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Ni victimes, ni coupables

mis en ligne le 3 septembre 2022 - zinetravaildusexe

Il y a eu cet appel à contribution :

« Nos agressions sont souvent réduites à des statistiques, des arguments pour des abolitionnistes pour gagner le débat de la criminalisation. Nos expériences sont transformées en arguments pour manipuler. On nous retire trop souvent la parole en nous infantilisant, en croyant mieux savoir que nous. Soit nos narrations restent murées dans le silence, soit elles ne sont pas écoutées car elles ne collent pas avec l’image de la∙e travailleu∙r∙se du sexe indépendant∙e, libre, épanoui∙e,…

Pour les autres on est toujours soit totalement épanoui∙e soit victime, fort∙e ou abusé∙e. On est toujours fantasmé∙e comme l’un∙e ou l’autre. Alors qu’en réalité on est généralement tou∙te∙s un peu des deux, ou même jamais vraiment aucun∙e des deux. Notre vécu est toujours très nuancé, et se situe plutôt quelque part entre ces deux clichés réducteurs.

L’idée de ce zine c’est de donner un espace pour se réapproprier le stigmate, ses représentations, ses créations, ses tabous, souvent associé au travail du sexe et/ou abus (sexuels)… Raconter les liens ou non­liens entre nos agressions et viols et faire le tapin. Partager ces histoires, nos analyses, nos réflexions, nos témoignages ou avoir simplement besoin ou envie de crier sa rage, sa haine, sa tristesse, sa joie, ses peurs, sa colère, son amour,… De raconter et de visibiliser nos histoires avec nos propres mots, expériences et réflexions. Une manière de les faire vivre dans leur pluralité comme quelque chose de concret.

Évidemment je me rends bien compte qu’un zine n’est pas assez pour explorer la complexité et la singularité de nos narrations. Mais peut­être que c’est un début pour démanteler les discours oppressifs que les travailleu∙rs∙ses abusé∙e∙s à l’intérieur et en dehors de l’industrie du sexe ont besoin d’être sauvé∙e∙s et sont incapables de parler pour elleux­mêmes ? Ou Peut­être que ça nous aura juste fait du bien, et c’est très bien aussi ! »

Suite à ça avec des potes on a commencé à écrire, dessiner, parler, puis il y a eu des contributions par mail. Ces quelques pages sont le fruit de tout ca. On a gardé le langage que les auteurs ont eux mêmes utilisés. On pense que c’est à elleux même de décider quels termes iels veulent utiliser pour elleux mêmes et leurs expériences.

Bonne lecture !

J’étais chez ce mec vieux avec des belles mains. C’était quelqu’un de banal : ni bizarre, ni inintéressant. Il me file les thunes et on se déshabille vite. On garde nos chaussettes car il fait froid dehors. On s’allonge, je l’embrasse et caresse doucement son torse. Il accélère le rythme. Je suis agréablement. Il ne parle pas beaucoup, et ne demande pas trop comment je vais. Il me dit doucement qu’il adore mon corps enfantin. La phrase me glace le sang, mais j’essaye de passer au dessus : « pense aux thunes dont tu as vraiment besoin ».

Arrive un moment ou il m’attrape les bras un peu trop brutalement. Je lui dis d’arrêter.

Arrive un moment il met sa main dans ma bouche en m’étouffant avec. Je le repousse. Arrive un moment ou il met sa queue un peu trop brutalement dans ma gorge. Je lui dit que c’est un connard de me faire ça. Je lui dit que j’arrête, que je ne veux plus, qu’il me fait mal. Il me dit rien mais me regarde.

Arrive un moment ou il me pénètre sèchement pendant que je me rhabille. Je suffoque un peu de douleur.

Arrive un moment il me baisse la tête, appuie avec toute sa force sur mon corps. Je me débats légèrement. Arrive un moment ou je réussis à lui péter le nez, me lever, ouvrir la porte et à sortir. Je suis dehors et je marche dans la ville où rien semble avoir changé, pourtant moi je me sens tout bizarre.

Il m’a offert une bouteille de blanc au début du rendez-­vous. J’sais pas quand je boirai ça. J’ai rien à célébrer de toute façon. Depuis que j’ai 16 ans j’ai pris la voix du délire. J’ai quelques traits de mecs mais une gueule de petite fille. J’ai toujours eu des coupes de cheveux chelous, je fait ça bien. Ça me veillerait presque. Mais rien. Aucune trace de mon âge. C’est pour ça que je plaît aux vieux ? Bref, je sais pas pourquoi je réfléchis à tout ça, je veux tout oublier et me laisser m’enfoncer dans la brume dégueulasse dans laquelle s’enfonce l’avenir.

Je me paye un restau chinois à 10 balles même si ce n’est pas raisonnable. La raison, je ne sais pas bien ou elle est passé. J’ai faim de baise. La baise me fatigue. La baise paye un bon repas.

Poème inspiré de femme in public par alok vaid­menon

Quand les rues sont vides
quand les gentes se confinent chez eux
Ou doit on travailler ?
J’ai tenté de bosser
mais je suis allée dehors et
ils m’ont punie pour ça.
J’ai tenté de me faire de l’argent
Mais je suis allée voir ce client dangereux et
je me suis punie pour ça

Ou se rendent nos putes agressées ?

l’autre jour mon amie m’a dit
qu’elle pensait se tuer ­n’arrivait pas à comprendre qu’en fait on en a
rien à foutre de nous­

elle demandait, je crois
pourquoi on dit « vous êtes des pauvres victimes, on va vous aider »
et non « on en a rien à foutre de vous » oké on vous traite comme de la
merde c’est vrai »
comme si la putophobie
était une chose que l’on choisit
et non l’inverse

ou se rendent nos putes agressées ?

Quand on nous a dit que c’était normal
(mais que c’était faux)
quand on nous a dit que la solution est de sortir de la « prostitution »
(mais que ce n’est pas le fond du problème)

ou se rendent nos putes agressées ?

