A
Du mouvement à l’espace
Les assemblées anarchistes ouvertes
mis en ligne le 14 octobre 2012 - A. G. Schwarz
Le fait qu’une certaine tactique soit utilisée par les anarchistes dans un pays
qui est généralement perçu comme possédant un haut niveau de lutte ne
devrait pas être suffisant pour les anarchistes qui vivent dans un pays avec
un plus faible niveau de lutte pour adopter cette tactique.
Un nombre croissant d’anarchistes américains parlent d’assemblées
anarchistes ouvertes, directement influencés par l’utilisation de cette tactique
par les camarades de Grèce.
Les assemblées ouvertes en Grèce, toutefois, sont directement influencées
par l’existence contextuelle d’un espace anarchiste plutôt que d’un
mouvement anarchiste. Dans l’ensemble, les anarchistes américains, soit
intentionnellement soit par habitude, manifestent une projectualité qui
correspond à un mouvement plutôt qu’à un espace, un fait qui peut expliquer
les résultats mitigés obtenus dans la récente assemblée anarchiste de San
Francisco, aussi nécessaire et innovante fut elle.
Les tactiques, bien entendu, peuvent être fondues et refondues, et je n’ai
aucune idée de comment les choses pourraient évoluer positivement avec
des assemblées anarchistes ouvertes dans un contexte nord-américain. Mais
si les anarchistes américains veulent utiliser des assemblées ouvertes
comme cela se fait en Grèce - ce qui peut être ou ne pas être un objectif
valable – ils et elles auront aussi besoin de réaliser certains changements
dans leur façon de lutter.
Principalement, pour que l’assemblée ouverte fonctionne en tant que telle, je
crois que les anarchistes américains auraient besoin d’accepter une pluralité
conflictuelle, une minimisation de la prise de décision parallèlement à une
maximisation de la prise d’initiatives.
Avant d’élaborer ce que cela signifie et de décider s’il s’agit d’un changement
souhaitable, il serait utile d’examiner les points forts de l’assemblée ouverte
au sein de la pratique grecque, qui me semblent avoir au moins quelques
similitudes avec certaines manifestations de l’encuentro (le principe de la
« rencontre ») en Amérique latine. Traditionnellement, un groupe particulier
d’individus décident de prendre l’initiative de lancer un appel, avec une date
et un lieu, pour une assemblée anarchiste ouverte, généralement dans un
parc occupé ou une université. En règle générale, ils et elles publient
également une déclaration initiale qui donne une analyse préliminaire de la
situation, mais invite au débat. Chacun-e est invité-e à y assister, mais il est
clair que l’assemblée se déroulera sur des bases anarchistes, ce qui signifie
pas de partis politiques, pas de discussions réformistes ou de collaboration
avec l’Etat.
L’assemblée ouverte permet à des dizaines ou des centaines de personnes
de se réunir et discuter de la situation, sans restreindre la réunion à un petit
groupe, ou se faire encercler par des libéraux, des gauchistes, ou des
illuminés. Elle encourage le débat et une théorisation profonde qui provient
de la pratique et se traduit par celle ci. Les gens peuvent parler aussi
longtemps qu’ils le veulent, mais quelqu’un-e qui est ennuyeux, répétitif, ou
hors-sujet est interrompu et, à de rares occasions, si cela devient nécessaire,
est invité promptement à se taire. La vulnérabilité aux illuminés, si typiques
aux États-Unis, est tout simplement absente. Il n’y a pas d’accent sur les
limites de temps, pas nécessairement de double colonne, ou de facilitation.
Les anarchistes grecs ne parlent généralement pas de mouvement
anarchiste, car ils ne partagent pas une singularité de projet ou un ensemble
commun de limites. L’espace anarchiste comprend beaucoup de groupes
différents et de réseaux, mais pas de point central. Il serait infiniment plus
pauvre si il était réduit à une simple étoile. Les assemblées ouvertes reflètent
cette compréhension mutuelle de soi.
D’autre part, aux États-Unis, le seul sens possible pour le terme « d’espace
anarchiste », jusqu’à présent, est un espace en tant que centre social, un
projet singulier, au sein d’un mouvement anarchiste. Un projet singulier qui a
des limites indiscutables et des besoins (par exemple payer le loyer tous les
mois) et la possibilité de buts qui font l’unanimité (par exemple pour éditer
des livres anarchistes disponibles dans ce quartier, ou la participation d’un
groupe dans le processus d’égalisation -entraide- ). Certaines formes de
communication qui peuvent faire sens dans une telle situation – la facilitation
ou des réunions de concertation - sont par défaut déléguées à la plupart des
assemblées que les anarchistes organisent.
En vue d’opter pour une assemblée ouverte qui ne serait pas seulement une
réunion élargie, et qui tomberait inévitablement dans le cycle de la diminution
de la participation comme cela a été vu si souvent dans les expériences
d’anarchistes dans d’autres pays, les anarchistes doivent choisir d’être des
pluralistes confrontationnels. La notion d’une grande organisation unique
(syndicale), d’une seule plate-forme, d’une seule stratégie, ou d’une
coordination ou fédération unique doivent être jetés par la fenêtre. Le point
central, en politique, est l’essence même de la répression. Nous ne serons
jamais tous ensemble, et celà n’est pas nécessaire. Tout simplement parce
que lorsque deux personnes s’identifient comme anarchistes, pourquoi diable
devraient-elles dépenser de l’énergie pour se réunir ou synchroniser leurs
pratiques si elles ne coïncident jamais dans leurs activités quotidiennes et
leurs luttes ? A moins qu’elles ne puissent croître grâce à la réunion. Mais
certainement pas en venir à un accord sur la façon dont on doit faire les
choses de la même façon que l’autre. Si tel était le résultat, l’espace
anarchiste deviendrait plus pauvre en expériences, et plus limité dans la
gamme des trajectoires sociales ou des niches qu’il peut avoir l’espoir de
toucher. Le plateformisme est beau et bon pour plateformistes, mais cela n’a
aucun sens d’élaborer des stratégies avec des ressources qui ne dépendent
tout simplement pas de nous. "Si seulement tous les anarchistes mettaient
leurs ressources sur telle ou telle lutte..." : l’incapacité à faire se bouger
suffisamment de gens, anarchistes ou autres, pour vous aider à accomplir les
choses que vous voulez accomplir, ne peut pas toujours être imputé à la
désunion.
