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1ère fois, zine Bi et Pan

mis en ligne le 28 août 2024 - multiple

Table des matières

Préface – Floralie Resa
Mal dit – Veli Fenwar
De l’évidence bisexuelle – Pissaladière & Beurre Salé
Coming in – FANG OUT
Amies – Selia Louise Château
Entre guillemets – Eli
Premiers baisers (non) – Clothilde
Meme sur mon premier crush bi –Transbaguette
Paillettes – Une histoire de coming in – Marjorie
M. – Anna Stamina
Première fois – Marine Peyrard
Témoignage 1ere fois Bi – Julia
Caviardage – XM Tran
Premières fois – Victoria Phouthavy
1ʳᵉ chatte – Lucille E.
Dans mes tiroirs – E.T
Premier flirt – Pau
Illustration – Éliot Astrée
Lettre à N. – André·e
Sortir de l’hétérosexualité… par l’hétérosexualité – Préca
Le révélateur – aloi
La première fois – Athenais
Devant ma télé cathodique – Elodie Mulin
Première fois PD – Éliot Astrée
Toutes ces premières fois – Aimma
Trans-faire amoureux – Sarah Dufeutrelle
Quand on naît garçon – Tristane
Peau-aime du mois de juin – SAINTE AMARANTHE
Rencontre – Claire Mielcarek
Pédé – Éris
Glitch (Œuvre vidéo) – Mother Ginette
bicode.py – Micha Gorelick

Préface – Floralie Resa

Insta : @floralie.resa

Un jour j’ai matché une bi-curieuse. Elle voulait une première fois. Et moi j’étais curieuse de savoir ce qu’était la première fois d’une bi-curieuse. J’étais devenue une bi-curieuse-curieuse. Je lui ai dit « viens, on écrit sur comment ça se passe, chacune de notre côté ». J’ai trouvé sa démarche courageuse. Je sais que ce mot — bi-curieuse — est souvent utilisé d’une façon insultante. Je ne pense pas que ce le soit. Explorer sa bisexualité est une étape normale et saine de la vie des meufs bi1. J’ai eu peur pour elle, que ce soit décevant. J’ai eu peur pour moi, parce que j’avais pas envie qu’elle se rende compte que j’étais moyen bof, parce qu’elle avait pas les paillettes de l’amour dans les yeux pour l’aveugler. Elle a fini par m’envoyer un message pour me dire que finalement non, elle avait changé d’avis. Je lui ai souhaité le meilleur. J’espère qu’elle a attrapé des paillettes dans les yeux pour quelqu’un d’autre et qu’elle a trouvé des réponses à ses questions. Puis j’ai repensé à ma première fois. Je me suis demandé ce qu’était la première fois typique des gens bi et pan, s’il y avait même une première fois typique. Alors je vous ai demandé de me parler de tout ça.

Je remercie chaque personne qui a répondu à cet appel. Je dédie ce zine à toutes nos premières fois, les plus belles, les plus tristes, les plus courageuses, les plus extraordinaires, les plus anodines. Je dédie ce zine à toutes les personnes bi et pan, aux gens qui ont toujours su, aux gens qui ont mis du temps. Les premières fois sont multiples, des premiers baisers, aux premières baises, aux premiers amours, en passant par les étincelles qui ne mènent nulle part mais qui nous éclairent sur qui nous sommes.

Pour aller plus loin : Explorer sa bisexualité est une étape normale et saine de la vie des meufs bi. Texte publié sur @tomcat.bi.pan https://www.instagram.com/p/CnCJ_e1jwif/

Mal dit – Veli Fenwar

Insta : @_veli_f

Chez sa grand-mère, discrètement, je lui tenais la main elle la serrait très fort. Je me souviens de la timidité, de nos regards emplis de désir, de sa bouche qui mendiait la mienne, du silence assourdissant, de l’impossibilité d’agir, de dire, d’y croire.

Elle voulait aller au cinéma. Un pédé n’aime pas les femmes.

De l’évidence bisexuelle – Pissaladière & Beurre Salé

Vers 15/16 ans j’ai ressenti deux certitudes très solides par rapport à la manière dont j’allais conduire ma vie d’adulte : je n’aurais pas d’enfants, j’étais bisexuelle. Les raisons de l’apparition concomitante de ces deux certitudes dans ma vie me sont toujours mystérieuses mais aujourd’hui encore je les perçois comme liées. Elles me constituent très fort.

En entendant les récits d’autres parcours de vie LGBTQI / queer je mesure la chance que j’ai eue d’avoir toujours accepté ma bisexualité. Les doutes, les remises en question, ce sont les autres qui les ont distillés. La plupart du temps sans effet sur moi, alors que pour tout un tas d’autres sujets l’avis des autres m’est important, me déstabilise.

L’avancée en âge produit des choses parfois contradictoires en apparence… l’accumulation des expériences m’apporte plus de sécurité et de sérénité… Et pourtant les premières fois continuent de survenir ! Ainsi depuis quelques mois j’ai la chance de vivre ma première histoire d’amour avec un homme trans bi. Qu’est-ce que c’est bien ! Cette connivence, cette connexion, cette facilité relationnelle, cette évidence ! Avec lui on fracasse les frontières du genre, avec lui je vis ma première fois avec un twink magnifique qui me désire et que je désire.

Il y a des premières fois dont le caractère originel prend sens au fur et à mesure, des premières fois qui ne sont pas évidentes, tant ce qui nous arrive chamboule le connu. Actuellement je suis dans ma première véritable relation bisexuelle, avec une femme bi et fière de l’être. Quand je pense à elle c’est la tempête et le calme en même temps dans mon corps, c’est encore plus flagrant quand je la retrouve. Première vraie relation bisexuelle et sans la biphobie intrinsèque qui va avec. Quand j’pensais être une meuf cis, selon le genre de mes partenaires j’étais soit en relation hétéro soit homo, et j’étais traité comme tel. Mais avec elle c’est différent, rien n’est plus si binaire que ça. Avec elle je suis gouine et pédé en même temps. Et quand son regard se pose sur moi, sur mon corps trans, en plus d’être le plus chanceux du monde, j’ai l’impression d’incarner le meilleur des deux genres, et que ces deux parties sont chéries à égalité. Avec elle, on a un humour de bi, on se partage des références bi, on est une Bi Pride a nous deux. Avec elle, je suis grand et plus beau, better than a cis boyfriend, better than a cis girlfriend. Mon corps trans, via ses yeux, n’est pas déviant, il est beau et elle le désire. C’est l’avantage de relationner avec une personne bi, j’ai moins peur de vivre de la transphobie, même quand elle est cis.
Et tant que j’en ai la possibilité je veux la traiter comme une reine, et bâtir un royaume bi loin des normes de féminité hégémonique et de la masculinité toxique.

Coming in – FANGS OUT

Insta : @_fangs_out_

Amies – Selia Louise Château

Insta : @selialouisechateau

Pied du lit
En tailleur
Bouche
Contre
Bouche
Contre
Bouche
Contre
Bouche

Il y en a mille

Il y a les nôtres
Toutes les nôtres
Ce qu’elles ont tu
Et ce qu’elles ne savent pas dire encore

Il y a les autres
Ce qu’elles nous disent
Et ce qu’elles expriment
Sans mots

Amies

Dans la cabane du jardin d’à côté
La voisine s’engouffre dans mon sourire
Elle glisse jusqu’à mon ventre
Mes tempes mes tempes
Battent une mesure
Que je ne prends pas
Encore

Amies

Elle me demande si je me touche
Je rougis
Le soir je glisse le premier doigt d’une
Longue série

petit
Ami

Il me baise sur un canapé-lit
C’est vrai
Que c’est tellement plus
Petit.

Entre guillemets – Eli

Insta : @fanzines.chat.dans.la.gorge

Je ne me rappelle pas de la première fois que j’ai utilisé le mot « bisexuelle » pour me définir.

C’est assez étonnant quand on me connaît. Les mots, c’est important pour moi. Ils sont un peu partout dans ma vie : dans mes études, dans mon travail, dans mes loisirs. J’aime bien leur côté précis, la façon dont ils donnent du sens. Je vois le langage comme une sorte de palette, ou de boîte à outils (j’adore les boîtes à outils). Et si je veux, je peux piocher dedans pour me définir. Pas pour mettre dans des cases, plutôt pour affirmer des choses. « Je suis queer ». « J’ai un handicap ». « Je fais des fanzines ». C’est comme un portrait qui se dresse petit à petit, qui me confirme mon identité, dans ses choses fondamentales comme dans ses détails. Ça fait un peu peur des fois, mais ça fait du bien aussi.

Me rappeler ma première utilisation du mot « bisexuelle », c’est plus important pour moi que mon premier baiser, mon premier crush ou mon premier moment de sexe bi. Déjà parce que ça me paraît plus clair dans le temps, vu le flou et l’ivresse qui ont entouré beaucoup de mes baisers de jeunesse, et le déni persistant qui a accompagné beaucoup de mes premiers crush bi. Et puis je crois que c’est aussi le miroir des personnes qui m’entourent. Les copain·es qui n’ont jamais couché avec personne et que ça n’empêche pas de revendiquer une orientation sexuelle. Celleux qui ont des pratiques bi mais qui s’affirment dans le mot hétéro. Et celleux asexuel·les, pour qui tout ça ne veut rien dire. J’aime bien le fait que mon identité vienne d’un mot. Ça veut dire qu’elle vient de moi toute seule, même quand je ne fréquente personne, même quand je fréquente un garçon. Je suis bisexuelle, tout le temps. Ni début ni fin.

J’adore sacraliser les premières fois en plus ! Première fois dans une ville, dans un quartier, dans une rue, premiers pieds dans l’eau de l’été, premier cœur à cœur avec quelqu’un·e… « Je suis bisexuelle ». Ça aurait dû venir comme une espèce de moment-illumination. Ou de libération peut-être, d’affirmation. Je me rappelle bien, par contre, de mes premières tentatives d’en parler. Imprécises et imprévues. Pas de mot spécifique, juste une vague définition.

L’été de mes 16 ans, j’ai profité d’un contexte d’ébriété et de bruit et j’ai dit, très exactement : « J’aime beaucoup les garçons, mais des fois j’aime les filles aussi ». Je n’ai pas eu de réponse. En même temps, je parlais à quelqu’un que je connaissais à peine et qui ne m’avait rien demandé. Il n’y avait pas grand-chose à répondre. Mais c’était frustrant, alors un an après, j’ai réessayé. Même phrase, exactement. « Tu sais, la bisexualité c’est une mode, ça n’existe pas vraiment ». Pas franchement la réponse que j’attendais. C’est la même personne qui m’a dit, des années plus tard : « Les transgenres, je ne sais pas ce que j’en pense ». Autant dire qu’on n’est plus en contact.

Après de tels succès, j’ai passé plusieurs années à penser que j’étais probablement hétéro. J’ai quand même fait une toute dernière tentative, avec toujours la même phrase. Ça venait tout seul, vraiment, je ne pouvais pas l’empêcher. Cinq ans après je crois. Dans le pire contexte possible. Le male gaze, ça s’appelle. Si je dis que j’aime les filles à un garçon pour le draguer, là ça a le droit d’exister, c’est ça ? Je l’ai fait, et ça lui a plu. Mais il a cru que je ne disais ça que pour lui. Que ça n’existait pas en dehors de lui. Et donc il a trouvé très drôle d’en parler à mes ami·es, devant moi, à l’improviste. Mais cette fois j’ai eu plus de chance. Mes ami·es ont dit que j’aimais qui je voulais. C’est tout.

À partir de là j’ai commencé à expérimenter plein de choses et à en parler petit à petit. Et puis à me sentir légitime, à accepter cette partie de moi. Ça a été une super période. Au début, et pendant un moment, je n’ai mis aucun mot précis sur ce que je vivais, ni sur qui j’étais. Aujourd’hui par contre, le mot « bisexuelle » est une évidence. Qu’est ce qui s’est passé entre les deux ? Franchement, je n’en suis pas sûr·e.

Pour moi, le moment bascule c’est la fois où on m’a demandé « Comment il s’appelle » et où j’ai répondu « Johanna ». C’était pas le premier échange de ce type que j’avais, pourtant. Mais je ne sais pas, d’un coup ça devenait officiel, je me sentais légitime à parler de ça. Pas de grand coming out, pas de révélation, juste une question et une réponse. Et d’un coup tout devenait sûr.

