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CPE - Le Monde se referme-t-il ?
suivi de "Pousser le monde qui s’écroule", "l’Appel de Raspail" et "Mais où est passé le mouvement réel ?"
mis en ligne le 29 mars 2006 - Collectif
Le monde se referme-t-il ?
1
Il y a ce sentiment qui est là : que cela se referme, que l’histoire se clôt progressivement, que les possibles diminuent. C’est déjà arrivé de multiples fois, quand chacun et chacune sombrait dans le blues, avec cette idée que décidément les autres étaient trop embourbé-e-s, trop pris-es par leur quotidien, par leurs crédits, leur travail.
Trop pris-es par le cours normal des choses, par une sorte de manque de recul. Comme si tout le monde était trop collé au présent pour imaginer autre chose que sa répétition.
Le constat, aujourd’hui, pourrait encore se faire.
Course après les nouveautés technologiques débiles, désertification des sols, air et eau viciés, aliments pesticidés, un écran toujours allumé, lucarne pour faire oublier le monde ou pour le rétrécir à volonté.
Consensus autour du travail salarié, horizons réduits, objectifs sans intérêts, sourire, dynamisme, tristesse intime, pas de grandeur, enfermement.
La politique loin, très loin, un jeu de parti, avec des gueules de costard et de la com’, des associations qui colmatent, des citoyen-ne-s qui désirent plus que jamais aider l’État dans son œuvre d’éducation, de gestion, de limitation des dérives.
Un espace pour circuler, pas d’arrêt, mesures de sécurité, d’hygiène, de santé, rien à rajouter, pas assuré, des flics, des caméras, un regard permanent, pas de cachettes, de recoins, de fissures pour s’évader. L’école dès deux ans, activité extrascolaire, projet personnel, collège boutonneux, lycée gothique, fac branchée, jobs, fringues chères, déception, voies de garages, on se range et on taffe.
Tou-te-s singulier-e-s et en même temps : mêmes avenirs, mêmes médicaments, mêmes enfants laissés à l’État, mêmes relations, des séries télés, des bons films, un moment d’éclate, un beau voyage, de la mauvaise solitude, le sentiment de s’être trompé à un moment. Un blues.
Qu’est-ce que VOUS avez à proposer ? C’est TON choix, MOI je ne pourrais pas. JE suis trop attaché à MON confort, j’ai peur de vivre à plusieurs, ce n’est pas fait pour MOI. En même temps, c’est bien, il en faut des comme TOI, parce que c’est vraiment terrible. Les sans-papiers, les clodos, la pollution, le flicage permanent, la pub, le sexisme, les prisons qui débordent, le spectacle politique insignifiant, sans perspective, la liberté resserrée, la parentalité débordée, le Prozac, les massacres chirurgicaux, les mots qui disent leur contraire. MOI, ça me déprime. JE suis trop petit-e face à ça, JE manque de courage. C’est trop gros, trop massif, trop puissant, trop global, trop étouffant. JE préfère me construire un bon espace, une bonne niche pour mon écologie intime, chercher mon petit bout d’utopie.
Il n’y aura DE TOUTE FAÇON pas de grand changement avant longtemps, il faut bien s’aménager quelque chose dans tout ça. JE sais qu’AU FOND je resterai le-la même. Et JE serai là s’il arrive quelque chose de grand, je serai à VOS côtés quand cela arrivera.
En attendant...
2
Et pourtant.
Tellement de signes que cela n’est pas bloqué, que tout n’est pas fermé. C’est effectivement trop gros, trop étouffant.
Trop criant d’horreur, trop criant d’ennui. Des tours qui tombent ; fanatisme contre fanatisme, désastre. Gênes, un mort, des dizaines de milliers d’émeutier-e-s et l’effet carabine, désastre. Des nabots qui gouvernent, leurs corps qui suent le fascisme post-moderne, gestionnaires de la haine et de l’angoisse, désastre. Des vieux qui meurent dans le silence caniculaire ; des caisses qui brûlent, on demande plus de service public, désastre. Pickpockets, bagages abandonnés, vigilance, désastre. Méduses géantes, brasiers de volaille, désastre. Asthme, nosocomie, cancers, sauveurs du monde en combinaison blanche, désastre.
