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Sous le tapis le pavé
Les violences sexistes dans les milieux militants qui se revendiquent anti-sexistes et anti-autoritaires
mis en ligne le 11 janvier 2013 - Collectif Sous le tapis le pavé
sommaire
COMMENT ON EN EST ARRIVÉES LÀ ?
TÉMOIGNAGES
Sa bite
Cicatrices dans la peau et dans l’âme
Auseinandersetzung | L’affrontement
[La soirée à mes yeux s’était bien passée...]
PAUSE CAFÉ | LE QUIZ QUI TABASSE
TÉMOIGNAGES
[Apport anonyme]
Témoignage de Lucie, Yverdon
Que les ongles se transforment en griffes ! Aiguisons notre force de riposter.
Eh merde
Témoignage collectif en non-mixité
L’EXPOSITION | SOUS LE TAPIS LE PAVÉ
RÉSEAUX
Comment on en est arrivées là ?
En février 2011, il y a de cela près de deux ans, après bien des
discussions et l’envoi d’un appel en Suisse romande, en Suisse alémanique, au Tessin, et dans quelques villes françaises, nous avons organisé, à Lausanne, une première rencontre.
Nous, à ce moment-là, désignait « La Furie collective », notre collectif féministe non-mixte femmes issues de la mouvance autonome et de la scène squat, actives sous cette forme autour de l’espace autogéré depuis 2008.
L’idée, c’était de se rencontrer et de parler ensemble, en non-mixité, de ces violences sexistes que nous connaissons toutes. En effet, à bien des reprises, notre groupe s’est trouvé être le seul lieu où des copines venaient parler de ça, des violences dans leur couple, qu’elles subissaient et dont elles ne savaient pas quoi faire, ni comment en sortir.
Il était vraiment temps pour nous de discuter de cette réalité autrement qu’en ambiance de confidence et de montrer le pavé caché sous le tapis !
A quoi ressemblent-elles ces violences sexistes ?
Il y a d’une part ces remarques ordinaires, ces gestes banalisés qui nous pourrissent la vie et qui s’expriment surtout durant les soirées. Un machisme gentiment étouffant, une agressivité latente qu’on a du mal à nommer mais que nous avons appris à redouter : une main au cul, des remarques insistantes, un pogo brutal, des coups de coude.
Cette impression dégueulasse de devoir lutter sans cesse pour avoir sa place, pour être respectées.
Il y a cette violence-là, déguisée en habits de fête (on se bourre la gueule, on rigole, on n’est pas coincé du cul, nous… et tant pis pour les dérapages), et il y a aussi une violence, plus cachée encore, celle qui se déchaîne dans l’intimité, au sein des couples, dans les maisons par exemple.
« Mais non, cette violence « conjugale » dont parlent les médias, y’a pas de ça chez nous, parmi nous, on a dépassé ça, ces rapports de domination et ce patriarcat contre lequel nous avons tant lutté… »
Tu parles !
Comment parler de violence dans le milieu, quand on se connaît toutes et tous ? Comment dire : mon copain m’enferme, me bat, m’insulte, oui mon copain, qui est aussi votre pote, avec qui vous militez depuis des années, avec qui vous vivez parfois, dans la même maison. Comment se défendre ? En allant chez les flics porter plainte ? Ces mêmes flics que l’on tient éloignés de nos lieux de vie avec acharnement et conviction… En n’en parlant en réunion ? Devant tout le monde et devant ce gars, notre « amoureux », qui est présent ?
Vivre et militer ensemble, cela crée des liens particuliers, il règne souvent une ambiance clanique, avec des codes et des principes tacites. Que faire des confidences, que faire quand on apprend telle ou telle sordide histoire ? Que faire en collectif ?
Durant notre première rencontre, nous avons parlé de tout ça. Nous étions une trentaine, de différentes villes, avec différents parcours, très actives dans le milieu ou non, avec des âges et des expériences variés. C’était une belle soirée, autour d’une bonne bouffe, avec des moments plus marrants que d’autres et, de manière unanime, l’envie de faire quelque chose de tout ça. L’envie que le sujet des violences sexistes dans nos milieux ne soit plus un sujet à la limite du tabou, un sujet négligé, dont les femmes parlent en sourdine, comme si elles étaient, somme toute, les seules concernées.
Plusieurs idées ont été retenues :
– Réaliser une brochure qui réunirait des témoignages anonymes autour des violences sexistes.
– Créer un événement pour parler de ce sujet ensemble : une expo qui puisse circuler dans d’autres lieux, un débat, etc.
Suite à cette première réunion, d’autres ont été organisées durant plusieurs mois. Un collectif non mixte femmes-trans* est né, baptisé « Sous le tapis le pavé ».
Le projet a peu à peu pris forme. De la trentaine de personnes intéressées, une petite dizaine a pris part activement à la réalisation du projet, avec des changements.
Nous avons lancé un appel à témoignages et à contributions artistiques, soit pour la brochure, soit pour l’expo : « Tu as vécu quelque chose dont tu voudrais parler, tu as envie d’écrire sur l’expérience d’une pote, tu veux nous faire part de ta rage, partager tes réflexions ; ou tu dessines, tu fais de la vidéo, du théâtre, de la BD, tu as quelque chose à dire sur ce sujet... »
Pour que l’anonymat soit strictement respecté, nous avons proposé un envoi par courriel ou par poste.
Pendant de longs mois, les témoignages ne sont pas venus. On en parlait autour de nous, on y réfléchissait chacune de notre côté, mais on s’est vite rendues compte qu’écrire sur ces violences, c’était vraiment difficile. Ça remue des sales souvenirs, ça donne le cafard et la haine. Au-delà de la peur d’être reconnue, est ressortie aussi celle de « cafter ». Alors on a prolongé l’échéance de la réalisation de notre projet, deux ou trois fois. Il s’agissait de ne pas baisser les bras devant ces difficultés, de ne pas démoraliser quand on était trois aux réunions.
Peu à peu, des contributions artistiques nous sont parvenues, dessins, perfos, projet de sculptures. Et puis quelques témoignages, par courriel et par poste, qu’on a reçus avec pas mal de joie et aussi, bien sûr, comme des coups dans le bide. Toucher au sujet des violences sexistes, ce n’est jamais anodin. Certains témoignages ont été recueillis par l’une ou l’autre de notre petit groupe, avec enregistrement puis retranscription. C’est parfois plus facile de parler à quelqu’une que de prendre la plume.
Histoire de ne pas se laisser plomber le moral par la lourdeur du sujet et des histoires qui nous sont parvenues, nous avons réalisé ensemble un roman photo pour le projet de l’expo, et un quiz qui traitait de la violence de manière plus légère. Nous avons aussi organisé un apéro (faut pas se laisser abattre !) au cours duquel nous avons échangé, librement, autour de ces questions, comme un « témoignage collectif » qui figure aussi dans notre brochure.
Après plus d’une année de travail, nous avons enfin fixé des dates et des échéances. Nous avions récolté des témoignages, décidé des événements qui accompagneraient cette brochure, et reçu des projets artistiques pour notre exposition.
Ce que vous tenez entre les mains est le résultat de tout ça.
AVERTISSEMENT AUX LECTEURS ET LECTRICES
Notre but n’est pas de faire de grandes théories et l’on a plutôt l’habitude de parler expériences et terrain. Cependant, il nous a semblé important de préciser ici notre positionnement, à l’aide de quelques notions.
La violence, un acte de contrôle
Avant toute chose, il est important pour nous de dire ici clairement et sans failles que nous considérons les violences envers les femmes comme résultant de la hiérarchie qui prédomine dans les rapports sociaux de genre qui sont construit. Il s’agit pour nous d’actes de contrôle récurrents sur les femmes à l’intérieur de sociétés sexistes.
La hiérarchie des genres, c’est quoi ?
Pour résumer, nous vivons dans des sociétés bâties sur deux genres différents, celui dit « homme » et celui dit « femme ». Cette construction binaire se fonde sur le sexe biologique (en niant qu’il existe d’autres sexes biologiques possibles d’ailleurs…). A partir de là, tout un panel de codes de comportement est assigné à l’un ou l’autre genre. Si tu appartiens au genre femme, tu seras à l’écoute des autres, tu seras douce et tu aimeras que ta maison soit propre. Si tu appartiens à l’autre genre, tu parleras peu de tes émotions, tu seras courageux et entreprenant (couillu quoi !) et tu pourras sans complexe exposer tes poils. Ça s’appelle la socialisation différenciée.
Dans cette configuration, ces deux genres ne sont pas considérés comme égaux. En fait la norme, l’unité primaire, c’est le genre masculin. Le genre féminin est clairement inférieur au genre masculin. Il nous paraît inutile de décrire ici la somme incalculable d’exemples qui montrent ce qu’est la domination masculine. Elle transparaîtra bien assez dans la suite de cette brochure.
Pourquoi on utilise les termes « femme » et « homme » dans cette brochure ?
Dans nos textes, on s’exprime souvent en utilisant les mots : « femme » et « homme ». Ce n’est pas pour défendre ce dualisme de genre, mais parce que la construction sociale des rôles est organisée par rapport à ces deux catégories nettes. On simplifie en utilisant ces termes, en réalité on parle de personnes socialisées sur la base du sexe à la naissance. Dans une optique féministe de déconstruction des genres, on parle donc d’hommes et de femmes pour mieux reconnaître, souligner et combattre la domination actuelle du rôle « homme » sur le rôle « femme ».
La résistance à la domination masculine
Quand une femme résiste à la domination masculine, que ce soit dans son couple ou de manière plus générale, il existe un dispositif pour réprimer cette résistance, pour « remettre les femmes à leur place » : la violence sexiste. Ce que certaines féministes appellent la « police du genre ». Les dominants n’aiment pas trop que les dominées s’émancipent.
Dans cette perspective, on peut dire que lorsque les femmes subissent la violence, elles sont victimes de violences, mais elles résistent aussi à ces violences. Sinon, et au vu de la fréquence de ces violences, il n’y aurait plus beaucoup de femmes tout simplement.
Elles résistent chaque jour, en tout lieu, dans la rue et dans leur maison. Et ce malgré le fait que parfois cette résistance ne suffise pas, lorsque la violence continue et devient trop systématique pour y survivre. On parle toujours de femmes victimes. Parlons de femmes résistantes.
Sexiste : une affaire privée et personnelle, un problème pas d’chez nous ?
Non, la violence sexiste n’appartient pas à la sphère privée et n’est pas un problème individuel ou personnel. De plus en plus souvent, on entend parler des violences envers les femmes avec des explications psychologisantes. Le mâle violent est malade, délinquant, déviant, alcoolique, comme si tout était pathologie et problèmes interpersonnels. Non, ce n’est pas un problème qui concerne « le couple et ça ne nous regarde pas ». On prétend aussi très souvent que ces violences sont le symptôme d’un archaïsme de sociétés et de cultures non occidentales. On dira : « ouf, ce genre de violences, nous, on a dépassé ça depuis longtemps, ici en Occident ! ». Quoi de mieux en effet que de mélanger sexisme et racisme.
Ces explications ne valent rien. Elles servent d’excuse pour ne pas se poser de questions et mettre la violence sur le dos de l’amour, de la passion, ou même de l’honneur et de la tradition.
Il faut sortir de ce discours qui cantonne la violence sexiste à la vie privée et aux relations interpersonnelles. Il s’agit ici de dénoncer la violence masculine comme un mécanisme de contrôle social. Il s’agit de tout faire péter.
La violence est sexuée
Pour rassurer nos amis mecs qui, à ce moment là du texte, se crispent un peu, et nos amies meufs qui se disent : « comme elles exagèrent ces féministes », nous voulons apporter quelques précisions. Affirmer que la violence envers les femmes n’est pas neutre, qu’elle s’inscrit dans une logique de genre, ne veut évidemment pas dire que les hommes sont tous des bourreaux et les femmes toutes des victimes ; la violence n’est pas le monopole d’un sexe. Par contre, elle est sexuée : elle s’appuie sur l’inégalité des genres, tout en la renforçant. Et faut pas déconner, toutes les statistiques démontrent que, dans 90% des situations, ce sont les femmes qui prennent des coups de leur conjoint, et non l’inverse. En Suisse, plus d’une femme sur cinq est violentée dans sa vie par son conjoint. C’est pas juste un chiffre, ça veut dire que si tu tournes la tête, si tu regardes tes potes « femmes », il y en a au moins une autour de toi qui a vécu cela.
Autre chiffre : chez les femmes de 16 à 44 ans, la violence domestique est la principale cause de décès et d’invalidité, avant le cancer et les accidents de la route. [1]
Merci à toutes celles qui ont eu le COURAGE - parce que c’est bien de cela dont on parle - d’avoir témoigné ici.
Sa bite
La voiture s’arrête à mon pouce levé, je monte.
Avec le mec on parle.
Je le sens pas. Il touche son jeans. J’ai pas envie de regarder. Je vérifie : il a sorti sa bite.
Assise à la table d’une cuisine dans un squat, j’écris.
Avec le mec on ne parle pas.
Je le sens pas. Il touche son jeans. J’ai pas envie de regarder. Je vérifie : il a sorti sa bite.
2010-2011
Cicatrices dans la peau et dans l’âme
J’ai l’impression d’avoir tellement ressassé mon expérience… de mille manières différentes…. mais à chaque fois j’en découvre une nouvelle facette.
Une chose importante pour moi, que j’aimerais partager ici, est qu’à chaque fois que j’ai parlé de mon expérience à mes proches, j’ai trouvé une écoute bienveillante. J’apprécie de pouvoir parler de ces choses difficiles sans être jugée sur ce que j’ai pu vivre.
C’est d’autant plus important pour moi parce que je me suis souvent frottée et confrontée aux jugements, aux conceptions figées de personne qui tiennent des discours stigmatisants sur les femmes et la violence : « Si tu vis ça c’est que t’es comme ça, c’est que tu le veux bien, que tu le cherches, peut-être même que tu aimes ça, en tout cas, tu le mérites ».
Des phrases « bateau » et stupides que tu entends tout le temps quand les gens évoquent ce sujet sans le connaître.
Je les ai entendues tellement de fois, mais sans qu’elles me soient adressées directement. Tu croises quelqu’un qui dit : « les femmes qui sont frappées sont comme ci ou comme ça ». D’entendre ces mots me rend folle. Ce sont des stéréotypes, des étiquettes que je n’arrive pas à accepter car tu n’expérimentes jamais la violence par hasard et surtout jamais seule ! Il y plein de choses qui font que tu te retrouves dans une telle situation. Ce n’est pas lié à une donnée génétique avec laquelle tu nais ! Les femmes ne vivent pas cela parce qu’elles aiment être violentées...
Selon moi, la violence physique n’est que la pointe de l’iceberg. Les coups n’en sont que la pointe visible. Mais il y a tout ce qui se cache derrière. Il y a de multiples facettes à la violence. Chacune d’entre nous a expérimenté ces types de violence. Qui n’a jamais vécu quoi que ce soit de violent de la part d’un homme ? Quelle que soit sa forme, psychologique ou n’importe quoi d’autre ? C’est un phénomène très insidieux et omniprésent. J’ai des amies, qui aujourd’hui, me disent : « je commence à te comprendre parce que j’ai rencontré un homme avec qui je me suis retrouvée dans une position de soumission sans m’en rendre compte et extrêmement rapidement ».
Je pense que dans mon histoire personnelle, ce qui a été particulier, est que, petite, j’ai été éduquée de manière très sévère à la « old school ». Du coup, je me suis confrontée, déjà enfant, d’une certaine manière, à une forme de violence. Dans mon histoire de petite fille, je connaissais les réactions de certains hommes qui m’entouraient. Ce n’était pas une violence aussi forte. Mais je me suis, tout de même, trouvée confrontée à cela très jeune. L’autre élément particulier dans mon vécu est que je vivais dans un milieu peu enveloppant, tendre ou câlin.
Quand j’ai fait la rencontre de cet homme ça a été fort très vite, une espèce de coup de foudre. Je ne pensais pas que cela existait, mais cela a été quelque chose de « chimique », extrêmement fort dès le départ. Je recherchais vraiment, à travers cette relation, tout cet enveloppement, cette douceur, ce contact physique dont j’avais manqué petite. Cela a été rapidement une relation passionnelle. Je ne me suis pas rendue compte tout de suite que cet homme arrivait dans ma vie avec des blessures liées à ses histoires d’amour d’avant. Je ne connaissais que très peu les relations homme-femme. C’était ma deuxième histoire d’amour. C’était la première fois que je m’impliquais vraiment.
Rapidement, il a commencé à avoir un rapport très particulier avec moi. Par exemple, il me demandait, au détour d’une conversation, que je fasse la liste de tous mes défauts, des choses qui pouvaient être dérangeantes chez moi. Comme j’avais 15 ans et demi, je n’avais ni de réflexion et de regard sur qui j’étais ni sur mes potentielles difficultés. J’ai, du coup, inventé un tas de trucs, des phrases clichés que j’avais entendues : prétendant que cet aspect ou tel autre pourrait peut-être bien faire partie de moi... En fait, je n’ai pas réalisé de quoi il s’agissait vraiment. Lui, savait très bien pourquoi il faisait cela et à quoi cela lui servirait par la suite. Il a progressivement utilisé tout ce que j’avais dit contre moi. Il mettait le doigt sur ces pseudos défauts chaque fois que je me trouvais dans une situation qu’il jugeait révélatrice. Il me disait : « et bien, tu vois, là t’es comme ça, tu vois, là, t’as ce côté-là, et puis là, ça se voit, et là aussi ça se voit ». Il a utilisé de manière répétitive ces phrases et pour finir, j’ai vraiment eu le sentiment que j’étais celle qui portait ces tares et à qui appartenaient tous ces défauts. Je n’ai pas pris conscience de ce processus sournois parce que j’avais l’idée naïve qu’il m’aimait et qu’il agissait correctement envers moi. Je n’ai pas compris l’engrenage dans lequel je me trouvais. A côté de cela, il avait un vécu assez douloureux. Il ne se sentait pas bien dans sa peau ni dans son boulot. Moi, j’étais un peu à l’inverse. J’étais quelqu’un de joyeuse et j’aimais bien ce que je faisais dans la vie. J’étais donc un peu comme son miroir inverse. Cela devait certainement être difficile pour lui de se retrouver face à quelqu’un comme moi pour ces raisons.