Dans ce monde qui exige de nous
qu’on accepte leurs préjugés pour rassurer ceux dont les mains
étranglent nos cous pour que les mêmes
dont les mains étranglent nos cous puissent reconnaître
que leurs mains étranglent nos cous

quand le seul moyen de guérir est de lutter ?
une autre collègue agressée et son histoire
de la guerre mondiale contre son existence
que l’on ne peut pas entendre à cause
de la guerre mondiale sur notre propre existence ?
quand une société est plus prompte
à nous dire d’arrêter ce travail qu’à
dire d’arrêter de blesser ?
dis-­moi : où se rendent toutes nos collègues agressées ?

* * * *

Coucou N, tu peux me dire un peu pourquoi tu as eu envie de participer au zine ?

Oui bien sûr ! Déjà j’avais simplement envie de participer à un zine puterie haha ! Non, plus sérieusement quand j’ai vu le sujet je me suis dit que j’avais envie de parler de ça, que c’était un sujet rarement abordé dans mon entourage, et c’est bien dommage !! Je suis tds depuis 6 ans et des agressions j’en ai vécu haha...

T’en as parlé à ton entourage ? Ou plutôt c’est un truc que tu partageais rarement voire pas du tout ?

À chaque fois j’en ai parlé à des potes. Mais je sentais une espèce de gêne. À chaque fois iels (ses potes ndrl) en parlent comme si ça arrivait que dans le tds. Sans aller plus loin, et questionner comment ça fait qu’il y ait autant d’agressions dans ce métier, comment la façon dont l’opinion politique, médiatique et les gentes voient les putes influencent le regard qu’on porte sur nous. Le fait de considérer que c’est presque évident qu’on se fait agresser fait partie de la putophobie selon moi. Aussi on en parle sans le remettre dans un contexte du monde où il y a une culture du viol super présente. Comme si dans d’autres travails, dans les familles, les couples, la rue, la problématique n’existe pas. Alors que les viols et les agressions sexuelles il y en a partout : dans les familles, dans les couples, à l’école, dans la rue, dans les soirées, dans d’autres travails etc. C’est encouragé par les médias, par les pubs, on le porte en nous car on a baigné dedans depuis tout petit. J’ai vécu des agressions même avant d’avoir taffé. J’ai débuté ma sexualité PD d’une façon pas très ok, avec beaucoup de dépassements de consentement, des trucs où je me mettais la pression, beaucoup axé sur la performance, etc etc. C’est sur qu’il y a des agressions dans le TDS mais la facon dont mes potes et d’autres gens se focalisent la=dessus pour moi n’ent pas honnete, du coup ca donne pas envie d’en parler quand il y en as...

Le travail du sexe a changé le rapport au cul pour toi ?

Oui clairement, je pense que justement ça m’a aidé à comprendre mes propres limites, à les poser mais aussi à demander clairement le consentement à l’autre, de poser des questions quand on est pas sûr, de vérifier si c’est toujours ok, etc. Surtout que j’aime trop me faire baiser comme une chienne, haha, du coup bah j’ai besoin de poser ces trucs là, car mon consentement peut être vite dépassé, surtout dans un cadre de travail.

Tu parles du fait que ça t’a aidé dans ta relation au consentement. Tu penses que ça t’a aidé aussi dans l’autodéfense ?

Oui ! Je pense que c’est de ça aussi que j’ai envie de parler quand on parle des agressions de la part des clients. Comment se défendre ? Quels outils ? Comment les proches peuvent nous aider ? Clairement, le TDS m’a donné de la force dans la riposte. À réagir quand quelque chose me déplaît, quand on veut forcer mes limites, quand on veut m’agresser physiquement, meme en dehors d’un cadre de travail. Je pense par contre que les agressions verbales, j’ai encore du mal à me défendre. Souvent je suis juste bouche bée. Je sais pas trop quoi faire ou dire haha ! Mais je pense que c’est des choses que t’apprends, du coup peut­être dans quelques mois, je ne dirais plus la même chose. J’espère !! Aussi je pense que quelque part vivre sa sexualité pleinement, ne pas avoir honte de sa sexualité, d’être pute, PD, et en être fière pour le vivre pleinement, il vaut mieux savoir se défendre de toute façon. Le monde est encore réticent sur les diversités de non­sexualités ou sexualités. Mais je me dis que c’est un zine à part tout ça...tu pourra en faire un deuxième sur ça, moi je kifferais en tout cas haha !

On a bu un thé à la menthe.

* * * *

J’ai grandi près d’un quartier composé de personnes à faible revenu où l’on sait que les emplois sont rares et que la survie y passe par des moyens nécessaires. La vente et les services sexuels rémunérés sont des choses dont la demande et l’offre y sont infinies (que ça soit dans le quartier même ou les personnes qui y vivent qui vont le faire ailleurs). Je me souviens lorsque j’étais petit, je voyais ces femmes assises derrière des vitrines aux néons rouges, et en traînant près de chez moi, je voyais celles devant les boîtes de nuit à la recherche de clients. Elles me suscitaient une certaine fascination, les gens les rabaissaient alors que je comprenais que certains les baisaient en secret. On les imaginait toujours malheureuses et soumises. De temps en temps, certaines s’asseyaient à côté de moi et on papotais de nos vies. Parfois, elles me confiaient leurs douleurs, l’envie de changer de boulot, d’avoir du choix dans la vie. Écouter certaines de ces personnes qui me parlaient d’égal à égal a fait envoler mes imaginaires fabriqués par les adultes. Je me rendais compte que c’était juste des adultes qui essayaient de gagner leur pain, pas si différent des autres adultes autour de moi.

Mais leurs paroles m’ont aussi conduit à me poser les questions suivantes : pourquoi elles font ça ? Est-­ce simplement par choix ou par contrainte, ou c’est à cause d’autres facteurs plus importants ? Puis plus tard : qu’est­-ce qui a fait que j’ai moi­même commencé ce travail ? Pourquoi ?