Désastre.
Surgissement des structures, des logiques. Tout à nu.
Plus tellement besoin d’analyse quand tout est là, toutes les conséquences. Que l’on tente de gérer. Comme si c’était seulement possible. Le cours du monde prend une teneur abstraite, métaphysique, crue, blanche. Plus besoin d’effort critique, quand chaque discours porte en lui-même sa propre critique, ses propres limites, ses présupposés. On parle de croisade, d’autres de flexibilité, de conjoncture, d’insécurité, de confiance en soi : mots qui ne veulent rien dire, qui ne désignent rien d’autre que la domination du vide qu’ils propagent et enregistrent.
Tout le monde sent cela, sent que cela ne convient pas. Mais on croit que les autres y croient, qu’illes aiment ce monde. Comme si cette sensibilité n’était pas partagée ;
comme si elle ne devait pas surgir aujourd’hui,
telle une conséquence nécessaire
de ce qui nous arrive.
Reste que le désastre fascine, comme la gigantesque machine d’une apocalypse qui vient. On le prend comme le ciel, comme un au-dessus nécessaire : fruit coupable de nos irresponsabilités individuelles, de nos besoins d’argent, de nos besoins de gadgets qui rendent tout un peu moins pénible. Bien malaisé de se rappeller que d’autres, il y a longtemps, ont imposé ce monde, cette forme de monde, avec ses désirs, ses besoins, ses limites. Et plus dur encore de cesser d’ignorer leurs héritiers, toute la bande d’après-moi-le-deluge... encore plus douloureux de sentir les parties de moi-même qui me trahissent, mes laisser-faire meurtriers, mes cocons à balles réelles... Difficile de se rappeller que c’est ce monde qui nous oblige à être irresponsable, à toujours détruire quand nous voulons simplement survivre. Qu’il est tout sauf un ciel : le simple produit de notre activité, de nos quotidiennes participations, nos amours machinales.
Voilà bien ce que produit le désastre à l’intérieur de nos vies, ce choix : vais-je accepter de répéter ces gestes qui me dégoûtent, ne font toujours que nous précipiter dans le gouffre ? Le problème, c’est qu’il est impossible de refuser de manière individuelle, que l’on ne peut rien s’aménager. Il ne s’agit donc jamais d’un choix mais de quelque chose dans lequel nous sommes poussé-e-s.
Ainsi devenons-nous,
malgré tous nos beaux efforts,
une part du désastre.
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Fin de la tristesse. D’autres lignes, que nous oublions peut-être.
La situation est trop claire pour que rien n’en déborde. Et ça déborde de partout. Ça fissure. Des refrains nous parlent de joie, d’anarchie. Les facs, les ANPE sont remplies de celles et ceux qui veulent faire durer ce moment où l’on ne s’engage pas pleinement dans le désastre. Quand elles ne brûlent pas. Nous sommes tellement à retarder ce moment que le chômage des jeunes est devenue une cause nationale, le grand drame à propos duquel il faut se mobiliser. Ça se réjouit. Les drogues circulent à l’échelle de l’ivresse, dans le silence des salons, dans le bruit des teufs, à l’arrière des boîtes. Comme des expédients qui font oublier et intensifient, parviennent à nous emporter, malgré tout.