Progressivement, il a commencé, à travers son discours, à me casser là où il pouvait. Il rapportait les choses sur moi uniquement lorsqu’on se retrouvait seuls les deux. A l’extérieur, il donnait l’apparence du mec hyper cool et sympa qui fume des joints, qui est trop « peace » !
Donc, c’était extrêmement compliqué pour moi de comprendre ce changement radical d’attitude entre le huit-clos et ce qui se passait à l’extérieur. C’était très déroutant parce que je sentais que quelque chose ne collait pas. Mais, en même temps, je ne trouvais pas de soutien à l’extérieur pour dire que cela n’allait pas. Il a aussi, insidieusement, fait en sorte de me couper de mes relations. Il venait me chercher à l’école tous les jours. En étant toujours là, je ne rencontrais pas d’autres personnes. Chaque fois que je sortais du gymnase, il était là à la sortie. Il était là le matin, à midi et en fin de journée. Il s’arrangeait pour m’amener et pour venir me chercher. Je me suis finalement retrouvée dans une situation où j’étais coupée des gens et où je ne me retrouvais plus qu’enfermée dans cette unique relation.
Un jour, pendant les vacances d’été, j’ai été aider un ami qui préparait son sac de voyage. Il n’a clairement pas supporté que j’aie pu faire cela sans lui. Ce jour-là, il m’a envoyé une énorme claque. J’ai été extrêmement choquée de cette situation à laquelle je ne m’attendais pas. J’étais vraiment mal parce que je ne comprenais pas le déclencheur. Et en même temps, cela me rappelait des choses que j’avais vécues petite. J’ai donc assez vite considéré cet événement comme étant de ma faute, me disant que j’avais dû faire quelque chose qui ne lui avait pas convenu. En face, il me promettait que cela ne se repasserait plus. Il semblait s’en vouloir. La première fois, j’ai passé dessus en pensant que ce n’était pas grave. J’ai essayé de minimiser en me convainquant qu’il devait certainement y avoir des raisons à son agissement. J’ai tout de même essayé, à partir de cet événement, de mettre un peu de distance entre nous. J’avais peur. Cela a eu pour effet que le processus s’est rapidement amplifié et accéléré. Il a davantage cherché à me cloîtrer dans notre relation. Dans cette espèce d’enfermement, il arrivait tous les jours des événements qu’il prétendait être de ma faute : « c’est toi qui agis comme ça, c’est toi qui fais ci, c’est toi qui fais ça… » Au bout d’un moment, j’ai sombré dans une grosse déprime ; enfin, dans une situation où je n’arrivais plus à activer mes ressources et où je me sentais complètement démunie. Je me coupais aussi moi-même de mes relations au gymnase parce que je voyais bien que je n’étais pas... que je n’étais plus comme les autres. Je me sentais moins bien que les autres femmes. Je les regardais toutes en me disant qu’elles ne vivaient pas la même chose que moi et que pour cette raison, elles devaient être mieux que moi. J’en suis arrivée à vraiment me rabaisser et c’était extrêmement compliqué d’être en interaction avec les autres.
Mes parents ont vu que ça n’allait pas. Ils ont observé que j’avais parfois des marques. C’était des bleus. Ils n’arrivaient pas à savoir d’où cela venait mais ils avaient des soupçons. Moi, je maquillais tout. Mes sœurs m’aidaient à couvrir et camoufler les bleus, le matin avant de partir au gymnase. Elles étaient plus petites que moi. C’était pour elles une situation très compliquée. J’avais aussi deux, trois camarades de cours qui me regardaient bizarrement. Quand on me posait la question de la raison des bleus, je racontais de fausses histoires, des mensonges, comme quoi j’étais tombée de cheval ou dans l’escalier. J’inventais vraiment plein de choses comme ça.
Je me souviens d’un épisode, je crois que c’est un des pires. J’avais passé le week-end avec cet homme à la maison. Je ne me rappelle pas bien des déclencheurs. Il me semble que pour lui, cela était dû au fait que j’avais chanté lors d’une soirée avec un ami qui jouait de la guitare. Cela l’avait rendu fou parce que j’avais soit disant dragué cet ami. Enfin, il se servait de raisons complètement bizarres et inexistantes pour justifier sa colère et ses coups. Je me demandais si cela était un véritable manque de respect de juste regarder quelqu’un et de le trouver chouette ? Je n’arrivais plus à avoir une notion claire de ce qui était « juste » ou non. Je doutais en permanence. Je ne me faisais plus confiance du tout. Je n’étais plus capable de savoir et de distinguer, après ce nettoyage de cerveau, si j’étais en effet une personne aussi abominable qu’il la décrivait ou si c’était lui qui était totalement fou. J’étais tellement à l’intérieur de ce cercle vicieux que je n’avais plus la distance nécessaire pour penser. J’étais perdue.
Je me souviens de ce soir-là. Il m’a jetée au sol et il m’a rouée de coups. Il m’a envoyé des coups de pieds dans le dos, des coups de poings répétés sur le corps et dans le nez. Je saignais beaucoup. Il y en avait plein le tapis. Ses parents sont arrivés à la maison. Ils ont vu l’état du tapis. Cela s’était passé dans leur salon. Ils ont alors commencé à me hurler contre en me disant que j’étais qu’une « espèce de merde qui faisait souffrir leur fils ». Je n’avais plus aucun repère stable. Cet homme, plus deux adultes, qui étaient quand même sensés être des gens responsables, me disaient que tout était de ma faute. De même, à chaque fois que j’étais mal ou triste, ses parents me disaient qu’il fallait que je cesse d’être dans cet état car, selon eux, je faisais exprès d’être ainsi pour le lui faire payer. Je me suis donc retrouvée dans une confusion totale où je n’arrivais plus du tout à savoir ce qui était normal ou pas. C’était très malsain et terriblement bizarre.
Les violences se sont répétées et ont augmenté au fil des mois. Elles ont aussi eu lieu, par la suite, chez moi. Je n’étais plus en sécurité nulle part. Un matin, un dimanche, je me réveillais dans ma chambre. Il y avait mon père dans le bureau juste à côté. Cet homme se réveille aussi et tout d’un coup, je ne sais pas pourquoi, il me met la tête sous un coussin et essaie de m’étouffer avec. Il ne s’était rien passé. C’était un réveil matinal tranquille où rien ne s’était passé.
Il faisait des trucs bizarres pour des raisons inconnues. Je ne sais pas comment dire. Je n’arrivais jamais à prévoir les moments où ça allait se passer et je me sentais en danger constamment. J’essayais de faire en sorte de dormir uniquement chez moi et toute seule. Je ne voulais plus me retrouver dans des situations de violence destructrices d’où je n’arrivais plus à me sortir. En parallèle, j’avais moi-même très envie de mourir car ma vie n’avait plus de sens. J’ai, par désespoir, demandé de l’aide à une psychologue qui ne m’a pas du tout aidée. Ce que je lui disais, lors des séances, a juste été noté mais je n’ai jamais été mise hors de danger et protégée suite à mon témoignage. J’ai appris, dix ans plus tard, qu’il y avait eu non-assistance à mineure en danger. Il y a eu énormément de moments où je n’ai pas été soutenue et où je n’ai pas trouvé ni l’aide ni l’écoute qui m’auraient été nécessaires.
Et puis tout cela a été très insidieux. Cela a touché profondément ma sexualité. Enfin, cela a détruit des choses à plein de niveaux. J’en garde de nombreuses cicatrices.
Mes parents ont vu que je n’allais pas bien. Mais en même temps, cela devait être tellement douloureux pour eux d’imaginer cette possibilité qu’ils ne se sont même pas autorisés à le penser. C’était juste inconcevable et inacceptable. S’il avait su cela, mon père s’en serait certainement méchamment pris à lui. Mes parents savaient qu’il y avait quelque chose qui ne jouait pas mais ils n’ont pas pensé que cela allait aussi loin.
Mes sœurs avaient qu’une seule envie c’était que je le quitte. Mais moi, je n’y arrivais pas parce que j’étais tellement prise dans cette espèce d’engrenage que je n’étais plus capable, à ce moment-là, de trouver la force de m’en sortir et de voir ce qui se passait. Ce n’est que lorsque je suis partie à 17 ans et demi en Angleterre que j’ai eu enfin le déclic. J’ai vécu trois mois où je sortais, je faisais un peu la folle, je faisais plein de choses que j’aimais. Il y a eu mon anniversaire. Des amis m’ont envoyé une vidéo qu’ils avaient préparée pour ma fête. C’était un témoignage de leur amitié. Cet homme apprenant par téléphone qu’il n’avait pas été inclus dans le film, m’a insultée très méchamment. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que quelque chose ne collait pas. Je me trouvais à 400 km et des amis me faisaient une surprise. Ce n’était pas de ma faute s’ils ne l’avaient pas invité à participer à celle-ci. Je n’y étais pour rien. J’ai alors commencé à vraiment réaliser qu’il y avait quelque chose qui ne collait pas du tout chez lui. J’ai compris qu’il pétait les plombs pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec moi. Je me suis alors promis à moi-même que si, en rentrant, il m’adressait encore un mot de travers, je mettais fin à cette relation. Je n’ai pas eu à attendre longtemps pour le faire. Je me suis retrouvée, peu après mon arrivée en Suisse, à nouveau dans une situation de grosse violence. J’avais enfin réussi à prendre de la distance. Mais il avait fallu pour cela que je parte loin physiquement pour que je puisse me dire que c’était dans sa tête que cela débloquait et non chez moi !
Ce qui a été dur après la rupture est que, malgré le fait que je l’avais éloigné, il était tous les soirs dans mon jardin, tous les jours sur un arbre à observer et épier ce que je faisais, avec qui j’étais. Il me suivait partout, il m’espionnait. Il suivait inlassablement tous mes déplacements. C’était très pesant et inquiétant, cette sensation de savoir qu’il y avait toujours quelqu’un derrière moi quelque part. Cela a duré en tout cas une année. Mon père le retrouvait dans le jardin. Il avait beau lui dire qu’il fallait qu’il parte, il continuait à être là. C’était une période où j’étais toujours sur le qui-vive. Je me disais, je rentre à la maison, je ne sais pas ce qui va se passer, je ne sais pas si je vais le rencontrer là ou ailleurs. Enfin, je n’étais vraiment pas bien du tout.
Un jour, il est mort dans un accident. Cela a été terrible, mais je l’ai vécu comme le soulagement de ma vie. Je savais que c’était fini, que c’était terminé. Heureusement pour moi, juste avant de mourir, il avait jeté son dévolu sur une autre femme. J’étais soulagée parce que c’était comme s’il avait coupé sa relation avec moi avant de partir. Mais, après sa mort, la violence s’est perpétrée au travers de son compagnon de voyage. Celui-ci est revenu à la charge à l’occasion d’une soirée en hommage au défunt. Il m’a dit que s’il était mort c’était à cause de moi. Il a ajouté que s’il avait été à sa place, il m’aurait tapée davantage et qu’il m’aurait brisée. Il a répété plusieurs fois, que j’avais de la chance que ce n’était pas à lui que j’avais eu à faire. J’avais alors l’impression de m’être sortie de toute cette histoire. J’ai écouté ses phrases en me disant que cela ne me faisait rien et que cela ne pouvait plus me toucher. Mais j’ai, ensuite, sombré dans une grosse dépression. Je réalisais que même mort, il continuait encore à détruire ma vie.
J’ai gardé plein de cicatrices. Des années plus tard, je me trouvais sur un lit, à plat ventre, après un massage. Je sentais sa présence, j’étais sûre qu’il allait me sauter dessus et me faire du mal. J’étais tout le temps en tension dans mon corps. Ce n’est toujours pas facile aujourd’hui. Il y a des fois où mon corps tout d’un coup me donne une douleur quelque part et là, je réalise que c’est en lien avec une ancienne douleur. C’est très difficile à gérer. La mémoire d’une tension refait surface et je ne peux pas la contrôler. Elle est là.
Après, je pense que j’ai, dans ma relation avec les hommes, passé à autre chose. En tout cas, je n’ai plus jamais revécu de violence de ce genre dans mes relations suivantes. Cela m’a rassurée car on entend très souvent dire que c’est une espèce de schéma dans lequel tu restes toute la vie.
Par contre, j’ai passé par de longues phases où il ne fallait juste pas qu’un homme me parle, qu’il me touche, qu’il m’approche… Je les ai tous envoyés balader pendant des années. Je pense qu’aujourd’hui j’ai réglé une part de cette histoire mais je suis encore très sensible à la colère chez l’homme. Je me mets dans une position défensive lorsque des hommes sont sur la tangente. Je ne veux plus accepter qu’un homme me manque de respect ou m’insulte. J’ai fait un cours d’auto-défense, il y a quelques années. C’était une forme de délivrance pour moi parce que, dans ce cadre-là, j’ai demandé à me remettre dans toutes les situations dans lesquelles j’avais été coincée par le corps de cet homme. Celle qui donnait le cours m’a montré comment, à chaque fois, j’aurais pu me sortir d’une prise et de quelle manière j’aurais pu renverser la situation pour ne plus être sous lui ou coincée contre un mur. Dans ces moments, j’avais vraiment l’impression que je n’avais aucune force et aucun moyen de m’en sortir. A travers ce cours, j’ai pu découvrir par mon corps le contraire. J’aurais pu me libérer de toutes ces situations. Cela m’a fait beaucoup de bien. Je me rends compte qu’aujourd’hui j’ai en main des ressources qui font que je ne me retrouverai plus jamais dans ces situations physiques-là.
Sur le moment, il y avait deux-trois personnes qui se posaient des questions mais j’étais très à distance. J’avais en fait pas mal de problèmes physiques, j’ai passé par une phase d’anorexie. Je n’avais qu’une envie : disparaître pour qu’il ne me voie plus. Cesser enfin d’exister et de souffrir. Du coup, je n’avais plus de force physique. Il y avait tout plein de moments où je ne participais pas aux activités extrascolaires ou tout ce qui ressemblait à une leçon de gym. J’étais trop faible. Chaque fois que je lançais une balle, j’avais des palpitations cardiaques. Je me faisais envoyer directement chez l’infirmière qui elle me soulageait en me proposant de me coucher. J’étais très coupée de mes ami-e-s. Je n’arrivais pas à parler aux gens car c’était trop douloureux. Je me sentais tellement merdique et j’avais juste envie de mourir. Je n’avais plus envie d’autre chose, seulement disparaître.
J’essayais avec ma psychologue de parler de ce que je vivais mais je voyais que cela ne servait à rien. J’avais vraiment le sentiment que c’était moi le problème. Jusqu’au moment où j’ai réussi à inverser le truc et me dire que cela ne provenait pas de moi mais que je vivais une relation avec un homme complètement et sérieusement fou. Là, j’ai pu recommencer à prendre de la distance et en parler aux gens. Cela a été relativement bien reçu même si beaucoup ne comprennent pas le processus par lequel j’en suis arrivée à ce point-là. Je pense que c’est assez difficile à concevoir tant que tu ne l’as pas vécu de l’intérieur...
De dire qu’à la première claque tu aurais dû partir... Effectivement, je me suis souvent posée la question de pourquoi je ne suis pas partie loin à ce moment précis ? Qu’est-ce que je vivais ? Qu’est-ce qui faisait que j’étais dans cette situation-là ? Je me rends bien compte que tout le monde n’accepte pas ce type de situation. Je pense que c’est vraiment en lien avec mon histoire personnelle. L’ensemble de mon vécu a fait que je me suis retrouvée là et que j’ai accepté cela d’une certaine manière. Mais j’ai la conviction qu’il y a beaucoup de personnes qui vivent des situations semblables. L’intensité et la manière sont différentes. De nombreuses personnes ont expérimenté d’une manière ou d’une autre des moments de violence ou de soumission. Je ne sais pas comment les décrire, enfin une situation où tu te retrouves face à un homme qui te déstabilise complètement. Ce n’est peut-être pas de la violence physique directe mais elle s’exerce à plein d’autres niveaux. De nombreuses femmes ont vécu cela et j’ai réalisé que mon expérience faisait écho chez beaucoup d’entre elles.
Selon moi, il y a énormément de choses qui sont en lien avec l’homme, comment il est et le moyen qu’il a de prendre le pouvoir par la force. C’est son moyen le plus facile. Il va souvent en user parce que c’est directement à sa portée et qu’il a l’impression que c’est une solution radicale, une prise de pouvoir facile. Surtout quand tu es déstabilisée parce que tu te sens toi-même dans des situations où l’homme te considère comme inférieure pour des raisons qui lui sont personnelles, soit de la maladie mentale, soit d’autres choses. Il a alors besoin, par les poings, de reprendre du pouvoir.
J’ai des amies qui m’ont carrément dit quand je n’allais pas bien qu’il fallait que, soit je m’en sorte rapidement, soit que notre amitié prendrait fin. Elles ne supportaient plus de me voir dans l’état où j’étais sans en comprendre les raisons. Cela a été horrible car j’étais en train de perdre mes amies les plus proches. Une fois l’histoire terminée, cela a été un soulagement pour beaucoup de savoir ce qui s’était passé et que je n’étais pas devenue folle. De l’extérieur, cela pouvait donner cette impression. J’étais tellement mal que j’essayais par tous les moyens d’en finir. Les personnes ne comprenaient pas pourquoi et ce qui déclenchait ça chez moi.
Je pense que le plus dur a été pour ma sœur moyenne. Elle s’en est vraiment voulu. Elle était au courant et ne savait pas comment m’aider. Elle s’est sentie coupable. Encore aujourd’hui, quand elle discute avec des amies qui vivent des situations semblables, cela actionne un sentiment très fort chez elle. Elle cherche directement une solution pour que cela change. Elle ne peut plus supporter de voir des personnes se perdre là-dedans. Malgré tout, je pense que le chemin doit être fait soi-même. C’est un long processus de soi à soi. Même si quelqu’un t’alerte sur la situation, il faut prendre la décision par toi-même. C’est cela qui est très compliqué.
J’ai été voir une psychologue après six mois de vécu de violences psychologiques, physiques et sexuelles. Je n’en pouvais plus. J’essayais vraiment de me suicider par tous les moyens, de disparaître car j’en avais marre. Je ne supportais plus cette existence de misère. Je réalisais que les adultes autour de moi ne me comprenaient pas. Je ne savais plus où chercher du soutien. Mes amis s’en allaient. J’étais foutue.
