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À propos des communautés mapuches en guerre et de la solidarité anarchiste

mis en ligne le 20 novembre 2023 - Kalinov Most

Brève mise en contexte et caractérisation des Mapuches

Pour cette même raison, ils ont non seulement résisté à l’empire de l’Inga, mais n’ont jamais voulu admettre de roi, de gouverneur, ni la justice de leur propre nation, la voix de la liberté ne cessant de prévaloir entre eux. [1]

Les Mapuches ou les mal nommés Araucans [2], culture indigène [3] vivant dans le centre-sud du territoire dominé par l’État chilien et dans le centre-ouest de celui dominé par l’État argentin, ont connu une longue histoire de guerres contre des empires, des royaumes et des États qui ont tenté de les soumettre de différentes manières. Entre approximativement 1479 et 1485, l’Empire inca sous la houlette de Tupac Inca Yupanqui se lança à la conquête de ces communautés qu’il appela promaucaes (terme quechua désignant les « ennemis sauvages » [4]), mais en vain, ce qui l’amena à consolider et à entretenir en priorité ses possessions du nord. Par la suite, en 1535, eut lieu la première bataille entre les communautés mapuches et la monarchie hispanique, marquant le début de ladite « guerre d’Arauco » qui se termina par une série de traités entre les deux parties à l’aube de l’État-nation chilien, début 1800. L’affrontement entre la couronne de Castille et les Mapuches varia d’intensité et prit des traits différents au cours des siècles sur lesquels il s’étendit. Il s’agit tout d’abord d’une guerre à mort sans aucune place pour le dialogue ; d’un côté les massacres et la mise en esclavage des indigènes, et de l’autre l’incendie de villes comme principale tactique de guerre des Mapuches [5].

Un événement reflète l’intensité des premières années et marqua un tournant : en 1553, des Mapuches capturèrent le conquistador du Chili, le capitaine général Pedro de Valdivia. Selon le chroniqueur Pedro Mariño de Lobera, « ils le tuèrent en lui faisant boire l’or fondu que les Espagnols désiraient tant ; et qui lui brûla les entrailles [6] ». Ne parvenant pas à soumettre durablement les communautés mapuches, la monarchie hispanique se vit dans l’obligation de convoquer des instances de négociation, du nom de « parlement », où furent établis les frontières et le commerce entre les deux parties. Si la plupart du temps les accords ne furent pas respectés, ces instances perdurèrent jusqu’à l’instauration de la nation chilienne. Les communautés mapuches n’en surent pas moins conserver leur autonomie, malgré le constant harcèlement castillan. Cette autonomie perdura, presque dans les mêmes termes que contre les Ibères, lors des premières décennies de la relation entre les Mapuches et l’État chilien, jusqu’à ce que ce dernier, représenté par le colonel Cornelio Saavedra, mette en œuvre, entre 1862 et 1883, la « pacification de la Araucanía », consistant à occuper militairement l’ensemble du territoire jusqu’alors sous contrôle des communautés mapuches. Malgré la résistance des indigènes, l’État chilien parvint à mettre un terme à des siècles de contrôle territorial mapuche, en lançant un processus de colonisation caractérisé par la cession des terres à des Européens, dans le but d’« améliorer la race » et de rendre la région productive. C’est ainsi que la logique rationnelle du progrès commença à prendre la place auparavant occupée ostensiblement par la religion. Il est important de souligner que de l’autre côté de la cordillère des Andes, l’État argentin mena parallèlement sa propre croisade contre les communautés situées dans la zone de la pampa, extermination désignée par l’euphémisme de « conquête du Désert ».

Les soulèvements mapuches ne cessèrent cependant pas [7], rappelant aux gouvernants en place au Chili et à la société en général qu’ils étaient toujours là, toujours en vie, bien qu’on les pense en déroute et en voie d’extinction. Cette riche histoire de résistance est à même de fortifier une mémoire se construisant à partir de et dans une perspective de conflit ; elle permet d’avoir connaissance et d’apprendre d’expériences passées pour stimuler le présent. À partir de la fin des années 1980, l’offensive de l’État chilien contre le territoire où vivent et que revendiquent les communautés mapuches commença à prendre des traits particuliers et différents de ce qui se passait depuis des siècles. L’aspect extractiviste [8] du capitalisme et les investissements transnationaux amenèrent une nouvelle phase d’oppression. La dévastation environnementale fut d’abord le fait des centrales hydroélectriques, des entreprises minières et forestières qui modifièrent les perspectives dans lesquelles la domination se situe territorialement dans cette zone. Ainsi, la violente transformation de l’écosystème existant par les plantations de monoculture des industries forestières [9], les déviations du cours des rivières par les centrales hydroélectriques ou l’empoisonnement de l’eau produit par les mines représentèrent un phénomène nouveau, réel et urgent à affronter pour les communautés mapuches. Il faut également mentionner que l’intensification dans l’usurpation des terres s’est accompagnée au cours des ans de l’apparition d’une forme d’intégration culturelle de la part de l’État chilien. Celle-ci a consisté à tenter d’homogénéiser les particularités identitaires indigènes et de donner un nouveau sens symbolique à certains éléments de la culture mapuche, afin de l’intégrer comme partie constitutive d’un passé imaginé et construit par le Chili. À cet égard, l’affirmation et la maxime de l’État est plus que claire : « Sont Chiliens tous ceux qui sont nés sur le territoire chilien [10] », une seule identité est possible. Si nous ajoutons à ce panorama la multiplication des investissements extractivistes sur le territoire mapuche, nous pouvons avoir une idée de la réalité dans laquelle se trouvent les communautés, certaines d’entre elles optant pour pactiser en vue d’une cohabitation pacifique [11] avec le winka [12], d’autres se lançant dans un affrontement ouvert, en pleine recrudescence ces dernières années. À partir des conflits précédents, les Mapuches se sont constamment réinventés dans un processus permanent de ré-élaboration et de reconstruction culturelle qui leur a entre autre permis de rester vivants et de continuer à lutter. Il est important de comprendre qu’il s’agit d’une culture dynamique, en constante transformation, et qu’il est impossible de la considérer comme un continuum historique inamovible et pétrifié. Dans ce sens, nous pensons qu’il est indispensable pour dérouler ce texte d’évoquer brièvement quelques caractéristiques historiques dans l’organisation sociale des Mapuches permettant d’une certaine manière d’approcher le développement et les particularités du conflit actuel.