Ça rigole, ça jouit, ça s’en fout, ça se moque des managers. Parfois ça s’ennuie, mais ça rêve. Ça se rappelle les rêves adolescents d’îles désertes habitées en commun, ça partage autant qu’il est possible : de la bouffe, des tristesses, de la tise, des danses, des pieux, des chants, des angoisses... du cri. Ça tente de s’exprimer malgré tout, malgré la langue du psy qui évite de parler de soi, malgré la langue du politique qui évite de parler de nous, malgré la langue du travail qui évite de parler d’œuvre, malgré la langue de la pédagogie qui évite de parler des mômes. Ça poétise, ça espère, ça s’emballe. Ça vit toujours, même au fond du gouffre. Ça susurre d’espoir.
Alors parfois, il est possible de reprendre du souffle, de se dire qu’au fond, c’est possible ; que cela ne peut pas que concerner celles et ceux qui déjà font des choses. Trop tristes qu’illes sont - à l’image du désastre qu’illes combattent. Manque de respiration ; isolement de l’impatience.
Nous avons ces images de farandoles, de peuple, de repas en commun, d’ami-e-s croisé-e-s au hasard, de belles choses que nous avons construites, de sourires glanés par chance, de voyages en stop, de victoires mêmes minimes sur des autorités absurdes.
Nous avons tou-te-s connu ces moments où la parole publique devenait possible, nécessaire même, pour que cela avance ou pour comprendre. Ces moments où elle revient. Nous savons que les murs pourraient se redécorer de notre poésie, que les voitures pourraient s’arrêter de rouler, que les vieilles pourraient cesser d’avoir peur, que nous pourrions faire nos vélos à vingt places, construire nos maisons nous-mêmes, que les flics, les juges et leurs prisons ne peuvent protéger les beautés dont nous sommes capables ; nous savons qu’il nous reste encore, même dans cette abîme, tant de forces, tant de désirs, tant de rage pour en sortir, nous arrêter.
Et recommencer comme nous l’entendons.
Alors non, le monde ne se referme pas. Il se montre simplement dans son extrêmeté, dans sa radicalité. Il se révèle comme n’étant le monde de personne, comme le monde qui se produit lorsqu’ ont été vaincu en surface, les désirs d’émancipation, d’une vie bonne, plus ajustée. Les envies d’entraide, de solidarité, de partage continuent pourtant à nous mouvoir, comme les seules choses qui pourraient enfin donner un sens à ce merdier. Peut-être rêvons-nous encore trop en termes de Parti, en terme d’utopies, en termes de valeurs. Autant de choses qui nous éloignent de nous-mêmes, de ce qui nous ronge, nous prend.
Autant de manière d’attendre,
encore et toujours,
les autres.
Les autres pourtant, ne sont pas si loin. Nous-mêmes, n’avons-nous pas déjà le sentiment de devenir autres que ce que nous devions être, pris-e-s par l’emballement terrible de nos rencontres ?
4
Aux mille visages et aux mille époques, lutter et résister comme l’élan de ce que nous désirons vivre... Pourquoi tant de voies expérimentées autour de nous qui tentent de déjouer les rets du pouvoir, tant de personnes qui cherchent à déconstruire leurs propres chaînes de pouvoir, fabriquent autour d’elleux une constellation de corps serrés, tant de belles personnes qui s’allient dans un lieu collectif ou dans un projet social, tant d’énergies qui refusent les évidences de la domestication et construisent au hasard de leurs désirs communs ?
Toutes ces questions auxquelles les révolutions ne répondent pas plus que les gouvernements qu’elles reproduiront. Toutes ces épines que l’on oublie à mesure que l’on délègue nos envies aux professionnels du renversement, au ventre de la majorité. Comment vivre ensemble nos singularités sans nourrir le sommet des pyramides, comment simplement vivre en commun, sans prolonger les frontières des isolements que nous fuyons ? Les alternatives, les possibles, les contre-mondes se diffusent et s’épaississent, ou recréent leurs normes à mesure qu’ils grossissent...
