PRATIQUES


Le prix libre

mis en ligne le 5 décembre 2003 - Infokiosques.net , L’Épinoche

"PRIX LIBRE", ÇA VEUT DIRE QUOI ?

Pour mettre en place et organiser l’Épinoche, nous nous organisons avec nos propres moyens, avec le moins de dépenses possible. L’installation de l’infokiosque s’est ainsi faite à partir de matériel de récup’ et de bricolages effectués avec les moyens du bord. Pour ce qui est des frais d’impression et de photocopie, c’est pareil, on essaye de trouver les plans les moins chers, voire gratuits, mais ça nous coûte quand même un peu d’argent. C’est pour ça qu’on propose les lectures présentes dans l’infokiosque à prix libre, juste pour qu’on puisse rentrer dans nos frais.

Prix libre, ça veut dire qu’on donne ce qu’on veut, ce qu’on peut. On peut donner plus que ce que ça coûte, ça permettra de faire encore plus de photocopies, mais on peut tout aussi bien ne rien donner. Le prix libre inclut la gratuité, car tout le monde n’a pas toujours les moyens de laisser des sous.

Dans tous les cas, nous pensons que la qualité d’un texte, d’un livre ou d’une brochure, ne dépend en rien de son prix. Les idées, comme le savoir en général, devraient être librement accessibles et appropriables par toutes et tous, sans que l’argent ne vienne imposer son rôle de séparation et de hiérarchisation. Nous pensons d’ailleurs que tout devrait être gratuit, pas seulement les idées. Rien ne devrait être monnayable. Vivement la fin de l’argent et de la société spectaculaire-marchande.

L’Épinoche (infokiosque du squat de l’Écharde), nov. 2018.

Le prix libre selon l’Épinoche (nov. 2018)

L’Écharde
19, rue Garibaldi
93100 Montreuil
(Métro Robespierre)
lecharde@@@riseup.net

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SÉRIE D’AFFICHES DE 2015 SUR LE THÈME DU PRIX LIBRE

À travers l’histoire :

I. La préhistoire
II. Le Moyen-Âge
III. La Révolution industrielle
IV. La société spectaculaire-marchande

Aujourd’hui et demain :

V. Aujourd’hui
VI. Demain

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TEXTE ÉCRIT EN 2003 POUR PRÉSENTER LA NOTION DE PRIX LIBRE SUR INFOKIOSQUES.NET

Problème.

Mettons qu’un infokiosque n’a pas encore trouvé les contacts et les techniques pour se procurer gratuitement papier, encre, machines à imprimer. Il veut quand même répandre des brochures alors il va les photocopier à la boutique du coin. Mettons que la brochure sur les catastrophes écologiques en Amérique trans-caucasienne coûte deux francs six sous à photocopier. L’infokiosque ne veut pas perdre de l’argent à diffuser cette publication, mais il ne veut pas non plus faire du profit dessus, parce qu’il n’aime pas les logiques marchandes. À combien la vend-il ?

Solutions.

À prix coûtant : 2 francs 6 sous.

Ou bien : à prix libre. Dans le prix libre, ce n’est pas le/la vendeur/euse (l’infokiosque) qui fixe le prix, mais l’acquéreur/euse, l’usager-e (le/la futur-e lectriceur de la brochure). La lectrice A, qui est dans une situation économique médiocre, ne donnera si elle le veut, et sans culpabilité, qu’un franc trois sous. Par contre le lecteur B, lui, qui roule plutôt sur l’or ou qui veut donner un coup de pouce à l’infokiosque, choisira peut-être de donner trois francs et neuf sous. On estime en effet, généralement, que le beaucoup d’argent donné par les lecteurices de type B compense le peu d’argent donné par les lecteurices de type A. L’idée est que l’argent, le prix, ne soit jamais un obstacle à l’accès aux brochures, que l’infokiosque puisse tourner en s’adaptant aux moyens des lecteurices. Tu donnes ce que tu peux, ce que tu veux. Une autre idée importante du prix libre, c’est qu’il demande au lecteur ou à la lectrice un moment de questionnement : combien vais-je donner ? Quels sont mes moyens ? Quels sont les dépenses de cet infokiosque, qui a aussi besoin de moi pour tourner ? À quel point puis-je ou ai-je envie de participer ? On s’éloigne ainsi d’une attitude purement consommatrice, où la somme qu’on donne (le prix fixe de deux francs six sous par exemple) est soit un geste rapide et machinal, soit un geste effectué à contre-cœur. On instille dans "l’achat" un peu plus de lucidité, d’autonomie, de démarche active. Le lectrice ou la lecteur sont des égales et des égaux, dignes de confiance, de compréhension et d’intelligence, et pas des client-e-s à pigeonner.

Bien sûr, un des objectifs restant l’abolition de l’argent, nous apprécions plus que tout la gratuité quand cela est possible. Nous pensons, à l’inverse du poncif qui veut que « si c’est gratuit, c’est que ça doit pas être génial », que si un texte est gratuit, c’est qu’il a l’intelligence de ne pas monnayer sa qualité.

