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Nos potes violeurs

mis en ligne le 3 mars 2024 - Tempête Mixeur

Sommaire

Intro
Que fait-on de nos potes violeurs ?
« Confronte tes potes violeurs »
Les potes des violeurs
La rédemption des agresseurs
Agresseurs et victimisation

INTRO

On a toustes des violeurs et des agresseurs dans notre entourage. Qu’est-ce qu’on fait à partir de là ? Comment on gère ces situations, comment on réagit, comment on fait évoluer les choses ? Que viser, à quoi s’attendre ? Voilà les questions qu’on se pose dans ce fanzine, en se basant sur nos vécus et nos recherches.

On a écrit ces textes pour un fanzine régulier qu’on fait sur Rennes/ Redon qui s’appelle Tempête Mixeur et qui parle de violences, surtout de violences sexuelles. Le format n’est pas vraiment adaptable pour infokiosques, alors on a voulu rassembler dans un livret les textes qui font sens ensemble et qui nous semblent les plus importants à diffuser. Ce sont des textes qu’on a écrit à un moment T, en réaction à des moments de vie souvent, sur des sujets qui sont toujours en cours de réflexion pour nous. Ce sont plus des propositions, des recherches, des questions, que des réponses.

Si vous avez des trucs à nous dire ou envie de participer, vous pouvez nous écrire à tempete-mixeur@@@protonmail.com.

Août 2022

QUE FAIT-ON DE NOS POTES VIOLEURS ?

Publié dans Tempête Mixeur 1 en juillet 2021

Ma première confrontation directe et consciente avec le viol, ça a été quand ma meilleure amie m’a annoncé qu’elle avait été victime de viol conjugal. Je n’ai eu aucun doute, aucune hésitation sur ce que je devais penser de son violeur. Je le connaissais et je le fréquentais avant ça. Je n’ai eu aucun problème à lui dire le mal que je pensais de lui et à le sortir de ma vie définitivement. C’était – et c’est toujours – très clair pour moi : le gars est une ordure et je lui souhaite de se faire écraser par un bus. Le gars en question a déménagé à 400 km de nous et on ne l’a plus revu. C’était il y a une dizaine d’années et je n’ai jamais changé d’avis sur lui ni sur le fait que je ne veux plus le voir.
Ça a longtemps été simple dans ma tête : les violeurs et les agresseurs sont des personnes abjectes que je refuse d’avoir dans ma vie, et tout le monde devrait faire pareil. Voilà. Je le pensais parce que c’était possible de le penser : les agresseurs que je croisais n’étaient jamais des proches et semblaient tous malveillants et sans remords. Je le pensais aussi parce que j’en avais besoin, dans ma propre histoire.

Ça m’aidait à ne pas sombrer dans le sentiment de culpabilité classique des victimes de viol (mais ça c’est un autre sujet).

Les choses ont changé récemment.

À force de voir écrit « confronte ton pote violeur » dans les toilettes des bars. Aussi à force de mauvaises expériences avec des potes de potes dont on me dit « pourtant c’est une crème ce gars », ou « lui c’est un gars bien », et au final, dans l’intimité, c’est des gars super craignos. Et aussi parce que j’ai avancé sur mes propres traumas et que je suis capable de parler plus facilement de ces choses-là. Bref.
J’ai commencé à poser des questions à mes amis hommes cisgenre.

Sans surprise, il y en a extrêmement peu qui n’ont jamais commis d’agression.

Bizarrement, je n’ai pas été surprise, mais j’ai quand même été choquée.
J’avais déjà senti chez certaines personnes qu’elles avaient le potentiel de faire ça. Chez d’autres, ça a été comme un coup de poing dans le ventre. Parce que au contraire, je ne m’en doutais pas du tout.
Sans doute naïf de ma part, vu l’intensité de la culture du viol dans notre belle société patriarcale. Mais pour quelques hommes cis de mon entourage, j’avais l’espoir. J’avais construit avec eux des relations fortes pendant des années, basées sur la confiance et l’estime.
Je les considérais comme l’exception qui confirme la règle, un peu.
Mais non.

A partir de là tout s’embrouille. J’ai envie de ne pas me précipiter vers une réaction violente, jugeante ou émotionnelle – par respect pour la personne en qui j’ai mis tellement de confiance, et pour la relation dans laquelle je me suis tant investie. Et c’est possible, en partie, pour les histoires de main au cul ou d’insultes sexistes qui datent d’il y a des années. Mais pour le viol ?

