S


Squats et Internet

mis en ligne le 2 août 2003 - Darkveggy

Politique

Bien que tout squat soit "politique", dans la mesure ou —même de manière
involontaire—, il critique en actes la propriété privée, la particularité de
nombre d’entre eux est de sciemment se définir comme tel. Le squat est alors
vécu comme un lieu de rupture avec l’ordre social et les institutions, comme le
refus de la société capitaliste et de l’État, auxquels squatteuses et
squatteurs s’attaquent en niant par leur action la valeur de la propriété
privée. Cependant, les squats ne se contentent souvent pas de critiquer la
société, mais se proposent également de mettre en pratique des alternatives. Au
sujet de l’organisation collective comme des rapports inter-individuels, les
squats fourmillent de remises en question et d’expérimentations. Avec pour
bases, bien souvent, une critique du patriarcat, du capitalisme, de l’élitisme
et de la hiérarchie, avec la volonté de briser la spécialisation et
l’atomisation des individus, de se libérer des carcans moraux, de
l’individualisme forcené, des conditionnements sociaux, pour essayer de vivre
en cohérence avec ses idées et de s’épanouir. Plus qu’un simple constat
critique, les squats sont la réalisation (forcément partielle, car immergée
dans un "vieux monde" qui perdure) de ce que certain-e-s ne font que théoriser.
Le mythe du grand soir est brisé, car c’est alors tous les jours que se
construit la révolution, par une transformation individuelle et collective. Ce
qui n’exclut pas des moments de confrontation violente avec le système, qui ne
saurait accepter de voir éclore quelques îlots de liberté...

Médias

En tant qu’espaces contre-culturels, les squats sont non seulement victimes de
la répression institutionnelle, légale et policière, mais aussi de la
désinformation ou de l’ignorance des médias officiels à leur sujet. En
conséquence, on trouve dans les squats la volonté de créer des médias
alternatifs, autonomes, se faisant réellement l’écho des militant-e-s.
Historiquement, mais intrinsèquement surtout, les squats sont très liés au
militantisme anarchiste et de gauche radicale. En ce qu’ils catalysent les
luttes contre tous les éléments du système, les squats sont confrontés aux
mêmes problématiques que les mouvements révolutionnaires (auxquels souvent ils
appartiennent), en ce qui concerne —entre autres— la répression, l’expression
publique, la communication, le rapport aux médias.

Réaction

En conséquence, les squatteureuses produisent leur propre information, de manière
alternative (fanzines, journaux, brochures, tracts & affiches, bombages), qui
peinent cependant à dépasser le niveau local. Dans certains pays comme la
Hollande, où les squatteureuses sont particulièrement organisé-e-s (le
mouvement squat y a été très fort dans les années 70/80, et a accumulé de
nombreux acquis au cours d’années de luttes parfois très dures contre le
pouvoir), on trouve des radios pirates, des télévisions alternatives, entre
autres grosses structures (c’est aussi le cas en Italie, en Espagne...).
L’étape suivante, dans la volonté de communiquer de manière plus large, s’est
logiquement trouvée être internet.

Internet

Certain-e-s squatteureuses se sont donc orienté-e-s vers l’utilisation d’outils
de communication "modernes" et alternatifs, directs et difficiles à censurer
comme internet, et ce dès ses débuts. En témoigne le site squat !net, en ligne
depuis 1997, qui héberge quantité de pages de squats, de squatteuses et
squatteurs, ou autres groupes politiques, initiatives alternatives lié-e-s aux
squats. Très visité, ce site offre aux squats la possibilité de communiquer au
delà du cadre restreint de leur environnement immédiat, ce qui outre la stricte
diffusion de l’information peut constituer un instrument de pression
supplémentaire dans la création de rapports de force entre les occupant-e-s et
les autorités. Ses volumineuses archives de documents (tracts, brèves, livres,
essais, etc.) permettent également à qui en a la curiosité de découvrir les
squats hors des clichés dans lesquels ceux-ci sont généralement enfermés.
Internet donne également une autre dimension aux initiatives orientées vers le
local : aux textes mis en ligne, les squatteureuses d’Amsterdam ont ajouté les
émissions de leurs radios et les programmes de leurs télés pirates, disponibles
en direct. En France, les squats de Dijon rendent compte de leur actualité,
entre autres actions militantes, par le biais d’une liste de diffusion (la
malokaliste) et d’un site web. La page des squatteureuses de Lille, quant à
elle, propose notamment un historique des occupations lilloises ainsi qu’un
guide du squat.