Communautés autonomes

Les premiers témoignages sur les Mapuches convergent sur le fait qu’ils n’avaient pas de pouvoir centralisé, ce qui surprit énormément les Castillans. Cette fois, les envahisseurs ne faisaient pas face à de grands empires comme les Mayas ou les Incas, mais se trouvaient face à des communautés dispersées, sans roi avec qui parlementer ou négocier.

… un ennemi qui s’est défendu durant quarante ans d’offensive continue grâce à de nombreux avantages, le principal étant le caractère inexpugnable de son lieu d’habitation, rude et montagneux, et de ne pas avoir pour demeure quelque regroupement de villages, mais plutôt des maisons séparées et sylvestres où, pour aller les chercher, il faut diviser et démonter le campement. Cette division, associée à l’avantage du terrain, leur permet d’attaquer en toute sécurité, d’autant plus qu’ils n’ont pas de chef de gouvernement à qui ils devraient obéir en matière de guerre… [13]

L’unité de base dans l’organisation sociale des Mapuches était de type « famille élargie », connue jusqu’à aujourd’hui sous le nom de lof (équivalent de « foyer »), et elle constitue le premier niveau sociopolitique réellement autonome, ainsi que la première frontière délimitant le je et l’autre [14]. C’est l’espace où se crée et se recrée le sentiment identitaire, où se régulent les problèmes internes et externes et où se réalisent les cérémonies festives et religieuses. S’il existait des instances de socialisation plus larges que celles de chaque lof, les Mapuches développaient en général leur sentiment d’appartenance à l’intérieur de la « famille étendue », dans la mesure où celle-ci représentait (et continue souvent à représenter) le principal espace d’intégration. Il est important de mentionner que chaque lof compte sa propre autorité, appelée lonko (tête) qui représente une sorte de guide et de médiateur de cette unité familiale étendue.

Il n’existait donc pas de sentiment d’appartenance fort et permanent dépassant les limites du lof, l’identité construite et reconstruite localement marquant la frontière entre l’univers symbolique propre ou étranger. Il n’y a par conséquent pas eu d’uniformité ni d’unification entre les différents groupes qui habitaient sur ce territoire, et plusieurs études affirment même qu’ils n’avaient pas d’autodénomination commune les identifiant tou-te-s. Selon Boccara, « c’est vers 1790 qu’apparaît pour la première fois l’ethnonyme mapuche [15] », fruit des transformations liées au contact, à tous les niveaux, avec les Castillans et les Chiliens. S’il est aujourd’hui difficile de nier l’existence d’une ethnie mapuche se reconnaissant comme telle, le sentiment d’appartenance au lof reste fondamental pour les individus qui le composent, celui-ci continuant à représenter un lieu primordial de reconnaissance. C’est aussi à partir de cet espace que les luttes actuelles s’articulent et prennent corps.

L’importance de l’aspect local et sa continuité

Pour comprendre les caractéristiques du soulèvement actuel, il est important d’avoir à l’esprit que la mémoire historique constitue un facteur déterminant « à l’heure de porter des revendications territoriales et de réaliser des actions pour que ces revendications soient satisfaites [16] ». Transmis de génération en génération, le récit oral relatif aux terres ancestrales, aux anciennes délimitations, aux espaces communautaires antérieurs à la réduction opérée par l’État chilien, à l’usurpation dans tous les sens du terme est l’un des nombreux aspects qui continue à se développer et reste présent, alimentant et donnant du contenu à la pratique violente des nouveaux guerriers. Chaque action rebelle porte implicitement avec elle une mémoire historique active qui se reconstruit dans le combat et imprime volonté et détermination. Les Mapuches ont été systématiquement dépossédés, principalement par l’État chilien, c’est pourquoi leur lutte vise à la récupération, surtout de terres étant donné que celles-ci constituent un élément central de leur culture. Ce sont « des gens de la terre » (mapu signifie « terre » ; che, « gens »), ils font partie d’elle et ne la perçoivent pas comme une simple marchandise. Les actions violentes de la part des communautés mapuches en guerre sont généralement circonscrites au niveau local, dans l’ancien lof, entre autre pour récupérer la totalité de l’espace ancestral et pour avoir de nouveau accès aux ressources naturelles. Correa et Mella racontent à ce propos : « Alors que les familles de Temucuicui avaient pris possession du domaine Alaska, leurs revendications n’en restèrent pas là, elles décidèrent de poursuivre la lutte pour la reconstruction de l’ancien lof, du territoire ancestral [17]. » Même si, suite aux transformations et à de nouvelles articulations identitaires, les Mapuches souscrivent et se sentent partie prenante d’une culture commune (mapuche), l’aspect local n’en demeure pas moins le principal espace de résistance et de lutte, et le récupérer est l’objectif direct et immédiat de l’activité des combattants pour qui il reste, comme il y a des siècles, le lieu de reconnaissance marquant leur sens d’appartenance.

Lorsqu’il fait référence aux cultures indigènes dans Dulce Leviatán, García Olivo souligne que « le lien local pèse plus que l’identité ethnique [18] », ce qui correspond exactement à l’expérience mapuche. Ici, le local ne se limite évidemment pas à l’ensemble des biens immobiliers ou des personnes habitant une zone, ce sont les oiseaux, les rivières, les ravines, bref, tout l’environnement naturel avec lequel ces personnes interagissent et entretiennent une relation indissociable, incompréhensible aux yeux des citoyen-ne-s occidentaux. Ainsi, ce sentiment envers le local vient rompre avec l’universalisme occidental des Lumières brandissant des concepts tels que la Raison universelle ou les droits de l’Homme pour englober et homogénéiser l’ensemble de la planète.

La négation de l’Occident

Les communautés indigènes préfèrent se concentrer sur le fait d’entretenir et de récupérer l’interaction harmonieuse avec leur milieu, plutôt que de se préoccuper de vérités absolues parlant de progrès et de consumérisme. Dans leur cosmovision, la nature qui les entoure est indispensable à l’ensemble de leur activité, puisqu’elle influe directement sur les événements et que chaque élément est une entité dotée de spiritualité [19]. Ainsi, plus que du respect, c’est une relation de réciprocité qui lie les indigènes et leur environnement, et détermine la permanence et le développement de leurs aspects culturels. L’exploitation environnementale effrénée, ainsi que la marchandisation et la destruction du milieu ambiant, sont incompatibles avec leur mode de vie.