J’en ai parlé autour de moi, un peu au hasard, en anonymisant les histoires. J’avais besoin d’avoir d’autres points de vue. Un truc qui est revenu plusieurs fois, c’est qu’il n’y a pas de « mauvaise/bonne réaction », que c’est à moi de fixer mes propres limites et de décider si je veux continuer à fréquenter une personne ou pas. D’accord, mais selon quels critères ? La gravité de l’acte ? Son ancienneté ?
Selon si l’agresseur était sobre ou pas, avait des pathologies psy ou pas ?

On me dit « moi aussi j’ai un·e ami·e/amant·e agresseur·e, et tout se passe bien entre nous ».
Et j’ai du mal à comprendre, j’ai du mal à me voir faire pareil.

Une autre chose qu’on m’a dit plusieurs fois : un critère important, c’est savoir si la personne est susceptible de recommencer. D’accord. Mais comment je sais ça moi ? Impossible de savoir comment quelqu’un se comporte quand il est seul avec une autre personne dans un contexte intime.

On me dit que la cancel culture ça ne sert à rien, qu’isoler les agresseurs ça ne les empêche en rien de continuer. Au contraire, ça les prive de soutien et ça ne les encourage pas à comprendre ce qu’ils
ont fait ou à changer. Et c’est sûrement vrai. Mais ça ne veut pas dire pour autant que j’ai la force d’apporter ce soutien-là, ou que j’en ai envie. C’est pas le cas d’ailleurs, j’ai mes propres galères, j’ai pas la place d’éduquer et de soigner des gens qui ont fait du mal comme on m’a fait du mal.

En en parlant autour de moi, en écoutant les récits d’agresseurs et de personnes ayant subi des agressions, j’ai quand même fini par trouver un point de repère qui m’a guidée : les réactions des agresseurs. Par contre spoiler, ça met pas de bonne humeur. Spéciale dédicace au morceau de Taulard « Dans la roche », qui résume très bien les réponses les plus craignos qu’on peut trouver. (Pour info le morceau prend zéro recul et fait le jeu de la culture du viol à fond, ça donne bien la gerbe).

Trouver ce point de repère là ça a répondu à plusieurs de mes questions d’un coup, d’ailleurs. Je me demandais quelle légitimité j’avais à essentialiser quelqu’un comme ça, parfois pour une seule action, parfois ancienne.

À faire passer quelqu’un de « personne » à « violeur/agresseur ».

Au final en plus de l’acte, c’est beaucoup le discours mis autour qui compte, je trouve. Comme dans « Dans la roche » en fait, si la personne n’a aucun recul, si elle minimise l’agression ou le viol qu’elle a commis, si elle se victimise alors que c’est pas elle la victime, si elle trouve toutes les excuses du monde et a pas l’air de penser aux conséquences de ses actes… Ben ouais, peut-être que là on peut parler de violeur et on peut arrêter de parler aux gens en fait. Je parle au conditionnel mais ces éléments-là, genre tous ces éléments-là ensemble d’un coup, je les ai retrouvés chez plein d’hommes différents. Jusque dans une chanson. Comme quoi la culture du viol elle a des bases solides.

Il y en a, aussi, des gens autour de moi qui sont passés par un autre circuit après avoir agressé quelqu’un. Réaliser ce qu’ils ont fait, comprendre la portée de leurs actes, s’excuser, continuer à vivre avec ça en tête en faisant plus attention aux autres, sans non plus dramatiser/se victimiser. Peut-être que c’est plus facile quand on a fait des choses moins graves aussi, parce que c’est moins lourd à porter. Mais c’est possible apparemment.

J’ai écrit ce texte parce que je me demandais quoi faire et quoi dire face à mes potes violeurs et agresseurs. Je ne sais toujours pas.
Peut-être que c’est pas moi qui devrait me demander comment réagir mais plus eux qui devraient se demander pourquoi ils m’ont mise dans une situation comme ça en fait.


Les deux textes suivants ont été écrits sur le même thème, par deux personnes différentes, sans concertation. On pensait que nos textes allaient s’opposer parce qu’on a des points de vue assez différents sur ces questions, et au final, pas tant que ça.

