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Jour après jour... Violences entre proches : Apporter du soutien et changer les choses collectivement

mis en ligne le 9 mars 2016 - LDTP

Sommaire

Une partie de cette brochure a pris la forme de récits de fiction. Nous
avons fait ce choix pour sortir de l’opposition théorie/pratique. Nous
voulions exposer différents enjeux par des descriptions de situations
concrètes mais sans mettre à nu nos propres histoires. Ces situations
inventées explorent nos doutes et nos difficultés bien réelles mais
aussi nos espoirs, nos tentatives de créer des imaginaires qui iraient
chercher plus loin… D’éventuelles ressemblances avec des situations
vécues proviennent du fait que ces situations sont très courantes.

Vous trouverez aussi dans cette brochure quelques outils, pistes de
réflexion et questionnements que nous avions envie de partager sous une
forme plus classique. On espère que cela pourra être utile à des
personnes ou collectifs qui sont en recherche, que ça vous donnera de la
force et du courage pour vous lancer dans ces aventures pour lesquelles
il n’y a, bien évidemment, jamais de recettes toutes faites.

    • Le coup du sleeping (texte de fiction)
    • Situation d’urgence (texte de fiction)
    • Slam (texte de fiction)
    • La famille (texte de fiction)
    • Kira et Virginie (texte de fiction)
    • L’échange mail (texte de fiction)
    • Des pistes pour agir (FICHE OUTIL)
    • Compte Rendu de synthèse (fiction / outil)
    • Bibliographie
    • Lexique

Introduction

D’où vient cette brochure ?

Nous, LTDP, sommes une sorte de groupe de recherche et de réflexion
autogéré, une petite bande de meufs/gouines/trans’ féministes à
dominante blanche, de classe moyenne et valide, de plusieurs coins de
Rhône-Alpes, née suite à la demande d’une gouine auteure de violence en
travail sur elle-même. Nous nous sommes réuni·e·s entre 2011 et 2015
pour réfléchir aux pratiques collectives de prise en charge de
situations de violence et d’agression internes à nos cercles, dans ce
que nous définissons comme notre communauté : assemblage d’identités
politiques, de liens affectifs et de proximités militantes. L’idée était
de prendre du recul, de s’extraire de contextes d’urgence pour malaxer
nos idées, questionner nos pratiques et nos expériences de médiation,
de gestion, de soutien, d’accompagnement… que ça soit dans des
situations de violence ou de conflit, d’agression ou de violence à
caractère sexuel. Nous ressentions le besoin de complexifier nos
analyses et nos pratiques qui jusqu’alors étaient plutôt centrées sur
des situations hétérosexuelles, afin de mieux appréhender les violences
entre meufs/gouines/trans’ (puisque c’est la communauté dans laquelle
nous nous reconnaissons), et notamment travailler avec les personnes
auteures.

Nous nous sommes donc réuni·e·s pendant quatre ans, soit une quinzaine
de gros week-end au total. Aborder ces sujets en collectif nous a permis
d’élaborer des pistes pour nos questionnements, de dépasser nos doutes,
d’apprendre de nos erreurs, d’affiner nos outils et, bien souvent, de
repartir avec un tas de nouvelles questions…

Cette brochure n’a pas l’ambition de faire une synthèse impossible de
tout notre travail. En effet, nous avons questionné les rapports de
pouvoir, les systèmes de domination, travaillé la pratique du
consentement comme outil de prévention, la notion de justice
communautaire… en nous demandant ce que chacun·e d’entre nous peut
produire comme rapports de pouvoir au sein d’un groupe ou d’une
relation. Nous écrivons aujourd’hui pour partager une partie de nos
grands questionnements et de nos petites trouvailles.

Vous avez dit violences ?

Les relations impliquant des violences sont largement répandues autour
de nous. Dans cette brochure nous traiterons uniquement des violences
entre personnes, qui ne sont pas les violences du système au sens
institutionnel du terme (violences de l’État, des lois, des prisons, des
flics, des écoles, du corps médical, du contrôle social, etc.).
Précisons que nous luttons contre ces différents registres de violence
mais sans adopter pour autant un point de vue non-violent, parce que
nous trouvons légitimes certaines violences, qu’elles soient politiques,
de survie ou les deux à la fois. Nous pensons que la colère, la rupture
et l’action directe peuvent être des outils de résolution, d’affirmation
et d’émancipation.

Nous proposons de travailler ici sur des violences produites et reçues
entre proches, dans nos espaces familiers, dans ces cercles où nous
serions tou·te·s censé·e·s nous apprécier, nous soutenir, avoir des
idéaux et des intérêts communs. Ces violences, autant que les violences
institutionnelles, détruisent nos personnalités et mettent en danger nos
vies au quotidien. Mais elles sont autrement plus difficiles à nommer et
à combattre. Notre regard féministe nous incite à nous méfier des mises
à distance et des diabolisations : ce n’est pas l’affaire des « autres »
ou des « pires ». Nous ne saurions pas dire si les violences
interpersonnelles existent moins dans nos milieux militants qu’ailleurs.
Dans nos cercles féministes, nous pensons qu’elles y sont davantage
nommées, dénoncées et travaillées, ce qui nous donne de l’espoir. Mais
nous continuons à nous méfier de tou·te·s celleux qui se croient si bien
« déconstruit·e·s », qu’il serait aberrant de les imaginer capables de
violence.

Au fil de nos échanges, nous avons navigué dans la multiplicité des
formes et des configurations relationnelles dans lesquelles ces
violences s’expriment : dans les relations de couple, amicales ou
familiales, qu’elles soient régulières, diffuses ou ponctuelles,
qu’elles soient physiques, verbales, psychologiques, à caractère sexuel
ou non, dans l’imbrication des discriminations que nous pouvons subir
et/ou reproduire. Nous avons régulièrement buté sur le constat que
toutes les violences n’étaient pas à mettre dans le même sac et qu’on ne
pouvait pas élaborer de solution clé-en-main ni de manuel de bonne
conduite.

Nous avons cependant quelques point d’accord pour aborder ce que nous
appelons violences interpersonnelles.

En premier lieu, dans tous les groupes, les rapports de pouvoir existent
et ils sont le terreau de violences multiples. La grande majorité de ces
violences a pour nous une origine structurelle, intimement liée aux
rapports de domination qui font système, tels que le sexisme,
l’hétérosexisme, le racisme, le mépris de classe, les normes physiques
et psychologiques, etc. Il nous semble important de le rappeler car
les violences commises par les plus dominant·e·s sont les plus
invisibilisées, banalisées, voire légitimées ; et en miroir, les
personnes qui les subissent sont le plus souvent réduites au silence et
à la culpabilisation.

Une autre donnée pour nous essentielle, est le fait que la gravité des
violences ne se classe pas seulement en fonction de faits et de critères
politiques et éthiques. Au-delà des actes et des valeurs, il y a les
violences ressenties. Pour réfléchir à cela, nous trouvons intéressante
la notion de violence potentielle. Deux personnes pourront se faire
insulter dans la rue et ne pas du tout ressentir la même violence : pour
l’une, l’insulte sera facilement évacuée, alors que pour l’autre, elle
renverra à un traumatisme passé, à un harcèlement récurrent, à la peur
du viol, du crime raciste ou homophobe par exemple. De même, un abus
sexuel pourra être « digéré » par certain·e·s et constituer un
traumatisme puissant pour d’autres. Toutes ces peurs, ces mises en
dangers, sont des ressentis réels et consistants. Ils s’ajoutent à la
violence des faits, pour fabriquer la violence potentielle. Nous
considérons que c’est avec tout ça qu’il faut travailler et soigner nos
relations.

Une affaire collective…

Nous partageons ce travail pour inviter chacun·e à se poser des
questions pour ellui-même. Nous rêvons que chacun·e autour se sente
concerné·e par les situations de violence et d’agression, s’implique au
sein de nos groupes et communautés, non pas en agissant seul·e, mais en
recherchant des pratiques collectives et autogérées. Et lorsque nous
parlons de communauté, nous pensons à des personnes qui se connaissent
ou se reconnaissent, parce qu’iels partagent des liens, des
responsabilités, des histoires et une culture commune.

Aussi, nous considérons que personne n’est à l’abri d’être auteur·e de
certaines violences, ni d’en être la cible, ce qui rend d’autant plus
probable le fait d’en être régulièrement témoin… Nous souhaitons donc
contribuer à l’émergence d’une prise en charge plus large, plus
collective de ces enjeux. Pour que nous y fassions attention ensemble,
que nous assumions ce que nous construisons ensemble, que nous changions
ce monde ensemble.

Dans la pratique nous priorisons le soutien aux personnes cibles de
violences en tâchant de partir de leurs besoins : depuis l’urgence à
panser leurs blessures, jusqu’à les aider à regagner en place, en
confiance et en considération sur la durée. Sur tous ces aspects, nous
faisons le constat d’un manque perpétuel : pas assez de monde, pas assez
d’écoute, pas assez de ressources pour que chacun·e trouve les moyens de
se reconstruire et d’être plus fort·e pour stopper les violences. Cet
axe restant notre priorité, il nous a semblé important de travailler en
parallèle avec les personnes auteur·e·s de violences et d’agressions. En
réfléchissant de manière globale, en travaillant avec elleux directement
à la source de leurs comportements oppressants, nous espérons avancer
sur la réduction du nombre d’agressions.

… en sortant des systèmes institutionnels police / justice / punitifs

Nous ne faisons aucunement confiance aux réponses institutionnelles qui
sont faites à ce sujet. La police, la justice d’État et son système
pénitentiaire reproduisent les mêmes rapports de domination que nous
subissons déjà au quotidien et, lorsque ces institutions prennent au
sérieux ces problématiques, elles apportent avant tout des solutions
punitives et d’exclusion.

Nous nous sommes intéressé·e·s à des expériences de prise en charge
communautaire
, de justice réparatrice, de justice transformative et
nous y avons trouvé des inspirations bien plus proches de nos
préoccupations collectives et de nos aspirations à transformer nos
relations de manière radicale. Le fait de penser les choses à une
échelle communautaire (nos réseaux féministes meufs/gouines/trans’ pour
ce qui nous concerne) nous a motivé·e·s à imaginer des formes
d’intervention qui évitent autant que possible les phénomènes
d’exclusion ou de punition, à penser les responsabilités collectives, à
soupeser chaque situation avec prudence. Parce que nous avons tou·te·s
besoin de cette communauté pour exister. Ça nous a donné envie de
multiplier les outils, afin d’adapter nos tentatives au cas par cas, en
prenant soin de ce qui peut être fait avec les personnes cibles de
violences, avec les personnes auteures de violences, avec l’entourage
proche et toute la communauté.

Le coup du sleeping

Allongée, bien au chaud dans mon duvet, je pratique mes exercices de
respiration tout en détendant un par un mes muscles, ils ont été
fortement sollicités aujourd’hui. Comme tous les soirs, je profite de ce
moment avant de m’endormir pour me remémorer ce qui s’est passé dans la
journée. J’attendais ce week-end de danse thérapie depuis si longtemps
et je ne suis pas déçue par cette première journée ! Les ateliers
étaient géniaux, l’animation excellente, les ami·e·s au rendez-vous ! Il
y avait quelques nouvelles têtes et aussi plein de personnes que j’ai
déjà croisé·e·s mais que je connais peu. Ce week-end va être l’occasion
de plus se rencontrer.

Le dortoir collectif respire doucement. En entrant, j’ai d’abord cru
qu’il était vide, que les autres sacs de couchage étaient gonflés de
vide. Maintenant que je suis habituée à l’obscurité et au silence,
j’entends quelques souffles tranquilles, aucun ronflement, juste la
douceur d’un début de nuit à plusieurs. Le mot sleeping, peint en
lettres pailletées au-dessus de la porte, est à peine visible, au-dessus
de la fenêtre, volets et rideaux tirés, gris sur gris. Soudain, un rai
de lumière fuse tandis que deux personnes entrent. Elles pouffent de
manière étouffée quand elles se retrouvent brusquement dans le noir
après avoir refermé la porte. Je reconnais les voix de Hugues et
Delphine. Iels se sentent sûrement à l’abri des regards dans l’obscurité
ambiante puisqu’iels en profitent pour se faire un câlin.

J’aime bien Hugues. C’est un des rares types que je connaisse qui ne
prétende pas ne jamais oppresser les femmes. Au contraire, il prend les
devants et reconnaît facilement sa position dominante de mec blanc. Je
trouve qu’il fait des efforts pour prendre moins de place dans les
discussions. Je connais moins bien Delphine.

Leur câlin se prolonge, se prolonge… et je comprends qu’il ne s’agit
pas d’un simple câlin de réconfort mais de prémisses plus sensuelles.
C’est marrant, tout à l’heure, Hugues faisait des avances assez
explicites à Ramon, mais on dirait que finalement c’est avec Delphine
qu’il va passer la nuit.

Dans la pénombre je vois qu’iels finissent par se décoller et, tout en
se tenant la main, se dirigent vers le fond du sleeping en enjambant les
corps des autres dormeur·euse·s. Iels s’installent. Bruit de duvet qu’on
déplie, de vêtements qu’on enlève, de corps qui se glissent à
l’intérieur. Allez, le calme va bientôt revenir, je vais pouvoir me
plonger dans le sommeil.

Mais non. Ça continue : murmures, froissements, bruits de duvet qui se
frottent, bruits de langue et même, au bout d’un moment, de discrets
gémissements ! Impossible d’échapper aux sons ambiants. Je suis malgré
moi complètement à l’écoute de leurs ébats. Impossible de dormir ! Leur
langueur s’introduit malgré moi dans mes pensées ! Iels font chier ! Je
voulais dormir pour être en forme demain, pas me taper une nuit
d’insomnie et encore moins être la témoin involontaire de leurs ébats !

Un sleeping c’est fait pour dormir, pas pour baiser… vu que de toutes
manières tu ne vas pas réveiller les gens pour leur demander si ça les
dérange. Un petit câlin pour se dire bonne nuit, ça ne me gêne pas, mais
je n’ai pas du tout envie d’assister à leurs trucs sexuels !

Je suis assez persuadée qu’il n’y a pas que moi qui les entend mais
personne ne réagit. Pourtant, je suis sûre de ne pas être la seule à
être agacée par leur comportement. Malika qui dort à deux matelas de moi
(ou qui fait semblant) déteste ce genre de démonstration d’affection
sexuelle en public. Et je sais qu’elle n’aime pas que les rapports de
séduction prennent plein de place dans les dynamiques collectives.

Ça fait déjà un bout de temps que je me retourne dans mon duvet pour
leur faire sentir que je ne dors pas, sans que ça change quoi que ce
soit. Je pourrais attendre qu’iels aient terminé, mais mon agacement
monte et je sens qu’après ça, je n’arriverai plus à m’endormir. Il va
falloir que je m’y colle sinon, c’est sûr, je ne fermerai pas l’œil de
la nuit. Je n’ai vraiment pas envie de ça ! Je vais encore passer pour
la chieuse de service.

Je ne sais pas quoi faire, ni comment intervenir. Comment leur expliquer
que ça me saoule qu’iels soient en train de baiser pour ainsi dire sous
mes yeux ?

Bon allez je me lance.

« Ahem…

J’essaye d’attirer leur attention. Iels ne se calment même pas, iels
sont à fond dans leur truc.

— Euh, Hugues, Delphine, j’essaie de dormir, vous pourriez pas faire
moins de bruit ? »

Iels s’arrêtent, pouffent, se calment.

— Ah, ok, chuchote Delphine. Désolée.

— Merci. »

Enfin la paix. Il ne reste plus qu’à calmer la colère en moi.

Quelques minutes plus tard, ça recommence, un peu moins fort c’est vrai
mais avec en prime les chuchotement gênés de Delphine qui essaye de
calmer le jeu. Et mes oreilles sont immanquablement attirées par leur
froufrou langoureux. La colère remonte d’un bloc ! Je réfléchis à ce que
je leur ai demandé, « qu’iels fassent moins de bruit »… en fait ce
n’était pas ça que je voulais, c’était juste une façon de leur demander
poliment d’arrêter… J’éclate :

« J’en ai vraiment marre ! Vous pourriez pas faire ça ailleurs ? C’est
pas comme si on manquait d’espace !

— C’est bon ! On ne fait rien de mal, grogne Hugues.

— Pfff, c’est pas la question !

— Non, mais c’est vrai quoi ! réplique-il. Pourquoi tu m’insultes ? On
peut bien se faire des câlins si on en a envie. Je ne fais de mal à
personne ! Tu me prends pour un de ces connards ou quoi ? C’est quoi le
problème ?

— Le problème, c’est que je veux dormir, c’est un sleeping ici pas un
baisodrome !

— Tout le monde dort. On fait pas tant de bruit, c’est toi qui va
réveiller les autres à râler comme ça ! râle-t-il.

Ça commence à vriller dans ma tête tellement il m’énerve, je ne trouve
plus mes mots. Heureusement, Malika intervient :

— Nan mais qu’est-ce que tu crois ? Ça fait un bout de temps qu’on ne
dort plus ! À chaque fois c’est la même chose ! J’en ai marre d’être
baignée dans des ambiances de sexe ! T’as qu’à poser une tente ou un
camion, mais viens pas nous faire chier dans des espaces collectifs !

— J’suis désolée Malika, s’excuse platement Delphine à la place
d’Hugues, avant de glisser « Arrête » à son amant du soir, qui continue
probablement à la caresser comme si de rien n’était.

— Tu veux qu’on aille ailleurs ? demande-t-il à voix basse à Delphine

— Non, c’est bon. J’ai plus envie, répond-elle. Allez on dort. Désolée,
tout le monde. »

Le silence se fait. Tendu. Quelques minutes plus tard, un claquement
sonore, suivi d’un brusque froissement de tissu et de l’exclamation
outrée de Delphine :

« Ah, mais t’es relou ! T’as pas compris ce que je viens de te dire ? Je
n’ai pas du tout envie d’en faire une affaire publique, mais tu vas
arrêter ça tout de suite. On arrête j’ai dit ! J’ai plus du tout envie
de baiser avec toi, c’est clair ? Va dormir ailleurs ! »

Hugues, bruyamment, prend ses affaires. Tant qu’à faire : autant finir
de réveiller les personnes qui auraient eu la chance d’être épargnées
par l’embrouille. Même dans le noir, je suis sûre qu’il me mitraille du
regard en sortant.

Heureusement qu’il n’est pas comme un de ces connards ! Et dire que
j’avais un a priori positif sur lui ! Ce qui m’énerve encore plus, c’est
que dans l’histoire, je suis sûre que c’est Delphine la plus gênée. Elle
doit culpabiliser à mort alors qu’il n’y a pas de raison. Elle vient
quand même de se coltiner un mec insistant ! Je ne sais pas trop quoi
faire pour lui faire sentir que je ne lui en veux pas.

Au moment où je me dis que demain je prendrai le temps d’en parler
tranquillement avec elle, Malika chuchote :

« Ça va Delphine ?

— Ouais, ça va, répond celle-ci. Si ça vous dit, j’ai bien envie d’en
rediscuter demain, mais bon là, on va peut-être dormir maintenant !

— Oui pas de souci, je réponds. Moi aussi ça me dit bien d’en reparler.
Eh ! Dormez bien !

