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Des mouvements lycéens à Colmar en 2009 et 2010
mis en ligne le 18 février 2011 - Spartacus , Zanzara athée
Intro
Dans cette brochure se trouve principalement un récit écrit par un lycéen de Colmar après le mouvement lycéen de 2009-2010 (texte trouvé sur Indymedia-Paris).
Ce lycéen dresse une analyse simple et efficace de ce qu’il y a vécu... et cela résonne avec ce qui peut se vivre, à peu de choses près, dans d’autres villes, depuis des décennies. A lire et à relire au moment de se lancer dans des mobilisations semblables, en plus des brochures, peut-être plus inspirantes, qui abordent les mouvements qui ont partiellement/temporairement réussi à déborder (voire dépasser) le cadenassage social-démocrate [1].
Ensuite, venant de Colmar également, un an auparavant, un exemple de « punition » est présenté comme un symptôme des rapports hiérarchiques qui opposent un maire et un proviseur à des lycéen-ne-s...
Zanzara athée, février 2011
Mouvement lycéen 2009-2010 à Colmar : Un pas de plus vers une défaite sociale
Alors qu’une bataille particulièrement importante pour la jeunesse s’annonce contre le projet gouvernemental de contre-réforme des retraites, alors que les élections de 2012 se profilent et suscitent les gesticulations hypocrites des partis de gauche, il m’a semblé utile de tirer les conclusions des mouvements sociaux passés pour éviter de retomber dans les mêmes travers. Plus spécialement, j’ai tenté de raconter le mouvement lycéen de 2009-2010, dans lequel je me suis impliqué.
Bilan de l’expérience d’un militant de la Coordination Lycéenne Indépendante à Colmar
L’année scolaire 2009-2010 fut la deuxième année de lutte pour les militants de la Coordination Lycéenne Indépendante [2], organisation qui s’est créée spontanément en 2008 et qui regroupe des lycéens et des étudiants d’Alsace, principalement du Haut Rhin (68), dans le but de résister à la privatisation rampante de l’éducation, mais aussi à toutes les autres attaques libérales auxquelles nous devons faire face, y compris dans le monde du travail. De ce fait, nous œuvrons activement à la convergence des luttes sociales et fonctionnons en respectant le principe de base de l’autogestion, sans dirigeants ni dirigés.
La CLI découvre le MJS !
Nous prônons depuis le début l’autonomie de la jeunesse dans les luttes, ce qui implique non pas un sectarisme ou un corporatisme exacerbé que nous combattons tout autant que les réformes réactionnaires des gouvernements européens, mais une indépendance vis-à-vis des principales directions syndicales, notamment celles qui nous concernent directement en tant que jeunes étudiants (et qui sont assujetties à certaines organisations de la gauche institutionnelle), ainsi que tout autre mouvement de jeunesse social-démocrate. En complément de ces principes de base, nous essayons également de nous former politiquement en invitant des enseignants, des ouvriers et même des organisations politiques, afin de discuter, débattre et profiter de l’expérience des « anciens ». Pour nous, c’est aussi une manière de lutter contre la dépolitisation de la jeunesse largement répandue, notamment à cause au dogme de l’apolitisme, dominant dans les syndicats lycéens, qui gangrène les consciences. Néanmoins, jusqu’au début de cette année scolaire, nous n’avions pu que très succinctement assister aux pratiques de ce genre de structure social-démocrate, même si la création de notre organisation nous attira les foudres du MJS [3] du département voisin (le Bas-Rhin) où nous n’étions que très peu implantés, car dans le Haut-Rhin aucune organisation de jeunes n’existait, exceptée la nôtre. Nous n’avions donc jamais réellement milité aux côtés d’autres organisations de ce type… Notre méfiance était alors alimentée par de brèves expériences dans le département voisin, par des rumeurs ou des mises en garde de militants plus expérimentés et par une sorte de rejet primaire de toute organisation hiérarchique. Mais la donne changea courant février 2010, où l’on apprit (par pur hasard) qu’un comité FIDL [4] allait s’implanter dans le Haut-Rhin. Après déjà cinq manifestations organisées sur Colmar et Mulhouse (et une charge de gardes mobiles qui nous coûta l’une de nos banderoles, notre mégaphone appelé affectueusement « Marx » et surtout… l’un de nos camarades qui se retrouva