A
Avorter
Histoire des luttes et des conditions d’avortement des années 1960 à aujourd’hui (Grenoble - Printemps 2008)
mis en ligne le 30 septembre 2008 - Collectif
La première chose qu’il faut savoir c’est que partout dans le monde et à toute époque, des femmes avortent. L’Observatoire Mondial de la Santé (OMS) observe aujourd’hui que dans la majorité des cas, les femmes avortent davantage dans les pays où l’avortement est interdit. Par exemple en Ouganda, où l’avortement est interdit, le taux d’avortement est de 54 pour mille femmes par an. Aux Pays-Bas, où l’avortement est autorisé, le taux actuel est de 9 pour mille. Pourquoi ? En réalité, dans les pays où l’avortement est interdit, les femmes ont de même un accès difficile aux contraceptifs.
Pour ce qui est de la France, à la fin du 19e siècle, l’avortement est évalué (d’après les hospitalisations) à 100 000 par an à Paris. Puis des lois destinées à faire croître la démographie apparaissent : elles pénalisent l’avortement, interdisent les contraceptions... En 1920, puis en 1923 et enfin en 1942, sous le gouvernement de Vichy, des lois de plus en plus strictes font de l’avortement un crime d’État puni de la peine de mort. [1]
Avant les années 1960, on en est où ?
Alors que certains droits des femmes ont avancé, aucun parti politique ne prend position en faveur de la dépénalisation de l’avortement. Pourtant est estimé 800 000 avortements en France par an, dont 1% des femmes qui avortent vont mourir des suites de cet avortement clandestin, c’est-à-dire 8 000 mortes par an.
Comment nos grands-mères avortaient-elles ? Déjà, il faut se rappeler que dans les années 1960, il est très mal vu pour une femme non-mariée d’avoir des rapports sexuels et que dans le mariage s’applique le devoir conjugal (la notion de viol conjugal n’arrive que dans les années 90).
Les femmes enceintes avant le mariage ainsi que les femmes mariées mais qui ne veulent ou ne peuvent avoir un autre enfant, tentent bien souvent d’avorter :
- le marché noir de l’avortement : l’avortement étant interdit, des "faiseuses d’ange" le pratiquent pour aider des femmes, seulement la majorité sont des praticien·ne·s qui en profitent pour gagner de l’argent. Avorter, pour les plus riches c’est aller en Angleterre (les techniques y sont déjà sans danger) et pour les plus pauvres c’est se ruiner pour trouver une personne dont la méthode n’est pas sûre ;
- les techniques : les femmes qui tentent d’avorter utilisent majoritairement des techniques censées déclencher des fausses couches. Elles introduisent un objet dans le col de l’utérus qui va déclencher une infection. Le tout étant d’aller à l’hôpital quand l’infection est suffisamment avancée pour y être curetée, mais pas trop pour ne pas mourir de septicémie ou devenir stérile ;
- l’accueil dans les hôpitaux : les femmes qui font des fausses couches, déclenchées volontairement ou pas, sont soupçonnées dans tous les cas d’avoir voulu avorter. La plupart du personnel les insulte, tarde à intervenir et quand il fait le curetage, c’est toujours sans anesthésie ;
- les tribunaux et la religion chrétienne : les femmes sont traitées comme des criminelles et craignent, en plus de la mort, les tribunaux et l’enfer.
Et pourtant elles avortaient nos grands-mères. Elles savaient que mettre un enfant au monde contre leur volonté, c’est gâcher au minimum deux vies. Bravant les tribunaux et l’humiliation, elles affirmaient contre toute la société que leurs corps ne cessaient jamais de leur appartenir. Au risque d’en mourir.
1961 - 1974 : les révoltes pour le droit de maîtriser sa fécondité
Dès les années 1955, des mouvements pour le droit à la contraception naissent en France, puis dans les années 1970 pour le droit à l’avortement. Nous allons voir en France, puis dans une ville à Grenoble, quels ont été ces mouvements, leurs revendications, leurs pratiques et leurs modes d’organisations.
En France, les groupes pour le droit à la contraception et à l’avortement
1/ La Maternité Heureuse, qui devient le Mouvement Français pour le Planning Familial
La Maternité Heureuse, créée en 1955, a pour but de promouvoir l’harmonie familiale par l’épanouissement sexuel des femmes et d’introduire en France des moyens contraceptifs pour éviter les drames de l’avortement : cela est déjà illégal. C’est l’approche du "contrôle des naissances" développée en Grande Bretagne et aux USA.
En 1960, l’association devient le Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF). [2]
L’inauguration du premier centre d’accueil du MFPF est fixée en juin 1961, à Grenoble. Pour la première fois en France, un lieu d’information sur la contraception est ouvert au public. C’est en 1973, en s’engageant dans la lutte pour la liberté de l’avortement, que le MFPF radicalise ses positions et se joint à la pratique illégale des avortements pour créer un état de fait devant l’inertie générale persistante.
2/ Les groupes de femmes et le Mouvement de Libération des Femmes
Des femmes faisant partie d’autres organisations (Mao, Trotskistes...) forment des "groupes femmes" dans lesquels elles prennent conscience d’une condition sociale commune qui les opprime.
Elles déclarent : « Le privé est politique » et revendiquent le droit pour chaque femme à disposer librement de son corps comme tout·e individu·e qui ne vit pas en esclavage, à n’avoir de maternité/s et de rapports sexuels que désirés et choisis.
Les féministes, hétérosexuelles et lesbiennes, jouent un rôle principal dans la dite libération sexuelle de 68. En luttant contre les viols conjugaux ou extra-conjugaux, contre les interdits de contraceptions et contre les préjugés sexistes, elles revendiquent le droit pour les femmes d’avoir du plaisir sexuel, ainsi que celui de dissocier maternité et sexualité.
Dès sa création en 1970, le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) fait descendre la revendication du droit à l’avortement dans la rue et précise que : « La liberté d’avorter est la première étape de notre libération, car l’interdiction de l’avortement n’est qu’une des oppressions matérielles qui contraignent les femmes à se vivre exclusivement comme des épouses et des mères ». [3]
Les actions féministes s’enchaînent : manifestations, manifeste des 343 avortées dites les 343 salopes, soutien et défense collective lors de procès, occupations d’hôpitaux, affiches, etc.
