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We want to riot not to work [Brixton, 1981] Émeutiers plutôt que travailleurs

mis en ligne le 5 novembre 2007 - Collectif Riot Not To Work

Bréviaire

DHSS : Department of Health and Social Security (Centre des allocations)

Home Office : ministère britannique chargé des compétences de politiques intérieures comme la sécurité publique en Angleterre et au pays de Galles

Lambeth Council : Conseil municipal de Lambeth (Brixton, Streetham, Clapham, Norwood, Waterloo)

MSC : Commission des Services de la Main d’œuvre

SAS : Special Air Service, commando aérien

SPG : Special Patrol Group, groupe commando

SUS Law : Stop and Search, arrêter et rechercher permet la préventive pour mettre en place les inculpations

Tory : En 1975, Margaret Thatcher prit les rênes du Parti conservateur et lui fit prendre un virage à droite. Néolibérale économiquement et socialement, conservatrice sur les questions de société, elle engagea en parallèle une politique de réduction sensible des dépenses publiques et de la fiscalité, accompagnée d’une dérégulation tous azimuts et d’une limitation du pouvoir des syndicats, qui permirent au Royaume-Uni de renouer avec une croissance élevée et une meilleure compétitivité, mais à un prix social élevé : chômage de l’ordre de 9 %, tensions sociales, etc…Elle fut évincée de la tête du Parti conservateur en novembre 1990, et fut remplacée par son dernier Chancelier de l’Echiquier, John Major.

Travailliste : parti politique du centre-gauche. Lors de sa défaite en 1979 face à Thatcher, les syndicats critiquent les dirigeants du parti pour leur pratique gouvernementale passée. Ils souhaitent reprendre la main sur le parti lors du congrès de Wembley (1981). Cette forme de radicalisation à gauche suscite la scission de l’aile modérée du parti qui fonde le Parti social-démocrate. Il essuie un désastre électoral en 1983. Progressivement s’opère un recentrage, tandis que l’influence des syndicats dans la société britannique est diminuée sous les coups portés par le gouvernement Thatcher.


INTRODUCTION :

welcome to brixton and it’s famous market

Au moment où cet essai est imprimé, un an s’est écoulé depuis l’insurrection d’avril à Brixton, suivie par d’autres émeutes à travers l’Angleterre en juillet. Depuis, la surface apparente des choses a beaucoup changé à Brixton. Sur High Street, les bourgeois ont été très occupés à accueillir les visiteurs de « Brixton et de son fameux marché », dans l’espoir de quelques transactions touristiques. Sur le front, la devanture de tôles ondulées d’habitude unie est maintenant recouverte de graffitis au sujet de la Pologne ! Apparemment la politique du Lambeth Council – contrôlé par les travaillistes – fût d’effacer immédiatement tout slogan concernant la lutte de classes chez elle mais pas ceux concernant de telles luttes ailleurs.

Qu’est-ce qui a changé depuis les émeutes de l’an dernier ? Depuis février, un hélicoptère de la police est souvent aperçu survolant Brixton. Il fournit des instructions aux voitures de polices qui patrouillent dans les quartiers pauvres où les arrestations arbitraires dans la rue restent fréquentes. Des opérations de nuit sont réalisées, braquant les phares sur toute la zone – spectacle familier des quartiers nationalistes d’Irlande du Nord.

Puis, ils ont communiqué les statistiques « d’agressivité » d’après les origines ethniques. Au moment où les agressions contre les noirs par la police et par les groupes racistes augmentent, cette tactique policière ne peut être perçue que comme une provocation. Nous savons aussi que la police et le Lambeth Council ont donné des instructions secrètes pour le prochain week-end qui marquera l’anniversaire des émeutes d’avril. De plus, le Conseil vient juste de faire construire des « pots de fleurs » dans tous les espaces ouverts des galeries marchandes de Brixton Road. Peut-être ces boîtes sont-elles voulues simplement pour embellir l’espace, cependant, elles empêchent adroitement les foules de se rassembler dans ces endroits stratégiques.

Entre-temps, les aspects les plus importants de la vie quotidienne restent peu changés. La police reprend « graduellement » le harcèlement des jeunes de la classe ouvrière (et particulièrement des noirs dans la rue) par des arrestations arbitraires. Les squats de longue date situés sur la « ligne de front » ont reçu des avis d’expulsion. Nous restons debout et marchons d’un pas lourd vers nos inutiles et ennuyeux boulots, ou nous signons au bureau des allocations pour notre chèque bimensuel de la DHSS (allocations). Même si les émeutes n’ont pas transformé fondamentalement ni les conditions de travail, ni les salaires, ni la répression policière, elles marquèrent tout du moins pour nous un changement temporaire dans les relations sociales. Nous nous réjouissons du bouleversement des rapports d’autorités imposés par le marché économique sur nos vies, telle l’expérience d’ « acheter sans argent », l’insoupçonné sens du « Fameux Marché de Brixton » nous libère de la compulsion vendre/acheter.

Nous allons maintenant revenir sur les émeutes mais pas pour évoquer un souvenir romantique ou faire une analyse détachée des réalités. Nous écrivons cette brochure avec le sentiment que nous sortons de « l’hiver le plus froid depuis 30 ans » pour entrer dans ce qui pourrait être « l’été le plus chaud ». Nous espérons que les éléments de cette brochure auront quelques perspicacités utilisables pour les luttes à venir – qu’elles prennent ou non la même forme que l’année dernière.

Il est important pour nous de dire que tous les auteurs sont blancs. Reconnaissant la centralité de la résistance des noirs au racisme pendant les émeutes, nous décrivons comment une telle résistance devient un point d’entrée plus large pour notre propre refus de la simple « survie » en tant que travailleurs salariés ou non, femmes… Bien que nous ayons une expérience de l’exploitation, du harcèlement et de la coercition différente de celle des noirs, des asiatiques, nous menons les mêmes combats dans les rues, contre les mêmes ennemis – la police. En même temps, nous sommes tous conscients que les tensions entre noirs et blancs, hommes et femmes ont continué après les émeutes.

Cette brochure contient 3 parties principales écrites par des auteurs différents, chacune traitant des évènements d’un point de vue différent.

I – « C’etait ce qu’il fallait faire ! »

Les généralisations sur les évènements sont difficilement utilisables du fait qu’elles reflètent surtout l’expérience de ceux qui s’impliquèrent dans les émeutes. Les auteurs de la première partie expriment leurs pensées, leurs sentiments et leurs aspirations pendant le mouvement d’Avril. Ils donnent des informations de fonds sur Brixton et sur ce qui a conduit aux émeutes. Tous ces apports ont été écrit juste après les évènements mais sont restés inédits jusqu’à maintenant (excepté le premier qui fut imprimé dans Freedom).

Assez ironiquement, nous avons titré cette section d’après la citation d’un jeune noir expliquant pourquoi il avait pris part aux émeutes : « C’était ce qu’il fallait faire ! ». Nos articles essaient d’expliquer comment l’incident initial a mis en route l’émeute, attirant une participation plus large que simplement un jeune homme noir ; en même temps, nous posons la question de savoir pourquoi les combats ne se sont pas étendus davantage dans le temps et dans l’espace.

II – La classe impossible

Le débat entre droite et gauche sur les émeutes est centré sur la question de quand et comment le chômage a pu créer cette situation. Nous abordons ici la question des sociologies stériles. Plutôt que d’éplucher les statistiques du chômage, nous étudions l’émergence d’une classe recomposée qui défie l’analyse de classe orthodoxe et les stratégies de contrôle de l’État. La confrontation de rue peut être comprise comme le résultat des ratés du système capitaliste à réguler le marché du travail, au travers de plus subtiles significations, nécessaires à la récente transformation de la nature de l’emploi aussi bien qu’à celle du chômage, spécialement si la nouvelle économie est plus explicite quant au pouvoir permanent du travail. Le chômage peut être cité comme « cause » des émeutes seulement dans le sens ou il a servi à soulever un point majeur de l’antagonisme de classe, des bureaux à l’usine à la rue, mais il n’a certainement pas généré une demande massive pour plus de travail salarié.

L’article porte un regard critique sur les vieux clichés de la « communauté ». Ce terme évoque habituellement la traditionnelle communauté de propriétaires détenant l’autorité des professeurs, gardiens de boutiques, structures familiales, etc … Cependant, les émeutes ont marqué une rupture par rapport à cette « respectable » communauté en ouvrant la voie vers une nouvelle communauté en opposition, que l’État se trouve contraint à vouloir désorganiser. L’ « Impossible Classe » finit par poser la question de comment construire une opposition communautaire d’activités créatives qui pourrait se défendre elle-même contre l’État et les partis politiques… construite sur les moments les plus créatifs des révoltes récentes.

(L’article tout entier est basé sur un écrit original réalisé juste après les émeutes de juillet. La version intégrale a été publiée dans le supplément d’Anarchy n° 33 mais sans l’introduction écrite pour cette brochure).

III – de l’attaque à la defense à …

Cette 3ème partie aborde la situation en vue de la suite du mouvement. Bien qu’une émeute ne puisse continuer indéfiniment sans un soulèvement révolutionnaire général, elle peut contribuer à le provoquer. Mais, quand on se souvient d’émeutes, elles se sont terminées en majeures parties par la répression, l’isolement et la division de ceux qui, à un moment, se sont rassemblés comme communauté d’insurgés. Comment casser ce cercle mortel ?

Juste après les émeutes de juillet, par exemple, la foule d’une salle du tribunal de Wolverhampton a presque réussi à libérer des camarades du banc des accusés. Cependant, durant l’hiver, des centaines de personnes se sont retrouvées face à des peines de prison, dans le même isolement qui prédominait avant les émeutes. Le capitalisme continuera à nous mettre en échec tant que la rébellion restera confinée aux mois chauds, aux commémorations ou aux contre-attaques des provocations les plus flagrantes de la police – laissant l’ultime initiative à l’État.

Avec ce problème en tête, l’article se penche sur l’incapacité des groupes de défense à soutenir ces « moments de création » de la révolte, en exprimant la désorganisation et l’absence de pouvoir qui limita les émeutes de juillet, autant que l’avait fait le progrès des tactiques policières jusqu’alors. L’article tente de faire des suggestions pour de possibles nouvelles formes d’organisations visant à défendre les cibles de la répression étatique et à généraliser la rébellion de la communauté d’opposants. Lorsque nous voulons atteindre un point de confrontation majeur pour le prochain mouvement, le travail de préparation peut aussi être réalisé au-delà d’une défense du territoire de quartier, vers une transformation complète de la totalité de la vie quotidienne, en détruisant les lois du capital et l’État.

Pour conclure nous rappelons que les auteurs, vivant pour la plupart à cet endroit, l’accent est mis sur la situation dans la zone de Brixton. Nous avons cependant incorporé à notre analyse des évènements survenus dans d’autres villes. Nous espérons que cette brochure inspirera des gens quelque part – à Toxteth, St-Paul, Handsworth, Moss Side, etc… – à publier leurs expériences aussi.

Collectif RIOT NOT TO WORK
Mars 1982.


« C’ETAIT CE QU’IL FALLAIT FAIRE ! »

Cette fois le feu

A partir de maintenant, les prémices sociaux et économiques aux émeutes de Brixton seront familiers à la plupart des gens : une liste d’attente de logement de 18000 demandes dans le quartier de Brixton ; 1/3 des logements non conformes ; un chômage qui s’élève à environs 2/3 parmi les noirs ; un taux de vols élevé (en fait le plus haut de Londres) ; accompagné d’une absence d’aménagements sociaux.

Tout cela est vrai. La zone autour de Railton Road (triangle Frontline / Mayall Road) est habitée par des noirs logés en HLM et des squatters blancs (extrême gauche / anarchistes / marginaux). Des maisons vides sont aussi utilisées par les habitants noirs pour boire et jouer, se droguer, discuter durant les nuits « Blues » (Non-stop Reggae). Sur Frontline, un atelier d’artisans noirs s’est installé dans un bâtiment vide et, juste en dessous une ancienne librairie noire est devenue une librairie anarchiste squattée. Ici les gens tendent à vivre sur les restes de la société capitaliste. Depuis des années « le triangle » a été sur les cartes de démolition mais c’est seulement depuis deux ans que de nombreux essais ont été faits pour les réaliser. L’office HLM manque d’argent et agit au coup par coup, créant un environnement de plus en plus délabré. Cependant, le dédale de rues à l’Ouest de Frontline semble plus « sain » depuis qu’ils y ont installé des blancs, des professions libérales ou bien des noirs « parvenus ».

Sous Frontline il y a deux cultures différentes – la blanche et la noire – et c’est la culture noire qui prédomine, à la lisière de laquelle les jeunes blancs participent. Drogue et Reggae. Les noirs ont leur propre langage – patois – qui leur donne une identité culturelle indépendante qu’il n’est pas aisé de co-opter ou de diluer. Peut-être l’aspect le plus révélateur de cette culture (en termes d’émeutes) est qu’elle est une culture de rue (en dépit de la météo anglaise). Hiver comme été, il y a toujours une foule de noirs sur Frontline, rappant, fumant, riant, occupant visiblement leur espace social.