— Carrément ! Bonne nuit à vous, renchérit Malika. »

Situation d’urgence

Je suis chez des ami·e·s à la campagne, la nuit tombe et je me retrouve
plantée là, entre un chemin et un talus, au seul endroit de ce chouette
lieu collectif où je peux capter le réseau avec mon téléphone portable
et en prime avoir un peu d’intimité. Les coups de téléphone
s’enchaînent : situation d’urgence…

Il y a quelques mois, j’ai été sollicitée pour prendre un rôle auprès
d’un pote accusé de harcèlement sur un autre pote. Plusieurs ami·e·s
s’en étaient déjà mêlé·e·s, c’était compliqué, qui parlait à qui, qui
soutenait qui, qui compliquait quoi… alors cette idée de « rôles
assignés » avait un peu soulagé tout le monde, dans l’idée de démêler la
situation plutôt que de tout embrouiller. J’avais accepté d’être
l’interlocutrice principale du pote accusé, en ce qui concernait les
demandes qui lui étaient faites à ce sujet, pour l’aider à comprendre ce
qui lui était reproché, les conséquences, les responsabilités qu’il
devait prendre. Et aussi pour l’aider à anticiper, pour éviter que les
deux ne se croisent sans le vouloir dans certains endroits.

Ça faisait quelques temps qu’il n’y avait pas eu de nouveaux événements
sur cette histoire et l’été s’annonçait plus calme que tous ces derniers
mois, je me sentais un peu en vacances vis-à-vis de cette affaire. Mais
pas de bol, hier soir des camarades lui ont demandé de partir d’une
soirée spectacle dont il avait rejoint l’organisation. Et là au bout du
fil, c’est une pote qui a participé à cette exclusion qui m’appelle pour
me dire que depuis, elle reçoit des mails d’insultes.

Alors c’est logique, elle se tourne vers moi pour m’informer des
dernières nouvelles et savoir quoi faire maintenant, vu que je fais
partie des personnes qui « gèrent » officiellement ce truc. Je l’écoute,
elle me raconte comment ça s’est passé, et au fur et à mesure que son
récit se développe, je commence à bouillonner de ne pas avoir été sur
place. Je lui demande pourquoi on n’a pas cherché à me joindre la
veille, c’est à ce moment-là qu’il aurait fallu m’appeler, voire il y a
une semaine, quand cette soirée a été programmée et que ça devait déjà
sentir l’embrouille ! Tout le monde est au courant puisque c’est
l’affaire du moment avec tout son lot de ragots… d’ailleurs depuis des
mois c’est mon sujet de conversation principal : on me branche tout le
temps sur le sujet, je recadre les rumeurs qui viennent dramatiser le
truc, je réponds aux inquiétudes, je raconte comment ça avance, donne
des idées de postures collectives à tenir… alors bon, je suis tout de
même pas la seule à pouvoir anticiper les situations ! Mais là, dans
l’urgence et en mon absence, les personnes qui étaient sur place ont
pris l’initiative d’une exclusion sans me concerter… Et ce serait à
moi d’en assumer les conséquences ? C’est sûr que cette action
improvisée va dégrader la situation et foutre en l’air toute l’énergie
que j’ai passée à rétablir la confiance.

Ça coupe, plus de batterie… Et merde, ça fait chier ! Mon chargeur est
au fond de mon sac à l’autre bout du hameau… J’y suis allée un peu
fort et je ne peux vraiment pas laisser cette conversation en l’état,
avec tout ce que je viens de balancer, sans évoquer au moins quelques
pistes pour la suite… la nuit est vraiment tombée cette fois, ça
caille !… Dire que j’étais venue ici dans l’idée de m’aérer un peu la
tête… Parce qu’ici, justement, ça ne brasse pas toutes ces questions :
les gens ne parlent pas de leurs embrouilles relationnelles, iels les
gardent bien planquées dans leurs chambre à coucher ! Maintenant
j’aurais besoin d’en parler, de trouver une copine pour débriefer,
trouver des idées de choses à faire, à leur proposer par téléphone…
Mais justement, ici, personne n’est familier de ces pratiques, iels
trouveraient ça intrusif, iels me diraient que je me mêle de ce qui ne
me regarde pas… Bref, je vais aller rebrancher ce truc pour pouvoir
rappeler. Les autres doivent déjà être dans la préparation du repas…
Ah mais j’oubliais Léa ! Elle fait partie de l’équipe cuisine ce soir !
Rien n’est perdu ! Elle, je sais qu’elle comprendra, elle sera sûrement
de bon conseil, pour trouver quoi faire alors que tout le monde s’en
mêle comme ça, un peu à l’arrache…

Slam

Insatisfactions, insatisfactions, insatisfactions permanentes.

Monde de merde.

Violence, violence…

Pourquoi ça se passe toujours comme ça ?

Tensions. Tensions permanentes.

Pourquoi on ne s’écoute pas ?

« T’as pas une minute pour discuter ? » « Tu voudrais m’aider à lui
parler ? » Et voilà qu’elle balance une grosse bouse de violence vécue
et survécue, toute cette souffrance, toutes ces violences subies. Il
faut les accueillir, les entendre, les comprendre, les ingurgiter, et
pour finir rassurer, réconforter, encourager. Il faut faire face, gérer,
répondre. Mais répondre de quoi ?

Répondre de moi, de ma stabilité, de ma clairvoyance, de mon
impartialité, de mes choix partiaux, de ma confiance, de mon équilibre
mental, de mon silence, de mes conseils. Je dois toujours avoir raison.
Raison de dire « oui je t’écoute », raison de dire « pas cette fois-ci,
c’est trop pour moi ». Je ne fais qu’aider, ce n’est pas moi qui suis au
centre de cette histoire, ce n’est pas moi qui souffre. Par contre, je
tire aussi de la notoriété de tout ça. Une expertise, une confidence,
tellement de confiance.

Et dans tout ça, je vais bien. Pas le temps de m’embrouiller avec
moi-même ou avec d’autres ! C’est vrai que soutenir douze personnes,
même en tant que soutien de soutien, c’est vraiment beaucoup ! Je sais
bien qu’il ne faut pas dépasser mes limites, on me l’a déjà expliqué et
j’ai eu bien des occasions de le comprendre ! Mais c’est trop
important !

Dis-moi, dis-le, ce qui te pèse, ce qu’on t’a fait, ce dont tu as
besoin. Dis ta souffrance, ta colère, ta douleur ! Pas de victime.
Fonce ! Dis-nous, dis-leur, on y va. La violence et le sexe. Et les
humiliations. Et le reste. Pas de victime, mais de la rage, des idées,
de la construction, un chemin. Vas-y, on va trouver des idées, tu vas
les trouver. Ça dépend de toi, pas de moi.

Mais je serai là pour t’accompagner là-dedans et avec moi c’est le grand
télescope des ami·e·s en chaîne qui s’épaulent. C’est iel qui épaule
iel, qui épaule iel, qui épaule iel qui à vécu ça. Et elle et elle et
iel qui l’ont vécu aussi. C’est pour ça qu’iels sont là, qu’iels veulent
aider. C’est aussi iel et iel et iel qui s’aménagent un coin pour
débriefer quand iels craquent de soutenir qui craque. Tou·te·s ces iels.
Rien ne change, mais on se constitue. Nos émotions, nos vies et nos
douleurs qu’on partage, qu’on travaille, sur lesquelles on travaille.
C’est dur, mais c’est mieux que de foutre les sorcières au bûcher ou au
cachot, mieux que l’oubli et la disparition.

C’est important et puis c’est beau. Alors, je peux au moins faire ça,
agir dans l’ombre de l’ombre.

La famille

Une semaine de vacances chez ma mère. C’est la première fois que je vais
la voir dans son nouvel appartement. Je ne vais pas la voir souvent vu
qu’on a une relation difficile, mais j’essaye tant bien que mal de créer
des liens. J’ai donc décidé d’y aller toute une semaine.

Comme à chaque fois que je vais la voir, une boule d’angoisse me prend à
la gorge. Face à elle, à bientôt trente piges, je n’arrive pas à exister
comme une personne à part entière, une personne qui a un corps à elle,
qui pense, qui a vécu des expériences différentes, une être humaine
autonome ayant le droit de s’exprimer. Il est si difficile de me
retrouver face à elle, d’avoir envie de lui dire qui je suis, ce que je
pense de ce que nous avons vécu et comment ça m’amène aujourd’hui à être
féministe… et de ne pas y parvenir.

Je me souviens du jour où elle s’est énervée en me disant que je ne
pouvais pas comprendre, que j’étais trop petite, qu’elle, elle savait ce
qu’elle avait vécu et qu’aussi elle l’avait bien cherché. Elle l’avait
poussé à bout. Il buvait. Il avait été un enfant battu. Ce n’était
pas de sa faute à lui. Elle était quand même « responsable », elle
aussi.

Ça fait plusieurs mois qu’on ne s’est pas vues. Entre temps j’ai eu
plusieurs conversations avec des personnes de mon entourage plus ou
moins proche. Ça m’a aidée à faire le tri dans mes idées. Je me sens
plus au clair, notamment concernant la question des diverses formes et
différents degrés de responsabilités dans cette histoire de violences
conjugales dont j’ai été témoin. Aujourd’hui, quand je repense à ce que
ma mère a pu dire de cette époque, je ne peux pas m’empêcher d’entendre
« coupable » à la place de « responsable ». Certes, elle aurait pu
partir, mais pour cela encore aurait-il fallu qu’elle en ait les moyens
concrets. Entre autres, son travail à temps partiel ne lui donnait pas
l’autonomie financière pour pouvoir le quitter et m’élever seule.

Devant la porte de son immeuble, je cherche l’interphone et sonne.
Dzzzz….. Pendant que je monte les trois étages, je me dis que peu
importe de quoi on parlera, j’ai envie d’être moi-même dans ce qu’on va
partager. Certes, je ferai attention à la manière dont je dirai les
choses parce que je n’ai pas non plus envie de passer une semaine à
m’engueuler avec elle. Je n’ai pas l’intention de la blesser, mais pour
autant, je ne peux pas taire ce que je pense et notamment comment j’ai
vécu certains événements.

Elle m’attend avec un grand sourire devant sa porte ouverte. Elle est
heureuse de m’accueillir et de me montrer son appartement tout neuf avec
des trucs « déco » genre Ikea. Elle est super contente de me retrouver.
Il y a une forme de chaleur entre nous parce qu’on s’aime quand même.

Je me laisse porter par un vrai rythme de vacances. On se cuisine de
bons petits plats en parlant de la pluie et du beau temps. Je réalise ce
que ça change concrètement pour moi de m’être autorisée à être
moi-même
. Je prends part à chaque conversation sans évacuer mon
opinion. Pour autant, je lâche l’affaire sur certaines choses, comme
pour cette histoire de télé : elle veut toujours le dernier modèle et en
rachète donc une nouvelle tous les trois ans… ça m’éneeeerve !
D’habitude, on se prend toujours la tête là-dessus. Lorsqu’elle me
ressort la thématique du « c’est quand que tu me fais des
petits-enfants ? », ce qu’elle fait toujours même quand on ne passe que
quelques heures ensemble, j’arrive à lui dire que ça me blesse qu’elle
insiste autant. Plus tard dans la conversation, elle s’énerve un peu
(l’ai-je vexée ?), mais dans les heures qui suivent, j’ai le sentiment
que son regard sur moi change. Je ne sais pas si ça durera mais, jusqu’à
maintenant, le sujet n’a pas refait surface !

La semaine passe plutôt tranquillement. C’est agréable. La veille de mon
départ, ma mère me propose qu’on aille manger le midi chez ma tante qui
vit à une heure et demi de voiture de chez elle. L’idée me fait envie.
Mon cousin y sera, car il est venu rendre visite à sa mère pour le
week-end. Ça doit bien faire six ou sept ans qu’on ne s’est pas vu·e·s.
On ne se connaît pas beaucoup lui et moi parce qu’on a dix ans d’écart,
mais malgré ça, c’est une des rares personnes de ma famille avec qui
j’ai toujours senti une certaine complicité possible.

Bien évidemment, ma tante me fait la totale : questions sur mon « avenir
professionnel » et l’état de ma « vie sentimentale ». Je n’échappe pas
au prévisible « mais quand même, à un moment tu voudras bien te poser et
avoir une famille ? Regarde, même ton cousin a fini par s’y mettre ! ».
Ma mère n’en rajoute pas (encore heureux !) mais jette un petit regard
d’approbation à sa sœur. Heureusement, mon cousin est un allié précieux.
Il rembarre ma tante en lui faisant remarquer que, s’il vit en couple
avec une personne qui a un enfant, ça ne signifie en aucun cas qu’il
fait le choix de la famille dans le sens où elle l’entend. Comme
toujours lorsque ce sujet se pointe, je me sens dans mes petits
souliers, mal à l’aise et bafouillante. Mais cette fois, j’assume mes
choix, je les défends sans pour autant qu’on s’engueule. Ça ne les fait
pas changer d’avis… mais ça change plein de choses pour moi.

C’est sûrement pour ça que lorsque le Passé avec un grand P pointe son
nez… je ne ressens aucune peur, je mets les pieds dans le plat : à un
moment, ma tante et ma mère se demandent pourquoi elles ne se sont pas
plus fréquentées que ça, alors qu’elles habitaient à seulement une heure
l’une de l’autre. J’objecte que l’une des conséquences récurrentes des
violences conjugales est l’isolement de la personne qui en est victime.
J’ajoute que ma mère s’est retrouvée très isolée à cette époque. Elle
fréquentait peu de personnes en dehors du travail.

Ça plombe net l’ambiance. Ma mère me jette un regard noir. Puis, d’un
ton sec, très en colère, elle me dit qu’elle n’a pas besoin de moi pour
faire le bilan de sa vie, et que ce qu’elle a vécu à cette époque ne me
regarde pas. Sa réaction me déstabilise : je perds facilement mes moyens
quand on me parle en haussant le ton, encore plus si c’est ma mère.
Comme à chaque fois que ça arrive, je suis renvoyée à ma position
d’enfant. Pourtant aujourd’hui, je suis « adulte », ma mère me reconnaît
comme telle et, même, elle m’encourage à m’emparer pleinement de
certains des rôles qui s’y rattachent (au hasard : avoir des
enfants…). Mais lorsque je ne suis pas d’accord avec elle, on en
revient à des rôles parent/enfant. Je le réalise depuis peu et je ne
sais toujours pas comment désamorcer ces mécanismes/habitudes/schémas de
fonctionnement dans lesquels on s’englue systématiquement… Cette fois
encore, je n’y parviens pas.

Mon cousin vient de nouveau à ma rescousse. Sur un ton très posé, il dit
à ma mère qu’au contraire, il pense que ce qui s’est passé me concerne
puisqu’en tant qu’enfant, j’ai aussi subi les moments où il buvait et
se mettait en colère, et que n’ayant aucune autonomie financière ni
juridique, j’avais encore moins les moyens de m’y soustraire qu’elle.

Malgré son ton un peu didactique-donneur de leçons, sentir sa présence
alliée me fait un bien fou. S’il n’était pas là, je ne saurais plus où
me mettre. Je comprends qu’il faut que je fasse attention à comment je
dis les choses. Je ne veux pas que ma mère le vive comme un procès
contre elle alors que mon intention est au contraire de souligner le
manque de soutien des personnes de notre entourage, de sa famille dans
son cas, puisqu’il avait bien fait en sorte qu’elle n’ait pas trop
d’ami·e·s. Il avait bien manœuvré et avait donné l’impression, à elle
comme à tous, qu’il lui laissait la bride sur le cou alors qu’en fait,
il la tenait bien serrée. Je me souviens des sempiternels « tu fais
comme tu veux… » qu’il lui susurrait et, particulièrement,
lorsqu’iels étaient en public, alors qu’ensuite il tirait la gueule
pendant des jours, voire des semaines. Il était toujours légèrement
désagréable avec ses invité·e·s à elle, pas trop pour que ce ne soit pas
criant mais bien assez pour qu’iels ne se sentent pas à l’aise et
qu’iels reviennent de moins en moins souvent. Peut-être ne savaient-iels
même pas vraiment pourquoi iels en avaient moins envie.

« C’est vrai… », approuve ma tante.

Ma mère met un terme brutal à la discussion en demandant des nouvelles
de la voisine. Ma tante se jette aussitôt sur le sujet, soulagée à
l’idée que cette conversation pourtant à peine entamée se termine.

On avait encore plein de choses à se dire pourtant. J’hésite à revenir à
la charge mais décide finalement de m’abstenir… Je ne veux pas que ma
mère ait le sentiment d’être traquée. Je déteste qu’on me questionne
plus en profondeur sur un sujet que je veux clore parce qu’il me brasse
trop. Je ne veux pas la harceler, je ne veux pas lui faire de mal. Il
lui en a trop fait. Seulement, un jour, j’aimerais qu’on puisse parler
du mal qu’il m’a fait aussi. J’aimerais pouvoir lui dire que je sais
qu’elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour moi, mais que j’ai souffert
de cette situation moi aussi.

Le trajet de retour en voiture est très silencieux. Un silence un peu
froid mais qui ne me gène pas tant que ça. Je repense à mon cousin. Je
suis vraiment touchée qu’il m’ait soutenue. Je le trouve généreux et
fort de se positionner comme il le fait. Je regrette de ne pas l’avoir
soutenu au moment où il a fait sa transition de genre. Je me suis à
l’époque moi-même retranchée derrière le fait qu’on ne se fréquentait
pas trop avec la famille, que j’étais loin et ne pouvais pas juger…
Toujours cette foutue peur de prendre position ! C’était il y a dix ans
déjà et depuis, je n’en ai jamais parlé avec lui. Plus j’y pense plus ça
devient important pour moi de le faire. Je me fais la promesse de
l’appeler cette semaine. Il n’est jamais trop tard !

Et puis j’en viens à penser à ma mère, qui est toute proche et pourtant
si lointaine, absorbée par la conduite. Pendant une bonne cinquantaine
de kilomètres, je rumine et tourne en boucle dans ma tête ce dont je
voudrais lui parler à elle.

Les idées tournent en boucle. Sans forcément relancer une discussion,
réussir à poser les quelques trucs que j’avais en tête me ferait déjà du
bien : « Tu sais, maman, je n’ai plus envie de faire comme si ça n’avait
pas existé… D’ailleurs, je n’ai plus envie de dire tout le temps
« ça » au lieu de dire : « le climat de tension permanent », ou « les
coups de gueule qu’on recevait toutes les deux pour un rien » ou « les
coups que tu recevais quand tu osais lui répondre » ou « ses coups »
tout court. Je ne crois pas qu’on évite la souffrance en ne parlant pas.
Au contraire, je crois que ne pas en parler crée encore plus de
souffrance. Voilà, c’est ce que je pense… »

Je n’ai rien ajouté et elle non plus, mais plus tard, quand nous sommes
sorties de la voiture, elle m’a serrée dans ses bras. Ça faisait des
années que nous n’avions pas fait ça. À vrai dire, je ne me souviens pas
de la dernière fois où elle m’avait prise dans ses bras. Nous nous
sommes séparées sans rien dire et je suis partie le lendemain. Mais j’ai
le sentiment que la prochaine fois qu’on se verra, ce sera différent
entre nous. Je suis contente d’être venue.

