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Denain, Longwy nous montrent le chemin
mis en ligne le 3 février 2024 - Organisation Communiste Libertaire
Du 8 mars à Denain... au 23 mars à Paris
Après les émeutes de Denain du 8 mars, la CGT croyait pouvoir redorer son blason en promenant les sidérurgistes dans une manif traine-savate à Paris. Mais à Paris aussi dans la journée du 23 mars la manif à tourné à l’émeute.
Si ce journal porte le titre : "Denain Longwy nous montrent le chemin", c’est parce qu’il fut le cri de ralliement des émeutiers du 23 mars et de leurs nombreux sympathisants.
Nous avons décidé la sortie de ce journal pour contrebalancer la campagne à la fois grotesque et hystérique que mènent main dans la main le pouvoir, la grande presse (à l’exception de Libération), mais aussi tous les syndicats, les partis de gauche et les organisations d’extrême gauche. Tous n’ont voulu voir dans les affrontements du vendredi 23 que le fait de 100 ou 200 casseurs autonomes qui seraient venus là uniquement pour piller les magasins et qui pour l’opposition auraient en plus été manipulés par les flics pour faire le jeu du pouvoir. Soyons sérieux : 116 flics casqués, bottés et armés ont été blessés ; cela ne s’est jamais vu depuis 68 à Paris, de deux choses l’une : soit ces autonomes sont des "supemen" invincibles, soit plus probablement tous ces gens là vous mentent.
Nous avons été tout du long de ces évènements du 23 mars, présents, donc témoins. C’est pourquoi nous voulons donner l’autre version des faits. Il nous semble en effet indispensable de permettre à tout le mouvement en lutte qui se développe actuellement en Frace (de Denain à Marseille, de Longwy à Nantes, mais aussi à Paris, des aciéries aux lycées, des assurances aux chômeurs, des radios libres aux basistes syndicaux) d’être contre informé sur ces évènements du 23. Nous connaissons actuellement dans tout le pays, face à l’offensive patronale, un réveil des luttes qui provoque un niveau de tension sociale rarement atteint. Quand ouvriers tirent sur des flics comme à Denain, quand la colère se manifeste dans des dizaines de villes par des affrontements violents avec les mercenaires du pouvoir, quand les organisations traditionnelles sont débordées un peu partout, il est temps pour les révolutionnaires d’être présents dans ce mouvement, d’aider à la prise de conscience de l’unité réelle, quoique difficile, qui existe entre toutes ces luttes éparpillées. Ils cherchent à monter en épingle ce sur quoi il peut y avoir incompréhension comme le cassage de vitrines. Nous devons parvenir à nous expliquer entre nous, les uns et les autres, sans nous laisser influencer par le bourrage de crâne. Quand les partis ne sont plus crédibles et que les syndicats ne maintiennent leur pouvoir que grâce à la division des luttes, il faut être capable de combattre pour l’expression, la confrontation et l’unification de ces luttes, directement entre elles.
Le vendredi 23, un début d’unité s’est fait sur le terrain, c’est de cela que le pouvoir a peur, c’est pour cela que la gauche bien rangée hurle avec les loups en appelant à la répression, en qualifiant ces trublions de néofascistes (Sarre du PS), en cherchant à masquer la réalité par le vieux truc de la provocation policière. Qu’on se rappelle comment la CGT et le PC qualifiait les barricadiers de 1968 d’agents de la CIA, comment Séguy parlait des gauchistes Marcellin. Le 23 nous étions quelques milliers à nous battre mais beaucoup d’autres milliers étaient là en spectateurs, sympathisants mais aussi acteurs, en nous appuyant par la masse. Hésitations, craintes ou manque de moyens de défense, peu importe il étaient là.
OSONS LUTTER, OSONS VAINCRE.
Organisation Communiste Libertaire (région parisienne)
Ce qui s’est passé ce jour-là...
La fête du matin a commencé par un beau soleil, côté de Pantin. Lassé de poireauter les sidérurgistes de Longwy ont démarré la marche sans attendre le discours minable du secrétaire national métallo CGT éberlué. Quelques milliers de "Longwy" prennent la tête du défilé derrière la Sono CFDT SOS Emploi. De toute évidence, cette manière de faire ne plaît pas du tout au S.O. (service d’ordre) cégétiste. Déjà éméchés par la vinasse, le pif aussi rose que le brassard, les "S.O." essaient de rétablir l’ordre prévu et la frite commence. Jusqu’à la porte de Pantin, les sidérurgistes déterminés et regroupés autour de la voiture sono-radio, reçoivent le renfort de banlieusards travailleurs, lycéens, chômeurs etc. autonomes.