Par ailleurs, les groupes indigènes ne conçoivent généralement la propriété privée ni dans leur forme d’organisation ni dans leurs pratiques économiques. Si l’avancée du capitalisme les a aussi pénétrées, introduisant dans certains cas la privatisation, ces communautés continuent à employer un communalisme qui lui est diamétralement opposé et nie la logique capitaliste en ce que le territoire reste inaliénable, impossible à vendre. Pedro García Olivo nous éclaire à ce propos :

« La terre de la Communauté ne peut être vendue, car elle n’appartient à personne : la terre de la Communauté est la Communauté elle-même. Les habi-tant-e-s de la Communauté vivent d’elle (il faudrait dire en elle, avec elle), selon des modèles familiaux, villageois et coopératifs ; et toute attaque à l’encontre de cette base commune de subsistance aurait des conséquences pour tous [20]. »

Cette manière de voir et de comprendre le territoire va de pair avec l’entraide pratiquée par ces communautés. La minga ou mingaco chez les Mapuches et les paysans de la région chilienne, la gozona des Zapotèques mésoaméricains, la cayapa existant dans le monde rural de la région vénézuélienne font partie des nombreux espaces de collaboration où une personne convoque des membres de sa communauté pour un travail impossible à réaliser de manière individuelle en échange de nourriture et avec l’engagement de participer à des initiatives similaires en d’autres occasions. L’absence de salaire et de contrat dans ce genre de tâches communautaires rompt avec l’échange marchand de l’économie capitaliste et témoigne du rejet du travail salarié.

La personne indigène entretient des rapports quotidiens avec cette manière de faire, elle est éduquée non pas par l’école, mais par et pour la communauté, de sorte que l’individualisme bourgeois ne fait pas partie de son univers symbolique. Tout dialogue est donc impossible entre ces mondes. Il n’y a pas de possibilité d’entente entre l’universalisme occidental et le localisme indigène qui ne cherche pas à imposer une vérité absolue. Dans ce sens, l’existence de cultures comme celle des Mapuches, avec leurs cosmovisions, leurs coutumes et leurs pratiques, représentent la négation de l’Occident [21], elles portent atteinte à la sensibilité des Lumières et un coup à la consommation, à la Raison et au progrès. Il est cependant important de souligner que ces pratiques correspondent à un processus dynamique de confrontation permanente, au cours duquel le pouvoir est parvenu à introduire quelques-unes de ses tentacules, provoquant en retour des espaces et des initiatives de résistance de la part des communautés indigènes en lutte qui tentent d’éviter l’incorporation forcée dans l’engrenage de la domination.

Caractéristiques et particularités de l’affrontement actuel : organisations, tactiques et prison

Au cours des deux dernières décennies, différentes communautés mapuches ont commencé à s’organiser pour faire face à la nouvelle situation que nous avons décrite. Au long du xxe siècle se sont développées certaines expériences de lutte, surtout impulsées par la gauche qui les a essentiellement considérées comme des luttes de paysans, laissant de côté tout élément ethnique susceptible d’effriter les notions de classe ou de « chilenité [22] ». Par la suite, le monde mapuche a commencé à élaborer ses propres positions, cherchant à créer une construction permettant de résister aux assauts dont nous avons parlé. Petit à petit, des concepts tels que territoire, autonomie, autodétermination et nation mapuche ont été mis en avant.

Au-delà de l’hétérogénéité des différentes communautés mapuches, ces concepts sont élaborés par les secteurs en lutte contre l’État chilien. C’est dans ce sens que nous pouvons comprendre la signification et l’utilisation de ces concepts, celui de territoire ne se référant par exemple pas à la notion de propriété sur des hectares de terre, mais à une territorialité que le « peuple mapuche » pourrait occuper en pleine autonomie vis-à-vis de l’État chilien et en autodéterminant ce qui s’y passe. Le concept de peuple est intrinsèquement lié à celui de nation, dans tous les sens et avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Cette dénomination est même précisée en tant que lutte « nationalitaire », soulignant ainsi la dimension identitaire mapuche. À partir de ces éléments, certains secteurs du monde indigène ont fini par concevoir et par proposer une « lutte de libération nationale mapuche [23]. »

Avec ces positions en permanente élaboration, les pratiques des communautés mapuches en conflit se sont matérialisées par différentes stratégies et tactiques dans l’affrontement. Les premières années, les incessantes prises de terrains réalisées par des communautés mapuches ont eu un caractère symbolique dans le but de visibiliser l’usurpation, tout en exigeant et en réclamant leur restitution à l’État de manière revendicative.

Le temps passant, la logique a complètement changé. À partir de la seconde moitié des années 1990, les occupations de terre ont été posées comme permanentes et de durée indéfinie. Ainsi, Juan Pichún, fils du lonko reconnu Pascual Pichún [24], affirmait que les actions dans les propriétés ne seraient désormais plus :

« des récupérations de type symbolique, mais qu’il s’agissait à présent de travailler la terre, le territoire. Cette manière de se relationner et d’agir des communautés préoccupa le gouvernement. Un mouvement était né, qui gagnait toujours plus de sympathies et d’adhérents, surtout chez les jeunes [25]. »

Les prises de terres productives ont vite été conçues comme des espaces de contrôle territorial, un élément-clé dans le développement récent de la lutte mapuche où confluent à la fois la reconstruction identitaire ou les aspirations de ce qui est entendu par nation mapuche, l’autodétermination, l’autonomie sur le territoire (quoi semer ? comment produire ? quels espaces sont considérés comme sacrés ?), ainsi que finalement l’expulsion et la résistance contre les policiers, les gros propriétaires terriens et les entreprises. L’État a rapidement tenté de freiner toute conflictualité potentielle par l’intégration et l’assimilation, en créant des organismes comme la CONADI (Corporation nationale de développement indigène), par l’inclusion folklorique de leur cosmovision, mais aussi en ayant recours à tous les moyens policiers, légaux, carcéraux et paramilitaires à sa disposition.

