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L’amour, le sexe, pourquoi j’ai déserté

mis en ligne le 1er janvier 2018 - Anonyme

L’AMOUR, LE SEXE, POURQUOI J’AI DÉSERTÉ

Avec des potes, on s’est retrouvé/es pour écrire pendant dix jours. C’était l’occasion pour moi de ressortir pleins de bouts écrits avant et d’en écrire d’autre pour faire cette brochure.

Il y a des années, j’ai cherché pendant un moment des trucs à lire sur l’asexualité et sur l’aromantisme, sur comment faire autrement, construire autre chose. J’avais besoin de remuer ces trucs là pour y réfléchir, pour mieux comprendre, sans trop savoir ce que je cherchais précisément. J’étais un peu resté sur ma faim. Je m’étais mis à écrire pour moi, régulièrement, pour sortir ce qui débordait. Et parce que ça m’aidait à me clarifier la tête sur ce que je pensais mais que j’entendais dit nulle part. Depuis, j’avais envie de sortir quelque chose, pour que quelque chose existe. Je suis pas à l’aise avec publier des textes, mais je me disais que pour le coup, ça faisait pas une grosse pression à ne pas répéter des trucs entendus et réentendus. Ça me fait peur de dire ce que je pense, que les autres l’entendent. D’être trop offensif, blessant. J’ai peur de regretter, de changer d’avis. Mais je me dis que si quelqu’un l’avait écrit cette brochure, ça m’aurait bien plu de la lire, alors j’espère que ça fera ça à des gens.

Alors pendant cette session d’écriture, j’ai profité des exercices pour raconter, j’ai répondu aux questions qu’on m’a posé sur le sujet, je me suis posé de nouvelles questions, écrits sur d’autres trucs qui n’apparaissaient pas sinon. J’ai aussi ressorti certains passages déjà écrits que je trouvais qu’ils répondaient aux autres textes. J’ai essayé de faire un peu de cohérence entre tout ça.

Merci aux potes de prendre le temps d’écouter, de faire des retours, de s’intéresser, poser des questions. De m’aider à suivre des fils, à préciser quand c’est pas clair. À me faire sentir que ça vaut le coup.

Pourquoi j’utilise ou pas le mot asex ?

Je fais des va et vient entre me dire asex ou utiliser d’autres mots (je fais pas de sexe/je partage pas de sexe). Entre asex je me dis asex en général plus facilement. Sinon, ça dépend. Pour pleins de gens, j’ai peur que les gens connaissent pas le mot, ne savent pas ce que ça veut dire. Aussi, sur la plupart des choses que j’ai trouvé sur internet, un peu mainstream, asex c’est souvent défini comme quelqu’un qui n’a pas de désir sexuel, pas de libido. Un truc qu’on ne choisit pas, qui nous tombe sur la gueule à la naissance. Je vis pas mon parcours comme ça, parce que ce qui me dérange dans le sexe et qui fait que j’ai choisi de pas en faire c’est pas le sexe en soi, ce qui fait par exemple que je me branle et que j’aime bien ça, mais la construction sociale de c’est quoi le sexe, c’est quoi la place que ça prend dans notre monde. C’est quoi les liens entre la sexualité et les relations amoureuses/privilégiées et aussi le lien entre la sexualité et paraître attirant, sexy. Les liens entre la sexualité et être spécial, exceptionnel, unique. Et tout ça c’est des choses que je veux déserter. Parce que je veux qu’être asex ça soit politique, pas une identité à inclure dans ce monde sans le changer.

Des fois j’ai du mal à utiliser le mot asex parce qu’il y a tellement peu de choses dites et écrites sur le sujet que j’ai l’impression que les gens vont me placer sur la gueule un petit truc étriqué. Sans par exemple se demander si je suis plutôt ce genre d’asex ou cet autre style, de quel « courant » etc, parce que tout ça n’existe pas vraiment.

Des fois le mot asex m’aide bien à me sentir légitime dans un espace parce que je ne suis ni gouine, ni une meuf. Encore que depuis que je suis trans c’est vachement plus simple. Mais quand même. Et en vrai, pour ça, faudrait qu’il apparaisse plus souvent, et que je sente que s’il y a un A dans l’inclusion c’est un minimum investi et réfléchi. Et ça c’est rare.

Pourquoi j’utilise quasi jamais le mot aromantique ?

Alors que franchement quand j’ai découvert qu’il y avait un mot pour dire « quelqu’un qui ne fait pas de relations amoureuses », ça m’a grave fait quelque chose, petite euphorie de quelques jours ! Faut dire que autant j’ai découvert des gens asex avant d’arrêter le sexe, mais quand j’ai arrêté pour de bon les relations amoureuses, je savais pas que d’autres gens faisaient ça aussi, que ça pouvait être une lutte politique, même si moi je le vivais comme ça.

Du coup pourquoi je l’utilise pas vraiment ? Ben déjà parce que personne le connaît, ou presque personne, alors en tant que bon flemmard, au lieu de l’utiliser et d’expliquer ce que c’est, je fais des bouts de phrase pour dire mon rapport aux relations amoureuses.