« CONFRONTE TES POTES VIOLEURS »

Publié dans Tempête Mixeur 2 en juillet 2022

Dans le numéro 1, je me demandais que faire de nos potes violeurs (spoiler : j’en sais rien). Maintenant je me demande que faire des potes de nos potes violeurs. C’est sans fin en fait.

J’ai été confrontée à ces questions-là assez récemment au final, parce qu’avant je déménageais tellement souvent que la question ne se posait pas, je gardais pas ces gens dans ma vie, ni leurs potes. Quand j’ai vu les collages « Confronte tes potes violeurs » dans la rue j’ai trouvé que c’était un bon conseil. Pour moi plus on en parle et moins on fait semblant, plus on va avancer. C’est essentiel de reconnaître ce qui s’est passé et d’y mettre les mots. Déjà pour les victimes. On se sent soutenues, on se sent moins isolées et invisibilisées, notre parole est validée (dans une société qui nous fait douter au max de nous et de notre vécu c’est très précieux). Et pour l’avoir souvent vu, c’est facile pour les agresseurs, sans intervention extérieure, de se réfugier dans le déni, de se dire que c’était pas si grave, que ça compte pas vraiment. Voire d’avoir un sentiment d’impunité et de faire du viol une pratique régulière.

Après, une fois que les mots sont posés, j’imagine que c’est plus simple d’avancer. Comprendre ce qui s’est passé, comment on en est arrivé là, pourquoi. Déconstruire, évoluer, et jamais refaire. J’ai envie d’y croire, mais dans les faits j’ai rarement vécu ou on m’a rarement rapporté de situations similaires. Les agresseurs font du déni ou du ouin ouin et continuent leur petite vie et leurs comportements craignos. Au lieu de prendre quelques mois pour bosser un peu sur eux, c’est aux victimes de payer en temps, énergie ou argent des années de galère et/ou de thérapie. Cimer.

Donc confrontez vos potes violeurs svp. Y en a marre du silence et des non-dits, on aimerait bien avancer.

Moi j’aimerais bien arrêter d’entendre des nouveaux témoignages de viols en perma et de me faire agresser dans quasi toutes mes relations avec des mecs cis. Et ça ça vient de mecs dans le déni, qui font pas le taff et qui se permettent des agressions parce que rien ne les en empêche.

C’est pas facile pour les gens qui ont été victimes de faire ces confrontations-là, mais les autres c’est quoi votre excuse ? C’est trop malaisant, c’est trop dur de savoir comment faire ? Moi non plus je savais pas comment gérer le trauma de multiples viols, mais j’ai pas trop eu le choix.

Donc peut-être qu’il faut juste mettre son petit confort de côté et prendre les choses en main.

Nous on a assez donné. Comment est-ce que vous voulez qu’on vous prenne au sérieux, que ce soit en général ou dans vos engagements politiques ou vos discours « d’alliés », quand vous vous défilez à la seconde où il faut faire quelque chose de concret ?

Ça me paraît toujours incroyable qu’il n’y ait aucune conséquence sociale pour les violeurs, à peine une conversation vaguement malaisante si la victime a la foi de les confronter. Quand je pense à toutes mes ami.es qui évitent des lieux qu’iels adoraient, loupent des événements qui les passionnent, s’éloignent de potes pour pas croiser leur agresseur, ça me met bien la rage. C’est quand les discussions collectives et les actions ? C’est sûr que dans ces circonstances, pourquoi se priver d’un petit viol conjugal ou autre de temps en temps, puisqu’il n’y a que très rarement des conséquences. Quand est-ce qu’on tient les gens responsables de ce qu’ils font ? Un minimum, quoi. Marre que ce soit aux personnes concernées de faire le taff alors qu’on est déjà épuisées. Votre volonté de privilégier votre petit confort a des conséquences.

LES POTES DES VIOLEURS

Publié dans Tempête Mixeur 2 en juillet 2022

Initialement, il y a environ 7-8 ans, j’avais l’impression d’être l’élément perturbateur, celle qui cassait l’ambiance, qui créait du conflit, mettait sur la table des choses liées à l’intime et qui ne concernaient personne hormis moi et mon agresseur. Je me sentais déjà coupable de le dire, de faire porter ce poids aux autres, de leur imposer. Je ne me sentais pas légitime à en parler, à casser ou perturber ses relations, à l’isoler. Je pensais encore à prendre soin de lui, malgré tout. Je prenais donc sur moi et l’évitais. Je questionnais mes amis de sa présence ou non à une soirée et n’y mettais pas les pieds si sa présence était confirmée. Cela a au bout d’un moment été questionné.