Mais se sont les flics qui proclament le contrôle des rues de Londres. Depuis 2 ans que j’habite Frontline j’ai bien vu que les flics essaient constamment d’intimider la population avec des patrouilles permanentes, à pieds, en voiture et parfois à cheval (J’ai vu il y a quelques mois un policier à cheval poursuivre quelqu’un sur Mayall Road).

Actuellement, les flics savent qu’ils ne peuvent pas contrôler entièrement Frontline. Malgré leurs revendications et leurs patrouilles, leur politique sur Frontline est celle de l’endiguement – raids périodiques pour rappeler qui contrôle et pour prévenir les déviances rebelles. Des opérations telles que celles de 1978, quand la SPG bloquait Frontline et recherchait qui que ce soit coupable d’outrage. Particulièrement, les noirs de la 2ème génération qui sont dans leur totalité rebelles. Il y a à peu près un mois, un motard noir a déchiré l’amende que lui avait mis un flic et la lui a jeté à la figure, applaudit par la foule qui s’était rassemblée.

La police utilise constamment les lois SUS (Stop and Search) pour arrêter et rechercher de jeunes noirs. Et elle le fait avec vengeance. Un autre évènement sur Frontline l’illustre très bien : quand deux véhicules se percutent, les flics, immédiatement présents, recherchent les deux véhicules, leurs conducteurs et leurs passagers. Les blessés étaient secondaires. Avec de telles privations quotidiennes et une telle brutalité aveugle de l’État, un tel harcèlement, ce qui unit les différents éléments de la population sur Frontline est une haine brûlante des flics. Ce qui a le plus surpris les riverains quand les émeutes ont éclaté l’année dernière, c’est qu’elles n’aient pas eu lieu avant. Un autre étonnement fut que les graffitis anarchistes qui sont apparus après Bristol – « Bristol hier, Brixton aujourd’hui » – ont mis un an à se réaliser. Les institutions savaient cela aussi. Seulement quelques mois auparavant, le Lambeth Council publiait un rapport critiquant la police et prévoyant les troubles à venir.

La semaine avant les émeutes.

Le flicage constant et intense de Brixton et particulièrement de Frontline fut renforcé la semaine précédant les émeutes. À 23 heures, le 3 avril, la zone de Frontline autour de Dexter et Leeson Road était quadrillée et personne ne pouvait y entrer ou en sortir. Plus de 20 arrestations. Puis, la semaine suivante, l’opération « Swamp 81 » a vu plus de 1000 personnes (essentiellement de jeunes noirs) arrêtées ou recherchées. Tout cela s’ajoute à la frustration de plus en plus grande des habitants de la zone. À environ 2h30 le 10 avril, j’ai été bousculé par 3 jeunes noirs avec des bouteilles. Cela m’a déboussolé et énervé (c’était la première fois que j’étais emmerdé sur Frontline) et c’est seulement plus tard que j’ai réalisé qu’ils avaient sûrement été victimes de « Swamp 81 », peut-être seulement quelques minutes avant notre rencontre.

Le vendredi 10 vers 17 heures, un jeune noir, blessé au couteau, est arrêté sur Frontline. Ce qui suit est à la source de différentes histoires. Quoi qu’il en soit (et ce n’est pas la peine de chercher de justification pour ce qui a suivi) les flics furent attaqués par des bandes locales, le jeune libéré et transporté à l’hôpital. Une brève bataille avec les renforts de police s’ensuivit. Les flics prirent cela comme un défi et le jour suivant, samedi 11, Frontline était sous occupation policière.

Habituellement, les flics patrouillent sur Frontline. Mais le samedi, ils étaient garés sur Frontline tout les 50 mètres, juste assis dans leurs camions en attendant que quelque chose se passe. C’était une journée chaude et Frontline était bondée de gens posés, vaquant à leurs habitudes et, cette fois, regardant l’occupation des flics avec haine. Toute l’après-midi, la plupart des gens s’attendaient à des troubles de quelques sortes. À environ 17 heures, un flic en civil reçu en cadeau un parpaing pour avoir voulu arrêter la voiture d’un noir. Plus haut, dans Atlantic Road, une tentative d’arrestation énerve la foule déjà coléreuse. La majeure partie des gens est rassemblée au sommet de la côte, au début de Atlantic Road, des briques commencent à voler sur les flics isolés dans la foule. Une vitre est cassée. La tension monte. Électrique. Puis, des civils sortent de la foule et vont rejoindre les flics. La ligne de front est maintenant clairement dessinée et les briques pleuvent de plus belle. Les flics reculent un peu puis chargent. Au début nous nous replions, puis en réalisant que nous étions nombreux, et eux peu, nous nous arrêtions. Et, spontanément, toute la tension de l’après-midi devint comme un ressort. Nous avons chargé.

(Ce qui suit peut paraître confus et incohérent. Mais c’est le récit de ma propre expérience de cette émeute. Je ne dis que ce que j’ai vu et entendu. Certains incidents seront omis pour des raisons évidentes).

Une vague massive d’adrénaline. « Oups, c’est la guerre. Oups ! Guerre de classe ! ». Une ruée vers les pavés. « Il me faut une brique. Où sont les briques ? Une averse de briques. Les flics sont déstabilisés quand ils réalisent qu’ils n’ont plus le contrôle. Des marionnettes sans fils. Ils nous regardent, ils se regardent entre eux, autour d’eux. Ils détalent. Descendent Mayall Road, abandonnant leurs véhicules. Dans un battement de cil d’émeutiers, ils sont défoncés. Une lumière y est immédiatement destinée et Pouf ! Un car de flic en l’air ! Acclamations sauvages. Rires, danses de joie. Je vois un ami et nous sourions en solidarité à un autre.

Nos célébrations sauvages furent interrompues par une charge de flics (regroupés et avec des renforts). La foule se disperse. Les flics deviennent furieux. Les matraques se lèvent. Je cours à l’abri sur un côté de la rue et rencontre un autre camarade. Alors que nous étions comme des enfants joyeux au levé du voile de fumée, un blanc est atteint par un pavé, inexplicablement. Il fut immédiatement secouru par des jeunes noirs et tous les yeux cherchaient l’abruti de lanceur. Un ami proche l’a transporté. Et comme je cherchais également l’abruti, un mec noir portant une vieille rancoeur m’attrapa, de la revanche dans ses yeux. Avant qu’il puisse trouver une excuse pour me frapper (était-ce la brique qui avait assommée l’autre gars ?) je lui ai dit que l’on avait besoin d’aide. Les voitures étaient inutilisables. Question aux amis. Appeler de la radio des flics. Ils étaient dépassés. Des bruits de vitres retentissaient dans Coldharbour Lane. Retour dans la rue.

Dans Coldharbour Lane, un car de la SPG est sur le flanc comme une baleine en rade. Un magasin a eu ses fenêtres éclatées et un ouragan malencontreux a détruit son dallage. Une foule de voyeurs. Vitres brisées dans Electric Avenue. Un bijoutier est pillé. Un autre un peu plus haut. Des jeunes noirs et blancs font leur chemin au travers des rideaux de fer. Je surveille les flics sur Brixton Road, annonce aux clients de passage que la bijouterie gratuite est disponible s’ils le veulent. Je l’ignorais, mais je m’aperçois que la bijouterie est collée à un centre de conseil aux consommateurs. Colliers, bracelets, bagues et montres sont éparpillés sur le sol. La bijouterie dans le caniveau. Superbe ! Je joue au foot avec quelques bracelets, un jeu que je ne peux pas perdre. Il y a quelques disputes de butins. Déprimant.

Bouger dans Brixton Road. Le tailleur Burton est démoli et un crétin y met le feu. Spectacle grandiose. Les flics arrivent. Mettent le crétin à terre. La station de métro est fermée mais Brixton Road reste toujours ouverte au trafic. Les motards et passagers de bus regardent avec incompréhension le pillage se répandre de chaque côté de la rue. Un jeune noir donne des coups de pieds dans une plaque vitrée comme s’il écrasait des mouches. Plus de flics. Des alarmes hurlent à nos oreilles sourdes. Encore et encore plus de flics. Affrontements. Plus de pillages. J’ai appris qu’il n’y avait plus de trafic. Les flics ont quadrillé la rue principale, du commissariat à Town Hall.

Pillages et démolitions se pousuivent tout du long de la zone de Brixton Road, de la zone du marché et au-dessous de Acre Lane. J’entends mon nom. Un autre camarade. Nous serrons des mains, marmonnant « Superbe ! Superbe ! » Je lui fait un résumé succinct des évènements. Une énorme foule autour du rond point de Brixton. Ateliers de laine pillés et détruits. Télévisions, stéréos emmenées. D’autres détruites. Quelques cars de flics servent de voitures béliers puis sont détruites. Dans la foule, beaucoup réalisent que les flics veulent nous maintenir dans la zone de combat, du coup une ligne de front se dirige vers l’autre coté de Brixton Road avec bouteilles et pavés. « Un ici », Smash ! « Et un autre », Smash ! Un champ de foire prolétaire. « Le prochain s’il vous plaît », Smash ! Tout le monde gagne. Les flics restent prudents et les renforts arrivent, s’arrêtent… La foule s’éparpille mais quelques coups restent possibles. Une charge, et nous nous échappons en haut de la rue. Tout naturellement, nous commandons une bière dans un pub. La rumeur court qu’un flic a été enlevé. Mon camarade et moi sourions dans nos verres.

Nous décidons d’aller sur Frontline. Il fait noir maintenant et nous continuons notre chemin vers les arrières rues en évitant les barrages de flics. Nous approchons du sommet de Frontline le long de Kellet Road et nous nous retrouvons face à une hallucination. Face à nous, trois rangées de flics barrent Frontline. Une pluie de briques s’abat sur les boucliers. Puis, soudainement, un Molotov (le premier que je voyais ce soir) s’éleva dans les airs et, Plaff ! Oups !, atterrit sur quelques boucliers vite abandonnés. Je regarde en bas de Mayall et vois le Windsor Castle (un pub) en feu. Frontline est barricadée de véhicules en feu. Je suis joyeux et énervé ! Joyeux que Frontline soit une zone interdite et en même temps saoulé de ne pas pouvoir la défendre. Je regarde autour. Emmerde et insulte les flics fumant des clopes assis par terre. Le feu, les flics, l’ambiance. Guerre de classe ! « Feront-ils appel à l’armée ? » Belfast…

Nous faisons un crochet vers le côté sud de Frontline qui est aussi bouclé. Je regarde un magasin brûler. L’annexe du bureau de poste a disparu. Retour vers la mairie. Les flics prennent maintenant des positions stratégiques – le carrefour de la mairie, le commissariat, etc. Les pillages continuent. Encore plus d’amis. On discute. Retour sur Frontline. Tous les feux sont éteints. Ca va continuer jusqu’à minuit. Les choses se calment. Les flics reprennent le contrôle petit à petit, au delà du commissariat barricadé par des voitures de flics. Assiégé. Les flics nous attaquent et forcent les gens à descendre la rue. Coups. Arrestations. Nous sommes dispersés. Je remonte Brixton Road constatant les dégâts. Peu de civils sont présents. Les flics contrôlent. Bouclent les rues. Je parle à des amis quelques heures et reviens sur Frontline pour arroser ça. Un dernier regard sur Frontline dévasté à la lumière de l’aurore et, au lit ! Cette nuit j’ai rêvé de flics, de flics et de flics !

Dimanche 12. Fatigue, gueule de bois. La rage dans le journal. Le commissaire McNee et autres ont pour mission de punir les « agitateurs extérieurs » (les flics étaient ces agitateurs extérieurs !). Frontline est pleine de gens discutant. Beaucoup de flics patrouillent, les pompiers inspectent les décombres. Je discute des événements avec des amis. Des nouvelles des arrestations. Début de soirée. Plus de heurts, mais plus facilement contenus par les 1000 flics en plus affectés à la zone. Brixton est bouclée un peu plus haut que Kennington Oval. Attaque fasciste sur Villa Road (fameuse rue squattée). Le commissariat est toujours très protégé. Première utilisation des hélicoptères « Nightsun » (ils éclairent la taille d’un terrain de foot avec une camera infrarouge). Plus de flics. Ils ont gagné le bras de fer.

Une longue semaine.