J’ai été au SUPEA, au CHUV [2]. Là, je me suis retrouvée face à une psychologue qui avait juste un dossier où elle notait à chaque fois ce que je disais. Je revenais le mardi suivant et lui racontait ce week-end il m’a fait saigner de la tête, ce week-end il m’a envoyé des coups dans les jambes, ce week-end il m’a cassé une dent... Cette dent est morte. Cela restera toute ma vie, un morceau de moi brisé. Jamais, jamais, jamais elle n’a porté plainte ou cherché à me mettre hors de danger. C’était très déroutant. Elle ne m’a parlé ni de mes droits ni du fait que j’étais victime de mauvais traitements. J’étais hyper mal et cela ne m’a jamais aidée. Ressasser un vécu douloureux, je ne crois plus à ce genre de thérapie.
Les gens à qui j’ai demandé de l’aide ne m’ont pas donné de soutien. Cette espèce de psy m’a perdue encore plus. Je n’en dormais plus la nuit. Je ne savais plus quoi faire, où aller. Je me disais que la seule solution était de mourir si on ne m’écoutait pas. Elle a été la pire des adultes autour de moi. À quelque part, elle cautionnait la situation par son silence, tout comme les parents de cet homme. Je n’avais pas d’autre issue que de penser que c’était moi qui était folle. C’était juste moi qui était débile. Plus tard, lorsque j’ai pris conscience qu’elle ne m’avait pas du tout soutenue, j’ai pensé m’engager dans un processus de demande de réparation. J’ai perdu beaucoup de plumes à travers ces années. Peut-être qu’un jour, j’irai chercher mon dossier. J’aimerais pouvoir le prendre et relire tout ça. Je ne crois plus du tout à ces thérapies-là. En tous les cas, cela ne m’a pas aidée, au contraire. Je n’ai plus aucune confiance dans cette forme d’accompagnement car je n’ai trouvé aucun soutien là-dedans.
Mes parents savaient que j’allais chez une psychologue mais ils n’en connaissaient pas la raison. Ils savaient que j’allais chez quelqu’un parce que j’étais mal et que je voulais me suicider. Je savais que si je leur en parlais, cela risquerait de prendre des proportions énormes. J’avais peur que mon père ait un geste qu’il puisse regretter après. J’ai protégé ma famille pour que cela ne prenne pas des ampleurs pas possibles.
Je sais que cela les a vraiment soulagés d’apprendre ce qui s’était passé. En même temps, ils s’en sont beaucoup voulu de ne pas avoir pu voir, de ne pas avoir pu me protéger. Je crois qu’ils n’ont jamais pensé que cela allait aussi loin. Tout comme les amis de cet homme, qui après coup, sont venus tour à tour et se sont excusés. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient jamais su et qu’ils étaient désolés de n’avoir rien vu, de n’avoir rien su. Cela m’a fait du bien qu’ils reconnaissent et qu’ils mettent des mots là-dessus. C’est vrai que cet homme donnait vraiment le change à l’extérieur. Par exemple, je pouvais me trouver dans une fête entourée de monde et il pouvait alors me pincer extrêmement fort. Les gens autour ne voyaient pas ce qui se passait. C’était de ces moments où je me disais, il est encore là avec sa violence. Il y a encore ce quelque chose qui le dérange. J’avais juste envie de lui rendre la pareille, mais moi je n’arrive pas à renvoyer les coups. J’ai toujours été prise de tétanie et je ne renvoie pas. Maintenant, je sais que je peux physiquement renvoyer, me défendre.
J’ai, ensuite, été à la rencontre de gens qui connaissent les mécanismes de la violence, notamment sexuelle. J’ai été à « FAIRE LE PAS » parce que j’avais vécu beaucoup d’humiliations dans mon corps. C’est une partie de la violence que j’ai vécue qui est extrêmement douloureuse. J’y ai été très longtemps après. Je sentais qu’il y avait quelque chose qui ne jouait pas en moi. Je ne me sentais pas du tout à l’aise avec ma sexualité. C’est toujours un sujet difficile pour moi. J’ai fait une fausse couche il y a deux ans. J’ai toujours peur de ne jamais pouvoir avoir d’enfant. J’ai l’impression d’avoir été complètement détruite à l’intérieur. Encore aujourd’hui, si j’ai mal pendant l’acte, c’est affreux. Je suis tétanisée et j’arrête tout. Je ne peux plus ressentir de la douleur dans cette partie de mon corps et dans ces moments-là.
Pendant des années, je ne pouvais plus vivre des histoires d’un soir avec un homme. Aller chez un homme qui ferme la porte à clé derrière moi, c’était juste inimaginable. Même avec mon compagnon suivant avec qui j’ai vécu de nombreuses années, j’étais incapable d’aller chez lui dans sa caravane. Je ne voulais pas être dans un lieu qui appartienne à un homme, d’où je ne pouvais pas sortir. C’était soit chez moi, soit rien. Je ne pouvais pas non plus dormir entre un homme et un mur. C’était une situation que je ne pouvais plus vivre. Je voulais pouvoir gérer la distance, savoir par où sortir si jamais je sentais tout d’un coup qu’il fallait que je m’en aille. J’ai cette espèce d’instinct très fort en moi maintenant, dès que ça ne va pas, je pars. Je quitte. Je ne veux plus jamais me retrouver dans des engrenages où je me laisserai enfermer. Donc « Faire le pas » m’a beaucoup aidée.
Je ressens la présence de mémoires de mon corps. Elles se trouvent dans des endroits de moi que je ne connais pas, dans des situations, dans des odeurs, dans des positions, des attitudes, des tons de voix de personnes connues ou non. Cela peut être n’importe quoi, par exemple, un homme qui entre dans la cuisine d’une certaine manière. Il me fait un effet direct. J’ai envie de partir. Cet événement rappelle quelque chose, fait écho à une situation vécue. Ce n’est pas la personne en tant que telle mais ce qu’elle déclenche en moi. Certaines intonations de voix, certaines manières de dire les choses me mettent aussi vite en alerte. Maintenant, c’est un réflexe de survie inconscient. Je sais que mon corps me donne ces indications pour me dire que plus jamais je ne me retrouverai là-dedans. Soit je pars tout de suite, soit je demande à la personne de baisser le ton ou d’agir autrement. Parfois ce n’est pas du tout évident de se rendre compte que même quinze ans après, il y a encore bien des déclencheurs à mon instinct de survie !
J’ai fait le gros de mon chemin par moi-même car je ne croyais plus en personne. Je me suis dit soit c’est moi, soit c’est foutu ! J’ai recontacté mon corps au travers du yoga, de la méditation des massages et de la danse. J’expérimente aussi d’autres formes de liens puissants avec des femmes dans des cercles chamaniques. Je me retrouve et je me ressens dans ma féminité d’une autre manière, plus profonde, sincère et sans jugement. Je vis à nouveau dans mon corps des moments de joies intenses au travers de rituels et de partages. Je peux, dans ces différents contextes, retraverser mon vécu en compagnie d’autres. La douleur et les cicatrices se transforment peu à peu et s’atténuent.
Je pense que dans le malheur, il y a quelque chose de fort. Je suis aujourd’hui capable de sentir le désarroi chez les autres et de leur donner du soutien dans ces moments-là. C’est une des raisons pour lesquelles je fais mon travail. J’arrive à ressentir de l’empathie pour des êtres pour qui peu de gens ont de l’empathie. Je pense que cela m’a donné des clés. Je me serais bien passé de traverser tout cela mais voilà j’essaie d’en faire quelque chose. C’est pour cela que je souhaite parler de mon expérience dans l’espoir que les femmes n’aient pas besoin de passer par là. Je suis convaincue qu’il serait bon de vivre sans violence. Car c’est une expérience compliquée qui laisse des marques pour toujours. Un geste une fois, c’est quinze ans, vingt ans, trente ans, une vie de cicatrices.
Si je devais en parler à des jeunes personnes je ne sais pas comment j’expliquerais tout ça. Je me suis souvent posé la question de comment amener un pareil sujet... je ne sais pas ce phénomène revêt des... formes tellement différentes et sournoises. C’est en lien avec le vécu propre, enfin c’est très individuel dans la manière dont cela se propage. Je m’en rends compte aujourd’hui car j’ai des amies qui vivent ce type de situation dans leur couple sans qu’elles puissent se rendre compte de comment elles en sont arrivées là. Elles disent craindre de ne pas pouvoir reconnaître les signes si cela devait arriver à nouveau dans une nouvelle relation. C’est hyper bizarre. Il n’y a plus de possibilité de faire une lecture objective des choses. Tu es tellement dedans que tu ne vois pas ce qui se passe. Tu n’arrives plus à prendre la distance nécessaire face à ce que tu vis. Quand je suis partie en Angleterre j’ai pu reposer cette distance. Je pouvais alors danser, chanter, faire la fête. Je pouvais simplement vivre librement. Vivre ! Je savais qu’il n’était pas là au coin de la rue et qu’il ne m’attendait pas. Il ne savait pas où j’habitais.
J’ai pensé avertir la police. Avec l’aide de ma sœur, j’ai fait plein de photos. Il y a eu un jour où j’avais la tête complètement bleue et le corps couvert de bleus à des endroits où c’est facile de reconnaître que je ne m’étais pas tapé accidentellement. Je les ai gardées car je me disais que s’il relevait encore la main sur moi j’irai les montrer à la police. Mais cela ne s’est plus passé. Je commençais déjà à ne plus en pouvoir. Il est arrivé un moment où j’en ai eu clairement marre. C’était le trop plein, c’était mon trop plein. J’avais déjà tenu passablement de choses et là, c’était ma limite. Cela pourrissait et détruisait ma vie.
J’avais quinze ans et demi quand cela a commencé. Je ne connaissais pas la violence conjugale. J’étais trop jeune. Je ne savais pas de quoi il s’agissait ni comment y faire face. Je crois que le plus dur était surtout, pour moi, de ne jamais savoir pourquoi cela se passait. Ne jamais savoir qu’est-ce qui va faire que, tout d’un coup, le coup part. Je ne comprenais pas ce que j’avais fait. Je ne savais pas d’où cela venait. J’ai toujours eu besoin de comprendre les causes à effets mais là il n’y en avait pas. C’était sans explication, sans fondements. Finalement, je ne savais plus si c’était mon odeur, un geste que j’avais fait, des mots que j’avais prononcé, la forme de mon corps… Je ne savais plus rien et j’ai perdu tous mes repères. Je ne savais plus.
Je m’en suis sortie grâce à mon énergie de vie. A seize ans, je me suis dit, maintenant je vis ou je meurs. J’ai fait ce choix. J’ai fait le choix de vivre même si je savais que cela me coûterait cher. Ce qui est paradoxal dans mon histoire est que j’ai longtemps pensé que j’étais seule à vivre cette violence quotidienne. Je me suis sentie extrêmement seule. Le sentiment qui m’a accompagné le plus fortement était celui de me dire que j’étais moins bien que les autres et qu’à quelque part pour cette raison, je le méritais. Je pensais vraiment que les femmes qui ne vivaient pas ce type de violence étaient très fortes et valaient plus que moi. Elles étaient toujours plus ceci ou plus cela. En grandissant, j’ai pris conscience que toutes les femmes ont vécu des situations de violence et de soumission d’une certaine manière, peut-être pas à ce point-là mais aucune n’est indemne.
C’est vrai qu’aujourd’hui je n’ai plus autant de colère, mais j’ai eu énormément de colère par rapport à toute cette expérience. Pour cette raison, je me disais qu’il fallait que j’en fasse quelque chose d’utile et que je puisse la partager. Je vous remercie de m’en avoir donné l’occasion ici.
Marie , le 12 mars 2012
|Auseinandersetzung|
Warum schreibe ich das ?
Beschäftigung mit dem Thema löst Unwohlsein aus,
Vermeidung, den Wunsch in einem Loch zu überwintern.
... doch dann erfasst es mich plötzlich und überwältigend,
lässt mich hilflos zurück.
Es ist,
als kommt er noch nach so vielen Jahren plötzlich von hinten,
umfasst mich,
mit Armen die Übelkeit heraufbeschwören,
nimmt mir den Atem.
Zeit des Vergessens,
Jahre des Verdrängens,
Relativierung. Anderen geht es schlechter...
Andere haben Schlimmeres erlebt...
Das Gefühl der Anmassung, wenn ich von Vergewaltigung spreche.
Jahre ohne Vertrauen,
ohne Nähe.
Entfremdung meines eigenen Körpers.
Suche,
nach einer sicheren Umgebung,
unter Menschen,
die eine andere, eine bessere Welt wollen.
Langsam Vertrauen,
allmählich Nähe.
Es gibt eine Berührung, die ich zulasse.
Doch auch hier,
es passieren Dinge.
... Frauen die stumme Körper sind, zu Körpern gemacht werden, sich zu Körpern machen lassen.
... Männer die gelernt haben zu handeln, aktiv zu sein, sich durchzusetzen.
... Frauen die Übergriffen ausgesetzt sind.
... Männer die sich aneignen, was sie haben wollen.
... Frauen die Situationen nicht verlassen, Abhängigkeitsverhältnisse zu Tätern nicht überwinden.
... Männer die gelernt haben, das Aggression und Gewalt legitime Mittel sind.
... Frauen die zu potentiellen Opfern sozialisiert wurden.
... Männer die zu potentiellen Tätern sozialisiert wurden.
Geschlossene Augen,
... Ein Umfeld, das einer Thematisierung aus dem Weg geht.
... Ein Umfeld, zu dem ich gehöre.
... Ein Umfeld, das nicht sehen und nicht wissen will.
... Ein Umfeld, das teilweise selbst aus Überlebenden besteht.
... Ein Umfeld, das in Angesicht der Stummheit der Betroffenen und der Sympathie mit Tätern ratlos zurück bleibt.
Nein, Täter sind keine bösen Menschen !
Sie sind Genossen.
Sie sind Freunde.
Aber,
Sie sind Genossen die Grenzen übertreten.
Sie sind Freunde die andere verletzen.
Es kann keine einfachen Lösungen geben.
Doch öffnen wir die Augen, sehen wir hin.
Unser Umfeld bietet keine sichere Umgebung.
Sexualisierte Gewalt ist allgegenwärtig.
Sexualisierte Gewalt ist kein Nebenwiderspruch.
Sexualisierte Gewalt ist ein Thema, dass dringend unserer Auseinandersetzung bedarf !
Sprechen wir über das, was wir erlebt haben.
Benennen wir, das, was wir sehen.
Erkennen wir das, was wir verdrängt haben.
Hören wir, wie es anderen in unseren Räumen geht.
Setzen wir uns dem Unwohlsein aus.
Fangen wir wenigstens damit an, nach Lösungen und alternativen Wegen zu suchen.
|L’affrontement|
Pourquoi écris-je ça ?
L’occupation avec ce thème suscite un malaise,
l’évitement, le souhait d’hiberner dans un trou. ...
Soudain ça m’envahit et m’écrase,
m’abandonnant à moi-même.
Ceci est,
comme si après des années, il surprend de derrière,
m’enlace,
avec ses bras qui évoquent la nausée,
me coupant le souffle.
Le temps des oublis,
les années de refoulement,
relativisation,
d’autres vont moins bien
d’autres ont vécu pire...
Le sentiment de prétention, si je parle de viol.
Les années sans confiance,
sans proximité.
L’aliénation de mon propre corps.
Cherche,
un milieu « safe »,
entre individuEs,
qui veulent une autre société, une société meilleure.
Lentement faire confiance,
permettre peu à peu la proximité.
Il y a un contact corporel, que je tolère.
Alors que même ici,
il se passe des choses.
... Les femmes qui sont les corps muets, qu’ils ont en fait juste des corps et qu’elles se laissent faire.
... Les hommes qui ont appris à agir, à être actif, à s’imposer.
... Les femmes qui subissent les exactions.
... Les hommes qui s’approprient ce qu’ils veulent.
... Les femmes qui ne quittent pas ces situations, qui ne surmontent pas leur dépendance aux coupables.
... Les hommes qui ont appris que l’agression et la violence sont des moyens légitimés.
... Les femmes qui sont socialisées comme des victimes potentielles.
... Les hommes qui sont socialisés comme des coupables potentiels.
Les yeux fermés,
... Un entourage qui fuit la problématique.
... Un entourage dont j’en fait partie.
... Un entourage qui ne veut ni voir ni entendre.
... Un entourage dont les survivantEs font partie.
... Un entourage qui, vu le silence des concernéEs et leur sympathie avec les coupables, reste perplexe.
Non, les coupables ne sont pas des hommes méchants !
Ils sont des camarades.
Ils sont des amis.
Mais,
ils sont les camarades qui transgressent les frontières.
Ils sont les amis qui portent atteinte aux autres.
Il n’existe pas de solutions faciles.
Ouvrons donc les yeux, regardons-nous.
Notre entourage n’est pas un milieu « safe ».
La violence sexualisée est omniprésente.
La violence sexualisée n’est pas une « contradiction secondaire ».
La violence sexualisée est un enjeu, qu’il est nécessaire d’affronter d’urgence !
Parlons-en, de nos vécus.
Mettons les vrais mots sur ce que nous voyons.
Reconnaissons ce que nous avons refoulé.
Écoutons-nous, comment vont les individuEs dans notre entourage.
Exposons notre mal-être.
Commençons au moins à chercher des solutions et des voies alternatives.
traduit de l’allemand par l’auteure, 2012
[La soirée à mes yeux s’était bien passée...]
La soirée à mes yeux s’était bien passée.
Je travaille dans un petit restaurant en montagne, mon copain me rejoint pour mes 2 jours de congé.
Nous sortons boire un verre, bien sûr dans la station je connais tout le monde, j’ai donc des discussions avec de nombreuses personnes, lui aussi. Soirée normale, animée et sympathique.
Une fois rentrés à la maison tout va bien et je file sous la douche.
A peine j’ouvre le rideau qu’il me chope par le bras m’entraîne au salon en me traitant de salope, d’allumeuse, etc… Je ne comprends rien, je me retrouve nue couchée par terre en fœtus, les coups qu’il me porte sont d’une violence terrible, puis je sens que ça se calme, je reste là et j’attends…
Lui finit par s’endormir sur le lit.