Comment ne pas refermer le monde sur nos rêves, ne pas nous faire avaler par les niches qui combattent déjà, ne pas nous laisser dépasser par nos débordements ? D’où partir et où construire ? de moi, de ma bande de potes, de cette lutte, dans un ghetto, sous un olivier, sur les ruines du désastre ? Comment concrétiser une vie en commun solide sans éventer nos emportements ? Le grand silence, le tabou révolutionnaire qui ne veut pas dévoiler la vanité de l’objectif de la lutte, ou qui voudrait qu’elle se nourrisse d’elle-même, et l’intense sentiment de ne pouvoir combattre en y sacrifiant la légéreté des rêves qui mènent nos regards : l’esprit de sérieux ne nous prendra pas l’énergie de nos luttes ; l’énergie de nos luttes nous conduira toujours à la vie que nous souhaitons mener parmi celleux nous aimons.
Nous ne laisserons pas ce monde se refermer sur nos rêves,
et ce sera...
...la violence d’un projectile pour nos entraves
et la force d’une danse pour nos désirs...
En commun.
Autonomes.
Kamo & Kalo, en route de l’Italie vers les barricades de la Sorbonne, mars 2006
***
Pousser le monde qui s’écroule...
Il n’y a jamais de casse ou de violences « gratuites ». Certes, certaines sont stupides ou peu stratégiques, mais toutes traduisent une rage, une détermination qui avait disparu depuis des années. Nous y trouvons de l’espoir, mais nous en voulons pas nous en contenter. Nous voulons parler, élargir et donner de l’épaisseur au mouvement en cours. Nous ne souhaitons pas reproduire les conditions et les erreurs qui ont fait échouer les mouvements précédents : séparation entre nous et avec le monde qui nous entoure, jonction impossible avec les salarié-e-s, invisibilisation de l’au-delà que nous portons, stigmatisation médiatique et citoyenne des minorités violentes... Ne laissons pas dispositifs et dispositions jouer contre nous. Pour cela il est nécessaire d’éclaircir certaines positions et parti pris.
Que Villepin ne retire pas son texte, ni aujourd’hui, ni demain, ni dans une semaine, qu’il s’obstine, c’est ce que nous voulons tou-te-s : que la lutte perdure, que les discussions déjà amorcées se développent, s’amplifient... et que chacun prenne enfin position : pour ou contre le monde que l’on nous propose et que subissent les plus précaires, celleux qui n’en peuvent plus de leur boulot, de leur patron, de leur vie. Car nous sentons partout, dans l’air et dans les mots, un soutien, des questionnements, une envie que ça explose.
Nous cherchons un lieu ( ou plusieurs) qui puisse devenir un point de ralliement, un lieu de convergence où tou-te-s les grévistes, du public comme du privé, les précaires, les activistes et les autres pourraient se rencontrer, partager leurs expériences, leurs souffrances, leurs espoirs et repartir avec l’envie de continuer, de pousser plus loin le combat que nous avons commencé. L’Ehess peut être un temps un lieu, mais d’autres lieux, vides et imprenables à peu nombreux-ses, nous permettraient de nous installer dans le long terme.
Nous voulons la grève générale, que la machine s’arrête, que la routine soit cassée. Nous voyons déjà les sourires, la joie qui animent celleux qui en veulent à ce monde, celles qui sont déjà en lutte. Nous voyons le mépris des têtes syndicales qui ne proposent qu’une énième journée de grève et le dégoût qu’il suscite chez les plus énervé-es qu’illes soient syndicalistes ou non.
Nous nous reconnaissons dans la rue sans nous connaître. Nous ne sommes plus des anonymes. Sans faire de l’émeute un mythe, la concrétisation de notre force nous lie plus à chaque confrontation.
Nous ne voulons pas de chefs, ni de porte-parole. Celleux qui existent, nous ne les reconnaissons pas. Que certain-e-s s’assoient à la table du gouvernement et illes seront désavoué-e-s. Nous n’avons rien à négocier et tout à prendre. Nous le savons maintenant plus que jamais.