Même en cherchant bien, je ne me rappelle pas de la première fois que j’ai utilisé le mot « bisexuelle » pour me définir. Ni de la dernière fois d’ailleurs. Je crois que c’est une chose qui me parait tellement naturelle que pour une fois, je n’ai pas besoin de passer par les mots. C’est comme ça. J’ai l’impression que ça fait partie de moi, c’est intrinsèque et c’est permanent. Cette non-première fois m’a longtemps mise mal à l’aise. Je pensais avoir évité le mot parce que peut-être que ce n’était pas complètement moi, ou pas complètement vrai, pas complètement quelque chose en tout cas. Maintenant je pense que c’est l’inverse. Et j’en suis très heureux·se.

Premiers baisers (non) – Clothilde

2020. Année Covid. Année bisexualité.

Qui se souvient qu’avant le confinement, il y a eu des grèves ? Moi.

Paris bloqué, nous avons quand même réussi à nous retrouver. Tu veux m’emmener dans un bar lesbien, ma première fois. Pas la Mut’, non, sa voisine. Celui qui ressemble à un PMU – zinc, billard, télé au mur – sauf qu’il n’y a aucun homme, que des femmes. Comme une réalité parallèle. Je ne sais pas si je te plais mais je sens le regard de certaines d’entre elles sur moi. Comme un ouragan.

Pas de métro pour te ramener à ton train. Alors nous marchons, l’une à côté de l’autre. Mes souvenirs sont fragiles, j’imagine la buée que nos mots dessinent dans la nuit de janvier. Je crois me rappeler que la gêne se lève, imperceptiblement. Peut-être que je te plais finalement ? De côté, je regarde ton undercut disparaître sous tes longs cheveux bruns. C’est ce qui m’avait plu dans ton profil OkC, ces cheveux mi-fille, mi-révolution.
Nous arrivons Gare du Nord. Son parvis miteux, constamment lavé mais jamais propre, pas dangereux mais toujours un peu craignos. Cinq ou six gars sont là, très occupés à parler fort. Je ne suis pas complètement tranquille pour toi, je veux t’accompagner jusqu’à l’entrée, ma première fois. J’ai envie de prendre doucement ton visage dans mes mains, de sentir tes cheveux ras sous mes paumes, ma première fois. Mais mes tripes m’appellent à la prudence, ma première fois.

Tu pars, je pars, et dans le bout de nuit qu’il me reste jusqu’à la maison, je reçois ton message. Quelque chose comme : « je t’aurais bien embrassée mais j’avais un peu peur ».

Meme sur mon premier crush bi –Transbaguette

Insta : @transbaguette

Paillettes – Une histoire de coming in – Marjorie

Insta : @duvindesviesduvent

« Si j’écris un texte sur cette nuit, je l’appellerai « Paillettes » ». Tu ne me demandes pas pourquoi ; tes draps et ta peau en sont recouverts. Je te vois sourire en coin dans la pénombre, m’ouvrir tes bras, et une fois blottie dans leur chaleur brûlante, je t’entends, rieur : « Carrément, t’écriras un texte sur moi ? ».

Pourtant, il faut dire au·x lecteur·ice·s que je triche (est-ce que je triche ?) : quand je te rencontre, tout est déjà fait, premier béguin, premier baiser, première nuit. Alors pourquoi ce moment-là, et pourquoi toi ? Les jours suivants, c’était évident.

« Alors, c’était comment avec E. ? »
« C’était comme la première fois que j’avais arrêté d’attendre. »

Celle dont on rêve tous·tes, celle qui vous empêche de dormir pendant trois jours et qui vous laisse terrifié·e à l’idée d’effacer son baiser de vos lèvres.

Les lecteur·ice·s doivent se demander ce que tu as bien pu me faire pour que je perde le sommeil, et surtout pour que j’aie l’impression nette d’une rupture, d’un avant-toi et d’un après-toi. Je me suis beaucoup interrogée moi-même (trois nuits sans sommeil à occuper) et j’ai fini par revenir à mon impulsion première. Écrire cette nuit de paillettes comme ce qu’elle a été pour moi : un déclic auquel j’avais renoncé. Celui du naturel, du lâcher-prise et de l’amour de soi.

Il faut dire que jusque-là, ma sexualité saphique était décevante, insipide, tristement grise. J’en revenais toujours avec les larmes aux yeux, l’amertume au cœur, me demandant où était le problème. « En moi, évidemment, je ne suis ni l’un ni l’autre, cassée en deux morceaux qui dérivent. Être bie me laissera toujours insatisfaite, illégitime, et malheureuse. »

À quinze ans, j’écris dans mon journal intime que la bisexualité est schizophrénique. Ça fait un mois que j’éprouve mes premiers sentiments amoureux pour une personne qui n’est pas un homme, un mois seulement, et je me perçois déjà comme déchirée, pathologiquement scindée en parts irréconciliables. Ça ne m’avait pas frappée sur le moment mais en relisant ces mots il y a quelques mois, mon cœur s’est brisé. Et j’ai réalisé que bientôt huit ans après mon coming out, après tellement de rencontres et de moments vécus, rien n’avait changé.

La fierté manquait toujours à l’appel.

Et soudain
Soudain tes morsures dans mon cou. Tes mains douces qui agrippent ma peau. La tienne, tendre et sucrée sous ma langue. La moiteur de ton dos, de tes fesses, de ta vulve. Ta jouissance sous mes doigts.

Je ne me regarde pas agir, pour la première fois. Mon corps prend les commandes : il sait.
Inspire, expire, plonge.

J’avais appris récemment l’existence du terme coming in. J’en ai compris le sens le lendemain quand, armée de deux heures de sommeil, j’arpentais les rues de Paris sous un soleil de plomb.

24 juin 2023 : Marche des fiertés.

Mon walk of shame devenu walk of pride comme par magie. Je relève la tête, et pour la première fois, j’arbore fièrement ma peau ensommeillée et mes cheveux en bataille, le tout saupoudré de tes paillettes, de tes mots et de tes baisers.
C’est décidé, ma bisexualité est une bénédiction.

M. – Anna Stamina

Insta : @anna.stamina

« Le sexe avec les meufs ça a rien à voir, c’est beaucoup plus quali ». Elle a fixé mes seins, puis mon visage, puis mes seins, puis mon visage. Intense impression. Son désir me terrassait. « Ouais ouais c’est clair », j’ai bafouillé, écarlate, baissant les yeux pour dissimuler ma gêne et mon ignorance. En théorie ça me paraissait tout à fait plausible. Le sexe avec les hommes je trouvais ça passable, au mieux. Ce que j’aimais c’était la séduction, ressentir mon pouvoir sur eux avant qu’ils me baisent. En pratique, c’était la première fois que le regard d’une meuf m’incendiait. Je comprendrai plus tard que mon vice était la sensation d’être intensément désirée. J’aurais fait n’importe quoi pour qu’elle continue à me dévorer des yeux comme ça. Des mois plus tard, quand je mettrai fin à notre relation elle me dira que j’étais lâche, que c’était bien ce qui me bloquait dans ma vie. Je crois pas que j’étais lâche. Elle était violente, colérique, aussi dure que l’arrière de son cou était doux. Je voulais prendre soin d’elle, l’avoir pour moi toute seule, j’étais obsédée par sa peau. J’adorais qu’elle ait aussi peur d’aimer et qu’elle me repousse. Qu’elle ait autant besoin de moi. Avoir le privilège d’essuyer les larmes de cette butch folle à lier qui me martyrisait fut mon unique raison de vivre pendant des mois. J’aimais quand elle venait dormir chez moi, et tout faire tourner autour d’elle, de ses besoins. Elle mangeait tout ce que je lui préparais avec appétit et enthousiasme, j’imaginais que ma bonne nourriture saine et consistante la réparait de l’intérieur. J’aurais pu passer ma vie à cuisiner pour cette meuf. Juste pour le bonheur de la faire manger à la petite cuillère. Au cœur d’un hiver où rien ne pouvait me sortir du lit, je rangeais ma chambre, je changeais mes draps, je préparais à manger pour M. Quand elle rentrait chez elle, après un petit déjeuner copieux, je retournais au creux de mon lit. Je poussais la porte de ma chambre et me jetais sur mes draps, que je respirais avidement.
J’y restais des heures.

Première fois – Marine Peyrard

Insta : @marine.peyrard

J’ai 11 ans
je désire
pour la première fois

le désir traverse mes os
comme un arc électrique
brûle mon ventre
comme un feu
qui ressemble à l’espoir
et à l’envie de vivre

le désir pulse dans mes mains qui cherchent la peau chaude douce et rassurante de
l’autre
que je voudrais être moi
un instant

le désir fondait en moi
et me disait

Un jour, tu partiras d’ici
et de grandes choses t’attendent

Et
lentement
dans la moiteur
lancinante
de mon adolescence

mon désir change
d’une émotion diffuse et chaude
comme un soir d’été

c’est maintenant
un éclair
qui roussit sur son passage mon cœur mes mains

***

J’ai 15 ans
et je brûle
pour une fille

On m’a bien dit pourtant

C’est sale
c’est contagieux

C’est interdit

Les filles, c’est fait pour les garçons
Les garçons, c’est fait pour les filles

***

Je brûle
pour une fille

pour ses cheveux noisette
comme l’écorce

Pour sa peau pâle
transparente
comme l’écume

pour son rire
timide et sonore
comme un miaulement

***

Je voudrais graver nos noms
dans la paume de ma main

Je la photographie alors qu’elle ferme les yeux dans l’herbe

Elle habite loin
mais nous passons nos journées
collées l’une à l’autre
par nos mots
à s’envoyer des textos des mails, des lettres
à se retrouver chaque soir sur msn

on s’envoie des Je t’aime
toute la journée
Tous les Je t’aime dont on a besoin
que personne d’autre ne nous offre.

Elle est l’univers
qui brûle au creux de mon ventre qui me donne envie de vivre

Elle est mon mirage
et comme les mirages
j’ai peur qu’elle s’efface
qu’elle parte

car je brûle pour une fille
qui ne brûle pas pour moi en retour
qui brûle pour des garçons

***

Je brûle pour une fille

J’ai bien compris
que je n’ai pas le droit

Alors je me tais
je me cache
je me calfeutre dans un placard
bien en sécurité

Je fais mon deuil
seule
d’une vie avec un garçon
de la seule vie qu’on m’ait présentée
comme valant la peine
d’être vécue

***

Surprise !
J’ai 18 ans
et mon cœur fond…
pour un garçon.

Je n’en crois pas mes yeux
je n’en crois pas mon cœur
sûrement, c’est une erreur

pourtant je fonds
pour lui, pour sa poésie

je m’en approche
timidement

nos mains se croisent
nos regards s’entrechoquent
c’est le début d’une histoire
qui dure encore

***

Il me faudra du temps pour comprendre que pour moi ce n’est pas soit l’un soit l’autre c’est les deux et bien plus encore c’est le monde
tout simplement.

Témoignage 1ere fois Bi – Julia

Mon témoignage de ma première fois est celui d’une attraction, d’un désir. Je tiens à situer que je parle en tant que femme trans et que cette première fois est antérieure à ma transition ou même à un quelconque coming in de genre comme de sexualité.

J’ai grandi comme un petit garçon sensible (chochotte), mais bien que je me sois posée des questions sur mon rapport aux autres garçons, je ne doutais plus vraiment arrivée au lycée, pétrie de biphobie. Donc, étant attirée par les filles, je ne pouvais pas être autre chose qu’hétéro, et non pas gay… Je suis certaine que je connaissais l’existence de la bisexualité, mais les bisexuel·les étaient surtout des femmes, les hommes bisexuels n’existaient pas. Je me souviens que l’idée de la bisexualité était discutée parmi mes groupes d’ami·es, mais encore une fois, je n’entendais pas l’étendre jusqu’à moi.