Kira et Virginie

Stef me dit « Tu as une minute ? Il faut qu’on parle de Kira ». J’ai
répondu « oui bien sûr », l’air détendue. Mais son air crispé m’a
crispée. Y’a t-il un nouveau problème avec Kira ? Je l’attends, assise
à l’angle de la terrasse de béton, les pieds qui pendouillent dans le
vide. Fébrilité de l’attente : encore une mauvaise nouvelle ? Je courbe
la tête, rentre les épaules d’avance.

Il me dit : « Tu m’avais dit que tu avais pas mal parlé avec
Virginie… » Ah, on parle de l’embrouille entre Kira et Virginie… Ma
réponse sonne presque craintive car mon angoisse de la « mauvaise
nouvelle » se couple d’une deuxième peur, celle d’avoir « mal fait ».
C’est vrai qu’il a l’air très soucieux, et il poursuit :

« La dernière fois que tu lui as parlé, c’était il y a longtemps ?

— Oui assez longtemps… Avant l’hiver, quoi. C’était entre son dernier
séjour à l’HP et son déménagement… Depuis, plus aucune nouvelle…

— Ah… »

Et c’est le jeu des vases communicants, il semble déçu, je me sens
soulagée : peut-être qu’il s’agit d’une « merde » plus récente et que je
n’y suis pour rien. Mais peut-être que Virginie a encore vrillé en
balançant tout son mal-être à la gueule de Kira, ou peut-être qu’à
l’inverse Kira a encore sauté à la gorge de Virginie de ne plus en
pouvoir de ses reproches, peut-être que… La peur reprend sa place
initiale : que s’est-il donc encore passé ?

Alors il raconte. Il n’est pas sûr de ce qu’il avance, mais il croit que
Virginie est allée chez les flics. Il essaie de comprendre, de vérifier.
Aurait-elle posé une main courante ? Porté plainte ? Est-ce qu’elle a
juste raconté ça pour faire peser une menace ? En tout cas, il flippe de
tout ce que ça pourrait impliquer que Kira se retrouve chez les keufs,
avec les délits de faciès racistes et avec tout ce qu’on a déjà subi
dans le collectif en terme de répression…

« Si Virginie a fait ça, ça craint… même si oui, Kira fait grave de la
merde… et que oui, elle est allée trop loin avec Virginie. Mais enfin,
pas les flics quoi ! On ne va pas envoyer du monde en taule quand
même ! »

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Je ne sais pas quoi dire. Je
me demande si d’avoir soutenu Virginie quand elle était au plus mal a pu
l’encourager plus tard à en arriver là. Je me demande si elle aurait
vraiment pu faire ça. J’avoue que j’ai du mal à l’imaginer entrer dans
un commissariat. C’est surréaliste… pfff… Quel merdier !

Le soir dans mon lit, une bouillotte sur le ventre, je me repasse le
film de ma dernière conversation avec Virginie. C’était à une terrasse
de café du centre-ville. Elle avait déjà quitté notre collectif. On
avait convenu qu’elle pouvait me solliciter n’importe quand pour
discuter. Que je pouvais avoir ce rôle-là quand elle n’allait pas bien,
que ça pourrait éviter qu’elle explose n’importe comment avec les
autres. Cette fois-ci le ton avait l’air différent des autres fois. Sa
détresse, toujours présente, s’accompagnait d’un mode vraiment blasé.

Je me souviens avoir tenté de faire redescendre sa paranoïa vis à vis
des potes qui soi-disant lui en voulaient. Jusqu’à ce qu’elle me raconte
qu’elle s’était résignée à partir, déménager, refaire sa vie ailleurs.
Qu’elle n’avait plus confiance en la « justice du milieu ». Même en
ayant reconnu avoir bien vrillé à un moment, ce n’était plus gérable
maintenant, ses embrouilles avec les gens. Et sa famille lui conseillait
de couper les ponts…

Une grande impression d’échec s’était installée dans ma tête à ce
moment-là. J’avais raté quelque chose… On avait raté quelque chose…
Et sa famille n’allait vraiment pas nous aider…

Je sais que je suis un peu trop idéaliste parfois, avec mon fichu
sentiment de communauté… Mais là je me suis dit que finalement c’était
peut-être le bon choix à faire pour elle de repartir à zéro… Et au fil
de la discussion son projet me semblait de plus en plus concret, sa
ville de destination, son camion de déménagement, dans quels délais,
pour y faire quoi et avec qui… J’ai même perçu un brin d’enthousiasme
dans sa voix que je n’avais pas ressenti depuis longtemps…

Steph n’a rien dit de plus, on ne savait pas comment conclure, nous nous
sommes quitté·e·s déprimé·e·s. Maintenant que je n’ai plus aucun contact
avec Virginie (parce que je me rends compte, bien trop tard, que de
couper les ponts, ça voulait dire aussi avec moi) je me demande bien
quel chemin elle a fait… Est-elle vraiment allée chez les flics ?

La bouillotte ne suffira pas à m’endormir, je vais me relever pour me
faire une tisane, continuer mon bouquin, penser un peu à autre chose. Il
faut que j’arrive à dormir… Demain je trouverai bien une personne qui
a des nouvelles de Virginie.

L’échange mail

De: “frk” <frrrrrk@no-bogue.org>
À: “piranha” <piranha@uprising.net>
Envoyé: Mardi 12 Mai 2015 17:33:10
Objet: démarche par rapport à seb

salut samira,

moi c’est franck (du collectif logement, je sais pas si tu vois ?). on se
connaît pas, mais on s’est croisé qq fois au 8bis en soirée.

je t’écris parce que je sais que tu as suivi de près l’histoire de
l’agression d’adèle. tu as aussi contacté seb il y a un certain temps
pour l’informer des demandes d’adèle. il m’en a parlé. et tu dois aussi
connaître no ? comme je sais qu’elle a soutenu fort adèle ces derniers
mois, je ne la connais pas non plus, mais je me suis dit que vous deviez
être en lien là-dessus.

pour ma part, je trouve hyper important de se préoccuper collectivement
de ce genre de situation et que des personnes au sein de nos réseaux se
rendent disponibles pour prendre des rôles de soutien. je suis convaincu
qu’il est de notre responsabilité collective d’être concernés, et
capables de reconnaître que, quand quelqu’un insiste pour faire du sexe
avec une meuf et qu’elle finit par céder, c’est un viol et c’est grave !
il faut qu’on avance là-dessus parce que ce genre de situation arrive
encore trop souvent. et puis on banalise, on relativise, on ne prend pas
ça au sérieux… ça s’est passé exactement comme ça avec adèle, non ?
parce qu’il ne lui a pas mis le couteau sous la gorge, qu’elle ne s’est
pas débattue et parce que c’était des personnes plutôt potes à la base
qui s’organisaient ensemble dans un même collectif… bref, c’est clair
qu’on a des questions à se poser sur nos représentations de ce que peut
être un viol. mais évidemment je ne t’apprends rien, je suis désolé,
c’est comme si j’avais besoin de me justifier sur ma démarche. c’est
parce qu’on ne se connaît pas trop alors voilà, excuse-moi pour le
blabla. :)

pour en revenir à cette idée de gestion collective, ça a été salutaire
que vous preniez en charge la communication entre adèle et seb, c’est
sûr, parce que les premières semaines qui ont suivi la dénonciation des
violences ont été vraiment tendues. le fait que des personnes aient
différents points de vue sur la situation, que ça parle beaucoup pour
parler, mais pas pour chercher à mettre en place des choses concrètes,
ça n’a pas facilité les choses. ce que vous avez fait a vraiment permis
entre autres que seb reconnaisse les conséquences de ce qu’il avait fait
à adèle et qu’il le nomme enfin comme un viol. je trouve que ça a
vraiment permis d’arrêter les débats à la con sur « est-ce que c’en est
un ou pas ? », qui ont dû être super dur à vivre pour adèle.

bon, du coup, je te contacte aujourd’hui parce que j’ai eu l’occas’ de
parler qq fois de manière informelle avec seb ces derniers temps. on a
eu plusieurs discussions chouettes. je crois qu’un vrai lien de
confiance et d’intimité est en train de se tisser entre nous. ça a
permis qu’on aille assez loin dans nos échanges, que la parole se libère
sur des trucs hyper perso, ce qui n’était pas gagné ! lui, il a bougé
dans son positionnement, je trouve. il a eu une grosse prise de
conscience à un moment et là, j’ai l’impression qu’il commence à
s’engager dans une démarche où il voudrait faire un truc pour prendre
ses responsabilités, parce qu’il m’a demandé si je voulais bien
l’accompagner dans un processus de réflexion autour de ce qui s’est
passé. je lui ai dit que je voulais bien, et donc voilà je voulais vous
en tenir informées, toi et no, vu que tu as pas mal suivi cette
histoire. et puis aussi, je me sens pas super bien outillé pour faire ça
alors je sais pas si t’avais des choses à me conseiller… ?

voilà, j’espère que j’ai été clair. en gros je t’écris pour t’informer
que je vais prendre un rôle formel auprès de seb, que tu fasses passer
l’info à no ou que tu me files son adresse, et puis aussi pour demander
conseil. je sais pas si tu pourras y répondre…

ben en tout cas, c’est chouette tout ce que vous avez fait. peut-être on
se croise à l’occasion.

bonne fin de semaine à toi,

franck

De: “piranha” <piranha@uprising.net>
À: “frk” <frrrrrk@no-bogue.org>
Copie à: “no” <no@adventices.net>
Envoyé: mercredi 13 Mai 2015 10:29:17
Objet: Re: démarche par rapport à seb

Salut Franck,

Je reçois ton mail et j’y réponds vite. Je fais aussi passer à No. J’en
ai parlé avec elle hier soir, je fais la réponse pour nous deux.

En effet, j’ai été il y a quelques mois en lien à la fois avec Adèle et
Seb. C’était à ce moment-là nécessaire pour “protéger” (j’aime pas trop
ce mot) Adèle des demandes d’explications de Seb, parce que c’était
vraiment inapproprié, à côté de la plaque, sur le fond comme sur la
forme. C’est cool qu’il commence à capter des trucs… en espérant que
ce soit sincère.

Je trouve ça bien que tu prennes cette place auprès de Seb. C’est
vraiment nécessaire d’accompagner une personne qui a fait de la merde
pour que d’autres situations pourries n’arrivent pas à nouveau, mais tu
comprendras que pour No et moi ça n’a pas fait partie de nos priorités
ces derniers mois… Être à l’écoute d’Adèle et rester dispo pour la
soutenir (lorsqu’elle le souhaite) dans les choix qu’elle fait pour se
reconstruire, ça reste notre priorité, c’est sûr.

Pour ce qui est des conseils, je dirais que le premier truc à faire
serait de t’informer de ce qui s’est passé, de prendre connaissance des
ressentis d’Adèle et des demandes qu’elle a pu faire à Seb, directement
de son point de vue à elle (pour ça, Adèle veut qu’on passe par No).
C’est important parce que tu vas avoir pour rôle d’écouter les ressentis
de Seb concernant cette histoire tout en rappelant que cette même
situation n’a pas été vécu par lui et par elle de la même manière.

Et puis sinon, je me demandais si tu avais pensé à une personne avec qui
tu pourrais débriefer ?

Voilà, en tout cas, sache que je veux bien rester en contact avec toi si
tu as des questions, mais j’ai pas une énergie monstrueuse à consacrer à
ce côté-ci de l’histoire. Et No n’a pas trop envie d’être sollicitée
pour quoi que ce soit concernant Seb ou votre travail à deux, à part
pour transmettre la version d’Adèle, comme je disais juste avant.

En tout cas, merci de nous avoir tenue informées.

Bonne semaine pareil,

Samira

De: “frk” <frrrrrk@no-bogue.org>
À: “piranha” <piranha@uprising.net>
Envoyé: Jeudi 14 Mai 2015 21:45:48
Objet: Re: Re: démarche par rapport à seb

salut samira,

merci pour tes conseils et pour m’avoir répondu aussi vite. c’est vrai
que ça semble important que j’entende la version des faits du point de
vue d’adèle pour recadrer les propos de seb quand ce sera nécessaire. je
crois que je ne sais pas encore trop quelle posture adopter pour
l’accompagner au mieux. je vais y réfléchir. en tout cas, c’est sur que
je passerai par no pour avoir le point de vue d’adèle sur ce qui s’est
passé, son ressenti et pour m’informer sur les demandes qu’elle a faites
à seb. je vais écrire à no pour ça.

et sinon, c’est chouette que tu me demandes si j’ai pensé à quelqu’un
pour me soutenir dans cette histoire. effectivement, j’y avais pas
pensé. je me dis que je vais voir avec lionel, un super pote que je vois
souvent. ça peut être pas mal, je pense.

j’ai bien retenu que t’avais pas trop d’énergie à consacrer à cette
partie, mais plus je pense à comment accompagner seb, plus il me vient
de questions et je me dis qu’il serait plus simple d’avoir une bonne
discussion en direct plutôt qu’échanger 15 mails. un café un de ces
jours ça te dit ? je serai synthétique, promis !

a+

frk

De: “piranha” <piranha@uprising.net>
À: “frk” <frrrrrk@no-bogue.org>
Envoyé: vendredi 15 Mai 2015 23:50:03
Objet: Re: Re: Re : démarche par rapport à seb

Salut Franck,

Faut peut-être que je sois plus explicite sur ce que j’entendais par le
fait de chercher une “personne pour débriefer”. Perso, je ne crois pas
qu’il soit forcément pertinent de demander à une personne de prendre un
rôle de soutien parce que c’est un ami, mais plutôt parce que c’est une
personne à qui tu fais confiance politiquement et humainement pour
t’aider à prendre du recul.

Tout ça me paraît important parce que le rôle que tu prends nécessite de
ta part une certaine empathie, de la proximité avec Seb (ce qui a l’air
d’être le cas et c’est chouette), mais que la conséquence de ça, c’est
que tu risques de t’identifier à ce qu’il vit et donc, éventuellement,
de minimiser ce qui s’est passé ou d’autres situations qu’il pourrait
être amené à te raconter… Ben ouais, parce que toi aussi t’as été
éduqué en tant que mec et que ce qu’il a fait (comme tu le disais
toi-même dans ton premier mail), c’est un truc qui arrive quand même
souvent… Bien sûr, je trouve super important de démonter le mythe du
« monstre-violeur qui attend sa proie au coin d’une rue sombre » et de se
rappeler que la plupart des agressions sexuelles sont commises par
l’entourage connu, mais ce que je trouve piégeux, c’est le glissement
qui peut se faire : dire que les violences sexuelles sont communes et
banales, ça ne doit pas servir d’argument pour minimiser, du style “si
tout le monde le fait, c’est que ce n’est pas si grave”… Les violences
sexuelles, c’est hyper fréquent ET hyper grave… Mais bon je t’apprends
rien…

Enfin tout ça pour dire que ça me semble important que tu trouves une
personne qui pourrait avoir une lecture différente de la tienne, ne pas
être forcément d’accord sur tout avec toi et en tout cas quelqu’un que
tu sens à l’aise pour te faire des retours critiques (dans le sens
constructif du terme !). Et je trouve que c’est justement important de
formaliser avec elle que tu attends un regard critique de sa part (ce
qui veut dire pour toi d’être effectivement prêt à ce qu’on te fasse des
remarques !…). Et puis pense à checker s’il n’y a pas d’enjeu entre
Seb et cette personne. Parles-lui en.

Sinon, pour ta proposition de se voir, je veux bien prendre un temps
avec toi. Si ça te va, je suis dispo tous les matins la semaine
prochaine. On peut se retrouver dans un parc pour tchatcher (je suis pas
fan des terrasses de café avec plein de monde pour parler de ce genre de
sujet). Genre 10h près de la moche statue du parc derrière la gare. Je
te laisse choisir le jour.

En tout cas, je trouve ça cool que tu t’embarques dans cette démarche
d’accompagnement.

Tiens-moi au courant si ça le fait pour toi ma proposition de la semaine
prochaine.

A+ et bon WE à toi,

Samira

Pistes pour agir face à des situations de violences interpersonnelles

Soutenir la personne cible de ces violences, accompagner la personne auteure de ces violences.

Quelques préalables sur la justice et la psychiatrie

Voici quelques pistes pour agir, lorsque les violences d’une personne
sur une autre ont été dénoncées et que celle qui les a subies souhaite
une prise en charge selon des valeurs anti-autoritaires et féministes
plutôt que par la justice et/ou le corps médical/psy.

La question n’est pas ici de juger ou d’exclure d’une telle démarche les
personnes qui feraient le choix de solliciter les institutions, mais de
voir ce que nous pouvons faire hors de ce cadre. Il est clair que dans
de nombreuses situations, des personnes se tournent vers les flics, les
juges ou les médecins, parce qu’elles sont isolées, en manque de
soutien, de ressources, de compétences, de lieu où se poser, parce
qu’elles ne trouvent pas d’autres issues, qu’elles pètent les plombs,
qu’elles y sont poussées par certain·e·s de leurs proches, « ont besoin
que quelque chose soit fait, vite », etc. Et dans toutes ces situations
de souffrance, ça peut être mieux que rien, ça peut être suffisant, ça
peut être salvateur. Ça peut malheureusement aussi être destructeur.

La démarche que nous développons ci-dessous pourrait être, nous
l’espérons, un outil pour agir plus tôt, en amont, en se faisant du
bien, en cherchant des pistes de résolution. Pour contribuer à saper nos
réflexes punitifs et normatifs, pour nous sentir responsables ensemble
sans fabriquer de culpabilisation et de victimisation contre-productive.

Par ailleurs, il est souvent tabou de parler des choses en termes
« psycho » dans les milieux militants radicaux qui voient la
psychiatrie, la psychanalyse et même les psychothérapies en général,
comme des outils de dépolitisation et d’individualisation des problèmes,
infligeant des violences institutionnelles. Pourtant, il nous semble
impossible d’aborder la question des violences sans parler de
traumatisme au sens psychologique, avec les conséquences qu’on peut
observer, comme la reproduction de schémas, les phases de dissociation,
les mémoires traumatiques, les syndromes de stress post-traumatiques ou
les liens entre certaines violences vécues enfants et nos pétages de
plombs d’adultes. Ignorer ces aspects, ce serait sans aucun doute se
priver d’outils vraiment efficaces pour améliorer la confiance en soi et
dépasser des mécanismes qui nous tiennent dans le piège de la violence
et de sa répétition.

Sur tous ces aspects, nous nous sentons vraiment pauvres en ressources,
autant pour nous réapproprier des outils et des conceptions, que pour
les critiquer, les améliorer, les dépasser. Ce travail reste à faire
pour affiner encore les pistes que nous proposons ci-dessous…

Point de départ

Nous partirons ici uniquement de situations où il n’y a pas de doute sur
qui est la personne cible des violences/de l’agression et qui est la
personne auteure de ces violences. Afin de simplifier la lecture, nous
appelons « Cib » la personne cible et « Aut » la personne auteure.