Chirac a été élu contre Le Pen, sa majorité s’est installée grâce à l’abstention de l’électorat de gauche. Les lois, les décrets, les ordonnances appliquées depuis sont illégitimes, comme les gouvernements qui se sont succédés.
Tout est passé : des politiques qui s’attaquaient aux plus faibles, aux plus dominé-e-s (sans-papiers, chômeur-se-s, rmistes...), des lois qui, pourtant, avaient réussi à former contre elles de véritables mouvements (retraites, réforme Fillon...), des mesures policières « d’exception » qui sont devenues la règle. Nous avons vécu l’Etat d’urgence et la répression des émeutes d’Octobre-Novembre 2005. Passif-ve-s. Cela n’arrivera plus.
Nous voulons faire plus qu’un « coup d’arrêt ». Nous critiquons ce monde et les valeurs, les évidences qu’il porte en lui. Nous critiquons l’Ecole et la formation, le salariat, la société industrielle, la croissance et le « plein emploi », le progrès et son cortège de destructions. Nous critiquons les rôles que la société voudraient nous faire jouer : nous ne serons pas des cyniques sans pitié, des « gagnants » prêts à écraser les autres, des consommateurs passifs ou des esclaves.
Nous ne combattons pas que la précarité, nous combattons l’exploitation et le travail forcé. Nous savons qu’illes sont nombreu-ses-x celleux qui n’osent plus s’opposer. Et illes n’ont ni un CPE, ni un CNE, mais un CDI ou un contrat précaire. La multiplication des dispositifs de mise au travail que sont les CPE, CNE, RMA, le contrôle mensuel des chômeur-se-s ne signale pas qu’une offensive idéologique en faveur de la « valeur travail », ils révèlent une résistance à l’asservissement, l’humiliation quotidienne de celleux qui travaillent ou pas en entreprise (qu’elle soit publique ou privée, rappelons-le).
Nous ne nous laisserons pas adapter !
Nous combattons pour une dignité bafouée, piétinée sur l’autel de la compétition capitaliste et du productivisme. En cela nous ne détachons pas du vécu « matériel » des plus précaires : l’impossibilité de boucler les fins de mois, de se projeter dans l’avenir sont les conséquences des réorganisations successives du travail.
Nous savons qu’il n’y a pas d’alternative à gauche pour 2007, que les urnes ne nous amèneront que de nouvelles déceptions, que tout est à faire ici et maintenant de manière autonome, sans compter ni sur les syndicats, ni sur les partis.
Nous n’avons aucune confiance dans les médias et nous ferons tout pour mettre à nu les mensonges qu’ils répandent. C’est par les prises de parole, les inscriptions sur les murs et dans le métro, le bouche-à-oreille et les médias alternatifs que nous rétablierons la vérité, que nous créerons des liens, des connivences, et par nos actes que nous prouverons notre maturité (que ce soit dans la casse ou dans le combat contre les flics).
Le mouvement que nous avons entrepris ne doit pas s’arrêter : les interpelé-e-s, les inculpé-e-s de ces derniers jours, de Novembre, de tous les mouvements sociaux de ces dernières années ont besoin de notre soutien total pour qu’une amnistie soit possible. C’est en continuant la lutte présente que nous ne nous enliserons pas dans la lutte contre la répression.
La flicaille vient d’envoyer dans le coma un syndicaliste. Nous pensons à lui et à son entourage et crions tout-e-s à la vengeance...
Nous ne lâcherons rien (ni personne) !
Solidarité entre tou-te-s les insurgé-e-s quelque soit leurs modes d’action ou d’intervention !
Un occupant de l’Ehess, le 21/03/06.
PS : ce "nous" est celui de tou-te-s celleux qui se reconnaîtront dans ce texte et de celleux qui me l’ont inspiré... Vous pouvez en faire ce que vous voulez : tract, appel ou autres... Je n’en suis pas le maître.
