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Queer Nation Manifesto
mis en ligne le 14 décembre 2010 - Queer Nation
QUEER NATION MANIFESTO
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Texte d’un manifeste initialement distribué par des personnes marchant aux côtés du contingent d’Act Up à la Gay Pride de New York, 1990.
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Comment te dire. Comment te convaincre, frère, soeur, que ta vie est en danger, que tous les jours où tu te réveilles vivantE, relativement heureuSE et en bonne santé, tu commets un acte de rébellion. En tant que queer vivantE et en bonne santé, tu es unE révolutionnaire. Il n’y a rien sur cette planète qui valide, protège ou encourage ton existence. C’est un miracle que tu sois là à lire ces mots. Selon toute logique, tu devrais être mortE.
Ne te méprends pas, le monde appartient aux hétéros, et la seule raison pour laquelle tu as été épargnéE c’est parce que tu es intelligentE, chanceuSE, ou unE battantE. Les hétéros ont un privilège qui leur donne le droit de faire ce qu’ils veulent et de baiser sans peur. Mais ils ne font pas que vivre une vie sans peur ; leur liberté, ils me la balancent à la gueule. Leurs images sont sur ma télé, dans le magazine que j’ai acheté, dans le restaurant où je désire manger, et dans la rue où j’habite. Je réclame un moratoire sur le mariage hétéro, sur les bébés, sur les démonstrations publiques d’affection envers le sexe opposé et les images médiatiques qui promeuvent l’hétérosexualité. Tant que je ne jouirai pas de la même liberté de mouvement et de sexualité que les hétéros, leur privilège doit cesser et doit m’être donné à moi et à mes frères et soeurs queers.
Les hétéros ne feront pas cela volontairement, donc ils doivent être forcés à le faire. Nous devons les forcer par la peur. Nous devons les terroriser. La peur est la plus puissante des motivations. Personne ne va nous donner ce qui nous revient. Les droits ne sont pas accordés, ils sont pris, par la force si nécessaire.
Il est plus facile de se battre quand on connaît son ennemi. Les hétéros sont ton ennemi. Ils sont ton ennemi lorsqu’ils ne reconnaissent pas ton invisibilité et continuent de vivre dans / de contribuer à une culture qui te tue.
Chaque jour l’unE de nous est prisE par l’ennemi. Que ce soit une mort due au Sida à cause de l’inaction d’un gouvernement homophobe ou une gouine tabassée dans un resto de nuit (au milieu d’un quartier prétendument lesbien), nous sommes systématiquement abattuEs, et nous continuerons à être éliminéEs jusqu’à ce que nous réalisions que s’ils s’en prennent à l’unE de nous, ils doivent s’en prendre à nous touTEs !
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Une armée d’amantEs ne peut perdre. [1]
Etre queer n’a rien à voir avec un droit à la vie privée, il s’agit de la liberté à être public, à être ni plus ni moins que ce que nous sommes. Cela signifie se battre contre l’oppression chaque jour, l’homophobie, le racisme, la misogynie, le sectarisme des hypocrites religieux et notre propre haine de nous-même (on nous a soigneusement appris à nous haïr nous mêmes). Et maintenant bien sûr cela signifie combattre un virus également, et tous ces homophobes qui utilisent le SIDA pour nous effacer de la surface de la Terre.
Etre queer signifie mener une vie différente. Il ne s’agit pas de la tendance dominante, de profit sur la marge, de patriotisme, de patriarcat ou d’être assimiléE. Il ne s’agit pas de PDG, de privilèges ou d’élitisme mais d’être dans les marges, de se définir, il s’agit de niquer son genre, de secrets, de ce qui est sous la ceinture et tout au fond du coeur ; il s’agit de la nuit. Etre queer émane de la base parce que nous savons que chacunE de nous, chaque corps, chaque chatte, chaque coeur et cul et bite est un monde de plaisir qui attend d’être exploré. ChacunE de nous est un monde d’infinies possibilités.
Nous sommes une armée parce que nous devons l’être. Nous sommes une armée car nous sommes puissantEs (nous avons tant de choses pour lesquelles nous devons nous battre ; nous sommes la plus précieuse de toutes les espèces en danger). Et nous sommes une armée d’amantEs parce que c’est nous qui savons ce qu’est l’amour. Même chose pour le désir et la luxure. Nous les avons inventés ! Nous sortons du placard, faisons face au rejet de la société et aux pelotons d’exécution, juste pour s’aimer ! Chaque fois que nous baisons, nous gagnons.