au tribunal), le mouvement commençait à s’essouffler du fait d’une répression policière et administrative accrue et du manque de combativité des directions syndicales lycéennes. Malgré un mouvement étudiant européen vigoureux, la démobilisation fut massive au niveau national. Notre moral était au plus bas, aussi la nouvelle de la création de la FIDL nous parut, étrangement, de bon augure pour la suite. Un premier contact se fit sous forme d’une réunion qui visait à organiser la manifestation du 26 février 2010. La FIDL était d’accord pour, dans un premier temps, rester à l’écart de l’organisation. On découvrit par la suite qu’elle avait appelé la presse locale et France 3 Alsace pour les prévenir que « la FIDL68 allait organiser une manifestation contre la casse de l’éducation », et ce, au mépris de leur engagement initial. Autre fait troublant, nous découvrîmes également l’étrange proximité que la FIDL entretenait avec la Direction centrale du Renseignement intérieur (nouveau nom des Renseignements Généraux) lorsque le président local de ce syndicat me fit part des remerciements qu’il aurait reçu de cette dernière pour « le bon maintien de l’ordre dans le cortège de la dernière manifestation » (!). Il s’est avéré enfin que cette même FIDL existait déjà depuis le début de l’année scolaire 2008. Mais où était-elle durant tout ce temps ? Lors de la grande vague de protestation lycéenne en Alsace ? Serait-ce un indice de l’inutilité de ce genre de structure à notre échelle ?
Une manif « socialiste »…
Le 30 mars 2010 nous décidâmes, moi et quelques camarades, de nous rendre à Strasbourg pour participer à la manifestation contre la privatisation de l’école publique puis à l’AG [5] censée donner des perspectives au mouvement alsacien pour les mois suivants. Nous nous sommes vite rendu compte que les jeunes du MJS épaulés par le SGL (Syndicat Général des Lycéens) dirigeaient fermement la manifestation. En effet, après s’être attribué visuellement une partie du cortège constitué de quelques 500 manifestants et manifestantes, grâce à une distribution massive d’autocollants, ces jeunes « socialistes » (une vingtaine) se permirent de nous arracher des mains le mégaphone, jugeant nos slogans trop politiques, voire radicaux, tout en déblatérant un discours moralisateur sur ce que nous devions faire ou ne pas faire. Puis, une fois le cortège arrivé devant le lycée Jean-Rostand, proche du campus, nous constatâmes que les grilles étaient closes pour empêcher des lycéens et lycéennes de nous rejoindre. Ces grilles se trouvaient dans une rue à notre droite, à une vingtaine de mètres des arrêts de tram où nous nous trouvions. Pour faire pression sur l’administration, de nombreux manifestants et manifestantes se dirigèrent spontanément vers ces grilles, entraînant par là même le reste du cortège. Mouvement trop audacieux pour nos jeunes petits chefs en rose, qui formèrent aussitôt un cordon pour nous empêcher d’avancer tout en nous intimant vigoureusement l’ordre de faire volte face et de nous asseoir sur le parcours déclaré en attendant patiemment que les professeurs de la CGT (trois ou quatre), qui nous accompagnaient depuis le début, « règlent cette situation intolérable ! »… Les mêmes professeurs qu’on avait vu donner des conseils au dirigeant de la SGL avant et tout au long de cette manifestation ! Résultat, les grilles restèrent closes, le cortège reprit tranquillement sa route en direction du patio de l’Université de Strasbourg où nous apprîmes par la suite que des lycéens de Jean-Rostand avaient été arrêtés par les forces de l’ordre pour avoir eu l’audace d’escalader les barreaux de leur prison en vue de nous rejoindre ! La présence du cortège devant le lycée aurait au moins permis d’éviter ces arrestations. Le minimum syndical (justement !) aurait été de se concerter pour pouvoir dégager les aspirations de chaque groupe, mais les pontes du SGL et du MJS ne semblaient pas en ressentir le besoin…
Nous n’avons pas les mêmes valeurs