Bien-sûr, internet est aussi un outil de communication entre squats. Squat !net
et d’autres serveurs alternatifs hébergent des dizaines de listes de discussion
et de diffusion permettant la coordination de groupes et l’échange d’infos. En
France, où le réseau squat est bien moins développé et organisé que dans
d’autres pays européens, des initiatives de connexion intersquat voient le
jour, et sont concrétisées en partie grâce à internet. C’est le cas de
l’intersquat francophone, qui fédère des squats de toute la France, de Suisse
et d’ailleurs, autour d’un espace de débat, de communication et de solidarité
utilisant internet comme instrument de liaison.

Problèmes

 Sécurité : internet a un statut assez particulier dans la communication
alternative. Ce peut être un formidable moyen d’échange libre, mais dont les
militant-e-s ne peuvent avoir de "maîtrise" que partielle. Aussi retrouve-t-on
de plus en plus la contestation radicale (squatteureuses inclus-es) dans les
mouvements de lutte contre "big-brother" et le contrôle des télécommunications.
Des sites comme squat !net ou TAO mettent l’accent sur la sécurité informatique,
comme moyen de résister à l’espionnage systématique des communications
électroniques et au fichage intensif qui en découle. Confronté-e-s à la
répression depuis toujours, les squatteureuses "branché-e-s" doivent donc
s’orienter vers le cryptage des données et autres connexions sécurisées.
Internet devient un autre environnement à squatter, à occuper et à défendre,
contre le pouvoir grandissant que les censeurs y exercent.

 Élitisme : l’outil informatique, s’il permet une communication large et
instantanée, n’en reste pas moins peu accessible pour nombre de personnes à
l’heure actuelle. Au risque de voir émerger de nouvelles hiérarchies plus ou
moins formelles, relatives au degré de connaissance et de maîtrise
informatique, qui sont peu compatibles avec les volontés égalitaristes et
exigences de non spécialisation du milieu. Face à cela, certain-e-s
squatteureuses refusent d’abandonner le net aux flics et publicitaires, et
tentent au contraire d’en favoriser l’accès. En Hollande, des cybercafés
squattés comme ASCII à Amsterdam ou PUSCII à Utrecht mettent gratuitement à
disposition des squatteureuses, militant-e-s et autres intéressé-e-s des
connexions internet. On peut également y apprendre quelques bases en
informatique, des langages de programmation, comment réaliser des pages web et
diffuser ses infos sur le réseau, y découvrir des alternatives à la domination
de Microsoft... par le biais d’ateliers (échange de savoir), d’actions
(install-parties), de conférences-débats. Les machines utilisées proviennent de
dons, de récupérations diverses, de l’assemblage de matériaux considérés
obsolètes par la société de consommation mais parfaitement fonctionnels. Il est
parfois possible d’y acquérir un ordinateur gratuitement, ou presque. D’autres
projets similaires existent : dans le squat Egocity à Zurich, dans des squats à
Barcelone, ou encore à Berlin (LOTEC). En Espagne, le serveur Sindominio, géré
par des squatteureuses, constitue un véritable portail vers les luttes sociales
autonomes. En Italie, militantisme et hacking se rencontrent et se mêlent
régulièrement (Hacklabs) dans des centre sociaux squattés. De plus, ces
différentes initiatives tendent à se connecter entre elles, comme en témoigne
le "congrès" Plug’n’Politix qui se tiendra à Zurich en octobre prochain, et
rassemblera divers "cafés-internet" squattés. A noter que le réseau de médias
indépendants Indymedia est aussi lié aux squats par certain-e-s de ses
participant-e-s.