À la porte de Pantin, nouveaux heurts. Coups de poings dans la gueule, coups de pieds dans les couilles, il y en a pour tout le monde. Les CFDT, mais bien d’autres Longwy aussi, sont visiblement éceourés de voir les méthodes fascistes des gros bras parisiens CGT, surtout quand ces derniers essayent de les pousser vers quelques centaines de CRS pour se faire massacrer. L’atmosphère est à l’orage. Le problème est réglé provisoirement par la scission en deux cortège : CFDT, sidérurgistes en colère, inorganisés et autonomes se dirigent vers la gare de l’Est, les gros bataillons CGT pépères vers le siège national de la CGT et la gare du Nord. Regroupement avant la République, le pôle offensif est toujours en te mais le comité d’accueil CGT est en place à République pour recevoir à sa manière ces troublions provinciaux et banlieusards. Les trois cordons de S.O. sont quand même franchis... non sans bagarre : démocratie stalinienne oblige. Les cogneurs CGT se retrouvent tout cons face aux sidérurgistes et autres incontrôlés.
15 h : pas mal de monde à la Répu et tout autour. Les gars de Lorraine et du Nord surtout, qui sont en masse et assez échauffés. Chez les provinciaux les sentiments sont assez mélangés, ils sont en pétard, ça c’est clair et beaucoup n’ont pas l’air de vouloir se contenter de la promenade prévue jusqu’à l’Opéra. Ils vont montrer aux parigots et au pouvoir qu’ils en veulent vraiment. En même temps c’est la fête, le nombre et le beau-temps y sont pour beaucoup mais dans les bataillons cégétistes il y en a pas mal qui confondent les grands boulevards et es Folies Bergères et qui sont plutôt bourrés. Les parisiens eux sont pas très nombreux 30 000 peut-être sur les 80 000 manifestants, c’est vrai que dans la capitale les manifs syndicales ne font plus tellement recette, voir le 1er Mai où il n’y avait que 15 000 personnes dont seulement la moitié dans le cortège syndical, mais y’a peut-être une autre raison, c’est pas par hasard si la manif se fait vendredi, les gars qui bossent ne sont pas là à part les communaux et les purs et durs du P.C., un samedi après-midi il est probable que pas mal de gars seraient venus pour soutenir ces sidérurgistes qui n’hésitent pas à attaquer les commissariats et à tirer sur les flics, mais cette solidarité là la C.G.T. n’en veut pas car c’est sa manif et elle veut tout contrôler, pour ça elle a mobilisé un S.O. record de 3 500 types.
Mais il y a un os, c’est ce pôle offensif qui s’est formé depuis Pantin, il occupe le début du boulevard St Martin à peine 100 mètres derrière Séguy, derrière les sidérurgistes de Longwy banderoles autonomes et communistes libertaires et drapeaux noir et rouge rassemblent un petit millier de personnes.
Les S.O. n’arrivant pas à vider ces indésirables ils appellent les flics à la rescousse, vers 15 h 10 une compagnie de gardes mobiles longe la manif sous les huées et les sifflets et charge au pas de course et à la matraque sur l’os en question histoire de prendre la température. Vers 15 h 30, les flics rescapés sont évacués en catastrophe par leurs collègues du S.O. CGT sous une pluie d’objets volants non identifiés (pierres, boulons, bouteilles, cocktails molotov et ras-le-bol, ces derniers étant de petits objets très utiles à ceux qui en ont précisément ras le bol car ils font autant d’effet que les offensives des flics). Pendant ce temps la CGT fait passer ces troupes devant par une rue latérale pour noyer les sidérugistes en colère dans la masse et ils profitent de l’éclatement du cortège autonome et communiste libertaire pour rétablir l’ordre.
Le cortège s’ébranle, soigneusement encadré par les chiens de garde du PC-CGT. Puisque les flics n’y suffisent pas le S.O. syndical y pourvoira efficacement ; rien n’y manque : injures racistes et sexistes, chasse au chevelus, tabassages d’éléments "incontrôlés" et livraison de ces mêmes éléments aux flics légaux. Certains gauchistes en particulier UTCL jouent aux indicateurs (Antoine de Nancy pour ne pas le nommer).
Vers 16 h 30 les incorruptibles se regroupent à nouveau autour du fourgon radio de Longwy, drapeaux rouge et noir en tête. Les mots d’ordre sont clairs : "Longwy, Denain nous montre le chemin". Même que des cégétistes nombreux ont l’air d’apprécier. Au passage, on injurie copieusement un groupe de gros sacs ventrus, communistes et socialistes, enrubannés de leurs écharpes tricolores.