Je me relève me couvre et pars dans la chambre d’amis. Le Corps, l’âme et l’esprit en lambeaux.
J’ai passé la nuit à trembler, je me suis vomi et uriné dessus je ne pouvais plus bouger mais le lendemain…
Le lendemain je me suis levée et devant le miroir j’ai vu l’horreur de ce qu’il m’avait fait, je n’avais plus de visage, mes yeux plus une parcelle de blanc, mon corps tout entier recouvert de bleus.
Je suis d’un calme incompréhensible je ne prononce pas un mot je ne lui demande même pas de partir, je ne pense qu’à une chose. Je ne peux pas travailler dans cet état.
Je pars chez le médecin, celui-ci me diagnostique, en plus des dizaines d’hématomes qui recouvrent mon visage et mon corps, 2 côtes fissurées. Il me prescrit gentiment des tranquillisants à faire fondre sous la langue de mon conjoint en cas de nouvelle crise !!!
Mon état ne l’a ni choqué ni indigné, je n’étais qu’une femme battue parmi tant d’autres…
Il m’a fallu du temps pour souffrir psychiquement de ce que j’ai subi, et je ne lui en ai pas voulu tout de suite comme si ma propre violence s’était envolée cette nuit-là. Mais jamais je ne lui pardonnerai et le dégoût que j’ai pour lui n’a de cesse de s’accroître.
reçu en 2012
PAUSE CAFÉ | LE QUIZ QUI TABASSE !
1. Tu viens d’apprendre qu’une pote s’est fait coincer à l’écart par un gars et s’est prise un coup :
a. C’est son ex, non ? Ils ont un truc à régler.
b. C’est son ex, non ? Merde, je croyais que c’était terminé.
c. Ah mais c’est son copain, non ?
d. Mais ça craint de dieu, je m’en mêle.
e. Je rameute les potes, on fait une réu et une heure après on éteint la musique.
2. A la réu nationale « anti-grand capital », tu soupires un coup après la 666ème prises de parole de Jean-Luc, et tu te dis :
a. Pff entre Jean-Marc, Gianni et Hans-Peter, c’est kif kif couillu j’en placerai jamais une.
b. Oh il parle bien, je serais incapable d’avoir autant d’idées même si ça fait 5h30 qu’on est là.
c. Je prends la parole pour dire que c’est saoulant les gens qui monopolisent le crachoir, et répètent ce qui a déjà été dit.
d. Une fois de plus, c’est Solange qui doit recadrer pour qu’au bout de 5h30, on arrive à un truc final.
e. Ça doit être une taupe ce mec.
f. Je me lève et je me casse.
3. Tu effleures les fesses de la nana devant toi, elle te maille dessus :
a. Pas d’humour cette cochonne de morue
b. Ah ces femmes de caractère, en plus d’être jolie, la grande classe..
c. Mais euh...
d. Quoi ? Elle m’a chauffé à mort et maintenant elle fait sa mijaurée ? Faut savoir...
e. Merde, suis trop bourré.
4. T’es en train de t’éclater dans un pogo mais c’est la 4ème fois que tu te prends le coude du mec de devant dans la face, que fais-tu ?
a. J’le chope par le cotzet et je lui dis gentiment de se calmer.
b. Bah... de toute façon c’est l’heure d’aller se coucher.
c. Wah ! Il est balèze le gars, je le drague.
d. Je rameute les potes, on fait une réu et une heure après on éteint la musique.
5. En partant de l’espace autogéré, tu te rends compte que ton coup potentiel est mort-torche :
a. Je la/le pousse dans le compost.
b. Je la/le raccompagne et demande de passer la nuit ensemble, quitte à la/le border.
c. Je la/le ramène, elle/il est tellement torche, elle/il se laissera faire.
d. Allez ! Bonne nuit, hein...
e. On verse dans le talus.
6. Tu rentres d’une fête en voiture avec un gars que tu connais pas vraiment. Il a proposé de te ramener même si ça lui fait un détour. En route, il change d’avis, veut rentrer direct chez lui.
a. Je maille jusqu’à ce qu’il change d’avis, je serais jamais montée s’il avait pas promis de me ramener.
b. Bon c’est sa benz, j’dis rien, mais attendre le premier train encore plus d’une heure et au froid, ça fait bien chier.
c. Pas trop le choix, je vais dormir chez lui mais c’est quoi son nom déjà ?
d. Merde ça me fait trop flipper.
7. Jacques et Mathilde bricolent ensemble. À un moment, Mathilde propose d’aller plutôt cuisiner pour tout le monde, qu’en déduis-tu ?
a. Quelle bonne idée, j’avais faim et suis à fond dans mon truc.
b. Pas étonnant, il l’a traschée toute la matinée, tu le traînes à la cuisine de force.
c. Tant mieux, elle cuisine mieux qu’elle bricole.
d. Je rameute les potes, on fait une réu et on agende une réu non-mixte.
8. Au petit-déj. après une grosse soirée, tu remarques que Cécile, une invitée de passage, blêmit en voyant Roger dans la cuisine ».
a. « T’es mal ? On a plein de vitamines de récup, sers-toi !
b. Je crois qu’elle tripe sur lui.
c. Il s’est peut-être passé un truc, je lui proposes d’aller en causer.
9. T’es invité-e dans un squat de potes et tu vois un gros gueut « cherche salope à défoncer » :
a. C’est qu’un gueut
b. Ça m’énerve et je le gueute.
c. Je pose la question aux potes si ça les saoule pas trop.
d. Je relis Bakounine, y a sûrement une référence qui m’échappe.
e. Je rameute les potes, on fait une réu.
10. En soirée, tu vois un gars secouer brutalement sa copine par les épaules :
a. J’la connais, la chieuse, elle doit l’avoir bien cherché.
b. Cela ne me regarde pas.
c. Je rameute les potes, on fait une réu et une heure après on éteint la musique.
d. J’essaie de capter ce qui se passe et de les séparer.
11. Depuis des lustres, t’as plus vu Josiane à l’espace autogéré, qui était là quasi chaque jeudi, mais son ex, lui, tu le vois encore tout le temps par là.
a. Peut-être qu’elle voit d’autres potes, c’est dommage qu’elle nous lâche comme ça.
b. Mais c’est elle qui choisit ou c’est lui qui lui impose de plus se pointer ?
c. Je vais l’appeler, j’aimais bien la croiser.
d. Putain, encore une fois l’espace public revient par défaut aux mecs, et les femmes s’auto-excluent si facilement.
[Apport anonyme]
Les violences sexistes dans notre milieu sont subtiles et évidentes en même temps. C’est hyper important d’en parler, de faire changer la honte de camp, d’accepter les blessures et le fait qu’elles pourraient ne jamais se cicatriser. C’est important autant que riposter, monter la voix et lever la main, chacune comme elle se sent et veut. Concrétiser la rage. Sans déléguer. Se souvenir. Attaquer. Jouir.
2011
Témoignage de Lucie, Yverdon
Voici mon témoignage.
Quand cette sale histoire m’est arrivée, j’avais déjà bien vécu. J’ai plutôt jamais eu la vie facile mais rien ne m’avait préparée à ça. J’ai 43 ans, je suis une femme libre, j’élève seule un enfant... et la violence, je pensais que c’était l’histoire des autres. Je vivais comme si ça n’allait jamais m’arriver, ni de cette manière et surtout pas dans ce milieu.
On appelle ça la violence conjugale... le terme fait ringard, beauf, bobo, bourge... bref, je croyais que c’était un truc impossible dans ma vie. Avec ce mec, on n’était pas mariés ni rien. Il m’avait connue dans le milieu alternatif.
Cette relation représente une période atroce pour moi, mais peu à peu je m’en suis sortie et je renoue avec la vie. La vraie, celle où je peux vraiment oser vouloir vivre libre.
Parce qu’avant ça, la violence subie m’avait isolée de tout et de tous, y compris de moi-même. Elle avait réduit en miettes jusqu’à l’intégrité de ma personnalité, de ma volonté. Les conséquences ont été lourdes, dans ma vie perso, familiale, amicale, professionnelle. Tous ces domaines ont été affectés, certains fracassés.
Ce témoignage je ne le fais pas contre cet ex DONT JE N’AI PLUS RIEN À CIRER, je le fais pour moi et pour celles et ceux que ça pourrait soutenir, informer, à qui ça peut donner la force de briser TÔT une situation invivable, de reconnaître des signes d’alertes, de changer une souffrance en délivrance.
Pour moi, cette histoire est terminée depuis longtemps. Même si en fait, il faut des années pour s’en remettre. C’est un peu comme un trou : souvent c’est beaucoup plus long d’en sortir que d’y tomber...
Je parle en mon nom, mais depuis j’ai croisé bien des filles ayant connu les mêmes situations.
Ce témoignage a mûri lentement, jour après jour, mois après mois, année après année. Car tout au long de ce qui m’arrivait, j’ai écrit. Pour moi, pour y voir clair, pour comprendre ce qui se passait.
D’abord, il y a eu la souffrance morale, une solitude plombée, désertique, inhumaine d’où j’ai cru ne jamais pouvoir sortir... puis s’est fait un chemin vers le monde perdu de la vie par l’écriture (seule possibilité dans ce tabou social). Une traduction de l’abject, son inscription dans la réalité aveugle. Une trace pour dénoncer au niveau personnel, à moi-même, le tabou. Celui-ci était d’une densité qui n’avait d’égal que l’aplomb sans failles que cet homme avait à nier son attitude et les faits, à faire "comme si de rien n’était". Si déstabilisant que j’en arrivais à douter de moi, ce qui était évidemment le but recherché.
Écrire, ça m’a permis de me rendre compte que c’était presque tout le temps, que ça se répétait sans cesse, de plus en plus souvent, de plus en plus fort. Un vrai harcèlement.
Tout seul, on s’en sort pas. Je ne vivais plus que sous son regard qui me condamnait en permanence, me reprochait tout. Ma souffrance n’avait aucun écho, comme si elle n’existait pas et moi avec. Totalement invisibles.
J’avais intégré son discours et ressentais que c’était de ma faute, que c’était moi le problème... alors j’essayais sans cesse de le régler, de m’adapter, de faire mieux en encaissant tout en même temps.
ÉPUISANT. FAUX. MORTEL.
Le premier pas du retour à la vie, à la force de vivre ça a été d’arriver à le dire. Et c’est à l’hôpital que c’est arrivé.
Pour cette brochure, j’ai été d’accord de témoigner mais c’était difficile à faire. Alors, avec des copines, on a fait un entretien. Il est partiellement reproduit ci-dessous, enrichi de commentaires venus avec le recul de la relecture. C’est le fil rouge.
Je veux exprimer quelque chose de tous ces petits rien apparemment inoffensifs qui agissent aussi sûrement qu’un poison en goutte à goutte, et qui mènent à l’asphyxie. La personnalité et la volonté propre sont de plus en plus affaiblies devant toutes les épreuves à surmonter. Elles s’additionnent chaque jour. Il faut du temps, du courage pour s’en sortir et pouvoir un jour revivre sans que la violence et son ombre, la peur (ou leurs conséquences) monopolisent toute l’énergie vitale, occupent chaque instant de la vie.
C’est difficile parce que sur le moment, je voulais juste que ça s’arrête, j’aurais voulu avoir le temps de me reposer, de reprendre des forces pour me défendre. C’est là que les amis et les foyers d’accueil sont indispensables.
En partageant mon histoire, je veux dire comment on peut se faire stupidement avoir, comment l’éviter, comment on s’en sort. Je veux donner des pistes pour éviter ces problèmes-là.
Mon erreur de départ : j’ai surtout oublié de m’écouter et de me faire confiance contre l’avis de mon agresseur.
Lui, je ne veux pas en parler et quand je dois le mentionner dans mon récit, je ne sais comment le nommer pour échapper à tous ces noms puants et durs qui me viennent à l’esprit quand il me faut penser à lui, j’ai décidé de m’en tenir à " l’ex" ou "il"
Je te pose là une question sur votre rencontre, l’idée n’étant pas de faire l’apologie de celle-ci. Aussi pour savoir si tu l’as senti direct cette violence ou si un matin tu t’es réveillée en te disant « je suis où »…
C’est dur d’en parler.
Y avait des copains qui avaient fait un truc super sympa dans ma ville et ça me plaisait bien, ça me rendait heureuse parce qu’ils avaient réussi ce coup-là. Je passais des fois les voir, les féliciter, les encourager, toujours heureuse que tout aille bien. Mais plus tard, la situation a commencé à se gâter pour eux-elles et la création d’un comité de soutien a été nécessaire. Je me suis impliquée pour les soutenir car leur action était vraiment emblématique et hyper bien. C’était un truc parfait. En total accord avec mes idéaux libertaires.
Quant à l’ex, je l’avais jamais vu avant ou alors vraiment pas remarqué. Quand je m’en étonnais, plus tard, mes potes m’ont dit que ça faisait un bail qu’il squattait dans le coin. Moi je l’avais juste jamais remarqué, ce mec. Pas davantage qu’une autre personne.
Quand on s’est retrouvés dans des petits groupes de travail, je l’ai vu davantage. Mais en fait je l’envisageais pas en dehors du groupe, à la base.
En tous cas, tu l’as conscientisé à ce moment.
Oui. D’abord, quand on a fait des groupes et sous-groupes de travail, lui et moi on était même pas dans les mêmes. Puis il s’est mis dans un, puis deux groupes où j’étais. Un jour on s’est retrouvés à quelques-uns chez lui pour discuter. Il m’a donné l’impression d’être un mec un peu plus réveillé que les autres qui semblaient plus âgés ou plus réservés. On a pu rigoler, il était drôle, genre humour noir. Ça se passait bien… mais sans plus. Très vite, il a voulu me voir, il voulait un rdv. J’étais très active, occupée, j’ai refusé. Pas de temps pour ça. J’y avais même jamais pensé. Ensuite, lorsque le climat s’est calmé, que j’étais plus détendue, j’ai accepté un rdv. D’abord j’avais refusé 3-4 fois. Mais bon, il rendait son attention et son insistance flatteuses.
Pourquoi t’avais refusé ?
J’en avais pas envie. Je vivais seule avec mon fils. Je voulais pas de copain au quotidien. Ça ne m’intéressait pas. J’avais une histoire ailleurs, quelqu’un que je voyais de temps en temps. Par contre, ça me faisait du bien de mettre mon énergie dans le projet collectif où je le croisais accessoirement : c’était dynamique, joyeux, actif. Je me sentais bien. Je voulais pas casser ça. En fait c’était bien comme ça, c’est tout.
Mais j’ai accepté. Clair que c’est un mauvais départ pour une relation, mais je ne cherchais pas une relation alors j’ai pas fais gaffe. IL NE FAUT JAMAIS ACCEPTER QUELQUE CHOSE PARCE QUE ÇA T’EST IMPOSÉ, surtout si tu as clairement dit NON à cette chose.
Parce que quelque part s’il avait pas insisté autant, y aurait pas eu. C’est une toute petite chose, on dirait que c’est rien mais c’était déjà une forme de harcèlement. Maintenant je le comprends. Sur le moment, je l’ai pas vu. Parce que ça se passait dans un contexte entre potes où l’ambiance était monstre bonne, dynamique, positive, à des années-lumière d’un comportement abusif. Nos discours et actions s’orientaient toutes vers la résistance, le respect des êtres et de l’environnement, l’autogestion.
Encore une fois, c’était cool, sans histoires. Je me sentais libre. Alors, il n’y avait pas de place pour la méfiance. Dans un pareil climat, moi, à force de refuser ses demandes de rdv, j’ai fini par me sentir un peu vache avec lui. Il y avait comme un décalage aussi : je refusais simplement, clairement et pourtant, il insistait toujours. Alors sur le moment, j’ai fait une autre erreur : je lui ai expliqué pourquoi je disais non : pas le temps, pas l’envie etc... Comme il insistait toujours, je finissais par lui dire "peut-être une autre fois" juste pour pas être trop rude je croyais. En fait, ce qui se passait c’est tout autre chose : c’était le début de ce qui a continué ensuite. Il était extrêmement lourd en insistant comme ça, et moi je savais plus quoi faire. Il refusait d’entendre le NON que je lui répondais.
Alors quand je finissais par lui dire "peut-être une autre fois" c’était juste pour que ça s’arrête. Pour qu’il me lâche. Et ça marchait, après il me laissait jusqu’à la prochaine réu.
Mais ça marchait parce que ça lui convenait : j’avais mis le doigt dans un engrenage. Je me sentais plus pareille : de la femme libre que j’étais, je devenais celle qui lui doit un truc, un rdv.
Moi, je voulais juste pas casser l’ambiance. Pas freiner ce qu’on faisait en collectif par ces histoires.
Pour qu’il me lâche, je sentais que j’aurais dû me montrer très dure puisqu’il comprenait pas quand je lui disais simplement non, à répétition. Mais, à priori, aucune raison d’être rude non plus : il souriait, s’exprimait avec la plus grande suavité. En vrai, ce mec, il me semblait un peu con ou limite niais, il souriait comme un curé et parlait avec une voix EXTRÊMEMENT douce, même doucereuse...
Alors, d’emblée, si je me fâchais un peu, j’avais l’impression que personne allait comprendre.
Tout ça ne tenait pas la route.
Son refus d’entendre et d’accepter ma réponse (mon non), ne collait pas avec ses discours humanistes, militants, alter mondialiste etc... emprunts de la notion de respect. Son insistance me faisait violence. J’ignorais que son sourire et ses paroles masquaient un prédateur. Il cherchait et testait sa proie.
Ce qui est très significatif c’est un processus qui se reproduira et s’amplifiera tout au long de l’horrible relation que j’ai eue avec lui. À chaque fois il ne prendra pas en compte ma réponse répétée et cela me mettra mal à l’aise. Je chercherai toujours à "faire autrement" pour m’en sortir et je finirais par bâcher pour passer à autre chose, arrêter de me prendre la tête. Par la suite, le scénario : " harcèlement – protestation jamais entendues – écrasement" s’est décliné à toutes les sauces.
Rapidement, j’étais devenue moins spontanée dans le groupe. J’ai cherché à me faire moins remarquer. J’ai commencé à moins prendre la parole aussi. Juste pour qu’il m’oublie.