Depuis le week-end, il y a eu confusion et paranoïa. La presse de caniveau désigne non seulement les « agitateurs extérieurs » mais aussi la « conspiration blanche anarchiste ». Des camarades sont perquisitionnés. (Qui sera le prochain ?) Où sont-ils emmenés ? A quel tribunal vont-ils être jugés ? Les premières amendes sont lourdes – 200£ (2000frs). Dure d’avoir les cautions. Les journaux impriment des photos montrant des visages (qui sera le prochain ?). Frontline est calme comme à la normale. Présence policière massive mais plus discrète. Des cars de flics sur 3km… lourd. Impossible de dormir. (Comment le peuple d’Irlande du Nord a-t-il pu subir ça dix ans sans craquer ?) La communauté noire est divisée. Les journées « East Sunday » sont terminées. Récriminations. Le Comité de Défense de Brixton et le Lambeth Law Centre organisent la contre information et établissent une liste de plaintes contre la police…

Week-end de Pâques. Frontline plus calme que d’habitude. Brixton reste occupée. Toutes sortes de groupes politiques essaient de contrôler les initiatives locales (les pires sont peut-être les « Militants » avec le slogan « Brixton contre les Tories »). Difficile de jauger l’atmosphère. Les gens doivent repenser, essayer de mettre les évènements en perspective. Le niveau de confrontation s’est élevé. Tous les magasins du marché et de la rue principale sont barricadés. Pour combien de temps ? On entend parler de « plus d’aide à la communauté ». Mettre un plâtre à un lépreux ! La société de classe est pourrie jusqu’au bout. Où aura lieu la prochaine éruption ? La lutte ici est loin des autres !

Une émeute journalière / Pour garder les flics derrière

Je ne savais rien de ce qu’il s’était passé dans la nuit de vendredi (10.04.1981), alors, quand je suis descendu sur Railton Road samedi midi, j’étais étonné qu’il y ait autant de flics dans le quartier. Plus tard, la police a déclaré qu’elle menait une opération discrète le matin même, mais c’était de toute évidence une absurdité. Il y avait des groupes de policiers tous les 50 mètres et d’autres dans des voitures et des bus, ils étaient donc là en force et se préparaient pour quelques actions.

J’ai été mis au courant des événements de mardi, et la plupart des gens à qui j’ai parlé se sentaient très nerveux du fait du nombre de flics rodant comme des gangsters. Quand nous entendîmes les sirènes venant du bout du triangle (le croisement Railton Road et Mailton Road) nous sommes descendus pour voir ce qu’il se passait. Beaucoup de gens ont fait de même, la plupart par curiosité. La police dira plus tard que l’émeute était planifiée parce que beaucoup de gens traînaient dans cette zone, etc…, mais cela montre juste leur ignorance. Dans Brixton, il y a toujours des gens qui traînent dans les rues, particulièrement quand il fait beau, simplement parce qu’il n’y a pas d’autres endroits où aller.

Quand j’arrivais au bout de Railton Road, j’ai vu un bus et une voiture de flics entourés par la foule, noire et blanche. Je n’avais aucune idée de ce qu’il se passait mais les gens discutaient avec la police qui était vraiment agressive. Un des officier était vraiment mauvais ; il avait retiré son matricule de ses épaules et la foule était très énervée de cela. Des gens prenaient des photographies et la police déclarera que ces « photographes blancs » étaient les meneurs ou les organisateurs des émeutes mais c’était encore un mensonge flagrant. Après la nuit de mardi, les gens savaient que quelque chose devait arriver et ils voulaient être prêt à le photographier. Personne n’était dans une position de meneur. Finalement, un flic poussa violemment un enfant noir et voilà ! Les gens lancèrent tout ce qu’ils trouvèrent.

C’était l’étincelle, et pendant les 6 ou 7 heures qui suivirent, nous fûmes impliqués dans une des « pire rupture de la loi et de l’ordre ».

Rien de ce que je peux écrire ne peut décrire la joie que j’ai ressentie quand le premier car de flics partit en flammes. L’étincelle se répandit tout le long de Brixton. Pendant longtemps, la police garda un air arrogant d’invincibilité, comme si elle pouvait faire ce qu’elle voulait et s’en aller. Mais ce feu de car de police et la retraite des flics ont fait plus pour accroître notre confiance que toutes autres choses.

La plupart des gens se regroupaient au milieu de Railton Road. La police s’était déplacée vers le haut de Mailton Road, au niveau de Leeson Road où beaucoup d’entre nous la poursuivent avec des pierres pour la forcer à se retirer, mais les flics campaient derrière un mur de boucliers anti-émeutes.

C’était totalement spontané ; personne ne nous a dit où attaquer, nous nous regardions et si nous sentions le besoin d’attaquer ici, nous le faisions. La foule garda constamment une ligne de pavés et de bouteilles mais les flics ne voulaient pas bouger. Les gens demandaient des cocktails Molotov mais aucun n’avaient été préparés. La police parla d’une fabrique de bombe ce qui prouva sa propre incapacité à comprendre comment fonctionne une émeute ; elle ne peut pas comprendre comment fonctionne un système non hiérarchique.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir apparaître les premiers cocktails ; il suffisait d’essence, de bouteilles et de morceaux de papiers ou de tissu, pas besoin d’expérience ou d’esprit. C’est juste un échantillon du racisme d’État de dire que les noirs ont besoins d’experts blancs pour fabriquer des cocktails. Nous utilisions toutes les bouteilles que nous trouvions (les sacs poubelles furent éventrés) et il y avait assez de voitures pour siphonner l’essence dont nous avions besoin. Les premiers Molotov furent utilisés sur Leeson Road et la foule acclama leur apparition. Je ne savais pas combien il était facile de retourner des voitures ; les symboles du consumérisme ne nécessitaient que deux ou trois personnes pour se renverser et brûler si bien ! C’était comme être défoncé, nous nous sentions si puissant pour la première fois.

La police se retira sous les acclamations et une pluie d’objets. Les gens commençaient à éclater les vitrines des bars et d’autres y rentraient et cassaient tout, faisant la tournée générale ! J’ai passé la majeure partie de ma vie à Brixton et je n’avais jamais rien vu de tel avant. Noirs et blancs, rastas et punks, hommes et femmes, jeunes et vieux, homos et hétéros. L’unité n’était pas un mot assez fort quand nous partagions boissons et clopes, tout le monde se prenait dans les bras. C’était comme une « street party » sans tension entre nous. Les mots ne peuvent pas exprimer ce sentiment, et les flics observaient à bonne distance.

À ce moment, les pillages débutèrent, la police resta en arrière et personne n’essaya d’aller vers eux. Il y eut une accalmie dans la bagarre et derrière nos barricades, la zone était libérée, pas de meneurs et pas d’autorité. Le deuxième bar fut attaqué et brûlé, et puis la plomberie (qui n’aimait pas les gens du quartier) et rapidement, tous les magasins devinrent des cibles potentielles. Pour la première fois, les gens prenaient ce qu’ils voulaient sans avoir à travailler comme des esclaves ou mendier à l’État pour avoir l’argent. Quand le magasin de vêtements fut envahit, ceux qui étaient à l’intérieur jetaient des vêtements à ceux de l’extérieur ! Beaucoup de choses négatives ont eu lieu à ce moment mais c’est parce que nous avons cessé d’être offensifs et que les gens commençaient à être saouls. Aussi, c’était une vraie chance pour les gens de prendre ce qu’ils voulaient pour eux-mêmes et d’oublier le reste. La plupart de ces actes anti-sociaux arrivèrent en périphérie ; la prochaine fois nous serons prêts à gérer ces actes collectivement comme nous le faisons pour les combats. Les gens ont agi ensemble pour la plupart, avant de brûler des bâtiments, des gens de la foule s’assuraient que personne n’était à l’intérieur. À en croire les médias, les gens s’en foutaient. Quelques uns suggérèrent d’éclater la vitrine de la bibliothèque anarchiste mais le reste de la foule s’y opposa (et pas seulement des anarchistes).

Petit à petit, la police commença à avancer et nous nous battîmes dur mais beaucoup d’entre nous étaient très fatigués. Il faisait noir et les gens dérivaient en s’attaquant aux bâtiments. C’était comme ça que j’avais imaginé l’offensive. La police se rapprochait, les flics étaient armés de manches de pioches et de battes de baseball, ils laissaient traîner leurs bâtons par terre pour augmenter la tension, ils avaient préparé leurs cris et leurs chants de guerre (les meilleures techniques guerrières apprises à l’école). Quand ils chargèrent, ils étaient comme des animaux saisissant tout le monde, extériorisant leur propre merde. La violence de la police est plus vicieuse et douloureuse que toutes les nôtres.

En quittant la zone où j’étais, je fus surpris de voir l’étendue des événements. Les gens de l’émeute principale n’avaient pas la moindre idée de ce qu’il se passait ailleurs ; le manque de communication est une erreur que nous ne devons pas réitérer. Les gens à qui j’ai parlé voulaient participer mais étaient coupés de l’émeute de Railton Road, mais tout le monde était content que la police ait reçu une raclée, même temporaire. Brixton était pratiquement en état de siège, la police était partout et des combats sporadiques avaient lieu. Le commissariat était encerclé et les flics se sentaient visiblement vulnérables car ils savaient qu’ils seraient notre prochaine cible. La police ne pouvait pas abandonner le commissariat parce que c’était leur centre de communication et leur symbole de pouvoir sur nous.

La zone fut bouclée, trains et bus arrêtés donc les renforts du coté émeutiers ne pouvaient pas arriver. Les feux ont commencés et quelques magasins principaux du département pillés ! La tactique policière de l’isolement de l’émeute sur Frontline a finalement partiellement échouée.

La première réaction de l’état/media — pour dire que l’émeute était raciale — a misérablement échouée. Il était évident que l’émeute était anti-flics et anti-autoritaire ; quand un prêtre a demandé nos revendications la foule a réclamé que la police aille se faire voir ailleurs et que tous les prisonniers soient libérés. Mais ce n’était pas de vraies demandes, parce que celles-ci réclament un certain niveau de négociation qu’aucun des émeutiers n’était prêt à entamer.

Au tout début, la police disait que l’émeute était planifiée mais sa théorie fut facilement démolie. Premièrement, elle a dit qu’il y avait beaucoup de monde dans la rue, mais c’est ce qu’on pouvait attendre d’un samedi ensoleillé. Deuxièmement, elle a dit que des photographes blancs étaient en position de meneurs mais ces photographes étaient principalement des résidents et en aucun cas des meneurs ou des organisateurs. Troisièmement, elle a dit que les cocktails Molotov avaient été préparés à l’avance, mais il n’y a pas besoin de compétences particulières pour en faire et cela ne prend pas longtemps. Et, pour finir, elle a dit que des « anarchistes blancs » étaient dans la foule, mais ces anarchistes blancs font partis de la communauté, nous vivons ou travaillons tous dans la zone. J’ai passé ma vie à Brixton.

Quand la tactique de l’émeute raciale échoua, la police tomba dans la théorie d’émeutes organisées par des anarchistes blancs. L’État ne peut pas admettre que les gens soient malades et fatigués de ce système et qu’ils soient capables de se soulever spontanément et avec succès en attaquant l’État et ses représentants. La leçon principale de Brixton est que cela peut arriver n’importe où sans l’aide de meneurs ou d’organisateurs. Donc l’État doit trouver des boucs émissaires et inventer des meneurs là où il n’y en a pas. Les anarchistes sont les boucs émissaires et la police a décidé que nous étions tous des terroristes et des comploteurs. Les raisons qui ont fait que nous soyons visés sont sûrement que nous ne faisons pas secret de nos vœux de voir un nouveau Bristol et que nous soyons connus pour être actifs dans la communauté et aisément identifiables comme les seuls « politiques » actifs pendant les émeutes.

Les médias d’État parlèrent de « terrorisme international » dans une tentative orchestrée afin de nous utiliser pour justifier la haine des gens pour ce système. Premièrement, ceci contient un racisme inhérent, le refus d’accepter que les noirs puissent agir sans meneurs. Deuxièmement, elle donne une opportunité aux détachements spéciaux de l’État pour récupérer de gênants anarchistes.

Quand une descente eut lieu à l’appartement de Coldharbour Lane, elle eut pour effet de nous effrayer, pour autant que nous le sachions, cela pouvait être le début d’un pogrom anti-anarchiste. La pensée de « Personnes Inconnues » etc… me traversa l’esprit et nous rendit tous plus tendus (ce qui pourrait très bien être l’intérêt de ces opérations). Ce n’est certainement pas fini ; la presse s’est saisie du mot « anarchiste » avec un entrain parasitaire et rabâche le thème des réseaux internationaux nous comparant directement avec la pratique d’Ulrike Meinhof.

Après les émeutes, les « meneurs de la communauté » sont arrivés sur Brixton comme des mouches (la presse ne les a pas attaqués comme des agitateurs extérieurs parce qu’ils menaient la tâche de nous pacifier). Ces meneurs auto-proclamés se sont fortement excusés pour les émeutes, dénonçant le mal-logement et le chômage, demandant plus d’argent, etc… Mais il n’y a pas à s’excuser pour les émeutes ! En aucune façon ! Le chômage et le logement sont des facteurs, mais le ras-le-bol était plus profond que cela. Les émeutes peuvent être interprétées seulement comme la libre expression de la rage et du dégoût pour cette farce toute entière. Pendant les émeutes, il n’y a pas eu de demandes de travail, nous voulons tout et tout de suite. C’était un rejet du système dont le chômage et le logement ne sont que des facettes.