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Appel de Raspail
Aux étudiants, chômeurs, salariés plus ou moins précaires, de France et de Navarre,
à tous ceux qui sont ces jours-ci en lutte
contre le Contrat Première Embauche,
et peut-être contre bien plus que ça...
Puisque nous parvenons de plus en plus précisément à envisager le moment où la Terre sera entièrement consumée par notre mode de vie,
Puisque les scientifiques en sont réduit à nous promettre la colonisation d’autres planètes à consommer,
Nous, salariés et étudiants, stabilisés ou occasionnels, de la région parisienne et d’ailleurs, occupants du Centre d’Étude des Modes d’Industrialisation au 4è étage de l’EHESS en ce premier jour du printemps, voulons réfléchir à ce que pourrait être une vie pérenne et souhaitable dans un autre monde fini.
Il nous semble impossible de poser la question de la précarité des emplois et des revenus monétaires sans poser aussi celle de la précarité de la survie humaine globale. En ces temps de désastre écologique très avancé, nous pensons qu’aucune position politique et aucune revendication qui n’intègre pas le caractère d’impasse du développement économique, de la croissance, ne peuvent avoir la moindre valeur.
Nous sommes donc à la fois fantastiquement utopistes et radicalement pragmatiques, bien plus pragmatiques au fond que tous les gestionnaires « crédibles » du capitalisme et des mouvements sociaux (quand UNEF rime avec MEDEF...).
Nous voulons briser le culte dont sont l’objet les créateurs d’emplois et de richesse, réhabilités avec le concours de la gauche dans les années 1980. Aucun discours sur l’exploitation et la précarité n’a de sens et d’efficacité s’il s’interdit de malmener comme ils le méritent ces « bienfaiteurs de la collectivité ».
Nous voulons aussi lever le tabou de ce mouvement anti-CPE : la perspective du plein-emploi, qui sous-tend la plupart des mots d’ordre et des revendications, n’est ni réaliste ni désirable.
Le travail humain, en Occident, est supprimé massivement par les machines et les ordinateurs depuis plusieurs dizaines d’années. Il n’a certes jamais été autre chose qu’une marchandise pour le capital, mais ce qui a changé au stade actuel du « progrès » technologique c’est que l’accumulation d’argent exige moins d’humains à exploiter qu’avant. Il faut se mettre dans la tête que le capitalisme ne peut plus créer assez d’emplois pour tous. Et reconnaître qu’en plus, ceux qu’il crée encore péniblement sont de plus en plus vides, déconnectés de nos besoins fondamentaux.
Dans ce système, la production matérielle est délocalisée vers les pays « en voie de développement », où se concentre ainsi le désastre écologique (même si nous ne sommes pas en reste...). Et chez nous, dans notre économie de services prétendument immatérielle, fleurissent les emplois de serviteurs : esclaves des cadences robotiques, domestiques des « services à la personne » (voir les récents plans Borloo), petits soldats du management.
Ce mouvement ne sera fort et porteur d’avenir que s’il fait entendre une critique lucide du travail moderne. Et s’il permet d’établir définitivement qu’il n’y aura pas de sortie de crise. Loin de nous laisser abattre, nous voulons faire de ce constat une chance. Nous pensons qu’un mouvement social conséquent doit se donner pour but d’aider l’économie à s’effondrer. Le monde actuel ne connaît pas d’en-dehors, on ne peut pas espérer le fuir. Il faut donc patiemment y constituer des milieux de vie où l’on puisse produire ses moyens de subsistance sans le concours de la machinerie industrielle, et où émergent de nouveaux rapports humains, dégagés d’elle. Il faut dans le même temps entreprendre le démantèlement de pans entiers de l’appareil de production existant, inutiles ou nuisibles. Bien sûr, tout cela exige, dans nos discours comme dans nos pratiques, un rejet résolu de l’Etat et de ses représentants, qui seront presque toujours des obstacles à nos projets d’autonomie.