En grandissant, je réalisais toujours un peu plus que je vivais dans une prison à ciel ouvert, emprisonnée par l’argent, des structures étatiques, familiales et morales. J’ai vécu en tant que petite fille dans un monde adulte. J’ai vu des proches partir en prison pour longtemps, j’ai vu des chasses aux sans­papiers, j’ai vu et entendu des gens se faire harceler dans la rue, à l’école, dans leurs familles, j’ai vu des gens perdre leur vie au travail, j’ai vu comment sortir ou d’être en dehors d’une norme dominante pouvait influencer plein d’aspects de ta vie. Tout cela incluant la perte d’ami.e.s et de membres de ma famille suite à des suicides et overdoses, m’a laissé avec une certaine rage envers ce monde. Pour sortir la tête de l’eau à mon tour, j’ai du trouver des moyens. Certains ont commencé à voler, d’autres ont repris les codes du pouvoir en écrasant leurs propres voisins, d’autres ont commencé à nettoyer des chiottes. Pour moi, c’était plus facile d’ouvrir mes jambes.

Il m’était évident que le système capitaliste profite et s’accroche à une part de réalité de tds exploités. Et à l’inverse efface celles pour qui c’est un travail qu’elles ne trouvent pas pire que les autres, y trouvent leur compte, ont quitté leur ancien job pour faire celui­ci. J’ai vu, sans me rendre compte, comment il existait un véritable marché de sexualisation des corps, mais une stigmatisation infernale pour celles qui l’utilisaient pour en faire profit. J’ai vu comment elles étaient stigmatisées, ciblées, punies et comment cela les rendait plus vulnérables. J’ai vu comment la logique contre les putes est la même logique que celles des frontières, des prisons et de la police… Mais j’ai quand même commencé à exercer. Parce qu’à ce moment­là, c’est ce qui s’est présenté à moi, c’est ce qui me semblait le plus facile à faire parce que de toute façon, mes options étaient au pire avoir un autre métier de merde et au mieux respectable, parce que j’avais besoin d’argent, vite. J’avais 17 ans. Plus tard, je me suis aussi rendu compte qu’il s’agissait d’une autodestruction dûe à une colère intériorisée et réprimée. Je faisais de la merde avec des gens de merde, dans un monde de merde, parce que mes options étaient à ce moment­là, de toute façon réduites à pas­grand­chose. Ce n’était pas le métier en soi qui m’était violent, mais les conditions dans lesquelles je l’exerçais.

Je me suis revendiqué "pute" des années après ma première passe. Ce n’était pas seulement pour m’approprier un mot insultant, pour balayer la honte, ou par revendication féministe. Pour moi être une pute, était avant tout une déclaration politique personnelle.

Je me dis pute pas parce que je veux que ça devienne un métier comme les autres, je me dis pute, travailleuse du sexe parce que je refuse ce monde, et en faire partie ne me fait pas envie. C’est un fuck aux gens qui m’ont collé une image victimisante à la gueule parce que je faisais ce travail tout court, ou parce que je faisais ce travail d’une façon qui m’a fait souffrir, qui propagent des discours que les gens veulent désespérément entendre. Qui pensent qu’ils peuvent utiliser les outils de l’État pour instaurer la destruction de tous les rapports de pouvoir, alors qu’en fin de compte collaborent toujours avec la police. Qui agissent en font des actions qui font respecter les frontières, l’hétéronormativité puritaine, les normes sexuelles, surveillant les personnes indésirables, déviantes, ... Qui montre bien qu’iels perçoivent toujours l’état et la police comme quelque chose de bien, qui a seulement besoin d’être modifié et réformé pour fonctionner correctement. Et ce n’est pas ce que je porte. La façon dont j’ai à me dire pute se confronte aux industries, à la misogynie, aux cartels d’esclaves sexuels, et à tous ceux qui s’enrichissent en asservissant des personnes en galère. Le moment où j’ai commencé à me dire pute correspond à peu près au moment où j’ai voulu changer mes conditions de boulot. J’ai quitté l’environnement toxique dans lequel j’étais, les clients de merde. Je voulais continuer à travailler d’une façon différente pour être le plus indépendant possible, avoir un rapport d’échange à l’argent le plus direct possible.

J’ai occupé d’autres emplois, mais je reviens à chaque fois au travail du sexe (sous différentes formes) parce qu’il me permet de mieux contrôler mon temps et mon corps. Le travail du sexe n’’est pas parfait, mais il me donne l’autonomie que les autres emplois n’ont pas. Et jusqu’à ce que ce monde crève, ça me va.

Je n’ai pas trouvé dans ce texte l’espace pour parler de tous les aspects qui composent le fait que je continue à faire ce métier. Il y a pourtant d’autres aspects qui influencent le fait de choisir ce métier plutôt qu’un autre : le fait que la sexualité déviante prenne une place importante dans ma vie, que j’aime certains de mes clients actuels, que l’accès à la sexualité n’est pas le même pour tout le monde et qu’être là pour des gens qui n’y ont pas accès me fait sens, que j’essaye d’offrir des espaces non jugeants et bienveillants pour explorer et vivre ses kink et fetish et comment j’aimerais voir ces espaces sortir de la honte et dans d’autres mains que les travailleuses du sexe. Mais le sujet n’en est pas là, et l’envie de les développer non plus. IL me semblait pourtant important de le notifier.