L’assemblée générale débuta peu de temps après dans le patio. Nous étions environs 300 lycéens et lycéennes, mais aussi enseignants, enseignantes, étudiants et étudiantes. Première constatation, la tribune de l’AG était uniquement composée de membres du SGL et du MJS… évidemment, l’ordre du jour fut imposé à l’assemblée, et avant de commencer, la tribune décréta que les étudiants ne pourraient pas intervenir sous prétexte que les lycéens devaient s’organiser entre eux, oubliant que les organisations étudiantes et enseignantes avaient aussi appelé à cette manifestation, tout comme à l’AG. Comme si nos intérêts divergeaient ! Comme si nous ne menions pas une lutte commune ! Les protestations fusèrent automatiquement des étudiants et étudiantes, mais aussi d’une partie des lycéens et lycéennes qui prirent partie pour ces derniers. Nous réussîmes à arracher le droit de parole puis nous abordâmes le premier point, sorte de survol de la réforme Chatel [6]. La tribune prit de haut les jeunes des lycées professionnels qui étaient présents à l’avant de l’amphithéâtre. Un ponte du SGL s’exprima en ces termes tout en regardant en direction de ceux-ci : « Pour ceux qui n’auraient pas encore compris en quoi consiste cette réforme, nous allons leur expliquer le plus simplement possible ». Néanmoins (et à la surprise de la tribune), ces « sous-développés » réussirent à déchiffrer les arcanes du langage social-démocrate en localisant le cynisme de la formule. C’est en toute logique donc qu’ils quittèrent l’assistance en nous souhaitant bonne chance au passage, emportant à leur suite nombre de lycéens et lycéennes. A la fin de l’AG, nous n’étions plus qu’une centaine, l’hémorragie n’ayant pas cessé depuis l’événement… Nous avons pris la parole pour dénoncer le double jeu des principales centrales syndicales et des autres mouvements de la social-démocratie, ce qui nous valu les acclamations d’une bonne partie de l’amphi, et des mines décomposées de la part de la tribune.
Notre opinion est faite
L’AG ayant décidé de reconduire le mouvement à la rentrée, le 22 avril précisément, nous décidâmes, malgré l’essoufflement du mouvement, de suivre le mot d’ordre le matin sur Colmar. Mais, sans trop de surprise, seule une trentaine de personnes répondirent à l’appel devant le lycée Camille-Sée, d’où nous décidâmes de bloquer le carrefour de la gare. Et à peine avions-nous déployé notre banderole sur ledit carrefour que le présumé leader fut arrêté ainsi que sept autres manifestants et manifestantes. A la suite de cet événement, la FIDL s’empressa de traiter la CLI de bande « d’incapables et d’irresponsables », tout comme le SGL de notre département (constitué de deux ou trois personnes). Le président de ce dernier syndicat ayant même appelé le maire de Colmar, monsieur Gilbert Meyer [7], afin de s’assurer qu’il ne portera pas plainte… Il put même avoir accès au dossier constitué par les Renseignements intérieurs [8] sur l’une de nos militantes et nous affirma en plus que les flics « ne sont pas nos ennemis » ! Ils seraient donc des alliés éventuels ? L’après-midi, nous nous rendîmes à Strasbourg où la manifestation fut boycottée par les MJS… A la suite de cette journée, dernière strictement consacrée à la défense de l’éducation, nous participâmes aux grèves interprofessionnelles comme nous l’avions fait tout au long de l’année, afin de tisser des liens avec les travailleurs et travailleuses et de montrer que la jeunesse est aussi active. La FIDL locale nous fit comprendre qu’elle ne participerait plus à nos journées, nous jugeant trop « radicaux », ni même aux journées de grève interprofessionnelle en arguant que « cela ne nous regarde pas ». A partir de fin avril, après avoir sans doute atteint leur quota annuel de révolte, ils abdiquèrent officiellement.
Cette année de lutte fut très enrichissante. Nous avons pu tester nos limites et mettre un visage sur nos ennemis, identifier les pratiques à combattre, constituer un noyau militant solide tout en attirant de nouvelles personnes sur nos bases, notamment un membre de la FIDL68. Bien sûr, les années à venir seront éprouvantes, mais il ne faudra pas baisser les bras : nous continuerons à dénoncer et à lutter contre les réformes et les principales directions syndicales qui œuvrent à la démobilisation et à la dépolitisation de la jeunesse. Notre but sera très clairement de remobiliser la base pour pouvoir déborder localement les structures institutionnelles qui se sont révélées être des obstacles à la lutte et de contribuer à une coordination nationale (par exemple dans le cadre du collectif du Front de Lutte pour l’Education auquel nous participons activement) à même de rassembler sur des bases saines et combatives.