Dans le même temps, ce pluralisme doit développer une conflictualité, et ne
jamais se contenter de ce qu’elle a accompli tout en étant toujours conscient
de ses victoires et de ses points de force. Pourvu que nous nous en tenions à
quelques exigences de principe, nous pouvons critiquer sincèrement d’autres
anti-autoritaires qui ont choisi une pratique différente. L’autonomie, ou la
distance, ou la non-unité de différents groupes dans l’espace anarchiste leur
permet de développer des perspectives et des expériences différentes à
partir desquels les un-e-s et les autres se critiquent. Cet avantage important
est perdue lorsque les anarchistes permettent la fragmentation positive pour
devenir le silence et la dispersion, quand ils ne communiquent pas, malgré
les distances. Le pluralisme ne doit pas se laisser aller à devenir le
relativisme, dans lequel toutes les pratiques anti-autoritaires sont traitées
comme toutes aussi valables (l’histoire des luttes de tel ou tel pays devraient
amplement démontrer qu’elles ne le sont pas). La sensibilité ne doit pas
s’atrophier dans ses pires manifestations : devenir à fleur de peau. Non
seulement les puristes champions de l’idéologie, mais aussi les
hypersensibles à fleur de peau qui se présentent comme non-idéologiques
sont les plus susceptibles de contre-attaquer toute critique fondamentale de
leurs pratiques avec les catégorisations les plus vicieuses et plus les
pauvres.
Je vais rester allusif sur ce point, parce que dans l’espace anarchiste,
contrairement à son équivalent actuel, le milieux anarchiste (avec ses plus
importantes manifestations dans deux villes côtières), nous aimons garder le
drame et la « rumeurologie » à leurs minimum. Soit dit en passant, savez
vous que mes vieux camarades de Void Network travaillent pour la police,
adorent les médias, et ne sont pas des vrais anarchistes, selon certains
anarcho-touristes qui craignent de perdre leur monopole sur les « points
Grèce » ?
D’autre part, les anarchistes américains auraient besoin d’échanger leur
engouement pour la prise de décision en engouement pour la prise
d’initiatives. L’assemblée ouverte n’existe pas pour ratifier une décision, car
on ne songerait jamais à empêcher ses membres de prendre toutes les
décisions qu’ils veulent. Et, je dirais même qu’elle n’existe pas non plus pour
pousser à l’action, car on suppose et on encourage même à ce que ses
membres soient déjà en lutte, et se servent de l’assemblée afin de partager,
de contester ou d’approfondir leurs analyses ainsi que d’acquérir une certaine
pratique dans l’articulation de cette analyse, et aussi pour avoir une idée de
ce que tout le monde va faire, de manière à être en mesure de mener à bien
leurs actions de façon plus intelligente. L’assemblée ne doit jamais être une
béquille.
Tout au plus, elle peut s’efforcer de créer des espaces pour faciliter l’action,
comme en appelant à une manifestation, au quel cas elle n’organise
absolument aucune action, tout en appelant à une manifestation future de
l’assemblée dans les rues, et à ce moment là, tous les groupes affinitaires ou
autonomes qui y prennent part, peuvent mener à bien des actions qu’ils ont
préparés de leur propre initiative. La manifestation, par conséquent, n’est pas
un projet singulier, elle n’est pas un pas de plus pour un mouvement, elle est
un autre aspect explosif du désordre créatif qu’est l’espace anarchiste.
Dans l’ensemble, les gens peuvent parler pendant des heures au sujet de
leur analyse de la situation, peuvent commencer à tisser leur propre histoire
en décrivant le moment présent du conflit entre l’Etat et la société, du marché
et des individus, et peuvent évaluer les actions passées et rêver à de
nouvelles trouvailles. Mais on ne doit pas appeler à des décisions, ou
proposer des actions. Comment pouvons-nous prendre au sérieux une
personne qui a besoin de venir devant une assemblée pour chercher des
complices, qui n’aurait pas d’ami-e-s avec qui faire éclore ses plans, et qui ne
saurait pas comment agir avec ce qui leur fait face ?
Les décisions détaillées sur la façon de mener une action se font plus
facilement en petits groupes avec un niveau développé d’affinité, non
seulement pour des raisons pratiques évidentes, mais aussi parce que
l’ensemble du groupe ne devrait pas en venir à une décision unique sur ce
qui est la bonne chose à faire. Ce que nous devons encourager n’est pas
l’unité, la patience, et le compromis, mais la prise d’initiative pour mener des
actions directes, qu’il s’agisse de propagande, d’attaques, ou la satisfaction
des besoins fondamentaux. Une fois que nous sommes confronté-e-s à la
lutte avec ardeur, le sentiment de solidarité que l’unité appelle habituellement
de ses voeux n’est jamais loin derrière.
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