Nous devons nous battre pour nous-mêmes (personne ne le fera pour nous) et si dans ce processus nous amenons plus de liberté au monde dans son ensemble, et bien tant mieux (nous avons tant donné au monde : la démocratie, tous les arts, les concepts d’amour, de philosophie, et d’âme, juste pour nommer quelques uns des présents de nos ancêtres Pédés et Gouines GrecQUEs). Faisons de tous les espaces un espace queer. Chaque rue est une parcelle de notre géographie sexuelle. Une cité de désir ardent et de totale satisfaction. Une cité et un pays où nous pouvons être en sécurité, libres et plus encore. Nous devons étudier nos vies et ce qu’il y a de meilleur dans celles-ci, voir ce qui est queer et ce qui est hétéro et se débarrasser de cette mauvaise herbe hétéro. Souviens-toi que nous avons si peu de temps. Et je veux être unE amantE pour chacunE de vous. L’année prochaine, nous marcherons nuEs.
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Je suis en colère
Nos courageuses soeurs ont dit à nos frères qu’il y a deux choses importantes à retenir à propos des révolutions à venir. La première est que nous allons nous faire botter le cul. La seconde est que nous allons gagner.
Je suis en colère. J’enrage d’être condamné à mort par des étrangers qui disent "tu mérites de mourir" et "le SIDA, c’est le remède". Ma fureur éclate quand une femme du parti républicain [2] portant des milliers de dollars de vêtements et bijoux ne mâche pas ses mots près des lignes de police, secouant la tête, gloussant et agitant son doigt vers nous comme si nous étions des enfants récalcitrants ayant d’absurdes demandes et faisant un caprice quand elles ne sont pas satisfaites. En colère quand Joseph agonise de 8 000 $ par an pour de l’AZT [3] qui le tiendra peut-être en vie un petit peu plus longtemps mais qui le rend plus malade que la maladie pour laquelle il a été diagnostiqué. En colère quand j’écoute un homme me raconter qu’après avoir changé son testament 5 fois il n’a plus personne à qui laisser ses biens. TouTEs ses meilleurEs amiEs sont mortEs. En colère quand je me tiens sur un immense patchwork [4], ou quand je vais à une marche de nuit ou assiste à une enième cérémonie du souvenir. Je ne marcherais pas silencieusement avec un putain de cierge et je veux prendre ce putain de patchwork, m’y enrouler et le déchirer. Et je maudis toutes les religions que Dieu a jamais créé. Je refuse d’accepter une création de Dieu qui supprime les genTEs dans la troisième décennie de leur vie. C’est cruel et infecte, et ça n’a pas de sens et tout en moi s’insurge contre cette absurdité. Je lève ma tête vers les nuages et un rire saccadé qui semble plus démoniaque que joyeux sort de ma gorge et des larmes ruissellent sur mon visage et si cette maladie ne me tue pas, je pourrais juste mourir de frustration. Mes pieds battent le pavé et les mains de Peter sont enchaînées au bureau d’accueil d’une compagnie pharmaceutique pendant que la réceptionniste le considère avec horreur et que le corps d’Eric pourri dans un cimetière de Brooklyn et je n’entendrais plus jamais sa flûte résonner à travers les murs du Centre de nouveau. Et je vois les vieux/vieilles dans Tompkins Square Park recroquevilléEs dans leurs longs manteaux de laine en juin pour se protéger du froid qu’ils/elles ressentent et se cramponner au peu que la vie leur offre, et je pense, ah, ils/elles comprennent, eux/elles. Et je me rappelle des genTEs qui se déshabillent et se tiennent face au miroir chaque soir avant d’aller se coucher, à la recherche de toute marque qui n’aurait pas été là le jour d’avant. Une marque que ce fléau est passé par elleux. Et je suis en colère quand les journaux nous appellent des "victimes" et s’inquiètent que "cela" se répande au "reste de la population". Et je veux crier "Qui suis-je putain ?". Et je veux crier sur l’Hôpital de New York avec ses sacs jaunes en plastique marqués "linge d’isolation", "ropa infecciosa" et ses aides-soignantEs en gants de latex et masques chirurgicaux qui contournent le lit comme si son occupantE allait tout à coup bondir et les arroser de sang et de sperme leur transmettant l’épidémie à elles/eux aussi. Et je suis en colère contre les hétéros qui restent assis l’air suffisant, emmitouflés dans leur monogamie et hétérosexualité rassurantes, certains que cette maladie n’a rien à voir avec eux parce que ça n’arrive qu’aux "autres". Et les adolescentEs qui, quand ils/elles repèrent mon badge "Silence = Mort" commencent à chanter "Les pédés vont mourir" et je me demande, qui leur a appris cela ? Enveloppé de fureur et de peur, je reste silencieux pendant que mon badge me raille à chaque pas. Et puis il y a aussi la colère que je ressens quand un programme télévisé donne des profils de mortEs et que la liste commence par un bébé, une adolescente qui a eu une transfusion sanguine, un vieux prêtre baptiste et sa femme et quand enfin ils montrent un pédé, il est décrit comme quelqu’un qui a consciemment infecté des prostitués adolescents avec le virus. Que pourriez-vous attendre d’autre d’une pédale ? Je suis en colère.