Un autre bout c’est que c’est un mot qui vient de l’anglais, et qu’en français on utilise pas le mot romantique pareil, on dit plutôt amoureux. Alors aamoureux laisse tomber ça marche pas, déjà l’asexualité ça prête à confusion à l’oral ! Mais du coup, romantique ça renvoie vachement à une culture autour des relations amoureuses, de les mettre en valeur, un truc un peu théâtral, genre la sérénade, la saint valentin etc. Pleins de gens se retrouvent pas là-dedans mais sont quand même à donf sur leurs relations amoureuses, et du coup aromantique, comme mot, ça fait un peu, quelqu’un qui est contre le romantisme, mais ça ça veut rien dire sur faire ou pas des relations amoureuses.

Pourquoi tu ne fais pas de sexe ?

Parce que la pression pour que j’en fasse est trop forte. Parce que je suis trop têtu pour accepter de faire les choses quand je sens que j’ai pas le choix. En tout cas, quand en vrai je pourrais ne pas les faire, et en particulier quand c’est pour moi, pour mon bien. Ça me bloque.

Parce que j’en ai marre d’entendre, dit clairement ou à mi-mots, qu’on en a tous besoin, que ça fait du bien, que ça libère, que c’est un bout essentiel de chacun. Marre de croire que c’est naturel et qu’on y peut rien. Marre de croire qu’il faut passer par là pour être heureux, complet, épanoui. Je crois pas au bonheur, mais je sais que se sentir bien ça passe par être un minimum en prise sur ce qu’on fait, et faire un minimum ce qui nous va bien. Alors je vois pas comment se forcer à faire quelque chose parce qu’on nous dit que c’est bien, ça peut aider.

Parce que quand j’y pense, tout ça me met tellement en colère, qu’aller faire du sexe ça serait comme aller au taf, se ranger, baisser la tête et accepter la défaite.

Parce que j’ai pas envie. J’y pense pas, je m’imagine pas, j’ai pas de désir pour ça. Je fais autre chose, je suis occupé ailleurs. Parce qu’il faudrait faire l’effort de me libérer du temps, de la disponibilité pour juste réfléchir à ce que je voudrais et comment. Et franchement j’ai la flemme.

Parce que même si je voulais, ça serait du taf de créer des cadres où je me sente bien pour faire ça. Alors même pas c’est tentant.

Parce que j’aime pas qu’on me désire, je comprends pas ce qu’on me veut. Et que j’aime pas désirer quelqu’un, projeter des images, des attentes sur sa gueule, ça me met pas à l’aise.

Encore maintenant, porté en général par ce mélange de colère et d’enthousiasme pour assumer ce choix, il m’arrive dans des moments de doute de me demander si mon mal être ne viendrait pas entre autre de l’absence de contact physique. Comme si mon corps réclamait son dû. Dur de se défaire des mécanismes, des idées avalées toutes crues qui font qu’il nous semble tellement nécessaire, essentiel et vital de partager du contact affectif physique.

Ça serait un sacré truc de casser cette idée, au moins de la fendiller, de faire apparaître les lézards. Pour moins se sentir misérable, pour choisir plus tranquillement, de manière plus centrée, pour contrecarrer avec plus de force l’idéologie du viol, de l’abus, justifiée bien souvent par ce besoin.

Arrêter le sexe

Je me souviens avoir choisi d’arrêter les relations amoureuses et me demander que faire de ma sexualité. La question d’arrêter cela aussi ne se posait pas. Ça me semblait évident que pour que je tienne le coup sans relation amoureuse et que je trouve un équilibre, il fallait que je partage de la sexualité. Comme si j’allais me dessécher sans ça. J’ai donc eu une période où je faisais de la sexualité quand ça se présentait, sans trop me demander si j’en avais envie ou de quelle manière, trop soulagé de trouver des partenaires pour une nuit qui ne me demanderaient pas de
rester le lendemain ou de construire une relation amoureuse.

Plus tard, j’ai rencontré d’autres personnes qui assumaient ne pas partager de sexualité et ne pas vouloir le faire. Ça a été un grand soulagement de savoir que c’était possible. D’abord j’ai eu la peur de me reconnaître là dedans, un deuil à faire. Pas facile de se définir par l’absence d’intérêt pour quelque chose d’aussi central. Mais finalement, ça m’a vraiment fait du bien de trouver un espace où il n’y avait pas de sollicitation sexuelle, sans que cette absence de sollicitation soit dévalorisante. Ces espaces sont vraiment précieux.

Arrêter le sexe, les relations amoureuses. Pas facile à faire. Pas facile avant de changer les choses d’imaginer que ça pourra marcher. Que c’est possible. Surtout quand on a pas trop de modèles et la tête blindée de discours sur ce qu’on devrait faire. Pas facile de penser à tout ce qu’on va perdre, sans connaître encore ce qu’on va y trouver. De se dire qu’on est capable, que c’est pour nous aussi, pas que pour d’autres. C’est pas facile de faire le deuil de choses qui nous rassurent, même quand elles nous emmerdent. On croit souvent qu’on est plus en sécurité dans un truc inconfortable qu’on connaît bien. On croit souvent qu’on va plus perdre à faire ce qu’on veut, qu’à faire ce qu’on devrait. Mais ça nous emmène pas aux mêmes endroits. Et plus on va vers où on veut, plus ça nous avance dans les trucs qui nous intéressent, qui nous plaisent, qui nous vont bien. Souvent, c’est pas facile de se dire que c’est le bon moment. On croit toujours qu’on a tellement à prouver : être prêt, être sûr. On croit toujours que les autres n’ont pas choisi, que c’était évident. On croit que pour faire des choix, il faut ne pas l’avoir, le choix. Si tu ne fais pas de relations amoureuses, c’est que t’y arrives pas. Si tu fais pas de sexe, c’est que c’est trop compliqué.