En réalité, je m’oubliais moi-même. Je ME laissais tomber. J’éteignais un peu tout ce qui faisait ma vie, mon élan. Mais je ne m’en rendais pas compte. C’était juste l’instinct de survie. Je me planquais. Je me montrais moins moi-même pour ne pas attirer son attention. C’était pas facile parce que je me sentais très bien dans le groupe et j’avais envie de mettre plein d’énergie dans ce qu’on faisait.
Le 1er rdv au café a été un peu étrange car il m’a confié des histoires très intimes tout de suite. Pour moi, il s’agissait d’une petite heure en vitesse, "pour que ce soit fait". Vite, il me surprend par des confidences sur sa famille. J’en ai rien à cirer mais je me dis qu’il doit avoir besoin de parler. Je me dis aussi qu’il a un problème. Je m’en fous. Ça ne m’intéresse pas. Il ne m’intéresse pas. Mais j’ai rien contre lui non plus, alors je me dévoue, je l’écoute. Il n’y a déjà aucune place pour moi dans cette rencontre, à part celle qu’il m’impose : accepter le rdv et l’écoute. Il fait passer son histoire, son vécu, avant ce que nous pourrions découvrir l’un de l’autre. Je ne m’exprime pas, je suis en mode mineur.
Je n’aurai pas dû écouter ses histoires, me laisser prendre mon temps pour avoir la paix. La seule alternative aurait été de l’envoyer balader, en lui disant que ses histoires j’en avait rien à foutre. Mais après avoir accepté le rdv, ça aurait pas été très cool. Alors je me suis écrasée.
ERREUR ! NE JAMAIS S’ÉCRASER PARCE QUE QUELQU’UN NOUS SUPPORTERAIT PAS COMME ON EST.
Il me parle donc de la relation entre ses parents de milieu petit-bourgeois. Je ne les connaissais même pas. J’ai pas envie de savoir. Ça ne me regarde pas. Moi, j’allais juste boire un pot avec ce mec pour qu’il me lâche. Comme il semblait un peu bête et très gentil, je voulais pas lui faire de mal (c’est un comble vu la suite).
Maintenant je me dis que ce qu’il m’a raconté, ça ressemble à des trucs que j’ai vécu avec lui ensuite. Et ça c’est tordu, comme expérience.
Ensuite, il y a eu d’autres fois.
Parce que d’après lui, au premier rdv je m’étais "enfuie comme une voleuse". Pourtant je l’avais prévenu que j’allais travailler ensuite, un horaire à tenir. Il m’a fait sentir que c’était un peu un rdv au rabais, que c’était un peu ma faute... Il insistait, on s’est revus. Chaque fois, c’était pareil : je chopais cette impression d’être pas très cool avec lui, d’être fautive d’un petit truc... bref, j’étais toujours mal à l’aise. Il me mettait mal à l’aise. Ses sollicitations, son attention extrême pour moi, comme si j’étais tout pour lui... me déroutaient. Il se montrait triste que je sois si peu concernée, si peu quelque chose ou trop quelque chose d’autre.
Trop pressée, trop seule, trop rapide... si peu disponible, si peu ouverte ou cool...
Bref, dès le départ, sans que je m’en aperçoive, il me faisait toujours de petites remarques qui toutes, tendaient à me faire sentir un petit reproche masqué. En bref : j’étais jamais comme j’aurai dû être selon lui. Mais c’était si léger, emballé dans tant de sourires, de mines confites, de beaux discours rebelles etc... que je ne m’en apercevais pas. Il y avait juste... ce petit malaise, ce petit sentiment de culpabilité sous-jacent qu’il arrivait à imposer à notre relation et qu’il allait s’employer à faire croître désormais.
Moi, je ne me doutais de rien et je voulais juste éviter qu’il se sente mal. Je le connaissais pas. Je voulais juste lui montrer que j’avais rien contre lui.
À chaque occasion il me piégeait un peu plus. Il avait toujours des demandes, des attentes que je ne pouvais pas forcément satisfaire. Plus tard il m’accusera de ça aussi. Pourtant c’est lui qui installait la dépendance dans la relation. Quand je refusais quelque chose en raison de ne pas y arriver seule, il insistait et se moquait de moi : "tu n’es pas seule, arrête de penser comme si tu étais seule, je suis là." Ensuite, quand je lui rappelais nos accords et lui demandait son aide, il se moquait et me disait d’arrêter d’être dépendante comme ça, qu’il peut pas tout faire etc... me mettant souvent dans des situations très compliquées. En tout c’était comme ça : par exemple, c’est presque toujours lui qui conduisait mon véhicule. Moi, j’avais vraiment l’impression que j’y arrivais moins bien ou pas... alors que je conduis depuis longtemps sans aucun problème. Autre chose : souvent, quand il conduisait seul, il se faisait flasher au radar. Et s’il payait l’amende, c’est moi qui était désignée comme fautive, créant des précédents.
Quand il y avait une sortie, fallait y aller ensemble. J’avais toujours l’impression que j’aurai pas pu y aller seule. En gros c’était : avec lui ou pas de sortie. Ou : si je sortais, c’était obligatoirement avec lui.
En fait, je pouvais plus rien faire sans lui. D’ailleurs quand par hasard, je me comportais comme d’hab. c’est-à-dire librement, et qu’il me croisait avec des amis ou que je sortais sans lui, il tirait la gueule, rancunier et sans rien dire.
Tout cela était vécu, mais jamais dit. Jamais il ne m’a interdit de sortir, il faisait juste des reproches tout le temps ou des remarques assez vives même si elles étaient faites sur le ton de la déconne. Dans ces cas-là, je lui répondais franchement ce que j’en pensais. J’ai même dû lui rappeler souvent que je me sentais libre de faire ce que je voulais et que je pouvais en décider seule. Sur le moment, je voulais juste être claire, lui expliquer qui j’étais parce qu’on se connaissait pas.
Maintenant je me dis que le seul fait d’avoir eu à l’expliquer plusieurs fois, c’était suspect.
Quand on sortait, il me poussait à boire. Je le remarquais. Je savais pas pourquoi il faisait ça. Maintenant je me dis que c’était pour que je me tape la honte. Quand on dansait, un truc m’avait choquée : plusieurs fois, il a essayé de me balancer dans le décor, de me déstabiliser pour que je tombe. Un tas de situations bizarres où la réalité prend le petit air décalé d’une 4ème dimension de série Z. Je trouvais ça bizarre ou abusif, mais c’était si gros, et lui, il était toujours aussi calme et souriant que je ne pouvais que douter de moi et penser que j’exagérais.
C’est un mec dans la quarantaine. Vu ses engagements affichés et ses discours, c’était hallucinant que je doive lui rappeler mes droits. Je pensais à chaque fois que c’était réglé, qu’il pouvait comprendre. Mais en réalité, il n’intégrait pas du tout mon avis. Il n’a jamais entendu que ce qu’il voulait entendre. Il lâchait pas, jamais, jusqu’à ce qu’il m’ait amenée à faire une concession, aussi minime soit-elle, en direction de ce qu’il cherchait à m’imposer. Pour lui, je n’existais pas.
Mon avis n’a jamais compté.
Ce qui a été le plus attaqué puis rendu impossible : la liberté. Tout était fait pour m’avoir constamment à portée, ou tenter d’influencer ma vie. Je ne le voyais pas. C’était que des détails, ça semblait pas trop important.
Et puis, les discussions, avec lui, c’était vraiment pas ça. Dès que ça lui plaisait pas, il se taisait. Alors moi je bâchais. Après tout, je m’en foutais un peu de ses conneries, ça prenait trop de place dans ma vie, je voulais pas y prêter trop attention.
J’élève seule mon fils et ça prend du temps au quotidien. Je préférais en donner pour ça plutôt que de me prendre la tête avec des petits détails bizarres et désagréables. D’ailleurs, on pouvait rien régler avec ce mec, ni par la discussion ni par la protestation. Même le silence ne servait à rien. Tout était prétexte à m’accuser d’un truc ou d’un autre.
Alors bon, lui, il était juste un petit élément dans une vie qui allait plutôt bien même si c’était celle d’une célibataire avec enfant. J’avais un boulot intéressant, une situation sociale valorisante, des potes, une chouette relation avec mon fils, un appart bon marché, centré, et le temps de m’investir dans certaines actions militantes. Lui, il utilisait le fait d’appartenir au même milieu pour s’imposer.
Comme s’il symbolisait un endroit où tu te sentais bien ?
Oui, et assez vite c’est le rôle qu’il s’est donné. C’était implicite.
D’abord, il avait investi les mêmes groupes que moi, puis on a commencé à sortir ensemble, à force de rdv accordés. Je me suis laissée faire. Il disait des trucs comme "Faut pas rester toute seule comme ça" "Tu as le droit de vivre un peu" "Prends le temps de vivre" "Sors un peu" "Ton fils sera content de voir sa maman heureuse"...
Comme je me remets facilement en question, je l’ai écouté... juste parce que je n’avais jamais pensé trop à moi-même et que j’étais toujours en train de me battre et de me défendre dans la vie. J’ai pas résisté à l’attrait de ce plaisir dont il me parlait... Moi, je vivais comme je pouvais mais sans problèmes absolument vitaux, et lui, en gros il est venu me suggérer que j’étais seule, sans copains, sans défense, sans aide, que j’étais tellement occupée que j’avais peu de temps pour mon enfant, que nous pouvions avoir une vie plus gaie, que je devais sortir davantage, que je loupais toutes les fêtes, expos, concerts... qu’il suffisait que je m’accorde un peu de bon temps... avec lui.
Bref... du blabla gros comme ça. Une fille de quinze ans l’aurait envoyé se faire voir, moi, j’ai rien vu venir.
Il disait rien frontalement... il faisait juste sentir, tout était vague, suggéré, mais surtout RÉPÉTÉ.
Je me suis laissée persuader peu à peu. C’est pas explicable, c’est pas raisonnable. C’était pas toujours désagréable et surtout ça venait de qqn qui partageait beaucoup de mes idéaux. Ces attitudes-là étaient enveloppées de beaux discours théoriques, de coups d’éclats collectifs. Je le croyais simplement parce qu’il s’impliquait dans la défense des mal-logés, des sans-papiers, de l’environnement, de l’écologie, de l’auto-construction, qu’il avait des avis sur la violence, la non-violence, la résistance, la justice, l’injustice, la condition des hommes, des femmes.
Tout ça a agi sur moi comme un conditionnement sournois que je n’ai pas pris au sérieux parce qu’il était fait d’une voix douce par un homme souriant.
Pourtant son attitude était complètement archaïque. Machiste. Paternaliste. Une totale application pratique du patriarcat le plus basique.
Jusqu’au moment où j’ai su qu’il me faisait vraiment du mal, il a peu à peu pris de l’assurance et ne prenait même plus la peine de me cacher son mépris et sa méchanceté dans le privé. Moi, je m’effondrais de plus en plus et comme je perdais mes forces, je pouvais de moins en moins me défendre. Un effroyable cercle vicieux.
Tout était bon pour m’isoler des autres. Dans les groupes, par exemple : un jour il m’a fait sentir que c’était son domaine. Il refusait désormais d’en parler avec moi, comme si le sujet lui appartenait. Comme si je n’y connaissais rien et qu’il savait mieux y faire. C’était TRÈS VIOLENT. Dès qu’il en était question, il devenait très dur, très cruel verbalement avant de refuser toute discussion et de se murer dans un silence total, avec regard noir colérique et attitude de reproche indigné. Sans aucune explication. J’avais jamais connu un truc pareil. J’y comprenais rien. Je pensais qu’il n’avait pas confiance en moi. Ce qui était sûr c’est que ça semblait EXTRÊMEMENT IMPORTANT pour lui, genre vital, puisque tellement violent. Je me suis dit qu’il pouvait peut-être pas m’expliquer pourquoi. Qu’il y avait un enjeu super important là derrière et que, pour je ne sais quelle raison, je ne devais pas le savoir... Et surtout je me suis dit que le plus important, c’étaient les projets sur lesquels on travaillait. À l’époque des histoires étaient sorties qui avaient accentué le climat parfois parano de ce milieu. C’est la seule vague raison que j’aie pu imaginer. Alors, pour le rassurer, j’ai déserté l’affaire. Après tout, il y avait assez de monde. On n’avait plus besoin de moi.
Là tu parles de lui ou des autres personnes du groupe ?
Clairement de lui. Je n’ai pas senti de changements d’attitude envers moi dans le groupe. Mais lui, au privé, je sens que c’est sa chasse gardée, son territoire, son domaine. Ça me surprend. J’ignore pourquoi mais ses réactions étaient très fortes.
Il s’opposait totalement à ce que j’en parle mais en même temps, il ne reconnaissait pas son attitude, ce qui lui permettait d’éviter d’avoir à me l’expliquer. Ça m’a déboussolée. Je savais pas quoi faire avec la virulence soudaine de son attitude. Ça se passait entre nous, au privé. Toujours avant les réu où très vite je n’ai plus assisté, complètement cassée à l’avance. En public, assez longtemps, il est resté doux envers moi. Ensuite ça a changé : il insistait toujours pour que je l’accompagne, mais en public, il m’ignorait totalement. Je n’avais plus qu’à faire la potiche. Moi, de toute façon, j’étais épuisée.Toute autre attitude l’irritait et j’en faisais les frais ensuite.
À priori, je le prenais comme il était, parce que tout le monde n’a pas besoin d’être comme moi ou d’avoir les mêmes convictions ou comportement pour que je le respecte ou le tolère. Il avait toujours l’air d’un paumé un peu limité, mais je savais qu’il avait fait de hautes études dans un domaine complexe. Chacun son chemin. Je me disais que c’était un farfelu. J’avais rien contre ça. Je ne me méfiais pas.
Du coup, je me suis éteinte un petit peu.
J’ai remplacé l’action collective par les petites bières en tête à tête à parler de rien ou à l’entendre me dire combien j’allais être heureuse avec lui ou à le regarder lire son journal. BOF
J’en parle maintenant avec recul, mais sur le coup, j’étais désorientée. Ces réflexions me sont venues par la suite, suite aux violences plus évidentes. Sur le moment j’étais complètement désemparée. J’étais et je veux rester quelqu’un qui respecte l’autre dans son être et pas dans son paraître.
J’aurais dû insister pour qu’il me donne explication de son rejet. Juste le fait que je lui parle des groupes où on s’était connus, ça suffisait à le rendre mauvais
Mon erreur ça a été de pas m’arrêter à tous ces petits signes. Mais déjà, il m’était impossible de m’en débarrasser. C’était de l’ordre du harcèlement. Dès le départ, j’ai juste agi pour avoir la paix, pour que ça se passe le mieux possible.
Mais y a surtout un instinct qu’on ne doit jamais perdre, un truc qui dit fort :
"ATTENTION, ATTENTION À MOI !"
Tu penses qu’à ce moment là tu as « perdu » cet instinct ?
Oui. Enfin pas totalement. J’ai remarqué tous ces petits trucs. Ce que j’ai perdu c’est la confiance en moi. Celle qui me dit que j’ai raison de trouver ça bizarre, malsain. Celle qui dit que je ne dois jamais laisser personne me traiter comme ça et qui assure le respect de tout mon être.
Je n’aurais jamais dû le laisser faire. J’aurais mieux fait de me montrer violente, radicale, de l’envoyer balader verbalement et si ça suffisait pas, physiquement, devant les potes.
Je n’ai pas voulu le faire pour ne pas choquer le groupe. Je ne savais pas ce qu’on pensait de lui. Je le voyais juste si impliqué, si souriant, si mesuré... que je pensais qu’on allait me détester et me foutre dehors.
Maintenant, c’est différent. Je sais qu’à terme, ça devient une question de vie ou de mort, tous ces petits détails qui semblent pas bien importants.
Je mets l’accent sur les détails du début parce que je pense que dans une relation violente tout se joue très tôt. C’est dés le début que s’installe un engrenage que pas mal de femmes et quelques hommes finissent trop souvent par payer de leur vie, au propre ou au figuré.
Parce que la violence n’est pas seulement physique. Loin de là. La violence physique n’est qu’un aspect des multiples façons de priver l’autre de son droit sur lui-même, de ses envies d’être en vie. Et c’est là que ça touche au sexisme : cette différence physique et banale sur laquelle certains s’appuient pour décider d’un pouvoir d’un sexe sur l’autre. Discrimination encore actuelle qui explique le nombre plus important de femmes victimes de violence que d’hommes. Parce que les hommes, dans une société sexiste patriarcale, sont encore implicitement autorisés (quand ce n’est pas encouragés) par cette société à se servir de la force, qualité virile et martiale qui est refusée aux femmes. Dans une telle société, la femme qui se défend a toujours tort. Selon ses actions, on la dit trop féminine, ou trop masculine. Trop ou pas assez. Comme dans mon histoire. Mais elle est attaquée dans sa condition, ce qu’elle ne peut nier. Son sexe.
En tous les cas, il est toujours trop souvent admis qu’elle a tort et qu’elle mérite ce qui lui arrive.
Et moi qui croyais que tout ça c’était fini ou que ça n’arrivait qu’à celles et ceux qui n’ont pas conscience des enjeux politiques de toute domination.
Je n’avais jamais été soumise à aucune domination et les rares essais ont toujours tourné court. Je parle là de domination ciblée sur ma seule personne. Ça veut pas dire qu’il m’est jamais rien arrivé. Mais si c’est un gros rustre qui me coince ou m’insulte, la réaction se fait pas attendre. Je me défends instinctivement et je m’en suis toujours sortie sans problème. Au pire, je laisse pisser et je m’éloigne.
Par contre, cet espèce de lente asphyxie de l’être, cette privation systématique et progressive des droits d’expression, de décision, de parole, cette froide et apparemment totale détermination de nuire, rien ne m’y avait préparée.
Plus je m’en rendais compte, plus je doutais de moi, car personne ne semblait s’apercevoir de rien autour de nous. C’était ça le grand tabou : oser parler. Être celle qui vient déballer le truc qui pue, le truc que personne ne veut voir, entendre ou connaître... Être celle qui viendrait parler d’elle-même quand il y a tant à faire au collectif.