Cessons de réclamer un emploi stable pour chacun !
(même s’il arrive à tout le monde de chercher du boulot ou de l’argent)
Que la crise s’aggrave !
Que la vie l’emporte !
Les occupants du Centre d’Etude des Modes d’Industrialisation
(à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, bd Raspail à Paris), constitués en Comité Pour la Désindustrialisation du Monde,
entre l’aube du 21 mars 2006 et le milieu de la nuit suivante.
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Mais où est passé le mouvement réel ?
Compte-rendu politique, critique et subjectif d’un mandaté de la Sorbonne au sujet de la Coordination Nationale Étudiante s’étant tenue à Aix-en-Provence les 25 et 26 mars 2006
1
D’abord, et comme un symptôme, le TGV qui relie Paris à Aix en trois heures. On arrive au milieu du désert : une gare immense, entièrement vitrée, lisse, un temple de la laideur architecturale contemporaine au milieu de la sécheresse. Et l’autoroute qui met la ville à quinze minutes. Le temps et l’espace sont annulés, nous sommes au milieu de nulle part, dans un centre impossible, fruit de la volonté d’effacer ce no man’s land que constitue à présent le centre de la France. Nous sommes l’une des premières délégations à arriver, nous nous faisons enregistrer auprès d’un cocheur de cases, et rédigeons proprement les “motions perspectives” que l’on nous a demandé de porter à la coordination. Elles seront retapées par ordinateur et distribuées pendant les débats. Tout le monde se badgera bientôt : délégué, cafétéria, S.O., organisateur. Voilà tout le monde bien rangé, bien distingué, afin que chacun-e reste à sa place.
Tout le monde est stressé. Il faut que cela se passe mieux que la semaine dernière, à Dijon. Ça rigole quand même un peu, ça chante. À Aix, l’occupation dure depuis trois semaines, et c’est un honneur d’organiser la coord. Il y a évidemment les grandes banderoles de bienvenues, les tas de chaises entassées, les panneaux indicatifs. Tout le monde dort à l’arrache dans les amphis. Le lendemain, ça commence.
2
Réveil pénible sur le sol en lino. Plein de délégations sont là dans le hall. Ça grouille de monde, ça discute. Retrouvailles. Comment ça va depuis la dernière coord ? Il y a beaucoup d’habitué-e-s ici. Les mêmes têtes syndicales se retrouvent. Famille infecte, névrotique, dans laquelle se jouent les petites rivalités, les inimitiés. Je n’y comprends rien, ne sais pas ce qui se trame entre les différents groupes trotskards et gauchistes, sur quels points se constituent les ruptures. Le complotisme rôde, la mesquinerie va de bon ton. Ça se moque. Les délégations font encore semblant d’être ensemble. Mais déjà on se rassemble, on se mélange, les rumeurs circulent. Qui tiendra la tribune ? Vous avez vu la charte qu’Aix propose pour la tenue de la coord ? Qui est derrière tout ça ? L’Unef mino, l’Unef majo ? Et la coord, nous dit-on, est un grand espace de débat.
Ça démarre vers midi. Des délégations venant de villes proches se sont fait le plaisir d’arriver en retard. La tribune se présente, elle sera tournante. Grand discours d’inauguration d’un type de l’Union des Etudiants Communistes, beau comme un jeune cadre stalinien des années 80. On rigole. Il sera discuté pendant des heures des modalités de vote, de la question de la “charte d’Aix”. Je ne comprends rien, sauf quand cela pue vraiment l’usurpation. Au bout d’un moment viennent les bilans fac par fac. On a les chiffres en AG et les chiffres en manif ville par ville. Au grand jeu concours, c’est Rennes qui l’emporte. Ensuite, les “cas spéciaux” doivent parler : les facs fermées, les mouvements poursuivis au nom de la liberté d’étudier. On entend finalement très peu parler des centaines d’arrestations qui ont eu lieu, le suivi juridique et le reste. En tant que mandaté de la Sorbonne, je raconte ce qui nous arrive, nous est arrivé pendant la semaine. Avec cette étrange division entre celles et ceux qui ont décidé de s’installer dans le bastion occupé qu’est la fac de Tolbiac, et les autres qui ont préféré se mêler à l’occupation de l’EHESS avec les sans-statut fixe. Je ne m’attarde pas plus que ça. On me siffle derrière que je n’ai que deux minutes d’intervention. D’autres cas particuliers doivent aussi s’exprimer. Une minute de silence sera faite pour l’étudiant mort d’une crise à Strasbourg ; une minute de bruit ensuite pour montrer notre motivation. Résultats de ce soir : 1 pour la tristesse, 1 pour le bruit. Je crois que c’était le bruit qui recevait à domicile.