À quoi ça tient de faire des choix, de prendre des tournants dans sa vie ? Ça tient à accepter de lâcher les bouts qui nous rassurent même s’ils nous emmerdent bien, pour en accrocher d’autres. Rencontrer des gens, creuser des sujets, voir d’autres endroits, imaginer d’autres manières de faire. Ça tient à savoir qu’on a le droit. Des fois ça tient à l’imaginer juste, quand personne nous l’a dit. Des fois, ça tient à une phrase entendue un jour, et la tête qui fait le reste. Ça tient à accepter de perdre des bouts de son statut, de décevoir certain/es. Mais ça en étonne d’autres, illes sont intéressé/es.

C’est reconstruire l’image qu’on a de soi. Se reposer la question de ce qui nous constitue, ce qui fait qui on est. Souvent, c’est connaître de l’extérieur les images qu’on va nous renvoyer, dealer avec la honte. Connaître d’avance la pitié, le mépris. Apprendre à s’en foutre. Apprendre la fierté. Et avec le temps, c’est se remercier des choix qu’on a fait, ce qu’on s’est permis, ce qu’on a évité. Se remercier de s’accepter et de prendre soin de soi.

Je me souviens d’entrer dans ma chambre où j’ai une discussion avec un pote avec qui c’est compliqué. J’étais juste parti aux chiottes et je reviens. Et là je sens son odeur, que je n’avais pas senti depuis longtemps parce qu’on ne se voyait plus dernièrement. C’était trop l’embrouille. Je me souviens de cette odeur qui me saute à la gueule. Je me souviens du stress que je sentais, de l’angoisse. De l’angoisse pendant des jours, des semaines, des mois, que la relation s’arrête, qu’elle ne s’arrête pas, que ça continue, d’être une mauvaise personne. Je me souviens me dire à moi-même « je veux que ça s’arrête » et ne pas imaginer pendant des années que ça serait possible. Juste parce que c’est sensé être mal d’arrêter une amitié, on peut toujours arranger les choses, il suffit d’y travailler. Je me souviens de l’angoisse que ça s’arrête, ou qu’au contraire ça ne s’arrête pas d’être comme c’est là maintenant, qui me fait fermer la gueule sur mes colères, sur mes doutes, sur mes questions, sur là où je suis pas d’accord. Je me souviens de la peur d’être seul et du soulagement les moments où je le suis des fois.

Je me souviens des questions qui passaient dans ma tête et que j’évacuais direct parce qu’elles étaient pas correctes. Toujours cette question d’arrêter.

Quand ça s’est arrêté, je me souviens du soulagement, pendant des jours, des semaines, des mois, des années, souvent, en y repensant.

Et la colère de ce qu’on s’impose parce qu’on croit que c’est juste et que c’est bien.

Les relations physiques, se toucher

Je me souviens de ne pas réussir à dormir. Être dans un lit, à côté d’un pote que je sens, et ça m’empêche de dormir. En même temps, je me dis que j’ai de la chance de partager cette intimité avec quelqu’un. Autour de moi, les ami/es répètent souvent que dans ce monde on est pas sensés partager de l’intimité hors du couple, et que c’est important de construire ça. C’est pas que je suis pas d’accord, je sais bien qu’il y a besoin de construire autre chose vu que je ne suis jamais en couple. Mais là c’est la nuit, et à côté de cette personne, je sens que je devrais être content et rassuré de ce moment, même un peu honoré de faire partie de ses intimes. Mais moi j’arrive pas à dormir parce que ce que j’aime c’est dormir seul. C’est comme ça que je me sens bien, que je suis à l’aise.

Quel est ton rapport aux relations physiques avec les autres ? À comment se toucher ?

Je suis assez tranquille sur prendre les gens dans mes bras à un moment donné. Un/e pote que j’ai pas vu depuis longtemps qui me serre dans ses bras, ou si on fait ça à un moment où on a partagé un truc, où on est content de se voir, pour moi c’est une manière de se communiquer de l’affection qui est claire. En tout cas, je la comprends. Je sais que le geste il m’est adressé, je sais ce qu’il veut dire.

Par contre, par exemple le mode de traîner dans un canap en se faisant des papouilles, c’est un genre de mode que je comprends pas bien et qui me met mal à l’aise. Avant, ça m’arrivait de le faire et ça me faisait un peu ce truc où je faisais ça plus pour l’idée qu’on partageait un truc spécial, intime. Mais du coup, c’était pas tant parce que j’aimais bien me faire papouiller que parce que j’étais content de penser que j’étais choisi. C’était comme une place qui était super valorisé où il aurait fallu être. Un truc bien en soi, que j’étais ptêt pas capable d’apprécier à sa juste valeur. C’était des moments aussi où j’avais particulièrement du mal, parce que je sentais pas de place à se poser la question de ce que je voulais. Quand t’as le top du panier, t’es pas sensé te demander si tu veux pas complètement autre chose. Et ça c’est une belle arnaque.