La gauche a tenté de coloniser Brixton pendant longtemps ; dans la pratique chaque groupe de gauche est actif dans la zone d’une façon ou d’une autre. Mais leurs appels à la révolution et à l’action n’ont été perçus que comme du vent. Pendant les émeutes, les gauchistes n’ont été vus nulle part ; ils ont disparu aussitôt que l’action a commencé. Et ils sont revenus seulement quand la police eut nettoyé les rues. Maintenant, tous déclarent que les émeutes ont été une victoire mais réitèrent leurs usuelles et pathétiques excuses. Eux aussi condamnent le chômage, le logement et le racisme. Mais si le racisme est à condamner pourquoi les émeutiers s’en sont-ils pris aux bars, etc… ? Le racisme est un facteur mais pas l’histoire toute entière. La gauche a elle-même organisé des comités et a cherché à recruter, mais je me demande combien les gauchistes ont été effectifs ; les gens du coin les traitaient généralement avec le mépris qu’ils méritent.

En tant qu’anarchistes, nous devons apprendre des émeutes et être préparés pour les prochaines, aussi nous ne devons pas nous en excuser. C’est probablement la première émeute de ce genre, où un grand nombre d’anarchistes furent impliqués, dans le pays. C’est une erreur et un danger de dire que les émeutes étaient anarchistes comme le font les gauchistes. Néanmoins, les émeutes furent anti-autoritaires dans leurs caractères et leurs spontanéités ; ceux d’entre nous qui furent impliqués ont ressenti le frisson de la liberté même si ce ne fut que pour quelques heures et nous avons aussi constaté que l’État n’était pas invulnérable.

La lutte fut limitée à la zone où nous sommes restés (l’émeute principale de Railton Road) ; ceci était du à une répugnance à quitter les territoires déjà gagnés, au lieu de parler d’attaquer le commissariat. Si nous avions eu plus de renforts cela aurait été possible. La police a fait de son mieux pour nous cerner et dans une certaine mesure leur présence a réussi à décourager toutes avancées. La prochaine fois, nous devons faire des tentatives concertées pour réaliser ces avancées ; la seule façon de le faire est de donner l’exemple. Je suis sûr que si nous avions essayé d’envahir d’autres zones les gens nous auraient rejoint.

Une meilleure communication serait aussi un pas en avant ; ceux présent à Railton Road avaient peu d’idées de ce qu’il se passait dans le reste de Brixton et vice versa. Un « black out » médiatique pourrait être aussi une possibilité la prochaine fois : la mise en place d’un système de communication comme en Europe serait un plus si de telles émeutes devaient se répandre. La majeure partie de la police de Londres étant à Brixton samedi soir, des actions dans d’autres endroits de la ville auraient été appropriés.

Même pendant les émeutes, quelques prêtres et travailleurs sociaux ont tenté de négocier mais nous ne voulions aucune négociation. Aussitôt que la négociation commence la lutte est perdue ! Toutes les tentatives de négociations doivent être rigoureusement combattues. Si nous voulons libérer les prisonniers nous ne devons pas mendier pour eux mais plutôt les faire sortir (brigades anti-flics) ou capturer des prisonniers nous-mêmes si possible.

En tant qu’anarchistes, nous n’avons pas à mendier des miettes à l’État mais nous devons prendre ce qui nous appartient de plein droit. La politique de l’action directe a été mise en pratique samedi, et ce fut une célébration de notre pouvoir sur nos vies. La prochaine fois, nous devons utiliser l’expérience de Brixton 81 pour tenter de renforcer la lutte, pour répandre l’action dans d’autres zones, pour adapter de nouvelles tactiques et garder nos armes en têtes.

Tout cela a été écrit comme une réponse purement personnelle aux émeutes de Brixton, des événements qui ne sont pas encore terminés et dont on parlera encore longtemps. Cet article représente seulement le début, nous continuons tous à apprendre de nos expériences.

1 — L’attitude de la presse de gauche a montré peu de différences de celle de l’État. Elle s’est noyée dans des excuses regrettant nos actions pendant qu’elle présentait un lot de meneurs de la communauté, avec des réponses aux « problèmes » en mendiant l’argent du gouvernement. Elle a diffusé des photographies d’émeutiers que la police a pu utiliser pour identifier ou victimiser (dire qu’elle les a déjà utilisées est une évidence). Et bien sûr, il n’y a pas de telles photographies sur les attaques de la police contre nous.

2 — La police était évidemment préparée à ce qu’il arrive quelque chose samedi ; leur nombre le suggérait et certains policiers avaient retiré leurs matricules avec empressement. Mais ils n’étaient pas préparés à l’ampleur de nos attaques. Des rumeurs ont circulé sur l’armée qui aurait patrouillé samedi dans la nuit, peut-être, mais nous pouvons être sûrs qu’elle était prête car des camions ont été vu dans Kennington prêts à entrer dans Brixton. Il a été dit aussi que le SAS était prêt à agir dans la zone au premier signe d’armes à feu chez les émeutiers. Nous savons aussi qu’un officier de liaison de la navale a été appelé au commissariat avec d’importante quantité de gaz CS. Les rumeurs autour de la police étaient que deux de ses agents avaient été brûlé à mort, ce qui garantissait une tension plus grande dans leurs rangs.

3 — Quelle surprise que, dans de telles circonstances, personne ne parle de Belfast : seul Bristol fut évoqué. Les émeutes ont été présentées comme les conséquences des conditions et des circonstances locales, mais il serait plus vrai de dire que les mêmes conditions existent ailleurs, en Angleterre et au-delà. La haine que la plupart des gens ressentent existe de Belfast à Berlin, partout où l’autorité se montre telle qu’elle est. Il est important de souligner ce fait, et aussi que la croyance en notre pouvoir d’individus à confronter le système est applicable partout. Les gens disent « Où sera la prochaine ? », les anarchistes se doivent de répondre « Ici la prochaine ! ».

4 — Unité et coopération sont des principes qui ne parlent pas ; tout le monde aida à construire les barricades mais personne n’y fut obligé. Personne n’était contraint aux combats ou aux pillages. Une femme blanche d’âge moyen faisait la fête au milieu des gosses rasta et des punks blancs (c’est une chose déjà vue dans d’autres émeutes mais que je ne l’avais jamais cru avant de le voir de mes yeux). Chaque fois que les gens sentent qu’ils ont besoin de plus de munitions, des groupes devraient rassembler des bouteilles et des pavés pour tout le monde.

5 — La gauche réformiste a toujours affirmé que cette rébellion n’aurait pas lieu, que les gens n’ont pas besoin de faire appel à la violence. La fausseté de cet argument est évidente pour la plupart des gens. Dans l’autre main, l’argument des soi-disant « révolutionnaires » de gauche selon lequel l’action n’est possible que si elle est menée par le parti d’avant-garde n’est pas si facile à discréditer. Mais les événements de Brixton comme ceux de Bristol et d’autres à travers l’Europe montrent que les émeutes réussies ne sont pas dirigées et que les gauchistes et leur parti d’avant-garde n’y participent aucunement. Sans doute que pendant que nous combattions sur Railton Road, la gauche vendait ses journaux et assistait à quelques réunions ou conférences.


La Classe Impossible

Un spectre hante l’Europe, le spectre d’une impossible classe, un nouveau sujet social émergeant qui défie par son existence même les essais d’analyses orthodoxes et les tentatives d’institutionnalisation par l’État. Bien que depuis quelques années cette classe émerge dans les villes continentales, cette soudaine apparition dans les émeutes de l’année dernière en Angleterre a mené à de banales conclusions, au sujet des possibles « causes », et particulièrement sur le taux de chômage. Ceux qui attribuent les émeutes au seul chômage évacuent de ce fait la nouvelle relation historique de classe qui nous fait face, tels les réactionnaires qui condamnent le laxisme des professeurs et des parents ou bien la pollution au plomb. La plupart de ces analyses, chacune à sa manière, veulent identifier les « causes » des émeutes afin de les élimer, et d’en faire un problème qui peut être résolu par une « vraie politique » plutôt que par des conflits de rues. La gauche en particulier, dans sa version, a pour but principal de revaloriser les quartiers marginalisés vers une pleine citoyenneté des travailleurs, vers la pleine légitimité de l’échange travail contre salaire – c’est cela exister comme une part du capital.

Notre discours est, bien sûr, exactement à l’opposé. Nous voulons articuler les politiques implicites du mouvement lui-même, en saisir les implications pour redéfinir la « classe ouvrière » et « l’organisation révolutionnaire ». Nous sommes moins intéressés par savoir comment les travailleurs souffrent du chômage, que par comment cette classe commence à se recomposer dans des voies sapant l’ordre du marché du travail qui, en premier lieu, tente de nous désigner comme de « misérables chômeurs ».

Qu’est ce que la classe ouvrière ?

Par le passé, l’analyse de classe orthodoxe a pu tracer un comportement sociopolitique des masses sur fond des rapports de production particuliers. Par exemple, nous pouvons comprendre la succession historique de l’organisation du marché et des partis communistes internationaux en termes de recomposition successive de la classe ouvrière – des artisans, des ouvriers, des travailleurs de masse épuisent le pouvoir d’abstraction du travail (par exemple sur une chaîne de montage) privé de significations intrinsèques. Ou bien, nous pouvons étudier l’histoire de cette « autre classe ouvrière » (par exemple « les Parias de Londres »), toujours antagoniste aux institutions établies et concrétisant, pour la plupart d’entre eux, les plus violentes confrontations avec le capital et l’État. Mais cela existe aussi dans les relations définissables du marché du travail officiel (comme sous-prolétariat, lumpen, ou bien, dans la rhétorique libérale : les pauvres, juridiquement définis dans les termes des Lois des Pauvres (Poor Laws) et plus récemment par le système de sécurité sociale).

Alors qu’y a-t-il de nouveau dans « la classe impossible » d’aujourd’hui ? Dans le mouvement, nous voyons des démarches antagonistes, non basées sur des relations particulières au marché du travail capitaliste, mais plutôt sur une interaction avec l’économie souterraine qui est la cible privilégiée de l’État, dans les quartiers déviants en premier lieu. Dans ce marché illégal, où les bénéfices sont souvent un supplément des allocations de la DHSS, le travail n’est pas une part du capital mais évolue largement en dehors de lui. Parce que les « salaires » ne sont pas soumis aux déductions statutaires, c’est moins les producteurs ou les consommateurs que l’État qui est « trompé ». En outre, contrairement aux salaires officiels qui entraînent la vente d’une vie entière dans l’attente de pouvoir l’acheter en retour avec plus de commodités, cette économie officieuse offre une sorte d’espace intermédiaire. En effet, il y a un langage politique dur permettant de communiquer avec les aspirations qui s’y développent. Bien que les aspects de cette illégalité de masse ne soient pas forcement moins « exploitants » que ne l’est l’économie capitaliste dans sa totalité, l’existence de cette illégalité sape la discipline du marché du travail. Culturellement, elle ouvre un espace pour redéfinir « l’utilité » de la production en relation directe avec sa consommation, détachant la valeur d’usage de la valeur d’échange (l’auto publication de groupes punk rock, pour prendre un exemple connu). Et, plus généralement, le travail au noir – bien qu’il prive les travailleurs d’un statut de protection sociale et de garantie du travail – entraîne les gens vers l’illégalité, en pensant et en agissant dans les limites estimées comme légitimes par l’État. Il renverse la relation bourgeoise futur/présent en remplaçant les gratifications déférées (de l’assurance nationale ou des allocations de pensions) par une gratification immédiate en salaire ou bien en travail satisfaisant. Il renverse aussi la relation bourgeoise travail/loisir : le temps de travail devient déterminé par un temps de non-travail plutôt que par une récupération de « loisirs » déterminée par des heures de travail normales.

Dans le mouvement de 1981, c’est cette « invisible chaîne de montage » de l’économie souterraine qui a brisé les apparences, se repandant largement sur les bases de la culture d’opposition et d’oppression de l’État, puis a disparu sans laisser de traces d’organisation – précisément parce que les insurgés ne peuvent être suivis au travers d’aucun lieu commun du marché du travail. Les catégoriser de « chômeurs » est au mieux trompeur et au pire condescendant – comme s’ils étaient de pauvres victimes « passives » provoquées par la police. Bien que certains d’entre eux doivent sûrement être officiellement chômeurs, notre point de vue est qu’ils défient quotidiennement, et courageusement, les attentes du système qui voudrait qu’ils se sentent fautifs ou misérables d’être ainsi – par exemple, en voulant se rendre eux-mêmes d’apparence plus « employable ». Le Parti Révolutionnaire des Travailleurs et ses schémas recyclés semblent prendre cette direction avec la campagne « Right to Work », une des meilleures dans le genre.