À 17 h on arrive à l’Opéra. Apparemment la dispersion se fait mal malgré les hurlements des sonos CGT, autour de drapeaux rouge et noir mille puis deux mille personnes se regroupent et gueulent en coeur avec les gars de Longwy qui sont encore sur le boulevard. Puis on se dirige vers les flics qui sont en nombre au pied de l’Opéra comme d’ailleurs tout autour de la place. Ils sont nombreux alors quelques uns se rattrapent sur les vitrines du café de la Paix, puis c’est la chargé sur les flics à l’aide des même O.V.N.I. qu’au début, pendant ce temps du toit de l’Opéra un groupe de cégétistes de Denain bombardent les flics. Paniqéus les flics dégagent la place à coup de grenades offensives et au chlore. On se replie sur le boulevard vers le gros de la manif. Devant le S.O. CGT et autour de la sono Longwy on est un sacré paquet à vouloir en découdre, mille, deux mille trois mille, dans la fumée des lacrymos c’est difficile à dire. En tout cas, le S.O. est dérbodé, il a bien du mal à empêcher les gars de sortir de la manif pour rejoindre la bagarre. On se dit que les flics vont en prendre pour leur matricule. Les incontrôlés voient leur nombre s’accroître en permanence, aux autonomes, communistes libertaires et sidérurgistes de Longwy viennent s’ajouter des tas de gars de la CGT, et même des gauchistes de l’O.C.T. qui font de la figuration en formant une chaîne. C’est alors que des gars commencent à casser et à piller les vitrines de luxe. Les gars de Longwy gueulent : "PAs les vitrines", ils ont pas l’air d’accord. Bref, charges et contre charges continuent jusqu’à la hauteur du siège de l’Huma. 18 h Bld Montmartre : une quinzaine de CRS dopés à l’héroïsme nationaliste super se sont montrés zélés... et se retrouvent isolés un peu trop près d’un tas d’irréductibles "incontrôlés". C’est la contre attaque. Chacun veut son flic. Mais faut être rapide, un flic qui flippe, ça court vite. Quatre de ces choses ont la gueule défoncée. Un pistolet réglementaire change de main illégalement. À voir les bouilles hilares aux alentours, le spectacle est très apprecié. Un peu plus loin, un chantier RATP offre complaisamment ses madriers, arbres de fers et autres matériaux aux nostalgiques de barricades. Ça dépave sec, des chaînes se forment. Ça y est c’est 68. 500 mètres devant la barricade, un CRS étendu raide au milieu du boulevard, c’est l’émeute. Derrière la barricade le siège de l’Huma est entouré par un bon milliers de manifestants qui sifflent et insultent le PC-CGT qui ferme porte et volets devant les premières bouteilles lancées, devant la barricade mais sur le même trottoirs que l’Huma, un mec se fait tabasser, on croit que c’est les cégétistes qui tapent un copain mais non c’est un flic en civil qui en prend plein la gueule et que les "S.O." sauvent du lynchage.
Derrière, la CGT n’arrive pas à disperser, car beaucoup de manifestants même s’ils ne participent pas à la bagarre sympathisent avec ceux qui la font.
Vers 18 h 15 les flics déboulent des rues transversales au coin de l’Huma et coupent l’élément dur de la bagarre du reste de la manif. Le rapport de force n’étant pas favorable, une magnifique barricade est abandonnée. On respire à l’Huma.
18 h 30. C’est la course sur le Sébasto. Plusieurs milliers de manifestants se sauvent paniqués par 200 CRS. C’est triste à voir. "Déprime". Bld de Strasbourg, des voitures sont retournées et incendiées pour ralentir les flics.
19 h. La gare de l’Est se transforme en bastion révolutionnaire ou presque. Les flics assiègent. Des copains restés dehors assiègent les flics qui assiègent. Les bourrés reçoivent des boulons dans les meules et des pavés sur la gueule, même qu’il y en a un qui flambe. Ils courent de tous les côtés, grenadent au hasard, à coups de lacrymos, des vieux, des femmes et des gosses. L’héroïsme n’a pas de limite chez les idiots. Mais les autonomes restent insaisissables. Dans la gare, y’a de bons prolos qui tuent le temps à leur manière en attendant le train ; c’est fou ce qu’on peut faire avec des barres de fer, des vitrines, des consignes automatiques et des machines à vendre les billets.
20 h. Les flics donnent l’assaut final... Sur les quais vides, c’est fou ce qu’ils ont l’air véxés. Ça continue jusqu’aux portes de Paris jusque vers 23 h mais avec moins de monde.
Qui sont les provocateurs ?
Nous avons déjà expliqué comment le S.O. CGT à tout au long de la manif, collaboré avec les flics, comment il a provoqué les premiers affrontements en chargeant avec les flics les "incontrôlés" qui jusqu’alors restaient bien tranquilles derrière les gars de Longwy.