Maintenant, je dirais que ce que j’ai vécu, si une voyante me l’avait prédit, j’aurai bien ri, je l’aurais trouvée nulle. Parce qu’une histoire pareille, c’est de la fiction sous LSD, du scénario de macho en décomposition, de gros malade de pouvoir, des délires de dingues de séries Z...
J’en avais vu d’autres mais celle-là, elle faisait pas partie du catalogue de mes probabilités. Et puis... Il n’avait pas l’air agressif ou dangereux.
IL N’AVAIT PAS L’AIR AGRESSIF OU DANGEREUX. Au contraire.
Par la suite, en privé, il ne prenait plus la peine de masquer ses intentions, il a aussi dit des trucs incroyablement machos, du style : "Toi, il faut te forcer. Au début tu veux pas et quand on insiste, t’es toute contente !" Croyait-il vraiment à ce qu’il disait ? Moi, je pense qu’il jouait au con. "Toute contente." Évidemment, j’étais toujours très contente quand le harcèlement cessait.
En fait, il se comportait comme un gosse de riche qui fait son caprice et ne lâche pas, fait sa crise jusqu’à ce qu’on réalise ses désirs égoïstes.
Par la suite, ça a continué : si j’exprimais une question ou un non, c’était pas pris en compte. Je ripostais 2-3 fois, puis je faisais avec. Pas moyen de faire autrement.
J’ai la culpabilité facile. J’ai pas de schéma familial fiable, mon parcours est atypique. Je me remets facilement en question et si on me dit que j’ai tort je vais d’abord étudier la question et m’interroger. D’ailleurs c’est comme cela que je m’en suis sortie, que j’ai trouvé ma voie. C’était sûrement pas le chemin le plus court, mais je me sentais sûre de moi et forte et fière de ce parcours pas facile quand je l’ai connu.
Votre histoire elle a évolué comment ?
... aucune idée... j’ai de la peine à dire que c’était une histoire... ou alors "une sale histoire". Franchement, je sais pas ce que c’était. J’ai commencé à faire des choses que je ne faisais pas avant mais qu’il attendait de moi. Comme ça semblait important pour lui, je me suis prêtée au jeu. Je participais à des situations très conventionnelles dont je n’avais ni envie ni l’habitude : aller manger avec ou chez ses parents, aller assister à des évènements culturels un peu ennuyeux qui n’avaient rien à voir avec notre univers. Je me disais : je suis trop sauvage, faut que je m’écrase un peu. C’était long, ennuyeux. Je parlais peu. Il savait ce que j’en pensais. Je le lui disais, je ne souffrais pas en silence. J’essayais de refuser. Il n’en tenait pas compte ou alors il disait à mon fils : "Et toi, ça te dirait de venir faire ceci ou cela avec ta maman ?" ou "Toi, ça te ferait plaisir d’aller là-bas ? Alors dis-le à ta maman qui veut pas y aller." En d’autres mots : il instrumentalisait mon fils. Au début c’est si gros, que je riais, je pensais à une plaisanterie. Mais peu à peu j’ai perdu mes forces, j’ai eu moins de temps, d’humour, de patience et puis je savais que si j’y allais, il allait me laisser tranquille là-bas. Alors à la fin j’y allais juste pour avoir un moment de paix, de non-agression.
Tout ce que je pouvais apporter à la relation m’était refusé. C’est difficile à expliquer. Il n’acceptait rien de moi de ce qui était moi. Surtout pas mes attitudes spontanées ou ce qui me faisait plaisir. Il n’acceptait de moi que ce qu’il avait décidé, c’est-à-dire ce qu’il voulait de moi.
Par exemple : il aimait se mêler à mes soirées professionnelles, être présenté à mes collègues. Je devais lui servir de faire-valoir. Moi ça m’arrangeait, certains collègues ont changé de comportement avec moi, évitant désormais les grosses plaisanteries sexistes. Ça les a un peu calmés de me voir en couple.
As-tu été amoureuse de lui ?
Maintenant je pense que non. Avant je sais pas. Y a quelque chose qui était chouette mais il ne faut pas perdre de vue que ça prenait racine dans le groupe dans lequel j’étais à l’aise. Alors c’est confus. La chose qui me plaisait, sans parler d’amour, c’était… d’avoir un pote avec moi. Même pas plus que ça. J’étais partante pour partager du bon temps. Après tout, c’est ça qu’il me proposait. Au début, on rigolait bien.
Heureusement, j’ai eu d’autres histoires avant lui. J’ai été amoureuse et heureuse de l’avoir été. J’ai de bons souvenirs de ce que j’ai vécu avant lui. J’ai aimé très fort et j’ai été aimée. Maintenant que j’en parle, je dois dire que ça n’a rien à voir avec ce que j’ai connu avec lui.
Là je te parlais d’amour car dans la violence conjugale, on entend souvent le discours stéréotypé sur l’amour passionnel, la jalousie... etc... Comme tu en parles c’est pas cela. Ton histoire elle montre aussi qu’il peut y avoir de la violence dans « les couples tranquilles ».
Quand on s’est connu, je vivais la vie d’une maman seule. Genre : je cours tout le temps, je suis organisée et bordélique en même temps. À chaque obstacle, j’improvise, je m’adapte. Le vrai cliché pour de vrai. Ma vie se passait plutôt bien. Rien n’était trop dramatique, rien n’était magnifique non plus.
Je rêvais plus. J’avais connu le prince charmant depuis longtemps. Il m’avait aimée telle que j’étais, c’est-à-dire telle qu’il m’avait connue, la même que j’allais toujours pouvoir continuer d’être ensuite.
Moi je te vois comme tu dis être.
Une femme qui laisse la place à l’autre et aussi une femme indépendante qui a fait sa vie, qui mène sa vie seule. Qui a éduqué un enfant seule, qui mène tout de front. La classe quoi. Et cela on veut que ce soit dit ici.
Merci. Oui, et pour imager, je me sens parfois amazone solitaire ou capitaine d’un bateau pirate.
J’accepte bien cette foultitude d’humeurs possibles. Je sais que je suis capable de gueuler fort, de faire ce qu’il faut quand il le faut, que je pourrais être capable de me défendre violemment et cela je lui ai dit. Je lui ai dit aussi que je faisais clairement le choix de ne pas agir ainsi et que je préférais l’écoute, le dialogue, la discussion argumentée, la confiance. Seules voies pour permettre au couple de continuer. Mais il n’a retenu que ce qui servait ses accusations et ensuite, il appelait tout ce que je pouvais faire de la violence. Alors je me suis ratatinée parce qu’il suffisait de juste lui dire non, de vouloir discuter pour qu’il dise que c’était violent, que je ne devais pas lui parler comme ça, pas lui dire ça, pas comme ça etc... Tout était qualifié de violent envers lui. À ce stade, j’étais épuisée de me défendre et de me justifier sans cesse. Je perdais mon bon sens. Je doutais de plus en plus de moi, puisque lui, ne doutait jamais de lui. Je me suis censurée pour ne plus lui paraître violente. Je voulais à tout prix lui montrer que je ne l’étais pas. Plus je culpabilisais, plus il renchérissait.
Y a un moment où tu t’es dit « là ça part en couille, là c’est plus seulement que je laisse de la place à l’autre, c’est que l’autre est en train de me détruire » ?
Je me suis jamais dit cela clairement pendant que je vivais avec lui. Ce qui m’a fait réagir c’est la douleur morale. Intense, mortelle. Tout à coup je me suis rendue compte que je me sentais tellement mal et triste que ça n’allait plus du tout. Y avait pas de raison mais il me faisait des histoires dingues à propos de tout... J’avais l’impression de marcher en terrain miné dans une mise en scène, un scénario où il me guidait et que c’était pas mon film ! C’est très subtil.
Donc la première chose c’était d’être malheureuse sans grosse raison. J’ai voulu rompre plusieurs fois. Je me souviens d’une lettre de 3-4 pages où j’essayais de lui expliquer pourquoi je rompais. Quand il a lu cette lettre, il a pleuré et je me suis dit "mais je suis qui pour faire du mal à quelqu’un ?"
J’en pouvais plus mais lui, il a retourné la situation en sa faveur en me faisant croire que j’étais cruelle avec lui. J’ai tenu bon quelques jours, il est revenu... je l’ai laissé faire. C’est horrible hein ? Je me suis toujours sentie dans ce sentiment face à lui. Comme si tout ce que je faisais lui faisait du mal. Comme si je devais toujours m’expliquer, m’excuser. Et après quand la relation s’est développée, je me suis toujours sentie dans cette place qu’on me donnait et qui n’est pas la mienne.
Par exemple, pendant une période, on allait au café et il draguait à fond tout le temps – j’en ai une fois parlé avec une de ses copines qui m’a dit qu’elle l’avait jamais vu draguer. Ça voulait dire qu’il ne faisait peut-être ça qu’avec moi... Ça aussi c’était bizarre. Je me suis dit que c’était peut-être pour me rendre jalouse alors je lui ai expliqué que je n’étais pas (ou plus) du genre jalouse. Je sais que c’est quelque chose qui arrive souvent et que certaines personnes prennent la jalousie comme une preuve d’amour. Moi, je n’étais ni amoureuse... ni jalouse. Mais même quand je suis amoureuse, je ne suis pas jalouse. Parce que moi aussi il m’arrive d’aimer regarder quelqu’un, homme ou femme, d’être attirée du regard, apprécier voir et revoir un mouvement, une forme ; je peux comprendre. Et parce que j’aime l’autre parce qu’il est libre d’aimer justement. Au début je souriais et je disais : "Je la trouve aussi jolie" ou "j’aime bien ses cheveux" pour détendre l’atmosphère et le mettre à l’aise. Mais il niait férocement et c’était bizarre. « Qu’est-ce que tu racontes ? Je la regarde pas ! », et ça a été le début d’un engrenage qui est devenu répétitif. Jusqu’à ce que cela ne marche plus car je m’en suis foutu. Au début je disais : "Tu ne peux pas me dire que tu regardes pas cette personne ! Ça fait 2h qu’on est là et toi tu ne fais que la regarder. Tu es assis en face de moi mais tu t’es tourné face à elle, tu ne me parles pas et maintenant, elle te regarde aussi à force. Je ne peux pas me tromper parce que tu es assis devant moi et que tu m’ignores."
Cet exemple illustre parfaitement une tentative de manipulation par suggestion. C’est-à-dire qu’il met en scène une situation schématique où moi je me retrouve enfermée dans un personnage, celui qu’il m’a donné. En l’occurrence, celui de la copine jalouse. Si je lui parle, il ne répond pas, si je pars, il se fâche "qu’est-ce qui te prends encore, tu es jalouse ?" Et là, quoique je fasse, c’est la dispute : j’ai tort d’avance à ses yeux. Si je dis oui, si je dis non, si je dis rien.
Si je reste, c’est le désert. Je lis le journal durant des heures ou je le regarde baver devant une fille en me demandant comment m’en sortir.
En fait, on aurait dit qu’il avait un rôle pour moi. Il se fâchait chaque fois que je rentrais pas dans ce rôle. Cherchait-il à reproduire une histoire qu’il avait eue ? Je n’en sais rien. Tout ça est bien trop compliqué et tordu pour moi. J’essayais juste d’y échapper le plus possible et d’éviter de me prendre la tête.
Puis j’ai évité les trucs qui l’énervaient : les trucs qu’il aimait pas que je fasse, les gens, les situations, les paroles, les gestes... C’était épuisant. Je me surveillais tout le temps. J’essayais d’anticiper, d’éviter les pièges. C’est que je ne voulais rien déclencher. J’avais d’autres choses à faire. Je pouvais pas vivre que ça constamment. Chaque chose n’était qu’un grain de sable, mais chaque grain de sable, suivi d’un autre et d’un autre et encore d’un autre...usait ma patience et ma résistance, me fatiguait, me décourageait. Le tout me prenait une grande partie de mon temps. Je n’arrivais plus à faire des rendez-vous, des projets. Je me trouvais nulle. J’avais plus d’énergie. Je me cachais. Je me défendais mais je ne me plaignais pas. C’était de si petites choses.
Je me rendais compte de la douleur, du mal-être. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait puisque pour lui, tout était normal et il ne voyait pas le problème. Ben tiens ! Évidemment !
Et même pire : à la fin il était totalement évident que plus j’étais malheureuse, plus il était épanoui, reposé, heureux et détendu. Il ne dormais jamais aussi bien qu’après une monstre dispute. Il adorait les provoquer juste avant des fêtes ou des concerts où nous étions attendus. Je finissais effondrée et lui, il y allait tout seul et tout heureux. C’était devenu systématique... c’est pour cela que je ne prenais plus d’engagements, ne faisait plus de plans. C’était effrayant, incroyable, même pour moi qui le vivais.
Allez je reviens à autre chose de plus général : la violence, c’est imposer quelque chose à l’autre, c’est le pouvoir. Après, c’est selon le caractère. Il faut savoir qu’une personne qui exerce un pouvoir sur une autre personne, est prête à tout pour garder ce pouvoir. Si la personne soumise à ce pouvoir se révolte, tente d’y échapper, alors la réponse est la répression par la destruction. Soit on détruit la personne physique elle-même et c’est les beignes qui pleuvent. Soit on détruit sa situation, son estime d’elle-même.
J’ai connu les deux. Parce que même quand j’étais sous l’emprise de ce mec, je n’ai jamais cessé de me défendre en exprimant questions, désaccords et autres avis sur la question.
Plus je résistais, plus il ne me considérait plus comme un être vivant. Je sais pas dire mieux. Je vais peutêtre donner des exemples plus loin. Peut-être pas. Je sais pas comment résumer tout ça.
Ce qui est sûr c’est que le pouvoir sur l’autre c’est de l’abus. Dans notre couple, cette prise de pouvoir était particulière puisque ce n’étais pas seulement pour m’interdire ou me rendre impossible certaines choses, mais surtout c’était une tentative de me faire réagir ou faire certaines choses que je ne voulais pas faire ou dire. Il cherchait à m’imposer une manière d’être, à me faire endosser un rôle exécrable. Il cherchait à m’imposer ce qu’il voulait me faire vivre en me rendant impossible tout le reste.
À ce stade, c’est une manœuvre de dépersonnalisation de l’autre. On lui nie ce qu’il est, on lui impose d’être ce qu’il n’est pas. Heureusement pour moi, j’ai résisté jusqu’au bout.
Y a-t-il eu de la violence physique ?
Oui.
Est-ce que c’est cela qui t’a fait te rendre compte de la violence morale ?
Non. Enfin pas seulement. Violence et cruauté morale et psychologique surtout. J’ai mis 6 mois à identifier les processus qu’il utilisait pour arriver à me manipuler comme il le faisait. Pourtant, je ne m’avouais pas la violence que c’était parce que je ne comprenais pas pourquoi il m’arrivait cette histoire. Je me heurtais toujours à l’absence d’explications, de raisons valables. Jusqu’à ce que je comprenne son fonctionnement.
J’ai analysé les situations vécues, je m’efforçais d’être très vigilante et de rester attentive à tout ce qui se passait et comment ça se passait. Qui disait quoi et comment. Alors j’ai vu que ça se passait toujours de la même manière. Que c’était à la fois systématique et cyclique. J’ai vu que je me retrouvais toujours coincée. J’ai alors développé une sorte de jargon pour dire ce qu’il me faisait : par exemple j’appelais un de ces processus « la tenaille ». Depuis, j’ai appris que ça existait et que ça portait même un nom précis. C’est une méthode de manipulation bien connue paraît-il : on te met devant un choix où tu as que deux solutions ; deux mauvaises solutions parce que dans les deux cas, ça te fait du mal, c’est destructeur. Souvent avec lui, c’était des choix dont je ne voulais pas. Deux trucs que je ne voulais pas faire, et pas d’alternative possible à ses yeux. Moi-même, je ne saurais pas comment mettre en place et en œuvre un tel mécanisme. Maintenant, vu de loin, ça me semble difficile à croire. Mais vécu au quotidien, chez soi, au lit, au réveil ou au coucher, quand tu manges, quand tu es malade... c’est vite l’enfer. En bref, pour lui "prouver" ma bonne volonté il fallait que je choisisse entre deux trucs. Si je le faisais, j’acceptais de faire n’importe quoi et de perdre ma personnalité puisqu’il s’agissait de choses que je ne voulais pas faire et même SURTOUT NE JAMAIS FAIRE. Il n’en était pas question. Je sentais bien que je ne devais JAMAIS flancher sur certains points.
Si je ne le faisais pas... alors il se fâchait et se défoulait sur moi pour m’accabler. Il tenait un motif de me critiquer et tout était de ma faute... les prétextes déclencheurs, c’étaient ma façon de parler, mon ton, le moment où je disais ou faisais ou ne faisais pas quelque chose. C’était de plus en plus difficile de prévoir ce qui allait mener à quoi. Ça créait un vrai climat d’insécurité latente. Un truc bien glauque. C’était des situations très nombreuses.
Le jour où on a dû par obligation emménager et signer un bail ensemble, la pression est montée. Aux violences morales et psychologiques, se sont ajoutées les violences économiques et sociales. La pression est montée en flèche durant six mois, jusqu’aux grosses violences physiques, indéniables.
Nous venions d’emménager ensemble parce que mon logement précédent était devenu subitement inhabitable. La gérance ne faisait rien. Un jour il m’a proposé un beau logement, mais il y avait une condition : il nous fallait signer le bail ensemble.
La solidarité (en théorie) devait s’étendre à un partage du loyer, mais en pratique, j’ai toujours tout dû payer seule, y compris durant la période où nous avons dû nous réfugier en foyer, mon fils et moi.
Le chantage au logement s’est installé dès les premiers jours, voir même à la période qui précédait le déménagement. Moi, je pouvais plus faire machine arrière. Il le savait et en a profité pour tenter de m’imposer n’importe quoi. Je pouvais pas claquer la porte et m’en aller non plus. Mon fils avait besoin d’un toit.
Durant ces 6 mois avant la violence physique j’ai essayé de parler, de pointer les problèmes, de dire : là tu me fais du mal. Au mieux ce que j’ai eu c’est quelqu’un de mutique qui m’écoutait parler durant des heures.