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(sans titre)
Depuis que le monde est monde, il a été inspiré par des artistes queers. En échange, il y a eu de la souffrance, il y a eu de la douleur, il y a eu de la violence. A travers l’histoire, la société a conclu un marché avec ces citoyenNEs queers : ils/elles doivent poursuivre des carrières artistiques, s’ils/elles le font discrètement. Par les arts les queers sont productifVEs, lucratifVEs, divertissantEs et même inspirantEs. Tels sont les effets précis et utiles de ce qui est autrement considéré comme un comportement anti-social. Dans les cercles cultivés, les queers peuvent coexister avec une élite par ailleurs désapprobatrice.
A l’avant-garde de la plus récente campagne contre les artistes queers se tient Jesse Helms [5], arbitre de tout ce qui est décent, moral, chrétien et américain. Pour Helms, l’art queer est tout simplement une menace pour l’humanité. Dans son imagination, la culture hétérosexuelle est trop fragile pour supporter la reconnaissance de la diversité humaine et sexuelle. Pour faire simple, le monde judéo-chrétien a fait de la procréation sa pierre angulaire. Les familles qui font des enfants assurent la consommation pour les produits de la nation ainsi qu’une main d’oeuvre pour les produire, tout comme le système familial intégré s’occupe de ses maux, réduisant ainsi les dépenses du système de sécurité sociale. "Tout comportement non-procréateur est considéré comme une menace", de l’homosexualité à la contraception en passant par le choix de l’avortement. Ce n’est point assez, pour le droit religieux, de constamment promouvoir la procréation et l’hétérosexualité ...il est également nécessaire de détruire toute alternative. Ce n’est pas à l’art qu’en veut Helms... c’est à nos vies ! L’art est le dernier espace sûr où les gouines et les pédés se portent bien. Helms le sait, et a développé un programme pour purger les queers du seul espace où ils/elles ont reçu le droit de contribuer à notre culture commune.
Helms prêche pour un monde sans diversité ni dissidence. Il est facile d’imaginer pourquoi cela semble plus confortable aux responsables d’un tel monde. Il est aussi facile d’imaginer un paysage américain aplati par un tel pouvoir. Helms devrait juste demander ce à quoi il fait allusion : un art sponsorisé par l’Etat, un art totalitaire, un art qui ne parle qu’en termes chrétiens, un art qui soutient les objectifs de ceux au pouvoir, un art qui va avec les sofas du Bureau Ovale [6]. Demande ce que tu veux vraiment, Jesse, afin que les hommes et les femmes de conscience puissent se mobiliser contre, comme nous le faisons contre les violations des droits de l’homme d’autres pays, et nous battons pour libérer les dissidentEs de notre propre pays.
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Si tu es Queer, Crie le !
Les queers sont en état de siège.
Les queers sont attaquéEs sur tous les fronts et j’ai bien peur que nous l’acceptions. En 1969, les Queers furent attaquéEs. Ils/Elles ne l’ont pas accepté. Les queers se sont défenduEs, ont pris la rue. [7]
Ils/Elles ont crié !
En 1990 on a compté 50 agressions homophobes rien que pour le mois de Mai. Des agressions violentes. 3 720 hommes, femmes et enfants sont mortEs du Sida dans ce même mois, à cause d’une attaque encore plus violente - l’inaction du gouvernement, qui prend ses racines dans l’homophobie grandissante de la société. Ceci est de l’homophobie institutionnalisée, peut-être plus dangereuse encore pour l’existence des queers parce que les agresseurs n’ont pas de visages. Nous permettons ces attaques par notre manque d’action continue à leur encontre. Le Sida a affecté le monde des hétéros et maintenant ils nous reprochent le Sida et l’utilisent pour justifier leur violence à notre encontre. Ils ne nous veulent plus désormais. Ils nous frapperont, violeront, et tuerons avant de continuer à vivre avec nous. Que faudrait-il pour que l’on cesse d’accepter Cela ? Enragez-vous. Si la rage ne vous donne pas envie d’agir, essayez la peur. Si cela ne marche pas essayez la panique.
Crie le !
Sois FierE ! Fais ce que tu dois faire pour te tirer de ton état d’acceptation coutumier. Sois libre. Crie.
En 1969, les Queers se sont battuEs. En 1990, les Queers acceptent.
/L’an prochain, serons-nous encore là ?/
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(sans titre)
Je hais Jesse Helms. Je hais Jesse Helms tellement que je me réjouirais s’il s’effondrait mort. Si quelqu’unE le tuait je considérerais qu’il l’a bien cherché.