Mais la CGT monte tout un baratin sur les autonomes manipulés par les flics. Sur ce point il faut être clair, nous ne saurions nier avec une absolue certitude qu’il puisse y avoir des flics infiltrés dans le mouvement autonome, il est normal que les R.G. fassent leur boulot là comme partout, ce qui ne signifie en rien manipulation, cependant il est bien plus facile d’infiltrer une organisation hiérarchisée qu’un mouvement sans centre de pouvoir. Que le P.C. se rappelle que dans l’entre-deux guerres, il découvrit des flics parmi les membres du comité central et qu’aujourd’hui encore il doit y en avoir. De même, la provocation est toujours possible, bien sûr, mais n’est ce pas un provocateur, Gapone, qui déclencha la révolution russe et par là même la naissance du P.C.F. Comme quoi les conséquences de la provocation sont imprévisibles.
Quant aux flics en civils dans les manifs, ce n’est pas nouveau, ils y sont toujours pour jouer le rôle qui est le leur, mais devient aussi de plus en plus celui des S.O. CGT, c’est-à-dire repérer les éléments radicalisés, les coincer et les remettre à leurs collègues en tenue. À ce propos, il est bon de préciser que le flic dont parle tant la CGT n’a pas été pris et tabassé par son S.O. mais par des camarades du mouvement qui l’avait vu discuter avec les flics, c’est ensuite que la CGT l’a récupéré en mauvais état. Nous avons des témoins de cette scène.
Dernier point enfin sur la prétendue passivité des flics, il faut comprendre que ces messieurs ne sont pas des machines et que face à la détermination des manifestants et à la violence des affrontements, ils ont eu peu et ont été débordés, de nombreux faits le prouvent.
À ceux qui malgré tout continueraient à défendre la thèse de la machination policière comme unique cause d’affrontements que le pouvoir aurait souhaité à la proximité des cantonales. Nous ferons remarquer que dans ce cas les arrestations de plus de 80 personnes le matin, et des 12 militants anarchistes l’après-midi n’ont aucun sens, que de plus le résultat de cette provocation aurait été négatif vu le résultat des cantonales.
Nous répondrons enfin comme des milliers de manifestants vendredi : "Les élections n’ont rien changé, c’est dans la rue qu’il faut frapper".
Manif à Denain
On voulait aller voir les gars de la sidérurgie depuis quelques temps déjà. Les émeutes des 7 et 8 mars à Denain nous poussent au cul ; on y va, le samedi 10 on est à Denain pour la grande manif organisée par les partis de gauches et les syndicats.
Dure l’arrivée à Denain : un temps gris, une ville grise, des gens gris.
- Un temps gris : il neige.
Une ville grise : côte à côte, sur des kilomètres s’étendent des villages dortoirs ; une banlieue sans centre ville, aplatie, des maisons toutes pareilles, sans étages, ou avec un seul étage, rarement deux, aux pied des crassiers et des hautes structures métalliques des usines, sur le mur d’une maison "défense d’uriner".
- Des gens gris, à cause du climat et du travail, tristes du retour à la routine après les deux journées d’émeute du mercredi et du jeudi.
Au décor il faut rajouter les restes des affrontements, trottoirs et chaussées défoncés, wagonnets brûlés et renversés sur les trottoirs, vitrines cassées.
Au rassemblement avant la manif, tout le monde parle des affrontements, un vieil homme de plus de 60 ans porte une "espèce de casque et une pancarte sur laquelle est inscrit le seule mot : Fumigène", dans les discussions il est fier des émeutes des jours précédents : il y était. Deux gars d’Usinor disent ; "T’as vu, personne n’en parle des deux gars qu’on été arrêtés pour avoir tiré sur les CRS ; c’est un d’Eternit et un de Trith St Léger".
Le PC est venu en force de toute la région. Grosse difficulté pour organiser le cortège, les pontes locaux du PC gueulent comme des fous : "de l’ordre, de la discipline". La manif part, les gens du PC font la chasse aux gauchistes tout au long du cortège. Du stalinisme à l’état pur, du fascisme ; les flics étant interdits de séjour à Denain, les beaufs de la GCT et du PCF les remplacent. Une manif sinistre, le PC qui regroupe à lui seul plus d’un tiers du cortège, ces connards sont tristes, lamentables, un seul slogan est repris : "Giscard, Barre, Mauroy vendus à l’étranger". Faut dire que le leader du PS du Nord est dans la manif et que les élections cantonales sont proches, dans le Nord, seuls PC et PS comptent, à eux deux ils ont 80% des voix.