A la mort de Jessica, j’ai écouté cette chanson en boucle. J’avais la certitude encore une fois que certains vies valent moins que d’autres, dans le cas de sa mort c’est le le stigma de la putain qui fait que l’on se fait assassiné. Sur sa mort pèse la pénalisation du client, le mépris à l’égard des personnes trans, la haine des travailleuses du sexe et le maintient des frontières physiques et psychologiques. C’est une chanson qui m’a fait du bien, qui m’a apaisé dans ma tristesse. Alors je vous la partage :

Maintenant qu’tes morte voila qu’tu fais la une des faits divers partout
Y a même pas d’nom tout l’monde s’en fout
Maintenant qu’t’es morte on verra qui est­-ce qui viendra t’chercher
dans ton trou
Le corps d’une pute tout le monde s’en fout

But now we dont play so don’t pretend
Mais à présent on ne joue pas alors ne fais pas semblant
To be anyone else but you
D’être quelqu’un d’autre que toi
You get down when I told you to
Tu te mets à terre quand je te dis de le faire
Im sick of yer Whinnin’
J’en ai marre de tes couinements
But now we dont play so don’t pretend
Mais à présent on ne joue pas alors ne fais pas semblant
To be anyone else but you
D’être quelqu’un d’autre que toi
Yer just a Hooker n’ I’ll kill you
Tu es juste une pute et je vais te tuer
Yeah I’ll fuckin’ kill ye
Ouais je vais te tuer

-­Mon dragon, le corps d’Ama­-

J’aime pas ce travail. J’aime pas le travail.
J’aime pas travailler.
La violence c’est le fait même de bosser.
La violence c’est quand tu te fais agresser
par un client parce qu’il se croit permis de le faire.
La violence c’est quand on nous dit que ce
n’est pas un travail comme les autres.
La violence c’est quand on nous dit que c’est
un travail comme les autres.
La violence c’est quand on nous dit que c’est
logique qu’on se fasse harceler, voler, humilier,
agresser, violer, tuer, et que
c’est presque normal.
La violence c’est quand on vient nous dire ce qui est mieux pour nous.
La violence c’est quand on nous dit que c’est super­méga’féministe
ce que l’on fait alors qu’on galère juste à gagner de quoi vivre
La violence c’est quand on nous dit qu’on peut pas élever nos
enfants, avoir des relations
La violence c’est quand nos amant.e.s nous tappent des crises de
jalousie parce qu’on est travailleureuses du sexe
La violence c’est quand je veux quitter le travail du sexe pour faire
autre chose, et qu’il y a un gros blanc sur notre CV parce qu’on
n’ose/veut pas mettre « strip­tiseuses, escorte, call­girl »
La violence c’est que la banque, la CAF nos proprios ne veulent pas
de nous à cause de ce qu’on exerce
La violence c’est ne jamais parler de notre travail
La violence c’est quand on croit que je peux toujours être disponible
pour tout le monde parce que nos horaires de travail sont
« déplaçables »
La violence c’est quand on ose nous poser des questions intimes sur
notre sexualité sous prétexte qu’on « baise ou se sexualise » dans
notre travail.
La violence c’est quand…
Bref, la liste peut s’allonger encore longtemps

* * * *

Mon expérience du TDS dans ma réparation post­traumas

J’ai écris ce texte en pensant au contenu que j’aurai aimé lire il y a quelques années. Du coup il s’adresse à mes collègues et aux personnes en questionnement quant à ce taffe. Travailleureuse social, abolo, passe ton chemin. Et si tu utilises ce texte à tes fins putophobes, va mourir.

Il y a plein de raisons qui m’ont poussés et me poussent encore à faire du travail du sexe. Raison économique en premier lieu, d’indépendance d’un taffe non déclaré,… Mais parmi toutes les différentes raisons, certaines étaient liées à mon histoire de violence sexuelle.

Je pense que le fait d’avoir été incestée et violée à plusieurs reprises dans ma vie a eu un effet sur le choix de ce travail.

Très clairement, après plusieurs années ou cette envie de taffe me trottait en tête, je me suis lancée quelques mois après avoir réalisé l’inceste que j’avais subi dans l’enfance.

Cet évènement a provoqué chez moi l’impossibilité d’avoir des relations sexuelles avec quiconque.

Alors je me suis dit que ça pouvait être le moment de commencer ce taffe ; j’avais encore des appréhensions à cette époque sur le fait que le TDS pouvait « m’abîmer »dans ma vie sexuelle perso (peur de l’agression sexuelle par des clients notamment), mais étant donné que de toute manière j’étais, non par choix, dans une période assez longue d’asexualité, au mieux ce travail me réparait un peu, au pire de toute manière je ne pouvais déjà plus faire de sexe…

Je vais tenter de revenir sur les raisons (celles liées aux agressions sexuelles passées) qui m’ont donné envie/qui m’ont rendu plus facile d’imaginer faire du TDS. Aussi sur les projections que j’avais (positives et mes peurs), et puis, en regard, de raconter, après 3 ans de diverses expériences dans ce taffe (escorting, domination, soumission, travail en duo ou seule, porno), ce qu’il s’est effectivement passé pour moi dans la réalité.

Pour me situer, je suis très privilégiée dans ce taffe ; je suis une meuf cis blanche, très bien entourée et ce taffe n’est pas ma seule source de revenu, ce n’est donc pas toujours une pratique régulière.

­ changement de ma vie sexuelle perso ­

Les projections négatives que j’avais étaient que j’avais peur que ça me créée des blocages, d’être dégoûtée, de voir le sexe comme un taffe. J’avais peur aussi de vivre quelque chose de très intrusif, d’offrir à quelqu’un une chose à moi que je ne veux pas offrir à n’importe qui.