Je hais Ronald Reagan [8] aussi, parce qu’il a massacré mes confrères et consoeurs pendant 8 ans. Mais pour être honnête je le hais plus encore pour avoir fait l’éloge de Ryan White [9] sans s’être d’abord reconnu coupable, sans avoir imploré le pardon pour la mort de Ryan et pour la mort de dizaines de milliers d’autres séropos- la plupart d’entre elleux étant queers. Je le hais de tourner notre chagrin en dérision.
Je hais ce putain de Pape, je hais ce putain de Cardinal John O’Connor
[10], je hais cette putain d’Eglise Catholique dans son ensemble. Pareil pour l’Armée et particulièrement pour les flics - des sadiques soutenus par l’Etat qui brutalisent les travestiEs de rue, les prostituéEs, et les prisonnièrEs queers. Je hais aussi les institutions médicales et mentales, particulièrement le psychiatre qui m’a convaincu de ne pas baiser avec des hommes pendant 3 ans jusqu’à ce que nous (ou plutôt lui) puissions faire de moi un bisexuel plutôt qu’un queer. Je hais aussi la profession enseignante, qui contribue à conduire des centaines d’ados queers à se suicider chaque année. Je hais le monde artistique "respectable" ; et l’industrie du divertissement, et les médias dominants, particulièrement le New York Times. En fait, je hais chaque secteur de l’ordre établi hétéro de ce pays - dont les pires veulent activement la mort de touTEs les queers, dont les meilleurs ne lèverait pas le petit doigt pour nous garder en vie.
Je hais les hétéros qui pensent qu’ils ont quoi que ce soit d’intelligent à dire à propos du "outing". Je hais les hétéros qui pensent que leurs histoires sont "universelles" mais que nos histoires ne sont qu’à propos d’homosexualité. Je hais les hétéros qui enregistrent des artistes qui font leur carrière sur le dos des queers, puis nous attaquent, puis font les blessés quand nous nous mettons en colère, puis nient le fait de nous avoir fait du tort plutôt que de s’en excuser. Je hais les hétéros qui disent "Je ne comprends pas pourquoi tu ressens le besoin de porter ces badges et ces T-shirts. Je ne vais pas partout dire au monde entier que je suis hétéro, moi".
Je hais le fait qu’en 12 ans d’éducation publique on ne m’ait jamais rien appris à propos des queers. Je hais le fait d’avoir grandi en pensant que j’étais le seul queer au monde, et je hais encore plus le fait que la plupart des enfants queers grandissent toujours de la même façon. Je hais le fait d’avoir été tourmenté par les autres enfants parce que j’étais pédé, mais plus encore que l’on m’ait appris à avoir honte d’être l’objet de leur cruauté, appris à penser que c’était ma faute. Je hais que la cour suprême de ce pays dise que c’est bien de me criminaliser à cause de la façon dont je fais l’amour. Je hais le fait que tant d’hétéros soient si inquiets de ma putain de vie sexuelle. Je hais le fait qu’autant d’hétéros malsains deviennent parents alors que je dois me battre pour être autorisé à être père. Je hais les hétéros.
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Où êtes-vous mes soeurs ?
L’invisibilité est notre responsabilité.
Je porte mon triangle rose partout. Je ne baisse pas la voix en public lorsque je parle de sexe ou d’amour lesbien. Je dis toujours aux genTEs que je suis gouine. Je n’attends pas qu’on me questionne sur mon "petit ami". Je ne dis pas que "ce ne sont pas leurs oignons".
Je ne fais pas cela pour les hétéros. La plupart d’entre eux ne savent même pas ce que le triangle rose symbolise. La plupart d’entre eux ne pourraient pas s’en foutre plus que ma petite amie et moi, nous sommes complètement amoureuses ou nous nous disputons dans la rue. La plupart d’entre eux ne nous remarquent pas, quoique nous fassions. Ce que je fais je le fais pour atteindre d’autres gouines. Je fais ce que je fais parce que je ne veux pas que les autres lesbiennes pensent que je suis une fille hétéro. Je suis OUT tout le temps, partout, parce que je veux t’atteindre. Peut-être que tu me remarqueras, peut-être qu’on commencera à discuter, peut-être qu’on deviendra amies. Peut-être que tu ne diras pas un mot mais nos yeux se rencontreront et je t’imaginerais nue, transpirante, la bouche ouverte, ton dos cambré alors que je te baise. Et nous serons heureuses de savoir que nous ne sommes pas seules au monde. Nous serons heureuses parce que nous nous sommes trouvées, sans dire un mot, peut-être juste pour un instant.
Mais non.