Dans cette manif enterrement, traîne savates, Bidon, le seul cortège radical c’est les 150 gars de la CFDT de Longwy, qui gueulent surtout : "Etchégarray à la Feraille" et bien sur : "Flics, Fascistes, assassins", "CRS. SS". Des SO (services d’ordres) mixtes CFDT CGT détournent la manif pour éviter le commissariat ; à chaque fois, en face du SO des groupes de jeunes, souvent immigrés attendent ; eux ils étaient dans l’attaque du commissariat. Ils s’en vont en se disant : "laisse tomber, y’aura rien, aujourd’hui c’est trop encadré".
Après des kilomètres, arrivée dans un stade ; la tribune est "bleu blanc rouge", on ne voit que les écharpes tricolores des élus du PC qui remplissent la tribune. Discours mémorable du député PC Ansart, il ne parle pas des travailleurs, il ne fait que de la pub aux élus du PC. Dans la foule les gars de Longwy et d’autres gueulent : "des actions, pas de discours". Un dirigeant CGT explique qu’il faut écouter Ansart, qu’il était dans les affrontements, qu’il a respiré des gaz. A partir de ce moment Ansart, à chaque fois qu’il est couvert par les cris de la foule se racle la gorge, parvient à tousser, comme pour dire : "laissez-moi parler, j’y étais moi aussi". Lui qui deux jours avant disait : "c’est une victoire, rentrons dans l’usine en chantant, on a gagné". Espérant démobiliser les travailleurs, il se faisait alors insulter par les gars d’Usinor. Bref quand Ansart remercie les flics, la foule crie "Flics, fascistes, assassins", quand il dénonce les incontrôlés, Longwy hurle : "c’est eux, les incontrôlés" en désignant la tribune. Ecoeurés, les gars de Longwy et beaucoup d’autres se barrent en gueulant sans trop de conviction "au commissariat". Juste à ce moment c’est au tour du bonze CFDT de service de parler ; il voit les militants de son organisation syndicale se barrer sans l’écouter. Rien que cela valait le déplacement.
Quelques jours plus tard un groupe d’ouvriers "de la base" d’Usinor dénonçait les magouilles syndicales, les lycéens de Denain s’organisaient en comité de lutte autonome de tous partis et syndicats en disant : "Quand il y a eu les émeutes à Denain, les syndicats ont brisé la lutte".
Notre point de vue sur la chose
Depuis le début de la crise et jusqu’en mars 1978, l’échéance institutionnelle que représentaient les élections et une éventuelle victoire du Programme commun avait permis aux syndicats et aux partis d’organiser la passivité et la résignation chez les travailleurs en leur faisant miroiter des lendemains qui chantent. Les luttes étaient bloquées, freinées ou menées à l’impasse. De ce point de vue la liquidation des grandes grèves des banques et des P.T.T. en 1974 est caractéristique, comme l’est l’enterrement des luttes dans les entreprises condamnées par la restructuration capitaliste, dans des occupations sans fin qui ne gêne en rien le patronat qui de toute manière souhaitait voir ces usines fermer.
Les grandes grèves bradées
À l’automne 74, les PTT connaissent une grève nationale sans précédent. Partie des centres de tri parisiens, elle s’étend très vite dans toute la France, elle durera dans certains centres plus de 7 semaines. Cependant c’est un échec, le début de la fin pour la lutte des postiers, rappelez-vous c’est la grève nationale et la grande manif parisienne du 19 novembre. Vers la fin du mouvement certains postiers proposent de nouvelles formes d’actions pour relancer la lutte, vidage des centres de tri parallèles, développement de la popularisation, les initiatives sont bloquées par les confédérations syndicales. Un exemple parmi d’autres : la CFDT Paris 5 propose d’associer les usagers à la lutte en assurant que les postiers achemineront à la même vitesse tous les courriers quel que soit l’affranchissement, ce qui permet à l’usager une substantielle économie. Le conseil départemental CFDT PTT dénonce cette proposition et la fait avorter. Un mois après on s’aperçoit que la majorité des sections étaient pour la proposition de Paris 5, trop tard la dynamique est tombée.
Occupations
Un exemple parmi tant d’autres, en 75 à Vitry mairie communiste de la banlieue parisienne, l’imprimerie Chauffour compte 300 employés, elle est mise en liquidation. Occupation gérée par la FF TL - CGT, sous l’étroit contrôle du PC à travers la municipalité qui s’occupe de tout : lits de camps pour les occupants, repas gratuits, etc. Les tentatives d’élargissement : reprise de la production par les travailleurs, liaison horizontale avec les autres boîtes occupées, etc. sont bloqués par les staliniens. 2 ans après ils ne sont plus que trente à occuper, à part les gars du PC tous les travailleurs sont partis écoeurés, les licenciements sont effectifs, un patron se propose et réembauche les rescapés de la lutte. Le PC peut gueuler : On a gagné.