Elles écriront : « Nous disons tout haut ce que l’on pense tout bas », « Nous aurons les enfants que nous voulons ! ». Et parce qu’elles luttes également contre les inégalités entre les femmes face à l’avortement clandestin, elles clament aux députés opposés au droit à l’avortement : « Vos femmes vont avorter à l’étranger ! » et dénoncent les profits que se font certains médecins en pratiquant l’avortement "au black".
Ce mouvement aboutit à la multiplication de groupes de femmes en France, lieux où se créent du lien affectif, du soutien matériel/financier et une conscience de la puissance d’être en collectif.
3/ L’association Choisir
Choisir est un mouvement de lutte créé en 1971 notamment par Gisèle Halimi, Simone De Beauvoir et Christiane Rochefort. Il rassemble également d’autres femmes du MLF et a pour objectif la suppression de la loi de 1920, l’information à la contraception et à l’éducation sexuelle ainsi que la défense gratuite des inculpées pour avoir pratiqué des avortements. Cette association sera très active dans différents procès [4] et organisera aussi des actions comme les Journées de Dénonciation des crimes contre les femmes.
4/ Le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception
Ce mouvement autonome (MLAC) est créé en 1973, regroupant le GIS [5] et des femmes du MLF, du MFPF... son objectif est de lutter pour une information sexuelle qui cesse de faire de la procréation le seul but de la sexualité, pour la liberté de la contraception sans discrimination d’âge, ni de moyen, pour la liberté de l’avortement par la lutte pour l’abrogation de la loi de 1920. La mise en application de ce programme nécessite : le remboursement des contraceptifs et de l’avortement ainsi que la création de centres gérés par les usagèr∙e∙s (lieux de parole et d’information permettant aux femmes de faire un choix éclairé).
Des cars pour aller avorter en Suisse et en Angleterre sont organisés. Des occupations d’hôpitaux, des manifestations et diffusions d’informations sur les marchés sont organisées, parfois en non-mixité.
Très vite, des comités locaux existent un peu de partout en France : la nécessité de s’organiser dans des quartiers, sur des lieux de travail et dans les écoles devient urgente. La solidarité entre les femmes (garde d’enfant, argent...) s’organise pour permettre l’information sur l’avortement et pour imposer cette liberté dans les faits.
Ces comités se fixent comme objectif de prendre en charge la lutte politique, l’information et la pratique de l’avortement avec la méthode Karman [6] par toute personne formée par des médecins.
Alors que les actions se multiplient, un film, "Histoire d’A.", est projeté dans l’illégalité. Il explique l’avortement avec la méthode Karman et pose le débat de l’avortement au centre d’une société opprimante.
Ces mouvements auront réussi à affirmer au grand jour qu’imposer une grossesse non-désirée est une violence faite aux femmes. Ils font publiquement ce qui se pratiquait illégalement, dans des conditions extrêmement punitives pour les femmes, surtout pour les femmes issues des classes économiquement pauvres. La force des ces mouvements viendra notamment de leur autonomie (pratiques illégales et gratuites) et du fait qu’ils partent des besoins fondamentaux des premières concernées. En cela, les groupes non mixtes ont permis aux principales concernées de déterminer par et pour elles-mêmes ce qui est bon pour soi et la manière dont elles veulent organiser leurs luttes. La radicalité de ces mouvements a permis d’ébranler les pouvoirs en place !
Ces mouvements ont également affirmé leur soutien aux femmes d’autres pays (prisonnières politiques...). Des groupes de femmes immigrées ou issues de l’immigration se sont constitués tels le Mouvement des Femmes Noires ou Femmes Algériennes en Lutte. La question du choix des femmes par rapport à leurs maternités fait parti de ces luttes, notamment par la dénonciation de la stérilisation des femmes et des avortements forcés dans les colonies françaises, comme la Guadeloupe.
À Grenoble, l’exemple d’un mouvement autonome pour la liberté de l’avortement
Selon la sociologue Hilde Olrick : « Grenoble est sûrement la ville de province où la lutte pour l’avortement a été la plus acharnée. [...]. Le travail pionnier du Planning Familial avait depuis plus de 10 ans mobilisé le milieu médical et les traditions contestataires des étudiants (entre autre la révolte de mai 1968), ont fourni une base propice pour une telle lutte ». [7]
Le Comité pour la Libération de l’Avortement et de la Contraception, informations publiques et actions pratiques
En mai 1971, à la suite du "manifeste des 343 salopes", des étudiant·e·s en médecine ainsi que des médecins organisent une réunion publique à la faculté de médecine à l’issue de laquelle est rédigé un texte prenant position en faveur de la liberté de l’avortement. Ce texte est envoyé à tous les médecins du département et sera signé par une soixantaine d’entre elleux.
En Février 1972, une nouvelle réunion à la faculté de médecine rassemble plus de quatre cents personnes. C’est lors de ce rassemblement qu’est prise la décision de créer le Comité pour la Libération de l’Avortement et de la Contraception (CLAC), mouvement autonome pour l’abrogation de la loi de 1920 sur l’avortement. Son objectif consiste à créer des conditions permettant aux femmes de prendre elles-mêmes en charge leurs vies et leurs corps.
Le 15 juin 1972, Choisir organise une conférence-débat sur le thème de "la maternité libre" à la Maison de la Culture. Environ deux mille personnes y assistent : « Les conférencières ont développé l’importance de la lutte pour la maternité libre dans notre contexte français capitaliste et patriarcal. Elles ont rappelé que cette lutte ne doit pas être ramenée à un problème individuel mais qu’elle est un élément fondamental de la lutte révolutionnaire ». [8]
À la fin de l’année scolaire et à l’initiative d’un médecin, quatre étudiant·e·s en médecine partent en Angleterre à la découverte de la méthode Karman. Illes prennent conscience que « bien plus qu’une amélioration technique, il s’agissait là d’une arme révolutionnaire qui permettrait de défier les lois les plus répressives. En effet, pour la première fois, il apparaissait possible de pratiquer des avortements à l’extérieur de tout circuit médical officiel, sans faire courir de risque aux femmes ». [9] En effet, l’avortement par la méthode Karman se révèle être un acte extrêmement simple.
C’est à partir du mois de juillet que la section locale décide de pratiquer les premiers avortements avec cette technique. Certain·e·s membres montent à Paris pour rencontrer le docteur Karman en personne. Ce dernier explique que le contrôle des naissances peut être pris en main par des femmes expérimentées et non professionnelles de la santé, avec l’aide réduite des médecins réservée aux cas difficiles.