Ensuite, j’ai arrêté de lui expliquer ce que je ressentais quand j’ai compris qu’il ne m’écoutait que pour mieux cibler ses attaques. Pour la forme, il disait qu’il m’avait entendue et qu’il allait faire un effort. Mais j’ai été très étonnée de voir qu’il se servait de mes confidences pour immédiatement ensuite "appuyer où ça fait mal." C’est-à-dire reproduire systématiquement et à répétition ce que je lui demandait de ne plus me faire. Là ça devenait franchement glauque.
Je veux pas rentrer dans les détails, mais là, on est dans la cruauté pure et dure. La cruauté appliquée et systématique.
Ce qui m’a choqué et fait beaucoup de mal c’est que, dans un premier temps, je lui donnais des explications, parfois des justifications où je lui confiais des trucs très intimes sur mon vécu. Je lui disais par exemple pourquoi j’étais très sensible à certains sujets pour lui demander de faire attention la prochaine fois. Parfois, sur le moment il semblait comprendre et je reprenais espoir... mais ensuite il devenait chaque fois plus évident qu’il utilisait mes confidences pour connaître et ensuite m’infliger ce qui m’était le plus pénible.
J’avais aussi mis le doigt sur la notion de plaisir qui semblait lui poser un gros problème. J’avais fini par réaliser qu’il m’interdisait systématiquement toute source de plaisir. Et je parle de n’importe quoi où l’on se sent bien. Il y a eu aussi des choses de l’ordre de l’intime qui étaient tellement barges que je pense que j’ai autocensuré direct, que je me suis dit : "Non ! Il n’a pas pu faire ça exprès. C’est impossible de faire un tel truc exprès. C’est un accident, une maladresse."
Maintenant je pense qu’il a particulièrement fait exprès. Pourquoi ? Simplement parce qu’il y a eu répétitions et quand un accident se répète à plusieurs reprises, ce n’est plus un accident, ça devient de l’acharnement.
D’abord, je m’expliquais ces trucs incroyables par de la maladresse. Parce qu’il s’excusait même pas. Il semblait à peine embarrassé. Il disait rien. Devant son mutisme... l’étrangeté de ces situations, je questionnais. N’obtenant aucune réponse, je doutais de moi... je cherchais un sens à tout ça. Peut-être qu’il avait de la peine à exprimer des choses intimes ? J’ai beaucoup pris sur moi ses supposées difficultés.
Durant ces 6 mois, j’ai eu un grave ennui de santé qui a fait que soudain je devais me reposer et déposer les armes. En clair : éviter les fatigues, arrêter d’être tout le temps sur mes gardes avec lui. On venait d’arriver dans le nouvel appart. J’avais besoin que tout soit coton, tout doux.
Je lui ai expliqué cela mais il n’a pas compris, au contraire. Quand je lui disais mon besoin de repos, il me mettait la pression pour que je me bouge... Alors je lui ai demandé de venir voir mon docteur pour qu’on lui explique que j’exagérais pas. Il est venu raconter que j’étais complètement dingue, que je déconnais. Il n’a réussi à convaincre personne. Mais ce qu’il a dit, ça m’a fait du mal. Je me suis rendue compte que je vivais avec mon pire ennemi. Il a dit que je débloquais complètement, que j’avais des crises. C’était horrible d’être assise à côté de lui et d’entendre ce qu’il osait dire de moi. Toujours cette impression qu’il essayait de me faire endosser quelque chose ; de me faire vivre un rôle qui n’était pas du tout le mien. Un rôle qui finalement, lui ressemblait pas mal.
À partir de là, me sachant affaiblie et de quelle manière, ça a été une entreprise de démolition. Il m’a anéantie. Systématiquement, cruellement. J’aurai voulu pouvoir partir me réfugier ailleurs, emmener mon fils loin de lui, aller me poser chez des amis mais à ce stade, je pensais qu’on n’allait jamais me croire, tellement il a pas l’air, comme ça... J’ai rapidement été désespérée. Je ne sortais plus. Je ne savais plus quoi faire, quoi dire. Il me reprochait tout, me dictait tout. Il se mettait en colère pour l’heure à laquelle je prenais ma douche, une fenêtre ouverte, il imposait l’heure du repas quand c’était impossible pour nous... Colère, reproches, froideur, cruauté, jugement, mépris... absence d’explications.
Le plus dingue, c’est que parfois, quand il me faisait des reproches, ce qu’il me reprochait c’était précisément ce qu’il me faisait.
Moi, je me retrouvais complètement déboussolée. Imagine, comment je peux protester contre ça ? C’est totalement absurde. Totalement tordu et assez intelligent dans son genre.
J’ai compris que cette tactique m’a empêchée de me défendre contre lui. Dans le cas de la violence physique par exemple.
Imagine : le type me tape dessus, je me protège avec mes bras levés, il hurle : "Tu es violente, regarde comme tu es violente." Moi je comprends pas. Je tente juste de protéger mon visage. Alors, quand il m’attaque de nouveau, je ne me défends pas parce que je ne veux pas devenir violente.
Son truc favori, à la maison, c’était de faire une monstre dispute à propos de rien... j’essayais de m’en foutre à force... mais il continuait et quand, au bout d’un moment, je rentrais dans son jeu et que je commençais à répliquer et à m’investir dans la dispute (pour qu’elle cesse surtout), bien vénère, alors là, tout détendu d’un coup, léger et heureux, il partait ravi pour on ne savait quelle destination ni combien de temps. Ça pouvait durer des jours ou quelques minutes. Il répondait plus au tél. Il dormait ailleurs ou pas et s’il rentrait on savait jamais dans quel état. C’était soit le regard lourd de reproches, le regard noir fixé sur moi, sans un mot, sans répit, soit le mec qui rentre normal, même après 3-4 jours, et pour lequel il ne s’est absolument rien passé, tout étonné qu’on lui saute pas au cou.
Complètement dingue et invivable.
Après les violences physiques répétées, celles qu’on ne pouvait plus prendre pour de la maladresse ou des accidents... et qui m’ont conduites à l’hôpital à plusieurs reprises, nous avons entamé une série de consultations de couple en situation de violence.
Moi ça faisait déjà longtemps que je l’aurais quitté si j’avais pu, mais on partageait le même bail. Il me tenait.
Il n’a jamais cessé de m’accabler et de tenter de manipuler l’opinion des autres, thérapeutes de couple en tête, en ma défaveur. Quand il a vu qu’il n’y parvenait pas, il a fini par traiter ceux-ci d’incapables et il a même été leur dire qu’ils s’y prenaient mal, ne savaient pas mener un entretien etc...
J’ai ainsi eu l’occasion de le voir tenter ses manœuvres de manipulation sur d’autres personnes. C’était impressionnant, après ce que j’avais vécu.
À ce stade, on nous a dit que ça ne servait à rien de continuer. Le dialogue étant impossible.
Il ne reconnaissait pas sa violence, continuait à m’en accuser.
À la fin, j’étais épuisée et terrorisée. Je savais plus comment m’en sortir. Après le chantage au logement, lui qui défend les sans-logis, il m’a fait le coup des menaces d’expulsion, répétées même si sans fondement.
À cause de mon fils, il n’aurait plus pu vivre avec nous sans l’intervention du service de protection de la jeunesse qui serait intervenu pour protéger mon fils. Il avait un autre logement en ville, mais il a laissé plein d’affaires dans le nôtre et profitait de cette excuse pour "venir chercher un truc" régulièrement. Au début, il était si cruel et abusif quand il venait, que j’ai dû demander à quelqu’un d’être présent à chacune de ses visites. Ça empêchait pas tout, juste le pire et c’était déjà ça.
J’ai compris qu’il cherchait à me faire peur et à maintenir un climat d’insécurité tout à fait factice. Du terrorisme domestique.
Bref, avec mes gros ennuis de santé, ce déménagement qui m’avait placée à sa merci et lui donnait l’occasion de se conduire en gros macho rétrograde... mes ennuis ne faisaient que commencer.
Durant ces 6 derniers mois où on a vécu ensemble, je suis passée par quelques étapes distinctes :
Après la brève phase informative où je me suis aperçue qu’il se servait de mes confidences pour connaître mes points faibles... j’ai décidé que pour ma survie, j’allais m’efforcer d’être d’accord avec lui en tout. J’allais vivre selon ses désirs pour m’éviter le pire, le temps de me refaire des forces. Je mettrais toute mon énergie à sembler totalement zen et insensible à toute attaque. J’avais compris que je pouvais m’éviter qu’il répète des trucs douloureux si je restais de marbre pour qu’il ne puisse pas deviner où ça pouvait faire mal. J’étais d’accord avec tout. Je ne le contredisais jamais.
Je me disais tout allait bien aller comme ça… mais en fait pas du tout !
Ça n’a pas marché parce qu’il allait toujours plus loin dans ses exigences, les choix impossibles qu’il m’imposait et que je me contentais de refuser en acceptant le néant que ça ouvrait. Moi, je m’en foutais : je prenais des forces pour tenir. À la fin il est devenu horrible. On a vécu des trucs dingues. Comme je ne faisais rien, c’est lui qui a été toujours plus loin pour me faire réagir ou me mettre mal à l’aise devant les potes, la famille, mon fils etc... Je veux même pas en parler tellement c’est trash.
En résumé, cette 1ère étape, c’était : "je n’existe plus donc il peut plus m’attraper". Mais ça n’a pas marché.
La 2ème étape... c’est celle de "faut qu’on discute parce que ça ne peut plus durer ».
Pourvu que ça évolue et qu’on trouve le moyen de cohabiter sans trop de dégâts. Explication, discussion, analyse... j’étais prête à tout. J’ai passé des heures à pointer les problèmes et à proposer des solutions. Rien. Le mur. Le silence. Rien. Ou les habituels reproches et accusations.
Je me démenais, je cherchais des solutions. Je finissais par épuiser mon énergie. Je ne vivais plus que cette histoire de fous. Tout le reste avait disparu. Parce que ça m’empêchait de vivre, je voulais régler ce problème. Mais il ne s’impliquait pas ou il faisait preuve de la plus grande mauvaise foi. Ce qui arrivait ne venait jamais de lui, selon lui, tout était toujours de ma faute. Un classique.
Il trouvait toujours et très rapidement des prétextes pour interrompre le dialogue. « Tu as vu comme tu es ? Comment tu me parles ?... » À ce stade, je n’avais pas intégré le concept de la manipulation, ces individus qui utilisent ce genre de moyens pour arriver à leurs fins. Je pouvais pas imaginer ça dans une relation de couple, d’amitié, mon cerveau ne pouvait juste pas le concevoir.
Mais il est devenu de plus en plus insultant, méprisant. Il ne m’a plus accordé aucun droit. Par exemple, même pas celui d’être là. Soudain, il voulait toujours passer où je me trouvais, comme au travers de moi... Pire : au travers de l’espace que j’occupais comme si je n’y étais pas.
Au début je me tirais sans m’en rendre compte. Puis j’ai cessé. Pourquoi j’aurais besoin de me pousser alors qu’il y a deux mètres de passage à côté de moi ? Je ressentais physiquement cette violence. Tout était flou, double, faux... Toutes ces petites choses qu’il faisait de plus en plus... J’ai commencé à les reconnaître quand elles arrivaient, à les nommer, à les contester.
Que tu lui tiennes tête, cela a fait changé la relation ?
Oui, en quelque sorte. Je veux dire... son acharnement, ça me détruisait petit à petit. Ça s’arrêtait jamais. Il était cruel. À ce stade, vu que j’avais démasqué pas mal de ses méthodes (trop nombreuses pour que je les expose toutes ici) avec moi, il ne se donnait plus la peine de donner le change. C’était juste face aux autres qu’il gardait sa voix et son sourire doux, ses propos sensés. Sa capacité de masquer ses intentions, de passer opportunément d’une attitude cruelle et menaçante avec moi à un ton détendu et enjoué sitôt que quelqu’un d’autre entrait dans la pièce... me sidérait.
Il se conduisait comme un vrai tyran. Il faut savoir qu’il nous interdisait de plus en plus souvent de rire, de chanter... des trucs dingues. Je crois que ce mec avait vraiment un gros problème et qu’il me le faisait payer, incapable de l’assumer lui-même.
Arrive l’étape suivante. Parce que ni le total lâcher prise, ni le dialogue n’avaient réussi à calmer la situation et à apaiser sa colère... je me sentais de plus en plus en danger avec lui.
J’ai décidé de ne plus me laisser faire du tout. De lui tenir totalement tête. Aucune conciliation n’ayant réussi.
À ce stade, je me suis autorisée à m’adresser à lui d’une façon plus directe, si nécessaire « t’es un salaud, tu me traites mal »… mais je ne voulais pas me montrer violente, alors j’ai simplement décidé de lui dire non, clairement et de tout mon être. Et là j’ai été catégorique. Je ne discutais plus. C’est cela qu’il a pas supporté. J’ai résisté physiquement aussi. J’avais vraiment peur de lui mais j’avais aussi compris que c’était ce qu’il voulait. Tant que j’avais peur pour moi, pour mon fils, il pouvait penser que je ne n’oserais pas m’opposer à lui. Il y avait une tel agressivité en lui. Il entretenait constamment cette peur par ses menaces directes ou indirectes, par son attitude physique menaçante où il ne perdait jamais une occasion de me faire sentir sa force. C’était surtout des prises d’immobilisation. Des trucs où je pouvais juste respirer et plus bouger du tout. Comme des jeux au début, puis à n’importe quel prétexte foireux, genre, "calme-toi ! " " Bouge pas comme ça ! "
Je détestais ça. Au début, c’était déjà là sous forme d’étreintes appuyées, faussement câlines.
Et là on arrive à l’ultime étape, celle que j’attendais pas, celle que j’avais ni souhaitée ni imaginée : la violence purement physique. Je n’arrive pas à en parler. Je ferai court.
Il y a eu une porte forcée à l’aide d’une lambourde. Je m’étais enfermée pour lui échapper.
Une autre fois, il y a eu un massage si vigoureux que j’ai dû aller me faire opérer pour ça trois fois de suite, dont une fois sans anesthésie. Je m’en serais passé.
Une autre fois, il y a eu une fracture. La première et seule de ma vie.
Et puis, il y a eu le jour où j’ai cru qu’il me tuait. Il m’a attaquée par deux fois. J’ai finis à terre les deux fois. Quand je me suis relevée, il a remis ça. La deuxième fois je ne me suis pas relevée. Il est parti.
Je ne pouvais plus bouger la tête ni le bras droit. J’avais des bleus partout (mais ça arrivait avec d’autres petites blessures... les fameuses maladresses). J’ai passé la journée à faire des examens à l’hôpital qui craignait une triple fracture de la colonne vertébrale... Heureusement, je suis solide et ça n’étaient que des contusions. Tout de même, il m’a fallu plus d’une année pour retrouver la totale mobilité de mon bras. L’hôpital où je m’étais rendue avec mon fils, car c’est arrivé un jour de début de vacances, nous a orienté sur un foyer où nous avons dû séjourner.
C’est là que j’ai bien été forcée d’admettre que j’avais bel et bien été victime de violence. J’ai accepté de constituer un dossier. Des juristes m’ont conseillée et je sais que je peux encore porter plainte pour ce que j’ai subi.
Il m’a cassé par petites touches.
Constamment. Comme dans le fameux supplice chinois de la goutte. Il m’a appris la peur. Il m’a appris la douleur à petites doses répétées. L’effet pervers, c’est que je me disais que si de si petites choses pouvaient me faire tant de mal, c’est que je devais être faible. Je perdais toute confiance en moi.
Il déclenchait beaucoup de trucs puis il partait quand j’avais une réaction, une question. Il disparaissait, ne me répondait plus au tél. Et moi j’ai fait des erreurs et marché dans son jeu en lui envoyant plein de textos. Il créait une situation où l’autre doit réagir, même si l’autre ne veut pas. Parce que pas réagir, c’est comme d’être d’accord et c’est pire. Mais qu’est-ce qui est pire ? Tout était pire. Les choix étaient absurdes, impossibles, le harcèlement constant. Mais tu vois c’est la situation d’une femme avec enfant, je pouvais pas trop m’exprimer librement car mon fils était à côté. Si je suis trop catégorique j’ai peur de perdre mon logement. Oui, gros chantage tacite au logement.
J’ai le sentiment d’avoir été choisie, prise comme support à un délire et pas comme un être qu’on veut connaître et côtoyer. Juste comme un truc à qui ont fait des choses. Même pas un objet ou alors un objet de néant. Oui, c’est exactement ça : un objet destiné au néant. Un truc implacable et horrible.
Finalement, maintenant que je suis sortie de son emprise, je me dis que c’était vraiment dangereux. Je me dis aussi que j’ai eu la chance d’avoir vécu et partagé de belles relations avec d’autres avant lui. Ces bons souvenirs m’ont soutenue. Je savais que j’avais été capable d’autre chose. Depuis, je reprends confiance en moi, en mes amis.
Ce mec était un minable qui voulait juste exercer et imposer un pouvoir sur moi.
C’était un manipulateur qui m’a traitée en ennemie dès le départ. Pour parvenir à me déstabiliser et à me manipuler, il a utilisé des techniques précises afin d’atteindre les quelques objectifs indispensables à l’anéantissement d’une personne :
– l’isolement,
– la déstabilisation morale et physique. Son regard était totalement déterminé, froid. Ses gestes précis et étudiés,
– l’épuisement des forces vitales.
Maintenant, j’ai repris ma vie.
Elle est en lambeaux. À force de subir harcèlements et menaces, je lui ai laissé mon logement. Des trucs bizarres sont arrivés et ça devenait dangereux d’y rester. Cela fait des mois que nous n’avons plus de toit et que nous sommes hébergés ici ou là, chez des amis. Avec tout ça, j’ai perdu plusieurs de mes jobs, dont le principal. Mais je sais que j’ai réussi à échapper au pire. Alors j’ai la pêche et je réussis à m’en sortir. Je ne veux plus entendre parler de lui. Je m’en fous. J’ai mieux à faire : vivre.
Quand je lis mon histoire, j’ai de la peine à croire que c’était moi, cet être hébété, terrorisé, paralysé, tâtonnant. Je témoigne parce que c’est une histoire à la fois banale et incroyable. Il m’a menacé de représailles quand on lui a appris que j’allais écrire pour la brochure. Je ne me suis pas laissée impressionner. La peur ça paralyse la victime, pas l’agresseur.