Spartacus, août 2010
Le maire + le proviseur versus les lycéen-ne-s
Un an avant le mouvement dont il est question dans le texte précédent, des manifestations lycéennes ont également eu lieu à travers la France, notamment à Colmar. Le maire de Colmar, Gilbert Meyer, n’a pas hésité à se la jouer démago et à intervenir à sa façon pour « punir » les lycéen-ne-s rebelles (et les autres aussi, il n’a pas fait de détail) de l’établissement Camille-Sée, censé-e-s être les uniques auteur-e-s de l’agitation qu’a connu à Colmar la journée de manifestation du 19 mars 2009.
Une mesure qui avait évidemment pour but de créer la discorde au sein des lycéen-ne-s, espérant que certain-e-s feraient la morale aux « rebelles » tandis que ces dernier-e-s se mettraient peut-être à culpabiliser, allez savoir... Cette décision (cf. plus loin la copie de la lettre du maire, datée du 23 mars 2009) incluait principalement l’annulation de trois voyages scolaires prévus en Irlande du Nord, en Allemagne et à Venise [9].
En réponse, le proviseur du lycée, Michel Schelcher-Beyer, écrit une lettre au maire [10] dès le 31 mars 2009, dans laquelle il se désole de « l’image extrêmement négative que donnent aujourd’hui certains manifestants, à la fois d’eux-mêmes comme de leur groupe d’appartenance (leur entreprise pour les ouvriers, le club pour les supporters, l’école pour les lycéens, l’Université pour les étudiants...) ». A partir de là, le proviseur invite le maire à s’unir à ses efforts contre les affreuses minorités lycéennes : « ici l’incivilité, là le vandalisme, exigent que nos rangs soient denses, et que ne manquent ni le courage ni la force de l’engagement ».
Faire grossir les « rangs » de ceux qui ont le « courage » et la « force de l’engagement » pour recadrer et réprimer les auteur-e-s d’incivilités et de vandalisme. Choisis ton camp, camarade !
Zanzara athée, janvier 2011
Gibert Meyer, maire de Colmar, perd la boule, par Jakouille, le 2 avril 2009.
Le (...) maire de Colmar, Gilbert Meyer, 68 ans, vient à nouveau de se distinguer.
En lisant le journal, hier, je croyais à un Poisson d’Avril, mais l’info est reprise ce matin par L’Alsace, c’est donc incroyable mais vrai.
Gilbert Meyer a décidé de suspendre les subventions aux voyages d’études du Lycée Camille-Sée, pour le motif que 250 des 1200 lycéens de l’établissement ont participé à la manifestation du 19 mars, en traitant les forces de police et le gouvernement « de noms d’oiseaux » selon le maire, et en n’ayant pas respecté le parcours prévu… Il faut préciser qu’aucune dégradation, ni atteinte aux biens privés ni publics, n’a été constatée.
Là je m’inquiète : on peut donc être sénile à 68 ans, pôvre de moi, je m’en approche à petits pas…
Voir aussi l’article « Le maire punit le lycée Camille-Sée », paru dans les Dernières Nouvelles d’Alsace le 31 mars 2009, et « Colmar : le maire fouettard prive de voyage les lycéens rebelles », paru sur le site Rue89 le 2 avril 2009.
[1] cf. par exemple les nombreuses brochures qui se trouvent dans les rubriques Mouvements sociaux et Education / système scolaire d’infokiosques.net.
[2] Note de Zanzara athée (NDZA) : CLI, cf. http://manifestationscolmar.forumac....
[3] NDZA : Mouvement des Jeunes Socialistes, affilié au Parti socialiste.
[4] NDZA : Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne, liée au Parti socialiste et à SOS Racisme.
[5] NDZA : Assemblée générale.
[6] NDZA : cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Luc_Chatel.
[7] Note de Spartacus : Gilbert Meyer jouit d’une renommée nationale, notamment pour avoir coupé les subventions pour les voyages scolaires du lycée Camille-Sée début 2009 afin de condamner les lycéens et lycéennes qui avaient eu l’audace de manifester !
[9] NDZA : Bon, comme le chantaient Sheila et Ringo en 1973, on dira « Laisse les gondoles à Venise / (...) / On n’ouvre pas les valises / On est si bien / (...) / Mets-nous un peu de musique / ’Et prends ma main ».
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