Nous présentons dans un même document des pistes pour soutenir Cib
(cible) et accompagner Aut (auteur·e), mais nous tenons à rappeler que
ces deux démarches sont des processus bien différents et séparés en
termes d’enjeux, d’objectifs et de temporalité. Par exemple, ce n’est
pas parce qu’Aut, après avoir sérieusement travaillé sur ses
comportements, aurait envie de demander pardon à Cib, que cela aurait
forcément du sens dans le processus de reconstruction de Cib. Au
contraire, Cib peut très bien avoir besoin de ne plus avoir aucun
contact avec Aut. Chaque processus de soutien ou d’accompagnement doit
se faire de façon adaptée à la personne, qui le fait pour elle-même, à
un rythme qui lui est propre. Il nous semble périlleux et même, la
plupart du temps, dommageable de forcer les deux processus à coïncider.

Bien évidemment, nous rappelons que nous ne proposons pas ici de recette
miracle applicable à la lettre. Cette brochure, et tout particulièrement
ce texte, proviennent de l’envie de partager un travail collectif de
réflexion, de rassembler dans un document des choses tentées (ou pas…)
dans différents contextes par différentes personnes. C’est l’envie
d’apporter notre pierre à l’édifice pour ne pas repartir de zéro à
chaque fois… Enfin, c’est l’envie de transmettre notre expérience pour
être à l’avenir de plus en plus nombreux·ses à s’impliquer quand des
violences surviennent autour de nous. En effet, il semble indispensable
que davantage de personnes agissent face à ces violences entre proches
et donc qu’elles se préparent à le faire en s’outillant.

Que ce soit pour soutenir les personnes cibles des violences ou pour
accompagner les auteur·e·s, nous trouvons très précieuse l’approche des
rapports structurels de domination et, en particulier, ceux qui sont en
jeu entre les personnes impliquées. Nous croyons utile d’avoir une bonne
connaissance (ou de faire en sorte de s’informer) sur les mécanismes à
l’origine des violences entre proches, notamment les questions de
rapports de pouvoirs et de domination. À la fin de cette brochure, nous
proposons un certain nombre de liens vers des textes et des émissions
radio que nous vous conseillons vivement !

1. En amont, prévention, comment être tou·te·s plus impliqué·e·s et concerné·e·s par ces questions

Au fil de nos réflexions, nous nous sommes beaucoup appuyé·e·s sur la
notion de communauté, qui existe de fait, mais est rarement nommée en
tant que telle autour de nous.

En tant que féministes, lorsque nous thématisons les violences et les
violences sexuelles, nous insistons toujours sur le fait que la plus
grande partie des agressions sont commises par des proches, et dans le
cadre familial, conjugal, amical ou professionnel (pour rappel, 83 % des
« agresseurs » étaient connus de leur « victime », en France en 2012,
selon les statistiques de l’Insee). La dimension communautaire nous
paraît évidente, lorsque nous contestons les fausses évidences sur ces
« agresseurs inconnus surgissant au détour d’une rue à la nuit tombée »,
pour plutôt pointer les agissements des proches : ces comportements nous
concernent de près, comment changer les choses sans transformer ce qui
constitue nos liens, nos responsabilités et nos cultures communes ?

Nous partons du constat que nous nous sentons appartenir à une
communauté : communauté d’intérêts et d’identités ; communauté faite de
l’imbrication de nos histoires familiales, culturelles, économiques et
politiques. Ces appartenances, subies ou choisies, forgent une part
conséquente de nos attachements et de nos destinées collectives.
L’aspect communautaire est d’autant plus important à nos yeux qu’il nous
rassemble en tant que personnes minorisées, dans notre cas en tant que
meufs, gouines, trans’, anarchistes et féministes. Pour chacune d’entre
nous, il est quasi-vital d’accéder aux idées et aux pratiques qui se
développent dans ces cercles, d’y trouver des ami·e·s, des soutiens, des
complices, des pairs, etc. C’est le plus souvent ce qui nous permet de
survivre et de vivre, avec ce que nous sommes et ce que nous portons.

C’est le fait de penser les choses en termes communautaires qui nous a
conduit à envisager, pour une agression donnée, l’ensemble des personnes
impliquées et à distinguer trois positions : la personne cible de
l’agression, la personne auteure et les personnes autour, soit, en fait,
toute la communauté. Depuis des années, nous nous concentrons sur ce qui
peut être mis en place avec les personnes cibles de violences et,
principalement, avec des femmes en contexte hétérosexuel. Nous nous
mobilisons pour les soutenir individuellement, pour réfléchir
collectivement à notre pratique de soutien, ou encore pour développer
l’autodéfense féministe. Ces choix de priorité s’expliquent d’abord par
le nombre et l’urgence des souffrances et des détresses de ces
personnes. La seconde raison, plus politique, est la volonté de
prioriser les personnes subissant la domination plutôt que celles qui
l’exercent : les personnes vivant des agressions sont le plus souvent
isolées, contestées et même exclues pour avoir dénoncé des violences
qu’elles subissent ou bien elles s’auto-excluent pour ne pas l’avoir
fait pour diverses raisons. Nous défendons plus que jamais cette
priorisation de nos attentions. Cependant, nous impliquer en parallèle
dans le suivi des auteur·e·s de violences ainsi que vis-à-vis de tout
l’entourage, est pour nous complémentaire pour continuer à changer les
choses à la racine. Et en disant cela, nous ne voulons ni délaisser les
personnes cibles, ni encourager les pugilats, les rumeurs et tout ce qui
fait les emportements collectifs dévastateurs. Au contraire, nous
voulons œuvrer à une culture commune qui réduise les violences et prenne
soin de chacun·e. C’est avec ce parti-pris que nous voulons faire de ces
violences l’affaire de tout·e·s et que nous proposons de travailler *
aussi* sur notre propre potentiel à commettre des agressions et sur nos
stratégies pour pratiquer le consentement.

Ajoutons pour finir que nous avons trouvé la force et les ressources
pour creuser ces aspects pendant ces quatre années, parce que nous
ressentions plus de maturité collective sur ces sujets, en analyse comme
en pratique et, surtout, parce que nous avons pu trouver un cadre de
confiance pour y travailler : nous sommes tout·e·s féministes et
anti-autoritaires, donc avec des bases politiques communes.

2. Dénonciation d’une situation

Une situation d’agression / de violence interpersonnelle peut être
connue parce que nommée :

Par Cib, la personne qui a été agressée / a subi les violences
qui dit simplement ce qui s’est passé
OU qui dit ce qui s’est passé et demande de l’aide
OU qui dit ce qui s’est passé et formule des demandes plus précises
(de médiation, de suivi de cellui qui l’a agressé·e, d’éloignement de
cellui qui l’a agressé·e).

Par Aut, la personne auteur·e des violences / de l’agression
qui réalise ce qu’iel a fait seul·e
OU par la discussion avec cellui qu’iel a agressé·e
OU avec un tiers,
ET volontairement OU par la pression,
ET qui demande de l’aide OU pas.

Par une personne tierce
qui a été témoin
ET / OU qui a parlé avec les protagonistes.

Pour commencer, il est important lorsqu’on reçoit des informations
dénonçant une situation de violences ou d’agression de se tourner vers
la personne cible des violences, afin de vérifier qu’elle ne les subit
plus et de saisir ce qu’elle veut ou du moins ce qu’elle est prête ou
n’est pas prête à vivre.

Si les violences persistent, protéger la vie de Cib est une priorité,
mais cela ne peut se faire sans son avis et son accord. Il y a le risque
de perdre le contact avec elle si les solutions trouvées ne sont pas
réalistes. On peut proposer à Cib de tenter de faire partir Aut du lieu
où iel exerce les violences. Si cela ne fonctionne pas ou ne permet pas
à Cib de se sentir en sécurité, on peut lui proposer de l’aider à partir
et à trouver un lieu où iel se sente bien. Il se peut qu’il n’y ait rien
que l’on puisse faire pour assurer dans l’immédiat la sécurité ou le
bien-être physique et mental de Cib. Dans ce cas, il est important de
continuer à se positionner en soutien de Cib et de l’encourager à
trouver un endroit sûr.

3. Soutenir la personne cible des violences

Un travail important a déjà été réalisé par d’autres groupes/personnes
sur ce sujet que ce soit par le biais de textes collectifs ou de récits
personnels. N’hésitez pas à aller voir les références proposées à la fin
de cette brochure. Sur les questions de l’écoute, du soutien et des
postures que le rôle de soutien implique, nous vous conseillons
fortement la lecture de Soutenir un.e survivant.e d’agression sexuelle
dont nous nous sommes largement inspiré·e·s pour rédiger cette
partie.

Nous avons abordé de manière thématique les choses qui nous semblent
importantes dans des situations de soutien. Un certain nombre de ces
points peuvent constituer des étapes/phases. Nous n’avons pas souhaité
les ranger selon un ordre particulier car cela peut être très différent
selon les situations. Cependant il nous semble assez utile de définir un
processus avec une succession d’étapes qui soient pensées à plusieurs.
Cela peut se faire entre Cib et la ou les personnes en soutien (que nous
proposons d’appeler par la suite « Sou ») ; si Cib n’est pas en mesure
de réfléchir à ces étapes à ce moment-là, cette réflexion peut se faire
entre personnes soutien (si iels sont plusieurs) ou avec une/des
personnes de confiance autour. S’accorder sur des étapes permet de se
fixer des objectifs et de clôturer des phases de « travail », de voir le
chemin déjà parcouru, de baliser un parcours qui doit tendre vers un
aller-mieux et une reprise d’autonomie de Cib.

L’écoute

Pour Cib, la personne cible des violences

Quand on a subi une agression/de la violence de la part de quelqu’un·e
d’autre, on a souvent besoin de pouvoir vider son sac, de dire tout ce
qui nous passe par la tête en se sentant écouté·e, cru·e par la personne
à qui on se confie et non pas jugé·e dans la manière dont on va exprimer
nos ressentis (parce qu’on n’utiliserait pas le « politiquement
correct », parce qu’on serait confus·e, etc.)

On a souvent des hauts et des bas, des moments où on se sent en colère
et/ou super fort·e·s, d’autres où on se sent juste mal. On peut
ressentir de la honte ou de la culpabilité de ne pas avoir su réagir
« comme il faut ». Ça peut faire du bien d’entendre « ce n’est pas toi
qui est responsable » (même si des fois on le sait déjà) plutôt que « tu
ne devrais pas dire ça ».

On peut avoir besoin de réconfort, que quelqu’un·e nous prenne dans ses
bras, ou bien pas du tout, ou bien ça dépend des moments. C’est pas
toujours facile pour les autres de le capter et souvent pas possible
soi-même de l’exprimer.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des
violences

Quand on soutient une personne qui a subi une agression, des violences,
une des premières choses importantes à faire c’est de l’écouter sans
canaliser sa parole, de lui laisser la place d’aller au bout de ce
qu’iel a à dire. Accueillir ses propos. Ne pas chercher à relativiser la
manière dont ont été vécus les faits… Croire à ce qu’iel a vécu et
ressenti.

Si on parle beaucoup pendant ces discussions avec Cib, il y a de fortes
chances qu’on dise des choses qui ne vont pas aider. Parfois, en gardant
le silence, on évite d’ajouter à la conversation des éléments qui n’y
ont pas leur place.

Prendre l’autre dans les bras n’est pas forcément approprié, être proche
physiquement n’aide pas nécessairement. C’est important de ne pas le
présupposer, donc de demander et de se laisser guider.

L’écoute active

Pour Cib, la personne cible des violences

Quand on a vécu des violences, parfois on se sent juste « mal » sans
savoir exactement ce qu’on ressent. Pourtant, identifier plus
précisément ces sensations peut redonner prise sur ce qui arrive. Par
exemple, comprendre qu’à certains moments on se sent « mal » parce qu’on
culpabilise de ce qui s’est passé peut permettre de comprendre d’où
vient ce sentiment de culpabilité et de lui tordre le cou… peut-être
pas une bonne fois pour toutes, mais ça devient ensuite plus simple de
l’identifier dès qu’il repointe son nez. Des fois, on arrive à faire
seul·e ce processus qui permet de comprendre les « quoi », « pourquoi »,
« comment », et à d’autres moments c’est le brouillard complet. C’est
pour cela qu’il est parfois précieux que quelqu’un·e nous aide à
gratter, identifier, nommer, décortiquer tous les « je me sens mal »
non-identifiés.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des
violences

Quand on a un rôle d’écoutant·e, ce qu’on appelle l’écoute active, c’est
chercher à accompagner dans la verbalisation et la précision d’une
pensée. Il est possible qu’il soit difficile pour Cib de s’exprimer, que
cela prenne du temps. Il faut faire avec. Poser des questions reste la
meilleure manière d’aider quelqu’un·e à creuser/préciser une idée. C’est
possible aussi de proposer des reformulations en veillant toujours à
laisser de la place et du temps pour qu’iel puisse décider si cela lui
parle, si ça correspond à ce qu’iel a cherché à exprimer. Proposer
plusieurs reformulations plutôt qu’une, afin d’offrir du choix dans la
manière dont iel pourra se les réapproprier.

Il est important d’observer si on ne prend pas trop de place dans la
discussion, de laisser de la place aux silences.

Les silences

Pour Cib, la personne cible des violences

Les silences sont parfois vécus dans les conversations entre deux
personnes comme des moments de gêne, mais ils sont parfois nécessaires
pour digérer une émotion, pour réfléchir à quelque chose qu’on vient de
dire ou qu’on voudrait dire. Ça peut permettre notamment d’exprimer une
limite ou de faire des remarques à la personne qui nous écoute quand on
a le sentiment qu’iel nous embarque sur des sujets qu’on ne veut pas
aborder ou qu’iel a dit quelque chose qui ne nous convient pas.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des
violences

Les moments de silence dans une conversation, lorsqu’on est à la place
de cellui qui écoute, peuvent permettre de prendre du recul, de se
demander si on n’est pas en train de plaquer ses propres émotions sur ce
que Cib exprime. C’est important d’être dans l’empathie mais on n’a pas
à s’identifier à Cib, à penser ou dire à la place de l’autre. Il est
bien sûr possible qu’on se « reconnaisse » dans des situations, des
émotions qui sont dites, mais ce n’est pas parce qu’une chose a marché
pour soi qu’elle peut être généralisée.

Ça peut être bien de lire des récits d’expériences (de personnes qui ont
vécu des agressions ou de personnes qui racontent des expériences de
prise en charge). Ce n’est peut-être pas le moment pour Cib d’avoir de
telles lectures mais, en tant que personne qui l’écoute et la soutient,
ça permet d’envisager différentes manières de réagir.

Lâcher-prise, prendre en charge et prendre soin de soi

Pour Cib, la personne cible des violences

Lorsqu’on a subi un choc, qu’on est submergé·e par des émotions
contradictoires et paniquantes, que les violences qu’on a subies se
compliquent d’enjeux relationnels et des réactions de l’entourage, il
est tout à fait compréhensible qu’on ait du mal à faire face à tout. Il
est alors important de se rappeler que même les super-héro·ïne·s ont des
coups de mou, des grosses fatigues et des burn out. On a tou·te·s besoin
de soutien par moment. Accepter de lâcher-prise pour une certaine
période peut nous aider à libérer de l’espace mental pour reconstituer
ses forces. On peut s’autoriser à trier et à fuir certaines situations,
à demander à Sou (qui nous soutient) de prendre des décisions à notre
place pour un temps donné et sur certains sujets, à demander à d’autres
personnes plus ou moins proches des coups de mains matériels (embarquer
notre linge avec le leur quand iels vont à la laverie, passer la tête
par la porte pour savoir si on a mangé, nous proposer d’aller faire un
tour, ou boire un café, ou voir un concert, ou réparer nos vélos
ensemble ; nous aider à faire des papiers…).

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des
violences

Quand on propose à Cib de l’aider à prendre des décisions, quand on
accepte de porter des messages ou de mener des actions pour ellui, il ne
s’agit pas de la/le convaincre de s’en remettre à nous intégralement.
Mais il est important de la/le rassurer sur le fait qu’iel est normal de
ne pas être fort·e tout le temps et sur tout… et qu’iel est fort·e
quand même.

Si Cib lâche prise et s’en remet à nous en tant que personne soutien, il
est important de l’aider à ne pas en culpabiliser mais qu’iel en profite
pour se reposer, se mettre à distance, trouver du répit.

Pour soulager Cib, plein de choses sont possibles et pas seulement en
matière de « gestion » vis-à-vis d’Aut, mais de manière très concrète.
Cette prise en charge matérielle et quotidienne est souvent invisible.
Elle représente pourtant une vraie charge et il est donc aussi possible
d’inviter l’entourage, des ami·e·s de confiance à donner des coups de
main, à se proposer pour des tâches précises et simples.

En tant que personne soutien, il est également important de poser ses
propres limites vis-à-vis de Cib pour qu’iel ne soit pas déçu·e si on ne
va pas aussi loin qu’iel le voudrait. L’encourager doucement à élargir
son réseau de soutien est une manière d’éviter un épuisement qui serait
dans tous les cas préjudiciable à chacun·e et à la relation. Si on
estime que Cib n’est pas en capacité d’entendre nos propres limites, ça
vaut quand même le coup de les clarifier pour soi-même, afin de savoir
dire « stop » au bon moment et de ne pas s’épuiser ni s’enferrer dans
une relation de dépendance contre-productive. Cela peut aussi permettre
d’anticiper, de trouver du relais, afin que le soutien ne s’arrête pas
d’un coup, au moment où on n’en peut vraiment plus, ce qui peut être
très déstabilisant pour Cib.

Pour toutes ces raisons, il peut être utile de clarifier sur quels
sujets et sur quelle période on accepte de « prendre en charge » des
aspects de la vie de Cib, afin de faciliter la mise au point et le
passage à d’autres phases.

Reprendre et redonner du pouvoir

Pour Cib, la personne cible des violences

Les agressions, les situations de violences, ce sont des moments où nos
limites sont franchement dépassées. Des moments où, soit on n’a pas eu
la place de poser nos limites, soit on les a affirmées sans qu’elles
soient prises en compte. Ce piétinement de nos limites peut abîmer notre
confiance en nous et envers les autres, notre assurance à poser nos
limites, à faire des choix, à être entendu·e dans ces choix. C’est donc
important que les personnes qui nous soutiennent nous laissent le
pouvoir de prendre les décisions, même si iels auraient fait d’autres
choix dans une situation similaire. Il est important de prendre nos
propres décisions et qu’on n’ait pas le sentiment que ce sont iels qui
les prennent pour nous.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des
violences

Quand on est dans le rôle de soutien, une manière d’aider une personne à
prendre des décisions, c’est d’essayer d’expliciter le plus
méthodiquement possible les conséquences qu’on peut percevoir dans le
fait de faire tel ou tel choix.

On peut aussi visibiliser là où il semblerait qu’il y ait des choix à
faire, démêler une situation embrouillée en la découpant en différents
points pour en ressortir des éléments plus « digérables », des choix
plus simples à faire indépendamment les uns des autres, tout en montrant
les liens qu’il y a entre eux.