« ça fait longtemps maintenant que vous n’êtes plus ensemble, pourquoi tu ne veux plus le voir ? »

Ma décision était pointée du doigt, car incomprise. Cette personne était mon ex. Quelles raisons pouvaient me mener à encore l’éviter, préférer ne plus voir mes amis pour m’assurer de ne pas être confrontée à lui ? J’ai fini par leur dire.

La plupart des personnes à qui j’en ai parlé ont accepté les faits. Ils ne m’ont pas accusée de mentir et m’ont crue mais ils ne savaient pas trop quoi faire de tout ça. La majorité n’a donc pas fait grand chose. Choqués ou en colère sur l’instant, cela ne les a pas empêchés de revoir mon agresseur après, sans jamais chercher à le confronter. Certains également ne comprenaient pas ce que mes aveux voulaient concrètement dire. Marqués par le mot et toute la valeur symbolique qu’il trimballe, cela ne résonnait pas pour autant avec des faits concrets. La méconnaissance des violences sexuelles, de la violence psychologique et des mécanismes d’emprise, ne leur permettait pas forcément d’associer viol et couple. Certains m’ont posé des questions, même si je les sentais fébriles car ils avaient peur de me blesser. On en a finalement peu parlé. Ils restaient ouverts si je posais le sujet sur la table mais ça en restait là. Toutes les démarches devaient venir de moi. Je n’avais pas l’énergie, ni la confiance en moi.
À l’époque j’ai eu l’impression d’être entendue car crue, mais j’ai ressenti également une profonde solitude, l’impression que tout le monde s’en foutait finalement.

Car le traiter de connard ne les a pas empêchés de le revoir.

À cette époque, je considérais qu’il était normal pour moi d’accepter la relation qu’ils voulaient garder avec mon agresseur, cela ne me regardait pas. Cela ne m’a pas empêchée d’avoir l’impression que les violences que j’avais vécues n’étaient finalement pas si graves, ça les rendaient même inexistantes. Je me suis sentie très seule, incomprise et frustrée, sans pouvoir y poser les mots, en me disant que, déjà, j’avais pas à me plaindre, on m’avait crue.
Malgré cette parole diffusée, je ne trouvais pas d’espace pour vraiment en parler. Ma solitude et ma souffrance n’ont fait que s’accentuer. En parler, à part de la gêne et du silence peu assumés, cela ne m’a pas apporté grand chose. La situation a toutefois évolué au fil du temps, bien qu’ils ne coupaient pas frontalement le contact avec lui, certains ont décidé de m’inviter en priorité et si je ne pouvais pas venir, alors ils l’invitaient. Enfin, une conséquence pour m’avoir violée. Ce n’était plus à moi de m’isoler. Il est possible également que leur comportement ait changé avec lui car mon agresseur a fini par couper le contact avec tout le monde, il est parti violer ailleurs. Décision qui n’a fait que confirmer pour certains d’entre eux, la gravité de ce qui s’est passé. « il n’en parlait pas, il ne nous en a jamais parlé ». ça a été un des arguments qu’ils m’ont donné quand je leur ai demandé pourquoi
ils m’ont crue.

Le fait de clamer votre innocence, de nier, de vous confronter, d’en parler, de gueuler comme des putois va en votre faveur. Et je hais ce fait, il se doit de changer.

Cela favorise les personnes socialement à l’aise et fortement intégrées qui peuvent continuer sans peur de violer. Je peux comprendre la longueur du processus de prise en compte des faits, de devoir intégrer le fait que cette personne du groupe, ton pote, celui avec qui tu partages des histoires et expériences, avec qui tu joues et bois, ce pote, c’est un agresseur, et il a pété l’estime de soi et la vie d’une autre personne du groupe et ce n’est pas rien. Ce ne sont pas juste des vagues conflits.
Sachez que l’absence de décision, de réaction, ne fera que laisser la victime seule. Même si vous la croyez, même si vous êtes choqués sur l’instant.
Qu’est ce que cela apporte, si cela ne change rien concrètement ? La vie continue, comme si il ne s’était rien passé, comme si rien n’avait été dit. Il n’est pas possible et acceptable que les accusations soient si peu prises en compte, que les choses continuent de cette manière.