Un autre exemple : quand en 75 toutes une série de boîtes occupées à majorité CFDT dont LIP, et qui ont repris la production cherchent à se coordonner, la confédération CFDT dénonce ces liaisons extra-syndicales et sabote le mouvement.
Le mirage de l’Union de la gauche et l’échec des élections ont entraîné à la fois une désillusion mais aussi un désarroi en l’absence de nouvelles perspectives. C’est ainsi que de nombreux travailleurs se réfugient dans les solutions de résistance individuelles, comme l’absentéisme, forme de refus du travail. Ce n’est donc pas par hasard si les seules luttes collectives importantes qui ont lieu avant et immédiatement après les élections de mars 1978 sont le fait de travailleurs immigrés (Renault en juin 1978, grève des loyers dans les foyers de travailleurs immigrés, en particulier Sonacotra) ; c’est bien parce qu’ils ne sont pas concernés par les élections (ils ne votent pas).
Il faut aussi se rappeler que dans une partie de la jeunesse, plus sensibilisée à d’autres problèmes qu’à ceux de la production, rejetant la logique institutionnelle électorale des formes de révoltes radicales étaient déjà apparues (Malville : manifestation de Croissant et l’assassinat de prisonniers politiques en Allemagne, St Lazare).
Attentats
Autonomes = Attentats = Brigades Rouges.
Le pouvoir, la presse, les partis de l’extrême gauche, y compris certains libertaires dénoncent la violence des autonomes et agitent le spectre des attentats et du terrorisme international ; (brigades rouges). Ils amalgament facilement la violence de masse et les attentats. Sur le problème des attentats il faut quand même préciser un ou deux points. C’est vrai que des gens du mouvement autonome ont pratiqué et pratique parfois l’attentat, mais pas n’importe lequel. Il est significatif de voir qu’en France, les attentats revendiqués par des groupes autonomes ne se sont jamais attaqués à des personnes mais toujours à des lieux, des instruments ou des symboles du pouvoir et du fric : Nucléaire EDF, épicerie pour milliardaires Fauchon, casernes de CRS, tribunaux, etc. Il est tout aussi significatif de voir que ces attentats sont à chaque fois revendiqués par des groupes différents non spécialisés dans ce genre de choses, groupe qui savent manier l’humour et la dérision tant dans l’explication de leurs actions que dans leur signature (smicards en pétard, Noël noir pour les riches, etc.). Rien à voir avec une organisation permanente et hiérarchisée, dont les dirigeants viennent du P.C. et reproduisent un discours stalinien comme les Brigades Rouges. L’esprit libertaire de Mai 68 à servi à quelque chose.
Depuis novembre, on assiste à l’accroissement de la résistance ouvrière face à l’offensive du patronat. Offensive qui se traduit dans les faits par une vague de licenciements sans précédent, notamment dans la sidérurgie, en Lorraine et dans le Nord, mais aussi par la refus intransigeant de répondre aux revendications pour l’emploi, la réduction du temps de travail, le maintien et l’augmentation du pouvoir d’achat. Face à cette nouvelle phase du processus de restructuration, à cette intransigeance patronale et gouvernementale, véritable provocation à l’émeute, les travailleurs réagissent.
La violence de masse réapparaît un peu partout ; ouvriers à Saint-Nazaire, à Saint-Chamond ; ouvriers et jeunes chômeurs à Caen ; sidérurgistes, chômeurs et loubards à Longwy, Denain, Sedan ; jeunes des C.E.T. et lycées à Marseille ; antifascistes à Lyon ; chômeurs et anti-nucléaires à Nantes ; pompiers à Grenoble. Dans le même temps les grèves se multiplient : P.T.T., banques, assurances, S.F.P., S.N.C.F. Dans toutes ces grèves même si elles ne débouchent pas sur la violence, les syndicats sont contestés, débordés : occupation de la Bourse par les employés de banques ; coordination extra-syndicale des centres de tri P.T.T. de la banlieue parisienne à Bobigny ; tentative d’occupation dans les sièges des compagnies d’assurance ; piratage à la télé.
C’est dans ce contexte qu’arrive l’organisation par la C.G.T. de la manif du vendredi 23 mars.
Pourquoi la C.G.T. organise-t-elle cette marche ?
Il faut bien comprendre qu’après l’échec de l’Union de la gauche, le mécontentement populaire ne pouvant plus être canalisé vers un éventuel changement de gouvernement, les partis passent au second plan et les syndicats prennent la relève. La C.F.D.T. se "recentre" vers une position "réaliste" et donc accepter de discuter la restructuration dans le cadre défini par le pouvoir à condition d’obtenir des compensations "suffisantes" au niveau social, et montrer ainsi son efficacité, elle se heurte en cela aux traditions radicales d’une bonne partie de sa base militante ce qui se traduit par une certaine volonté d’indépendance des sections, U.L., et syndicats durs, une épuration dans de nombreux secteurs ce qui ne se fait pas sans problèmes : apparitions de syndicats plus radicaux et indépendants (P.T.T. Lyon, B.N.P. et autres banques parisiennes en particulier).