C’était lors d’une pause repas dans le grand self de mon lycée. Une amie et moi mangions rapidement afin de ne pas nous mettre en retard aux cours de l’après-midi. Les files dudit self étaient organisées de telle manière que les élèves arrivaient d’un côté, tandis que les professeur·es ou les intervenant·es extérieur·es arrivaient par la sortie. Nous étions assises de manière à faire face à cette sortie. Et c’est un pompier (vue inhabituelle pour le moins) qui est monté par cet escalier pour rejoindre la file des autres professeur·es. Je me souviens que mon amie et moi l’avons suivi du regard (pour ne pas dire maté) d’un même geste, pendant les quelques secondes de son passage. L’instant d’après, nous rigolions, confuses. Pourquoi moi, de nous deux, avais-je regardé ce pompier, alors que j’étais hétérosexuel ? Nous nous sommes comprises en souriant et avons terminé notre repas sans réaborder l’événement.

Ce n’est que plus tard que j’ai noté cet événement comme une étape de mon coming in bisexuel. Mais je chéris encore ce souvenir… Comme un précieux moment d’émotion sans le filtre des pensées et des turbulences propres à l’adolescence. Aujourd’hui, je me dis « gouine » politiquement et culturellement, et je relationne davantage avec des lesbiennes ou d’autres gouines, indépendamment du genre… Mais je me sens profondément, intimement bisexuelle.

Caviardage – XM Tran

Insta : @queer.dartichaut

Premières fois – Victoria Phouthavy

Je me souviens de Laura*2.

J’ai 17 ans. Une des premières meufs ouvertement lesbiennes que je rencontre. L’ex d’une vague copine. On est cinq filles ce soir-là, il y a ma meilleure amie, on fait de la musique, on fume des pétards. On discute bien avec Laura, je la trouve lumineuse, intéressante. Mais « j’ai un mec, je suis hétéro, il ne va rien se passer », comme un refrain dans ma tête. Je me voile la face. Je fais comme si je ne sentais pas l’attirance réciproque qui se noue. Je fais comme si c’était un hasard qu’on se retrouve à dormir dans le même canapé. Comme si c’était un hasard qu’en pleine nuit, j’enlève mon t-shirt, prétextant la chaleur de l’été. « J’ai un mec, je suis hétéro, il ne va rien se passer ». J’ai 17 ans, je suis profondément enfoncée dans le déni de ma bisexualité. J’y resterai encore de nombreuses années. « J’ai un mec, il ne va rien se passer », je me le répétais. Pourtant, je voulais bel et bien dormir dans ce canapé, avec Laura. J’aurais voulu pouvoir être nue, contre elle. Mais elle devait sentir mon hésitation. Il ne s’est rien passé.

Je me souviens de Pauline*.

J’ai 21 ans, elle est un peu plus vieille que moi, c’est une amie de mon copain de l’époque. On se connaît bien, depuis plusieurs années maintenant. Elle et Vincent* forment un couple solide, exclusif et stable, le modèle auquel mon mec aspire. Moi, j’essaie de me persuader que c’est ce que je veux aussi. Malgré tout, j’ai beaucoup d’estime pour Pauline, je suis toujours attentive à ce qu’elle dit. Un soir, elle évoque la copine qu’elle avait au lycée. Je sens quelque chose s’émouvoir en moi. Je la presse de questions, je veux tout savoir. Mon regard sur elle change.

Je commence à faire des rêves érotiques, où je couche avec elle et Vincent. C’est surtout entre elle et moi que tout se joue dans mes rêves, Vincent est davantage en position de voyeur. Elle est clairement top, et moi bottom. Après ce genre de rêves, je me sens atrocement gênée. Je ne sais pas quoi faire de cette attirance embarrassante. Je ne sais pas bien ce qu’elle signifie non plus, et à l’époque je reporte sur Vincent l’attraction que je ressentais en réalité pour Pauline.

Je romps finalement avec mon mec, pour plein d’autres raisons, et jusqu’à ce jour je n’ai jamais revu Pauline et Vincent.

Je me souviens de Maria*.

J’ai 25 ans, c’est l’été, je vais bientôt partir un an à l’étranger. Je suis tout le temps dehors pour voir tous mes amis avant mon départ. Je rejoins un pote dans le bar où il travaille. L’alcool coule à flots, je suis très vite saoule. La nuit tombe doucement. Soudain, Maria est devant moi. Ce n’est pas un effet de style, j’ai l’impression qu’elle a véritablement surgi, d’un coup. Je me souviens de sa chemise, blanche avec des motifs abstraits. Je me souviens de ses yeux noisette et du reflet métallique de l’anneau qu’elle porte au nez – le même piercing que moi. Elle est jolie. Elle me sourit et me tend un verre. On échange quelques mots, puis très vite, elle me dit : « Je te trouve très belle, tu m’attires beaucoup. » Ces mots m’embrasent complètement. J’ai très envie d’elle, je lui propose de venir chez moi, en plus ma coloc n’est pas là, c’est parfait.

Sur le chemin, on se tient la main, on s’arrête tous les vingt mètres pour s’embrasser et se caresser. J’entrouvre sa chemise et je fais dépasser son sein gauche. Il m’apparaît sous la lumière argentée de la lune, rond, abondant, avec la magnifique corolle plus sombre du mamelon. Je prends son sein dans ma bouche, là, dans la nuit, au milieu du parc de la Villette. C’est la première fois que je suce un téton de meuf, que je lèche avec ravissement un sein de meuf, que j’entends une meuf gémir des caresses que ma langue lui prodigue. Dans ma tête, mélange de joie pure, de brouillard alcoolisé et de panique devant la nouveauté radicale de ce qui se passe ; surtout, un mot, une exultation : « Enfin ! » Enfin ça arrive, enfin je vais connaître l’amour physique avec une femme, enfin ce blocage qui me gangrène, ce vide inapaisable qui se creuse en moi depuis si longtemps va se résorber, se résoudre. Tout va faire sens.

Car ces dernières années, l’inadéquation que je sens depuis toujours est devenue obsédante. Je n’arrive plus à la mettre de côté. Je n’ose pas poser le mot « bisexualité » sur ce que je ressens : je ne me pense pas légitime à le faire car, quand je suis sobre, je me sens complètement hétéro. Mais force est de constater qu’en soirée, dès que je bois ou que je suis défoncée, je n’ai plus d’yeux que pour les meufs. Je les cherche passionnément : leurs bras, leurs bouches, leurs visages ; je leur dis qu’elles sont belles et que j’ai envie d’elles, et c’est vrai. Mais je ne passe jamais à l’acte. Pourtant, j’ai la chance d’avoir un entourage majoritairement queer et une famille incroyable qui soutient la communauté. Je devrais en profiter – mais j’ai peur. Et cette peur vient tuer tout désir avant qu’il soit assez fort pour se formuler complètement. Invariablement, au moment où je pourrais aller plus loin que quelques baisers, des doutes lancinants me reprennent et m’envahissent.

Et si je me faisais des idées ?
Si je n’étais pas vraiment attirée ?
Si je me forçais, en plus de la trahir et de la décevoir ?
Pourquoi je ne ressens pas ça quand je suis sobre ?

Alors je me sens brutalement tarie, saisie au collet et ramenée au seuil du connu par une main invisible. Je lâche l’affaire, je me défile, et je finis par pleurer toute seule sur le chemin du retour.

Mais là, c’est différent. Là, la peur n’a pas gagné, j’ai fait taire les voix dans ma tête ; ne reste que l’évidence de sa présence à mes côtés, et nous marchons épaule contre épaule et taille contre taille, et ce soir tous mes doutes seront enfin balayés.

On arrive chez moi, je pousse la porte, puis je me fige : ma coloc et trois autres amies sont dans le salon. Je comprends que c’est foutu. Même profondément bienveillante, la présence de ma coloc et ses amies suffit à me déstabiliser. J’avais un besoin vital d’intimité, ce soir-là. Ma force s’évapore, mon désir se paralyse et mes insécurités reprennent le dessus. Je perds toute aisance. Merde.

Bon. On se pose avec Maria, on s’ouvre une bière. Je suis mortifiée. Très vite, elle me suggère qu’on s’éclipse dans ma chambre, qui s’ouvre sur le salon. Je lui dis que je veux rester un peu avec mes amies, puisqu’elles sont là. Maria va se coucher dans mon lit, et je ne la rejoins que beaucoup plus tard, quand je suis sûre qu’elle dort.

Au matin, c’est le malaise absolu. Elle essaie de ranimer l’élan de la veille, mais je suis totalement fermée. A cette époque je suis en couple libre avec un mec qui habite loin, et à cet instant précis il me manque énormément, comme si je devais me raccrocher à une bouée hétérosexuelle. J’offre le café à Maria, je lui donne mon numéro, et je la mets doucement dehors. Elle m’écrira, mais je la ghosterai.

Dans ma tête, les jours suivant, c’est la honte, la culpabilité et leur cortège de pensées torturantes : je me raconte des histoires, je ne suis pas vraiment attirée par les meufs, la preuve je ne suis même pas capable de coucher avec elles quand j’en ai l’occasion, je suis juste une hétéro qui veut se rendre intéressante, je salis la communauté, j’instrumentalise ses luttes pour me construire une image « cool », je manipule les vraies lesbiennes que je rencontre, je leur fais perdre leur temps, je mens à tout le monde à commencer par moi-même…

J’incarne le cauchemar des lesbiennes, je suis une hétéro-curieuse. Je n’ai pas de mot assez dur pour dire combien je me méprise.

Je m’en ouvre à ma coloc, qui me voit piégée dans cette spirale depuis plusieurs années déjà. Elle me dit d’essayer pour de bon, que je verrai bien. Mais justement, je crois que la chose dont j’ai le plus peur avec les femmes, c’est de me forcer. C’est aussi pour cela que j’ai tant besoin d’être sûre que je suis bi, avant de me lancer pour de bon. Ma sexualité avec les hommes a été marquée par tant de violences, que je tiens à en préserver ce territoire encore inviolé qu’est pour moi le lesbianisme. Si j’ai un jour la chance de pouvoir tout recommencer, si je peux un jour faire l’amour avec une femme, je veux être sûre d’en avoir envie. Je veux écrire un chapitre de ma vie sexuelle dénué de tout traumatisme. Je décide que la première étape, c’est de ne plus courir après des meufs quand je suis ivre morte. Maintenant, j’essaierai de faire naître ce désir en moi alors que je suis sobre. L’étincelle est là, je le sais. Il faut que je la trouve, et que je la fasse grandir. Je commence à pressentir que la clé, c’est peut-être de commencer à être moins dure envers moi-même.

Je me souviens de Nora*.

Je suis à cette soirée. J’ai presque 27 ans et ça fait quelques mois que j’ai fait, en bonne et due forme, un coming out bi à mes ami-e-s (personne n’a été très surpris). Il ne s’est rien passé de concret qui justifierait ce coming out : je n’ai pas vécu d’histoire lesbienne, je n’ai même pas couché avec une femme. Par contre, j’ai arrêté de me torturer. Je suis bi, et je n’ai de compte à rendre à personne.

J’ai enfin compris que mes angoisses et mes doutes avaient une double origine : la peur d’embrasser pleinement une identité queer, et la biphobie intériorisée, doublée du conditionnement hétérosexuel auquel on nous soumet depuis toujours.

En sortant de l’hétérosexualité, j’avais d’abord peur qu’on ne me croie pas, qu’on fragilise ce qui me demandait déjà beaucoup de courage à affirmer. J’avais aussi peur de ne plus être vue de la même façon par les gens que j’aimais, de casser quelque chose, de trahir des attentes. Je savais qu’on m’aimerait toujours ; mais tout en ayant besoin de briser d’anciens carcans, je voulais aussi rester la même pour mes proches. J’avais peur de faire peur, et de ne pas avoir les épaules pour le supporter.

Mais si j’avais peur d’être trop lesbienne pour le monde, je craignais aussi de ne pas l’être assez pour la communauté. C’est surtout là que ma propre biphobie me torturait. Je me reprochais sans cesse mon attirance plus trouble, plus confuse pour les femmes que pour les hommes. Mais comment cette attirance pouvait-elle se développer sereinement dans un climat mental d’auto-scrutation aussi critique ? Pour ne pas décevoir, pour ne pas blesser les gens, je voulais attendre d’être sûre avant de pouvoir dire : « J’aime aussi les femmes, je suis bi. » Et cette pression intense que je m’infligeais était précisément ce qui m’empêchait de pouvoir le dire. Quant à mon attirance pour les hommes, si elle me semblait plus simple et plus immédiate, c’est tout simplement que j’y avais été conditionnée depuis l’enfance.