Identifier des besoins et des demandes

Pour Cib, la personne cible des violences

Pour mettre à distance la violence qu’on a vécue et se dégager de
l’emprise que Aut exerce sur nous à travers elle, une étape importante
est de clarifier ce dont on a besoin et les demandes qu’on peut
formuler, que ce soit à Aut ou à l’entourage. Cette démarche est souvent
plus facile quand on est passé·e par les premières étapes de libération
de nos émotions et de décorticage de ce qu’on a vécu, sans encore
chercher à construire des possibles pour la suite. On peut ensuite
tenter de fixer par écrit ces besoins et ces demandes.

Il s’agit d’analyser ce qui s’est passé, les rapports de pouvoir et les
réflexes relationnels en jeu, pour imaginer comment modifier des choses
à l’avenir afin de se protéger, pour que ça n’arrive pas à nouveau
(nommer ses limites, imaginer comment les poser plus fermement, etc.).
On peut essayer de clarifier notre rapport à l’éventualité d’une
confrontation avec Aut : on peut simplement avoir besoin qu’Aut cesse de
tenter de nous contacter ; qu’Aut cesse de venir chez nous, même s’iel
est super pote avec nos colocs, qu’Aut s’extraie de tel collectif que
nous fréquentons, qu’iel ne remette plus les pieds dans tel lieu, qu’iel
déménage. Il peut aussi s’agir d’autres demandes comme la reconnaissance
des actes, des excuses, l’envoi d’une lettre ou une rencontre de visu,
accompagnée par une/des personnes tiers, qui tiennent un rôle de
médiateu·rices ou de simples « témoins », etc.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des
violences

Pour aider Cib à formuler des demandes claires et réalisables, on peut
essayer d’ouvrir plusieurs pistes plutôt qu’une seule, et dans des
registres divers : sécuriser des espaces ; ne plus croiser la personne ;
dénoncer une situation… On peut lui poser des questions très concrètes
et méthodiques, sur la manière dont elle veut que ce qui s’est passé
soit exprimé par Aut dans les espaces qu’iels fréquentent en commun ou,
au contraire, comment Cib ne voudrait surtout pas qu’Aut en parle. Si
Cib préfère prendre la parole ellui-même ou obtenir le soutien de
personnes « intermédiaires ».

Se pose ensuite la question de répondre à ces demandes. Pour minimiser
les déceptions et les frustrations, il peut être utile de distinguer,
d’une part, les besoins sur lesquels Cib a une prise directe, parce que
c’est ellui (ou du moins des personnes en qui iel a confiance) qui opère
un changement, et d’autre part les demandes qui dépendent de Aut et de
son entourage, et sur lesquelles Cib n’a pas une prise directe. Par
exemple : Cib peut avoir besoin que quelqu’un·e vienne avec ellui dans
des situations précises (ça dépend d’ellui et de personnes proches) ou
bien Cib a besoin de savoir si Aut sera à tel endroit avant d’y aller
(ça dépendra du fait que Aut et les personnes qui sont proches d’ellui
accepte de le dire/le prévoir).

Dans la durée, il peut aussi être utile de faire des mises au point sur
la réalisation des demandes, de vérifier qu’elles sont toujours
d’actualité, de comprendre si les besoins de Cib et la disponibilité de
l’entourage ont changé.

D’une manière plus générale, on peut aussi parler d’objectifs. Il nous
semble toujours intéressant de prendre en note les objectifs qu’on se
donne, pour pouvoir faire des points réguliers sur le fait qu’on les a
réalisés ou non, qu’ils ont changé en cours de route ou non. Cela aidera
aussi à entrevoir la fin d’un processus, de pouvoir conclure que les
objectifs sont atteints ou abandonnés et qu’on passe à autre chose…

Formaliser le rôle de Sou, personne(s) soutien de la personne cible
des violences

Pour Cib, la personne cible des violences

Formaliser le rôle que prend une personne pour nous soutenir ça permet
aussi de faire attention à ellui, c’est l’occasion de questionner
ensemble ce que ça peut changer dans notre relation (si on était à la
base ami·e·s, si on ne se connaissait pas…) et comment on peut prendre
soin de cette relation.

C’est aussi garder un certain contrôle sur la situation : ce n’est pas
parce que Sou nous soutient qu’on doit tout lui raconter et accepter
toutes ses propositions.

Enfin, il peut être vraiment utile de clarifier avec Sou le niveau de
confidentialité de ce qu’on lui livre. Cela permet de savoir pour
soi-même ce que l’on est prêt·e à raconter ou pas et de consolider la
confiance avec Sou en entendant aussi ses limites à ellui.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des
violences

Il arrive souvent qu’on se « retrouve » dans un rôle de soutien. Même si
on ne l’a pas choisi au départ, c’est bien de le formaliser à un moment
donné, notamment parce que ça peut redonner du pouvoir à la personne
qu’on soutient pour fixer les modalités et les limites de cette
relation, expliciter des besoins qu’iel aurait, proposer des manières de
faire auxquelles on n’aurait pas pensé. Et bien sûr, ça nous aidera
aussi, en tant que personne soutien, à réévaluer ce qu’on est prêt·e à
faire.

Il s’agit d’expliciter les limites de disponibilité, de se demander si
on se sent disponible à ce moment-là, de trouver des alternatives, par
exemple d’identifier d’autres personnes à solliciter, etc.

Formaliser le niveau de confidentialité nécessaire permet que chacun·e
se sente en confiance. Cela peut signifier aider Cib à cerner ce qu’iel
est d’accord de raconter, mais aussi en tant que personne soutien
pouvoir poser ses limites afin de ne pas se sentir coincé·e dans un
secret absolu. L’idée est aussi de trouver soi-même de l’écoute auprès
d’autre(s) personne(s) pour prendre du recul, exprimer nos difficultés
et nos questionnements, évacuer nos propres émotions, ne pas
« craquer », etc.

Conclure et aller de l’avant

Pour Cib, la personne cible des violences

Toutes les demandes et les aménagements qu’on tente de mettre en place
visent à se dégager de la situation de violence, à panser nos plaies, à
obtenir reconnaissance, réparation et à continuer notre vie de la
meilleure façon possible. Il est donc souvent important, pour ne pas
rester englué·e·s dans la détresse et la panique, de travailler
activement à passer des étapes et même à conclure ce qu’il est
possible de conclure. Bref, à laisser, autant que possible, certaines
choses douloureuses derrière soi. Cela ne signifie pas qu’il est
nécessaire de « tout oublier » ou au contraire de « tout se souvenir ».
Chacun·e trouve un chemin différent pour digérer la violence qu’iel a
vécue.

À plusieurs étapes du processus, une chose importante à faire peut être
de clarifier nos intentions derrière nos demandes : Est-ce que je
veux mettre ceci ou cela en place pour Aut ou pour moi-même ? Ce qu’Aut
fait m’importe-il ou est-ce que je m’en fiche ? Est-ce que telle demande
m’est toujours utile ? À travers ces questions, il s’agit, petit à
petit, de s’autonomiser par rapport à Aut, de mieux identifier ce dont
on a encore besoin et ce qui change.

Ensuite, il s’agit de poursuivre sa vie, avec et malgré ce qu’on a
traversé. Tenaillé·e·s entre le « vivre avec » et le « passer à autre
chose », on peut décider parfois de classer certains enjeux parce qu’on
a le sentiment d’en avoir fait le tour ou d’en être épuisé·e·s. On peut
aussi chercher à lister les outils, les petites stratégies du quotidien,
pour mieux faire face à des moments de crise, de résurgence du
traumatisme ou de la colère, canaliser nos émotions, trouver les moyens
d’agir et de se protéger.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des
violences

Que ce soit le passage d’une étape importante, ou la fin d’un travail
commun, on peut proposer à Cib de formaliser ce moment. On peut en
parler. On peut aussi lui proposer un moment symbolique, une fête, une
rando, un resto… On peut encore proposer à Cib de lui remettre les
notes qu’on a prises tout au long de l’accompagnement, ou de les
détruire ensemble.

Parfois on s’implique pendant des mois et des années dans le soutien
pour finalement reconnaître que ce n’était pas concluant. Et oui, des
fois, ça ne marche pas : les enjeux sont si complexes, l’imbrication des
subtilités humaines si tordues, que ce n’est jamais gagné. Même si on en
sort avec un sentiment d’échec, c’était important d’essayer !

Que l’on sorte plus ou moins satisfait·e·s d’un processus comme
celui-ci, il nous semble primordial de se féliciter pour les efforts
fournis. Il s’agit avant tout de célébrer la force et la victoire de
Cib. Mais il ne faut pas pour autant nier (pour nous-même et
l’entourage), qu’en tant que soutien, nous avons fourni un travail
important et trop souvent invisible.

Une fois de plus, nos émotions, nos questionnements et nos besoins en
tant que personne soutien ne sont pas l’affaire de Cib. Iel a bien assez
de sa propre histoire à prendre en charge ! Il reste donc important de
se tourner vers d’autres pour faire le bilan de tout ça. Ça peut aussi
être chouette de penser la transmission de ces expériences… en prenant
garde à ne pas se spécialiser : on a tôt fait de se figer dans un rôle
où on serait toujours cellui qui « porte secours », parce qu’on serait
expérimenté·e·s, stables et sans avoir jamais besoin d’aide soi-même.

4. Accompagner la personne auteure des violences

La priorité

Avant toute chose et indépendamment de la question d’un accompagnement,
Aut a un certain nombre de demandes à respecter en fonction des
besoins exprimés par Cib. Cette étape non négociable va dans l’intérêt
de la personne qui a subi l’agression/les violences : il s’agit en effet
d’assurer sa sécurité physique et psychique, ou d’éviter par exemple
qu’iel ne s’auto-exclue des espaces dans lesquels iel gravite de peur de
croiser Aut. Il s’agit aussi de soutenir Cib dans son processus de
reconstruction, en l’aidant à reprendre du pouvoir, en reconnaissant ce
qu’iel a vécu, en signifiant par des actes qu’iel n’est pas responsable
de ce qu’iel a subi.

C’est le rôle de la/des personnes soutien de Cib et/ou de la/des
personnes médiatrices d’informer Aut (et toutes les personnes
nécessaires) de ces demandes, et de les lui rappeler si nécessaire. Ces
demandes peuvent être diverses (plusieurs exemples ont été détaillés
dans la partie concernant le soutien à Cib). Dans tous les cas, il
s’agit de protéger la personne qui a subi l’agression/les violences et
de l’aider à se faire du bien, à aller mieux. Il ne s’agit pas d’une
démarche punitive vis-à-vis d’Aut.

Néanmoins, Aut peut vivre ces demandes de manière plus ou moins
difficile et mettre plus ou moins de bonne volonté à les respecter.
C’est le rôle de la communauté dans son ensemble que d’avoir pour
priorité le respect des demandes de Cib, et donc de mettre la pression
sur Aut quand/s’il le faut.

L’accompagnement : une démarche choisie par la personne auteure

Au-delà du respect des demandes de Cib, l’accompagnement d’Aut est une
situation choisie, c’est-à-dire une démarche de travail dans laquelle
Aut s’engage volontairement, pour ellui-même. Cela signifie qu’en
prenant au moins partiellement conscience des conséquences de ses actes,
Aut est volontaire pour démanteler les mécanismes relationnels qui l’ont
conduit·e à exercer de la violence, et pour travailler à ne pas
reproduire de comportements violents. Cela signifie qu’Aut est dans une
démarche active qui débouchera sur la sollicitation d’une personne pour
l’accompagner dans la déconstruction de ses comportements problématiques
(nous proposons d’appeler cette personne accompagnante « Accomp »).

Dans notre expérience, les processus d’accompagnement se sont souvent
mis en place après une période plus ou moins longue de discussions
conflictuelles et confrontantes pour Aut (cela peut intervenir plusieurs
mois ou années après les faits en cause…).

Le cadre de l’accompagnement

Les bases politiques :

Pour nous, Accomp (qui prend le rôle d’accompagnant·e) doit avoir une
base d’analyse politique anti-autoritaire, féministe radicale et
intersectionnelle des rapports structurels de domination. Aut demande à
être accompagné·e par Accomp en ayant connaissance de ses valeurs. En
effet, dans la mesure où nous pensons que nos comportements individuels
sont largement déterminés par les structures sociales dans lesquelles on
s’est construit·e·s, il nous semble problématique de chercher à
déconstruire notre potentiel à faire de la merde sans le situer dans ce
cadre d’analyse en termes de rapports de pouvoir. Parce que le risque
est réel pour Accomp de renforcer Aut dans certains mécanismes
,
notamment les très « classiques » victimisation et minimisation. Pour
les mêmes raisons, il nous semble nécessaire que les personnes
s’impliquant en tant qu’accompagnant·e en réfèrent à des féministes
et/ou plus largement à des personnes partageant le vécu d’oppression de
Cib (par exemple, en tant que racisé·e, handicapé·e, mineur·e, femme,
gouine, trans, pédé, etc.) et d’autant plus lorsqu’elles ne partagent
pas ce vécu.

La relation entre l’accompagnant·e et l’accompagné·e :

Contrairement au rapport avec un·e professionnel·le de
psychologie/psychiatrie par exemple, la relation
accompagnant·e-accompagné·e dont on parle ici cherche à tendre au
maximum à l’horizontalité. Aut et Accomp se reconnaissent comme faisant
partie d’une même communauté, de mêmes cercles. Il n’y pas d’expert·e et
d’expertisé·e.

La confidentialité des échanges :

Pour que chacun·e se sente à l’aise et en confiance, il est nécessaire
que soit discuté par Aut et Accomp le niveau de confidentialité des
échanges et ce que chacun·e entend par là. Il s’agit tant de garantir à
la personne qui se met en travail que sa vie ne va pas être déballée en
place publique, que de permettre une communication avec la personne qui
a subi l’agression/les violences si cette dernière avait des questions,
ou encore de laisser la place à des soutiens pour Accomp. Enfin, tout en
préservant la confidentialité des échanges, il semble important que la
communication entre Accomp et la communauté ne soit pas un tabou,
notamment afin d’éviter l’isolement d’Accomp et de Aut dans leur face à
face.

Les formes :

Formaliser les espaces et les moments dans lesquels se passe
l’accompagnement permet de ne pas déborder sur d’autres lieux et
d’autres formes de relation que peuvent avoir par ailleurs la personne
accompagnée et la personne accompagnante. Le cadre peut concerner le
temps (régularité et durée des rencontres) et les espaces (rencontres
seulement de visu ou possibilité de se parler au téléphone…). Tout est
à négocier en fonction des besoins-capacités-disponibilités de l’un·e et
de l’autre. Il semble en tout cas important de poser des limites et de
bien cadrer l’accompagnement afin d’éviter de déborder sur l’emploi du
temps de l’un·e ou l’autre, et de protéger Accomp d’éventuelles attentes
d’Aut quant à une disponibilité permanente de sa part.

Les objectifs de l’accompagnement

Il s’agit d’une démarche active de la personne auteure qui veut se
responsabiliser et qui demande un cadre pour cela.

Un travail de responsabilisation, cela passe notamment pour Aut par :

  • Faire cette démarche pour soi-même, parce qu’on prend au sérieux cet
    idéal de rapports non autoritaires entre individu·e·s et qu’on sait
    qu’individuellement et collectivement on a beaucoup de travail avant d’y
    arriver.
  • Amorcer ce travail parce qu’on n’a plus envie de faire du mal autour
    de soi, et qu’on sait que pour ça il est nécessaire de s’outiller pour
    développer des relations de la manière la plus égalitaire et consentie
    possible.
  • Prendre conscience des conséquences de ses actes, quelles que soient
    ses intentions au départ.
  • Être capable de développer de l’empathie pour Cib, de se connecter à
    son vécu, à ses ressentis, et de les prendre en considération comme
    valables et ne passant pas après les siens propres.
  • Être capable de se remettre en question sans pour autant sombrer dans
    une culpabilité stérile.
  • Analyser ses mécanismes relationnels et comportementaux pour
    comprendre lesquels sont en cause dans la/les situation(s) où on a
    agressé ou commis des violences sur Cib (ou d’autres personnes à
    d’autres moments)
  • Mettre en place les moyens de ne pas reproduire ces comportements
    violents, et trouver des outils pour tendre de plus en plus dans ses
    relations à une attention et au respect des limites, besoins, envies des
    autres
  • Porter attention aux demandes de Cib : est-ce qu’iel a besoin
    d’excuses ou bien d’être laissé·e tranquille ? On peut ressentir le
    besoin de multiplier les excuses parce qu’on réalise ce qu’on a fait,
    parce qu’on se sent coupable. Pour autant, ça peut être pour Cib une
    nouvelle forme de harcèlement et de dépassement de limites si sa demande
    était de ne plus être contacté·e.
  • Au final, on peut dire que l’objectif principal de l’accompagnement,
    c’est qu’Aut parvienne à ne plus reproduire les comportements qui ont
    généré des violences, pour ellui-même et pour les autres.

    Le rôle de l’accompagnant·e

    Une posture claire à définir

    La relation entre la personne qui accompagne (Accomp) et celle qui est
    accompagnée (Aut) n’est pas une relation amicale. La personne qui
    endosse le rôle d’accompagnant·e est là pour écouter avec bienveillance,
    mais aussi pour confronter la personne auteure. Son rôle consiste à la
    fois dans une écoute empathique sans culpabilisation et dans le fait de
    recadrer les échanges, pour permettre des prises de conscience et un
    travail de responsabilisation.

    Pour cela il est nécessaire qu’en tant qu’accompagnant·e on soit très au
    clair avec la situation, c’est-à-dire qu’on se soit mis en contact avec
    la/les soutien(s) de Cib, et qu’on ait en tête sa parole, son vécu, ses
    demandes, car tout au long du processus d’accompagnement, c’est toujours
    à cette parole et à ce vécu qu’il faudra revenir.

    Avant et pendant le processus, quelques questions à se poser :

    En tant qu’accompagnant·e, on peut être brassé·e, en proie au doute, on
    peut se sentir dépassé·e. Il est important de penser à soi, à ses
    limites, à sa disponibilité ou non selon les moments de la vie. De
    quelle situation s’agit-il, quels en sont les enjeux ? Est-ce que je me
    sens les épaules face à cette situation là ? Est-ce que j’ai la
    disponibilité émotionnelle pour écouter Aut ? Cette histoire me
    renvoie-t-elle trop fort à mon propre vécu ? Suis-je assez outillé·e
    pour le faire ? Quels sont mes propres enjeux relationnels avec la
    personne que je vais accompagner/que j’accompagne ? Avec la personne qui
    a vécu l’agression/les violences ? Quels sont les espaces dans lesquels
    je peux débriefer, parler de ce que je fais, questionner ma démarche,
    prendre du recul, avoir des retours critiques ?

    Pistes pour accompagner Aut dans son travail sur ellui-même…

    Nous avons choisi d’organiser ces pistes, dans un certain ordre, comme
    des étapes qui se succéderaient logiquement mais bien sûr, ce n’est pas
    figé. Il est important de se demander à chaque fois ce qui est pertinent
    en fonction du contexte, des personnes, etc… Alors voilà en vrac (mais
    pas tout à fait), quelques pistes à essayer et à retravailler pour
    s’impliquer dans l’accompagnement d’une personne auteure
    d’agression(s) :

    Écouter Aut :

    La façon dont iel reçoit ce que Cib lui reproche, ce qui a pu lui être
    imposé comme mesures à la demande de Cib, comment iel a vécu les
    choses… Il est possible qu’Aut ne comprenne pas vraiment ce qui lui
    arrive, ressente de l’injustice et se victimise (par exemple en disant
    « j’ai vécu des violences dans mon enfance c’est pour ça que j’ai agi
    comme ça », « ça me fait super violence d’être accusé·e »). Dans un
    premier temps, l’entendre tel quel, mais par contre c’est bien de
    prendre en note ces propos pour y revenir par la suite.