Au contraire, les émeutiers créèrent un espace où donner un sens positif et joyeux à leur « chômage ». Le caractère largement égoïste, individualiste de l’illégalité de masse quotidienne pourrait être supplanté par une appropriation plus sociale des biens – par une réappropriation globale du quartier – comme espace contesté – et de ses ressources. Les « zones interdites » n’excluent pas seulement la police mais commencent à inclure des couches plus larges de la population locale et environnante, ce qui désorganise la collaborationniste « communauté de meneurs ». Les bâtiments brûlés comprennent non seulement des symboles capitalistes et racistes mais aussi les propriétés à l’abandon assignées aux plans de « réhabilitation » du contrôle d’État. Dans ses différentes directions, les destructions très sélectives sont une affirmation positive du territoire.

Crise du contrôle

Pour comprendre la dynamique interne du mouvement, notre avis est que la police venait pour soutenir le lourd fardeau de contenir une « Classe Impossible » qui ne peut être intégrée ou réprimée par des moyens plus subtiles. Bien que des variantes d’une telle « classe impossible » aient émergé à travers l’Europe de l’ouest

– Paris, Lyon, Zurich, Nijmegen – l’énigme reste de savoir pourquoi une violence anti-police de masse est apparue aussi largement et soudainement en Angleterre. Alors que l’Angleterre faisait finalement l’expérience de l’intensité des émeutes, qui représentaient déjà une banalité dans d’autres pays européens, l’État anglais a commencé à être plus menaçant que tout autre car, ici, c’est lui qui était directement attaqué.

Avant 1981 la violence de masse contre la police résultait généralement de mobilisations autour de revendications spécifiques, habituellement négociées par des organisations politiques ; les armes étaient limitées pour quiconque était près à en venir aux mains (pavés, bouteilles, bâtons, pierres). En 1977, par exemple, quand la police a tenté de protéger la marche du Front National dans Lewisham au Sud Est de Londres, elle a attaqué les anti-fascistes ce qui a conduit à une émeute durant laquelle la police utilisa pour la toute première fois en Angleterre des boucliers anti-émeutes. En avril 1981 cependant, ces boucliers prirent feu quand les émeutiers de Brixton utilisèrent des Molotov pour la première fois comme arme de rue. Cette émeute, et la vague nationale qui suivit trois mois après, sont issues d’un conflit de longue date avec la présence policière comme telle, et non d’une demande de négociation pour une issue « politique » au conflit.

Avant cela, la police était prise pour cible lorsqu’elle était perçue comme ennemie politique de campagnes organisées ou de festivals (comme le carnaval de Nothing Hill en 1976). Mais ce nouveau choix d’armes anti-police signifiait une décision tactique des gens de s’organiser eux-mêmes et spécifiquement contre la police, pour saper la concentration de policiers protégés par des tenues anti-émeutes depuis Lewisham. La police, au lieu d’isoler l’opposition, fut isolée elle-même, tout comme les commissariats, par une utilisation diffuse et mobile de Molotov.

En Angleterre, il n’y a eu ni de demande de travail de la part des émeutiers, ce que seule la gauche continue d’affirmer, ni de demande d’expansion du pouvoir de l’État-Providence, tels que les maisons et les centres pour jeunes développés dans les villes continentales. Là, le conseil municipal peut pacifier les rebelles en concédant (ou bien juste en négociant) des demandes biens articulées, sauf s’il craint de mettre en danger son autorité en le faisant. Mais dans les métropoles anglaises, les émeutiers n’avaient pas de demandes formelles à négocier et pas de représentants pour le faire. Au lieu de cela, le but était de battre la police, de libérer les détenus et d’aller « acheter sans argent ». Alors que dans d’autres pays européens l’intervention de la police vient pour casser les manifestations et les occupations pour les revendications sociales, en Angleterre c’est la police elle-même qui a provoquée les confrontations de 1981.

Et encore l’année dernière, la police anglaise a éhontamment provoqué les émeutes – d’un coté par le harcèlement des gens dans la rue, et de l’autre par son intervention massive dans des rassemblements publiques tout à fait « normaux ». Ces provocations ont conduit à des émeutes virtuelles de la police – des émeutes par la police et non contre la police. Cependant, quelques analyses ont décrit ces actions policières comme « militaires », ce qui fait référence à une situation où la police est elle-même hors de contrôle, où elle manque de discipline pour mettre en œuvre une stratégie militaire.

L’arrière plan de cette escalade violente réside dans l’intensification des agressions policières ces dernières années, surtout contre les jeunes noirs. Au milieu des années 70, des sections de la police et des medias organisèrent une campagne de propagande contre la menace des agressions de rues commises par des noirs. Ce qui permit de justifier un terrorisme policier de masse dans les quartiers à prédominance de noirs. De plus, suite à une longue série d’attaques racistes contre les noirs et leurs maisons, la réponse de la police fut tout simplement de les ignorer, niant tout mobile raciste, et/ou d’harceler les victimes elles-mêmes. Apres le trop infâme « Massacre de New Cross », ce furent les amis des enfants morts qui eurent à souffrir le plus des investigations policières, et la police tenta (sans succès) d’interdire, le 2 mars, une marche de protestation dans le centre de Londres.

Cette réponse policière conforta les jeunes fascistes à continuer leurs attaques, particulièrement dans les quartiers asiatiques, avec peu de peur de la répression policière. Par exemple, quand le 3 Juillet des centaines de Skinheads envahirent Southall, les éventuelles interventions de la police servirent à protéger les fascistes des jeunes asiatiques qui essaieraient de les chasser hors du quartier. La nuit d’après commença la vague nationale compacte de 10 jours d’émeutes anti-police, prenant, dans une certaine mesure, une revanche sur des années de harcèlement.

« Contrôle secondaire »

The Economist (18.07.81), journal de la classe dominante, a développé le concept d’une rupture dans le système de « contrôle secondaire », un système qui normalement produit un contrôle suffisant et discret provenant d’un « réseau non officiel de surveillance : figures locales d’autorité, patrons, vigiles, professeurs, parents, conversations de femmes sur le palier identifiant les gens « occupant la rue ». Ce sont eux les vrais policiers de toutes les communautés fermées, une autorité officieuse ».

Dans la vague nationale d’émeutes, The Economist mettait en avant l’effondrement total d’une telle autorité, l’effondrement du sens d’une « identité fermée entre des individus et leur environnement immédiat ». The Economist souligne que cette rupture n’a pas eu lieu dans beaucoup de "zones immigrées" — par exemple, East London, dans les Midlands (ou les quartiers asiatiques prédominent) — qui étaient visiblement absentes des émeutes. En revanche, elle fut particulièrement présente dans les quartiers avec une forte présence de deuxième génération, de jeunes Indiens de l’ouest, même si les festivités attirent aussi d’autres gens ; ici, ce qui a choqué la bourgeoisie c’est « le nouvel acquiescement des parents et autres autorités locales devant les émeutes ».

Bien sûr, la décomposition de la traditionnelle communauté de propriétaires est beaucoup moins tangible que la recomposition d’une nouvelle communauté d’opposition. Ces expressions organisationnelles montrent le manque d’enjeu dans l’ordre existant, dans des voies qui sont tout à la fois nihilistes et créatives. Comment désorganiser cette tendance, et reconstituer une communauté de propriétaires, est le vrai projet bourgeois fondant le débat publique actuel. Les idéologues socialistes tendent à attribuer le problème tout entier en dernière instance au chômage et, de fait, prescrivent tout espèce de programmes de créations de travail, mais les gens directement confrontés à la gestion de la crise savent que les raisons prennent racine plus fondamentalement dans les aspects de la vie quotidienne.

The Economist va assez loin pour suggérer que les émeutes signifient la faillite totale du projet social-démocrate d’après guerre qui est par euphémisme appelé « la tradition anglo-saxonne de gestion des villes ». En d’autres termes, c’est le projet de « mécanique sociale » qui a détruit chez les gens le sens d’un enjeu dans la communauté. Le journal argumente que les émeutes eurent lieu précisément dans les zones où le gouvernement avait dépensé d’énormes sommes d’argent dans des « projets de re-développement », remplaçant clairement les maisons de quartier traditionnelles par des bâtiments plus anonymes, éliminant les petits propriétaires indigents. « Le conseil local a utilisé des fonds du gouvernement central pour acheter en gros, souvent compulsivement, toutes choses ou personnes ayant quelques enjeux financiers dans la communauté — propriétaires, gérants, patrons, petites entreprises… » C’est donc ce « vandalisme communautaire » des conseils publics qui est à bannir.

Dans la volonté de reconstituer un « enjeu populaire de la propriété », le journal pense que le gouvernement devrait moins compter sur la création superficielle de boulots. Il pourrait, par exemple, institutionnaliser le squat en refondant « les droits classiques des squatters sur les propriétés publiques libérées de tout contrôle ».

Une communaute auto-policée

Ce qui est crucial pour le contrôle d’état n’est pas que la police contrôle directement cette communauté mais qu’elle puisse y intervenir avec l’accord d’une autorité locale informelle. Ceci requiert, en dernier lieu, de modifier l’image raciste très répandue de la police – quand ce ne sont pas les actes. Néanmoins il semble que leur projet soit d’appliquer des mesures cosmétiques telle que le recrutement de plus de policiers noirs pour patrouiller dans les quartiers noirs mais cela nécessiterait de reconnaître que la police n’est pas impartiale. En accord avec l’idéologie officielle, la police, par définition, ne peut pas être racialement discriminatoire ; ou plutôt, elle est nécessairement « aveugle sur les couleurs » car telle est la loi, qu’il est en son devoir de renforcer. C’est cette conception rigide du maintien de « la loi et de l’ordre », en quelque sorte au-delà de la politique, qui légitimise la police à agir au-dessus des lois pendant qu’elle reçoit de légères condamnations de la part des politiciens.

Qu’est-ce qu’il advient, après tout, de ces volontés de réformer la police ? L’homme à l’avant-garde de la nouvelle contre-insurrection urbaine connue sous le nom de « contrôle communautaire » — le capitaine David Webb de Handsworth, Birmingham — préparait sa sortie des forces de police (pour devenir un politicien du parti libéral) ; sa décision survient moins de l’échec décisif de la bataille avec le parti noir petit-bourgeois collaborationniste, que de la résistance réactionnaire totale des forces de police elles-mêmes à ses réformes (voir le supplément de The Observer du 10 janvier 1982). Ce qui est peut-être le plus remarquable dans le reportage sur « L’homme à la cicatrice » (Scarman) c’est que — ayant clairement absout les forces de police de tout racisme institutionnel — il fut plus soumis aux attaques de la droite qu’à celles de la gauche, simplement parce qu’il avait osé critiquer la police. Le principal résultat fut l’augmentation légitime de l’armement de la police. Alors, même si nous savons que les réformes de « Scarman » suivront celles de l’État en dernier lieu, il est néanmoins important pour nous de comprendre les vrais obstacles institutionnels à leur mise en place.

L’obstacle majeur aux réformes est la montée du racisme institutionnel de la police, qui a changé son rôle (et son mode de recrutement) pour sélectionner des individus plus racistes. Plutôt que d’employer des gens plus éclairés, éduqués (comme l’a recommandé le rapport de la commission Kerner après les émeutes aux USA), la police britannique a fait exactement le contraire. La maison mère a dû demander une augmentation substantielle des salaires afin de trouver de nouvelles recrues capables de réussir les tests d’alphabétisme.

Après la mobilisation massive de la police contre les grévistes noirs et les manifestations anti-fascistes en 1976-78, il y a eu de nombreuses fautes commises par cette police qui voulait rester une police de proximité. Les commissariats, tel que ceux de Railton Road ou de Constable Brown, se sont retrouvés totalement isolés en condamnant l’invasion policière de l’opération « Swamp 81 ».

C’est la police elle-même qui a saboté les possibilités d’une communauté autocontrôlée. Par exemple, quand elle a effectuée l’arrestation à Brixton qui allait provoquer les émeutes de Juillet 81, le gérant d’une boutique Rasta a essayé d’intervenir — pour se retrouver finalement frappé et arrêté pour obstruction à la police, bien qu’il soit membre du comité de liaison police/communauté.

Ici se révèle la contradiction d’une stratégie d’auto contrôle : les meneurs de Aspring se révèlent être peu capables de négocier, de même que leurs anciens espoirs de modérer les élans de la police n’ont mené à rien et leurs appels à la modération envers les émeutiers sont restés lettre morte. Mais si la police continue à résister à la demande de « responsabilité » de la part de la communauté, ce n’est pas simplement parce qu’elle est maligne ou réactionnaire. C’est aussi parce qu’il y a une confusion de plus en plus grande de « qui est » cette communauté. Si les rebelles n’ont aucune organisation permanente et aucun délégué, alors de qui la police pourrait-elle être responsable ?