Parlez avec la victime, demandez lui ses besoins, ce qu’il est possible de faire. Soutenez la dans les projets qu’elle entreprend. Discutez entre vous, relayez-vous pour créer un espace de parole pour les
victimes et surtout confrontez vos potes violeurs. Montrez leur que vous savez, que vous savez et n’approuvez pas.

Il est nécessaire que la gestion des agresseurs soit collective.

Ne rien faire c’est la perpétuation facile des violences. Discuter, c’est risquer de se faire happer par sa rhétorique fumeuse et sa position victimaire.
Confronter c’est ne pas laisser le choix. Il n’a pas le choix que de se retrouver face à l’acte qui ne peut être remis en question, qui ne peut être excusé ou justifié.

Violer se doit d’avoir des conséquences.
Lesquelles ? Difficile à dire.
• Demander à la victime ce qu’elle souhaite comme gestion de l’agresseur dans le groupe (discussion, exclusion, gérer la présence de ses deux personnes dans le groupe). Laisser un espace pour que la victime puisse changer d’avis et faire évoluer son positionnement si besoin.
• Ne pas autoriser votre pote violeur à se mettre en avant, à être dans une position de pouvoir (dans un métier ou des loisirs qui favorisent les comportements à risque, les asymétries relationnelles dont il pourrait profiter)
• Que l’agresseur verbalise les violences qu’il a fait subir aux personnes avec qui il aura des relations, notamment sexuelles
• Qu’il entame un suivi psy. (même si ça peut servir à rien)
• Pouvoir rester dans le collectif implique ne pas réitérer.

Vous pouvez aussi vous dire que vous n’avez pas à vous en occuper, vous pouvez en avoir marre et décider de l’exclure de votre vie.
Mais l’exclusion, la perte de l’entourage ne fait pas baisser la récidive et même l’augmente, c’est du moins ce que dit l’article de Jayson Ware et Ruth E. Mann. L’acceptation de la part de l’agresseur, de la violence des faits, s’excuser, avouer, peut également augmenter la récidive car il aura l’impression de n’être aux yeux de tous qu’un violeur, un monstre, qu’il n’y a rien à faire de lui.
La minimisation et le déni peuvent également faire qu’il reproduise ses actes sans se questionner, sans faire évoluer ses pratiques. [1]

Alors que faire ? Je vous avoue, que je vois une limite à tout ça. Une limite qui est due, je pense, à plusieurs facteurs.

Tout d’abord, la perception du viol et des violeurs par la société.
Bien que ce soit de moins en moins le cas, le viol reste perçu comme un acte rare et innommable fait par des êtres monstrueux. Rhétorique qui rend difficile pour l’auteur, de s’y reconnaître. Le violeur ne peut alors être qu’un monstre, quelqu’un d’abject et à rejeter. Cette perception empêche les discussions. [2]
Tant que le sujet n’est pas pris collectivement, nous n’avancerons pas, tant que le sujet n’est pensé qu’en terme de traitement judiciaire, nous n’avancerons pas. Cette violence est trop commune pour ne la percevoir que par ce biais.

Nous punissons des violeurs et leur apprenons la gravité de leurs actes alors que la société tolère toujours les violences sexuelles.

Cet illogisme ne peut pas fonctionner et ne permet pas de faire évoluer les mentalités car tout rappellera à l’agresseur qu’il peut s’autoriser à le faire. De manière générale, la société valorise beaucoup trop les abus de pouvoir qui sont directement nourris par le capitalisme, le productivisme et la méritocratie. Alors à quoi bon faire des leçons quand tout le système valorise les comportements d’oppression ?

En plus de ce problème collectif, il y a le problème individuel. La personne a-t-elle envie d’évoluer ? A-t-elle envie de ne plus violer ? Pourquoi a-t-elle violé ? À quel point cet agresseur se complaît dans cet abus de pouvoir ? Pourquoi ne continuerait-il pas de violer ? Qu’est ce qui l’en empêche ? J’ai l’impression parfois que nous faisons trop confiance en la bonne volonté des gens, en leur volonté de ne pas vouloir faire du mal, en leur volonté de changer
Alors qu’au fond, ils peuvent juste s’en foutre ou y être habitué, ou juste ne pas avoir trouvé d’autres moyens pour être satisfait que de violenter pour éviter la frustration, pour se donner de l’estime de soi ou pour les exciter.