    Visibiliser les décalages entre les vécus de Cib et d’Aut :

    Comment Aut prend-iel en compte le ressenti de Cib ? Réalise-t-iel
    comment ses actes ont dépassé les limites de Cib ? Il s’agit de prendre
    conscience du décalage entre les intentions d’Aut (qui sont rarement
    d’agresser quelqu’un·e) et ce que ses actes ont produit. Quelle
    que soit la version qu’Aut exprime, notre rôle en tant que personne
    accompagnante, c’est de ramener au vécu de la personne qui a été
    agressée et aux conséquences que les actes d’Aut ont eu sur elle.

    Il s’agit d’écouter Aut avec bienveillance et empathie, mais en faisant
    attention à ne pas minimiser ce qu’iel a fait et les conséquences que
    cela a eu. De la même manière, il s’agit de mettre Aut face à la gravité
    de ses actes sans pour autant en faire une personne « monstrueuse ».

    Identifier les différents enjeux du travail en cours :

    Nommer les comportements et mécanismes qui ont pu contribuer à en
    arriver à l’agression/la situation de violence (notamment les rapports
    de pouvoir et de domination en jeu) ; clarifier quelles limites ont été
    dépassées, comment et à quel moment ; démêler les différents enjeux
    relationnels avec Cib.

    Il s’agit d’aider Aut à comprendre comment iel fonctionne et à
    identifier quels aspects de son fonctionnement ont pu/peuvent avoir des
    conséquences graves. Cela suppose d’interroger à la fois une
    construction individuelle (chacun·e a son propre parcours individuel et
    complexe) et les constructions collectives qui nous traversent
    immanquablement (construction de genre, de classe, de race, schémas
    relationnels normatifs liés au couple et à l’imaginaire de l’amour
    romantique, schémas relationnels normatifs liés à la famille, au rapport
    enfant/adulte, besoin de reconnaissance, de contrôle, dépendances,
    jalousies, etc.).

    Confronter :

    Quand une personne prend/tend à prendre le pouvoir sur d’autres de façon
    illégitime, elle a généralement tendance à le nier, ou au moins à
    chercher des arguments pour se déculpabiliser, minimiser la portée de
    ses actes. Parfois ça prend des formes plus subtiles, par exemple quand
    Aut reconnaît les violences en surface mais refuse de se confronter en
    profondeur à la réalité des faits, c’est-à-dire de prendre réellement au
    sérieux les dégâts que ses comportements ont causé/causent chez les
    autres. Pour travailler au mieux avec les personnes auteures sur ces
    mécanismes de résistance/protection, il est indispensable en tant
    qu’accompagnant·e de revenir régulièrement aux faits et à leurs
    conséquences, c’est-à-dire à la réalité vécue par la/les personnes
    cibles.

    Changer les choses :

    Après avoir commencé à identifier les comportements et dynamiques
    relationnelles qui posent problème, il s’agit de les faire changer. Le
    fait qu’Aut en prenne conscience, c’est déjà un signe qu’iel avance,
    mais ce n’est pas suffisant pour opérer de réels changements.

    Il s’agit maintenant de l’aider à trouver des outils concrets pour
    mettre en place d’autres types d’interactions dans ses relations.

    Ça peut être de se donner des consignes très précises pour changer
    d’habitudes, comme de nouvelles « règles du jeu » à expérimenter dans
    ses relations aux autres. Par exemple, essayer de plus exprimer ses
    émotions dans les discussions ou, au contraire moins parler, n’exprimer
    qu’une seule idée à la fois et toujours préciser quand on a fini de
    parler pour donner plus de champ à d’autres pour prendre la parole ;
    toujours verbaliser lorsqu’on s’apprête à toucher quelqu’un·e pour
    faciliter que la personne puisse dire non, ou bien, s’astreindre à ne
    plus toucher les gens si spontanément ; ne plus boire d’alcool, ou bien,
    toujours demander à une personne de confiance d’avoir un œil sur soi si
    on sait qu’on a facilement des comportements pénibles sous alcool, ou
    bien ne plus avoir de relations de séductions et/ou sexuelles sous
    alcool, etc.

    Ça peut être aussi qu’Aut lise/écoute ce que des groupes minorisés
    peuvent produire comme réflexion sur les rapports de domination ; qu’iel
    ait une attention continue sur d’anciennes ou de nouvelles dynamiques de
    pouvoir qui peuvent se jouer dans tous types de relations qu’iel est
    amené·e à tisser ; qu’iel participe à des ateliers sur les questions de
    consentement, de rapports de pouvoir ; qu’iel parle à ses proches du
    travail de responsabilisation qu’iel est en train de faire ; qu’iel
    prenne l’habitude de vérifier (c’est à dire de poser des questions aux
    personnes concernées) lorsqu’iel a un doute ou lorsqu’iel n’est pas
    sur·e de comprendre les enjeux d’une situation… Et tant d’autres outils
    à rechercher, inventer, partager qui nous aident à déconstruire et
    reconstruire nos réflexes et nos besoins.

    Faire des points sur l’évolution de la situation tout au long du
    processus :

    Aider à valoriser les étapes de réussite en parlant de ce qui se passe
    mieux. Recadrer en pointant ce qui dérape. Rappeler les objectifs. Aider
    à visibiliser de nouvelles problématiques, à identifier ce qui reste à
    faire. Inciter Aut à trouver d’autres personnes ressources, d’autres
    espaces de travail que le seul espace de cet accompagnement.

    Conclure un accompagnement

    Régulièrement, on peut reprendre les objectifs qu’on avait listés tout
    au long du processus, pour faire le point, mesurer le chemin parcouru et
    ce qui a changé.

    L’idéal bien sûr serait que la personne auteure des violences, ayant
    fait un bon bout de chemin, ait acquis les ressources personnelles et
    relationnelles nécessaires pour poursuivre ce travail par
    ellui-même/avec d’autres et pour mettre en place des stratégies
    concrètes de pratique du consentement dans ses relations. Mais la fin de
    l’accompagnement peut aussi se poser dans des conditions moins idéales.
    Parfois, l’accompagnement devient trop énergivore pour Accomp qui a
    l’impression de ne pas avancer, de ne pas travailler le fond du problème
    avec Aut. Parfois, l’accompagnement peut être ressenti comme un échec
    par l’un·e ou l’autre des protagonistes. Parfois, alors que l’urgence
    est passée et que les choses se sont tassées, Aut estime que
    l’accompagnement n’a plus de sens alors qu’Accomp pense qu’il y a encore
    bien du chemin à parcourir… Nous pensons que dans ces situations il est
    important de trouver une manière d’arrêter, de conclure. Pour éviter de
    s’épuiser en tant qu’accompagnant·e, il est important de donner ce que
    l’on peut donner, de savoir poser nos limites, et de savoir conclure si
    besoin, en verbalisant des bilans, même s’ils sont insatisfaisants.

    Les personnes accompagnantes ne sont pas seules responsables du
    processus de travail de la personne auteure. Avant tout, pendant
    l’accompagnement comme après, Aut en est ellui-même responsable. Et,
    au-delà, la communauté dans son ensemble a son rôle à jouer pour qu’Aut
    (mais pas que…) continue à bouger, à avancer, à travailler sur les
    enjeux liés aux relations.

    Et pour finir, quelques mots sur la dimension communautaire…

    Nous exposons toutes ces pistes, pour une prise en charge volontaire de
    situations de violences interpersonnelles, par le biais de rôles définis
    et clairement partagés, et afin d’éviter que tout le monde (ou personne)
    s’en mêle d’une façon qui complique et aggrave encore les choses.

    Nous voulons rendre visible des attentions, du temps et de l’énergie,
    habituellement données par seulement quelques-un·e·s et dans l’ombre.
    Pour que ça tourne ! Que plus de monde s’en empare !

    Nous voulons en faire des pratiques que l’on peut questionner,
    travailler, améliorer, pour que ce soit toujours en chantier.

    Au-delà de ces rôles, nous pensons que c’est à tout le monde de donner
    du soin et de l’attention. Nous trouvons difficile et passionnant de
    réfléchir à ça : comment penser la responsabilité communautaire ?
    Comment nous donner des cadres plus rassurants, plus attentionnés, plus
    exigeants… sans fabriquer une « police de la pensée » et devenir des
    « control freaks » qui veulent tout maîtriser ? Il s’agit d’un équilibre
    bien subtil… Nous croyons que plus nous parlerons de ces sujets-là,
    plus nous serons nombreux·ses à nous relayer, à nous soutenir, à nous
    faire confiance, plus nos communautés seront fortes et aiguisées sur ces
    sujets.

    Alors appropriez-vous ces diverses notions, parlez-en autour de vous,
    faites circuler les brochures et les liens, faites des tables de presse,
    demandez de l’aide quand cela vous paraît nécessaire et/ou encouragez
    celles et ceux qui vous semblent disponibles et bien placé·e·s à en
    offrir, devenez/redevenez/restez plus fort·e·s, plus autonomes et plus
    responsables dans cette communauté qui vous/nous est essentielle.

    Compte-rendu des discussions sur nos outils pour faire face aux violences et aux agressions

    des limites, par centaines … et des pistes, par milliers … ?!

    Salut Jasmine,

    Je t’envoie le compte-rendu dont nous avions discuté la semaine
    dernière (j’en ai parlé aux autres et iels sont d’accord pour que je te
    le fasse passer).

    Quelques mots pour te redonner le contexte : comme tu le sais, nous
    sommes une dizaine à avoir monté ce groupe de travail pour contribuer à
    la grande et perpétuelle entreprise communautaire d’affutage des outils
    dont nous disposons pour faire face aux violences internes à nos
    cercles. Lors de cette réunion, nous avions mis sur la table des
    problèmes ou, plutôt, des limites qui surgissent dans la pratique. Nous
    avions travaillé en quatre petits groupes, avant de valider les
    synthèses ensemble.

    ATTENTION !!! Nos critiques ne visent pas à discréditer les personnes
    qui subissent des violences. Au contraire, nous voulons aider à
    l’amplification de leur parole, les soutenir, dénoncer ces situations et
    les faire cesser, trouver soin, réparation, etc. Nous ne voulons pas non
    plus discréditer ces pratiques. C’est ce que nous avons, ce que nous
    tentons, ce avec quoi nous voulons continuer à nous débrouiller. Toutes
    ces critiques visent donc à améliorer et multiplier ces outils, pas à
    jeter le bébé avec l’eau du bain… Bonne lecture !

    Groupe 1 « L’horreur des recettes toutes faites »

    (ou encore : le problème de la transposition et de la systématisation des méthodes)

    Utiliser certains mots ou certaines méthodes hors de leur contexte peut créer de la confusion, voire dégrader une situation.

    Par exemple, lorsqu’on transpose des manières de faire et de dire
    habituellement liées à des violences sexuelles, à une situation n’ayant
    pas de dimension sexuelle, ni d’agression à proprement parler, à une
    situation où la violence est principalement psychologique (dénigrement,
    menaces plus ou moins explicites…) ou encore sans dissymétrie
    flagrante dominant·e/dominé·e. Cela peut nous induire en erreur sur la
    réalité des faits, faire monter la pression, les jugements et les
    réactions à chaud, là où on aurait pu l’éviter.

    Dans la même veine, nous mettons en place la plupart du temps des
    groupes de travail et d’intervention s’attaquant aux violences dans des
    cadres spécifiques et délimités : soit en contexte cis-genre de
    relations hétérosexuelles et hétéro-normées en milieu militant ; soit en
    contexte meufs/ gouines/trans/pédés. Et dans tous les cas nous évoluons
    dans des milieux majoritairement blancs, de classe moyenne un peu
    intello, en fRance, en ce début de 21ième siècle. Est-il possible
    d’étendre nos conclusions et outils d’un contexte à l’autre et comment ?
    Quelles sont les limites de la transposition ? Alors que la détresse et
    l’urgence nous commandent d’agir à la fois rapidement et subtilement,
    nous ne sommes plus sûr·es de rien ! Comment faire attention à nos
    angles morts, liés au fait qu’on avance toujours d’un point de vue
    situé ?

    Une de nos craintes est aussi de voir les pratiques que nous expérimentons utilisées de manière contre-productive, pour justifier des abus.

    En d’autres termes, qu’elles soient détournées pour renforcer des
    pouvoirs contre lesquels nous luttons et enfoncer les personnes que nous
    voulons soutenir.

    Cela se pose par exemple dans l’usage de la notion d’auto-définition.
    C’est l’idée que chaque personne est la mieux placée pour nommer ce
    qu’elle est (ou pas), ce qu’elle vit, ce qu’elle a subi, ce dont elle a
    besoin. Il ne s’agit pas tant de parler de réalité des faits que de
    réalité de vécu, de ressenti et de redonner de la place à ces paroles
    contestées, minorisées. Pourtant, un effet pervers peut être que des
    personnes auteures de violences s’empressent d’exprimer en quoi elles
    sont elles-mêmes agressées, qu’elles inversent les responsabilités pour
    parer aux accusations en se positionnant comme victime.

    Pour une personne qui a subi une agression, il est le plus souvent
    éprouvant de révéler la violence vécue, d’en faire quelque chose. Cette
    démarche fait replonger dans des émotions douloureuses et surtout, elle
    expose la personne à son agresseur·euse et au regard de toute la
    communauté, qui peuvent minimiser, nier, réprimer ce qu’elle essaie de
    dire. De la même façon, les demandes de protection, de réparation, bref,
    de prise en charge collective de la situation peuvent être mal
    interprétées, si elles font passer celleux qui les demandent pour les
    « juges », voire les « bourreaux » et, au final, pour celleux qui font
    de la violence.

    Les recettes toutes faites verrouillent notre imagination.

    Face à des situations parfois tendues, urgentes, voire dramatiques, mais
    aussi à d’autres moments déstabilisantes du fait de la difficulté à les
    identifier et à les nommer clairement, nous avons besoin de repères, de
    guides, de protocoles qui nous aident à avancer à travers le brouillard.
    Mais le problème des recettes toutes faites, c’est la difficulté de
    cerner les spécificités d’une situation quand on plaque trop vite des
    schémas pré-construits. On a alors d’autant plus de mal à inventer des
    manières adaptées d’y répondre et on finit même par « user » et
    disqualifier des pratiques qui sont pourtant essentielles dans certains
    cas.

    Par exemple, un outil pour répondre à la violence intra-communautaire
    est la séparation d’espaces. Il s’agit, lorsqu’on a subi une violence
    de la part d’une personne de l’entourage, de lui demander de ne plus
    être présente dans les espaces où l’on va soi-même, ou du moins pas en
    même temps, ou encore, de prévenir quand l’éventualité d’un croisement
    survient. Cela peut concerner non seulement les espaces d’habitation
    mais aussi les espaces de sociabilité (lieux de fête, de concert, cercle
    d’ami·e·s, de travail, collectif de lutte, etc.), voire une zone
    géographique donnée (quartier, ville, région, etc.). Lorsque des
    situations de violence « sortent » (trop rarement !), la séparation
    d’espace peut venir comme première et parfois seule réponse. Cela
    verrouille les possibles, nous prive de l’idée qu’il pourrait y avoir,
    au moins dans certains cas, d’autres formes, plus propices à la
    réparation, la réconciliation, la vengeance, etc… Ce qui n’empêche pas
    cet outil d’être pertinent et essentiel à plein de moments.

    En voulant nous renforcer, certaines de nos tentatives peuvent
    contribuer à nos faiblesses. La question a ainsi été posée à propos de
    la notion d’espace safe, où l’on serait en sécurité, pas exposé·e·s à
    des comportements – et à des personnes – qui nous font vivre et revivre
    des situations de domination, de discrimination, etc. Ce type de
    proposition nous semble essentielle pour trouver « refuge », pour se
    concentrer sur d’autres choses que sur l’autodéfense, pour dénoncer les
    violences habituellement banalisées. Mais dans ce moment où on aspire à
    une sorte de répit confiant, comment garder en tête que des relations de
    pouvoirs complexes et pénibles peuvent se mettre en place dans n’importe
    quel espace et configuration ? Et comment entretenir la nécessité, en
    tout contexte, d’apprendre à se protéger, à poser ses limites ?

    Petite pause dans la réunion : on s’empiffre de chocolat en discutant
    des derniers épisodes de Mad Men, de Game of Thrones ou de je ne sais
    plus quelles séries télé, dramatiquement ambiguës dans leur tendance à
    dénoncer et banaliser de manière combinée les violences faites aux
    femmes - ARGHh.

    Groupe 2 « L’angoisse de la spécialisation »

    (ou encore : le problème de ne pas arriver à se soustraire quand le reste du monde fuit)

    Tout faire à peu, c’est mission impossible.

    Quand nous sommes peu nombreux·ses à nous mobiliser sur des situations,
    nous donnons priorité aux personnes qui ont subi les violences. Où
    trouver le temps, l’énergie pour s’impliquer également vis-à-vis des
    personnes qui ont été auteur·e·s d’agression ? Et est-il vraiment
    possible de penser et faire les deux en même temps en conservant la
    confiance de tout·e·s ? D’un côté, les personnes cibles de violences
    peuvent très mal vivre qu’on porte attention au ressenti de la personne
    qui les a agressé·e, qu’on accorde du temps à écouter une version qui
    pourrait discréditer la leur. De l’autre côté, les personnes auteur·e·s
    des violences peuvent craindre qu’on veuille les juger et les punir
    plutôt que de les aider à avancer.

    Face à tant de complexité et de considération à donner à chacun·e,
    est-il possible de se partager les « tâches » ? Est-il souhaitable de
    faire tourner les « rôles » ? Et comment faire pour ne pas y passer
    toute notre énergie ?

    Nous devons être plus nombreux·ses à nous emparer de ces sujets, à y
    consacrer du temps pour que ce soit globalement moins lourd et que la
    conscience commune sur ces sujets soit plus forte. Mais nous avons aussi
    envie de nous rappeler que des personnes n’ont pas les moyens, le temps,
    l’énergie de le faire et qu’il ne s’agit pas pour nous de les
    culpabiliser. Et comme ce sont des questions pénibles, dont tout le
    monde se passerait bien, comment les rendre « attirantes » ? Comment ne
    pas rester les seul·e·s disposé·e·s à le faire et (donc) spécialistes de
    ces tâches ? Comment ne pas s’aigrir de tous ces coups d’épée dans
    l’eau ?

    Burn out : comment prendre soin de soi-même et rester en état de proposer un bon accompagnement ?