Dans la réalité :

Mon vécu traumatique conditionne ce que je trouve intrusif ou pas dans mes pratiques. Je n’ai pas le même ressenti que d’autres potes.ses TDS. Sucer des bites par exemple ne me paraît pas intrusif ou intime, par rapport à d’autres pratiques. J’imagine que c’est lié aux types de violences sexuelles que j’ai vécu. Par rapport aux blocages, le TDS a continué un processus (déjà bien entamé avant ce taffe) de cesser le sexe perso avec des mecs cis. Peut être pour pouvoir continuer à faire du sexe sans avoir la sensation d’être au taffe. Ce n’est pas quelque chose que je porte politiquement ou éthiquement, mais je vois bien que ça provoque ça. Je vois bien aussi qu’en fonction des interactions avec les clients, qu’elles soient plus ou moins respectueuses et douces, ou violentes et dégueulasses (parfois dans les échanges avant RDV), j’ai mon taux de mysandrie anti mec­cis qui diminue ou augmente. ­

La dissociation ­

Mes projections :

Lié aux traumas vécus, j’avais pas mal de dissociations dans ma vie sexuelle, c’est à dire des moments, pendant la sexualité, ou je ne suis plus vraiment concentrée, dans mon corps, ou je n’arrive plus trop à savoir si j’ai envie de ce qui se passe ou pas du tout,….

En positif je me disais que ce serait sûrement pas si compliqué de faire du TDS puisque j’avais une capacité assez balaise de me dissocier pendant les moments de sexualité.

Mais, si ça facilitait sur un côté très pratique le moment en lui même avec le client, j’appréhendais de « jouer » avec ça. Je craignais que d’une part je n’ai pas accès à mes limites (et donc que je ne sois pas capable de me protéger) et d’autre part que ça « rajoute » du trauma (la peur, dont je ne sais pas si elle est rationnelle ou pas, que chaque moment de dissociation renforce les traumas passés).

En réalité :

Finalement je ne me suis jamais dissociée avec un client. Je suis très concentrée, très ancrée. J’arrive à savoir ce que j’aime/ce que je n’aime pas, à sentir mon corps.

Et je remarque que je suis beaucoup moins dissociée (quasiment plus) dans ma vie sexuelle perso. En parallèle de ce taffe, j’ai fais beaucoup de travail sur moi aussi mais je crois vraiment que le TDS a aidé. Là j’aimerais apporter une précision ; j’ai la sensation que si je devais taffer chaque semaine, plusieurs fois par semaine, ce ne serait pas du tout le même ressenti que j’en tirerais mais au rythme auquel je vais, en m’écoutant, en ne taffant pas si je ne le sens vraiment pas, j’ai la sensation que ça ne m’a pas abîmée dans ma sexualité. ­

Savoir poser mes limites ­

Mes projections :

Je souhaitais faire ce taffe aussi pour ré apprendre à poser mes limites, et donc mieux éviter des moments pas agréables de sexualité : j’avais l’envie d’en avoir rien à foutre des clients, de pouvoir les envoyer chier. Je me disais que ce seraient des mecs cis qui ont du pouvoir sur moi (ils ont toujours été blancs/plutôt bourgeois/plus vieux que moi) donc j’imaginais que je n’aurai aucune empathie à leur égare, pas d’envie de leur faire plaisir, de les rassurer,…

La réalité est différente !

En fait j’ai été très contente de savoir poser mes limites à certains moments, et ça m’a aidé dans ma vie perso à ce niveau là, mais je voies bien qu’aussi je les aies dépasser à certains moments, que je m’en suis rendue compte et que je l’ai fait quand même (pour faire plaisir, par sens du travail bien fait, ou par construction ?). J’ai à des moments de l’empathie, j’en trouve certains vraiment doux. Je ne les voies pas tous comme des ennemis. Certains sont plus cons que d’autres mais globalement plusieurs m’ont touchée. Non pas que ça deviendrait des potes ou des amants, je vais pas jusque là, mais je n’en ai pas juste rien à foutre, et en fait ça me va. Je croies que ça me ferait pas du bien de les haïr.

Dans les dépassements de limites que j’ai eu, étant donné que j’y étais plus attentive (lié au cadre ou je suis pas en confiance à priori) et que ce sont des gens qui m’importe peu, ça m’a fait beaucoup moins mal quand c’est arrivé que quand c’était des personnes que j’aimais. Quand je parle de dépassement de limites, c’est par exemple des clients qui me reproposent pendant le rencard des choses qu’ils savent que je ne fais pas, ou qui tente de faire quelque chose, je repousse la main et ils retentent, ou qui sont bourrins dans la manière de commencer l’interaction sexuelle,…

Plutôt j’ai su poser des non, parfois j’ai attendu plus longtemps que ce que mon corps me faisait sentir. J’ai aussi parfois choisis, quand je n’étais pas bien sur de ce que ça me ferait, de tenter l’expérience et de voir par la suite ce que ça me faisait, pour savoir si c’était vraiment une limite ou pas. Mais étant donné que je n’ai pas de confiance en eux, ça n’a jamais abîmé ma capacité à faire confiance dans le reste de ma vie, y compris sexuelle.

Aussi, j’ai eu un peu de mal à accepter et donc à discuter avec des amiEs et/ou collègues des dépassements de limite vécus dans le taffe. Bon, y’a l’habituelle honte (Grrrr), mais aussi vu que la plupart de mes proches (TDS ou non) ont une vision plutôt négative de ce que ce taffe peut produire en terme de conséquences sur la sexualité, je n’ai jamais voulu en rajouter une couche. Je ne veux pas qu’iels s’inquiètent ou tentent de me dissuader,...

Avec le temps qui passe, en me questionnant sincèrement, j’ai réellement la sensation qu’il n’y a pas de situations vécue dans le taffe qui m’ait traumatisée. Mais je sais que quand je sors d’un moment avec un client, si j’ai un doute sur une situation, que j’ai peur qu’elle m’ait abîmée, ou que je sais qu’elle m’a abîmée un peu, je sens que j’ai aussi besoin de me raconter que c’était pas si pire, que ça va aller. Peut être par culpabilité d’y être « allé de moi même », peut être parce qu’au final, dans la balance, ce taffe m’apporte plus de positif que de négatif (donc j’ai envie de continuer), et que j’ai pas envie que les personnes autours ne s’attachent qu’aux détails glauques. Je n’ai pas l’envie non plus de nourrir les discours putophobes qui nous décrivent uniquement comme victimes. Je sens que j’ai plutôt tendance à rassurer, dire que tout s’est bien passé, et dealer les conséquences de mon côté. Si les agressions étaient plus graves, je suis quasiment certaine que j’en parlerais. ­

La réparation de ma sexualité ­

Mes projections :

j’imaginais que déjà je reprendrais la sexualité, alors ça me montrerai que j’étais encore « capable ». Ca me faisait mal de savoir que les différentes crevures qui m’ont violée dans le passé avaient réussi à faire que je ne puisse plus partager cela avec quiconque.