J’avais l’impression qu’être bi, au fond, c’était perdre sur les deux plans : perdre la sécurité de l’hétérosexualité, mais devoir sans cesse prouver sa légitimité dans la communauté queer. Je pense toujours que ce sont de vrais problèmes, qui sont loin d’être réglés ; mais pour mon cas, le temps, la confiance gagnée peu à peu en mes propres intuitions, l’amour toujours constant de mes ami·e·s, m’ont permis de sortir enfin de ce long tunnel.

Je suis à cette soirée. Je me suis fait larguer il y a quelques mois par mon dernier mec en date, mais à ce moment-là je m’en suis remise, et ça va plutôt très bien.

Et puis, Nora arrive. Je l’avais déjà vue deux fois – vraiment ? J’ai du mal à le croire. Comment est-ce que j’ai pu passer à côté de sa beauté, les deux premières fois ? Peut-être parce que ce soir, au lieu du chignon austère que je lui connaissais, elle a détaché ses magnifiques cheveux. Ou peut-être que c’est parce que son sourire illumine absolument toute la pièce – je sais pas. Mais je me lève, subjuguée, et je vais lui proposer une cigarette, qu’on fume toutes les deux à la fenêtre.

Elle me trouble, elle a exactement le genre de beauté et d’énergie qui me touche en plein cœur : très masculine malgré ses cheveux longs, nerveuse, une intelligence démentielle, un regard fuyant derrière ses grandes lunettes perchées sur un petit visage. Mais son rire est communicatif ; et je crois que je la fais un peu marrer. C’est l’attraction massive, immédiate. On danse toute la nuit, toutes les musiques qu’elle met sont forcément géniales. Elle finit par partir, vers 5 h du matin. Je lui envoie aussitôt un message pour lui proposer un date.

Je dors chez ma pote. Vers midi, quand j’ouvre un œil, c’est Nora qui a ma première pensée. Je m’ausculte : est-ce que, pour la première fois, un de mes crush lesbiens aura survécu à la nuit ? Oui – oui oui oui oui, je pense à elle, je veux la voir, je guette déjà mes messages, ah ! elle a répondu !

C’est comme ça que ma première relation lesbienne a débuté. Elle est terminée à présent, mais c’était une des relations les plus belles et des plus intenses de ma vie. Je me rends compte qu’il m’est beaucoup plus crucial d’expliquer tout le cheminement préalable, tout ce qu’il m’a fallu surmonter pour être capable de vivre cette histoire. Parce qu’une fois qu’elle a eu commencé, comme pour toutes les histoires d’amour tant qu’elles sont heureuses, l’évidence était telle qu’il n’y a finalement pas grand-chose à en dire – sinon que toutes les questions que je me posais auparavant m’ont instantanément parues caduques après notre première nuit.

Je m’attendais à être bouleversée par le sexe lesbien, ou à être décontenancée, ou à avoir une illumination, je ne sais pas – mais c’était en fait tellement, tellement naturel. Elle était très belle et incroyablement excitante, et, tout de suite, je savais exactement comment la caresser, comment la lécher – et elle aussi. Mais faire l’amour avec une femme ne différait finalement pas tant des derniers partenaires masculins que j’avais eus : beaucoup de sexe oral, des longues pauses, des caresses infinies, de la pénétration digitale. Je me suis peut-être découvert un tempérament un peu plus top avec Nora, mais cette dimension est présente en moi aussi quand je couche avec des hommes.

Je suis certaine que c’est ce coming out, plusieurs mois plus tôt, qui m’a permis de tomber amoureuse de Nora. C’est l’espace que je me suis enfin autorisée à donner à ma bisexualité ; c’est d’avoir pu la nommer, la faire exister sans compte à rendre, sans preuve, sans historique de dating, sans échelle d’attirance. En disant merde à la biphobie. Et c’est un des plus merveilleux cadeaux que je me sois jamais fait.

1ʳᵉ chatte – Lucille E.

Ma première chatte a changé mon rapport à moi-même. Depuis je sais que quelles que soient les parties génitales, elles peuvent toutes être aimées, adorées, excitantes dans certaines situations, neutres la plupart du temps. Qu’il n’y avait pas de mauvaises parties génitales, juste des parties génitales que je n’avais pas l’habitude de voir dans des contextes positifs.

Dans mes tiroirs – E.T

Je suis tellement un cliché de bi·e que ma première fois bipan c’était un plan à trois. Bon, j’avoue, je dis ça pour la punchline, c’était pas du tout ma première fois. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été bi·e. Évidemment, je n’avais pas conscience que j’étais bi·e, ni les mots pour l’exprimer. Je me souviens pourtant de toutes les personnes que j’ai aimées depuis Marion et Josua en maternelle, Coralie et Raphaël en primaire, Camille et Youssef au collège, Louise et Baptiste au lycée et le nombre de mots est trop limité pour que je vous fasse une liste exhaustive de mes amours. Mes crush, n’en parlons même pas ! J’avais 7 ans le jour où Alix, une fille plus âgée que j’admirais beaucoup, m’a donné un gâteau au gala de danse parce que j’avais tenu son costume : j’ai cru que mon cœur allait exploser dans ma poitrine. En 3éme, quand Simon a débarqué au concert de punk rock d’une salle des fêtes de village avec sa copine alors que j’étais convaincu·e que je lui plaisais aussi, j’ai fondu en larmes sur le chemin de la maison. J’ai eu mon premier orgasme sur la chanson New Way, New Life du groupe Asian Dub Foundation en me frottant contre mon premier copain mais je ne me souviens absolument pas de ma première pénétration avec lui. Par contre, je me souviens comme si c’était hier de la texture des lèvres de Maëlle et de nos caresses féroces dans les toilettes pendant la teuf que j’avais organisée pour mes 16 ans. 

Enfant, mon identité de genre rêvée c’était Ranma ½. Comme ce personnage de manga que j’adorais, je voulais passer d’un genre à l’autre. Dans son cas il suffisait de lui verser de l’eau froide dessus pour qu’iel devienne une fille et de l’eau chaude pour qu’iel redevienne garçon. La bouchère me disait « jeune homme », certaines personnes disaient que j’étais un « garçon manqué » mais souvent je me sentais plutôt garçon tout court. En même temps, je trouvais la plupart des garçons stupides, je ne comprenais par leurs centres d’intérêt, ni ceux des filles d’ailleurs, et je me sentais plutôt « bizarre ». J’ai grandi dans un village, j’avais des copaines, mais je passais aussi beaucoup de temps à lire dans mon coin, ou à me promener seul·e en forêt avec mon chien Batman, ce qui apparemment inquiétait mes parents qui ne savaient pas où j’étais. Le jour où il a fallu que je porte la jupe offerte par ma grand-mère au mariage de ma cousine j’étais revolté·e puis finalement j’ai aimé être une petite fille modèle et la voir virevolter autour de moi. J’ai été sifflé·e par un camionneur la première fois que j’ai mis le petit top jaune offert par ma mère à 12 ans et à 15 ans on m’a mollardé dessus en nous traitant mon meilleur ami et moi de pédés. Je me suis senti·e englouti·e par la honte dans ces moments-là alors que je savais pertinemment que ce n’était pas à moi d’avoir honte.

Mes premières expériences sexuelles je les ai vécu·e·s avec des personnes a priori cis mais aussi probablement avec des personnes qui comme moi ne savaient même pas ce que ça voulait dire cis à l’époque et encore moins qu’iels ne l’étaient pas. J’ai été la salope qui soi-disant recherche l’attention des mecs quand iel embrasse des filles, alors que je brûlais de désir pour elles et qu’elles finissaient malheureusement toujours par se mettre en couple avec des gars, ce qui me brisait le cœur. J’ai aussi été la salope qui finit par relationner avec un type beaucoup plus âgé qu’iel. L’année de mes 18 ans je suis tombé·e éperdument amoureux.se d’un garçon super androgyne qui portait mes jupes et on est resté ensemble dans une relation monogame pendant plus de dix ans. Je me sentais bien avec cette personne et avec lui je pouvais être moi, à savoir, un extraterrestre. C’est ce mot-là qui me semblait le plus adéquat pour parler de moi, moi qui me sentais souvent en décalage avec le monde et qui attendais que mes vrais parents viennent me chercher à ma majorité. J’attends toujours, peut-être qu’on compte les années différemment sur ma planète. 

Pendant plusieurs années, les questionnements autour de ma bisexualité et de mon identité de genre ont eu peu de place dans ma vie et puis au fur et à mesure de mon cheminement, militant notamment, et au travers de diverses rencontres, j’ai enfin pu trouver des mots, explorer ma queerness, militer aux côtés de personnes transpédébigouines et LGBTQIA+, et être enfin à l’aise dans mon identité de salope weirdo non-binaire pansexuel·le et polyamoureux·se. Pendant ces années-là, tout en étant en couple monogame, j’ai continué à tomber amoureux·se, mais ces relations sont longtemps restées platoniques. Il paraît que je suis un cœur d’artichaut. Avec le recul je me rends compte que quasiment toutes les personnes pour qui mon cœur battait très fort étaient elles aussi des extraterrestres à leur façon et souvent des personnes que j’aime bien appeler « des enfants bizarres ». 

Dans ma constellation d’enfants bizarres y a R. Notre première fois ensemble c’était un plan à trois avec C. R est aussi bie et toustes les deux nous sommes aussi des clichés de personnes bi parce que nous avons vécu des violences conjugales, y compris sexuelles, dont des viols, dans des relations différentes avec C.

Cette première fois c’est le point de départ de la création d’une intimité entre R et moi qui nous a sauvé·es, je crois. Je ne sais pas comment raconter mon histoire avec R sans évoquer C et en même temps sans lui donner trop de place. Comment raconter que d’une situation de violence inouïe est née une relation puissante, sublime, indéfectible. Essayer de le faire, c’est comme ouvrir tout un tas de petits tiroirs en bordel dans lesquels ta mémoire et des bouts de souvenirs sont rangés pêle-mêle. Certains tiroirs sont coincés mais quand on tire suffisamment dessus ils s’ouvrent brusquement et y a tout qui t’explose à la gueule. Quand je tombe sur l’un de ceux-là je suis obligé·e de me lever et d’aller marcher en rond dans ma cuisine ou de danser en écoutant une chanson, le temps de redescendre. D’autres, c’est ce tiroir Ikea que t’as pas vraiment bien installé comme il faut dès le départ donc il s’ouvre mais lentement et ça frotte, ça grince, mais t’arrives à y avoir accès ; tu peux fouiller à peu près tranquillement même si c’est pas forcément agréable parce que tu trouves jamais LE truc dont t’as besoin. Heureusement y en a quelques-uns qui sont bien huilés et tu peux aller y puiser ce que tu veux et aussi ce qui te fait du bien. 
C’était l’été. On avait décidé d’aller à une soirée techno ensemble, C, R et moi. Ça faisait des mois que C me disait que R me trouvait super sympa, sexy, qu’elle n’était pas contre les plans à trois… Ça faisait aussi des mois que C disait à R que je la trouvais super sympa, sexy, que j’étais pas contre les plans à trois… C mentait à R sur la nature de notre relation, de mon côté je n’arrivais pas à en parler à mon partenaire de l’époque et personne d’autre que C et moi n’était au courant de ce qui se passait vraiment entre nous, en dehors d’une amie à moi. Contrairement à C, R et moi on n’avait pas du tout l’habitude de prendre de la drogue, on avait fait ça quelques fois et à petites doses. C consommait plus que nous et depuis longtemps. 