Les modes de traîner ensemble à se papouiller, ça me renvoie à tout ce qu’on fait pour se sentir important pour les autres, tout ce qu’on fait pour pas se sentir seul. Les journées à zoner ensemble, à pas décoller du canap pour pas rater quelque chose, même quand il se passe rien. Être là. Les soirées à retarder le moment d’aller se coucher, pour pas laisser les autres sans toi. Ça me renvoie à ce vide, à cette attente d’on ne sait même pas quoi. À tout ce qu’on fait, pas par intérêt pour le truc en soi, mais par peur de ce que ça pourrait être si on le faisait pas. Peur de se faire abandonner. De rater un wagon et de se sentir trop en décalage pour se raccrocher au groupe ou à la personne. À ces moments où on a peur d’être seul, parce qu’à force on a oublié comment c’était, et qu’on zone ensemble pendant des jours jusqu’à ne plus se supporter. À tous les bouts qu’on oublie de faire exister pour mieux s’intégrer, tous les bouts en dehors de la relation, en dehors du groupe. Tous les cafés qu’on devait prendre avec d’autres qu’on a finalement pas appelé. Tous les bouquins qu’on voulait lire. Les balades qu’on voulait faire. Les autres projets qui nous tentaient. À comment on finit par en vouloir aux autres d’avoir abandonné ces petits bouts.

Ça me renvoie à l’appropriation de nos corps, les uns par les autres. Comment dans un espace public, ou avec d’autres gens, des marques physiques d’attention, des manières de se toucher, ça dit aux autres : cette personne est à moi : mon ami, mon amant, mon fils, un membre de ma bande, j’ai une relation spéciale avec lui, que tu n’as pas. Cette guerre des territoires, où les territoires qui se jouent sont les corps, les vies, le temps de personnes. Ça me renvoie à comment j’ai pu me sentir dépossédé des fois, pris dans des enjeux de rassurer sur à qui j’appartiens. Rester près d’untel même si j’irais bien voir ailleurs un truc qui m’intéresse, ne pas sympathiser avec une telle. Pas trop s’éloigner, et moi aussi garder ce territoire, chez moi et chez les autres.

Ces dernières années, j’apprends à renoncer à être préféré. Avec le temps, je commence à comprendre que ce que je n’aime pas dans les relations c’est le stress, l’angoisse, l’insécurité. Et ce qui me provoque le plus d’angoisse et d’insécurité, c’est le fait de ne pas savoir si je suis le préféré de la personne. S’il y a d’autres/une autre personne plus importante pour l’autre. Les relations où je me sens tranquille sont celles où je sais que ce n’est pas le cas. Sinon, soit je me doute que ce n’est pas le cas, sans en être sûr, alors je voudrais être le préféré, soit je me dis que je le suis peut-être, et j’angoisse de ne pas le rester.

De capter ça, ça m’a posé la question de ce que je cherchais là-dedans et ce que je fais pour que ça marche, ce que j’abandonne de ce que je veux.

Je croyais que j’avais besoin d’être le préféré de quelqu’un. Je croyais que pour être important, il fallait être préféré. Je croyais qu’il fallait être important. Pas être important pour être pris en compte, pour qu’on s’organise avec toi, mais important pour exister, pour avoir de la valeur en soi. En y repensant, je sais plus trop pourquoi. Plus ça va, plus ça m’arrive de m’en foutre d’être important, d’être préféré. Je suis bien content d’être aimé, d’être apprécié, et c’est déjà pas mal. Je suis bien content quand j’arrive à construire des relations que je trouve nourrissantes, enrichissantes, où je me marre bien et que je me prends pas trop la tête. Et ça a pas grand chose à voir avec chercher à être le premier pour l’autre ou les autres. Au contraire. J’apprécie vraiment les gens quand je les regarde comme illes sont, alors que quand je les colle pour être le plus près, plus près que les autres, j’ai du mal à avoir de la perspective pour apprécier tout ça. Plutôt qu’être important, je mise sur partager des bons moments, s’intéresser. Et c’est plutôt pas mal.

Le désir

Le désir, c’est un truc qui me met assez mal à l’aise. Le désir des autres. Je connais cette sensation d’être valorisé par le désir de quelqu’un d’autre pour toi. Comment cette personne te donne un bon point. Et à la fois, chez moi recevoir du désir, la sensation que ça provoque, ça vient jouer avec un mélange de peur, d’intimidation, de dépendance. De peur que la personne se trompe sur moi, ou bien que ça s’arrête. D’intimidation face à ce que la personne comprend de moi, sans savoir ce que c’est. De dépendance parce qu’il faudrait que ça continue si ça vaut quelque chose.

Face au désir de quelqu’un, j’ai toujours été largué. Ne pas capter ce que cette personne projette sur ta gueule. Même si c’est sensé être bien, valorisant, tu sais jamais ce que l’autre aime, ce qu’il faudrait faire pour que ça continue. Pour moi, il y a dans ce regard une manière de dire « je connais des morceaux de toi que toi-même ne connaît pas » qui me perd. Je ne sais plus qui croire, je ne sais plus pour qui exister. Je me mets à devoir exister pour quelqu’un d’autre, au lieu de juste rester dans mes basques à faire ma vie. On ne sait jamais ce que les autres veulent vraiment de nous, et cette question en filigrane me paume complètement. Elle amène avec elle tous les trucs que je devrais faire, que je serais sensé faire. Des fois, ça complique encore plus des questionnements qu’on a sur soi, sur son genre, sur ce qu’on voudrait devenir. Parce qu’il faudrait le mettre en relation avec quelqu’un d’autre. Et prendre en compte ce que cette personne pourrait devenir si nous on change. Avec cette question, il y a un mode d’emploi quelque part que je n’ai jamais lu, mais que les autres connaissent. Et ils attendent que je le respecte.