Qui a oublié que le CNPF fut trop heureux de trouver en face de lui, à la fin du mois de mai 68, les représentants des organisations syndicales et de négocier sur nombre de points à propos desquels les discussions avaient parfois traîné pendant des années sans progrès réels" (Syndicalisme-Hebdo, journal de la CFDT du 12.8.76).
"Je suis le premier à reconnaître que, au mois de mai, ce sont les syndicats qui, avec un courage, un sang-froid et une détermination admirable ont empêché que les mouvements ne débouchent sur le domaine politique, et Dieu sait combien nous avons été inquiets pour ce pays au moment où nous avons cru que les troupes leur échappaient, emmenées par je ne sais quels enragés" (Dailly, CNPF).
Devant la montée des luttes, la C.G.T. quand à elle choisit une autre voie, pour éviter les débordements elle veut se donner une image plus dure et tout en développant un discours ultra nationaliste copié sur celui du P.C., laisse sa base s’exprimer : sabotage du gazoduc de Hollande à Longwy, saccage de locaux patronaux, mise en place d’une radio-libre à Longwy.
La perspective des Cantonales pousse la C.G.T. à prendre une initiative centrale sur Paris entre les deux tours, elle cherche à présenter cette marche comme le seul débouché pour les luttes dans toute la France et permet du même coup au P.C. de faire une bonne opération électorale.
Elle veut aussi montrer son efficacité et ses capacités de mobilisation.
C’est vrai que le ministre du Travail Boulin vient de rappeler que les syndicats sont là pour empêcher les débordements, ça rappelle drôlement mai 1968.
La campagne pour la marche est significative de la volonté de durcir sur les mots pour éviter le durcissement des luttes, pour cette manif promenade les affiches sont étrangement radicales, dans tout Paris sur les murs et dans le métro on voit l’affiche C.G.T. qui copie, ce n’est pas un hasard une fameuse affiche de 68 ; sur des affichettes ce slogan peu orthodoxe à la C.G.T. : "brisons les cadences pour créer des emplois".
Mais la C.G.T. s’est surestimée et elle a sousestimé le ras-le-bol. Car cette manif c’est aussi l’occasion pour toute une frange radicalisée aussi bien à Denain, Longwy qu’à Paris de se rencontrer et de s’exprimer. C’est l’occasion pour les sidérurgistes de venir à Paris montrer leur force et leur détermination, pas forcément celles de l’appareil syndical. Et de fait on peut parler de jonction sur le terrain entre toutes ces composantes radicales ce qui a permis le caractère de masse des affrontements de vendredi 23.
Pour nous l’objectif était clair : on est là, on ne déclenche rien si les sidérurgistes ne font rien, mais on est là pour les soutenir et on est prêts au cas où... Notre position là dessus est claire : personne ne doit agir à la place des premiers concernés. Et de fait dans les affrontements on a pu voir mêlés sidérurgistes, ouvriers et employés parisiens, étudiants, lycéens, apprentis, chômeurs... nous nous sommes battus côte-à-côte conte les flics et parfois le S.O. C.G.T. : autonomes, inorganisés, communistes libertaires, syndiqués C.F.D.T. ou C.G.T., non syndiqués, voire même des militants d’extrême-gauche, bref des incontrôlés unis pour manifester leur solidarité et leur haine des flics et du pouvoir.
Les fantômes
Personne n’a parlé de l’extrême gauche à l’occasion de la manif du 23. Elle y était pourtant parait-il. Nous avons voulu connaître sa position ; la LCR organisait un meeting le 28, nous y fûmes. Au lieu des 5 000 participants habituels, environ 700 fantômes écoutaient la messe des orateurs ? Trois mots seulement sur les affrontements du vendredi précédent : "Autonomes = Flics = Idiots". Les fantômes ont décidément de la merde dans les yeux... C’est peut-être pour ça qu’ils sont morts.