On va à la soirée. On prend de la MD. On danse. Je ne me souviens pas de tout, si ce n’est que j’étais hyper heureux·se d’être à leurs côtés. J’étais heureux·se de danser, que nos corps se frôlent, je sentais leur attention portée sur moi, surtout celle de R. À un moment un relou a essayé de me choper et R l’a rembarré direct, en mode protectrice. Je suis gros·se et beaucoup plus massive qu’elle. J’ai trouvé ça ultra mignon. C nous laissait un peu faire nos bails, probablement en nous regardant du coin de l’œil, va savoir. Certains bouts sont flous. Il me semble qu’à un moment C m’a dit que R avait envie de m’embrasser et que j’étais excité·e. On a fini par s’embrasser R et moi et là le souvenir qui me reste en mémoire c’est juste celui d’une joie pure. Je n’ai aucune idée de quand ou comment on est rentré chez C. Je me souviens juste qu’on était dans le lit de C et que soudainement R s’est retrouvée là, nue, dos à moi. Quand je l’écris ça fait remonter en moi une émotion absolument indescriptible. J’ai ressenti ce que parfois j’ai ressenti face à une œuvre d’art qui me touche viscéralement. Elle était absolument parfaite à mes yeux, sa taille, sa peau, son cul, ses cheveux qui glissent dans son dos, ses bras. C’est imprimé sur mes rétines pour toujours. Je pense que je n’ai pas trop eu le temps de me poser de questions dans cet enchevêtrement de corps et honnêtement je ne me souviens pas du déroulé exact. Je crois qu’instinctivement C et moi on se concentrait plus sur R. J’ai juste des petits flashs, la douceur de la peau de R – cette douceur ! – ma bouche sur ses seins, ma langue sur son sexe, le goût de sa mouille, ses gémissements et ses orgasmes. C’était joyeux. C’était bon putain. J’avais l’impression que R avait une facilité à prendre du plaisir qui m’était inconnue et inaccessible, une légèreté, ce fameux lâcher-prise qui m’échappait la majeure partie du temps. J’ai fini par l’atteindre au moment où C et R m’ont pénétré·e en même temps. Je me sentais enveloppé·e, lové·e entre leurs corps, je me souviens de la sueur, des bruits, de leur excitation à me prendre comme ça, à me faire du bien, et en retour du plaisir que ça provoquait chez moi, de cette sensation de corps mélangés et qui ne font plus qu’un. Je suis parti·e loin. On a fini par s’endormir d’épuisement.

Le lendemain, C était au taf et on a passé la matinée au lit R et moi. Et là, on a recommencé. Sobres. Plus tranquillement. On s’est beaucoup embrassé·e·s, caressé·e·s, on a exploré nos corps, pris notre temps. Je n’ai pas ressenti de pression à la performance comme c’était le cas avec C. R m’a demandé·e au bout d’un moment si elle pouvait me pénétrer et j’ai accepté. Elle a enfilé son gode ceinture. La pénétration ça n’a jamais trop été mon truc mais là c’était bien, rigolo. Elle a joui. Ça m’a fait sourire cet orgasme un peu rapide. J’ai bien senti que tout ça c’était très intense pour elle aussi. Ensuite, on a continué à se baiser longtemps, intensément, et à jouir. On prenait du plaisir, ensemble, ce qui n’a pas toujours été le cas pour moi avec certains partenaires. Je ne me souviens pas combien de temps ça a duré, je me souviens juste d’un sentiment de volupté profonde et en même temps d’une sensation de légèreté. D’être perdu·e dans cet espace-temps de jouissance où tout le reste n’a pas d’importance. Je ne sais plus quand ni comment je suis rentré·e chez moi.

Et puis la vie a repris son court. Un an plus tard environ, R et moi nous sommes parvenu·e·s à quitter nos relations respectives avec C mais TMTC la vie de survivant·e de violences c’est chaud et ça paraît parfois sans fin. Ne me lance même pas sur mes errances médicales. Aujourd’hui on est ami·e·s R et moi. On est plus que ça en fait, mais y a pas de mots en français je crois pour décrire notre relation. Je sais que si j’ai pu m’extraire de cette situation de violence c’est aussi grâce à elle. Grâce à elle que j’ai pu continuer à vivre, avancer, réparer certains trucs et faire avec d’autres qui sont complètement pétés. Je crois qu’elle dirait la même chose. Aujourd’hui, on n’est plus uniquement lié·e·s par C. On a tissé des liens étroits, profonds, marqués bien sûr par nos traumas, et en même temps on a développé autre chose, c’est tendre, c’est drôle, c’est fort. Elle habite à 200 m de chez moi en plus. Quand elle m’invite à dîner, elle me cuisine des petits plats délicieux et elle me taxe toujours une clope ou deux, un peu gênée. Moi ça me dérange pas, je trouve que c’est un peu une de nos traditions. J’aime bien la complimenter, pas uniquement parce qu’elle est canon à mes yeux, mais parce qu’en plus elle est absolument brillante et fait des trucs de ouf dans son taf qui servent vraiment à quelque chose. J’adore son petit sourire malicieux et parfois j’aimerais juste qu’elle ralentisse un peu le rythme pour mieux se reposer. 

J’ai eu envie de raconter notre première fois après lui avoir rendu visite cet été. R était un peu triste ce jour-là. Elle ne se trouvait pas désirable et j’étais bien sûr scandalisé·e. Je lui ai rappelé à quel point c’était une déesse absolue, combien je la trouvais sublime, et qu’elle pouvait m’appeler quand elle voulait pour du cul. OK, je me suis enflammé·e… En vrai, on a convenu y a bien longtemps que ce n’était pas une bonne idée de coucher ensemble, mais je pense que ça nous fait du bien qu’on se dise parfois à quel point on se trouve magnifiques et sexy et ça me plaît qu’il reste un espace pour l’expression de notre désir sans qu’il ait besoin de se concrétiser par quoi que ce soit. Je lui ai dit surtout que malgré toute la merde qu’on s’était pris dans la gueule avec C, s’il y avait bien un souvenir qui ne serait absolument jamais terni, c’était celui de la sexualité qu’on a partagée ensemble, R et moi.

Ma première fois seul·e avec R c’était la matérialisation d’un de mes désirs bi qui n’avait pas eu de place dans ma vie depuis longtemps. C’était spontané, partagé, c’était d’une beauté que rien ne pourra jamais entacher. Après la relation abusive avec C, j’ai cru pendant longtemps que je ne pourrais plus jamais partager ce genre d’intimité-là avec qui que ce soit, mais ces souvenirs, comme d’autres, m’ont toujours tenu chaud au creux du ventre et quand j’ai pu partager à nouveau une sexualité avec un·e partenaire, prendre du plaisir, et jouir même, c’est aussi parce que heureusement sur mon chemin j’avais déjà vécu des moments comme celui-là. Quand j’ouvre mes tiroirs en bordel parfois je retombe sur le souvenir de cette matinée à deux, et c’est toujours aussi lumineux de repenser que dans cette période de ma vie, qui reste un long tunnel obscur, y a aussi eu ça, et que c’était ouf. Je vais lui envoyer ce texte avant de le partager, j’espère que ça va lui plaire. Je pense en tous cas que R sait à quel point je l’aime et qu’elle a été et est toujours précieuse pour moi. Ça me rend heureux·se qu’on fasse partie de nos vies respectives et qu’on ait construit cette relation-là.

Premier flirt – Pau

Je rencontre une personne queer ayant un passing lesbien, M, à un vernissage. Cette personne me plaît, et me manifeste son intérêt de manière assez claire. 

C’est un moment où je sors avec un mec, A, sans que ce ne soit hyper sérieux, on se voit depuis quelques semaines ; A n’a pas trop envie de s’engager, et je me sens tout à fait tranquille à l’idée de faire de nouvelles rencontres. 

Nous passons du temps chouette avec M, on se rapproche, mais j’ai peur de ne pas être autant intéressé·e qu’ielle. Ça me met d’autant plus la pression de savoir que j’ai un passé hétérosexuel, parce que je pressens que si je ne donnais pas suite, mon refus porterait un message antiféministe, un truc du genre « l’hétérosexualité va encore l’emporter ». 

Nos premiers rapports sexuels sont assez déstabilisants pour moi ; je capte que j’ai un fond de misogynie et d’homophobie intériorisée : par exemple, je ne suis pas immédiatement à l’aise avec le fait que M soit très expressive dans des rapports sexuels. Normalement c’est moi, éduquée comme femme qui libère le plus mes émotions de plaisirs pendant un rapport. Ça me procure une sensibilité « miroir » et me mets face à ma propre misogynie intériorisée, même si cela ne me plaît pas de ressentir les choses ainsi. 

Mais surtout pour d’autres raisons, cette première aventure ne me semble pas être une relation que j’aurais envie d’approfondir : M est beaucoup plus jeune que moi, je le ressens vraiment à certains moments, et nos discussions ont un aspect professionnel et mondain omniprésent…Je le lui exprime que je n’ai pas envie de continuer, et nous arrêtons de nous fréquenter pour un temps. Peu de temps après, nous nous recroisons dans une soirée queer, c’était plutôt les premières que je faisais, et ça me coûtait. M me montre bien qu’il n’y pas de place pour moi, ne m’adresse pas la parole et me ghoste autant que possible, en riant très fort avec ses potes tout en me regardant de temps en temps. Avec du recul, je trouve que c’était déplacé de sa part, digne d’une tragi-comédie d’égo blessé. Et peu bienveillant envers une personne qui avait clairement l’air de débarquer seul·e à cette soirée, et qui essuyait déjà tant bien que mal des commentaires d’autres potes lesbiennes : « Ah salut, mais qu’est-ce que tu fais là ? » 

Cela a marqué le début d’une longue série d’humiliations ou d’agressions, frontales ou silencieuses dans le milieu queer, qui m’ont fait perdre beaucoup confiance en moi, et beaucoup d’énergie. Je pense que ces exclusions m’ont aussi empêché·e de faire confiance à mon désir, m’ont fait rater des rencontres chouettes, tant le sentiment fantasmé d’une "traîtrise de l’hétérosexuelle touriste" était devenu ma hantise personnelle. 

Quelques années plus tard je me rends compte avec un soupçon d’amertume, que même si je peux relationner avec des femmes/queer aujourd’hui, je dois m’outer en tant que bi-pan le plus tôt possible dans la rencontre et faire de la pédagogie dans la foulée sur la biphobie. Je le pose comme un contrat tacite dans la drague, un pacte de non-agression en somme. Si tu me kiffes, tu dois me kiffer avec ma bi-pansexualité, même pour une nuit. Car même pour une nuit ça pourrait me retomber dessus plus tard. (Gossip crew de l’enfer, on te voit, arrête de cracher sur la police et de fliquer ton propre milieu en permanence.)

Le meilleur jour de ma vie de bi-pan sera sans doute un jour où je me sentirai complètement libre de ne pas montrer mon passeport sexuel (qui on le sait doit être si possible vierge de toute oblitération hétérosexuelle, ou au minimum avoir la trace d’un repentir hétérosexuel public et définitif) lorsqu’une personne en face de moi est attirante.

Illustration – Éliot Astrée
Insta : @eliot.astree

Lettre à N. – André·e

3 juillet 2023

Je pense que je me souviendrai toujours de cette date, du sourire qui a suivi pendant plusieurs jours.

J’ai toujours su que j’étais bi. J’étais déjà entouré·e de personnes queers dès le collège. Et pourtant, jusqu’à mes 30 ans j’ai juste enchaîné les relations avec des mecs. Plus le temps passait plus j’avais peur. Peur de ne pas savoir faire, de ne pas être à la hauteur, peur d’être une fraude.

Un soir, je sors du travail, retrouver des ami·e·s, boire une bière. Je me souviens que je puais la friture. Je t’ai trouvée impressionnante. Malgré des emplois du temps chargés et plusieurs voyages, on a réussi à se revoir. D’abord le premier baiser. On a parlé au moins une heure de la difficulté qu’on avait à avoir des relations queer, en se faisant très subtilement comprendre qu’on parlait de nous. Et je n’ai plus lâché ta main de toute la soirée. Puis le jour où tu es venue dormir chez moi, tout était beau. Les couleurs et la lumière étaient spéciales. Tu étais magnifique. On a beaucoup ri de notre timidité. Tu m’as fait jouir deux fois et je ne voulais pas que ça s’arrête. Je te revois, nue, tes tatouages, ta peau ; je veux dessiner des sentiers sur ton corps, découvrir le moindre recoin. Je veux tout immortaliser, goûter ta sueur. Je veux continuer à embrasser ta nuque, sentir la courbe de tes seins, je veux laisser errer mes mains encore et encore. Je suis perdu·e dans mes souvenirs autant que j’ai hâte de te revoir et de recommencer.