 Technique : internet —de même que l’informatique en général— pose le problème
de l’utilisation d’outils conçus par et pour les dominants. C’est notamment le
cas des produits Microsoft, qui s’imposent tous azimuts, et manifestent la
volonté de contrôler internet et tout le monde de l’informatique. Pour les
squatteureuses et autres militant-e-s libertaires, il s’agit donc aussi de
lutter contre le terrorisme et l’arrogance de ces multinationales du logiciel,
en se dotant d’outils "libres" et indépendants comme GNU/Linux (système
d’exploitation gratuit, librement modifiable et transparent, développé par une
communauté de plusieurs milliers d’utilisateurs et d’utilisatrices de part le
monde). Si les contestataires ont tout à y gagner (sécurité, efficacité,
éthique, liberté, évolutivité), la pratique nécessite des connaissances
informatiques parfois non-négligeables. Pour palier à ce problème, les
militant-e-s d’une informatique libre tentent d’en vulgariser les concepts et
l’utilisation. Formations, coups-de-main & assistance, ateliers divers. Il
s’agit de prendre le contrôle de son ordinateur, de ne plus dépendre des
standards imposés (bourrés de bugs, d’espions et conditionnés par une logique
commerciale).

Unanimité ?

Dans le développement d’internet, les squatteureuses ne sont donc pas en reste,
loin de là. Bien que soumise à un certain nombre de contraintes, l’utilisation
d’internet s’est imposée à nombre de contestataires, et les efforts semblent
plus tournés vers sa "démocratisation" que vers son rejet. De puissants outils
de communication existent d’ores et déjà, qu’il convient d’utiliser. La société
a beau complexifier ses instruments, elle n’a pas encore su damer le pion aux
révolutionnaires...

Cependant, l’usage d’internet et des nouvelles technologies ne va pas de soi
pour tou-tes les squatteureuses. Si certain-e-s y voient des perspectives
intéressantes, cherchant à renverser des préjugés et à reconsidérer le rapport
à l’ordinateur (la technologie au service de la collectivité, l’informatique
comme vecteur de création, support d’une expression personnelle singulière,
nouveau terrain d’action et outil d’une subversion moderne), d’autres tendent à
envisager son utilisation comme purement contextuelle, et posent la question de
la comptabilité entre informatique et "société libérée" (l’industrie moderne
comme condition nécessaire à la production d’ordinateurs, fonction sociale de
l’informatique, mais aussi nécessité d’autonomie face au pouvoir et à ses
outils, etc.).

Note

Le terme "squatteur" a ici été remplacé par "squatteureuse", contraction de
"squatteur" et "squatteuse", dans le soucis de visibiliser la présence des
femmes dans les squats. Cela me semble d’autant plus important que
l’informatique est "traditionnellement" associée aux hommes. Si cela reste
malheureusement souvent une réalité (au sein même des squats, les hommes ont
plus tendance que les femmes à maîtriser l’outil informatique), ce n’est pour
autant pas du tout systématique. Le collectif hollandais "genderchangers", par
exemple, est uniquement constitué de femmes, qui montrent que l’informatique
n’est pas et ne doit pas être l’apanage de mecs, en mettant en relation
féminisme et informatique alternative, dans le cadre d’ateliers de formation et
d’échange non-mixtes. A noter également, l’existence d’un groupe non-mixte
femmes au sein de LOTEC, autre espace d’informatique libre installé dans un
ex-squat berlinois.

Liens

 Squat !net - https://squat.net
 LOTEC - https://squat.net/lotec
 ASCII - https://squat.net/ascii
 ANSII - https://squat.net/ansii
 PUSCII - https://squat.net/puscii
 PRINT - https://print.squat.net
 Plug’n’Politix - https://squat.net/pnp
 Egocity - http://egocity.net
 Sindominio - http://sindominio.net
 TAO Communications - http://tao.ca
(http://security.tao.ca pour les pages consacrées à la sécurité)
 Indymedia Network - http://www.indymedia.org
 Maloka - http://www.chez.com/maloka
 Squattàlille - http://lille.squat.net
 Genderchangers - http://www.genderchangers.org
 LOA HackLab Milano - http://www.ecn.org/loa
 Gnu’s not unix - http://www.gnu.org

Canal #squat sur IRCNet
(en France, connexion par ircnet.nerim.net) et canal #print sur IRC-Indymedia (connexion par irc.indymedia.org).

août 2001, darkveggy, darkveggy@squat.net



ce texte est aussi consultable en :
- Texte par téléchargement, en cliquant ici (12.3 ko)