À leur retour, une équipe plus nombreuse et solide se constitue avec des femmes, des militant·e·s, des étudiant·e·s... pour assurer l’accueil, les entretiens et l’assistance pendant l’intervention et aussi pour apprendre à manier la canule (voir schéma). En Octobre, un séminaire de formation à la méthode Karman est organisé afin de montrer la technique à des médecins du GIS venu·e·s de toute la France.
En 1973, l’équipe du CLAC édite aux éditions Maspero de manière anonyme le livre : Libérons l’avortement. Cet ouvrage explique la technique Karman, rend public des statistiques à partir de trois cents avortements, laisse la parole à des femmes avortées par cette technique et apporte un éclairage sur leur fonctionnement interne. Il exprime une tentative d’ébauche pour une autre médecine et dresse un premier bilan politique : « Nous ne devons pas nous faire d’illusions : les libertés de contraception et d’avortement peuvent parfaitement être récupérées et intégrées dans le cadre d’une société capitaliste fondée sur la structure familiale de type patriarcale, reproduisant à son niveau les rapports d’autorité nécessaires à l’État pour établir et maintenir ses structures économiques d’exploitation. Le pouvoir s’efforcera toujours d’étouffer le contenu subversif de la lutte des femmes, en offrant notamment la possibilité de se faire avorter, mais sans troubler l’ordre familial [...] ». D’autre part, [...] la lutte pour la liberté de procréer, la revendication du droit au plaisir ne concernent toujours que les couches privilégiées si elles ne s’inscrivent pas dans la lutte sociale beaucoup plus globale ». [10]
Le 8 mai, une docteure de ce mouvement est arrêtée : au final, une inculpation est retenue contre elle pour avoir pratiqué des avortements. C’est une sortie officielle de la clandestinité : revendication de cinq cents avortements pratiqués par le CLAC depuis un an et de façon collective ! Une manifestation se tient le 11 mai : dix mille personnes défilent au cris de « Flics, curés, médecins, ils ne décideront plus pour nous ». Une semaine plus tard, le 18 mai, une journée nationale d’action a lieu avec films, stands, ventes de livres au Palais des Sports, en même temps que des actions sont menées devant l’hôpital des Sablons, devant les grands magasins et au centre ville. Le tract qui annonce cette journée pose clairement le décor : « À partir de maintenant la loi est morte ; le pouvoir ne peut plus décider pour nous ». Le soir, un grand meeting rassemble trois mille cinq cents personnes au Stade de Glace. De toute la France, deux mille femmes demandent leur inculpation pour complicité d’avortement au juge chargé de l’affaire. Au final, l’inculpation de la docteure est levée et se termine par un non-lieu. L’avocate Gisèle Halimi déclarera « qu’après l’affaire de Grenoble, aucun juge en France n’a le droit désormais d’inculper pour la violation d’une loi qui n’existe plus dans les faits ». [11]
À partir de l’automne, des projections du film Histoire d’A. sont organisées de partout : quartier, usines, faculté, hôpital....
Ce mouvement, très actif, aura permis l’importation de la méthode Karman :
Il aura aussi permis l’organisation de manifestations, de projections, d’un procès public victorieux, l’implication de certains membres du corps médical, la publication d’écrits illégaux ainsi qu’une réflexion quant aux conditions psychologiques des avortements. Il s’inscrit dans une pratique révolutionnaire : organiser une pression populaire pour changer la loi, mais aussi organiser des pratiques (gratuites) dans le quotidien qui remettent en cause l’enfermement des femmes dans la maternité. Il pose la question du pouvoir que chaque femme peut avoir sur sa propre vie, sur son corps, dans un monde patriarcal, capitaliste, étatique, où la médecine se fait un des relais du pouvoir en place.
1975 - 1979 : la loi Veil
C’est dans ce contexte de mobilisation et de luttes incessantes que le débat est ouvert à l’Assemblée, très majoritairement masculine, en 1974. Simone Veil, alors ministre de la santé, propose un projet ayant entre autres pour objectif de réduire le nombre d’avortements. Cependant elle basera son argumentation notamment contre les pratiques telles celles pratiquées par le MLAC : les citoyen·e·s français·es pourraient prendre goût à agir gratuitement et de façon autonome... Elle proposera donc que l’État mette sous son autorité cette pratique plutôt qu’il la laisse se développer dans ce contexte. Simone Veil recevra à cette occasion de nombreuses menaces de mort de la part de l’extrême droite française. [12]
La proposition de Simone Veil est adoptée pour 4 ans. La loi Veil sera une loi de compromis basée sur un encadrement médical. L’avancée qu’elle constitue est qu’elle prévoit la possibilité d’avorter, de façon anonyme, sans être pénalisé·e, sans risque de stérilité et de mort par la suite mais uniquement dans un cadre médical.
Cette loi est très restrictive. Pour celles et ceux qui défendent l’avortement libre et gratuit, ses défauts sont les suivants :
– la loi de 1920, pénalisant l’avortement, n’est pas abrogée. L’avortement hors structure médicale (comme ceux pratiqués par des groupes de femmes, le MLAC...) est toujours passible de prison. Selon la loi : « En aucun cas l’interruption volontaire de grossesse ne doit constituer un moyen de réguler les naissances » (art. 13) ;
– le remboursement n’est pas prévu ;
– cette loi ne reconnaît le droit à l’IVG que pour des femmes « en situation de détresse » (art. L162) ;
– de même, la « propagande et la publicité » (art. L647) pour l’avortement (c’est-à-dire l’information publique) restent passibles d’amende et d’emprisonnement ;
– cette loi organise un parcours de la combattante pour la femme désirant avorter : elle doit voir un médecin, lequel doit l’informer des risques encourus pour ses maternités futures (alors que l’avortement avec la méthode Karman n’a aucun impact sur la fertilité), des aides familiales (et à l’adoption) et après seulement des Centres d’IVG. Puis elle doit aller consulter un centre d’information et de conseil familial, où l’assistante à le devoir de lui proposer des solutions à ses soi-disant problèmes sociaux. Une semaine après la première consultation, la femme doit renouveler sa demande d’interruption auprès de son médecin. Le médecin peut alors pratiquer l’IVG dans un hôpital équipé ;
– les mineures célibataires doivent avoir l’accord d’un parent ;
– les femmes sans papier n’ont pas le droit d’avorter en France.
