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Parution du n°1 de la revue Takakia

mis en ligne le 9 janvier 2024 - Takakia

Bonjour,

Une nouvelle revue vient de voir le jour. Voici l’annonce, le sommaire, un article et les modalités de contact. N’hésitez pas à nous contacter pour recevoir des exemplaires (précisez une adresse postale). Sur notre site, il y a un formulaire de contact sécurisé (PGP).

Bonne lecture,

L’équipe de Takakia

TAKAKIA. Rugissements contre la société techno-industrielle

#1 (hiver 2023-204) – 74 pages – prix libre
takakia@@@riseup.net
https://takakia.blackblogs.org/

Au milieu de la tempête Anthropocène. Les feuilles se déchirent et s’envolent à tout va. Les mots se déchainent, cherchent à valser une danse fougueuse, la folle avoine au rythme des bourrasques.

Exprimer ce qui pousse, vit et meurt, un pic inaccessible. La sensation de l’insaisissable nous monte sur le dos, une approche furtive où les lettres se dissipent à chaque pas. Et pourtant cette tentative. Pour que les mots surgissent, [fassent] leur chemin dans les débats, inspirent un regard, soufflent du silence. Se transforment et deviennent courage pour affronter cette société mortifère qui, elle, peut être tout à fait cernée.

Une revue à son début. Des pas chassés qui laissent peut-être un arrière-goût de « pas assez ». Jamais complètes, ces pages nous hantent et ne nous lâchent plus.

SOMMAIRE :

Articles et récits
- Takakia. Résistance libre et sauvage
- En temps d’écocide. Quelques interrogations contemporaines pour l’agir anarchiste.
- Zone blanche
- De nouvelles technologies peuvent-elles sauver la planète ? Poser la question au cachalot.
- Hydrogène. Le cheval de Troie de la transition énergétique.
- Vert ancien. Mousses, climat et le temps profond
- Entrer en résistance
- Marrichiweu. Les combats farouches des rebelles mapuche
- Sur les traces de Leftraru. Récit de l’attaque contre l’héliport de l’entreprise forestière Arauco
- De l’autre côté de la nature

Rubriques
- Résistances hexagonales
- Lure en résistance
- Au commencement de tout béton, les gravières
- Barrer la route au barrage
- Pipistrelle contre tractopelle : l’A69 ne passera pas
- Interview avec une pipistrelle de passage dans le Tarn
- La relance de l’atome
- Journée d’action contre l’agro-industrie
- 400.000 Volts au fond du Golfe de Gascogne ?
- Alerte à la bombe, l’aéroport de Caen à l’arrêt
- A Grenoble, le décalage du tout symbolique

Aguérissement
- Se renforcer : conseils par temps froids

Mauvaises herbes
- Cueillette hivernale : racines de Pissenlit et de Bardane

Contes
- Ainsi nous leur faisons la guerre. Épisode 1.

Recensions
- L’homme-chevreuil : sept ans de vie sauvage
- La tentation écofasciste : écologie et extrême droite
- Le chant du cygne : saborder la société industrielle

Feuilleton
- Le stagaire. Épisode 1.

Annexes
- La Gazette. Dépêches de la résistance férale

Sur le plateau tibétain, au nord des géantes de l’Himalaya, une plante
rare s’accroche aux falaises granitiques glacées, témoins robustes du
Jurassique. Sur le toit de la planète, les pousses vertes de cette
plante restent proches du sol, dépassant rarement l’épaisseur d’un
doigt, et ses feuilles sont minuscules. Très rare, son vert vif et
éclatant n’a été observé que par peu d’humains. Le nom vernaculaire en
japonais, nanjamonja-goke, reflète bien la résilience hors commune dont
fait preuve cette plante : la « mousse impossible ».

La mousse Takakia, est le plus vieux genre taxonomique de plantes connu.
Elle a probablement 390 millions d’années, plus vieille que le
supercontinent Pangée qui a commencé à se séparer il y a 200 millions
d’années pour former les continents tels que nous les connaissons
aujourd’hui. Si Takakia est particulièrement âgée, les mousses
(« bryophytes ») sont parmi les plantes les plus vielles sur terre. Leur
résilience, leur capacité d’adaptation et d’évolution sont tout
simplement uniques, ce qui les rendent capables de prospérer presque
partout : dans les déserts les plus secs comme dans les forêts
luxuriantes, sur les collines de l’Antarctique balayées par les vents et
aux sommets des montagnes.