J’avais beaucoup de mal avec les interactions dans lesquelles j’étais censée éprouvée du plaisir (physique/émotionnel). Je me mettais la pression, je n’arrivais plus à savoir si j’aimais ça, et ça me bloquait.

En réalité, même si au départ je ne faisais du sexe qu’avec des clients, je me racontais que je faisais quand même du sexe et ça me faisait du bien ! Et j’ai recommencé à faire du sexe perso peu de temps après mes premières expériences de TDS.

Je penses que ça a enlevé pas mal d’enjeux de faire du sexe pour le taffe. Je n’ai aucune culpabilité à simuler du plaisir, et à ne pas chercher à en prendre. Ca a « dédramatisé » le fait de faire du sexe, ça a rendu les choses plus « techniques », et ça m’a aidé à être plus sereine dans l’intimité. ­

Rapport à mes imaginaires sexuels

­ Mes projections :

Avant de commencer le TDS, j’avais, pendant les moments de sexualité, des pensées intrusives qui me mettaient mal à l’aise. De baise violente, humiliante. Je croyais que c’était des fantasmes. Récemment j’ai capté ce terme de « pensée intrusive », qui me semble plus approprié. Parce que ces imaginaires là, quand ils débarquaient, me faisaient comme une sorte de plaisir­répulsion désagréable à vivre.

Surtout parce que j’avais la sensation d’avoir été salie, pourrie, jusque dans ma tête, d’avoir ces scènes de viols qui arrivaient dans ces moments là, sans que j’en ai l’envie.
A cette époque ou je les pensais comme des fantasmes, j’ai imaginé que si j’avais des moments choisis ou je baisais réellement avec des inconnus, de manière très « porno mainstream hétéro », peut être que j’assouvirais ces « fantasmes » et que ça pourrait dégager d’autres choses, d’autres imaginaires dans ma vie perso.

La réalité :

Finalement je n’ai jamais vraiment été dans le côté « pornstar experience », c’est à dire que quand je fais de l’escorting, assez spontanément, sans trop le réfléchir, je joue sur un côté « girlfriend experience », donc les hommes qui viennent me voir cherchent plutôt une amoureuse, et toute la tendresse qui va avec. Plutôt la plupart ont été dans l’envie de me donner du plaisir, me demandait si ça allait comme ci ou comme ça et je n’ai jamais supporté qu’ils tentent de m’humilier. Ca ne me procure aucun plaisir et ça me met en colère. Même les petites phrases comme « t’aimes ça ? » j’aime pas et j’y répond pas.

Aujourd’hui ces pensées sont hyper moins envahissantes. C’est dur à dire entre le TDS et le reste du taffe sur mes traumas, ce qui a aidé ou pas, mais en tout cas le TDS a clarifié que ce n’était pas des fantasmes, ni des imaginaires que je souhaitais vivre réellement. ­

rapport à l’agression ­

Mes projections :

J’avais peur des agressions des clients. Je me sentais vulnérable à poil et allongée dans un lit.

La réalité est que je n’ai jamais été agressée.

Pour sortir de la peur (qui n’est pas totalement partie avant un RDV mais quand même c’est hyper moins présent), ça m’a aidé aussi d’ouvrir des imaginaires et de s’entraîner avec des amiEs par exemple sur comment se dégager de quelqu’un qui est allongé sur toi/qui t’étrangle/qui te maintiens les poignets/…

J’ai aussi toujours des potes qui s’assurent que ça se passe bien. Et ça m’a fait grave sourire, en traînant sur des forums de clients, de capter qu’eux aussi ont peur d’arriver chez une escorte et de se faire frapper et racketter. ­

réparation du slut shaming que j’ai beaucoup vécu dans ma vie ­


Mes projections
 : Lié aux traumas et à mon éducation (c’est à dire notamment aux traumas d’inceste de ma daronne), j’ai eu des comportements, des attitudes que beaucoup d’hommes ont sexualisé, assez tôt dans ma vie. Et j’ai donc eu droit au slut shaming qui va avec.

J’imaginais ce taffe un peu comme une revanche sur les personnes qui ont abusées de moi, que je choisisse d’être pute, pour qui je veux. Je baise avec des inconnus, je suce des queues, mais pas les leurs. Je suis consentante pour baiser avec ces types mais je ne l’étais pas avec eux. Ils m’ont voulus objet sexuel, m’ont parfois punie de ne pas leur appartenir, je choisis de faire ce qu’ils ont voulu que je sois, mais pas avec eux. Bref, de retourner ces humiliations en quelque chose que je me ré approprie, et qui en plus m’apporte un bénéfice.

Juste un petit mot sur le « consentement » dans le TDS. Ca a été une révélation quand j’ai découverts le terme de « consentement enthousiaste » (qui, pour moi, définit quand tu as envie de cette interaction là en soi, et non pas pour ce que ça te procure en bénéfice ; thunes, affection, rassurance,…). Pour moi, dans le TDS, je suis consentante, pas forcément (même rarement) de manière enthousiaste, mais consentante quand même, donc je ne le vis pas du tout comme une agression, un abus ou un viol. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne peux pas y avoir d’agression, d’abus ou de viol, évidemment, comme dans n’importe quelle situation de sexualité.

Dans la réalité ça m’a fait du bien ouai !