Jusqu’en 1979, les militant∙e∙s continuent à se mobiliser, car la loi n’est pas appliquée dans la réalité. Les occupations d’hôpitaux et les luttes locales pour la création de Centres autonomes d’IVG (CIVG) ont lieu un peu partout. Les inculpations pour avortements illégaux pleuvent alors que de nombreux avortements ne peuvent se faire dans le cadre de la loi (manque de structures, de moyens, dépassement des délais, pratiques dissuasives des médecins, problème pour les mineures...). Par exemple, en 1977, six femmes du MLAC d’Aix en Provence sont inculpées et jugées pour avoir pratiqué elles-mêmes des avortements malgré le passage de la loi Veil. Leur lutte ? Continuer à pratiquer des accouchements ET des avortements à domicile parce que selon elles, l’un comme l’autre doivent être contrôlés par les femmes lorsqu’elles le veulent. [13]
En 1979 la pression de la rue est forte : 50 000 femmes, en cortège non mixte, manifestent le 6 octobre pour le droit à l’avortement libre et gratuit pour toutes. La loi Pelletier est votée à une courte majorité à l’Assemblée, confirmant la loi Veil, avec ses manques, mais en rajoutant l’obligation pour les hôpitaux publics de créer des CIVG.
La répression, ainsi que le sentiment non partagé par tou∙te∙s que cette liberté fondamentale n’est pas gagnée, affaiblit les rangs. Les MLAC disparaissent petit à petit, alors que l’avortement et la contraception ne sont ni libres, ni gratuits... Il n’est toujours pas reconnu pour les femmes que leurs corps leur appartient : « Il ne s’agit en aucun cas de reconnaître le libre choix des femmes, leur droit de disposer librement de leur corps et de leur vie. La loi Veil résulte d’une concession faite après des mobilisations importantes des femmes qui firent suffisamment peur à la classe dominante pour que celle-ci soit obligée de céder du terrain ». [14]
À Grenoble, l’exemple d’une organisation pour la création d’un Centre autonome d’IVG
Avec le soutien du MFPF, des syndicats CGT et CFDT de l’hôpital, le MLAC-Grenoble décide d’organiser des permanences hebdomadaires dès le mois de juin 1975 dans le hall de l’hôpital des Sablons afin de faire pression pour l’ouverture d’un centre d’orthogénie. L’hostilité est forte : le chef du serviceÀ Grenoble, l’exemple d’une organisation pour la création d’un Centre autonome d’IVG de gynécologie est également vice-président de Laissez-les-vivre [15]. Cependant, suite à une occupation massive des groupes militants, l’hôpital des Sablons ouvre en septembre 1975 un nouveau service intitulé Médecine Sociale, dans lequel se pratiqueront les IVG. Il occupe un étage entier de l’hôpital, c’est une grande victoire. Il deviendra par la suite le Centre Médico Social de la Femme (CMSF). Néanmoins, ce service stipule bien que « la loi, qui n’est pas une libéralisation totale de l’avortement, laisse aux médecins et aux organismes sociaux le soin d’apprécier la valeur intrinsèque de celle-ci ». Ainsi, sur les vingt premières demandes, les médecins n’ont trouvé qu’un seul cas de soi-disant détresse tel que le stipule la loi.
Le MFPF continue donc à envoyer vingt cinq à trente femmes à Londres tous les quinze jours. Le MLAC, quant à lui, reprend la pratique illégale et publique de l’avortement, y compris par des non-médicaux : « La loi ne résout pas le problème de l’avortement. Aucune loi venant de l’ordre actuel ne peut le faire. Prenons nos affaires en main. Les femmes [peuvent] ne plus accepter de partager leur décision d’avorter, mais la garder, la défendre et se battre pour elle. Le MLAC veut donner les moyens d’appliquer cette décision, en évitant le rapport individuel et culpabilisant, alors que la loi Veil ne change rien à ce problème ». [16]
Il faut savoir qu’à ce moment là, le coût de l’IVG à l’hôpital est de sept cents francs, alors que la méthode d’aspiration ne coûte que vingt sept francs (au maximum). C’est aussi contre cela que le MLAC s’insurge.
En 1979, face au constat que la loi Veil est bien souvent inappliquée et que ses mesures restrictives la rendent pratiquement inapplicable, le MLAC et la Maison des Femmes décident de faire partie des dix sept organisations iséroises signataires de la plateforme d’IVG. [17]
Dans les départements d’Outre-mer, « Les mêmes sont contre, les mêmes sont pour » [18]
« L’exemple le plus caractéristique est celui de Michel Debré, député RPR de la Réunion. Il a voté contre la reconduction de la loi Veil le 30 novembre 1979. Mais dans son département d’outre-mer, l’avortement, la stérilisation, la contraception forcés sont largement pratiqués. Michel Debré n’est pas un cas isolé, ce qui est en cause, c’est la politique nataliste que la France applique dans ses départements d’outre-mer et qui est en contradiction avec sa politique nataliste ici. En effet dans les DOM existent depuis 1968 des centres [où] tout est mis en œuvre pour dissuader les femmes d’avoir des enfants (pilule gratuite à partir de quinze ans, etc.). [...].
L’exemple du continent africain est aussi significatif d’une politique globale antinataliste imposée. Dans l’écrasante majorité de nos pays d’origine, la loi française de 1920 reste inscrite dans le code pénal. L’avortement est donc interdit. Les seules exceptions sont le Mali et la Tunisie. Dans ce dernier en particulier, l’avortement est libre depuis plus de dix ans. Mais cette loi n’empêche pas que sous la pression des grands bailleurs de fonds (Banque Mondiale, etc.), nos États appliquent massivement une politique dite de planning familial. Il faut traduire par contraception et stérilisation obligatoires, surtout dans les zones rurales. [...]. Cette politique antinataliste imposée dans nos pays par ceux qui prônent une politique nataliste chez eux, s’accompagne de toute une campagne idéologique [...]. On ne peut pas oublier que dans nos pays, le corps des femmes est un champ d’expérimentation pour les nouvelles pilules et les nouvelles méthodes de stérilisation avant leur industrialisation dans les pays occidentaux. Elles ne sont pas seulement des lapines, elles servent parfois de dépotoirs pour les produits périmés et interdits.
Au-delà de la décision individuelle, la question de l’avortement pour les femmes immigrées est une question directement politique car moins que toutes les autres femmes ce ne sont pas elles qui décident. »
1981 - 2000 : l’institutionnalisation des luttes et les mouvements anti-avortement
En 1981, la ministre aux droits de la femme, Yvette Roudy, déclare qu’avant de revoir la loi, il faut déjà veiller à ce qu’elle soit appliquée. En effet, les vingt années suivantes seront consacrées à faire respecter, non sans difficulté ou échec, cette loi déjà fort restrictive...