Sortir de l’hétérosexualité… par l’hétérosexualité – Préca

Je suis un mec pan et j’ai toujours été attiré par tout le monde, je suis toujours tombé amoureux de filles et de garçons aussi loin que je me souvienne. Je sais aussi que, malgré mon asexualité j’ai toujours surtout eu des fantasmes sexuels envers les garçons, puis les hommes. Ces fantasmes ne se traduisent presque jamais par de véritables envies, mais ils existent, et ont suffisamment existé pour me persuader que mes attirances plurielles n’étaient pas si réelles.

Comme toutes les personnes non-hétéro, ça a été un problème durant mon adolescence, j’ai essayé de me cacher au mieux, de passer outre, j’ai eu honte d’avoir des attirances homo. Non seulement j’avais l’impression que celles hétéro étaient fausses, mais en plus elles n’avaient pas d’importance parce que je savais qu’elles n’étaient pas un problème. Savoir que j’avais la possibilité de sortir avec des filles, que je pouvais avoir une vie d’hétéro n’a rien changé, je ne me sentais pas à moitié normal, j’étais entièrement un monstre.

J’ai essayé d’être en couple plusieurs fois avec des filles dont je tombais amoureux, ça n’a jamais trop marché, j’ai essayé de ne plus tomber amoureux des garçons, ça n’a jamais trop marché non plus. Il n’y avait pas de solution, parce que quoique je fasse je ne serai jamais hétéro. J’ai fini par accepter le fait que je n’étais pas fait pour être avec qui que ce soit, et être en couple a fini par ne plus être vraiment un objectif quand je terminais le lycée.
J’ai ensuite changé de ville et de vie pour mes études supérieures, j’en ai profité pour être directement out en tant que bi/pan (je ne sais plus ce que je disais à l’époque), c’était plus simple pour moi. Très rapidement je suis tombé amoureux d’une fille de ma classe, comme d’habitude je me suis juste dit que ça passerait, que de toute façon elle ne m’aimait probablement pas.

Ça a pris du temps, 4 mois à se découvrir, à s’aimer un peu plus, à essayer de s’envoyer des signaux, à avoir respectivement peur que ce soit un amour à sens unique. C’était en janvier, vers le milieu du mois, le jour du dernier examen, j’imagine que je m’étais donné une deadline pour prendre mon courage à deux mains. Je l’ai raccompagnée chez elle, comme souvent, je lui ai fait un câlin pour lui dire au revoir, comme toujours. Puis je l’ai embrassée sur la bouche, elle m’a embrassé en retour, et je me suis sauvé. Un premier baiser adolescent à 19 ans, je n’avais jamais ressenti de telles sensations, les frissons, le bonheur, le cœur qui bat vite, la joie, le soulagement, l’amour.

On n’est pas resté ensemble longtemps, je n’avais pas encore mis de mot sur mon asexualité et ça a rendu tout trop compliqué dans notre relation. Malgré ça, être avec une fille qui me plaisait, que j’aimais et qui m’aimait, me sentir proche d’elle, pouvoir passer du temps juste à deux, ça a été une véritable pommade pour mon cœur pan qui n’était plus sûr de rien. Parce qu’elle savait que j’étais bi/pan, depuis le début, parce que ça n’a jamais été un problème, parce que j’ai pu continuer à aimer qui je voulais sans trop me poser de questions.

Savoir que je pouvais aimer, tout le monde, réellement, que je ne me mentais pas à moi-même, me dire que je n’étais pas gay, ça a été une véritable révélation pour moi, j’ai eu l’impression de revivre. C’est avoir une relation hétéro qui m’a permis de comprendre que je n’étais pas gay, que j’avais le droit de ne pas être hétéro, que je pouvais aimer qui je voulais. C’est aimer une femme qui m’a aidé à accepter que je pouvais aussi aimer les hommes, et je le réalise 10 ans plus tard.

C’était mon premier amour, mon premier baiser, il était hétéro et il a été un véritable soulagement dans la construction de mon identité. Pas parce qu’il m’a confirmé que j’étais hétéro, mais parce qu’il n’a fait que renforcer ma conviction que je ne l’étais pas, et que je n’étais pas gay non plus. Dans une société monosexiste qui considère impossible d’aimer plus d’un genre ; être pluri, bi, pan, c’est remettre constamment en question ses sentiments passés et présents. Et quand cette société est aussi hétérosexiste, c’est tous ses fantasmes, désirs, envies, sentiments que l’on met de côté, parce que sa propre existence devient impossible, inconciliable, pathologique.

On a l’image des plurisexuel·les qui se découvrent toujours par la relation homo, mais je voulais raconter cette première fois pour montrer que ce n’est pas que ça, que nos relations hétéro font aussi partie de nos parcours, de nos identités, de nos expériences et de nos premières fois. Souvent ces relations elles sont fondatrices, elles nous aident à avancer, à comprendre qui on est, et paradoxalement elles peuvent nous faire sortir de l’hétérosexualité.

Ça fait partie de nos vies, ça nous a construit comme le reste, et on ne devrait jamais nous faire croire que ces relations sont honteuses ou insignifiantes. C’est parce qu’elles existent potentiellement, parce qu’elles existent actuellement ou parce qu’elles ont existé qu’on se dit bi ou pan. Les relations hétéro nous aident à nous accepter comme non-hétéro, autant que les relations homo, parce qu’elles nous permettent de préciser nos attirances, de valider nos sentiments.
Ça m’a pris du temps de comprendre qu’être amoureux de filles et de femmes m’a aidé à me sentir à ma place dans la communauté LGBT+, que ce ne sont pas mes attirances homo qui ont été les plus compliquées à accepter dans ma tête. Parce que ces attirances homo, elles étaient certes un problème, mais elles étaient très claires, concrètes. Ce que je ne comprenais pas c’était tout le reste, il m’a fallu du temps pour pouvoir me dire « normal », pour accepter que j’étais pan, il en a fallu des premières fois.

Le révélateur – aloi

C’était une surprise en même temps qu’une évidence. La phrase est sortie de ma bouche quasiment à mon insu, mais les mots m’ont parus comme assemblés depuis toujours. C’est à ça que ça ressemble, un coming in ? Un truc qui t’ébranle, tout en consolidant tes fondations ? Pour moi, ça a ressemblé à cette phrase, prononcée à voix haute devant un homme que j’aime et avec qui j’ai une relation depuis plus de 18 ans. « Je crois que je ne relationnerai pas que avec des mecs cis. » La formule était prudente. Le contexte : on venait de décider d’être polyamoureux·ses. Et c’est le premier truc qui m’est venu. Annoncé à lui et à moi-même simultanément. « Ça m’étonne tellement pas », il a répondu en souriant. Alors pourquoi ça m’a étonnée, moi ? Depuis, je me suis repassé le fil de l’histoire mille fois. Je scrute mes souvenirs à la loupe, espérant y retrouver une activité de « garçon manqué », une amitié féminine ambiguë… tous ces trucs qui te font dire « Mais évidemment ! », a posteriori. À la place, ce qui me vient, c’est cette période de ma vie, quand tous·tes mes ami·e·s avaient déjà eu au moins une histoire. Moi, rien, et surtout pas le moindre début de désir pour un garçon. Et cette pensée entêtante, que j’osais pas formuler à voix haute de peur qu’elle ne s’auto-réalise. « J’espère que je suis pas attirée par les filles. » Alors j’ai entraîné mon imaginaire. Je pensais juste « vérifier » quelle était mon orientation, mais au fond, je crois que je façonnais moi-même le moule de l’hétérosexualité dans lequel me couler. Untel, attirant. Machine ? Certainement pas. Les seins, beurk. Un torse plat, bien mieux. Et puis enfin vient l’amoureux, et avec lui la douce certitude que cette fois c’est bon, c’est sûr, je suis bien hétéro. Mais mon imaginaire, comme je l’avais construit il y a des années, je l’ai de nouveau entraîné. Sans vraiment me l’avouer, au fil du temps. Comme un muscle qu’on échauffe doucement. J’ai joué toute seule à « On dirait que j’étais pas hétéro ». Et quand d’un coup, la possibilité de relationner avec de nouvelles personnes s’est offerte à moi, j’étais comme prête à être cueillie. Ma sortie de l’hétérosexualité avait mûri doucement. Elle a tellement pris son temps qu’elle s’est imprimée dans mon inconscient. Comme la forme floue et fantomatique d’une silhouette en mouvement, sur une photo à très long temps de pose. Qui apparaît à la surface du papier quand on le plonge dans son bain de révélateur. Là, assise à une terrasse de café, elle me saute aux yeux. Et cette fois, pas d’inquiétude, pas d’espoir douteux. Le léger regret d’avoir attendu si longtemps. Mais surtout, une très grande joie.

La première fois – Athenais

Tout était simple au début. Comme dans un bon teen movie : le premier baiser devant le lycée, les premiers regards complices devant les copains, les draps relevés brusquement à l’arrivée des parents indiscrets, le cœur brisé lors de la rupture… Tout était simple au début, scripté même. Mais c’était avant, avant que je ne me demande si ce ne pourrait pas être elle au lieu d’il. Si je pourrais l’embrasser de la même façon devant le lycée, échanger les mêmes regards complices devant les potes et bon, j’avoue que cette fois j’aurais préféré skip le passage des parents et le cœur brisé. Bref, je me suis demandé si tout serait aussi simple pour cette seconde première fois. Les années ont passé et je n’ai plus eu à me poser la question en ces termes. Le lycée s’est terminé, mes études aussi et la vie s’est enchaînée. Sans seconde première fois claire, sans script suivi à la lettre, sans récit prêt pour vos beaux yeux. Autant mes premières fois avec un homme cis je les situe, autant celles avec une personne queer sont bien plus difficiles à définir et à raconter. Est-ce qu’un baiser échangé sur une piste de danse compte si je ne l’ai jamais revue ? Est-ce que cette séance de martinet pour une démo, c’est une première ou une demi-première ? Et si on a continué après ? Si jouer avec des inconnu·e·s sans me soucier de leur genre est devenu une habitude, qui est ma première ? Est-ce qu’on compte seulement après le premier date officiel ? Ou à la première nuit complète ? À partir de quand ça compte ? C’est quoi la première fois validée dans le milieu queer ?

J’ai fait toutes mes premières avec une multitude de personnes différentes, elles me reviennent comme des flashs, comme un processus de découverte où j’ai avancé pierre par pierre. Elles comptent toutes mais n’ont aucun sens seules. Alors, est-ce que j’ai eu ma première fois ou est-ce que je dois attendre l’histoire qui coche toutes les cases pour vous raconter ?

L’histoire de ma seconde première fois s’est délitée avec mon hétérosexualité, la clarté du récit aussi. Avec un peu de chance, ça veut dire que je peux avoir encore plein de premières fois. Qu’on m’attende sur un quai de gare, qu’on s’offre des fleurs le même jour et qu’on s’embrouille pour savoir où ranger le sèche-cheveux. Après tout, ma première fois pourrait se résumer en un continuum qui n’a pas encore trouvé sa fin.

Devant ma télé cathodique – Elodie Mulin

Je me revois
Devant la télévision cathodique de mon enfance
À visionner pour la première fois
Le clip qui m’a mise en transe
I’m A Slave 4 U
Rien qu’à l’écouter
J’imaginais déjà les murs suer
Par les corps humidifiés
Le souffle chaud et la voix aérée
Britney
Mais le voir vraiment
Assise en tailleur religieusement
M’a fait tout plein de picotements
Au même endroit que quand Q courait vite dans la cour de
[l’école primaire
Bon Dieu c’est quoi cette affaire
Et j’ai le souvenir aussi 
Du boa de la performance des VMAs
2001 l’odyssée de la baise
Ça se mélange dans mon esprit
« Vous savez que le serpent est un symbole du pénis »
M’a dit ma psy
Mais je crois que je ne regardais pas tant la bête couleur pisse
Mais plutôt les boobs glorieux comprimés dans le top
De ma star de la pop

Je ne savais pas à ce moment-là
Qu’il faudrait toujours selon eux que je choisisse
Qu’on ne voudrait pas que je jouisse
En imaginant autant Camille que Sacha
J’aurai le temps d’apprendre cette dure loi
Les réflexions panphobiques
Ne m’atteignent encore pas 
En attendant
Je me décomposais tranquillement

Devant ma télé cathodique

Première fois PD – Éliot Astrée

Insta : @eliot.astree

Toutes ces premières fois – Aimma

La première fois que j’ai entendu parler d’homosexualité, alors que j’étais enfant, c’était quand mes parents regardaient Une famille formidable. Le fils avouait à sa mère, à son meilleur ami. Il y avait des larmes, une gifle, des larmes, des disputes, des larmes encore. Et moi, qui n’étais pas bien vieille, je ne comprenais pas. J’ai cru qu’il était malade, qu’il allait mourir. Ma mère m’a alors expliqué qu’il aimait les garçons alors qu’il en était un. Ça ne la gênait pas du tout, et ça ne me gênait pas du tout, moi ; mais dans l’histoire, ça avait l’air tragique.