Tu ne porteras pas de triangle rose sur ce revers de linge. Tu ne croiseras pas mon regard si je flirte avec toi dans la rue. Tu m’évites soigneusement parce que je suis "trop" out. Tu me punis dans les bars parce que je suis "trop politique". Tu m’ignores en public parce que j’attire "trop" l’attention sur "mon" lesbianisme. Mais ensuite tu veux que je sois ton amante, tu veux que je sois ton amie, tu veux que je t’aime, te soutienne, me batte pour "notre" droit d’exister.
Où êtes vous donc ?
Tu parles, parles, parles d’invisibilité et puis tu te retires chez toi pour faire ton nid avec tes amantes ou tu te saoules avec des potes dans un bar et trébuche dans un taxi vers ta maison, ou tu t’assois silencieusement et poliment pendant que ta famille, ton patron, tes voisins, les fonctionnaires nous dévisagent et nous défigurent, nous tournent en ridicule et nous punissent. Puis chez toi de nouveau, tu as envie de crier. Puis tu adoucis cette colère avec une relation ou une carrière ou une fête avec d’autres gouines comme toi, et tu te demandes toujours pourquoi on ne se trouve pas, pourquoi tu te sens seule, en colère, aliénée.
Levez vous, Réveillez vous mes soeurs !
Vos vies sont entre vos mains.
Quand je risque tout pour être out, je prends ce risque pour nous deux. Quand je risque tout et que ça marche (ce qui arrive souvent si tu essayais), j’en bénéficie et toi aussi. Quand cela ne marche pas, j’en souffre et toi non.
Mais tu ne peux pas attendre que les autres gouines rendent le monde safe pour toi. Arrête d’attendre un meilleur futur plus lesbien ! La révolution pourrait être déjà là si on la commençait.
Où êtes vous mes soeurs ? Je vous cherche, je vous cherche. Comment se fait-il que je ne vous vois que le jour de la Gay pride ?
Nous sommes out. Putain où êtes vous ?
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(sans titre)
Quand n’importe qui vous attaque parce que vous êtes queer, c’est homophobe / lesbophobe / transphobe. Pas vrai ?
Une foule de 50 personnes sort d’un bar gay qui ferme. De l’autre côté de la rue, des garçons hétéros crient "pédés" et lancent des bouteilles de bière à la foule qui est en surnombre de 10 pour un. Trois queers ont un mouvement de réponse, n’obtenant aucun soutien de la part du groupe. Pourquoi un groupe de cette taille s’autorise à être victime ?
Tompkins Square Park, le 1er mai. A un spectacle annuel de drag queens en plein air, un groupe de pédés ont été attaqués par des ados armés de bâtons. Au milieu de milliers de pédés et de gouines, ces garçons hétéros tabassèrent deux gays, puis se tinrent là, riant triomphalement d’eux-mêmes. Les organisateurs/trices furent alertéEs et prévinrent la foule depuis la scène, "Les filles soyez prudentes. Lorsque vous vous habillez bien cela rend les garçons fous", comme si cela était une blague inspirée par ce que les victimes portaient plutôt qu’une attaque dirigée vers chacunE des participantEs de cet évènement. Qu’est-ce qu’il aurait fallu pour que cette foule tienne tête à ses agresseurs ?
Après que James Zappalorti, un homme ouvertement pédé, a été assassiné de sang froid à Staten Island cet hiver, une seule manifestation de protestation eu lieu. Seulement 100 personnes sont venues. Quand Yusef Hawkins [11], un jeune noir, fut abbatu pour avoir été sur "White turf" à Bensonhurst, les Afro-américainEs marchèrent à travers ce quartier en grand nombre encore et encore. Une personne noire a été tuée parce qu’elle était noire et les genTEs de couleur de toute la ville le reconnurent et en prirent acte. La balle qui toucha Hawkins s’adressait à un homme noir, n’importe quel homme noir. La plupart des pédés et des gouines pensent-illes que le couteau qui transperça le coeur de Zappalorti ne s’adressait qu’à lui ?
Le monde hétéro nous a rendu si convaincuEs que nous sommes sans défense et que nous méritons la violence dont nous sommes victimes, que les queers sont paralyséEs quand ils/elles font face à une menace. Soyez indignéEs ! Ces attaques ne doivent pas être tolérées. Faites quelque chose. Reconnaissez que tout acte d’agression envers unE membre de notre communauté est une attaque envers chacunE des membres de la communauté. Le plus nous autoriserons les homophobes à infliger violence, terreur et peur à nos vies, le plus fréquemment et férocement nous serons l’objet de leur haine. Vos corps ne peuvent être une cible ouverte à la violence. Vos corps valent la peine d’être protégés. Vous avez le droit de le défendre. Quoi qu’on vous dise, votre queeritude doit être défendue et respectée. Vous feriez bien d’apprendre que votre vie n’a pas de prix, parce qu’à moins que vous ne commenciez à y croire, elle pourra facilement vous être prise. Si vous savez comment immobiliser gentiment et efficacement votre agresseur, alors par tous les moyens, faites le. Si vous n’avez pas ces talents, alors pensez à lui crever ses putains d’yeux, lui faire rentrer son nez dans son cerveau, tranchez sa gorge avec une bouteille cassée - faites ce que vous pouvez, ce que vous avez à faire, pour sauver votre vie !