En 1982, comme l’avait promis le gouvernement Mitterrand, l’IVG est remboursée. Les contraceptifs ne sont toujours pas remboursés et il faudra attendre 1987 pour que la publicité sur les préservatifs ne soit plus interdite.
En 1988, le médicament RU 486 (permettant d’avorter à l’hôpital par absorption de médicament jusqu’à 9 semaines de grossesse) est mise sur le marché.
En 2000, la contraception d’urgence gratuite pour les mineures (dite la pilule du lendemain) est enfin autorisée.
Depuis 1975, des Centres autonomes d’IVG sont créés sous la pression de groupes de femmes et d’associations populaires et féministes. Pour la plupart, ces centres sont animés par du personnel volontaire, issu des mouvements militants. Une partie de celles et ceux qui ont lutté pour le droit à l’avortement et à la contraception, libre et gratuit, vont travailler dans ces centres ou dans des plannings familiaux. Au début des années 1980, les mouvements féministes deviennent davantage le fait de professionnelles, actives dans les institutions qui ont été obtenues par les luttes précédentes.
L’institutionnalisation des structures accueillant les femmes a fortement atténué les pratiques militantes issues des groupes de femmes. La volonté d’un changement profond de l’aspect patriarcal de notre société n’est plus posée de façon radicale dans ces structures publiques, déjà peu financées et constamment menacées.
Pendant ce temps, des groupes contre le droit à l’avortement, ou peu favorables à son application, continuent à s’organiser via :
– le corps médical (dont une partie de ses médecins s’opposent aux IVG), par l’absence de moyens financiers et de matériels au sein des hôpitaux. La formation inadaptée au sein des études médicales [19] est également un frein à la pratique de l’IVG sans culpabilisation ;
– le gouvernement, qui ne débloque pas les fonds nécessaires pour une éducation sexuelle, une contraception gratuite et qui ne modifie pas la loi Veil pour faire de l’IVG un acte médical comme un autre (du point de vue financier comme éthique) ;
– le mouvement Laissez-les vivre, qui devient SOS tout petit, qui attaque ce droit juridiquement (tentatives répétées de modifier les lois permettant l’IVG), économiquement (lobbying et boycott des laboratoires, cliniques), physiquement (une centaine de commandos en 1990 avec casse de matériel médical, agression de praticien·ne·s,...), idéologiquement (focalisation du débat public sur "la vie" du fœtus).
– les autorités pontificales de l’Église catholique, qui réitèrent sans faiblir la condamnation de l’avortement, des contraceptifs, des moyens de protection des Infections Sexuellement Transmissibles (les IST, dont le SIDA). Ils affirment par là que la sexualité doit avoir comme unique fin la reproduction au sein de couples mariés hétérosexuels et que le destin de toutes les femmes est de devenir mères (ou de rentrer dans les Ordres).
Face à ces résistances, que ce soit du côté de la non-application de la loi, de ses manquements ou des attaques virulentes de ce droit, des associations se sont organisées :
– en 1979, l’ANCIC (Association Nationale de Coordination pour l’IVG et la Contraception) est créée. Elle rassemble des professionnel·le·s des CIVG et de planification (ainsi que toute personne défendant les droits des femmes) afin d’encourager la réflexion et la recherche théorique et pratique concernant les sexualités ;
– suite aux attaques des CIVG, est créée en 1990 la CADAC (Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception). Regroupant des associations, des syndicats et des partis, ses objectifs sont de défendre le droit d’avorter face aux attaques, ainsi que d’améliorer son application. Le 25 novembre 1995, elle organise une manifestation : 40 000 femmes descendent dans la rue défendre leurs droits.
De 1979 à 2000, les batailles pour l’application de la loi, pour sa modification et pour contrer les attaques des intégristes, sont menées davantage par les institutions telles le MFPF et les associations de défense des droits des femmes (ANCIC, CADAC...). Sur ces vingt ans, l’écart entre les groupes de femmes ainsi que les collectifs féministes autonomes et les institutions s’est creusé, affaiblissant la radicalité et la portée politique d’une remise en cause d’un système sexuel global.
Un aspect que nous aimerions souligner dans l’approche de cette période est celui de la rupture d’avec les pratiques subversives des années 60-70. Nombreuses sont les femmes qui se retrouvent isolées (refusant le mariage et/ou la maternité). D’autres se rangent, découragées par la désertion des mouvements. Il y a celles aussi qui retournent au turbin, quand leurs anciennes camarades deviennent élues ou ont de bons salaires. Celles qui regrettent de s’être arrêtées là, de donner ce monde à leurs filles. Celles qui étaient féministes et qui se retrouvent en couple avec un homme sexiste et qui n’ont plus la force de...
Un des aspects essentiels de la lutte des femmes des années 70 pour leur libération est la reconquête de leurs corps, « mais ce qui était au départ une seule lutte comprenant deux aspects interdépendants, celui à court terme qui vise un changement dans la législation ET l’objectif à long terme de la libération de la femme, dégénère petit à petit d’une manière telle que l’un semble exclure l’autre : l’objectif à long terme succombe sous le poids des intrigues politiques ». [20]
Et puis il y a celles qui maintiennent leurs discours révolutionnaires dans un contexte d’hostilité aux féminismes où l’on clame que « la libération des femmes est acquise », qui plus est en entretenant l’idée qu’il n’y aurait qu’un modèle unique de l’émancipation des femmes.
Enfin il y a celleux qui continuent la lutte pour la liberté et la gratuité des moyens de maîtriser sa fécondité, son corps ; contre les violences faites aux femmes, aux lesbiennes et aux trans ; contre les normes sociales d’assignation de genres ; contre l’hétéro-norme sociale ; contre les lois d’exclusion...
2001 - 2008 : une loi ambiguë
Sous la pression et la mobilisation des associations pour le droit à maîtriser sa fécondité, la loi du 4 juillet 2001 modernise la loi Veil et la loi Neuwirth.