Que faire alors de ces personnes ? Comment faire collectif avec eux ?

Il n’y a pas de bonnes solutions.
Je n’en vois pas.

Ce que je vois, généralement dans les collectifs ou groupe d’amis, c’est : ne rien faire ou l’exclusion. Le premier ne fonctionne pas, le second déplace le problème ailleurs. Les victimes ont au moins le mérite d’être plus soutenues dans le second cas et cela montre que violenter a des conséquences, qu’on ne peut pas se permettre de faire tout et n’importe quoi.

Je vous avoue, que je crois en cette idée qu’il nous faut poser des limites radicales et sans appel. Des limites qui créeront la peur, la peur des conséquences, du rejet ou de l’exclusion, au moins temporairement, tant que la société est aussi sexiste et violente.

Il faut que les agresseurs aient peur et la peur, ça ne se construit pas avec écoute et empathie.
La peur contraint.

Elle contraint à tel point que certaines personnes ne violent pas par simple peur des représailles. [3]

Alors faisons changer la peur de camps et comme dit Virginie Despentes : « le jour où les mecs auront peur de se faire lacérer la bite à coups de cutter, ils sauront brusquement mieux contrôler leurs pulsions masculines, et comprendre ce que « non » veut dire. »

LA RÉDEMPTION DES AGRESSEURS

J’ai dû mal à croire en la rédemption des agresseurs. Leur discours sur la compréhension des faits et le fait qu’ils ne recommenceront plus, je l’ai trop entendu. Car c’est quoi outrepasser le consentement de quelqu’un ? L’un me disait “plus jamais je ne considérerais le corps de l’autre comme pouvant être touché sans sa permission”.
Est-ce suffisant pour ne pas violer ? Bien sur que non. Cette même personne qui après lui avoir dis que la sexualité avait peu d’importance pour moi et que je ne regardais pas de porno car cela ne m’intéressait pas, me proposa, tout en me disant “vraiment c’est comme tu veux” de regarder un porno en se masturbant ensemble. Il suffisait de m’avoir écouter les 20 dernières minutes pour savoir que cette demande n’avait aucun sens. C’est lui qui a commencé à parler de sexualité, j’ai pensé couper court en lui parlant de mon désintérêt et des violences que j’avais vécu mais cela n’a rien changé. Qu’est ce qui a pu lui faire croire que ça avait du sens de me demander ça.
Rien.

Lui n’avait que son espoir, espoir que peut être malgré tout je dirais oui, quelles qu’en soit les raisons.

Que je dise oui pour lui faire plaisir ou ne sachant pas dire non, cela ne lui importe peu. Le seul objectif est que je dise oui. Si je ne réponds pas clairement, il insistera car il veut sa réponse, réponse que j’avais pourtant déjà donné avant même qu’il me pose la question. Me voilà rassurer sur l’avenir de cet agresseur et sur le fait qu’effective- ment, jamais il ne violera plus. Mais il me l’a dis, il ne touchera plus sans permission. Que fait-on alors de la persuasion, de la demande répétée entourée d’une fausse couche de choix et d’écoute quand lui tourne dans sa tête, que peut-être, cette fois-ci ça passera. Ces rajouts superficiels faisant croire à un choix ne fait que rendre le discours plus ambigu et isoler les victimes. Celle qui ne s’opposera pas à ses demandes se souviendra du “fais comme tu veux” alors que tout la mise en scène et les discussions sont orientées sur ses désirs et sur cette finalité tant attendue. Le violeur repenti, qui violera subtilement. Rassurant son égo, meurtrissant celui des autres.

AGRESSEUR & VICTIMISATION

Alors. Comme c’est souvent moi qui essaye de parler aux violeurs de mon entourage, c’est souvent moi qui me prends en pleine gueule leurs discours merdiques. J’ai fait une sélection de trois phrases qui sont revenues très souvent, et que je trouve totalement inentendables. J’en ai marre qu’elles soient dans ma tête, elles sont donc maintenant sur ce papier.