Simultanément commencent à se produire les premières actions de sabotage, l’incendie de camions de Lumaco marquant un tournant en 1997. Ces actions s’étendent rapidement, devenant une tactique de confrontation avec les entreprises installées dans la région. Au cours des vingt dernières années, la confrontation et le sabotage ont aussi pris la forme d’attaques armées contre des campements policiers et forestiers, d’attaques incendiaires contre des temples religieux [26], d’affrontements avec la police, d’incendies de propriétés de latifundistes ou liées à des entreprises. Comme nous l’avons dit, ce genre d’expressions s’est essentiellement développé dans les communautés mêmes. Le territoire urbain est considéré comme un espace de soutien avec la réalisation de manifestations en solidarité avec les prisonniers et les communautés, mais loin de la violence planifiée des actions dans l’espace rural.

Comme lors des anciens affrontements mapuches, ces actions recouvrent des réalités diverses et hétérogènes, quoique qu’ayant des traits communs. Dans ce sens, observer les références organisationnelles ne sert qu’à illustrer certaines manières de porter le conflit au cours des dernières années.

Si dans un premier temps le « Conseil de toutes les terres » a cherché à agglutiner les différentes expressions mapuches, en centrant son action politique sur la visibilisation de la cause mapuche par la prise de terrains, de nouvelles instances organisationnelles ont bientôt fait leur apparition. À la fin des années 1990, la « Coordination de communautés en conflit Arauco Malleco (CAM) » émerge, regroupant différentes communautés en lutte à l’époque sous des critères assez larges. Dès le début des années 2000, elle prend une forme et un caractère particuliers en s’exprimant essentiellement par le sabotage d’intérêts forestiers et la participation à des récupérations de terres.

Les ORT, Organes de résistance territoriale, expressions autonomes de chaque communauté, sont liées à cette forme organisative et plus largement associés au projet de la CAM. 

Par ailleurs, au cours des dernières années, le groupe Weichan Auka Mapu [27] a surgi avec force, revendiquant une série d’affrontements avec la police et d’attaques incendiaires, surtout contre des églises catholiques et évangéliques sur le territoire mapuche. De l’autre côté de la cordillère, sur le territoire dominé par l’État argentin, la RAM, Résistance ancestrale mapuche, connaît aussi une certaine notoriété.

Bien que quelques organisations de cette sorte aient décidé de revendiquer leurs actions par des communiqués ou des tracts, d’innombrables autres attaques revendiquées se succèdent, provenant de communautés en conflit, mais sans faire référence à aucune instance organisatrice en particulier.

Pour résumer, depuis une vingtaine d’années, des expressions diverses du conflit sont venues revitaliser une offensive dirigée principalement contre l’État, les entreprises extractivistes et les latifundistes, en vue de reconstruire ce qui est entendu par « nation mapuche », en tentant par l’exercice du contrôle territorial dans les communautés de construire territoire, autonomie et autodétermination.

Pour sa part, l’État a réagi par la répression, avec la militarisation des communautés et l’installation sur zone de campements policiers, ce qui s’est en outre accompagné d’une vague d’assassinats de comuneros mapuches [28]. Une grande partie de l’engrenage judiciaire a aussi été utilisée à travers l’application de la loi de sécurité intérieure, de la loi antiterroriste et de la loi de contrôle des armes, ces mêmes législations d’exception étant utilisées contre des anarchistes au cours de ces décennies.

Ces instruments du pouvoir ont été employés au cours de grandes opérations répressives se répétant à intervalles réguliers, sans que toutes amènent à des condamnations effectives contre les comuneros, mais donnant par contre lieu à de longues périodes de prison préventive, avec des coups portés aux entourages et aux communautés en lutte. Pour affronter cette offensive de l’État, les communautés mapuches ont recherché le soutien de divers secteurs, surtout d’ONG et d’organismes droits-de-l’hommistes (au Chili et dans le monde entier), ainsi que de secteurs politiques soutenant leur cause. La plupart des communautés et des secteurs mapuches partagent cette stratégie commune. Parallèlement à cela, les comuneros mapuches ont tenté d’affronter la prison avec dignité, réagissant à l’incarcération par la confrontation, avec des grèves de la faim, des mobilisations et des communiqués pour contribuer à la continuité de la lutte à l’extérieur.

À propos de la solidarité anarchiste

Nous soutenons le combat que livre le peuple mapuche contre l’État. Les troupes policières font le siège et tentent d’imposer la terreur dans les communautés rebelles du territoire mapuche sous occupation chilienne. Les combattants mapuches les expulsent de leurs terres. Force, frères, nous apportons toute notre solidarité combative à la destruction de tous les États et à la construction de sociétés antiautoritaires et libertaires. C’est notre objectif. [29].

Si depuis la moitié des années 1990, des groupes anarchistes de la région chilienne ont commencé à se solidariser avec la lutte mapuche, les activités se sont intensifiées au cours des dernières années avec des démonstrations de soutien explicites au travers de différentes actions [30]. Au début, la solidarité s’est exprimée dans le cadre de conflits ponctuels tels que la construction d’un barrage ou quelque opération répressive d’envergure mais au-delà de cela, pour quelle raison de fond les anarchistes se sont-ils rapproché-e-s et continuent à se solidariser avec la lutte que mènent les communautés mapuches en conflit ? Nous pensons que la réponse réside dans ce que nous avons évoqué auparavant.

D’une part, la vigueur avec laquelle l’anarchisme rejette la « chilénité » et ses symboles a été partagée avec la lutte mapuche au cours des dernières décennies, ce qui représente évidemment un point de convergence, encore renforcé par la proximité dans les pratiques de sabotage contre l’État et le capital réalisées par les communautés mapuches en lutte. Il est en effet nécessaire d’apprendre des exercices de confrontation, ainsi que des tactiques et stratégies pour faire face aux assauts du pouvoir.