Les avancées de la nouvelle loi sont les suivantes :
– décriminalisation de l’avortement : cet acte n’est plus inscrit dans le code pénal, cependant il reste dans celui de la santé publique. De crime il devient délit : les IVG non-conformes à la législation, pour les plus de douze semaines de grossesse par exemple, sont toujours passibles de lourdes peines [21] ;
– deux semaines sont ajoutées au délai légal : il est permis d’interrompre une grossesse jusqu’à douze semaines avec la méthode instrumentale. L’intervention nécessite une demi journée environ d’hospitalisation, dure une dizaine de minutes en bloc opératoire et la patiente à le choix entre une anesthésié locale ou générale ;
– possibilité de pratiquer des IVG médicamenteuses (cinq semaines de grossesse) en médecine de ville par des médecins agréé·e·s (il faudra attendre 2008 pour les plannings familiaux). Les patientes doivent prendre le premier et second comprimé en cabinet (36 à 48h entre les deux), quelques heures après la seconde prise elles peuvent rentrer chez elles qu’il y ait eu ou pas expulsion de l’embryon ;
– les peines pour « entrave à la pratique des IVG » sont alourdies ;
– la publicité et l’information quant aux Centres autonome d’IVG et aux démarches d’IVG sont permises ;
– les sans-papières peuvent avorter sur le sol français ;
les mineures doivent toujours faire un entretien social, cependant elles peuvent garder le secret vis-à-vis de leurs parents en se faisant accompagner d’un adulte de leur choix ;
– l’entretien préalable n’est plus obligatoire, la semaine de réflexion est maintenue, cependant elle peut se réduire à quarante huit heures en cas d’urgence.
Les résistances :
– toujours rien au niveau des formations : aujourd’hui il n’y a qu’entre deux et huit heures de formation théorique concernant contraceptions et IVG en étude de médecine ; très peu de cycles ou diplômes d’État concernant contraceptions et IVG ; rien non plus dans les formations de sage-femmes ou d’infirmier·e·s (actuellement seul·e·s les docteur·e·s peuvent pratiquer des IVG) ;
– pas de contrôle de l’application de la loi : rien n’est prévu pour harmoniser les conditions d’accès à l’IVG dans les différentes régions de France ;
– l’allongement des délais est insuffisant : au Pays-Bas, les femmes peuvent avorter jusqu’à 22 semaines de grossesse et c’est le pays où l’on compte le taux le plus faible d’avortements ;
– des médecins refusent d’avorter des mineures qui demandent une anesthésie générale (seul risque de mortalité) et des équipes profitent des entretiens obligatoires pour faire pression sur elles afin d’avertir leurs parents ;
– la déclaration spécifique des IVG [22] est gardée, alors qu’elle n’a d’autre fonction que de stigmatiser l’acte ;
– alors que l’Inspection Générale des Affaires de Santé a tiré la sonnette d’alarme concernant le manque de lits pour l’IVG, aucun moyen n’a été alloué ;
– avec les restructurations hospitalières, les structures de type autonome (CIVG) qui accueillent la majorité des demandes perdent leur autonomie de fonctionnement. Dans la plupart des régions, les IVG seront donc prises en charge au sein des services de gynéco-obstétrique.
En France, la fin des Centres autonomes d’IVG : alerte rouge ?
Les réformes hospitalières prévoient de retirer l’autonomie des Centres d’IVG. Or, comme nous l’avons vu, la situation pratique de l’IVG en France est en danger. Ces CIVG sont pourtant les lieux où se font la majorité des IVG. Comme le dit Lola Devolder, dans la même optique que le MFPF : « Nous émettons un doute certain quant à cette mesure qui semble n’être qu’un retour en arrière [...]. Les budgets hospitaliers seront accordés à chacun de ces services sans distinction d’activités. Il faudra donc compter sur la bonne foi des gestionnaires du service de gynéco pour qu’ils réservent une partie de leur enveloppe budgétaire au bon fonctionnement de l’IVG. Et sans surprise, nous nous permettons d’en douter ! ». [23]
Cette mesure s’inscrit dans un plan national, qui demande le regroupement des activités hospitalières afin que le personnel soit plus polyvalent. Entendez : moins de personnes pour plus de travail. La pratique de l’IVG se fera à côté des services de maternité. Étant donné que l’acte d’avorter n’est toujours pas déculpabilisé et que la maternité est survalorisée, il est probable que ce mélange d’activités amène encore plus de culpabilisation des femmes faisant ce choix.
Tout·e un·e chacun·e a pu remarquer que le service public des hôpitaux s’est détérioré ces dernières années et que cela engendre un manque de respect des patient·e·s (information, choix, qualité des actes et du suivi). Ceci dit, les actes les premiers touchés sont ceux qui concernent les populations les plus précaires (les femmes en premier lieu [24]) et ceux peu valorisant socialement et financièrement. L’IVG cumule les tares qui font de cet acte médical la cinquième roue du carrosse.
L’amendement Garraud, qui faisait reconnaître le statut de personne juridique au fœtus lors d’IVG a tout d’abord été adopté en novembre 2003, puis a été rejeté en janvier 2004, sous la pression des femmes et collectifs féministes. De même, la décision du 6 février 2008 de la Cour de cassation autorisant l’inscription à l’état civil d’un fœtus non viable pose à nouveau le problème du statut juridique du fœtus, réclamé à corps et à cri par les intégristes religieux. En soi, des initiatives personnelles, comme le fait d’enterrer un fœtus, pourraient co-exister avec la liberté d’avorter sans jamais la remettre en question. Cependant ces jurisprudences sont soit menées soit récupérées par des anti-IVG qui veulent que l’IVG soit considérée comme un crime par la loi. Les anti-choix ont toujours eu des membres actifs dans les plus hautes sphères du pouvoir. Les valeurs de la droite blanche, chrétienne et conservatrice (tendance travail-famille-patrie) et l’interdiction d’avorter au programme du Front National nécessite que nous soyons sur nos gardes.
Soyons bien claires : notre optique n’est pas de rendre incontournable ou d’obliger la pratique de l’IVG ou des contraceptions, mais que toutes les femmes aient tous les choix, qu’elles puissent les faire librement et avec une information éclairée. Il est temps que soit reconnu pour chaque être humain le droit inaliénable de maîtriser sa fécondité ! Il est temps de reconnaître qu’une grossesse, une maternité, un acte sexuel non désirés ou non consentis, SONT des violences. Il est temps d’arrêter de considérer les femmes comme des mineures, à qui il faut dire ce qu’elles doivent faire ou non.