Dans le fait de me sentir badass, un peu comme la manière ultime de déroger aux normes de la société, pas de retours en arrière possible. Et je les imagines, ceux qui m’ont pourris, outrés, choqués, et ça me fait marrer. Je sais que c’est très symbolique, mais l’idée de faire payer, pas juste en terme de thune, mais cette phrase « faire payer », les mecs cis blancs bourgeois, ça me fait du bien. Et quand je sens qu’ils sont un peu gênés, parce qu’en fait ils savent qu’ils pourraient pas baiser avec moi s’ils n’y mettent pas des thunes, ça me fait plaisir. Parfois ça me rend un peu triste pour certains aussi, mais là n’est pas la question. Je choisis quand j’offre ce service ou pas. Je choisis d’être ce pourquoi on m’a punie, ce que les gens imaginent comme objet sexuel (pute) mais quand je veux et avec qui je veux.

Aussi, le fait que beaucoup de personnes commentent et kiffent les vidéos porno queer que j’ai tourné, ça me renforce. Je kiffe de trouver beaux mon corps et ses défauts, ma sexualité, mes partenaires et nos manières déviantes de baiser.

* * * *

Salut Lou ! Tu peux me dire un peu plus sur toi ? (aussi vague qu’elle soit cette question )

Oui grave ! Alors du coup moi c’est Lou. Je suis escorte depuis, je sais pas exactement mais à peu près 5 ans maintenant. Avant je faisais aussi du cam puis un peu de strip mais c’était pas du tout mon truc du coup j’ai arreté. J’évolue plutôt dans les "milieux libertaires", mais de plus en plus dans le "milieu queer". Dans les deux, je suis super out en tant que tds. Ce n’est pas un truc que je cache.

Tu dis que t’es out auprès pas mal de gens, tu penses que les gens portent quoi comme regard sur toi ? Comment cela influence ou non le fait de parler des agressions que tu peux subit ?

J’ai l’impression qu’il y a comme un truc comme si le fait que je ne cache pas que je suis pute, ça induit forcément que les agressions au taff je les vis bien, ou même que carrément je ne subis pas d’agressions, que ça soit physiques, verbales ou sexuelles (ou les trois à la fois). Déjà je pense qu’être out à à peu près tout le monde, du coup être visible en tant que pute, c’est compliqué. Les gens avec qui je traîne, c’est grave ok d’être pute (bon, même si je demande pas d’être ok avec haha), mais je sens qu’aborder la questions des agressions ça reste compliqué. Il y a pas vraiment d’attention mis dedans. Je sens que pas mal de personnes soient me disent de changer de taff soit ne disent rien par peur que la question d’arreter ce travail serait putophobie. Mais personne ne me pose sincèrement la question ce que je veux moi. À chaque fois ça me fait bizarre, c’est comme si d’un coup, le masque tombe et je capte qu’en fait, les gentes sont solidaires ou s’intéressent aux putes mais seulement sur les côtés positifs ou négatifs selon les milieux. Pour caricaturer j’ai l’impression que dans les milieux queer c’est genre positif/cool/intéressant et dans les milieux libertaires juste on en parle jamais, et si ca en parle plutot c’est en mode victimisant un peu ou ca parle que des tds de rue..En tout cas ça me donne cette impression là. Plein de fois, ca a fait que je me sentais grave isolé ...Parce que les nuances ca n’existe pas j’ai l’impression.

Les agressions que tu vis, tu les vis comment ? Tu penses qu’il y a des espaces pour parler de ca ?

Bah plutôt c’est un truc que je gère pas trop mal. Je me laisse de l’espace pour réfléchir dessus, prendre du temps pour moi. Aussi je prends toujours un truc sur moi pour me défendre, genre un couteau ou une bombe lacrymo. Pour l’instant je n’ai pas eu besoin de les utiliser, mais c’est rassurant de les avoir sur soi. J’ai aussi pris des cours d’autodéfense qui m’ont aidé à prendre confiance en moi, dans mes capacités de réaction, etc. J’ai mis longtemps avant de mettre en place des moyens de me protéger. Avant j’étais un peu dans une relation malsaine avec le sexe que ça soit dans mon taff ou dans ma vie privée : c’était un moyen de m’autodétruire et de me mettre en danger. Un moyen de me sentir vivante. C’était un peu comme une drogue. Quand j’ai commencé c’est par le biais de mon ex. J’ai très souvent été dans plusieurs relations de couple malsaines avec beaucoup de pressions psychologiques et sexuelles : j’ai un peu pris cher dans ma vie amoureuse...Haha. La façon dont je bossais en tant qu’escorte était dans une continuité de ce que je vivais, c’était rassurant, car je ne connaissais pas autre chose. Bref, j’étais perdue dans ma vie, je n’avais pas un rond : alors le travail du sexe c’était le bon plan pour moi !

Après s’il y a des espaces...J’trouve pas trop. Avec les non­tds c’est hyper hyper rare. Avec des collègues ca m’arrives plusiuers fois quand­meme. Mais meme entre nous, ca en parle pas assez, j’ai l’impression qu’on ose pas parler de ca. Deja parce que parler des agressions c’est pas facile. Puis quand c’est au sein du travail du sexe encore plus. Vu qu’on entrends tout le temps que “une passe= un viol” et que du coup il faut interdire, pénaliser, faire disparraitre…Il y a clairement un manque de discussion la­dessus (entre nous). Pas seulement pour raconter mais aussi pour trouver des similitudes dans ce qui peut se passer, des mécanismes similaires chez plusiuers clients, nous donner de la force, trouver des manières de se défendre. ?

Comment s’est ta relation au tds aujourd’hui ?