    Proposer du soutien à des personnes prises dans des vécus de violence
    peut nous renvoyer aux violences que nous avons nous-mêmes connues. Et
    avant cela, l’empathie et l’engagement à tenir des secrets peut
    facilement nous exposer à des angoisses ou à des situations
    inextricables. Trop souvent, en tant que personne ayant le rôle
    d’accompagnant·e, on peut se laisser déborder, saturer à coup de pétage
    de plombs ou de dépression. Il faut digérer les doutes et les échecs,
    faire face aux critiques anti-féministes et, parfois, même sans
    anti-féminisme, aux suspicions ou à la colère de personnes qui auraient
    juste pris parti. La conscience que ce sont les personnes qui ont vécu
    les violences qui souffrent en premier lieu - et pas les
    accompagnant·e·s - doit amener à ne pas leur renvoyer tous ces stress.
    Évacuer des émotions sans les exprimer, c’est aussi se mettre à distance
    de ses propres besoins. En tant que soutien, on cultive ainsi des
    postures de stabilité, de solidité, d’impartialité. Ces attitudes
    ressemblent presque à une « déformation professionnelle ». Est-ce un
    problème ou une bonne stratégie de protection ? Est-ce une mise à
    distance condescendante ou une nécessité pour aider ?

    Et à force d’enchaîner les accompagnements, certain·e·s peuvent rentrer
    plus profondément, plus intimement dans des rôles, au point que ça
    change leur personnalité, que ça transforme leurs relations aux autres
    en général, avec leurs ami·e·s, leurs collègues, leurs camarades : être
    toujours celleux qui gèrent, qui accompagnent, celleux qui sont neutres,
    de confiance, celleux qui n’ont pas de problèmes, qui ne s’embrouillent
    jamais avec d’autres… et qui donc n’ont pas la place de dire si ça ne
    va pas, ou bien n’apprennent pas ou oublient de le faire.

    Il nous semble primordial (et trop rare) que les personnes qui se
    retrouvent à prendre un rôle d’accompagnant·e·s pensent à leurs propres
    soutiens, en sollicitant des personnes de confiance, en trouvant les
    moments et les espaces adéquats pour prendre du recul et reconnaître
    leurs propres limites.

    L’expertise donne du pouvoir…

    … le pouvoir de décréter ce qui est bon ou pas pour une personne, le
    pouvoir de fabriquer des réputations, la reconnaissance liée au travail
    qu’on fournit, etc.

    Alors comment ne pas se servir de tout ça dans un sens qui nuit aux
    personnes et à la communauté ? Quelles protections avoir pour s’en
    prémunir ? Il nous semble important de faire des retours sur la pratique
    avec des personnes de confiance, de pouvoir prendre du recul, de
    transmettre ces pratiques pour ne pas rester trop peu nombreux·ses à s’y
    coller, de savoir faire des pauses et passer à autre chose.

    Petite pause dans la réunion : on fait le jeu des zombies pour se
    détendre. Les zombies gagnent – comme d’habitude – alors on s’y remet,
    pas tout à fait calmé·e·s.

    Groupe 3 : « L’effroi de l’interventionnisme »

    (ou encore : quelles limites à l’ingérence dans les affaires intimes,
    quand « tout est politique » mais que les secrets sont nombreux)

    Qui sommes-nous pour porter ce travail ?

    Qui affine ces outils ? Qui propose des protocoles à suivre ? Qui
    définit les limites et les exigences politiques qui sous-tendent tout
    ça ? Pour notre part, nous sommes un petit paquet de
    meufs/gouines/trans’, au féminisme matérialiste et intersectionnel,
    ayant vécu des violences et/ou ayant déjà endossé le rôle
    d’accompagnant·e à l’occasion. Mais nous espérons être plus nombreux·ses
    que ça. Nous espérons que tout le monde s’y mette. Et nous avons en même
    temps peur de qui pourrait bien s’y mettre, depuis des positions de
    pouvoir qui leur donnerait la possibilité de tenir des discours aux
    conséquences néfastes pour certaines personnes/certains groupes de
    personnes, et qui les consolideraient dans ces places dominantes plutôt
    que d’aider la communauté. Qui peut donc porter ce travail ? Des
    personnes directement concernées, nous le recommandons ; des personnes
    qui ont la solidité et la disponibilité mentale pour le faire, nous
    l’espérons.

    Face à des personnes en détresse, déstabilisées, paniquées, super en
    colère ou complètement perdues, on essaie de donner des conseils. Si on
    n’y prend pas garde, on peut orienter des personnes sur des pistes
    carrément fausses, notamment lorsqu’on s’identifie trop à la situation
    pour réaliser les différences : « j’ai vécu la même chose, alors j’ai
    les réponses sur ce qui va TE renforcer ». Ce type d’attitude peut
    ressembler à ce qu’on appelle la justice de classe, dans le sens de
    plaquer des conceptions et des exigences, en étant en position de
    pouvoir (position de juge, d’arbitrage). Comment ne pas importer ni
    imposer nos intérêts ? Il nous semble primordial que les personnes
    accompagné·e·s aient confiance en celleux qui les accompagnent, mais
    dans des situations d’urgence et de détresse, on a rarement le temps et
    l’énergie de poser milles questions politiques. Comment combiner tout ce
    merdier ?

    Que faire quand on est tenté·e·s de réagir mais qu’on n’est pas sollicité·e·s pour intervenir ?

    Dans bien des situations, on peut identifier des violences sans que les
    personnes qui les subissent ne les identifient comme telles, ou refusent
    en tous cas que d’autres interviennent. Dans ces situations, il est
    souvent difficile d’intervenir, alors que ça nous semble primordial. On
    se permet parfois de le faire quand même parce qu’on considère que ça va
    vraiment trop loin, parce qu’on le fait pour soi, pour sa conscience. Ça
    peut provoquer des réactions de colère, de rejet très fort, qui
    contribuent à isoler encore plus les personnes concernées. En même
    temps, c’est très difficile de laisser faire des choses qu’on ressent
    comme dangereuses voire mortelles. Comment dissocier les besoins vitaux
    des besoins de confort ? Comment démêler ce qui est important pour les
    autres de ce qui l’est pour soi-même ? Dans tous ces cas, pas de
    réponses toutes faites mais, une fois de plus, ça vaut le coup d’avoir
    des personnes de confiance vers qui se tourner pour réfléchir de manière
    posée et avec du recul.

    Certaines personnes auteures de violences refusent de prendre leurs
    responsabilités, de reconnaître les faits. Cela ne pose pas tout à fait
    les mêmes questions car, si des personnes affirment les avoir subi,
    c’est en partant de leurs besoins à elles qu’on pourra décider si on
    tente de confronter les auteur·e·s à leurs responsabilités. Cependant,
    si iels persistent à nier les faits sans accorder aucune validité aux
    ressentis des personnes qui se déclarent victimes, que peut-on mettre en
    place de constructif ?

    La notion de Community accountability (voir lexique) nécessite que les
    affaires privées sortent de l’intimité, du cercle de confiance pour que
    d’autres s’en mêlent, puissent thématiser leurs propres responsabilités
    dans la situation, trouvent des moyens de se positionner, de soutenir,
    d’agir, d’accompagner. Est-ce possible et souhaitable ? Ça reste une
    pratique à explorer, sûrement au cas par cas et en fonction de si la
    communauté est a priori plus prête à aider qu’à aggraver la situation…
    La question se pose d’une manière particulièrement aiguë quand les
    personnes qui subissent des violences ou des abus sont dépendantes
    matériellement et/ou légalement d’autres personnes, par exemple des
    enfants (mineur·e·s) ou des adultes dépendant·e·s ou sous tutelle. Que
    faire quand les personnes légalement responsables bloquent les processus
    de prise en charge ? Si iels menacent d’alerter sans l’avis des
    premier·e·s concerné·e·s les services sociaux, de police, de justice et
    d’hôpitaux ? Et a fortiori si iels sont auteur·e·s de ces violences ?

    Comment démêler les responsabilités individuelles et les enjeux politiques ?

    Et d’abord, comment accompagner des personnes dans la résolution de
    situations sans les déresponsabiliser ? Donner des coup de main, se
    proposer comme intermédiaire ou facilitateur·ice, mais ne pas décider
    « à la place de » … L’objectif est que ce qui se passe relève dès que
    possible de la décision des personnes concernées. Mais il y a des
    moments de « prise en charge », des moments d’intervention plus
    « forcée » qui nous semblent nécessaires, justement parce que certaines
    situations sont plus fortes que nous, écrasantes, nous poussent à
    l’autodestruction, etc. Comment et jusqu’où assumer un tel rôle ? Avec
    quelles limites ? Auprès de qui trouver un avis, un regard extérieur,
    des conseils ? Et passer de ces postures-là à la construction sur du
    long terme des manières de se responsabiliser, de s’autonomiser.

    Parfois, les violences repérées sont moins directement analysables par
    le prisme des logiques de domination. Par exemple, dans des violences
    conjugales non-hétérosexuelles. On hésite alors à intervenir, certains
    outils ne semblent plus du tout adaptés. On craint de faire primer les
    responsabilités individuelles sur les logiques de systèmes qu’on ne sait
    plus décrypter. Ou, à l’inverse, on a peur de se laisser aveugler par
    des analyses globalisantes et de ne plus voir les responsabilités
    individuelles. Alors, comment faire les deux en même temps d’une manière
    subtile ?

    Enfin, il est essentiel de ne pas faire peser la responsabilité des
    agressions sur les personnes cibles de violences. Pour autant, iels ont
    à trouver là où iels avaient prise, une marge de manœuvre, une sorte de
    « responsabilité » - au sens de la liberté d’agir pour soi-même. Cela
    afin de trouver les moyens de se renforcer, de se déculpabiliser de ce
    qu’iels ont fait ou pas fait, de se réapproprier la situation, de
    trouver des pistes pour pouvoir réagir autrement par la suite… Comment
    le leur rappeler sans produire une culpabilisation ? Et comment ne pas
    victimiser les agresseur·euse·s, ne pas les déresponsabiliser, sans nier
    la part de responsabilité qui revient à tou·te·s les autres
    protagonistes (personnes cibles d’agression, entourage, etc.) ? Que fait
    la justice classique avec ça ? Qu’est-ce que « les circonstances
    atténuantes », le « droit de défense » ?

    Petite pause dans la réunion : on part en hurlant dans la forêt pour
    retrouver de l’énergie, on fait bouillir des tisanes super-dopantes
    entre les pierres, on se fait des maquillages de guerre au charbon de
    bois et après on se dit qu’on se fout de tout mais qu’on est bien
    content·e·s de se connaître.

    Groupe 4 : « La terreur de la responsabilité collective »

    (ou encore : comment l’implication de la communauté peut permettre
    plus d’intelligence collective et moins de règlements de comptes)

    Secrets, rumeurs et réputations : complexe mélange de pression et de
    stigmatisation.

    De manière générale, la rumeur, on s’en méfie : c’est de la médisance,
    de la curiosité mal placée, des informations déformées… Mais lorsque
    certaines choses restent privées au point d’être taboues, la rumeur peut
    ébranler les secrets, colporter ce qui ne peut s’exprimer autrement. Par
    ailleurs, « tailler des réputations » est parfois conçu comme une
    action punitive, de pression, pour qu’enfin une personne arrête de
    reproduire des comportement abusifs, qu’elle se sente « sous contrôle de
    sa communauté », ou du moins d’un cercle important de personnes. Pour
    aller plus loin, la stigmatisation de comportements inacceptables peut
    aussi avoir pour objectif de « mettre la pression » à tout un milieu, à
    tout·e·s les agresseur·euses potentiel·le·s, pour faire assimiler
    largement que certains comportement sont vraiment craignos. En quelque
    sorte, il s’agirait d’assumer un certain contrôle social sur les
    comportements, un pouvoir normatif sur la communauté.

    À quel point sommes-nous d’accord avec ça ? Il est certain que nous
    voulons rester prudent·e·s et éviter les logiques répressives. D’abord
    parce que nous refusons de désigner des auteur·e·s de violences comme
    des monstres. C’est complètement contre-productif : ça ne leur laisse
    pas beaucoup d’espace pour vouloir changer et ça facilite une mise à
    distance, des mécaniques de punition, d’exclusion, de bouc-émissaire et
    de refus de se poser la question, pour soi-même, de son propre potentiel
    de violence. Ensuite parce que la stigmatisation est d’autant plus
    problématique lorsqu’elle vient consolider des stéréotypes racistes,
    classistes, etc., par exemple en pointant « les arabes », « les prolos »
    ou « les zonard·e·s ».

    Comment faire en sorte que des personnes ne soient pas marquées « à
    vie », perpétuellement re-jugées et re-punies, sans pour autant
    minimiser les faits, les invalider ? Comment développer une culture
    commune du soin et de la responsabilité collective, plutôt que des
    logiques de punition ?

    Au-delà de la rumeur, la visibilisation des agressions commises au sein
    du milieu et la mise en place de formes de « gestions » (par exemple la
    séparation d’espace, la médiation, etc.) contribuent à redéfinir les
    bienveillances collectives et/ou sélectives à l’échelle de la
    communauté. Ça nous semble positif dans la mesure où ça donne plus de
    légitimité à des personnes qui ont subi des violences. Et une fois de
    plus, ça ne « fout pas la merde », ça la rend juste plus visible.
    Pourtant, nous buttons aussi sur la nécessité de ne pas saborder tous
    nos groupes d’ami·e·s, de vie, de lutte, etc. Nous devons donc toujours
    composer avec l’énergie dont nous disposons, nos propres nécessités de
    conforts affectifs, nos priorités de luttes. Ceci pour estimer s’il est
    souhaitable et possible d’éviter les ruptures et les scissions de
    groupes…

    Perspectives individuelles et collectives en proie avec nos idées.

    Nous cherchons à développer en même temps des outils de soutien et de
    changement individuel (autonomisation, travail sur soi, solutions
    techniques et stratégiques de gestion, d’apaisement, pour faire face,
    etc.) et une transformation plus globale de nos relations, en étendant
    les enjeux à l’échelle des pratiques collectives et de la
    responsabilisation communautaire. Nous cherchons à protéger nos
    dynamiques collectives d’actes destructeurs ; et nous nous méfions du
    pouvoir destructeur et normatif de la collectivité sur les
    individu·e·s… Nous espérons qu’en cultivant et en combinant ces
    différents angles d’attaques, nous saurons échafauder des stratégies et
    ne pas tenter des choses trop pourries… Mais l’urgence est le plus
    souvent écrasante et on peut facilement douter d’être si fort·e·s … À
    quel point ces approches sont-elles vraiment combinables ?

    Et que faire des désirs de vengeance ? Jusqu’où instrumentalise-t-on nos
    principes politiques dans nos histoires de vie ? Comment rester dans un
    rapport de justesse et non pas dans un déchaînement vengeur ? Comment
    avancer sur les phénomènes de traumatisme ?… Autant de questions qui
    mélangent phénomènes collectifs et émotions fortes !

    Elle est où la justice ?

    Nous avons eu l’occasion de creuser l’idée d’un modèle de justice
    communautaire
    avec 3 parties, cible, auteur et communauté,
    constituées de plusieurs personnes chacune, accompagnant les premières
    concernées. Ça vaudrait le coup de creuser aussi la différence entre
    justice transformative et justice réparatrice (voir lexique) pour
    mieux cerner ce qui nous semble intéressant. Étayer notre critique de la
    justice institutionnelle (on a un peu commencé). Réaliser en quoi nos
    pratiques font écho ou non aux procédures de « justice » existantes.
    Entre justice communautaire et justice populaire, nous manquons de
    références, d’idées, de contre-exemples. Et si un jour on invitait une
    copine juriste pour réfléchir à tout ça…

    Mais parfois, on identifie plusieurs groupes cibles, différentes parties
    qui s’accusent mutuellement d’agression. D’autres fois, les personnes
    « accusées » contestent leur « culpabilité », affirment une autre
    version des faits, refusent de se plier au protocole proposé en arguant
    de leur innocence. On ne peut pas toujours départager les cibles et
    auteur·e·s de violence de manière assurée. Il s’agit peut-être plutôt de
    celleux qui attaquent, accusent et de celleux qui se défendent… hum ça
    ressemble au système de justice qu’on connaît, non ?

    Nos pratiques, au contraire, partent de situations où la « culpabilité »
    de l’agresseur·euse est acquise en amont ou, du moins, où l’on décide de
    se concentrer sur la personne qui accuse et se positionne en
    cible/victime, de la croire sans contestation possible… Cela signifie
    qu’on assume le risque de considérer comme « coupable » un·e
    « innocent·e »… D’une certaine manière, nos pratiques sont de l’ordre
    de l’accompagnement, de la médiation, de l’application et du soin, mais
    ne remplissent pas la fonction de justice dans le sens de trancher qui
    est coupable et qui est victime. Sommes-nous capables de suspendre notre
    jugement à ce point, c’est-à-dire de « croire » la personne qui se
    déclare cible de violences sans pour autant « juger/condamner/punir »
    celle désignée comme auteur·e ?

    Quel droit de défense ? Quelles possibilités « d’enquêtes »,
    « d’instruction de la preuve » ? Quelle place à la « présomption
    d’innocence » ? Quelle possibilité que les personnes concernées soient
    absentes dans les moments de confrontation ? Est-ce qu’on a envie que
    les personnes qui s’investissent dans les groupes « cible » et
    « auteur » ressemblent à des représentant·e·s, des porte-paroles, des
    avocat·e·s ? Peut-on identifier une fin aux interventions, acter la
    résolution de situations et comment ? Enfin, comment trancher sans juge,
    et qui le fait ?

    Finalement, en travaillant sur tout ça, on en revient à des choses qui
    ressemblent effectivement à la justice institutionnelle, on utilise ses
    mots et ses modèles. Sommes-nous en train de réinventer la poudre ou de
    nous raconter que nous serions capables « d’humaniser » la justice ?…
    Bouh ! Ça fait flipper…

    Petite pause dans la réunion : tout le monde s’arrache les cheveux et
    les ongles et les cils, on se roule dans la boue en maugréant, on se
    bouffe les mains et le reste. À la fin, on est bien défoulé·e·s, tout va
    bien, on se fait des tapes dans le dos, on raconte deux ou trois blagues
    sur les pingouins qui respirent par le cul, aiment aller au cinéma,
    revendiquent leur asexualité et leur penchant pour les jeux de mots
    pourris. Après, on se donne rendez-vous pour la semaine prochaine –
    personne ne prépare l’ordre du jour.

