs de la loi et de l’ordre, qui sont prêts à intervenir avec l’usage de la violence au moindre mouvement collectif de notre part, bloquent l’entrée sans que personne intervienne, elles sont au-dessus de ça, c’est gratuit. Ici c’est chez eux, nous ne sommes que des pièces à utiliser pour leur tour de force. Et c’est justement ce qu’ils cherchent : Nous pousser au bout, nous énerver, nous faire exploser de rage. Tout d’un coup les nouvelles d’agressions de surveillant.e.s se multiplient dans les médias fidèles au régime. Le voyez-vous ? Voyez-vous comment c’est dangereux en prison ? Quelles bêtes devons-nous garder ? Elles aimeraient qu’on mobilise nous aussi, que ça pète ici pour donner de l’ampleur à leur mouvement. Nous nous trouvons coincées au milieu. D’un côté le besoin de répondre, de ne pas se laisser faire ; de l’autre, le besoin d’agir intelligemment pour ne pas tomber dans leur manège, de ne pas agir comme ils le voudraient. Nous avons choisi de leur rappeler à chaque instant que nous sommes en colère, qu’on les méprise profondément, que ce qu’ils font nous dégoute et qu’on n’oublie pas, qu’après on se croisera tous les jours et que, à la fin, on récolte ce qu’on sème.
Avec la rage au ventre,
Marina
(fin janvier 2018)
[1] Équipes Régionales d’Intervention et de Sécurité, des maton·ne·s spécialement entraîné·e·s et équipé·e·s pour l’anti-émeute.
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