À Grenoble, la fin du CIVG : le Centre Médico-Social de la Femme (CMSF) intégré à l’hôpital "couple-enfant"
Rappelons que le CMSF est animé par une équipe pluridisciplinaire dédiée à l’activité d’IVG pour une prise en charge spécifique et de qualité des femmes, avec le soin d’un accueil personnalisé. Or, avec la fin des CIVG, le CMSF perd son personnel affecté uniquement à l’unité. Dans les années qui suivent le budget est réduit avec pour conséquences, entre autres, la suppression du poste de la kinésithérapeute, formée aux méthodes de relaxation, afin de répondre à la demande des femmes ne souhaitant pas être endormies.
Les inconvénients de l’hôpital couple-enfant ?
– de moins bonnes conditions d’exercice. Les consultations ne seront plus faites dans des locaux spécifiquement dédiés à cette activité.
– les femmes ne pourront plus non plus avoir tous leurs rendez-vous dans une matinée, ceux-ci seront dispersés dans le temps : un nouveau problème pour les délais qui risquent de s’allonger ?
– une pression idéologique à la maternité dans le cadre d’un couple : nous doutons que le nom de l’hôpital fera plaisir à toutes celles qui iront avorter, accoucher seule, se faire opérer d’un cancer du col de l’utérus ou qui viennent pour une fausse-couche... Cette pression est certes perceptible dans le nom de l’hôpital, mais aussi dans les articles : dans la vingtaine de textes publiés jusqu’en 2007 (sur internet et dans le Dauphiné Libéré) à propos de cette structure, aucun ne parle de la pratique de l’IVG et le mot femme a disparu du vocabulaire, au profit de "mère" : nous trouvons trois fois le mot mère et vingt-huit fois le mot couple.
Nous pouvons en effet nous inquiéter sur les motivations de l’hôpital couple-enfant, qui paraît peu soucieux d’accueillir les personnes dans le respect de leur diversité de parcours. Et plus encore quand on sait que les patientes de l’IVG sont celles que l’on cache volontiers.
Pendant toutes ces années, la culpabilisation des femmes
Si le droit à l’avortement (sous certaines conditions) est un acquis en France, les femmes sont encore amplement culpabilisées par différents processus :
– Considérer l’IVG comme un « échec à la contraception » : le reproche le plus courant, par les proches comme par le personnel médical, c’est que nous ne saurions pas utiliser une contraception. C’est "de notre faute", nous sommes "irresponsables". Cependant, en quarante ans de fécondité, même pour les plus contraceptées, un parcours sans risque de grossesse non-désirée est rare. De plus, il est très fréquent que des femmes lassées de s’occuper seules de la contraception, ou sous la pression de leurs amants (qui ne veulent pas mettre de capote par exemple), relâchent leur attention... Ici la responsabilité est pourtant bien du côté des hommes. Et combien sont celles qui tombent enceintes parce qu’elles ont un contraceptif inadapté à leurs pratiques sexuelles ? Celles à qui on a refusé de mettre un stérilet pour des raisons non médicales ? La responsabilité est alors bien du côté des médecins... Sans parler des viols conjugaux ou extra-conjugaux où l’on ne négocie pas une contraception. Avorter est trop souvent présenté comme un échec personnel, alors que nous sommes pourtant encore loin d’avoir une information complète et un partage conséquent des responsabilités ;
– Considérer l’IVG comme un « mal nécessaire » : la docteure Marie-Laure Brival met en lumière que dans le service public (et même dans des associations) certain·e·s continuent à entretenir le mythe du « zéro avortement ». En faisant cela, illes contribuent à considérer l’IVG comme un « mal nécessaire » (donc c’est toujours mal). « Cette pensée entretient la stigmatisation des femmes que l’on continue de regarder comme des inconscientes surtout quand il ne s’agit pas du premier avortement... Combien de fois ai-je entendu le terme de récidivistes de la bouche même des professionnels de l’IVG [25] ». Marie-Laure Brival dénonce cette hypocrisie : l’IVG doit être considérée comme un moyen, au même titre que la contraception, de choisir d’avoir ou non des enfants, moyen n’intervenant pas dans les mêmes circonstances de la vie. Il serait temps, dit-elle, d’arrêter de considérer l’IVG comme un fléau national, étant donné que ce n’est dangereux ni pour les femmes ni pour leurs éventuelles futures matérnités ;
– Répéter que l’IVG « est un drame pour toutes » : autre pensée véhiculée par l’État, l’entourage, les médecins... Avorter serait forcément difficile pour une femme. Or, selon l’enquête de l’équipe GINÉ, certaines femmes sont tristes, d’autres ne le sont pas. Est-ce toléré qu’une femme ne vive pas son IVG comme un drame ? Dans la loi déjà, il est dit que l’avortement concerne les femmes « en situation de détresse ». Dans bien des cas, les femmes doivent se justifier. Dans l’entourage, dans les médias, les phrases comme « Avorter, tu t’en remets jamais », sont fréquemment entendues, mais qu’à peu près une femme sur deux avorte, ce n’est jamais dit. Impossible de dire publiquement que non, ce n’est pas forcément dramatique. Quand est-ce que nous considérerons qu’avorter peut être un acte banal, que ce peut être une façon de réguler sa fécondité, tout simplement ? Quand aurons-nous le choix de le vivre bien, moyennement ou mal ?
– Le tabou : une autre façon pour faire qu’une femme qui va avorter se sente mal, c’est de maintenir le tabou. En effet, si l’on parlait aisément de l’IVG, nous saurions que beaucoup de femmes l’ont vécu, que ce n’est pas forcément dramatique. Nous saurions un peu mieux quels sont nos droits et pourrions répondre aux médecins abusi·f·ve·s. Mais le silence laisse les femmes complètement désinformées et isolées. Rappelons nous que jusqu’en 2001 la loi Veil interdisait la diffusion de toute information publique pour la pratique de l’avortement (la propagande anti-IVG, elle, n’étant pas interdite). Le fait qu’on n’en parle pas, ou que le seul discours public soit moralisateur, entretient la culpabilisation des femmes ;
– La confusion fœtus/personne : si vous parlez d’IVG, est alors bien souvent abordé la question de savoir si l’embryon est un humain ou non, à partir de quand... qui plus est, faisant correspondre à l’étiquette « humain » un respect religieux. C’est une victoire des anti-choix, des forces réactionnaires (catholiques ultra et extrême droite) pour attaquer les femmes dans la libre disposition de leurs corps. Les anti-choix proclament la sacralité de l’embryon (puis du fœtus), les identifiant à un « bébé sans défense ». Cette affirmation sert à culpabiliser les femmes : une fois l’embryon sacralisé, il devient en effet difficile de regarder ce que c’est, ce qu’il est ou n’est pas, mais aussi de comparer l’intérêt potentiel de l’embryon avec ceux très concrets de la femme ou du couple. [26]
En 2001, l’IVG est loin d’être un acte médical banalisé. La loi, les pratiques médicales déviantes, le laxisme gouvernemental, les résistances idéologiques, font de l’avortement un acte à part, mal vu, avec peu de moyens, donc souvent mal pratiqué. Les femmes qui avortent sont à un moment ou un autre culpabilisées. Il est temps de réellement considérer ce choix comme un choix respectable. C’est un des moyens de maîtriser nos fécondités, comme la contraception, l’un ne devant pas être à l’ombre de l’autre. Engendrer est toujours une affaire hautement sociale et empêcher les femmes de réguler leur fécondité est toujours le résultat d’une politique des sociétés patriarcales.