Pourquoi c’est sensé être si bon d’avoir quelqu’un en face qui attend des choses de toi ? Qui aimerait que tu les fasses ? Qui projette tout un imaginaire sur ce que tu es ?

Face au désir, j’ai soit du rejet, soit une envie de me conformer. Me conformer au regard, me conformer aux attentes. Faire bien, être un bon élève. Et je me connais assez pour savoir qu’à ce petit jeu, je ne tiens pas longtemps avant d’exploser.

Des fois, le désir te met sur un pied d’estale. Tu te retrouves au-dessus. Tu dois savoir mieux, savoir plus, être meilleur que les autres. On te demande d’expliquer, de dire la vérité que tu connais si bien. Alors tu dois taire tes doutes, raconter des trucs que tu ne connais pas, cacher des bouts de toi-même, au risque de décevoir. Tu te mets à avoir honte de tout ce qui ne marche pas avec cette image, à t’en vouloir, à ne plus te comprendre.

Ce qui est chiant avec le désir, c’est que c’est sensé être bien. Tu dois être content quand on te désires. Alors comment faire comprendre que là maintenant, tu veux juste que la personne te lâche la grappe ? Ce qui est chiant, c’est qu’avec le désir, on nous a tellement raconté d’histoires que si le désir de quelqu’un te fait chier, cette personne va se dire que c’est parce qu’elle est pas assez bien, pas assez belle, pas assez intéressante pour que tu t’intéresse à elle. Elle va pas se dire qu’elle a joué à un petit jeu débile auquel toi tu ne joues pas. Le désir, c’est un jeu de hiérarchie. À qui je plais pour me placer, pour remonter l’échelle de la valeur des personnes ? Qui me plaît et va me tirer vers le haut ? C’est jouer avec tester, tenter, si je plais à cette personne, alors je peux me dire que je vaux tant. Si je lui plais pas, je me sens nul. À ce petit jeu, on perd souvent. Chercher que l’autre nous renvoie ce qu’on aimerait être, que l’autre nous valide. On en oublie qu’on est la première personne à pouvoir faire ça, que c’est d’abord de soi-même qu’on en a besoin. Quand tu me désires, j’ai envie de te dire « Eh, tu joues à un petit jeu perdant, pas juste parce que moi j’y joue pas et ça va pas marcher, mais perdant pour toi aussi. Pour ce que tu cherches que t’y trouveras jamais vraiment. » Des fois ça me rend triste comment on est pas capables de chercher autrement, de se faire du bien plus simplement.

J’ai pas plus envie de désirer les autres, que les autres me désirent moi. J’ai toujours été mal à l’aise à désirer quelqu’un. Honte du poids que je lui mettais sur la gueule, du poids des attentes, de l’attention. Honte du stress que j’arrive pas à cacher. J’ai pas envie de faire ça. Quand quelqu’un m’intéresse, j’ai pas envie de jouer ce jeu, pas envie de multiplier l’intensité en misant gros sur des détails. D’être focalisé sur une place, un rôle, un podium. J’aime bien pleins de gens, et je veux bien les aimer comme j’ai envie qu’illes m’aiment, les respecter pour ce qu’illes sont. Sans y chercher ma place.

En parler

J’écris ces histoires parce que je ressens un vide. Il n’y a pas d’histoires de l’asexualité, ou très peu. Il n’y a pas d’histoires où le personnage choisit de ne pas faire de sexe, il n’y a pas de parcours qui racontent ces choix, ni d’histoire où c’est un élément qui n’a rien de capital mais qui est une partie du personnage, un bout de son rapport au monde. Il n’y a pas de représentation positive de l’asexualité. Souvent il y a des histoires ou des allusions à la misère sexuelle, qui nous pousse plutôt à sauter dans les bras du/de la premier/e venu/e pour pas finir misérable.

J’aimerais vraiment qu’on puisse grandir et vivre avec l’idée de ce choix. Je sais que quoi qu’il en soit, ce choix serait toujours marginalisé, et les difficultés de faire ce genre de choix. Mais même comme ça, j’aimerais vraiment qu’il existe.

Je parle pas de ces sujets. Ou vraiment rarement. On l’aborde vite fait des fois avec des gens qui vivent ça aussi, à leur manière. Sans jamais vraiment développer. On se raconte des fois des bouts de parcours, mais jamais comment on le vit au quotidien. On y arrive pas, on sait pas faire. On est bloqué derrière nos peurs, jamais assez confiance dans le rapport des autres. Pas assez confiance en soi. J’ai quelques fois essayé de rassembler quelques personnes qui vivent sans sexe ou sans relations amoureuses, avec différents rapport à ça, plus ou moins choisi. Mon idée c’était d’être un peu plus, que de ces expériences y’avait forcément des trucs à tirer ensemble. Mais les peurs, les blocages et la défensives des un/es et des autres se rencontraient mal, elles se renforçaient facilement. J’ai toujours ce sentiment de pas assez, de pas assez oser, de pas aller assez loin. C’est des bouts de tentatives inachevées.