D’autre part, la relation historique étroite et déterminante que les Mapuches ont entretenue et continuent à entretenir avec leur environnement local n’a pas favorisé (Clastres dirait qu’elle a empêché [31]) l’existence d’un pouvoir centralisé qui se serait conclue par la constitution d’un État. Les profondes transformations culturelles qu’ils et elles ont connues n’ont jamais donné lieu à l’instauration d’un appareil étatique, ni même à des prétentions de réaliser un tel projet. Actuellement, bien que certaines postures réclament à cor et à cris la création d’un État mapuche, comme nous l’avons indiqué, la lutte se concentre sur les demandes et exigences portées par des lof particuliers, essentiellement pour récupérer leurs terres ancestrales. C’est à notre avis une des raisons et un des sens de la solidarité que des anarchistes expriment et pratiquent envers les communautés mapuches en guerre contre l’État et le capital. Le but de la lutte n’étant pas la création de cette aberration de la société, pas plus qu’un drapeau à arborer ou à prendre en compte, certain-e-s d’entre nous, anarchistes, ont décidé de soutenir les communautés en conflit, évidemment à partir de notre position antiautoritaire et de confrontation permanente, en évitant tout assistancialisme et victimisme tellement à la mode de nos jours. Cette manière de nous solidariser donne du contenu à cette pratique, portée à partir d’un positionnement clair – le rejet absolu de l’État –, ce qui permet en même temps de garder la distance avec des postulats qui en viendraient, même implicitement, à proposer la construction de celui-ci.

La solidarité correspond aussi à d’autres raisons, liées aux aspects culturels mapuches que nous avons mentionnés précédemment et relatifs à leur interaction avec la nature, ainsi qu’au refus de la propriété privée et du travail salarié. Ces éléments, reposant sur leur cosmovision, représentent une négation, non seulement du capitalisme, mais aussi de la pensée éclairée dans son ensemble, l’existence de ces cultures constituant en elle-même une menace pour la culture occidentale. Ainsi, cette rupture avec le rationalisme du monde moderne, ces modes de vie éloignés et contraires à la quotidienneté civilisée ont représenté et représentent encore un riche et abondant arsenal théorico-pratique qui a contribué à approfondir et à aiguiser la critique active et destructive de l’ordre établi de groupes et individualités anarchistes. Dans ce sens, nous partageons cette réflexion de García Olivo qui indique qu’il est nécessaire « d’expérimenter un “autre” parcours qui nous alimente (qui nous équipe, qui nous arme) afin d’approfondir la critique négative de l’ici [32] ».

Ces réalités, ces vérités qui ne cherchent pas à s’imposer, qui ne visent pas à l’homogénéisation et n’ont aucun caractère absolu sont des exemples concrets d’existences opposées au progrès totalisant, desquelles nous avons beaucoup à connaître, à apprendre, et à comprendre dans cette guerre incertaine et sans retour contre toute autorité.

Malgré tout, il est important de préciser que la relation entre des communautés mapuches et des sphères anarchistes a connu des points d’accord et de désaccord. Impossible d’oublier les appels publics provenant de diverses communautés et organisations mapuches en conflit à éviter que les jeunes mapuches « s’anarchisent » et s’éloignent de la voie des traditions religieuses et ancestrales propres à leur monde en affrontant l’État. Dans le même ordre d’idées, nous avons concrètement pu observer en pratique à quel point le soutien a été unilatéral : apporté par des anarchistes au monde mapuche frappé par l’État, et pas l’inverse.

Contre les idéalisations, contre les sacralisations

Le rapprochement et la solidarité avec les communautés mapuches en conflit de la part de multiples espaces et individualités anarchistes a mené, en de nombreuses occasions, à des idéalisations de tout ce qui concerne le monde indigène ce qui, à notre avis, empêche de questionner des pratiques et des postures qui n’ont rien à voir avec les nôtres. Cela empêche aussi de prendre position à partir de nos propres idées, en assumant aveuglément certains aspects qui, du seul fait qu’ils proviennent d’espaces mapuches, sont vus comme salvateurs, dans une version, nouvelle quoique répétitive, de la vision éclairée rousseauiste du bon sauvage.

Affirmer que nous avons à apprendre de certains éléments de la cosmovision et des pratiques quotidiennes indigènes ne signifie pas que nous les considérions comme inquestionnables ou sacrées. Rien de tel. Nous pensons qu’elles sont nécessaires pour rompre avec ce qui nous entoure et que dans ce sens elles viennent compléter et enrichir nos discours et notre activité. Cela nous permet, entre autres choses, de fortifier la remise en question constante, élément indispensable sur les chemins anarchistes de la négation, tandis qu’ériger certains aspects constitutifs de la culture mapuche comme indiscutables ou comme une fin en soi fossilise nos idées, les prive de dynamisme, produisant de néfastes sacralisations.

En lien avec cela, nous avons dernièrement vu avec surprise différents individus et groupes anarchistes se rapprochant de la culture mapuche (ou indigène en général) commencer à exprimer des positions qui divinisent la nature dans une sorte d’étrange mysticisme avec des discours et des pratiques éloignées (et parfois opposées) de la confrontation avec le pouvoir. Ces expressions favorisent la passivité et l’inaction en affirmant que la seule chose à faire est de miser sur une relation harmonieuse avec l’environnement et en oubliant le nécessaire et indispensable affrontement direct contre l’existant.

Par ailleurs, le fait de mettre l’accent sur la nature et des éléments cosmiques (comme la lune, les étoiles, la voie lactée, etc.) les a amenés à considérer ces éléments comme des entités au-dessus des individus, qui déterminent nos conduites et comportements. En définitive, l’environnement est placé sur un plan sacré, et pour nous rien n’est sacré, pas même l’anarchie. Dans ce sens, nous pensons que cette manière de comprendre la solidarité avec les Mapuches (en les idéalisant, en sacralisant leurs aspects culturels) porte en germe l’idée de s’approprier, d’incorporer des aspects de leur univers symbolique, de les adopter, de les vivre et de les éprouver de la même manière. On prétend finalement être Mapuche. Nous ne partageons pas cette intention et y sommes opposé-e-s, sachant par ailleurs qu’elle s’avère impossible : « il y a, chez les indigènes, des aspects déterminants qui nous échapperont toujours [33] ». Même si, de manière exceptionnelle, des Mapuches ont décidé d’emprunter des chemins anarchistes, nous ne faisons et ne ferons pas partie de la culture indigène, simplement parce que nous ne sommes pas né-e-s dans leur univers symbolique, parce que nous ne manions pas leur langage, compris comme une manière d’appréhender le monde et pas uniquement comme une manière de parler. Même si nous essayons tous les jours de détruire notre optique occidentale, nous avons conscience que nous observons notre environnement à travers elle (quoi qu’il nous en coûte). Prétendre sentir la terre, la rivière, la montagne comme un-e Mapuche n’est qu’une illusion.