La police crée les « criminels »

Jusqu’à ce qu’une communauté de propriétaires se reconstitue, les partis politiques majeurs n’ont pas d’autres options que d’apporter leur soutien total aux forces de police. Celles-ci viennent de recevoir une carte blanche du gouvernement Tory pour mettre en place les pratiques que les forces de sécurité ont tenté d’importer d’Irlande du Nord depuis ces dernières années. De peur d’être isolée ou accablée par une technologie trop lourde, la police a depuis longtemps adopté la seule technique qui a fait ses preuves en Irlande du Nord : conduire des Land-Rovers à toute vitesse et foncer sur la foule pour affirmer son « ascendance psychologique » sur la rue et arrêter les courageux émeutiers à l’aide d’équipes d’interventions.

Le contexte politique de cette approche est mis en avant par la représentation d’une police protégeant « le public » des éléments criminels, c’est-à-dire, protéger la société du désordre social.

Malgré tout, il n’a pas fallu longtemps à la police pour saper elle-même sa stratégie. Dans l’espoir de regagner « l’ascendant psychologique » perdue par les patrouilles ordinaires pendant les émeutes, ils ont envahi les maisons et conduit leurs véhicules, armés, à haute vitesse à travers tout le quartier (tuant un handicapé rentrant chez lui).

Quelque soit l’ambivalence des riverains à propos des émeutes, cette mission « rechercher et détruire » a démontré que la présence policière n’a rien à voir avec la sécurité des habitants. En fait, ces occupations ont mené à ce que plus de gens se battent contre la police. Ceux qu’ils appellent des « criminels » deviennent potentiellement tous les habitants des quartiers rebelles. Tout le monde est potentiellement coupable de refuser de quitter la rue.

Ici encore, l’étendue de la menace sur l’ordre existant — comme les contre-attaques sur la police — peut être la possibilité d’une nouvelle « communauté », réunissant les gens au-delà des barrières de race, de sexe et d’âge. Elle a attiré et enhardi plus de gens qu’un petit noyau, généralement de jeunes hommes qui ont eu à souffrir le harcèlement policier.

Discipline du travail

Étant donné que depuis quelques années, les politiciens du parti travailliste (et les autres) étaient prévenus du risque d’émeutes si le chômage excédait un demi million (!), pourquoi ne pensaient-ils pas que quelque chose comme le mouvement de 1981 arriverait bientôt ?

En dépit des coupures de budget, le gouvernement travailliste a renforcé la Commission des Services de la Main-d’œuvre (MSC) afin de gérer plus efficacement le chômage. En particulier par la création du YOP (Plan Opportunités aux Jeunes) offrant de payer 21£ (210Frs) par semaine ceux qui accepteront la « discipline du travail » de 40 heures de « sous » emploi. Entre temps, le gouvernement tentait de faire vivre le vain espoir que la prospérité était au coin de la rue.

Après les élections générales de Mai 1979, le gouvernement n’a pas fait qu’augmenter le chômage (officiel) à 1 million et demi, mais il a aussi renoncé à tout espoir de temps meilleurs. Beaucoup de ceux qui ont quitté l’école, initialement pris en charge par les YOP, ont fini par quitter le programme avant les 6 mois prévus, parce qu’ils trouvaient le travail trop dégradant et sans aucun intérêt (une préparation au monde du travail !).

La réalité officielle du chômage reste loin de la grande dépression de 1930, mais la nature du salariat elle-même a changé. Seules quelques sections déclinantes de la classe ouvrière ont été capables de maintenir leur sécurité d’emploi et leur niveau de vie (et aujourd’hui encore seuls ces travailleurs continuent d’améliorer leur statut) pendant que les autres restèrent reléguées aux boulots inférieurs, dangereux et autres mi-temps sans aucune sécurité d’emploi. La restructuration dans l’industrie a rapidement supprimé les bases matérielles d’une identité du travail salarié, spécialement le lien entre effort et récompense – récompense dans le double sens de plaisir et de salaire.

À la différence des années 30, il y a non seulement peu de chômeurs de bonne volonté pour se condamner eux-mêmes, mais leur exclusion passive du salariat s’est transformée peu a peu en un rejet actif de tout travail, ou du moins du travail salarié officiel. Une communauté de travailleurs à Toxteth (Liverpool) a affirmé, dans un entretien avec des journalistes, qu’après quelques semaines de recherche d’emploi beaucoup de ceux qui avaient quitté l’école étaient si dégoûtés qu’ils perdirent tout intérêt et basèrent leurs vies sur le biz avec leurs amis. C’est cette menace de déviance qui est la cible de l’école, de la DHSS et du Ministère de l’emploi — et en ultime recours de la police.

Plus généralement, de tels comportements indiquent une crise à long terme pour toutes stratégies keynésiennes de contention de la lutte de classe par des mesures de protections sociales que les récipiendaires inventent afin d’empêcher les gens de construire leur propre espace indépendant. Au lieu de servir à renforcer le rapport effort/récompense, les cibles de ces mesures ont appris à s’en servir pour obtenir le plus de récompense pour le minimum d’effort, tout comme ce qui est arrivé dans les années 70 avec le système de sécurité sociale. Et le gouvernement Tory est peu enclin à mettre en œuvre les solutions proposées par le parti travailliste (par exemple des projets de travaux publics massifs), pas seulement par dogmatisme thatchérien, mais aussi parce que de telles propositions sociales démocrates semblent inutiles pour restaurer la discipline du marché du travail capitaliste.

Cultures « criminelles »

Les limites inhérentes à toutes solutions keynésiennes reposent sur les comportements déviants qui se sont développés depuis quelques années et sont apparus plus évidents publiquement et mieux organisés pendant les émeutes. Comme un policier Tory l’a admis après la première émeute de Brixton en Avril 1981, un contrôle lourd est nécessaire ici, pas simplement parce que le taux de criminalité est élevé, mais aussi parce que les gens qui vivent ici « n’ont aucun respect pour les autorités ». Brixton reste comme l’exemple extrême du quartier où les gens développent leur propre chemin pour gagner de l’argent en-dehors du marché officiel. C’est l’auto-organisation du non-travail, ou du travail au noir, qui définit l’illégalité d’une culture toute entière, désignée comme « criminelle » par l’État.

Dans les quartiers noirs où la moitié des jeunes sont au chômage, ce qui est désigné comme « déviant » devient la norme, symbolisé pour la police par les sound systems et la marijuana. C’est cette culture positive que l’état veut mener à la désorganisation — à l’aide des travailleurs sociaux, du YOP, du « contrôle communautaire » ou de la SPG (Groupes de Patrouilles Spéciales).

Leur culture de rue en opposition devient une revendication publique de leurs propres valeurs, le travail n’étant plus constructif d’une identité. Et c’est ce refus de souffrir individuellement, que la police appelle « criminel » dans la pratique. Comme il est dit dans le film « Blacks Brittanica », la police harcèle systématiquement les jeunes noirs durant la journée, car ils sont supposés être à l’école, au travail ou bien en train d’en chercher.

Bien que cette pratique policière ait une longue histoire, la police l’a étendue à tous les jeunes de la classe ouvrière, ce n’est donc pas un simple accident si le mouvement « multi-racial » de 1981 s’organise autour de la bataille pour « l’espace de la rue ». Après les premières émeutes de Brixton en avril, la police a fait profil bas, mais elle commençait à craindre que Brixton devienne une zone de non droit pour elle ; elle a donc rapidement reprit son approche brutale classique et provoquée les futures émeutes. La coexistence pacifique est impossible parce que l’une ou l’autre des parties doit gagner.

Quand une conciliatrice travailliste de Liverpool déclare que les conditions sont tellement mauvaises à Toxteth que les gens deviendraient apathiques s’ils ne faisaient pas d’émeutes, elle révèle le processus d’auto-affirmation publique à l’œuvre dans les émeutes elles-mêmes. C’est là que se trouve la menace suprême posée par la révolte : son caractère offensif, son sens du plaisir dans le défi aux autorités et un discours positif sur la vie misérable de la plupart des gens qui commencent à questionner les sacrifices quotidiens qu’ils font habituellement, à être, eux, avec ou sans boulot. Ce processus est devenu plus clair avec les émeutes de Wood Green (Londres Nord), pas un quartier « critique », où un groupe d’émeutiers blanc répond à la question d’un journaliste sur le chômage : « On a tous un taf. On veut une émeute ! ». Un autre groupe à Wood Green a dit « On essaie de montrer que se ne sont pas que les noirs qui foutent le bordel. On a des amis qui sont noirs. C’est tout le monde qui fout le bordel. »

Stratégie de marginalisation

Dans le système d’État et de partis, il existe de nombreuses stratégies pour marginaliser les révoltes qui apparaissent. Après les premières émeutes de Brixton en avril 81, les medias les plus raffinés ont attribué les événements aux exceptionnelles provocations racistes de la police, aux mauvais logements et au chômage élevé — comme si les mêmes « causes » potentielles n’existaient pas déjà dans la plupart des métropoles anglaises. Trois mois plus tard, quand la vague nationale d’émeutes est arrivée, beaucoup de commentateurs de droite soulignèrent le caractère « multi-racial » des émeutiers. De fait les provocations racistes ne pouvaient pas en être la cause. De plus, beaucoup de jeunes émeutiers étaient trop jeunes pour avoir un boulot. Implicitement, cela signifie que ce qui est dit sur les causes exceptionnelles des émeutes de Brixton a maintenant perdu tout potentiel de légitimité politique : ce sont seulement des imitations d’émeutes. Ils en déduisent donc que l’émeute n’est pas politique mais simplement « criminelle ».

Bien que la gauche ait besoin d’un programme politique condamnant le gouvernement Thatcher, elle a aussi besoin de marginaliser l’émeute, ou de l’instrumentaliser pour en affaiblir la portée politique, comme avec le slogan condescendant « Emeutes ou Révolution ? » Dans le débat publique sur les « causes » des émeutes, leur but est de réformer ce qui peut être pris comme provoquant les émeutes — la brutalité policière, le chômage et bien d’autres choses. Ils les analysent comme des facteurs du sentiment d’exclusion qu’ont les jeunes, qui doivent réintégrer la société – par exemple au travers de travaux publics massifs. Mais maintenant qu’ils ont fait l’expérience commune de mettre la police en échec, « d’acheter sans argent », et d’affirmer de manière décisive le « territoire de la rue », ils ne peuvent retourner dans la normalité capitaliste malgré les aspirations conventionnelles du socialisme britannique. Les quartiers se sont révoltés, pas simplement parce que les émeutiers étaient une minorité exclue ; comme la police l’a bien compris, c’est aussi le fait que leurs vies quotidiennes expriment un rejet actif de cette société en créant un nouvel espace social qui menace, non d’attaquer la communauté, mais de devenir une nouvelle communauté.

Ainsi nous pouvons commencer à comprendre les émeutes récentes moins autour du chômage que du changement de la nature de l’emploi. De plus, le refus grandissant du travail ne se limite pas à choisir le loisir plutôt que le travail, parce que les nouveaux comportements « déviants » reposent ailleurs que dans la dualité travail légal/loisir produit.

La menace pour le capital se trouve plus fondamentalement dans la rupture des liens normés entre travail et loisir — c’est le loisir comme produit de consommation individualisé, négocié centralement par le marché, et comme adaptation de la capacité de reproduction pour la soumettre au salariat. Au lieu de cela, les gens développent directement des formes de divertissements sociaux qui résistent à la soumission et à la reproduction capitaliste. Ces comportements ne servent pas à valoriser le capital en faisant que la force de travail produise de la plus-value ; ils servent plutôt à saper les rapports de valeurs et à réaliser (ou valoriser) les gens, à définir les besoins en-dehors de la valeur marchande. Les communistes italiens (aujourd’hui criminalisés) ont appelé cette tendance « auto-valorisation », ou « auto-réalisation » par l’usage de valeurs appropriées en-dehors de l’échange de produits.

Le droit de ne pas travailler

Malgré le nouveau défi structurel à la petite-bourgeoisie, la gauche voudrait présenter les récentes évolutions comme un phénomène passager de la récession, ou bien les attribuer aux politiques du gouvernement Tory, qui doit bien sûr être remplacé par un gouvernement socialiste. Mais, en réalité, la sous culture de la résistance défi les perspectives « productivistes » traditionnelles du socialisme. Définissant un espace largement hors du monde officiel du salariat, ces cultures sapent toutes les autres institutions (famille, école) qui normalement formatent les gens et les soutiennent dans la relation travail/capital.

En d’autres termes, en refusant l’identification avec la production capitaliste, ces jeunes sous-cultures défient la reproduction de la relation capitaliste, relation adapté à cette production. Au niveau le plus fondamental, ces attaques visent les autorités de l’État en tant qu’elles organisent la reproduction capitaliste. Et c’est pourquoi la police ne veut pas laisser seuls ceux qui essaient de mettre en pratique « le droit de ne pas travailler ».