Du coup, j’écris. J’écris seul quand ça déborde, régulièrement. Et des fois je fais lire un peu des morceau quand quelqu’un est intéressé, se pose des questions. Avec la trouille au bide de me foutre à poil, sans savoir si ça va m’apporter quelque chose. Je balance des bouts de texte par mail, par écrit, que l’autre personne va peut-être lire seul/e dans son coin. Et bizarrement, ça aide pas trop à en discuter simplement.

D’être en session d’écriture à plusieurs, j’en profite pour bosser là dessus, pendant que d’autres bossent sur d’autres thèmes. Ça fait que je me rends compte comment ça fait du bien, comment ça aide. Comment ça aide de lire des bouts en direct, de se poser des questions, qu’on me pose des questions, qu’on me fasse des retours. Je me rends compte à quel point ce qui existe dans ma tête n’en sort pas. Comment quand ça sort ça fait des trucs, qu’on me comprend. Que des passages résonnent.

Je me souviens de la résignation. Pas un souvenir, des tonnes, des bribes par centaines. Toutes ces fois où je me tais. Où je me dis que ça vaut pas le coup d’ouvrir sa gueule, que c’est pas grand chose.

Où j’ai pas envie de passer pour le relou de service, pour le coincé du coin, le bizzaroïde de la soirée. Où j’ai la flemme d’entendre les mêmes questions si j’explique mon truc. Les « Ah je pourrais pas ! » Où j’attends que ça passe. Toutes ces phrases, toutes ces évidences. Les « Ouais mais machin, il fait jamais de sexe.

 Ah non, le pauvre ! ». Les moments de partage sur la vie amoureuse, où chacun/e a quelque chose à raconter pour se livrer, être intime. Les blagues de cul quand tu sais pas si quelqu’un sait pour toi. Les « Et toi, t’as un copain, ou une copine ? ». Les moments où tes potes sont finalement pas dispo parce qu’illes gèrent leurs relations amoureuses. Les rencontres tpg ou lgbtqi où ce qu’il se partage c’est comment on vit notre sexualité, comment on crée d’autres relations amoureuses. Le moment dans une boum où t’es sur la piste de danse, et d’un coup tu te rend compte que tout le monde sauf toi est en train de se pécho ou d’essayer de le faire.

C’est jamais grave sur le coup, c’est toujours juste un peu chiant, mais bon j’ai l’habitude. Ce qui est plus chiant c’est quand après des jours, des semaines dans cette ambiance, tu commences à croire que t’as rien à raconter d’intéressant. Quand tu te sens un peu nul et tu sais pas trop pourquoi. C’est quand t’as l’impression d’être de trop, ou de pas être trop dedans. Quand t’as l’impression que tu vis rien. C’est quand tu sens que tu te laisses de moins en moins de place à l’intérieur, que t’existes de moins en moins. Que t’es plus sûr de ce que tu penses.

Pourquoi tu voudrais être plus visible comme asex et aromantique ?

Parce que j’en ai marre des évidences sur le fait que tout le monde fait ou veut faire du sexe. Que j’en ai marre des évidences que tout le monde fait ou veut faire des relations amoureuses. J’en ai marre des phrases sur comment c’est clair que c’est chiant de pas avoir ça. J’en ai marre de sentir de la pitié, de l’inquiétude, de la tristesse.

Pour qu’on arrête de se démarquer les un/es des autres pour affirmer qui on est. Arrêter de dire qu’on est ptet pas hétéros, mais qu’au moins on baise. Qu’on est plus libéré/es sexuellement. Comme si se libérer de contraintes ça passait forcément par faire du sexe. Choisir son rapport à ça, ça peut être de ne pas en faire.

Pour que ma famille arrête d’attendre que je leur ramène quelqu’un.

Parce que je sais qu’être visible, ça fait que tout ça, ça existe moins. Pas forcément au début, mais plus on est, et plus ça devient une évidence qu’il n’y a pas d’évidence là-dessus.

Parce que j’ai envie que d’autres soient visibles, j’ai envie d’entendre d’autres voix, j’ai envie d’apprendre encore, de comprendre mieux, et tout seul ça suffit pas.
Parce que je rêve de complicités à ces endroits. Un jour on fera des blagues sur les autres qui sont tellement bizarres.

Parce que j’ai envie qu’on soit plus nombreu/ses. Que pour ça, y’a besoin que tout le monde puisse se poser des questions sur ces sujets pour pouvoir se repositionner.

Parce que ça aurait été tellement bien d’avoir plus de billes, plus de choix. De pouvoir assumer mes trucs plus tôt. De moins galérer, moins longtemps.

Parce que si je veux être compris, si je veux qu’on sache d’où je parle, je dois expliquer encore et encore ce que je pense dans le fond, c’est quoi mes évidences. Parce que ça me fatigue tellement que je le fais rarement. Parce que j’ai toujours peur d’être un alien ou de brusquer les gens. Parce que je me sens toujours pas légitime de penser ce que je pense.

Parce qu’en attendant, j’ai toujours l’impression d’être super radical et caricatural, de pas savoir faire avec la réalité, d’en demander trop.

Parce que je crois qu’on devrait avoir le choix.

Parce que si on était plus nombreu/ses, j’aurais moins l’impression de devoir être dispo pour ça quand des brèches s’ouvrent chez des gens. J’aurais pas besoin de porter ces sujets pour qu’ils existent, et je me sentirais moins coupable de pas le faire. Parce que j’aurais peut-être pas besoin d’écrire cette brochure, et franchement, c’est du boulot.