S’il vaut la peine d’apprendre de certains éléments de la culture mapuche, nous voulons aussi signaler clairement qu’il y a d’autres aspects de celle-ci que nous ne partageons pas, dont nous ne voyons pas ce qu’ils pourraient nous apporter et dont certains sont aux antipodes des idées et actions que nous souhaitons porter. Ainsi, nous sommes critiques et contraires à tout ce qui a à voir avec des autorités, qu’elles soient ancestrales ou pas. La figure du lonko, même si beaucoup allèguent qu’il n’est qu’un guide, est en tout cas une autorité à laquelle il faut obéir et qu’il faut respecter du seul fait de sa fonction.

Parallèlement à ce que nous avons exposé, nous pensons qu’il est nécessaire de préciser les divergences existantes dans les conceptions de la libération. Loin de valider des liens de sang et quasiment raciaux ou de construire des imaginaires nationaux, la conception antiautoritaire cherche à faire voler ces déterminismes en éclats. Nous pouvons ainsi comprendre à quel point toutes les pratiques antiétatiques ou traditionnelles ne sont pas synonymes de libération de l’individu de l’exercice de l’autorité et de la hiérarchie.

La nation, comprise comme une communauté construite, imaginée et forgée sur la base de l’homogénéisation d’individus et de collectivités pour élaborer – de manière fictive – un sentiment « national » commun ne peut que susciter tout notre rejet, quelles que soient la forme qu’elle prenne, la langue qu’elle parle, les traditions qu’elle maintienne. Si nous reconnaissons et nous apprécions que la lutte de libération nationale mapuche ne vise pas à la construction d’un nouvel État, pour autant nous ne pouvons pas nous sentir proches de la constitution d’imaginaires nationaux, même si ceux-ci peuvent être le fruit d’identités nationales d’exploité-e-s ou d’opprimé-e-s [34], à mille lieues des liens d’affinité ou de libre association.

Même s’il peut être intéressant de connaître la beauté du monde sacré des Mapuches, nous ne voyons pas pourquoi la rendre présente dans notre activité, d’un côté parce que cela amène aux hallucinations mystiques que nous avons déjà évoquées, et de l’autre dans la mesure où, comme nous l’avons affirmé en diverses occasions, nous refusons toutes sortes de sacralisations, que nous considérons comme des formes de contrôle, comme des entités placées au-dessus de la volonté individuelle qu’elles entravent et endoctrinent.

L’évidente et marquée [35] division sexuée des rôles et des tâches imposée dans la culture mapuche est selon nous contraire à toute expression de liberté et représente en cela un autre aspect dont nous n’avons rien à conserver. Comme les autres éléments de la culture, ce trait s’est transformé et réélaboré. Ainsi, les Castillans trouvèrent des communautés dont les relations de parenté reposaient sur la polygamie [36], celle-ci se voyant peu à peu remplacée par la monogamie prônée et imposée par le monde judéo-chrétien – la pratique antérieure ne perdure aujourd’hui que dans quelques rares cas. La polygamie et les lois patrilinéaires (en se mariant, la femme mapuche est obligée de s’installer sur les terres de son époux) ont été des éléments centraux dans l’organisation sociale des communautés mapuches et il est donc impossible de parler d’un matriarcat mapuche [37]. La figure de l’homme reste prédominante dans les relations de parenté ; les modifications culturelles, entre autre dues au contact avec les envahisseurs les plus divers, n’ont fait que renforcer cette supériorité que, nous le répétons une fois encore, nous n’avons aucune intention de reproduire, et que nous considérons plutôt comme un facteur à combattre au quotidien et à éliminer de nos vies.

Il faut néanmoins souligner que, comme la plupart des cultures indigènes, la culture mapuche s’inscrit en faux et contre la logique rationnelle du progrès. Comme nous l’avons précisé auparavant, elle n’a pas la prétention de s’imposer, c’est-à-dire qu’elle ne vise pas à sa propre expansion (ni à celle de certains de ses aspects) en tant que vérité absolue, contrairement à la culture occidentale dont c’est une des principales caractéristiques. Dans ce sens, nous sommes fermement convaincu-e-s que ce serait une grave erreur de chercher à anarchiser les communautés mapuches en lutte ; de prétendre qu’elles abandonnent leurs croyances et coutumes pour adopter des « positions éclairées anarchistes ». Ce serait tomber (comme beaucoup l’ont déjà fait) dans ce que nous refusons et combattons, reprendre des positions totalisantes et coercitives qui n’ont rien à voir avec les nôtres. En somme, tenter de s’ingérer dans la culture mapuche reviendrait à porter des dynamiques avant-gardistes et autoritaires.

Pour conclure, il nous est impossible, en tant qu’anarchistes, d’être indifférent-e-s face aux assassinats policiers, à la militarisation des communautés, à l’asphyxie et à l’invisibilisation culturelle du monde mapuche, et de ne pas fraterniser avec la résistance contre la domination et le courage de celles et ceux qui luttent en autonomie pour survivre à la dévastation. C’est pourquoi, à partir de notre positionnement anarchiste qui fait le pari de la conflictualité permanente et de la liberté individuelle, nous cherchons à intensifier la solidarité avec les communautés mapuches en guerre contre l’État et le Capital. Sur ce chemin, nous apprenons et nous faisons notre miel d’aspects qui nous permettent d’aiguiser nos discours et nos pratiques, toujours loin des sacralisations et des idéalisations, et sans prétendre diriger ni donner de leçons à personne.

Kalinov Most (avril 2018)


Santiago (Chili) : « contre ceux qui nous forcent à obéir au quotidien »

Sans Nom, 21 février 2021

Suite à un énième assassinat policier en pleine journée le 5 février 2021 dans la ville de Panguipulli (Chili), des émeutes avaient éclaté dès le soir même, laissant notamment la mairie et plusieurs bâtiments institutionnels en ruines. Elles avaient immédiatement trouvé un écho dans les quartiers de la capitale Santiago, comme on pouvait le lire dans cette synthèse, où plusieurs commissariats avaient été attaqués à Maipú et Puente Alto, tout en réduisant aussi trois bus du réseau RED (ex-Transantiago) en carcasses fumantes les dimanche 7 février et lundi matin suivant, après avoir fait descendre chauffeur et passagers avant de les flamber de la plus belle des manières.