Ce droit au non-travail signifie le refus de la discipline du salariat et du paternalisme « des réponses à ce qui pourrait être fait pour les rebelles ». Ce qui est significatif des émeutes, c’est simplement que ce sont les locaux qui les ont faites, avec leurs propres organisations rudimentaires. Cet accomplissement doit être le point de départ pour se poser la question de comment construire une nouvelle et puissante opposition communautaire d’activités créatives, qui pourrait se défendre avant d’être désorganisée par l’État et les partis politiques. Bien qu’il soit difficile d’être précis sur comment construire sur ces moments-là, il est devenu clair que la revendication du « droit de ne pas travailler » n’est pas négociable.

Pour finir, dans cette affaire, tout est renversé, tel l’État qui programme des campagnes pour tenter d’organiser la classe impossible dans le marché du travail officiel ou tout du moins dans les catégories officielles du chômage. Malheureusement pour l’État, la classe impossible ne veut pas négocier. En effet, peut-être cette classe ne peut-elle pas être trouvée… jusqu’à la prochaine émeute. Pour que la bataille ne se base pas sur des revendications négociables mais sur la légitimité de tout le système du salariat.


DE L’ATTAQUE … À LA DEFENSE … À …

« Dans le refus de combattre ces rôles, il subsiste en fait une acceptation globale d’une société aliénée. Ceux qui se proclament révolutionnaires disent qu’ils veulent changer le monde et leurs propres vies. Mais en réalité, ces individus espèrent qu’ils seront changés par une révolution. Ainsi, ils restent des individus passifs, prêt à s’adapter eux-mêmes, s’ils doivent le faire, mais qui fondamentalement craignent tout changement ».
Jeanne Charles, « Armes et femmes »

En regardant en arrière, il est maintenant clair que ce qui a été absent dans les luttes des dernières années, c’est le développement de formes d’organisations qui correspondent pleinement avec les nouvelles pratiques rendues explicites au plus fort des combats. Bien sur, il y a eu des organisations de comités de défense — mais les évènements à suivre ont révélé qu’aucune d’elles n’a encouragé le développement des nouvelles relations déjà créées. Bien sur, elles ont fait le travail d’obtenir rapidement une assistance légale pour les condamnés, elles ont publié les informations et organisé des rassemblements, etc. Néanmoins, elles ont, en gros, appliqué de vieux modèles orthodoxes de résistance à la nouvelle tache des prolétaires des métropoles, quand de tels modèles, dans une certaine mesure, sont déjà remplacés par les évènements sur lesquelles les organisations sont sensées se baser.

C’est pourquoi, ce qui a commencé en avril comme une attaque contre le racisme policier, s’est développé en une attaque contre la police en tant que telle, sur les échanges de produits en tant que tels et, par déduction, sur le processus de production et de consommation dans la société capitaliste dans sa totalité. Aussi, le mode d’attaque est lui-même une critique vivante des négociations usuelles par lesquelles les partis politiques et les syndicats contiennent et régulent la lutte de classe. En outre, il nous permet de briser les rôles classiques et les idéologies à moitié pourries et, pour un bref moment mais avec extase, de transformer les relations sociales. De telles transformations – qui restent au cœur du projet communiste et qui, sans les limites de temps et d’espace de Brixton ce week-end, deviendraient une forme de pratique de masse – nécessitent une base large et une forme flexible d’organisations dans lesquelles s’épanouir (par exemple : dans les temps de bouleversements sociaux cette structure a souvent été celle des assemblées générales ou des conseils, des soviets). Mais les structures d’organisations sont apparues à Brixton sur la base de critiques partielles, de visions limitées, en cherchant à défendre les accusés sans avoir déligitimisé l’État qui les a tout d’abord criminalisés.

Indubitablement, les critiques du racisme d’État par les comités de défense sont plus l’expression d’une nécessité que d’une prévention, mais c’est une marque de différence de degré large et non une élévation qualitative dans l’opposition critique et pratique (par exemple : elles auraient pu identifier les voies par lesquelles le mouvement en est venu à attaquer les méthodes racistes de la police, pour incorporer ce savoir à leur stratégie de défense). Leurs limitations suggèrent que, de toutes les couches prolétariennes qui participèrent aux combats, aucune n’a de conscience large des changements significatifs qui sont à l’œuvre dans la recomposition des groupes de prolétaires eux-mêmes. Alors que certains d’entre nous vont dans la rue concrétiser les aspects embryonniques et latents de nos propres formes par la recomposition de relations sociales, nous sommes incapable de saisir et de développer des processus collectifs. Surpris par la rapidité et l’énormité des évènements, nous sommes néanmoins inspirés par les forces déchaînées pour créer une pratique de lutte où nous nous trouvons confrontés à nos propres orientations réalisées. Maintenant, comme dans un rêve, nous ne pouvons pas nous reconnaître nous-mêmes entièrement. Donc, nous revenons à des analyses et des formes d’organisations que nos propres actions rendent obsolètes. Cela est compréhensible dans la mesure où la conscience est souvent présente derrière les émeutes, particulièrement les évènements d’une telle rupture qualitative.

Mais quels sont ces « nouveaux aspects » ? En bref, l’unité pratique des prolétaires noirs et blancs se forge dans l’action contre l’État et contre le règne des produits de consommation. Il n’y avait pas de lamentations pour « l’unité et le combat des noirs et des blancs » pendant les émeutes car c’était une réalité qui n’avait pas besoin de slogan comme le croient les organisations de défense. De plus, nous n’étions pas seulement en train de « combattre l’État » mais nous transformions les relations sociales, faisant une réalité du projet communiste en éprouvant nos propres potentiels, brièvement certes. À ce point du processus, la lutte va au-delà du niveau de confrontation physique avec les politiques racistes principalement envers les jeunes noirs, même si celles-ci ont été le détonateur et le principal composant de la lutte. Néanmoins, ce niveau de lutte n’est pas reflété par les comités qui reproduisent des analyses partielles et fragmentés. La provisoirement visible relation concrète éloignée de la conscience redevient invisible. Après le pas en avant dans la rue, deux pas en arrière dans les comités.

« La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crises révolutionnaires qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d‘ordre et leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté. »
Karl Marx, « Le 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte »

C’est au moment où les actions décisives ont lieu dans les rues, brisant une grande partie (certes pas toutes) des barrières idéologiques qui gardent les prolétaires noirs et blancs dans des orbites proches mais différentes, que le spectre large des activistes politiques intervient avec ses analyses « traditionnelles ». Dans le feu de l’action les aspects régressifs de leurs interventions confuses sont restés sans effets et ont été évincés par défaut.

La première « tradition invoquée » fut celle de la division selon la couleur. Le Brixton Defense Campaign (BDC), rapidement formé, était ouvertement réservé aux noirs. Bien que cette restriction puisse être perçue comme une tentative de réduire l’influence des partis (à prédominance blanche) et d’exclure les agents de police infiltrés, l’effet social immédiat fut de diviser les combattants de la rue. De plus, le BDC s’est lui-même immédiatement séparé selon une ligne de classe, entre les jeunes de la rue et les vieux politiciens professionnels. Ces différences ont mené à ce qu’une faction de « meneurs » annule le rassemblement public du week-end suivant – de peur, sans doute, de perdre le contrôle de la situation avec des émeutiers attendant impatiemment le rassemblement. Tombant sur un week-end de Pâques, le rassemblement était assuré d’une large participation de riverains et de supporters extérieurs, offrant de ce fait une opportunité pour étendre la lutte et mettre à mal l’isolation de Brixton. Il se passa que, juste quelques jours après le mouvement, ce week-end fut passé sous silence. (Le BDC s’est ouvert à des blancs peu après, mais seulement temporairement).

Cette division initiale par couleur et géographique à l’intérieur du prolétariat a eu un effet domino en renforçant — et non en affaiblissant — les groupes de gauche, qui avaient maintenant un masse confuse et fragmenté à ramasser et à recruter. Rapidement, ils ne furent pas moins de cinq comités/groupes de défense : le BDC comprenant surtout des noirs. Le Brixton Legal Defense Commitee (BLDC) formé essentiellement d’avocats, reflète l’investissement des gauchistes professionnels/politiciens, pour la plupart travaillistes. Le Labour Comitee for the Defense of Brixton vient de la « Tendance Militante » du parti Travailliste. South London Workers Against Racism (SOLWAR) est une branche locale du Parti Communiste Révolutionnaire (RCP). Pour finir, People Against Police Occupation (PAPO), de loin le plus petit groupe, est composé de socialistes féministes, homos radicaux et libertaires.

Le BDC a analysé les émeutes comme venant essentiellement des noirs. Ce qui est clairement indéniable c’est que ce fut le racisme policier qui provoqua les émeutes, mais que c’est seulement un exemple de plus des attaques multiples contre les noirs — économiques, légales, sociales, physiques — il est aussi clair que la vague de colère des prolétaires (principalement noirs) en réponse, va bien au-delà du projet initial d’attaque contre une police raciste. Les tentatives du BDC pour contenir la lutte dans le schéma unique « noirs contre État raciste » complétent la stratégie d’État de délégitimisation de toutes protestations extérieures aux strictes limites des « discriminations raciales ». C’est précisément avec de tels termes que l’État, et particulièrement les réformistes, ont essayé de contenir la lutte.

Un autre problème de l’approche du BDC est qu’il ne prend pas en compte des différences à l’intérieur même de « la » communauté noire. Aussitôt que le BDC a été formé, les différences de classe ont fait surface et elles ont persistées avec le développement de la campagne. Un point de vue strictement prolétarien (qui aurait souhaité inclure la vaste majorité des noirs) aurait pu éviter la confusion résultante de la collaboration de certains groupes noirs petit-bourgeois avec Lord Scarman et de la collaboration avec la police de tels meneurs de la communauté comme Courtnay Laws et Ivan Madray. Aussi, pour faire avancer la lutte, peut-être que plus d’intérêt aurait du être accordé à la mobilisation des prolétaires noirs de Brixton qu’au soutien aux diplomates caribéens.

Bien entendu, le BDC étant le plus grand groupe de défense, il a aidé la plupart des accusés, et ses limites ne réduisent pas son action. Aussi, ces critiques ne doivent pas être prises comme une critique de l’autonomie noire. Le développement « multi-racial » du mouvement ne défie pas les bases de l’autonomie des noirs, au contraire, il réaffirme le besoin d’organisations autonomes pour tout le monde. Néanmoins, nous devons repenser les différences entre autonomie et séparatisme vis-à-vis de l’État au lieu de renforcer les stratégies de contention de l’État. Peut-être que de futurs développements apporteront quelques clarifications pratiques à ce terrain glissant.

Et les autres groupes de défense ?

Le « Brixton Legal Defense Comitee » n’est intervenu qu’au niveau légal. La plus remarquable intervention fut la tentative de mettre à terre l’Inquisition Scarman car ses méthodes mettaient en danger les accusés dans certains tribunaux. Comme il n’y avait aucune chance que l’institution légale veuille arrêter Scarman pour son exhibitionnisme libéral, les tentatives du comité ont échoué.

La « Tendance Militante » portant le déguisement du « Brixton Legal Defense Commitee », utilisa l’ennuyeux langage familier à la plupart d’entre nous aujourd’hui. Selon eux, le mouvement était dû aux politiques du thatchérisme et aux politiques « incontrôlées ». Donc ils appelaient à plus de dépenses publiques pour les programmes de protections sociales, le démantèlement des SPG (Special Patrol Group) et la création d’une police « responsable » qui d’une manière ou d’une autre surveillera tout cela. Ce comité assista financièrement les accusés. Il fut le seul comité de bonne volonté pour passer outre les différences idéologiques et offrir en dernier lieu une assistance à l’anarchiste arrêtée Patricia Giambi – de loin le seul cas explicitement « politique » dans le mouvement aboutissant à une condamnation.

SOLWAR appliqua à la situation une analyse de classe contenant une critique du racisme (à la fois dans l’État et dans la frange travailliste). Ils en appelèrent à la résistance aux descentes de police qui ont eu lieu après les combats, avec le soutien de « milices » telles les équipes anti-fascistes qu’ils ont mis en place dans l’Est de Londres, mais cette proposition n’a pas été retenue. SOLWAR a aussi aidé les accusés financièrement et – avec le slogan « la police sur les quais » – assisté de quelques familles noires, a poursuivi la police pour ces attaques. Tout comme la proposition de résister aux descentes, c’était une nouvelle tentative pour faire passer la lutte à l’offensive contre la police.

PAPO était le plus ad hoc de tous les groupes, il exista seulement le temps de la présence policière. Il consistait principalement en des amis et des relations qui furent exclues du BDC et répugnèrent à rejoindre les groupes de défense formés par les partis. Il ne cherchait à représenter personne qu’eux-mêmes et n’éprouvait aucune pression pour « représenter » quiconque. Comme SOLWAR, ils cherchaient à diriger la lutte contre la police mais, par sa taille, PAPO ne put pas faire plus que d’organiser un rassemblement comptant 150 personnes devant le commissariat.