Comme je sais de quoi il est capable, j’ai protégé mes arrières. Il ne pourra plus me faire de mal impunément.
Grâce à mon énergie retrouvée, je vais lutter aux côtés de ceux et celles qui sont encore victimes de violence et de domination en général. Je vais utiliser mon énergie contre toute forme de sexisme également, car, autant pour les filles que pour les mecs, les modèles sont pourris et inhumains. Je ne veux pas que mon fils se sente obligé de devenir +ou- macho pour espérer être accepté ou respecté en tant qu’homme.
Pour terminer : j’ai vu dans le journal qu’il y avait eu une manif à Lausanne l’autre soir. Sur une pancarte on pouvait lire un truc que je n’oublierai plus :
JE SUIS LA FEMME DE MA VIE
reçu en 2012
Que les ongles se transforment en griffes ! Aiguisons notre force de riposter.
On voyait très clairement que je n’éprouvais pas de plaisir.
Quand je pense à nouveau à cette scène, je nous vois d’en haut, je suis en dehors de moi.
Je nous vois d’en haut et je suis un mannequin de vitrine, nue, blanche, rigide, absente. Dans la position d’un mannequin jeté sur le lit, les jambes tendues, légèrement écartées, les bras pareil. Il est sur moi et me pénètre, jouissant sans me donner un minimum de plaisir.
En y pensant maintenant, j’ai vraiment honte à l’idée de l’avoir laissé faire. De l’avoir laissé me rendre un mannequin. Mais on apprend, on apprend de ses erreurs. Mais surtout on apprend toute seule.
Il a joui en même pas une minute en laissant le sperme sur les draps.
Je regarde cette scène d’en haut et je me promets que je ne serai jamais plus un mannequin. Je regarde cette scène d’en haut et je sais que ça ne dépendra que de moi. Parce que je ne peux pas compter sur une conscience commune qui refuse ces dynamiques. Parce qu’il y aura toujours quelqu’un prêt à me considérer comme un mannequin. Dans la rue et à la maison. Moi-même, mais pas seulement moi.
Pour tout ça, je trouve important de remettre en question notre rapport à la sexualité, par exemple en réfléchissant autour du concept de consentement dans les rapports sexuels qu’on recherche, dont on a envie. En ce qui concerne les attaques sexistes, absolument pas recherchées, on doit répondre en assénant des coups, seules ou collectivement, sur le moment ou plus tard, à chaud ou à froid, avec des mots ou avec des gestes. Défendons-nous et attaquons, en réfutant la condition de victime que le patriarcat voudrait nous donner.
Pour tout ça, nous devons transformer nos ongles en griffes et défier les attaques sans jamais les sous-estimer. La solidarité est une arme qui peut relancer la lutte contre le sexisme dans la rue, dans la société et chez nous, dans notre milieu, parce malheureusement aussi dans les milieux anti-autoritaires se niche trop souvent du sexisme plus ou moins évident.
Aiguisons notre force de dire non, aiguisons notre force de faire respecter notre non. Aiguisons notre force de riposter. Pour détruire l’inertie sur laquelle se base le sexisme. Pour détruire les rôles sur lesquels se base le patriarcat. Pour détruire l’exploitation sur laquelle se base cette société.
Et danser sur les cendres des mannequins brûlés.
Danser sur les cendres de ceux qui les ont utilisés, défendus et créés.
2011
Eh merde
On était dans une rencontre qui avait lieu dans un énorme squat, et tout se passait bien, jusqu’à ce qu’une copine tombe sur un pochoir et nous le montre, et on se retrouve face à une image sur le mur qui dépasse tout : une meuf debout, avec des jambes de gazelle, écartées, de longs cheveux, pliée en deux, vue de derrière, à poil, en train d’écarter les lèvres de sa chatte avec sa main, et écrit en dessus : più sborra, meno sbirri, = plus de sperme, moins de flics.
L’une d’entre nous avait déjà discuté avec des gens de la maison de ce pochoir, qui avait apparemment donné lieu à de fortes réactions quand il était apparu sur les murs de la ville, mais ils ont décidé qu’il était bien, et puis, sborra, ça rime avec sbirri.
Bref, la suite : des marqueurs nous tombent dans les mains et on s’exprime, nous aussi sur le mur, s’en suit engueulades, discussions, menaces, pas vraiment besoin de vous détailler ce qui se passe lorsqu’on écrit dans un squat.
Y a de la fatigue, celle d’arriver dans un lieu qui s’affiche en tant qu’anti-sexiste, de tomber sur un pochoir qui n’a d’autre rôle que de représenter la femme comme foutoir à sperme, son plaisir représenté par l’éjaculation, sa passivité, sa beauté selon les canons de tomb raider, l’hétérosexisme omniprésent, le sperme tour à tour comme outil de lutte violent contre les flics, ou comme « source de la vie » (super !), association plus que douteuse entre flics et sexualité et de se voir expliquer que l’agression est dans les yeux de ceux (celles) qui la voient, qu’on doit être frustrées que ce qu’on a fait c’est de la censure, et qu’ils barrent même pas les croix gammées, que quand ce pochoir a fait des vagues en villes, pour arranger le coup, ils en ont fait deux autres, un avec un mec (sa bite fait la moitié de la longueur de sa cuisse) et un avec un trans (veux pas savoir comment ils l’ont représenté), et que « quand JE cause, regarde MOI dans les yeux », que là il est encore calme (gesticule à 3 cm de ton visage et hurle), mais que si ça continue ça va changer, etc.
Ce qu’il reste au final :
On était légitimes de se sentir agressées par ce pochoir !
On est légitimes d’être fatiguées d’en revenir à des trucs aussi basiques qui n’ont rien à envier aux flyers du bureau des autos et autres pubs pour la téléphonie mobile !
On était légitimes de penser que la violence ou la menace de violence est inacceptable et de la mettre au premier plan !
On était légitimes de faire nos tags !
reçu en 2012
Témoignage collectif en non-mixité
Le témoignage suivant est le résultat d’un apéro-discussion en non-mixité qui a eu lieu entre une dizaine de meufs autour du thème des violences sexistes dans notre milieu. Ce témoignage réunit donc des meufs avec des opinions différentes, des vécus différents et des histoires à raconter…
« Il y a des trucs bêtes et cons qui peuvent se passer dans les soirées. Des fois, on ne voit même pas que c’est des agressions. »
« A une époque j’étais beaucoup là, je bois pas beaucoup et je vois les soirées dégénérer. Je pète un plomb. Des comportements relous, de mes potes aussi et d’autres. Des fois j’ai pas le courage d’aller dans les soirées et de voir ces trucs… c’est comme si je sortais au Bleu Lézard. Tu ne sais pas chez qui te tourner quand ces choses se passent. C’est jamais gravissime mais c’est lourd. Quand je le dis aux autres je me sens un peu con car je me dis : c’est parce que t’es féministe, tu vois le mal partout, t’exagères. Des fois ma soirée a été pétée par un gars qui me touche le sein durant un pogo. Mais je ne veux pas faire un scandale. Des fois aussi mes potes sont bourrés et ils réagissent envers la personne et tu ne veux pas porter ça ! »
« Quand t’es bourrée tes limites elles sont autres. Soit tu minimises ce qui se passe soit au contraire tu exagères. Tu peux partir en vrille aussi ! L’alcool n’aide pas à être malin. Pour quelqu’un qui ne boit pas, ça peut devenir assez chiant. »
« Dans une soirée un gars est passé à côté de moi et m’a léché le cou. Je le connais juste pas ! Moi mon soutien c’était qu’il y avait des copines autour et on l’a envoyé chier ensemble. On était plus fortes, je n’étais pas toute seule. Il est parti la queue entre les jambes. C’est fou... je me suis pas sentie en danger, ça m’a juste fait chier ! »
« Je ne me suis jamais sentie en danger dans les soirées, j’ai mes potes ici, j’ai les compétences. Mais je pense toujours que moi j’ai ça, mais toutes les meufs qui viennent ne l’ont pas. »
« Moi des fois je ne sors pas à une soirée car j’ai pas l’énergie de gérer cette violence latente. Je ne sais pas si les mecs ressentent ça parfois… »
« C’est surtout une histoire de confiance entre meufs. Comment on partage des choses qui arrivent sans que ça parte trop loin et sans que ça soit minimisé ? Comment réagir ensemble même pour un petit truc ? »
« Si le féminisme était davantage pris en compte dans les soirées, ça serait plus facile. »
« C’est pas évident d’expliquer ses propres limites ni à soi ni aux autres. J’ai dit stop à un copain avec qui je rigolais et avec qui je dansais et qui m’avait pris les poignets. Il m’a dit que je n’étais pas drôle. Mais pourquoi je serais drôle ? »
« C’est pas facile d’avoir le rôle d’être celle qui dit « là, je ne rigole pas ». Mais on a juste pas le choix de le faire. »
« Moi j’aime pas le mot « limites » car si tu dois les poser c’est que c’est déjà trop tard... c’est que quelque chose me fait déjà chier. Je ne devrais pas avoir à le faire ! »
« C’est difficile de savoir comment réagir. Ce qui est cool, c’est d’avoir des gens autour pour pouvoir dire ce qu’on a ressenti. La chasse à la drague ça paraît un peu dur… »
« C’est pas de la drague ! On n’agit pas comme ça quand on drague ! »
« Des fois la drague peut passer par des trucs presque de violence, comme dans un pogo etc. Le pogo peut être une forme de drague mais ça dépend, si c’est partagé. Si c’est un jeu à deux ça change la donne. »
« Est-ce qu’il y a une montée de violence dans notre milieu ces temps ? »
« Certaines personnes avec qui on parle pensent que oui mais c’est difficile de leur faire comprendre qu’avec les mecs, cette violence je l’ai toujours sentie. On est sur des longueurs d’ondes différentes. »
« Il existe dans des maisons des affiches qui nomment des choses autour du consentement. Est-ce que dans les fêtes les gens prennent en compte si l’autre est intéressé ? Ou que mes actes peuvent emmerder quelqu’un ? »
« J’ai des vieux exemples de comment les choses ont pu se régler dans des soirées avec des mecs relous. Par exemple, des potes mecs qui vont draguer le mec relou et il se casse… c’est assez efficace. Il y avait aussi parfois des gens autour qui réagissaient spontanément. Mais c’était aussi quand le milieu était plus petit. »
« J’ai vécu une fois le truc où il y a deux potes qui m’ont « aidée » quand un mec était relou. Mais j’ai pas aimé car ça m’a complétement dépossédée de mon truc. C’était sympa mais en m’aidant ils ont aussi fait un truc relou ! C’est complexe. C’est la façon de réagir qui m’a déplu. »
« Et t’es souvent mise de côté car ce n’est pas ton registre. »
« Où c’est vraiment dur, c’est quand c’est pas des « relous » mais tes potes qui sont lourds ou agressifs. Ça implique plein de choses. »
« Oui, quand c’est les potes c’est pas facile, surtout quand c’est pas des actes « spectaculaires » mais des petites agressions de tous les jours. »
« Il y a eu des crises de violence en couple dans des soirées et les gens s’interposaient mais justement c’était plus « spectaculaire ». »
« Tu peux habiter avec des psychopathes, mais tu fais quoi ? Surtout quand tout le monde dit que ce n’est pas grave ! Avec des histoires de couple c’est super glauque… tu fais quoi ? T’essaies de faire un travail en amont et tu mets tes barrières, mais tu te fais chier dessus… c’est difficile. Tu fais avec, car plein de potes ne voient rien. L’amitié c’est bien mais ça ne suffit pas ! »
« T’as envie de dire : c’est pas parce que t’habites avec le gars que tu dois le défendre. Et merde, sois un peu objectif ! »
« On entend souvent l’idée que dans nos milieux, on est seul contre le monde, qu’il ne faut pas qu’on se divise. »
« Il y a le mythe rock n’ roll... faut être trash. »
« Tu peux être féministe et rock n’roll aussi merde ! »
« Ça se passe dans d’autres maisons aussi. C’est tellement dur. T’as pas envie car t’aime bien la personne mais les choses se passent mal. »
« On peut rentrer dans des comportements de « meute » aussi. On prend la défense des potes et on arrive à cacher comment ils agissent. C’est comme si on doit « défendre » notre pote. »
« Ce qui est dur c’est de vivre des événements comme des agressions mais que personne n’a rien vu… surtout les mecs. »
« Il y a eu une histoire d’une fille qui a était violée dans les WC dans un festival de nos milieux. C’est tellement violent, ça dérape complètement. Comment c’est possible ? Est- ce que personne ne s’est rendu compte ? »
« Dans les soirées, ça m’arrive de checker les gens qui descendent dans les chiottes… juste pour être sûre que tout va bien, qu’il n’y a pas de risque pour les nanas. »
« Je trouve que quand c’est des potes tu peux agir et quand c’est des gens de l’extérieur du milieu, tu peux les virer des soirées. Mais quand c’est des copains que tu connais sans bien connaître c’est super dur. »
« Malgré tout il y a un moment où on doit se mettre entre femmes et dire les choses. Même s’il y aussi des mecs qui réfléchissent et qui sont pro-féministes. »
« La non-mixité pose souvent problème pour les gens. C’est pénible… »
« Dans les sleepings on devrait faire plus gaffe avec les femmes. Comme proposer un endroit pour qu’elles se sentent en sécurité si elles le souhaitent. »
« Moi il y a des fois où j’ai pas réussi à dormir dans des sleepings parce qu’il y a des mecs que tu ne sens pas forcément. »
« Oui, une pote à moi s’est fait agressée dans un squat et ça s’est mal passé avec les autres qui habitaient là. »
« Si on en parlait plus de tout ça, les mecs aussi pourraient porter ces mêmes messages. »
2011-2012
| L’exposition | SOUS LE TAPIS LE PAVE
En parallèle à cette brochure, nous avons monté une exposition qui réunit des contributions artistiques de femmes : sculptures, dessins, vidéo, perfo, gravures, roman photo… Ces contributions ont été récoltées en même temps que les témoignages que vous venez de lire. L’expo a été présentée pour la première fois à l’espace autogéré de Lausanne en septembre 2012. Cette exposition se veut itinérante, elle est disponible pour être présentée dans d’autres lieux. Selon nos disponibilités, nous sommes prêtes à accompagner l’expo afin de participer à un éventuel débat, discussion, lectures, mixte ou non-mixte (tout dépend du contexte). Nous pouvons également envisager de faire voyager l’expo sans nous.
Alors, si tu es intéressé-e écris-nous à lafurie. collective@ immerda.ch
|Réseaux|
Afin de se défendre contre ces violences sexistes, nous sommes convaincues de la nécessité d’espaces collectifs féministes. Espaces qui permettent de créer ensemble – entre femmes -des outils, des postures verbales et corporelles, pour se reconstruire et reprendre confiance en soi suite à une agression.
Le collectif qui a créé cette brochure n’a pas eu un contact direct avec toutes les institutions ou associations listées ici. On trouvait important de fournir ces informations mais on ne peut pas garantir que les accompagnements mis en place dans ces endroits prennent en compte une vision féministe de la violence. Tous les endroits listés ne sont pas non plus spécifiquement prévus pour les femmes ou en non-mixité. On conseille donc aux femmes de se renseigner sur les valeurs et les positions défendues par chaque structure, pour éviter des mauvaises surprises !
Cette liste est non-exhaustive. Elle concerne surtout la Suisse romande, et plus spécifiquement Lausanne.
En Suisse romande
Femdochi : Autodéfense pour femmes et adolescentes enseignée par les femmes www.femdochi.ch
Viol-secours.
Aide, soutien, accompagnement aux femmes ayant vécu des violences sexuelles. Pl. des Charmilles 3, 1203 Genève, 022/345 20 20. www.viol-secours.ch
Solidarité Femmes.
Ecoute, soutien, informations sociales et juridiques, hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, seules ou avec enfants
Neuchâtel : Place du Marché 8, 2300 La Chaux-de-Fonds, 032/886 46 36. www.sfne.ch
Fribourg : Case postale 1400, 1701 Fribourg, 026/322 22 02. www.sf-lavi.ch
Région biennoise : R. du Contrôle 12, 2503 Bienne, 032/322 02 44. www.solfemmes.ch
À Lausanne
Urgences. CHUV, 24/24h, 144.
Unité de médecine des violences.
Constat médical, Bugnon 44, 1011 Lausanne, 021/314 14 14.
Les Boréales.
Centre de consultation. Maltraitance(s) familiale(s) Av. Recordon 40, 1004 Lausanne, 021/314 66 33.
Centre d’accueil Malley Prairie. Pour les femmes victimes de violence conjugale avec ou sans enfant (écoute et refuge). Ch. de la Prairie 34, 1007 Lausanne, 021/620 76 76 (24/24h). www.malleyprairie.ch
Centre de consultation LAVI. (Loi sur l’aide aux victimes d’infractions). Pl. Bel-Air 2, 1003 Lausanne, 021/320 32 00. www.aide-aux-victimes.ch
La Fraternité du CSP.Question sur les permis de séjours.Pl. Arlaud 2, 1003 Lausanne, 021/213 03 53. www.csp.ch/fraternite
ViFa.
Aide aux auteur-e-s de violence. Av. Vinet 19, 1004 Lausanne, 021/644 20 45.
Faire le pas.Aide aux adultes ayant été abusé-e-s sexuellement dans leur enfance ou leur adolescence. Av. de Rumine 2, 1005 Lausanne, 021/329 19 19. www.fairelepas.ch
Bureau cantonal de l’égalité entre les femmes et les hommes. Rue Caroline 4, 1014 Lausanne, 021/316 61 24.
Sites internet
www.violencequefaire.ch Site où on trouve des informations et des adresses en Suisse romande sur la violence et plus spécifiquement la violence conjugale.
www.comeva.ch Site pour les jeunes avec informations et adresses.
|Impressum|
Cette brochure a été éditée à Lausanne par le collectif SOUS LE TAPIS LE PAVÉ en septembre 2012.
Pour avoir des infos sur l’expo itinérante réalisée en parallèle à cette brochure et pour toutes autres infos, n’hésite pas à nous écrire à :
lafurie.collective@immerda.ch
Pour télécharger la brochure :
[1] Bureau cantonal de l’égalité, Vaud, Suisse, chiffres 2006-2011.
[2] Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois.
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