Ma relation au travail du sexe a beaucoup bougé. Dans ma vie privée je suis entourée de personnes qui m’aiment sans vouloir me faire mal, ce qui a fait que je ne me considère plus comme un corps que l’on peut utiliser comme on veut. Dans le travail c’est moi qui mène le bateau désormais, je choisis qui je vois, comment, et ce que je veux ou ne veux pas faire. J’arrive à poser des limites clairement et le fait que la plupart des clients les respectent et du coup me respectent, font que je sais ce que je fais, pourquoi et comment. Aujourd’hui je fais aussi de la S/M en tant que soumise (taff) alors j’ai du vraiment vraiment bosser sur le consentement. Aussi, je prends moins de rendez­vous. Je n’accepte pas un rencard si le mec me paraît chelou. Bon, parfois les textos et appels sont trompeurs, mais je pense quand même que ça limite certains abus. Au début c’était dur de prendre moins de rendez­vous car ça veut dire aussi avoir moins de thunes. Mais au final, je crois que je préfère serrer la ceinture que de me mettre en danger, et je suis plutôt fière d’avoir réussi à poser ce truc pour moi-­même, et de voir que ca me fait du bien.

* * * *

CORPS
corps chair
corps clair
corps nu
corps vu
corps violent
corps inexistant
corps bleu
corps jaune
corps rouge sang
avec du sang
corps fort
corps faible
corps actifs
corps actif
corps fuyant
corps bruyant
corps seul
trop seul
corps dégradé,
morcelé
corps mâché
corps recraché
corps, corps, corps, je suis un corps, lui est un corps. Nous sommes des corps, ensemble en étant séparés. Car lui est là, et moi je n’ai pas envie d’être là.
Sang
Bouteille
Verre
Fenêtre
Lit
Corde
nez
sang
sang
sang
corps

* * * *

Des choses que j’avais envie de dire depuis longtemps :

Oui, on est victimes du patriacat comme à peu près tout le monde, voir tout le monde. Je ne pense pas que je le suis plus ou moins à cause de mon travail. J’avais choisi le travail sexuel car c’était pratique : ça paye bien, je choisis quand je travaille, je ne dois pas faire de CV, pas passer des entretiens d’embauche,…

Il y avait beaucoup de choses que je détestais dans ce travail : répondre aux textos, aller aux rendez­vous, faire des photos,.. Mais le plus chiant c’était surtout de pouvoir le dire à personne. Je pense que la chose qui m’a moins posé problème, c’est le sexe en lui­même.

Je pense que quand j’étais plus jeune, j’étais souvent dans des relations abusives, avec beaucoup de violences sexuelles. Je pense que mes relations « intimes » ont commencé comme ça. A l’époque je le voyais pas comme des abus. Je pensais que c’était normal. Puis j’ai commencé à travailler en tant qu’escorte. Le sexe dans le travail du sexe m’a montré que les relations sexuelles pouvaient se passer sans négociations, sans pression, dans le respect, en étant honnête envers l’autre. (Merci mes premiers clients !) Être une travailleuse du sexe m’a fait comprendre que je ne dois pas faire du sexe si moi j’y gagne rien. Dans mon travail ce n’est pas du désir ou de la jouissance que je « gagne », mais de l’argent. Et cet argent m’a donné une indépendance financière pour avoir plus de temps pour moi. Je pense aussi que mes façons d’avoir traversé les nombreuses relations abusives m’ont aussi aidé dans ce travail. Je connais tellement par cœur les mécanismes de violences psychologique que j’arrive mieux à détecter les relous, les possibles dérapages, j’arrive à être ferme dès le début du rendez­vous etc etc.

Je crois que quelque part le travail du sexe m’a montré d’autres types de sexualités et ses limites. Aujourd’hui je travaille plus parce que j’ai trouvé d’autres sources de revenu et que j’ai transitionné.

L

Glossaire : (Il y a peut­-être des oublis)

Coming Out : Le fait/le processus par lequel on partage/annonce sa sexualité, son identité de genre, son statut intersexe, le fait de faire faire du travail du sexe.

Outer : Le fait de divulguer/dire l’orientation d’une personne, l’identité de genre, la condition intersexe ou le fait d’exercer du tds sans l’autorisation/consentement de la personne concernée.

Back­up : personne de confiance qui connaît l’heure, le lieu et les infos liées au rendez­vous, et peut intervenir en cas de problème avec le client.

Fantasmeur : personne qui se fait passer pour un client potentiel, avec une demande d’attention démesurée. Passe du temps à négocier ou à palabrer par messages ou par mails, en n’ayant aucunement l’intention de prendre rendez­vous pour rencontrer le/la TDS.

Girlfriend Experience (GFE) : travailleuse du sexe qui offre un service comme si elle était une petite amie ou une amante régulière. Le client supposera donc que la fellation est non protégée, sauf si le contraire est précisé. Escorting plus "intime". Le client peut demander si "le service est GFE". Le client va vouloir un truc plus « authentique »

Incall/outcall : recevoir chez soi, à l’hôtel, dans un appartement (in), ou bien se déplacer chez le client, ou dans une chambre qu’il a louée (out).

Lapin : client qui fait poser un rendez­vous et ne vient pas.

Passer (un client) en gratuit : se dit lors des rares fois où un∙e client∙e devient un∙e amant∙e.

Pornstar experience (PSE : Travailleuse du sexe qui propose une prestation plus proche de ce que l’on voit dans les films porno : selon les services proposés il y a plus une demande de gorge profonde, sodomie, positions acrobatiques, etc.s

Roses : utilisé pour ne pas parler en euros. De moins en moins utilisé.

Travailleur∙se du sexe et travail du sexe (TDS) : concerne tout ce qui est lié à une activité d’ordre sexuel rémunérée. Terme parapluie pour parler de prostitué∙e∙s, de camgirls et camboys, de performeur∙se∙s de films pornographiques, de masseur∙se∙s érotiques, de personnes qui répondent au "téléphone rose",...

Le copyright tue l’écrit, photocopie, pirate à ta guise (mais si tu l’utilise comme 1 baton pour mieux nous battre mange tes morts )

zinetravaildusexe@@@protonmail.com



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