La première fois que j’ai trouvé une fille vraiment jolie, j’étais collégienne. J’avais zieuté une amie que je trouvais vraiment jolie dans son maillot de bain, alors qu’elle se rinçait après notre séance de piscine. Et je ne m’étais pas posé plus de questions que ça. J’avais la chance de grandir dans une famille avec un frère autiste, dans un entourage assez relax vis-à-vis de la différence en général et entre autres de l’homosexualité.

La première fois que je suis vraiment tombée amoureuse d’une fille, c’était au lycée. C’était ma meilleure amie, une originale au caractère aussi enfantin que moi, aux cheveux incroyablement longs et aux mains de pianiste. Tantôt on construisait un ranch Playmobil pour faire une allégorie du capitalisme, tantôt on regardait Brokeback Mountain et Philadelphia en pleurant toutes les larmes de notre corps.

Avec notre bande d’amis, on était « militants », quoi que ça veuille dire à 15 ou 16 ans. On séchait les cours pour aller en manif accrocher du PQ au sommet des grilles de la préfecture, et celles qui étaient à l’internat avaient pris l’habitude de s’embrasser indifféremment pour faire bisquer une élève homophobe – qui a fini par changer de lycée. Les rares mecs qui ont traîné avec nous durant ces années lycée ont, a minima, eu des couettes et du vernis à ongles, et le plus souvent, été travestis au moins une fois.
À côté de ça, on était de douces dingues, globalement inoffensives à se rouler dans les buissons et se déguiser sous le moindre prétexte, à faire des projets d’art plastique encombrant les couloirs et à se cuiter au Schweppes agrumes chaque vendredi après-midi. Chaque mercredi soir finissait en pyjama party chez l’une d’entre nous, à lire des fanfictions ou regarder des animes en couinant à chaque geste équivoque. Le yaoi était une activité sociale, un peu parodique… mais pas seulement.

À chaque nouveau manga dont nous étions fans, nous faisions une distribution des personnages. Et, parce que deux de ces personnages étaient notre pairing officiel, moi et ma meilleure amie nous étions mis à l’incarner, en faisant du roleplay sur MSN par noms interposés… ou en vrai.

Des contacts, à la fois distants et érotiques, sexuels et décalés, qui ont mis en lumière l’ambiguïté de notre relation. Des disputes aussi, de plus en plus fréquentes et explosives, comme peuvent l’être deux adolescentes trop proches pour leur propre bien.
Et un jour, la bombe a été jetée lors d’un mail incendiaire.

C’est pas clair ce que tu ressens. Enfin, si, c’est clair.

Notre relation pue. C’est pas de l’amitié que tu ressens.

Dans ce mail, elle m’annonçait rageusement que j’étais amoureuse d’elle.
Et c’était vrai.

Au milieu de mes larmes et de mon chaos d’adolescente, je me suis juste dit :
Oh.

Tiens. C’est vrai.
Je faisais la constatation factuelle que j’étais bisexuelle.
Que je l’avais toujours été.
Je n’y avais jamais vraiment réfléchi, évidence dans l’angle mort de ma conscience.
Je n’y ai pas plus réfléchi après. C’était comme ça.

Ce n’est jamais allé plus loin. Il y a eu d’autres disputes, on ne s’est pas parlé pendant 9 mois tout en cohabitant toujours dans le même groupe d’amis, puis on a renoué, petit à petit.

Au début, j’avais peur de retomber amoureuse d’elle.

Puis je me suis rendu compte que notre relation avait changé, que la violence dont elle avait fait preuve – en partie par peur de l’inconnu – m’avait vaccinée (signe que j’avais un peu d’instinct de survie).

J’ai continué ma vie tranquillement, à trouver mes amies jolies, à avoir des crush plus ou moins prononcés pour la majorité d’entre elles.
À vivre ma bisexualité comme un non-événement.

Ado, je me souviens d’avoir dit à ma mère : J’aime les filles et les garçons, mais si je me mets avec une fille, j’essaierai d’adopter, ne t’inquiète pas, tu auras des petits-enfants.
Je ne sais pas pourquoi, j’avais envie de la rassurer sur ce point. Peut-être parce que je savais que mon homosexualité ne lui poserait aucun problème en soit, et parce que mes grands frères, pour diverses raisons, semblaient mal barrés pour élargir la famille.
Pour le reste, je ne me sentais pas pressée d’avoir des enfants, je n’étais même pas si convaincue de vouloir être en couple.

Ma bisexualité ne me semblait pas très importante, ni très intéressante, alors j’ai continué ma vie à écrire du boy’s love, à lire sur le féminisme, sur la culture LGBT, puis à découvrir d’autres choses, comme, les problématiques de la transidentité, de l’intersexuation. À voir comment tout était lié, et à me révolter contre la cruauté d’une société qui ne laissait pas la place à la différence.

Au fil du temps, j’ai eu quelques histoires, qui ne duraient jamais bien longtemps. Je suis sortie avec quelques garçons, eu un crush monstrueux pour une fille (qui s’est soldé par un râteau tout à fait humiliant) et eu ma première fois avec un friend with benefits. Entre deux chagrins d’amour, je me passionnais pour mes études et profitais de ma superbe bande d’amies. À force d’histoires à sens unique, je me suis dit que j’étais sans doute destinée à rester célibataire… et que ce n’était pas si grave.

Puis il y a eu Lui. Mon camarade de rock, qui nous avait payé des softs à 1 euro quand j’étais venu avec une amie et qui s’était étouffé dans sa propre canette quand j’ai annoncé que j’étais en DMA costumier-réalisateur. Sa réponse : ça existe, ça ?!

Nous étions très exotiques l’un pour l’autre, lui travaillant comme chef de projet en informatique, moi étudiante et artiste jusqu’à la moelle. Nous sommes devenus amis en échangeant nos pires râteaux sur le canapé défoncé du foyer de Télécom Paris, puis, après presque une année scolaire, nous avons commencé à sortir ensemble.

Ça a été, pour lui comme pour moi, notre première et seule relation sérieuse. C’est avec lui que j’ai déménagé. Avec lui que je me suis mariée. Avec lui que j’ai acheté notre propre appartement. Bref, j’ai fait ma vie, et je ne m’imagine pas en changer aujourd’hui.

Puis le Covid est arrivé, et avec lui, le festival en ligne de la Queerantaine, auquel j’ai postulé pour montrer mes travaux artistiques sans me sentir légitime le moins du monde. Ils m’ont acceptée, et ça a été un beau moment de rencontres par écrans interposés, qui m’a donné l’occasion de discuter IRL avec un auteur trans quelques jours plus tard pour récupérer les achats que je lui avais faits. Une personne bienveillante, drôle, sensible à qui je n’ai pas eu envie de dire « au revoir ». Je m’étais rarement sentie autant à ma place, écoutée, complice.

Cet événement m’a gonflé le cœur d’amour, et de quelque chose qui m’a fait défaut, si longtemps :

Le sentiment d’appartenance.

Pour la première fois, à plus de 30 ans, je me rendais compte que je faisais partie de la communauté LGBT.

Alors que je savais que j’étais bisexuelle depuis le début de mon adolescence, que je ne l’ai jamais nié ni caché et que je connaissais la signification du B de LGBT+, pendant des années, je m’étais toujours définie comme « alliée ». Je ne me sentais pas appartenir au groupe LGBT+. Je me disais que je voulais aider, mais que je n’étais pas concernée.
Parce que je n’ai jamais réussi à « choper une fille » et parce que toutes mes relations se sont faites avec des hommes, je ne me sentais pas légitime à me définir comme queer. Protégée par un vernis de normalité, sans jamais me sentir normale. Fraude chez les hétérosexuels, non-lieu chez les gays.

Inexistante.

Et j’avais beau me dire que ça ne me dérangeait pas, que j’aime mon mari et ma petite fille, il y a une partie de moi qui est restée endormie, qui n’a jamais vécu rien d’autre que des baisers parodiques, des câlins amicaux et des mains entrelacées.

Je n’ai pas envie de détruire la vie que j’ai construite jusqu’à aujourd’hui, alors ça ne changera pas de sitôt.

Peut-être que ça arrivera un jour, quand je serai vieille, si ma relation avec mon mari de 10 ans plus âgé se termine et me laisse seule. Je n’ai pas envie de penser à cette perspective… mais il y a quelque chose de réconfortant à me dire que peut-être qu’à ce moment-là, l’adolescente lesbienne que j’étais pourra réapparaître. Que, peut-être, je pourrai vivre ma première fois avec une femme. Peut-être que je serai là, comme une gamine, avec mes rides, mes mains tremblantes d’arthrite et d’émotion.

Peut-être que je l’aurai un jour, cette première fois-là.
Peut-être pas.
En attendant, je vis ma vie.
Comme un non-événement.

Trans-faire amoureux – Sarah Dufeutrelle

Ce soir-là, ce premier soir-là, il n’y avait rien à jouer a priori. Camille arriva en retard à l’anniversaire de Jo, fatiguée d’une semaine étirée. Les invité·e·s semblaient déjà heureux, iels chantaient, iels se frottaient les uns aux autres, l’agitation et l’alcool se mêlant dans tous les corps. Les rires rebondissaient sur les murs du bar privatisé pour l’occasion. Elle n’avait pas la foi d’y être mais c’était difficile de renoncer également. Jo était un ami d’enfance, retrouvé récemment et pour qui Camille voulait compter de nouveau.
Pourtant, elle était mal à l’aise, elle avait laissé Niels et leur enfant à la maison pour prendre du plaisir sans eux, c’était une culpabilité teintée d’anxiété qui l’occupait bien qu’ils vivent une relation non exclusive depuis plusieurs années. C’était différent ce soir-là. Que venait-elle chercher réellement ? Un rapide tour d’horizon lui apprit que Jo évoluait dans un milieu queer doux et coloré. Camille comprit plus tard que cette nuit, elle ne s’était pas sentie en décalage par rapport à l’ébriété générale des personnes présentes, arrivées avant elle. Elle avait respiré un sentiment puissant et ineffable, le parfum du désir d’en être. Elle souhaitait appartenir à cette communauté aux contours identitaires distincts qu’elle comprenait pourtant malgré sa naïveté. C’était d’ailleurs presque douloureux de réaliser quelques jours plus tard qu’elle avait peut-être été considérée comme la seule femme hétérosexuelle de l’assemblée.

Loin d’être empêchée dans ses intentions et désirs de nouvelles rencontres, Camille ce soir-là percevait des codes, des signes, des indices qu’elle ne savait pas encore interpréter. La concernant, elle se surprit à ne rien vouloir expliciter. Expliciter quoi ? Fallait-il afficher son orientation sexuelle au moment même où tout dans son identité la désorientait ? Pourquoi ? Pour ne pas commettre d’impair hétérocentrique ? Comment devait-elle se présenter sans trahir son désir de désidentification ? Elle préféra ne rien préciser. C’était plus fort qu’une question éthique, c’était dans son habitus : depuis l’enfance Camille voulait se fondre, se profiler, s’imprégner et rendre les frontières poreuses pour ne pas s’épuiser à choisir et s’auto-fragmenter. Alors elle usait de tout son vécu pour accommoder son monde interne avec le moment présent. Elle ne voulait pas être une étrangère. Camille portait en elle le sésame des transfuges.