Si nous avions choisi de nous regrouper auprès de la C.F.D.T Longwy ce n’est pas par hasard. Les militants de Longwy ont ces derniers mois montré leurs capacités de lutte et de réflexion. Face aux licenciements ils ont évité le piège de la grève et de l’occupation, quand une usine risque la fermeture ça ne sert à rien de s’enfermer soi-même dedans on ne fait que le jeu du patron. Mais ils ont trouvé d’autres formes de lutte à travers l’action directe dans la rue et en s’attaquant aux lieux du pouvoir patronal et étatique, popularisant ainsi leur action. Manifs ou occupations des locaux directoriaux d’Usinor à Longwy, Valenciennes, Paris ; attaque du commissariat de Longwy puis de Denain, occupation de l’émetteur de télé de Longwy, occupation de la sous-préfecture de Briey, occupation du siège de la Familiale filiale indirecte d’USINOR et propriétaire de la majorité des logements de Longwy, manif à la préfecture de Nancy. Quant aux actions sur le terrain de la production elles obéissaient au principe de faire payer le plus cher possible au patron pour le minimum de coût pour les ouvriers. Cependant le pouvoir à opérer une savante retraite lors de la grève de la sidérurgie du 16 février il était absent à Longwy comme à Denain, les flics étaient invisibles, c’est à Sedan que l’affrontement eu lieu. Depuis les émeutes de Denain c’est clair, les zones sidérurgiques en lutte sont laissées en paix, mais le pouvoir n’est pas là. Il est à Paris, et nous pensons que si les sidérurgistes venaient en nombre à Paris, beaucoup auraient dans l’idée de faire ici ce qu’ils faisaient chez eux c’est pourquoi nous étions à leur côtés.
L’affrontement eut lieu, avec les flics CGT qui voulaient tout décider, tout contrôler, tout réglementer, avec les flics de l’État qui provoquèrent, grenadèrent, matraquèrent. Mais au delà de la haine commune des flics et du pouvoir, au-delà du dégoût commun pour les bureaucrates et les gros bras de la CGT, les motivations ne sont pas les mêmes : sauvegarde de leur emploi et de leur région pour les sidérurgistes, ras le bol du flicage quotidien et de l’étalage du luxe des bourgeois pour les parisiens qui vivent dans une des villes les plus fliquées et les plus friquées du monde, souvenir des luttes bradées ou étouffées pour les travailleurs, misère pour les jeunes chômeurs ou lycéens.
Ces motivations différentes expliquent les comportements différents dans les affrontements, la difficulté pour les provinciaux de comprendre les cassages et les pillages des magasins de luxe du quartier de l’Opéra par les Parisiens.
Échos de Longwy
Au téléphone des camarades de Longwy nous ont expliqué les réactions et la situation sur place après la manif : les gars sont assez découragés, ils ont été surpris par le niveau de violence des flics. Ils sont écoeurés, y compris la base cégétiste par la collaboration du S.O. CGT et des flics. Ils n’ont pas du tout apprécié les cassages de vitrines et dans ce sens ils critiquent beaucoup les autonomes en les qualifiant d’irresponsables. Quand on a appris les arrestations de gars de Longwy, la colère est montée. L’undi soir, les jeunes voulaient monter au commissariat, mais les dirigeants syndicaux les ont calmés. La CFDT a décidé le lundi d’occuper la centrale à oxygène et de bloquer l’alimentation en oxygène des aciéries. Après la libération de Mazzucatil, l’occupation a été maintenue mais la production a repris. En ce moment les gens sont assez énervés par l’hélicoptère qui brouille les émissions de la radio "Lorraine coeur d’acier". Les gars de la CGT sont montés à l’émetteur télé pour le débrancher, les jeunes cégétistes voulaient tout casser. Par rapport aux inculpations des parisiens pour le 23, y a pas de position pour l’instant.
Mais ce que nous devons affirmer c’est l’unité qui s’est réalisée sur le terrain malgré les contradictions, l’unité entre provinciaux et parisiens, entre ouvriers, chômeurs et lycéens. En eux-mêmes ces affrontements ne sont pas un débouché, même s’ils sont les plus violents et les plus massifs que PARIS ait connu depuis 68. Mais soyons clairs, la manif traîne savate que nous promettait la CGT n’était pas non plus un débouché, nous le savons tous, nous en avons déjà trop fait des manifs de ce genre, sans lendemains. Seulement alors qu’une manif classique n’aurait fait que renforcer le contrôle syndicale sur les luttes et donc leur étouffement, les affrontements ont ouvert une autre perspective. C’est la rencontre, la coordination, l’unification de toutes les luttes qui se mènent actuellement dans tous les secteurs et qui de plus en plus n’ont pas de solution dans ce système. C’est l’échange, la confrontation, le débat entre toutes ces luttes. La solidarité effective.
Ce qu’il s’agit de construire c’est un mouvement de masse clairement anti-capitaliste et anti-autoritaire dans tout le pays. Pour cela il faut être capable de débattre entre des réaliés souvent contradictoire, mais c’est à ce prix que nous vaincrons.
Supplément à la revue Front Libertaire des luttes de classes, n°107, 26 mars 1979 (6 pages).
Les 113 numéros de la revue Front Libertaire des luttes de classes sont archivés sur le site Archives Autonomies.
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