Contrairement aux autres plantes, les mousses n’ont pas de véritables
racines, elles s’accrochent à l’aide de fins cheveux à la surface. Elles
ne puisent pas de minéraux et ni de nutriments du sol, mais absorbent
l’eau dans l’atmosphère qui en contient très peu. Sorties des mers et
arrivées sur le sol, leur absorption du CO² et sa restitution en oxygène
a rendu l’atmosphère adaptée aux évolutions du vivant tel que nous le
connaissons aujourd’hui. Si des fossiles de plantes ont été retrouvés
qui sont plus âgées que la mousse Takakia, sur l’échelle de millions
d’années que parcourt l’évolution des plantes, il y a quand même lieu de
la considérer comme faisant partie de ces pionnières du vivant. Elle
pourrait bien être la plante avec la plus rapide capacité d’adaptation
aux conditions climatiques, sans pour autant changer sa morphologie.
Elle partage cette résilience avec les autres mousses, capables de
survivre à des longues périodes de sécheresse, et même à un manque total
d’eau, pendant des dizaines d’années. De même, elles ont une formidable
capacité à développer d’importantes symbioses et coopérations avec
d’autres plantes.

Dans le monde moderne, les mousses, pourtant si fondamentales pour le
vivant, ont été relégués au décor. A proximité de la présence humaine,
elles font souvent l’objet d’une impitoyable guerre chimique afin de les
expulser du pavé et du béton, des cadres, des fenêtres et des seuils de
portes. Est-ce que ce serait une coïncidence que dans les imaginaires de
villes en décrépitude, dans des rêves de la chute de la société
industrielle, les mousses – plantes porteuses de vie et résilientes face
aux pires pollutions et radiations – sont parmi les premières à
recouvrir les ruines des usines et des métropoles, des autoroutes et des
déchetteries ? Dans la revanche de la nature, les mousses avancent. Et
avec elles, la vie non-domptée, le sauvage, la farouche, le rudéral.
Chez nombre de peuples autochtones, les mousses ne font pas l’objet de
la même déconsidération des humains ou du seul regard d’une minorité de
scientifiques et de naturalistes comme dans la société industrielle.
Elles font partie de nombreux mythes sur l’origine du monde et
enseignent beaucoup sur le sol et l’eau, l’air et les nutriments à
celles et ceux qui étaient attentifs aux murmures et aux rugissements de
la nature. Une botaniste autochtone de la nation Pottawatomie explique
justement que ce qui différencie le regard moderne des connaissances des
peuples autochtones, c’est peut-être surtout cette question d’attention,
d’être attentives à ce qu’une plante, une roche, un animal nous
raconte. « Les mousses », dit elle, « rendent le temps visible. Elles
ont été les premières plantes à recouvrir la Terre. Je ne serai pas
surprise qu’elles soient aussi les dernières. »

Takakia a survécu à au moins quatre extinctions massives dela faune et
de la flore, toutes dues à des changements climatiques. Ce n’est pas la
première fois que les mousses voient les glaciers fondre. Mais
aujourd’hui un défi autrement plus grand se dresse devant la mousse
impossible. Elle a été capable de s’accommoder aux conditions les plus
extrêmes sur la planète. Elle a été soulevée lors de l’ascension
tectonique de l’Himalaya pendant la formation des continents. Désormais,
sa résilience est mise à rude épreuve par la crise écologique totale
qu’est la société industrielle. C’est ce que Takakia sur le plateau
tibétain raconte aux humains qui sont allés la trouver : d’année en
année, son combat se durcit, mais sa résistance ne faiblit pas. Elle
recule, mais elle se bat, inlassablement. Takakia marque une ligne de
démarcation : résistance et liberté ou soumission et agonie. Le souvenir
des mousses qui ont verdi la planète et ont donné naissance à tout ce
qui vit et croît à la sortie de chaque ère de cataclysmes n’a pas été
effacé. Aasaakamek, celles qui couvrent la terre. Aujourd’hui, cette
force viscérale vient nourrir le fabuleux rêve de les voir couvrir les
ruines industrielles de l’Anthropocène. Chaque pousse de Takakia
rappelle le défi actuel : œuvrer à la chute de la société industrielle
ou périr avec elle ; résistance libre et sauvage ou soumission morbide.