Deux semaines plus tard, le 21 février, l’incendie du troisième de ces bus près de la place Grecia a été revendiqué. Nous en livrons une traduction ci-dessous, en guise de continuité et de suivi de cette révolte :

Attribution de l’attaque incendiaire contre le bus RED du 8 février 2021

Notre attaque est dirigée contre toute entité, symbole et manifestation de l’oppression qui existe, entretenue par l’essence du capitalisme. Tout au long de notre vie, ils nous ont montré que nous ne sommes propriétaires de rien, et face au pacifisme pacté lors d’un faux accord de paix [38], nous déclarons la guerre ! Pas de retour en arrière contre ceux qui nous forcent à obéir au quotidien !

Les idées, les souvenirs et les sentiments de chaque compagnon.ne tombé.e et séquestré.e par l’Etat $hilien sont dans chaque action. Dans la mémoire et dans la rue, nous restons assoiffé.e.s de vengeance contre cette fausse normalité revêtue de pandémie. Tout comme le Wallmapu [39] se soulève, nous incitons les actions incendiaires à se diffuser. Liberté pour les détenu.e.s et que la terre soit vengée !


L’article/communiqué reproduit ci-dessus est un exemple parmi tant d’autres d’actions directes illustrant les liens entre luttes mapuches, guerre sociale et perspectives anarchistes insurrectionnelles. En français, plusieurs ressources anarchistes relaient les luttes mapuches sur internet, parmi lesquelles les blogs suivants (liste non exhaustive) :

 Sans Nom (2020-2023)
https://sansnom.noblogs.org/?s=mapuche

 Attaque (2020-2022)
https://attaque.noblogs.org/post/tag/mapuches/

 Squat !net (2013-2022)
https://fr.squat.net/tag/mapuche/

 Le Chat Noir Émeutier (2011-2016)
https://lechatnoiremeutier.noblogs.org/?s=mapuche
https://lechatnoiremeutier.wordpress.com/tag/communaute-mapuche/
https://lechatnoiremeutier.wordpress.com/tag/resistance-mapuche/

 Contra Info (2010-2015)
https://fr-contrainfo.espiv.net/?s=mapuche

 Le Jura Libertaire (2009-2013)
https://juralib.noblogs.org/?s=mapuche
https://juralib.noblogs.org/tag/mapuche/
http://juralibertaire.over-blog.com/search/mapuche/

À lire également, le recueil de textes paru aux éditions La Souterraine, Entre océans, forêts et volcans. La lutte radicale mapuche, printemps 2022, disponible en PDF sur le site Sans Nom. « Ce recueil rassemble des textes issus de la résistance mapuche dans les territoires sous domination de l’État chilien. Précédés d’une analyse historique de la lutte radicale mapuche, ces textes couvrent un an de lutte (de 2021 à 2022). »

[1Rosales, Historia del Reyno de Chile. Flandes Indiano,1677, p. 117.

[2« Araucans » fut une dénomination que les Castillans donnèrent aux communautés qui vivaient dans le centre-sud du territoire qu’ils appelèrent Chili. Ce mot provient du quechua « auca o purum auca » qui signifie « rebelle ».

[3Le concept de culture trouve son origine dans des rapports de domination ; faute de terme plus approprié, nous utiliserons toutefois celui-ci, l’entendant comme « les ensembles de savoirs, croyances et normes de conduite d’un groupe social, ainsi que les moyens matériels qu’utilisent ses membres pour communiquer entre elles et eux et résoudre des nécessités de toutes sortes ».

[4Boccara G., Los Vencedores. Historia del Pueblo Mapuche en la Época Colonial, 2007, p. 16. Version française : Guillaume Boccara, Guerre et ethnogenèse mapuche dans le Chili colonial. L’invention du soi, Paris, Éditions L’Harmattan, 1998.

[5Le 11 septembre 1541, des Mapuches incendient la ville de Santiago. De 1599 à 1604, les Mapuches furent capables de brûler sept des principales villes du Chili. Cette pratique fut employée de manière récurrente jusqu’à la fin de l’invasion de la monarchie hispanique.

[6Lobera, Chapitre XLIII.

[7En 1934, le massacre de Ranquil mit fin à un soulèvement de communautés mapuches de la zone de Lonquimay. À l’instar de celui-ci, de nombreux autres soulèvements et rebellions furent source de plus ou moins grands maux de tête pour l’État chilien.

[8Nous faisons référence aux entreprises qui s’enrichissent sur l’extraction dévastatrice des ressources naturelles, comme les industries forestières et minières, les centrales hydroélectriques, l’industrie de la pêche, entre autres.

[9Les entreprises forestières ont principalement planté du pin de Monterey qui acidifie le sol et assèche les nappes phréatiques.

[10Article no 10 de la constitution du Chili.

[11Certains secteurs et communautés mapuches ont fait le choix de suivre les directives de développement à outrance de l’État et de se transformer en micro-entrepreneurs en acceptant crédits, infrastructures et parfois terres supplémentaires. Des initiatives ethno-touristiques ont également commencé à voir le jour, avec la construction sur les territoires mapuches de cabanes de vacances. À plusieurs reprises, celles-ci ont été incendiées et détruites par des membres de communautés en conflit, ce qui reflète les divergences insurmontables existant entre communautés.

[12En mapudungún (langue des mapuches) : voleur, envahisseur, usurpateur. Par ce terme, qui vient de « we – inka », les « nouveaux incas », les Mapuches désignaient l’envahisseur ibérique.

[13Lettre du gouverneur Martín García de Loyola au Roi, 18 avril 1593, dans Boccara G., Los Vencedores. Historia del Pueblo Mapuche en la Época Colonial, 2007, p. 30.

[14Boccara G., Los Vencedores. Historia del Pueblo Mapuche en la Época Colonial, 2007, p. 33-40.

[15Ibid., p. 21.

[16Correa y Mella, Las Razones del Illkun/enojo, p. 97.

[17Ibid., p. 283.

[18García Olivo P., Dulce Leviatán : críticos, víctimas y antagónicos del Estado del Bienestar, 2014, p. 181.