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Pourquoi Queer ?
Queer !
Ah, avons-nous vraiment à utiliser ce mot ? C’est un problème. Chaque personne gay le prend différemment. Pour certain cela signifie étrange et excentrique et quelque peu mystérieux. C’est bien, on aime ça. Mais certainEs pédés et gouines non. Ils/Elles pensent qu’ils/elles sont plus normauxLLES que bizarres. Et pour d’autres, "queer" évoque ces affreux souvenirs des souffrances adolescentes. Queer. C’est doux-amer et bizarre au mieux - vulnérabilisant et douloureux au pire. Est-ce qu’on ne pourrait pas utiliser "gay" plutôt ? C’est un mot plus éclatant. Et cela n’est-il pas un synonyme de "heureuxSE" ? Quand est-ce que vous, les militantEs, allez grandir et vous remettre de la nouveauté d’être différentEs ?
Pourquoi Queer...
Oui, "gay" c’est super. Ca a sa place. Mais quand illes se réveillent le matin, beaucoup de pédés et de gouines sont en colère et dégoutéEs, pas heureuxSES. Donc nous avons choisi de nous appeler queer.
Utiliser le mot queer est une façon de nous rappeler comment nous sommes perçuEs par le reste du monde. C’est une façon de nous dire à nous mêmes que nous n’avons pas à être des genTEs charmantEs et spirituelLEs qui gardent leurs vies discrètes et marginalisées dans le monde hétéro. Nous utilisons queer parce que les pédés aiment les gouines, et les gouines aiment être queer. Queer, contrairement à gay, ne signifie pas "homme".
Et quand nous parlons à d’autres pédés et gouines c’est une façon de suggérer que nous serrons les rangs, et oublions (temporairement) nos différences individuelles parce que nous faisons face à un ennemi commun qui est plus insidieux. Oui, Queer, peut être un mot difficile mais c’est aussi une arme vicieuse et ironique que nous pouvons voler aux mains de l’homophobe et l’utiliser contre lui.
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Non à la Police du Sexe
TouTEs ceux/lles qui affirment que faire son coming out ne fait pas partie de la révolution n’ont rien compris. Les images sexuelles positives et ce qu’elles engendrent sauvent des vies parce qu’elles affirment ces vies et créent la possibilité pour les genTEs d’essayer de vivre une vie d’amour-propre au lieu d’une vie de haine de soi. Comme le fameux "Black is Beautiful" a changé tant de vies, "Read my lips" balance la queeritude au visage de la haine et de l’invisibilité, comme le montre une récente étude gouvernementale qui établit qu’un tiers des suicides adolescents sont des gaminEs queers. Cela est également illustré par l’augmentation des transmissions VIH chez les moins de 21 ans.
Nous sommes particulièrement haïEs en tant que queers pour notre sexualité, c’est à dire notre contact physique avec le même sexe. Notre sexualité et son expression est ce qui nous rend le plus susceptible de violence physique. Notre différence, notre altérité, notre unicité, peut soit nous paralyser, soit nous politiser. Espérons-le, la majorité d’entre nous ne la laissera pas nous tuer.
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Sans titre
Pourquoi donc laissons-nous les hétéros rentrer dans des boîtes queer ? Qui en a quelque chose à foutre qu’ils nous aiment bien parce qu’ "on sait vraiment faire la fête" ? Il faut bien pour se relâcher de la pression qu’ils nous mettent à longueur de temps ! Ils peuvent se peloter où ils en ont envie, et prendre trop de place sur la piste de danse en faisant des danses de couple ostentatoires. Ils portent leur hétérosexualité comme un panneau "Défense d’entrer", ou comme un titre de propriété.
Pourquoi donc les tolérons nous quand ils envahissent notre espace comme si c’était leur droit ? Pourquoi les laissons nous nous bousculer avec leur hétérosexualité - une arme que leur monde pointe sur nous- en pleines gueules dans les rares endroits publics où l’on peut être sexy les unEs avec les autres et ne pas craindre d’agression ?