2008... ici comme ailleurs, qu’allons-nous faire ?
Recréer des groupes qui militent et agissent aujourd’hui sur la maîtrise de nos fécondités, de nos corps ? Est-ce le moment de développer de nouvelles pratiques subversives, des réseaux de soutiens ? De revendiquer une autre pratique du soin, respectueuse des décisions personnelles, valorisant les pratiques en non-mixité, l’autodétermination, ainsi qu’une information claire et précise ?
Aujourd’hui encore, le débat est orienté autour de « pour ou contre l’avortement », alors qu’il est grand temps de dépasser ce questionnement afin de se (re)demander « comment ? ». Comment voulons-nous avorter ? Et dans quelles conditions ? Oui, nous avortons, c’est un fait avec lequel il est nécessaire de composer en toute intelligence. Car pendant que le débat « pour ou contre l’avortement » perdure, une femme dans le monde meurt toutes les sept minutes des suites d’un avortement clandestin.
Replonger dans l’histoire des luttes pour la liberté et la gratuité de l’avortement nous a permis de prendre connaissance du rôle des femmes dans cette histoire. Et de savoir à quel point les groupes de femmes et collectifs féministes peuvent changer ce que nous appelons encore trop souvent la fatalité.
Relire les revendications de nos aîné·e·s nous met face au fait que nous sommes encore bien loin des objectifs fixés...
Laisserons-nous encore les pouvoirs législatifs, religieux et médicaux dire ce que nous devons faire de nos corps ?
[1] voir à ce sujet le film de CHABROL Claude. 1988. Une affaire de femmes. Fiction. France.
[2] voir à ce sujet voir le livre du MFPF. 2006. Liberté, sexualités, féminisme. 50 ans de combat du Planning pour les droits des femmes. Paris. La Découverte.
[3] extrait du COLLECTIF LA GRIFFONNE. 1981. Douze ans de femmes au quotidien. 1970-1981, douze ans de luttes féministes en France. Paris, La Griffonne.
[4] voir le livre de HALIMI Gisèle. 1978. La cause des femmes. Paris. Bernard Grasset.
[5] Groupe d’Intervention Santé : composé de médecins et de miltant∙e∙s d’extrême gauche.
[6] utilisée depuis les années 60 en Angleterre par exemple, c’est une méthode d’aspiration du contenu utérin. Elle utilise une sonde, introduite par le col de l’utérus dans la cavité utérine, reliée à une pompe à vide. L’intervention dure environ 5 minutes. C’est la méthode dite instrumentale utilisée de nos jours à l’hôpital.
[7] voir l’étude de HILDE Olrik 1978. La lutte des femmes à Grenoble de 1968 à 1966. Roman Institut Kobenhav.
[8] communiqué de presse pour l’Agence de Presse Locale du mercredi 21 juin.
[9] CLAC. 1973. Libérons l’avortement. Paris. Édition Maspero.
[10] CLAC. Opus cité.
[11] HALIMI Gisèle. Opus cité.
[12] voir le livre de VEIL Simone. 2007. Une vie. Paris. Stocks.
[13] voir à ce sujet le film de GRAND Nicole, LE MASSON Yann. 1980. Regarde, elle a les yeux grand ouverts. Documentaire. France.
Téléchargeable ici : http://www.les-renseignements-genereux.org/videos/4091.
[14] extrait du journal féministe grenoblois Marie Colère, octobre 1979.
[15] association de catholiques intégristes et/ou d’extrême droite.
[16] extrait du « Petit historique du MLAC-Choisir Grenoble », in Marie Colère. Décembre 78.
[17] toujours en activité aujourd’hui.
[18] extrait du journal sansFrontières, 4 décembre 1979.
[19] à ce sujet voir le livre de GELLY Maud. 2006. Avortement et contraception dans les études médicales. Une formation inadaptée. Paris. L’Harmattan.
[20] HILDE Olrick. Opus cité.
[21] le Canada, exception mondiale, est le seul pays au monde à ne plus avoir de loi sur l’avortement. Ainsi il démontre que l’avortement peut se passer de législation et être traité comme n’importe quelle autre intervention médicale (et les IVG s’y passent dans de bonnes conditions sanitaires, sans trafic financier).
[22] c’est le seul acte qui doit être recensé dans un bulletin statistique récolté par le ministère de la santé, puis analysé et publié par l’INED et l’INSERM.
[23] extrait de PROCHOIX. 2005. Droit à l’avortement, état des lieux + état d’urgence. Toulouse. Auto-édition.
[24] les récentes études sur le VIH et sur les maladies cardiaques ont constaté que les femmes sont moins bien diagnostiquées, moins bien prises en charge et moins étudiées par la recherche. Ceci s’explique par la dominance masculine au sein des institutions de décision du monde médical, par une vision androcentrée (l’individu type est de sexe masculin), mais aussi par la différence de richesse entre femmes et hommes (les femmes gagnent un tiers de moins par an que les hommes en France).
[25] extrait de BRIVAL Marie-Laure. 2003. Enjeux et résistances à la prise en charge des IVG dans les services publics. http://www.ancic.asso.fr.
[26] rédaction des Cahiers Antispécistes. 1995. « Pourquoi nous sommes pour la liberté d’avorter et autres rapides considérations ». in CA n°12.
Nous vous encourageons également à lire l’article sur DégenréE de Christine Delphy, « Comment nous en venons à avorter (nos vies sexuelles) », in Le Monde du 22 octobre 2000.
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