Ce bref regard sur les approches des groupes et comités de défense nous donne un aperçu du potentiel qu’une assemblée générale aurait eu, en particulier si elle reconnaissait les nouveaux aspects historiques du mouvement. Mais ce qui a eu lieu, c’est une prolifération de groupes qui empêcha tout débat ouvert sur la nature du mouvement et la formation d’une stratégie collective. Ces divisions ne reflétaient pas seulement des divergences au niveau de la scène politique locale mais aussi (et inconsciemment) une acceptation de la tactique du "diviser pour mieux régner" de l’État.

Durant l’insurrection, les tactiques de l’État ont été rendus explicites par les divagations du commissaire McNee (et en juillet par celles de Kenneth Oxford et James Anderton), qui attribuait les émeutes aux « hooligans noirs » (criminels de droit commun) et aux « agitateurs blancs anarchistes » (criminels politiques).Cette ligne politique a été suivie dans tous les tribunaux et peut être perçue au travers de la criminalisation plus ou moins franche des jeunes noirs. Et plus ouvertement encore au travers de la criminalisation de P. GIAMBI à Brixton, par exemple et de S. LOS à Nottingham. Bien entendu, l’État tenta différentes voies avec les 12 accusations pour conspiration de Bradford, qui reflétaient elles-mêmes la peur de plus en plus grande de l’État face à des prolétaires moins organisés et contrôlés.

L’effet le plus négatif de la fragmentation des insurgés fut la compétition entre les groupes de défense et les tentatives de certains de s’approprier la lutte.

Par exemple, quand l’Enquête Scarman s’est ouverte au Lambeth Town Hall, le BDC a appelé à un rassemblement. Il fut soutenu par tous les autres groupes. Néanmoins, SOLWAR a porté sa propre banderole et a refusé de la ranger quand le SO du BDC le lui a demandé. Ce refus a été lourdement critiqué par les autres et fut perçu comme de l’avant-gardisme du RCP (Parti Communiste Révolutionnaire). Mais on peut le voir sous un autre angle comme une tentative du BDC de limiter la lutte et de subordonner toutes les initiatives. Une telle confusion était dûe à un manque de débats préalables. Le manque de débats politiques ouverts signifie que, quelques soient les oppositions qui peuvent exister dans les approches politiques (et de telles oppositions existeront toujours), elles ont été exprimées dans des termes grossiers de compétition. Il est apparu que de telles divisions compétitives étaient consciemment désirées, et auto-perturbatrices, plutôt que de résulter d’un échec commun prématuré à aller ensemble vers une clarification mutuelle et un pouvoir de décision collectif. Dans les faits, le BDC — qui était vu comme le groupe de défense « autoritaire » — est devenu l’arbitre suprême et la seule source légitime des initiatives. (D’où l’absence du BDC en tant que groupe au rassemblement du PAPO devant le commissariat.)

Un autre exemple est qu’en l’absence de points de référence communs pour s’informer sur celles-ci, il ne devenait plus possible de discerner les motifs des descentes de police. Encore moins que ceux de la résistance collective, qui ont continuées après avril. Les informations réunies n’étaient pas accessibles librement. Pendant les descentes en juin, les gens semblaient pris par un sentiment d’impuissance qui a augmenté la fragmentation et l’isolement. Donc, quand la rue se souleva encore en juillet, ce n’était pas seulement le fait que la police soit mieux armée (qu’en avril) qui leur a permis de nettoyer la rue si facilement. Les évènements de juillet furent un exemple du déclin de la solidarité d’avril que la prolifération des groupes de défense avait aggravé.

Il est intéressant de regarder de plus près les différences entre le combat de juillet et celui d’avril. La principale différence est qu’en avril, la police fut surprise. Ce qui donna le temps, et l’espace, aux émeutiers de se rassembler pour une confrontation à grande échelle, ce qui créa le matériel de base pour l’unité du combat. Au contraire, en juillet il y eut des insurrections dans tout le pays mais la police était mieux préparée partout — casques anti-émeutes, boucliers légers pour plus de mobilité, soutien possible de canon à eau et de gaz CS (utilisés à Liverpool) — et avait l’instruction politique « d’aller au contact ». A Brixton, la tactique policière fut de créer des équipes mobiles roulant en 4x4 à vive allure en attaquant tous les regroupements. Cette tactique nous a forcé à courir en rond dans les rues pour prévenir tous ceux qui se rassemblaient. La tactique du « frapper et courir » était la seule forme plausible de résistance (elle fut réutilisée à St-Paul et Toxteth en 1982). L’unité des actions collectives était limitée comme en avril. Et maintenant, des escadrons anti-émeutes ont été formés dans toutes les divisions de la police métropolitaine avec gaz et canon à eau. La tactique « isoler et disperser » sera encore indubitablement à l’ordre du jour s’il y a de nouveaux combats. Si elle fait ses preuves et réussit, il sera sûrement plus difficile de regagner le terrain perdu depuis avril.

Mais pour en revenir à la prolifération des groupes de défense — comment cela est-il arrivé ?

« Le besoin de formaliser des niveaux appropriés du processus d’organisation et de les rehausser est prouvé par la diffusion, à l’intérieur du mouvement, des comportements qui, en substance, renient à la classe les possibilités d’auto-organisation et montre un état de décomposition… Ce processus [de décomposition] vient de l’attitude qui fait que les gens acceptent leur marginalisation une fois qu’ils en ont conscience. »
Autonomia Operaia, « Mouvement pour l’autonomie des travailleurs »

De tous les changements sociaux depuis 1970, l’un des plus significatif est la montée d’une force organisée autour d’une identité noire. Des groupes de noirs s’organisent eux-mêmes autour de l’opposition aux attaques de l’État et des groupes racistes. Une combinaison des deux — la Nationality Bill et le Massacre de NewCross — signifie qu’au moment où la police mettait en œuvre son opération « Swamp 81 », les noirs étaient dans une position combative et aucunement prêts à tolérer de nouvelles provocations. Mais ce processus remonte à la période post deuxième guerre mondiale et est lié à d’autres développements historiques révélateurs.

Les changements nécessaires aux nouveaux types de pouvoirs du travail dans le capitalisme d’après-guerre ont donné lieu à deux tendances. Les noirs sont « invités » comme source non-organisée de travail à bon prix dans les périodes de pénuries. Aussi, avec le déclin de l’industrie traditionnelle (charbon, acier, construction navale et autres) et le développement des services et de l’industrie légère, les femmes — autre source de travail bon marché — devinrent une large composante de la force de travail, structurellement plus intégrée. _ Chaque groupe a aussi reçu une impulsion importante des mouvements de libération de la fin des années 60 — le Black Power Movement et le Women’s Liberation Movement.

Le développement d’une large frange de groupes révolutionnaires, des trotskistes aux anarchistes, est lié aux oppositions développées à la fin des années 60. Depuis le milieu des années 70, il y a eu dans l’armée de réserve, une augmentation de jeunes hommes noirs et blancs exclus du procès du travail. A l’inverse de l’armée de réserve des années 30, il y a une tendance à retourner cette exclusion dans un rejet des modèles sociaux de « succès ». Beaucoup de ces gens ressentent eux-mêmes l’enjeu d’une réforme du capitalisme et ont prouvé qu’ils étaient disposés à défendre physiquement tout empiètement sur leur sous culture du « non-travail ».

Tout cela reflète les changements dans le capitalisme et l’auto-perception de la classe ouvrière. De tels changements montrent inévitablement que ces classes ne sont pas des groupes fermés mais le résultat de processus sociaux. Par exemple, l’expansion de boulots de bureau a « embourgeoisé » la traditionnelle classe ouvrière et a « prolétarisé » la traditionnelle classe moyenne. L’expansion d’une éducation « de qualité » a donné à certains ouvriers un passeport pour la classe moyenne. Les noirs (particulièrement les immigrés de la première génération) exécutaient les travaux mineurs pendant qu’une partie des blancs de la classe ouvrière devenaient plus mobiles. L’État protectionniste – fait pour individualiser les conflits de classe et isoler les gens – a été néanmoins utilisé par ceux qui refusent le travail salarié pour gagner le temps et l’espace dans lequel il est possible de sortir du cycle de l’esclavage salarié et de développer leur opposition dans de nouvelles pratiques. Et ainsi de suite.

Ce que tous les groupes mentionnés ont en commun est qu’ils s’organisent et s’expriment eux-mêmes en dehors des réseaux officiels des partis politiques et des syndicats (même si la tendance organisée de la gauche voudrait les y mener). Avec plus ou moins de d’importance, ils sont tous politiquement, socialement ou économiquement marginalisés — et pour la plupart des femmes et des noirs dans les trois sphères. Ceci est dû principalement à des conditions objectives, dont certaines — par exemple la structure d’individualisation des « chômeurs » officiels — ont été défiées par les insurrections de l’année dernière.

Mais les forces en jeu ne sont pas seulement objectives. Dans un tel monde, les gens qui sont en antagonisme avec les normes sont simplement heureux de trouver des gens qui ont la même opinion qu’eux. De tels groupes deviennent des points de référence pour l’identité, la sécurité et le soutien. Graduellement, les gens en viennent à accepter leur marginalisation, et cette auto-ghettoïsation coupe les gens des autres groupes d’opposition, et pas simplement sur une base « idéologique ». Il y a certain degré de complicité (inconsciente) avec la tactique du diviser pour mieux régner. Des frictions ont lieu entre les groupes qui, explicitement ou implicitement, revendiquent chacun une solution pour une transformation sociale réelle, et chacun le fait d’être le sujet de l’Histoire. (Isolement et avant-gardisme s’incluent souvent mutuellement).

Donc, malgré les changements des relations sociales qui prennent place dans les combats de rues, et quand la tâche de l’organisation se pose à elle-même, il y a une tendance innée chez les gens à retourner « automatiquement » aux rôles qu’ils connaissent le mieux, ceux qui reproduisent les vielles divisions. Cependant, « depuis que le modèle léniniste assume l’expression d’une avant-garde de l’intérêt de classe dans sa totalité, il ne supporte aucun lien avec la réalité que nous avons décrit où aucune partie de la classe ne peut exprimer l’expérience et l’intérêt, et continuer la lutte pour toutes les autres. L’expression formelle de l’organisation d’une stratégie générale de la lutte de classe ne peut plus exister nulle part. »

Depuis que ces mots ont été écrits, ce problème est devenu des plus pressant. Pourtant une des tentatives majeures pour le résoudre — la conférence « Au-delà des fragments » — est vouée à l’échec. « Au-delà des fragments » a échoué non seulement parce qu’elle a tenté de créer une unité sur un plan purement idéologique, mais aussi parce qu’elle a cherché à « insuffler la vie à des monstres de Frankenstein élevés sur les restes pourrissant des mouvements politiques des vingt dernières années ». Elle a échoué à reconnaître ce qu’il y avait de nouveau dans le refus général des prolétaires de cette société et particulièrement le rôle de la gauche dans la domestication d’un tel refus. Ce qui est le plus indispensable c’est une tentative d’unification sur une base de pratiques et de continuité, une base qui reconnaisse les nouveautés et les ruptures au-delà des vieilles barrières idéologiques. (L’insurrection de l’année dernière pourrait bien offrir le commencement d’une telle base).

Mais ce ne sont pas les seules raisons de la prolifération des comités de défense et des analyses partielles. La nature spontanée et l’étendue des actions ont prit beaucoup de gens par surprise. Avant, les événements et leurs potentiels pouvaient être pleinement saisis. Le moment passé, l’État regagnait le contrôle de la rue, et le « vide » résultant favorisait l’élaboration de ces analyses et de ces modèles d’organisations. Le point central de la lutte remonte de la rue vers les comités, s’estompe et devient moins intense par ce processus même. Et ceci est un problème redondant des périodes de rupture sociale — la division entre « combattants » et « organisateurs » — qui peut être vue comme la division du « travail révolutionnaire ». Nous devons constamment identifier et défier de telles divisions. Néanmoins, ce n’est pas assez de les défier formellement, parce qu’elles persistent par défaut, par notre échec à articuler les nouvelles nécessités historiques exprimées dans la pratique insurrectionnelle, qui reste un manque dans le nouveau langage requit pour opposer ces nécessités aux anciens modèles « socialistes ».

Pour toutes ces raisons, les premières suggestions des assemblées générales ne sont pas sans poser problèmes. Les principales difficultés à surmonter sont : l’histoire différente de chaque membre, les différents niveaux d’engagement, les différents objectifs désirés, la peur et la méfiance entre les membres des groupes, et maintenant les tactiques plus dispersées de « guérilla » requises pour s’opposer à des forces de police mieux équipées. Nous avons besoin de nous attaquer à ces problèmes maintenant, si nous voulons cesser d’affirmer notre misère « marginalisée » et nous affirmer comme une classe, pour passer de la défense encore une fois à l’attaque.

M. Brique, Mars 1982



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