    Pour poursuivre

    Des brochures

    ** Des idées et récits d’expériences pour soutenir et/ou agir sur nos environnements collectifs :

    Soutenir unE survivantE d’agression sexuelle

    Juste une histoire de fille (témoignage sur des violences dans une
    relation hétéro et la prise en charge qui a suivi)

    Lavomatic – Lave ton linge en public (réflexion sur la
    responsabilité collective et la prise en charge des violences de genre)

    Non c’est non (l’auto-défense féministe, initialement un livre mais
    également téléchargeable en 3 tomes sur
    www.infokiosques.net{)

    Sous le tapis le pavé (sur les violences sexistes en général… où
    l’on voit que ça ne concerne pas que les relations sexuelles et/ou
    affectives)

    Nous sommes touTEs des survivanTEs, nous sommes touTEs des agresseurSEs
    Que faire quand quelqu’ unE te dit que tu as dépassé ses limites, l’as
    misE mal à l’aise ou agresséE. Un début… (une brochure rassemblant
    les traductions de 2 textes qui lancent des pistes pour une réflexion et
    du débat autour des réponses communautaire et individuelle qu’on
    pourrait imaginer face aux situations d’agressions)

    ** Des textes pour comprendre et s’exercer au consentement :

    Le consentement – 100 questions sur le consentement

    Consentement : un truc… de pédé ? (sur le consentement dans les
    relations entre garçons)

    Apprendre le consentement en 3 semaines (récits, témoignages
    traduits de la brochure
    Learning good consent)

    Le cahier de vacances - Apprendre le consentement en 3 semaines
    (des exercices pour s’entraîner à reconnaître et verbaliser ses envies,
    ses besoins, ses limites pour tendre vers des relations plus
    épanouissantes)

    Sexualités, corps et plaisirs de femmes (avec entre autres des
    exercices autour du consentement verbal, des questionnements sur les
    schémas qui nous enferment)

    ** Des récits de viols :

    Le viol c’est quoi ? (mini BD d’une demi page)

    Les violences conjugales (dans les relations hétérosexuelles)

    Combien de fois quatre ans (témoignage, viol et prise de
    conscience)

    Je ne suis pas un égout séminal (autour du lien entre viol et
    domination masculine)

    Le viol ordinaire (un témoignage qui raconte une situation
    « ordinaire » d’outrepassement de limites sur lequel il est la plupart
    du temps difficile voire culpabilisant de mettre le mot « viol »)

    ** Des textes pour questionner plus largement nos relations, et les dynamiques qui vont avec… « l’Aaamourrrr », la parole :

    L’amour nuit gravement…

    La fabrique artisanale des conforts affectifs

    « Je t’aime… Oui mais non, l’amour c’est mal »

    Contre l’amour

    La répartition des tâches entre les hommes et les femmes dans le
    travail de la conversation

    Toutes les brochures qui précèdent sont téléchargeables sur le site
    infokiosques.net

    Brochure disponible en infokiosques féministes :

    Les violences conjugales, c’est pas qu’un truc d’hétéro (une
    brochure sur les violences conjugales entre gouines, trans)
    Disponible
    en infokiosques féministes.

    Si vous lisez l’anglais, quelques brochures sur le consentement,
    les prises en charge collectives et les questionnements sur des modèles
    de justice communautaire :

    Learning good consent (dont une partie des textes a été traduite en
    français dans les brochures
    Apprendre le consentement en 3 semaines
    et Consentement : un truc… de pédé ?) Téléchargeable sur le site
    phillyspissed.net

    Ask first (parle des agressions sexuelles, de consentement, de
    soutien aux personnes cibles et des processus d’« accountability » pour
    les personnes auteures
    )

    Revolution starts at home – Confronting partner abuse in activist
    communities

    https://lgbt.wisc.edu/documents/Revolution-starts-at-home.pdf

    Drifting clouds (2012) (récits, témoignages sur le consentement)

    Gender oppression/Abuse/violence - Community accountability within the
    people of color progressive movement
    * (2005) (compte-rendu d’une
    réunion de deux jours du collectif INCITE ! Women of Color Against
    Violence, définitions de termes liés aux oppression de genre, aux
    agressions, les principes de base de la Community Accountability)*

    Toward Transformative Justice - A Liberatory Approach to Child Sexual
    Abuse and other forms of Intimate and Community Violence
    (2007)
    (documents écrits par le collectif G5-Generation FIVE traitant du
    modèle de Transformative Justice dans le cadre de la prise en charge des
    violences sexuelles sur les mineur·e·s : pourquoi ça leur semble
    nécessaire, les principes de la Transformative Justice, comment
    développer des pratiques utilisant ce modèle)
    Téléchargeable sur
    http://www.generationfive.org

    Accounting for ourselves (2013) (réflexions autour de la gestion
    collective : après des années d’expériences dans leurs milieux, où sont
    les impasses ? Où sont les pistes ?)
    Téléchargeable ici :
    http://www.crimethinc.com/blog/2013/04/17/accounting-for-ourselves/

    Thoughts about community support around intimate violence (soutien
    et accompagnement des personnes cibles et auteures de violences,
    spécifiquement dans le cadre de violences « domestiques », c’est-à-dire
    impliquant des personnes proches, et dans un cadre communautaire
    )
    Téléchargeable sur
    www.phillyspissed.net

    Beaucoup d’autres brochures en anglais sur ces thématiques sont
    téléchargeables sur www.phyllispissed.net.

    Des émissions radios

    ** Sur le consentement :

    NON, c’est NON !

    Une émission de On est pas des cadeaux, 28 novembre 2011

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article145

    Quand céder n’est pas consentir

    Une émission de Dégenré-e, 19 novembre 2007

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article460

    CAS-libres, libre antenne du 4 octobre 2012

    Une émission de Cas-libres

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article255

    ** Sur les questions de violences :

    Violences conjugales entre lesbiennes

    Une émission de Dégenré-e

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article194

    Violences conjugales chez les lesbiennes

    Une émission de On est pas des cadeaux, 6 mai 2011

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article144

    Viol

    Une émission de Dégenré-e

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article112

    VIOLENCES CONJUGALES ON EN PARLE !

    Une émission de D’Horizons Mordantes

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article251

    L’auto-défence face aux violences

    Une émission de Lilith, Martine et les Autres

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article173

    ** Sur les conflits :

    La prise en charge collective des conflits

    Une émission de Langue de fronde

    http://www.radiorageuses.net/spip.php?article376

    Des ateliers

    ** Ateliers d’auto-défense féministe :

    Pour acquérir des moyens de se défendre, PRÉVENIR les agressions, prendre conscience de sa force, (re)prendre CONFIANCE EN SOI.

    ASSPA-Association de Santé Solidaire et Prévention des Agressions
    Association basée à Grenoble qui organise des stages d’autodéfense selon la méthode Riposte. Contacts : riposte [à] pimienta.org ou 06 95 66 84 70

    Autodéfense et autonomie
    Stages d’autodéfense pour femmes et lesbiennes, stages pour personnes trans’ et inter’. http://www.autodefenselyon.lautre.net/ Mail : autodefense.autonomie [à] gmail.com

    La Trousse à Outils
    Association de prévention des agressions liées à des inégalités sociales. La Trousse à outils organise notamment des ateliers d’autodéfense pour femmes et adolescentes, des ateliers d’autodéfense pour les enfants, et des ateliers de théâtre de l’opprimé.e. Contacts : La Trousse à Outils, Espace Simone de Beauvoir, 15 quai Ernest Renaud, 44100 Nantes / la-trousse-a-outils [à] herbesfolles.org / Tel : 06 05 14 02 87

    ** Ateliers sur le consentement :

    Le Wely Wely Want, un atelier sur le consentement :

    Pour concevoir le consentement comme une pratique positive,
    constructive, quotidienne ; trouver des pistes adaptées à sa vie et ses
    envies. Un espace pour prendre du recul sur ses interactions
    habituelles, revisiter ses difficultés et les situations où on merde
    vraiment, les dédramatiser sans les minimiser, pour pouvoir en parler,
    travailler dessus, avancer. Un espace pour identifier ses envies et les
    exprimer, faire des propositions et y répondre, et trouver des manières
    de dire ses limites et se sentir à l’aise avec. En France, Suisse,
    Belgique. Contact : welywelywant [à] potager.org

    Lexique

    Asexuel·le·s : Identité politique. Personnes qui choisissent de ne
    pas partager de sexualité avec d’autres ou qui ne partagent pas de
    sexualité avec d’autres, se reconnaissent et se renforcent dans l’identité
    asexuel·le.

    Cisgenre : Cisgenre : Identité des personnes qui se reconnaissent dans le genre qui leur
    a été attribué à la naissance ou du moins qui s’en accommodent. Les personnes cisgenre
    bénéficient du privilège cisgenre, qui consiste à être globalement assez peu
    questionné·e et emmerdé·epar rapport à son identité de genre. Cisgenre est le
    contraire de transgenre.

    Community accountability : Approche communautaire qui s’intéresse à
    la responsabilité de chacun·e dans les situations de conflits ou de
    violences, depuis les auteur·e·s et les cibles de violences jusqu’à la
    responsabilité de l’ensemble de l’entourage et de la communauté.

    Espace safe : Espace où l’on développe une attention,
    voire une exigence à ce que certaines violences ne s’y produisent pas.
    Selon le type de besoins, cela peut prendre des formes variées : des
    règles proposées qui proscrivent certains comportements ; des personnes
    et/ou des espaces dédiés à la parole, à la prise en charge de malaises ;
    des espaces temporaires ou permanents ; des non-mixités qui permettent
    de se soustraire à certains registres relationnels (entre femmes, ou
    femmes/gouines/trans’ ou trans/pédé/gouines ou personnes racisées, ou
    toute autre combinaison d’identités minorisées) ; l’exclusion de
    certaines personnes identifiées comme « agresseur·euse·s » ; etc.

    Des critiques ont été formulées contre la mise en place de tels espaces
    lorsqu’ils incitaient à la victimisation, n’encourageaient plus les
    personnes à trouver les moyens de se protéger et de faire face,
    faisaient croire aux personnes que des espaces dénués de toute violence
    sont possibles.

    Genrer : attribuer un genre, féminin, masculin,​ ou indéterminé.

    Gouines : Identité politique. Terme utilisé dans
    une démarche d’auto-définition et de réappropriation de l’insulte. Les
    gouines ne sont pas des meufs, c’est-à-dire qu’elles se situent en dehors
    du système social hétérosexuel (tant par leurs sexualités que par leurs
    socialités).

    Hétérosexisme : C’est l’obligation à l’hétérosexualité et à la
    sociabilité hétéro-normée, c’est-à-dire à se comporter comme de vrais
    hommes et de vraies femmes ** (hétérosexuel·les). L’hétérosexisme
    implique donc le sexisme, l’homophobie, la lesbophobie et la
    transphobie, conscientes ou pas. C’est ce qui fait par exemple qu’on
    doit « annoncer » à son entourage qu’on est trans, gouine, pédé, alors
    qu’on n’aura pas à le faire si on est hétérosexuel·le.

    Iel : Pronom personnel désignant à la fois « elle » et « il ».
    « Iel » sert à ne pas genrer la personne désignée ainsi ou à la genrer
    d’une manière neutre, ce qui conviendra à une personne ne se
    reconnaissant pas dans une ou l’autre des identités binaires de genre
    (homme ou femme) ainsi qu’à certaines personnes trans’ qui souhaitent ne
    pas être genrées.

    Afin d’ouvrir nos imaginaires en terme de genre, nous avons choisi
    d’utiliser « iel » tout au long de cette brochure. « Iel » donne par
    déclinaison, « iels » au pluriel et « cellui », « celleux », « ellui »,
    « elleux »…

    Intersectionnalité : L’intersectionnalité est un outil issu du Black
    Feminism
    un mouvement féministe africain-américain caractérisé par la
    volonté d’associer la critique du sexisme, du racisme et des rapports de
    classe. Selon le Combahee River Collective, le concept
    d’intersectionnalité comprend “l’idée de la simultanéité des
    oppressions et le refus de les hiérarchiser ; l’impossibilité pour les
    personnes aux prises avec l’imbrication des multiples formes
    d’oppressions de les séparer ; l’importance accordée à la connaissance
    située et aux formes de luttes politiques identitaires tenant compte de
    l’imbrication des oppressions ; la critique des mouvements identitaires
    monistes
    [qui pensent une domination fondamentale] qui occultent la
    situation des personnes faisant face aux dominations multiples.”

    L’intersectionnalité permet de penser et de rendre compte du phénomène
    d’oppressions multiples. En effet, les personnes opprimées de manière
    multiples vont vivre des effets singuliers : une femme noire ne vivra pas du
    racisme d’un côté et du sexisme de l’autre. Elle aura un vécu spécifique qui
    se trouvera à l’intersection de ces deux oppressions.

    Justice réparatrice (ou restaurative) : Approche de la justice qui
    met le focus, non sur les transgressions commises, c’est-à-dire
    l’infraction d’une loi (justice punitive), ni sur les besoins des
    auteur·e·s de ces transgressions (justice réhabilitative), mais sur les
    « dommages » causés. C’est une approche qui se concentre sur la
    réparation de ces dommages. Cette réparation peut prendre des formes
    multiples : restitution, réconciliation, excuses, financement,
    travail… et peut s’adresser à une personne, un groupe ou une
    communauté entière. Cette approche n’est pas claire sur le rôle de
    l’État et des pouvoirs de pression, de coercition (justice et police)
    mais elle part de l’idée que la définition de la réparation implique des
    négociations, des concertations libres, entre « victimes » et
    « délinquant·e·s ».

    Justice transformative : Forme de justice alternative, pensée dans
    un cadre communautaire et anti-autoritaire, dans le but d’éviter les
    mécanismes de punition et d’exclusion, par un travail d’accompagnement
    qui vise à « transformer » toutes les personnes concernées
    (agresseur·euse·s et agressé·e·s), dans le sens de favoriser qu’elles se
    sentent mieux, qu’elles se sentent plus fortes.

    Meufs : Identité politique. Verlan de « femme », parfois employé
    pour signifier « féministe hétéra ». Ce terme est utilisé dans une démarche
    d’auto-définition, par des personnes qui se sentent femmes/infemmes/non-femmes/super-femme…

    Personnes cibles de violences : Nous avons choisi de nommer ainsi
    les personnes qui ont subi des violences afin de ne pas les enfermer
    dans une identité de victimes, pour laisser de la place à la rage, la
    colère, la force de garder la tête haute et de se reconstruire.

    Personnes auteures de violences : Nous avons choisi de nommer ainsi
    les personnes ayant commis des violences afin de ne pas les enfermer
    dans une identité d’agresseur·euse·s, pour laisser de la place à la
    possibilité d’un changement.

    Personnes soutien (de personnes cibles de violences) : Le mot
    « soutien » définit la posture de celleux qui s’impliquent auprès de
    personnes cibles de violences. Pour nous, il s’agit de partir de leurs
    besoins, pour contribuer à ce que les violences s’arrêtent, panser les
    blessures, les aider à regagner en place, en confiance et en
    considération sur la durée. Cette notion de soutien implique d’une
    certaine manière de prendre partie pour la personne, de décider qu’on la
    croit, qu’on ne remet pas en cause sa parole (ce qui est le plus souvent
    la réaction de tout l’entourage).

    Personnes accompagnantes (de personnes auteures de violence) : Le
    mot « accompagnement » concerne les personnes auteures de violences pour
    bien signifier qu’il s’agit de les aider dans un processus de
    reconnaissance de leurs actes et de leurs impacts sur les personnes
    cibles. Il s’agit également de favoriser des prises de conscience,
    d’éventuelles réparations et un changement de leur comportement. Cela va
    de paire avec soutenir un travail sur elles-mêmes, éventuellement pour
    aller « mieux ». Mais cela ne signifie en aucune manière consolider ces
    personnes dans la conviction qu’elles n’auraient rien fait de mal ou
    qu’elles seraient victimes des circonstances.

    Personnes médiatrices (de conflits) ou pourquoi nous n’utilisons pas
    ce terme dans cette brochure :
    Ce rôle n’apparaît presque pas dans la
    brochure car c’est pour nous un autre sujet. Nous associons le terme de
    médiation aux situations de conflits, plutôt qu’aux situations de
    violences. Pour nous, les médiateur·rice·s ont pour rôle de faciliter le
    dialogue entre personnes qui se reprochent respectivement des choses et
    qui désirent s’entendre, trouver à moyen terme, un compromis pour
    pouvoir composer ensemble. Dans ces situations, il s’agit de travailler
    à une reconnaissance des torts réciproques, en considérant les
    individu·e·s à égalité, en capacité de se parler et de s’entendre. Au
    contraire, lorsque nous nous penchons sur les situations de violence,
    nous concevons des cibles de violences et des auteur·e·s de violence
    bien distinctes, dans un rapport de dissymétrie et avec l’enjeu d’une
    reconnaissance à sens unique des violences des un·e·s sur les autres.

    Bien sûr, les violences peuvent générer du conflit et le conflit peut
    générer de la violence… Et les violences peuvent être réciproques…
    Et lorsqu’on a subi des violences, on peut vouloir du soutien et/ou une
    médiation…. Bref, oui, tout est imbriqué ! Cependant, nous voulons
    dissocier les violences des conflits, ainsi que la pratique de
    soutien/accompagnement de la pratique de médiation, car cela nous aide à
    clarifier les positions et les intentions des personnes : désirent-elle
    se mettre à distance et se protéger ? Ou plutôt trouver un accord, une
    forme de résolution ou de réparation avec les autres personnes
    impliquées ? Ou encore autre chose ? Ces distinctions nous paraissent
    particulièrement utiles en matière de violences sexuelles, car il existe
    plus souvent une dissymétrie entre auteur·e·s et cibles de violences,
    qui font écho aux logiques de système (le sexisme, l’hétérosexisme, le
    racisme, le mépris de classe, les normes physiques et psychologiques,
    etc). Dans toutes ces situations, il serait réducteur de considérer les
    individu·e·s comme à égalité dans un conflit. Pour nous, les
    privilèges dont iels jouissent, les violences qu’iels subissent, ne sont
    pas comparables, ni réductibles à leur seule dimension individuelle.
    C’est pour cela que nous défendons l’idée d’un soutien ou d’un
    accompagnement très différenciés (dans les intentions, les méthodes et
    les personnes impliquées), selon les positions de cibles ou
    d’agresseur·euse·s.

    Trans’ : Identité politique. Terme utilisé dans une démarche
    d’autodéfinition par des personnes ayant rejeté l’identité de genre (homme ou
    femme) qui leur a été assignée à la naissance. Ce rejet peut se traduire
    par l’affirmation, le travail de l’apparence, le choix d’un nouveau prénom
    et/ou pronom, parfois l’intervention chirurgicale et/ou hormonale.
    Les personnes trans’ subissent une oppression spécifique qui est la
    transphobie, en imbrication avec toutes les autres formes d’oppression
    qu’elles sont susceptibles de subir en fonction de leur situation sociale
    (racisme, sexisme, homophobie, lesbophobie, validisme, etc.). Trans’ est
    le contraire de cisgenre.

    Victimisation : Stratégie consciente ou inconsciente d’une
    personne auteure pour se défendre d’accusations de violence, pour
    ne pas se confronter, pour se déresponsabiliser. C’est l’inverse de la
    responsabilisation.

    Pour les personnes cibles, se reconnaître victime est
    complètement autre chose : c’est au contraire arrêter de se sentir
    coupable et pouvoir se reconstruire.

    Violence potentielle : Violence ressentie lors d’une agression,
    prenant non seulement en compte les faits (en termes d’actes et
    d’atteinte physique) et leur portée symbolique (sur des critères
    politiques et éthiques), mais aussi le vécu personnel de la personne
    cible et son ressenti. En effet, de nombreuses choses qu’elle a
    intériorisées et subies dans le passé peuvent lui faire associer l’acte
    de violence concret à des peurs, au sentiment d’une mise en danger, au
    resurgissement d’un vécu traumatique, d’une assignation à un rôle
    dégradant, etc. Cette définition permet de mettre en valeur qu’un même
    acte de violence peut être reçu très différemment selon les personnes et
    notamment qu’une agression considérée comme minime par certain·e·s peut
    être extrême pour d’autres.



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