Anonyme, 2003.

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Témoignage "une fervente adepte du prix libre"

Extrait d’une interview d’Elsa/Bavardages (2006)

Clone zine - Je sais que tu es une fervente adepte du prix libre. Peux-tu nous expliquer ton point de vue ?

Elsa/Bavardages - Wow la question piège. C’est lié à un truc très important pour moi, mais très vaste et pas très clair, eheh... En gros, on dit que notre mouvement punk hardcore est un mouvement anti-capitaliste, enfin... moi, je dis ça. Et c’est pour ça, entre autres, que je m’y retrouve. Le capitalisme, entre autres, c’est de faire circuler des marchandises. L’un des piliers du capitalisme est l’échange marchand : je te donne ceci (un objet ou un service) qui a une valeur définie comme telle, contre cela (en général de l’argent) qui a une valeur définie comme telle. En général la marge est un bénéfice qui va dans la poche de gens puissants pour qu’ils deviennent encore plus puissants, ou au moins le surplus permet d’entretenir un système dans lequel des gens seront toujours exploités, toujours moins riches...

Le système, très utilisé chez les punks, du "no profit" essaie de remettre cela en cause : on ne demande, en échange d’un objet (zine, disque) ou service (entrée à un concert), que le prix de revient, afin de se rembourser les frais, mais pas plus, ou alors on échange deux objets qui ont coûté la même chose à produire... Ainsi on peut continuer ses activités sans perdre soi-même de l’argent, mais sans s’en mettre dans les poches. Mine de rien, ce fonctionnement est un coup de marteau permanent sur l’orteil du capitalisme, je trouve ça assez cool... mais ça ne me suffit pas pour remettre en cause le capitalisme. Le capitalisme, c’est le rapport marchand entre toi et moi, entre chacun/e d’entre nous. C’est le donnant-donnant, c’est le "je te dois ça", c’est le fait de décréter que telle chose a telle valeur... Et quand tu mets un prix fixe, tu resteras toujours dans une sorte de rapport commerçant (avec ces gens qui n’achètent pas de disques parce qu’ils n’en ont pas les moyens, ces autres qui font chier à l’entrée du concert parce qu’ils passent leur vie à gruger quand on leur demande de l’argent, et ne voient pas de différence entre toi et la caissière de chez Casino...), tu désavantageras toujours celui ou celle qui a moins de pognon que d’autres...

Alors je préfère la solution du prix "libre", même si elle n’est pas révolutionnaire : tu donnes ce que tu veux ou peux, le but étant, au final, de récupérer l’argent qu’on a mis pour produire la chose (concert, zine, disque, repas...). Il y a un côté plus coopératif : chacun/e participe à sa manière à payer le truc. Derrière ça se profile forcément la nécessité à mon avis de réfléchir à réduire les coûts en argent de ce qu’on produit, voire même d’essayer que ce qu’on produit ne coûte rien ?

Moi je trouve ça beau de diffuser un album gratos, parce que les CD-r sur lesquels il est gravé ont été volés, les pochettes sérigraphiées à moindre frais et financées par un concert, et le tout avec un bon son issu de la coopération de passionné/e/s. Le prix libre finalement, c’est un moyen de récupérer l’argent qu’on a mis pour créer un truc, tout en ne se contraignant pas dans le rapport marchand de base. C’est pour ça que je ne vois aucun problème à donner un prix indicatif : "je te dis combien ça coûte à produire, et tu y participes comme tu peux ou veux".

Après, il me semble plus intéressant de chercher à créer des choses hors du rapport marchand... C’est pour ça que mon dernier zine, j’ai pu avancer le pognon, et il est "prix libre", mais en fait j’ai pas envie de me prendre la tête avec ça, j’ai la chance de pouvoir avancer les sous, je donne le zine aux gens à qui j’ai envie ou qui en manifestent l’envie, ils ou elles me donnent des trucs (pognon ou autre) s’illes veulent, mais sinon je m’en moque... et le jour où je pourrai, je ferai un genre de "soirée pognon" (concert ou autre) : les gens viendront s’amuser et donneront des sous et les bénéfices couvriront une partie des frais du zine. Tu vois ça n’a même pas la prétention de tuer le fric, car il nous faut bien plus que ça pour tuer le fric, mais au moins ça déstabilise le bête rapport marchand : on crée comme on peut, on diffuse comme on veut, et on récupère des sous comme on peut.

J’aimerais bien qu’on réfléchisse plus à ça pour nos productions de disques... et qu’on sorte des débats limités du genre : "si tu baisses les prix ou que tu fais un prix libre, tu fais des trucs de moindre qualité", ou encore : "les gens, si on leur donne pas un prix fixe et un peu haut, ils consomment bêtement en profitant, et c’est toi qui te fais toujours avoir"... Je crois qu’on peut dépasser ça. Je le souhaite.


Extrait d’une interview parue dans Clone zine en 2006.