« Je suis un monstre »

On commence fort, avec une phrase trèèèès utilisée et honteusement scandaleuse (oui). On m’a dit ça plusieurs fois dans un contexte où je reprochais à la personne de ne pas respecter mon consentement (d’autres ami.es l’ont aussi entendue, c’est un classique on dirait)

Déjà, ça décentre complètement le discours. On était dans une situation ou quelqu’un s’exprimait sur ses limites et sur les actions de la personne en face. Maintenant on parle de la nature de la personne en face, de qui elle est, et plus du tout de ce qu’elle a fait. Hmm.

C’est une phrase qui joue sur le mythe de la personne (souvent homme cis, on va pas se mentir) qui est victime de ses pulsions.
Le côté « j’ai des besoins, c’est dans ma nature, j’y peux rien ». Ça a l’air ultra désuet mais des gens supposément très déconstruits utilisent encore ça de nos jours. Incroyable.

Pour moi c’est assez clair que c’est une façon de se déresponsabiliser, de faire comme si la personne était victime d’un truc biologique incontrôlable et n’avait donc pas à assumer ses actes. Bien pratique, tout ça. J’aurais tendance à dire qu’on a toustes des besoins et des pulsions, mais que certains font le choix de faire passer ça avant le bien-être d’autrui.

« Je ne me suis pas rendu compte »

Phrase que j’ai aussi beaucoup entendue. J’y ai cru longtemps. Des fois j’y crois encore un peu je crois.
Sauf que plus le temps passe et moins je trouve ça crédible. Entre les indices dans les mots, les gestes, les attitudes, les expressions du corps et du visage. Même si la personne ne dit pas non, même si elle ne repousse pas l’autre physiquement, je ne vois pas à quel moment interagir sexuellement avec quelqu’un de crispé, absent, immobile ou autre ça semble normal. Ça me paraît être la base de faire un minimum attention à comment se sent saon partenaire.

Peut-être que des fois c’est plus compliqué, notamment quand on est sous substance. Mais dans ce cas, ne pas mélanger substance et sexe ça me paraît pas insurmontable non plus. Pour moi le violeur a fait un choix, celui d’ignorer les signaux de la personne en face, de jouer sur la notion de consentement. Là encore, c’est se mettre dans une position de victime. Victime de la situation, du contexte, de son manque d’éducation… Un peu facile.

« Je souffre d’être un agresseur/ violeur »

J’avoue que j’ai peu de patience pour ce discours. Je l’ai souvent entendu brandit comme un drapeau dans une quête de rédemption facile. Ça me paraît assez normal de ressentir de la souffrance quand on a violé quelqu’un. Ça ne change pas grand-chose. Se concentrer là-dessus pour mieux ne rien faire à côté et surtout ne jamais se remettre en question, ça n’attire pas ma pitié en tout cas.

C’est incroyable parce que je vois rarement des personnes victimes d’agressions sortir les violons et tenter d’attendrir la foule, d’amener les gens à pleurer sur leur sort, ou se complaire dans leur malheur. Alors que des personnes qui ont violé, oui. Ouin ouin. Trop dur d’avoir privilégié son plaisir au bien-être de quelqu’un. Quasi 100 % des conversations que j’ai eues avec des violeurs, je les ai vus essayer de prendre le rôle de la victime. C’est fréquent sur les témoignages qu’on trouve en ligne aussi. Je trouve ça dangereux comme positionnement, ça bloque la remise en question, ça permet d’avoir du soutien facile de son entourage qui va pas oser remettre la personne en question non plus, ça empêche de réfléchir vraiment à ce qui s’est passé. C’est peut-être pour ça aussi que les gens confrontent pas trop leurs potes violeurs. Bien vu les potes violeurs, ça marche bien, et c’est bien rageant pour les victimes.

Parce que pendant que les violeurs se font consoler, devinez qui gère les vrais traumas tout·es seul·es ?

[1Jayson Ware, Ruth E. Mann, 2012, How should « acceptance of responsability » be addressed in sexual offending treatment programs ?

[3Étude de 2016 de Massil Benbouriche où 150 hommes de 20 à 39 ans ont répondu à la question suivante : « Si vous étiez absolument certain que Marie ne porte jamais plainte et que vous ne soyez jamais poursuivi, quelles seraient les chances d’avoir une relation sexuelle avec Marie alors qu’elle n’est pas d’accord ? ». Près de 30% ont répondu explicitement une intention de commettre un viol.




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