Il est temps d’arrêter de laisser les hétéros faire toutes les règles. Commençons par apposer cette pancarte devant chaque boîte et bar queer :
Règles de conduite pour les hétéros :
1. Restreignez vos démonstrations d’affection (s’embrasser, se tenir la main, se serrer dans les bras) au minimum. Votre sexualité n’est pas la bienvenue et offensante pour beaucoup ici.
2. Si vous devez dansez un slow, soyez le plus discret possible.
3. Ne fixez pas les gouines et les pédés, particulièrement les butchs et les drag queens, nous ne sommes pas vos bêtes de foire.
4. Si vous ne pouvez pas gérer que quelqu’unE du même sexe vous drague, sortez.
5. N’affichez pas votre hétérosexualité. Soyez discret. Prenez le risque d’être prisE pour une gouine ou un pédé.
6. Si vous trouvez que ces règles ne sont pas justes, allez vous battre contre l’homophobie dans les boîtes hétéros, ou
7. Allez vous faire enculer.
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Je hais les hétéros.
J’ai des amiEs. Certains sont hétéros.
Année après année, je continue à voir mes amis hétéros. Je veux les voir, voir comment ils vont, ajouter un peu de nouveauté à nos longues histoires, éprouver une certaine continuité.
Année après année je continue de réaliser que les faits de ma vie n’ont aucun intérêt pour eux et que non seulement ils ne m’écoutent qu’à moitié, mais qu’en plus je ne suis qu’un appendice des faits et gestes d’un monde plus grand, un monde de pouvoir et de privilège, de lois d’appropriation, un monde d’exclusion.
"C’est pas vrai", se défendent mes amis hétéros. Voilà la seule certitude dans les relations de pouvoir : celleux laisséEs en dehors supplient d’être incluES, pendant que celleux qui sont dedans affirment qu’illes y sont déjà. Les hommes le font aux femmes, les blancs le font aux noirEs et tout le monde le fait aux queers.
La principale ligne de fracture, à la fois consciente et inconsciente, est la procréation... et ce mot magique - la famille. Fréquemment, celles dans lesquelles nous sommes néEs nous renient quand elles s’aperçoivent de ce que nous sommes vraiment, et pour empirer les choses, on nous empêche d’avoir la nôtre. Nous sommes puniEs, insultéEs, isoléEs et traitéEs comme des rebelles en ce qui concerne le fait d’éduquer des enfants, à la fois damnéEs si nous essayons et damnéEs si nous nous abstenons. Comme si la propagation de l’espèce était une directive si fragile que si on ne l’appliquait pas comme un plan quinquennal, l’espèce humaine sombrerait dans la boue primitive.
Je déteste avoir à convaincre les hétéros que les gouines et les pédés vivent dans une zone de guerre, que nous sommes entouréEs d’éclats de bombes que nous seulEs semblons entendre, que nos corps et âmes s’entassent haut, mortEs de peur ou tabasséEs ou violéEs, mourant de chagrin ou de maladie, débarasséEs de notre humanité.
Je hais les hétéros qui ne peuvent écouter la colère queer sans dire "hé, tous les hétéros ne sont pas comme ça. Je suis hétéro aussi, tu sais", comme si leurs égos ne recevaient pas assez de caresses ou de protection dans ce monde hétérosexiste arrogant. Pourquoi aurions nous à nous soucier d’eux, au milieu de notre juste colère causée par leur société de merde ?! Pourquoi rajouter le réconfort d’un "Bien sûr, je ne parle pas de toi. Tu ne te comportes pas de cette façon". Laissez les découvrir par eux mêmes s’ils méritent ou pas d’être inclus dans notre colère.
Mais bien sûr cela voudrait dire écouter notre colère, ce qu’ils ne font presque jamais. Ils l’éludent en disant "je ne suis pas comme ça" ou "regarde qui généralise maintenant" ou "Tu attraperais plus de mouches avec du miel.." ou "si tu ne vois que le mauvais tu ne fais que leur donner plus de pouvoir" ou "tu n’es pas lae seulE sur Terre à souffrir". Ils disent "Ne me crie pas dessus, je suis de ton côté" ou "Je pense que tu exagères" ou "Mec, comment t’es amer".
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Laissez vous aller à la colère
Ils nous ont appris que les bons queers ne se mettent pas en colère. Ils nous l’ont si bien appris que nous ne faisons pas que leur cacher notre colère, nous nous la cachons les unEs aux autres. Nous nous la cachons à nous-mêmes. Nous la cachons par l’abus de substances et le suicide et en visant haut avec l’espoir de prouver notre valeur. Ils nous tabassent et nous poignardent et nous abattent et nous envoient des bombes en nombre toujours plus grand et pourtant on continue de flipper quand des queers en colère portent bannières et pancartes qui disent "Riposte" (NDT : Bash Back !). Ces 10 dernières années ils nous ont laissé mourir en nombre et pourtant nous continuons de remercier le Président Bush pour avoir planté un putain d’arbre [12], de l’applaudir pour avoir comparé les séropos aux victimes d’accidents de voiture qui refusent de mettre leur ceinture de sécurité. Laissons nous aller à la colère. Laisse toi aller à la colère devant le fait que le prix de la visibilité soit la menace constante de violence, de violence anti-queer à laquelle pratiquement chaque parcelle de cette société contribue. Laisse toi enrager qu’il n’y ai aucun endroit dans ce pays où nous sommes en sécurité, aucun endroit où nous ne sommes pas la cible de haine et d’agression, de la haine de soi, du suicide - en dehors du placard.