J’imagine ma vie comme un voyage. Dans ce voyage, je prends des décisions, je fais des choix sur où je vais. Des fois y’a une tempête qui m’amène quelque part où je serai pas allé de moi même. Et autour, j’ai mes amis, mes proches avec qui je fais des bouts de route plus ou moins long, plus ou moins souvent. Et puis, il y a mes petits compagnons de voyage. Eux, je ne les ai pas vraiment choisis, on s’est retrouvé ensemble, et je sais qu’ils seront là tout le temps, quoi qu’il arrive. Même si souvent je m’en passerais bien. On s’entend pas toujours très bien, et au début, j’ai eu beaucoup de mal à me faire à l’idée qu’ils seraient là, toujours. Plus que mes amis, plus que mes proches. Un de ces compagnons, c’est les difficultés du fait de pas vivre de relation amoureuses. Quand j’ai pris le chemin qui arrêtait les relations amoureuses, je l’ai trouvé sur le bas-côté, et il est parti avec moi. Je lui en ai beaucoup voulu. À cause de lui, les gens me trouvaient bizarre. À cause de lui, j’avais du mal à trouver un équilibre dans mes relations, mes amies les plus proches m’abandonnaient quand elles étaient amoureuses. Alors au début, je l’ai ignoré. Je me suis dit que si je faisais semblant de pas le voir, de pas l’entendre, il partirait tout seul. Il finirait par comprendre que je voulais pas de lui. Mais il est resté. Alors j’ai pleuré, je suis allé voir les gens autour, en pleurant et en leur montrant ce compagnon dont je voulais pas, que j’avais pas choisi. Mais personne n’a rien fait, personne n’aurait rien pu y faire, alors il est resté, encore et toujours. Et plus je le regardais, plus je pleurais, moins je voyais le reste, et il m’énervait de plus en plus.

J’ai pas réussi à m’en débarrasser, et j’ai fini par comprendre qu’il serait toujours là. Avec le temps, j’apprends à m’arranger avec lui, à connaître comment il fonctionne, pour faire au mieux pour moi. Et des fois je suis tellement en colère, des fois je suis bien triste. Des fois je l’ignore, presque je l’oublie, mais toujours il finit par me sauter dessus quand je m’y attends pas.

Des petits compagnons de route, j’en ai d’autres, je ne vais pas les semer non plus, alors je m’organise pour dealer avec eux tous et continuer mon petit bonhomme de chemin.

Et en bonus : deux extraits de L’Enigme de l’Univers, de Greg Egan

« - Avant, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi tu ne restais jamais longtemps avec une femme. Je croyais que tu n’avais pas de chance, tout simplement. Mais tu as raison, tu es un salaud et un égoïste. Une seule chose t’intéresse, ton travail.
- Exact.
- Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? Te trouver une nouvelle carrière ?
- Non. Vivre tout seul.
- Mais c’est pire, dit-il avec une grimace. Ç a te rend deux fois plus égoïste.
- Vraiment ? dis-je en riant. Tu veux bien m’expliquer pourquoi ?
- Parce que tu n’essaies même pas !
- Et si essayer revient à détruire les autres ? Et si je suis lassé de faire du mal aux gens et que je choisisse d’en rester là ?
Cette idée simple semblait le plonger dans la confusion. Il s’était mis aux DZB tard dans sa vie ; il en avait le cerveau plus brouillé qu’un sujet qui aurait développé une tolérance à la drogue dès l’adolescence.
- J’ai cru sincèrement que je pourrais rendre quelqu’un heureux, dis-je. Et me rendre heureux aussi. Mais, après la sixième tentative, je crois que j’ai démontré que je ne peux pas. Alors je prononce le serment d’Hippocrate : Mal ne feras. _ Qu’y a-t-il de mal à cela ?
Angelo me lança un regard sceptique.
- J’arrive pas vraiment à t’imaginer en train de vivre comme un moine.
- Décide-toi : d’abord, je suis égoïste, ensuite, je suis pieux. Et j’espère que tu ne mets pas en doute mes talents masturbatoires.
- Non, mais il y a un petit problème avec les fantasmes sexuels : ils ne vous font que plus désirer la réalité physique de la chose.
Je haussai les épaules.
- Je pourrais toujours devenir asexe neural.
- Très drôle.
- Bon, la possibilité est toujours là, en dernier recours.
Je commençais déjà à en avoir marre de tout ce stupide rituel mais, si je mettais Angelo à la porte trop tôt, je prendrais le risque qu’il rende à Gina un rapport moins satisfaisant sur ma catharsis. Peu importaient les détails – il aurait le droit de les garder pour lui – mais il fallait qu’il soit capable de dire sans perdre la face que nous avions continué à dénuder nos âmes jusqu’au petit matin blême.
- Tu prétendais toujours que tu ne te marierais jamais, dis-je. La monogamie était pour les faibles. Les relations sexuelles éphémères, c’était plus honnête, et c’était mieux pour toutes les parties concernées...
Angelo rit mais serra les dents.
- J’avais dix-neuf ans quand j’ai dit ça. Qu’est-ce que tu dirais si j’exhumais quelques-uns de tes merveilleux films de la même époque ?
- Si tu en as des copies, ton prix sera le mien …
[…]
Angelo fixa la moquette, brusquement songeur.
- Quand même, j’y croyais. À l’époque. Tout le concept de la famille …
Il frissona.
- … C’était comme si on était enterré vivant. Je ne pouvais rien imaginer de pire.
- Alors, tu as grandi. Félicitations.
Il me foudroya du regard.
- Tu déconnes et tu trouves ça spirituel.
- Excuse-moi.
Il n’avait pas l’air de plaisanter. Je l’avais piqué au vif.
- Personne ne grandit jamais, dit-il. C’est un des mensonges les plus écœurants qui circulent. On change. On trouve des accommodements. On échoue dans des situations qu’on n’a pas voulues … et on fait contre mauvaise fortune bon cœur. Mais n’essaie pas de me dire que c’est là un genre de … glorieuse ascension préprogrammée vers la maturité affective. C’est faux.
- Il s’est passé quelque chose ? demandais-je, gêné. Entre Lisa et toi ?
Il secoua la tête comme pour s’excuser.
- Non. Tout va bien. La vie est merveilleuse. Je les aime toutes les trois. Mais …
Il détourna les yeux, se raidissant visiblement de tout son corps.
- … Uniquement parce que je deviendrais fou si je ne les aimais pas. Uniquement parce que je suis obligé de faire en sorte que ça marche.
- Mais tu y arrives. Ça marche.
- Oui !
Il fronça les sourcils, frustré de voir que je n’avais pas compris.
- Et ce n’est pas si difficile que ça, plus maintenant. C’est une pure habitude. Mais … avant, je croyais qu’il y aurait autre chose. Je croyais que si on évoluait en … donnant de la valeur à une chose, puis à une autre, c’était parce qu’on avait appris quelque chose de nouveau, ou mieux compris quelque chose. Et ce n’est pas du tout comme ça ! Je donne de la valeur à ce dont je ne peux pas me débarrasser. Et voilà toute l’histoire. On fait de nécessité vertu. On sanctifie ce à quoi on ne peut pas échapper. Oui, j’aime Lisa, et j’aime les petites … mais c’est parce qu’actuellement je ne peux pas mieux organiser ma vie. Il n’y a pas de raison plus profonde que ça. Si je ne peux contester aucune des opinions que j’ai exprimées quand j’avais dix-neuf ans, c’est parce qu’actuellement je ne suis pas plus avancé. Je ne suis pas plus sage. Voilà ce qui me hérisse : tous ces mensonges prétentieux à la con sur la croissance et la maturité dont on nous a gavés. Personne n’a jamais eu le cran d’avouer que l’ « amour » et le « sacrifice » n’étaient que ce qu’on faisait pour ne pas devenir fou quand on se retrouvait acculé dans un genre d’impasse. »