C’est en commandant un verre qu’elle l’aperçut. Arrivé en retard, lui aussi, il se fraya un chemin dans l’allée étroite des corps dansants. Camille espéra immédiatement qu’il faisait partie des invité·e·s. et que le manque de place les rapprocherait. Elle l’invita d’un sourire et lui proposa rapidement un morceau de banquette. La communauté l’accueillit comme on retrouve un·e initié·e. Il en était, lui. Camille l’observa trouver sa place avec aisance, charme et délicatesse. Distribution de « bonjour, ça va ». Des nouvelles échangées sur les dernières manifs, les prochaines dates festives et la convergence des luttes. Elle était fascinée, tétanisée aussi, se sentant idiote de voyager dans un pays dont elle ignorait les influences culturelles. Pourtant il se présenta, répondit avec amabilité à ses questions. Était-ce de la politesse ? Comme l’on fait avec les touristes égarés en quête de folklore ? Tom était admirable de patience avec elle. Il se prêta au jeu d’une discussion sur fond de blind test raté. Il s’enquit dans les grandes lignes des occupations de Camille tandis qu’elle bricolait péniblement avec la mauvaise irrigation de son cerveau causée par cette envie naissante. Il fallait traiter dans l’urgence son désir de rester en contact par les mots et simultanément faire avec la demi-apoplexie provoquée par ce que Tom irradiait.
Il était beau. C’était terrassant. Sa beauté s’exprimait partout, c’était d’abord son regard évidemment mais Camille fut surprise de rester subjuguée par tout ce qui émanait de sa personne. Être assise à côté de lui se révéla une épreuve extatique : elle ne pouvait plus décoller sa cuisse de la sienne, elle maintenait un contact discret et continu. L’écouter parler sans laisser son corps disjoncter fut un plaisir paradoxal incroyable. Sans doute, elle ne le savait pas encore, cette singulière intensité allait s’imprimer entre eux deux pour les relier.

Trois heures plus tard, sans savoir qu’elle était passée à l’offensive, Camille demanda à Tom son numéro. Avant de lui glisser les précieux chiffres, il ajouta : « Je me genre au masculin au fait ». Camille ne comprit pas tout de suite l’enjeu de la précision. Elle répéta la phrase plusieurs fois dans sa tête. Tom se genrait au masculin. Est-ce que Camille savait ? Oui. Non. Sans doute. Elle savait surtout qu’elle ressentait quelque chose qui dépassait, dézinguait, annulait la binarité. Tom lui plaisait, elle le voulait heureux, elle le voulait tout simplement de tout son être, son corps voulait revoir Tom.

Camille se fantasmait pansexuelle depuis toujours. Son expérience passée avec les hommes cis dans des relations hétérosexuelles étaient induites par un étau socio-culturel qu’elle ne supportait plus. Depuis l’adolescence, elle était fascinée par toutes les formes de corps et pouvait jouir de se penser contre la peau d’une ou d’un autre, sans précision ni posture prédéfinie. Tom lui offrit enfin la possibilité de comprendre cette attirance plurielle, au-delà du genre, qui fit naître une nouvelle partie d’elle-même. Tom l’avait-il perçu ? C’est à ses côtés que Camille découvrit un amour queer pur.

Quand on naît garçon – Tristane

Insta : @insignificant_myst

Quand on naît garçon
On n’aime pas
Les écharpes en soie
Sur des cous
D’hommes mûrs
Au regard bleu
Les daddy issues
Sont un truc de fille
Et ça tombe bien
Je me sens concernée
Des souvenirs j’en ai plein
De moi bouche-bée
Sur des mains
D’hommes mûrs
Un atelier dans le XVIIème
Paris
Le bois craquant
Les murs repeints de frais
À la chaux
La térébenthine
La poussière
Au nez
Et le regard si doux
De cet ami de mon père
Mais son dos surtout
Dans ce t-shirt souple
Ses manières
Et ses jambes croisées
Dans son jean bleu
Clair
Il aimait le café
Et les spaghettis
En paquets remplissaient
Ses placards
Ses poils gris
Et bouclés
Apparaissaient çà et là
Et dans le cœur
Et la culotte
D’un garçon-fille
De onze ans
C’était quelque chose
De l’amour
Que je ne pourrais oublier

Plus tard,
Des années après
Des meilleurs amis
Aimés et désirés
En secret
Des poignées d’histoires
D’admiration
Sans borne
Et de sexe
Avec des filles
Des filles-garçons bien sûr
J’ai aperçu
Une marinière
Des lunettes rondes
Un regard clair
Et une écharpe en soie
Des poils gris
Et du désir
Se poser
Sur le minet-garçon
Que j’étais alors
J’avais 18 ans
Tu étais
Et tu n’étais pas
Cet amour ancien
Mais tu as été mon premier
Amoureux
Sans placard
Tu m’habillais
De jolis vêtements
Et me déshabillais
Du regard
Mais
Sans jamais
Un geste
Malvenu
Sans violence
Et sans demandes
Et Moi,
Je désirais ton sexe
Son liquide salé
Dans ma bouche
Une caresse sur mes cheveux
Et ton torse
De vieux garçon efféminé
Érudit
Et Gracieux

Peau-aime du mois de juin – SAINTE AMARANTHE

Insta : @sainte_amaranthe

En été je bois
Le mois de juin plus couleur que fierté des arcs-en-ciel dans les poumons
à défaut de paillettes
tu as posé tes mains sur mes hanches
la première fois

(je sais que j’aime les filles car un jour tu m’as demandé mon signe astrologique rose blanche sur quai de Seine, j’écoute encore TA playlist en me demandant si tes lèvres étaient
Cerise ou Prune ou
si c’était seulement le vin…

seulement le vin)

tous les garçons ne sont pas noyaux (de cerise)
certains pleurent ou partent chez leurs parents pour voir des
chats-
— ton
nom gravé dans mes carnets peut-être
que j’aime les filles et les garçons

il n’y a 
déjà plus de cerise en juin
seulement des arcs-en-ciel

seulement des arcs-en-ciel

à défaut de vin

Rencontre – Claire Mielcarek

C’était la première fois que je te voyais. Je militais dans une association féministe depuis quelques mois maintenant, et comme à chaque fois, je n’ai retenu aucun prénom à part ceux des habituées. Pendant cette réunion, je ne me souviens pas de ce que tu as dit, quels sujets tu as abordé, quelles questions tu as posées. Je me souviens uniquement de tes cheveux, rasés courts d’un côté, longues boucles brunes de l’autre. Je t’ai tout de suite trouvée belle. Quoi que, beauté n’est peut-être pas le mot juste. Il y avait surtout quelque chose en toi qui me fascinait, sans vraiment savoir quoi. Je me souviens avoir passé toute la réunion à m’empêcher de te fixer. Avec plus ou moins de réussite.

C’était aussi la dernière fois que je te voyais. À la fin de la réunion, je me suis levée pour ranger la salle, tout en essayant de te regarder du coin de l’œil. Tu as discuté un peu, avant de partir avec tes amies. Je n’avais pas réussi à retrouver ton nom, et je n’avais aucun moyen de te contacter. Dans le métro qui me ramenait chez moi, là où m’attendait mon compagnon avec un repas chaud, mes pensées revenaient sans cesse vers toi. Ta coupe de cheveux, ton attitude, ta façon de bouger, tout tournait dans ma tête sans que je comprenne pourquoi.

Le soir, en réfléchissant dans mon lit, j’ai compris que ce que j’avais ressenti n’étais pas juste de l’admiration, mais bien de l’attirance. J’ai conscientisé pour la première fois qu’une femme m’attirait. Je le répète : une femme m’attirait ! C’était tellement énorme pour moi, et à la fois c’était une évidence. Comme un bouton on/off dans ma tête. Tu n’en as pas conscience, mais tu as changé ma vie.

Depuis, en apparence rien n’a changé. Je suis toujours en couple avec mon compagnon, nous allons nous marier, et nous cherchons à acheter une maison. Le plus pur cliché de la vie hétéro. Sauf que pour moi tout a changé. Ma rencontre avec toi, bien que fugace, m’a permis de découvrir une partie de moi qui me manquait sans le savoir. Trois ans après, je milite dans un groupe LGBT de campagne, je me suis coupé les cheveux, j’assume une expression de genre plus masculine, et tout ça me fait me sentir extrêmement bien. Je pense souvent à toi. Sans cette réunion, un mercredi soir de février, je n’aurais sans doute jamais pris conscience de cette partie de moi, ou la réalisation serait venue bien plus tard. Et même si nous ne nous connaissons pas, je te dois beaucoup.

C’était la première fois que je te voyais.
C’était la dernière fois que je te voyais.
Et tu as changé ma vie.

Pédé – Éris

« Et toi Éris, tu es pédé ? »

Par pur réflexe, je réponds « Non, je suis bi, et c’est important ». Mais à l’intérieur, c’est la panique. Je dois rougir. Je suis décontenancé·e et j’ai honte de ma réponse. C’est la première fois qu’un pédé cis (pas si cis que ça en vérité, disons, un pédé non trans) ouvre la possibilité que je puisse faire partie des « leurs ». Jusqu’ici, et malgré ma transition qui me range de plus en plus dans une masculinité visible, je ne me suis jamais considéré·e comme pouvant, même de façon théorique, être intéressant·e pour des pédés cis ou faire partie de cette famille-là. De toute façon, j’esquive, avec mon B4B/T4T rarement dérogé et presque tatoué.

En tant que « meuf » bi, j’ai jamais été à l’aise avec les gouines. En tant que « mec » bi, je le suis pas avec les pédés. Ça pourrait changer, qui sait ? Qu’importe la suite ; ça ne m’en rendra pas moins bi.

Glitch (Œuvre vidéo) – Mother Ginette

Insta : @motherginette

[Script] La première fois que j’ai aimé une femme, c’était comme si je n’avais jamais rien connu. J’ai longtemps hésité à coucher sur papier l’immensité de cette première fois. Parce que je l’ai voulue lointaine tant elle m’a fait mal, parce que je l’ai scellée dans une boîte et je l’ai jetée à la mer. Je manque de mots pour raconter ça parce que c’était bien une toute première fois. Il n’y avait pas de doute, aucune lenteur dans la naissance de mon désir. Olivia était jolie. À cela, j’ajouterai qu’elle est d’un calme qui me rassure, car tout dans son silence respire l’autonomie.

En fait, elle ne me regardait pas. Et globalement, étonnamment, je me suis trouvée à l’aise avec ça. Pour Olivia, je n’étais personne. Ni en mal ni en bien. Pour Olivia, je n’étais rien. Parce que des hommes, l’injonction d’être vue m’a toujours tenue et d’elle alors, l’ignorance ne pouvait simplement pas me blesser. Ce qui m’a blessée, en revanche, c’est bel et bien l’après.

Olivia n’avait pas su, elle ne m’aurait pas consommée. Et il y a ceci de douloureux, que dans cette kleptothermie, je me sens absolument consentante. Quel mal a bien pu être perpétré si tout de cette nuit me plaisait ? Non, non, c’est toujours l’après. Le vide qui suit. Et pire, le rejet. Dans l’ivresse de cette soirée, j’étais l’adolescente que je n’ai jamais été. Cela a à voir évidemment avec l’aspect événementiel de cette cuite mais aussi et surtout avec le grisant du possible. Oui, il se pouvait que je tombe amoureuse. Plus grisant encore, il se pouvait que je goûte, sinon à elle, au moins à son aura. J’étais là, en sa présence, et j’en avais le droit. J’avais le droit d’envisager qu’elle me plaise et mieux encore, de le faire savoir. De dire : « J’ai envie d’elle » et de voir cette évidence accueillie à bras ouverts. Pour ce qui est de la chair, eh bien, je ne saurai jamais vraiment. Depuis Olivia, je cherche dans le visage et l’attitude des autres un possible support au souvenir de cette nuit, mais rien. Aucune survivance. Olivia était un glitch. À la première fois et son inévitable sensation d’unique, se mêle la peine de l’impossible. L’impossible redite de ce secret bien gardé. Le sauvage dans l’indicible sublime. Sans aucune domination, sans blâme du corps ou de soi, la puissance sans la brute, la jouissance sans la brutalisée.

[Planches]

bicode.py – Micha Gorelick

Github : mynameisfiber@github

Et toi ? Comment et quand as-tu commencé à comprendre quelle était ton orientation ?

Comment perçois-tu ton orientation dans le contexte de ta propre identité, de tes sentiments et de tes relations ?

Par quoi symboliserais-tu ta première fois ?

Quelles émotions étaient associées à ta première fois ?

Dessine ou raconte ta première fois



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