[19Il est commun et récurrent d’entendre les Mapuches parler de l’« esprit du lac » ou de « l’esprit de la montagne ».

[20García Olivo P., Dulce Leviatán : críticos, víctimas y antagónicos del Estado del Bienestar, 2014, p. 167.

[21Il ne s’agit pas d’opérer une réduction simpliste désignant l’« Occident » comme la seule expression de domination, en en omettant bien d’autres telles que les Empires inca et aztèque, l’actuel État chinois et tant d’autres qui cherchent et ont cherché à imposer leurs croyances et leurs coutumes. Nous faisons référence et signalons la « domination occidentale » parce que c’est cette vérité qui s’est imposée et tente encore de le faire dans ce territoire du continent américain comme dans beaucoup d’autres.

[22Nous pouvons trouver de telles expressions avec le MCR (Mouvement paysan révolutionnaire) mis en place par le MIR (Mouvement de gauche révolutionnaire) au cours des années 1970 et qui, à travers des actions de prise de terre, parvint à récupérer des domaines pour les paysans. Cette lutte se centrait sur l’attaque de la grande propriété et sur la répartition des terres plus que sur les conditions indigènes d’une grande partie de ses participant-e-s. Plus tard, certaines autres expressions apparurent dans la résistance armée à la dictature de la part du MIR et du FPMR (Front patriotique Manuel Rodríguez) qui explorèrent des dimensions rurales de confrontation armée, se mettant timidement et indirectement en relation avec le monde mapuche.

[23Si c’est principalement la CAM (Coordination Arauco Malleco) qui a mis ce terme au goût du jour, il n’en reste pas moins que celui-ci est couramment employé dans les communautés en conflit dans son sens plein, ainsi qu’avec les exemples auxquels il fait référence : essentiellement les luttes dans le dit « tiers-monde », dans des colonies comme l’Algérie ou d’autres zones d’Afrique.

[24Pascual Pichún, lonko de la communauté de Temulemu, a été l’un des premiers condamnés sous la loi antiterroriste à cinq ans de prison, après avoir été relaxé en première instance, cette décision ayant été annulée par un second procès où les peines furent justifiées par le spectre frappant de « menace terroriste ».

[25« A 10 años de lumako. Un antes, un después », Periódico azkintuwe, 28 octobre 2007, p. 4.

[26C’est peut-être ce point qui déclencha en premier une certaine « polémique » à l’intérieur du monde mapuche, aussi imprégné d’une mixture religieuse avec les chapelles rurales.

[27« Lutte du territoire rebelle », en mapudungun.

[28Pour ne citer que les cas les plus emblématiques, on peut parler d’Alex Lemun, jeune mapuche assassiné par la police lors d’une occupation de domaine en 2002 ; Julio Hunetecura, prisonnier politique mapuche assassiné par des prisonniers de droit commun suite à son transfert dans l’ex-pénitencier de Santiago en 2004 ; Zenén Dias Nécul, jeune de 17 ans écrasé par un camion forestier au cours d’un blocage de route en 2005 ; Jose Huenante, jeune mapuche de 16 ans arrêté par la police dans la ville de Puerto Montt et disparu en 2005 ; Matias Catrileo, tué dans le dos par la police au cours de l’occupation d’un domaine ; Jaime Mendoza Collio, assassiné par la police au cours de l’occupation d’un domaine en 2009 ; Rodrigo Melinao, comunero mapuche alors en clandestinité assassiné par des inconnus en 2013 ; Luis Marileo et Patricio González, jeunes mapuches assassinés par un latifundiste suite à une attaque pour récupérer des armes en 2017.

[29« Fédération Révolte - section antipolicière Antonio Ramón Ramón », revendication de l’attaque explosive contre le commissariat 18 de Ñuñoa, Santiago, décembre 2007.

[30En janvier 2008, après que la police ait tué le jeune mapuche Matías Catrileo en lui tirant dessus, un groupe d’action anarchiste, la « Bande antipatriotique Severino Di Giovanni », revendique l’explosion d’un engin artisanal dans une installation policière à Santiago en réponse à l’assassinat. Récemment, Santiago Maldonado, « Lechuga », compagnon anarchiste qui participait activement à la lutte des mapuches contre l’État argentin, a été arrêté et assassiné par la gendarmerie argentine en 2017. La présence anarchiste est d’ailleurs aussi claire que constante dans les manifestations mapuches parcourant les artères principales des grandes villes chiliennes.

[31Dans son livre La Société contre l’État, Pierre Clastres affirme que les groupes indigènes sans État génèrent des mécanismes qui empêchent la création d’un pouvoir centralisé.

[32García Olivo P., Dulce Leviatán : críticos, víctimas y antagónicos del Estado del Bienestar, 2014, p. 164.

[33Ibid., p. 163.

[34À la différence de que ce pose Alfredo Maria Bonanno, lorsque qu’il exprime son soutien aux mouvements de libération nationale dans Anarchisme et lutte de libération nationale, en 1976.

[35Certain-e-s d’entre nous ont eu la possibilité de participer à des Nguillatunes, cérémonies rituelles mapuches au cours desquelles se résolvent des problèmes de la communauté et où l’on prie les divinités. Nous avons pu y observer clairement la différenciation sexuelle, les femmes s’occupant de la cuisine et étant obligées de porter des jupes, sans aucun vêtement rouge. Un exemple parmi beaucoup d’autres de différences imposées.

[36Relation institutionnalisée où un homme a deux épouses ou plus. On parle de polyandrie lorsque c’est la femme qui peut avoir deux époux ou plus.

[37Boccara G., Los Vencedores. Historia del Pueblo Mapuche en la Época Colonial, 2007, pp. 32-71.

[38La réforme en cours de la Constitution suite au soulèvement de fin 2019.

[39Zone mapuche.


)

Le texte À propos des communautés mapuches en guerre et de la solidarité anarchiste a été publié initialement en espagnol (Chili) en avril 2018 dans la revue anarchiste internationale Kalinov Most n°2, sous le titre « Acerca de las comunidades mapuche en guerra y la solidaridad anárquica », puis dans la version française de la même revue en juin 2018 (traduction effectuée par Kalinov Most).

Site de la revue Kalinov Most :
https://kalinovmost.wordpress.com/



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