Deuxième extrait

« Je frissonnai à son contact, mais mon érection retombait lentement. Je caressai la peau glabre et sans défaut là où un mamelon aurait pu se trouver, cherchant du bout des doigts le tissu cicatriciel, mais sans résultat. Akili s’étira paresseusement. Je recommençai à lui masser la nuque.
- Je suis paumé, dis-je. Je ne sais pas ce que nous sommes en train de faire. Je ne sais pas où cela nous mène.
- Nulle part. Nous pouvons en rester là si tu veux. Nous pouvons toujours parler, à défaut d’autre chose. Ou alors nous pouvons parler sans nous arrêter. Ça s’appelle la liberté ; tu finiras par t’y habituer.
- Tout ceci est très bizarre.
Nous restâmes yeux dans les yeux et Akili semblait suffisamment heureux, mais j’avais quand même l’impression que j’aurais dû chercher activement un moyen quelconque de rendre le tout mille fois plus intense.
- Je sais pourquoi ça cloche, dis-je. Le plaisir physique sans rapport sexuel...
- Continue.
- Le plaisir physique sans rapport sexuel est généralement considéré comme …
- Quoi ?
- Ça ne va pas te plaire.
Ille m’enfonça le pouce dans les côtes.
- Accouche.
- Comme infantile.
Akili soupira.
- D’accord. C’est l’heure de l’exorcisme. Répète après moi : oncle Sigmund, je te répudie en tant que charlatan, maître chanteur et falsificateur de données. Qui corrompt le langage et qui détruit les existences. »

Des trucs à lire/à écouter/à regarder sur le sujet :

Asexualité, autosexualité, antisexualité …
Une émission de radio sur le site radiorageuses.net.

(A)sexual, not everybody’s doing it
Un film sur l’asexualité, en anglais. C’est possible de me contacter pour chopper les sous-titres français.

Les sentiments du prince Charles
Une BD de Liv Strömquist sur le couple hétérosexuel et le sentiment amoureux.

L’Énigme de l’Univers
De la science-fiction par Greg Egan, d’où viennent les extraits avant.

La fabrique artisanale des conforts affectifs
Brochure sur comment on construit autrement des relations,
trouvable sur infokiosques.net.

Undoing Sex : Against Sexual Optimism
C.E, dans la revue Lies, une revue en anglais très intello.

Et des choses diverses et variées sur internet, si on y traîne, surtout en anglais...

Si vous voulez réagir, écrire, raconter une blague, etc. :

contact : sauterdansleau@@@riseup.net

Je m’imagine si les gens arrêtaient de faire du sexe. Est-ce qu’il y aurait une campagne de prévention gouvernementale ?

« Manger cinq fruits et légumes par jour, et n’oubliez pas de faire du sexe ! »

Copyleft - décembre 2017.



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