La prochaine fois qu’un hétéro t’emmerde parce que tu es en colère, dis lui que tant que les choses ne changent pas, tu n’as pas besoin de plus de preuves que le monde tourne à tes dépends.
Tu n’as pas besoin de voir seulement des couple hétéros faire les courses à la télé. Tu ne veux plus une photo de bébé de plus jetée dans ta face tant que tu ne pourras en avoir ou en garder un toi-même. Plus de mariages, d’enterrements de vie de jeune fille/garçon, d’anniversaires de mariage, s’il vous plaît, à moins que ce soit nos propres sœurs et frères qui les célèbrent. Et dis lui de ne pas essayer de nous faire taire avec des conneries comme "Tu as des droits", "Tu as des privilèges", "Ta réaction est démesurée", ou "Tu as une mentalité de victime". Dis lui "Dégage de ma vue, tant que tu ne changes pas". Dégage et essaye un monde sans les queers courageuSE, fortEs qui sont sa colonne vertébrale, qui sont ses tripes et sa cervelle et son âme. Dites à ces hétéroflics de dégager tant qu’ils n’ont pas passé un mois marchant main dans la main en public avec quelqu’unE du même sexe. S’ils survivent à ça, là vous pourrez entendre ce qu’ils ont à dire sur la colère queer. Sinon, dites leur de la fermer et d’écouter.
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« Not GAY as in HAPPY but QUEER as in FUCK YOU »
Queer Nation
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Queer Nation était un groupe transpédégouine radical fondé en mars 1990 à New York aux Etats Unis par des militantEs d’ACT UP. Les quatres actvistes à l’origine du groupe étaient outragéEs par l’augmentation de la violence homo et lesbophobe dans les rues et les préjugés dans les arts et les médias. Le groupe est connu pour ses stratégies « dans ta face », ses slogans, et la pratique du « outing » (le fait de révéler publiquement, sans son consentement, qu’une personnalité a des relations homosexuelles). Queer Nation était un groupe d’action directe, se démarquant ainsi des associations lesbiennes, gaies, bi et trans assimilationnistes.
[1] « Or si on formait une cité ou une armée avec des amants et leurs aimés […]. Combattant ensemble, ils vaincraient l’humanité entière, car toute lâcheté est impossible quand on est prêt à mourir par amour » Le Banquet, Platon, in « discours de Phèdre »
[2] Le parti Républicain est le parti de droite dans le bipartisme étasunien.
[3] AZT : médicament antirétroviral, le premier utilisé pour le traitement de l’infection par le VIH.
[4] Référence au patchwork mémorial du Sida, un projet qui a débuté en 1987 pour commémorer les morts dues au SIDA. Il s’agit d’un immense patchwork formé d’innombrables pièces de tissu sur lesquelles les noms des victimes sont inscrits.
[5] membre ultra-conservateur de l’administration Reagan.
[6] nom donné au bureau du président des Etats-unis à la maison Blanche.
[7] Emeutes de Stonewall, série de manifestations spontanées et violentes contre un raid de la police qui a eu lieu dans la nuit du 28 juin 1969 à New York, au Stonewall Inn, dans le quartier de Greenwich Village. Ces évènements sont considérés comme le premier exemple de lutte des transpédégouines contre un système soutenu par les autorités et persécutant les homos et les travestiEs.
[8] Président des Etats Unis de 1981 à 1989, républicain donc conservateur.
[9] Adolescent blanc hémophile de l’Indiana, il fut diagnostiqué séropositif à la suite d’une transfusion. Son lycée apprenant la nouvelle, refusa de l’admettre en cours, ce qui l’a rendu célèbre.
[10] Archevêque de New York à partir de 1984, connu pour son activisme contre l’avortement et les capotes.
[11] Yussef Hawkins était un jeune afro-américain de 16 ans tué par deux balles dans la poitrine en août 1989 parce que lui et trois de ses amis avaient pénétré dans un quartier blanc.
[12] En 1990 le président Bush plante symboliquement un arbre en mémoire aux étudiantEs séropos.
Contact : queermanifesto[at]mailoo[dot]org
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