Pause. Ça reprend. On va aborder la fameuse question des revendications qui seront mises en avant par la coordination. Il y a déjà la désormais sacrée plateforme de Toulouse. Plusieurs heures sont nécessaires pour savoir si on la modifie, si on l’élargit, ce qu’on en fait en somme. Il y a une forte pression dans la salle pour que cela ne soit pas rediscuté. Avec la menace : rappelez-vous ce qu’il s’est passé à Dijon ! Je ne sais pas de quoi il s’agit ; rien entendu à ce sujet à l’AG de la Sorbonne. En même temps, vu que c’est le bordel, vu les coups de force débiles qui ont lieu, j’arrive à m’imaginer ce qui a eu lieu. Les mandaté-e-s, en tout cas, ont plein de revendications votées dans leurs AG. Le grand tableau se couvre de 70 propositions que l’on range dans des cases : mouvement, emploi/précarité, politique, divers. Facile de comprendre que ça bouillonne dans les Assemblées locales.
Après une nouvelle pause surgit une idée mystérieuse : le cahier de doléances. Un grand sac pour mettre toutes ces revendications nouvelles, dans la grande tradition du cause-toujours. On se demande qui a proposé ça. On nous explique : il s’agit d’être crédible, d’avoir un message clair qui puisse réunir tout le monde, les étudiants et les salariés. Nous devons encore massifier le mouvement. Une fois que nous aurons gagné sur la Loi sur l’Egalité des Chances, nous pourrons faire avancer le reste. En attendant, on ne peut présenter ça aux centrales syndicales.
IL FAUT ÊTRE CRÉDIBLE.
Les nouvelles revendications sont refusées au fur et à mesure, car les mandats ne sont pas aussi précis que ça. Pas assez de mandats pour refuser le contrôle renforcé des chômeurs, le RMA, le statut pourri des intermittents, les projets de loi pour la prévention de la délinquance à la crèche, la dernière loi sur l’immigration. Ne Prend Part au Vote, NPPV, NPPV, NPPV. Sera finalement rajouté à la Plateforme sacrée le refus du Contrat de Travail Unique (qui n’existe pas encore), la demande de la démission du gouvernement, un CDI pour tous.
ON RESTE CRÉDIBLE.
Quatre heures du mat. On passe aux perspectives.
Au début est lue la motion de Jussieu. Tou-te-s les trotskystes de la salle se sont mis d’accord dessus. On y fera quelques aménagements mineurs, intégrant la proposition du blocage des voies de circulation. Le texte est moche, mal écrit, plein de la novlangue de la crédibilité et de la massification. Il ne peut susciter aucun engouement, aucun appel d’air. La pensée de la lutte syndicale résumée dans un torchon sans intérêt.
ON RESTE CRÉDIBLE.
Je n’en peux plus, je m’énerve, décide d’aller me coucher. Il est six heures du matin. Les deux autres mandatées restent, dorment à tour de rôle. À dix heures, après vingt-deux heures d’AG, est proposé un bureau national, refusé in extremis. Les vingt porte-parole sont élu-e-s, et affublé-e-s d’un mandat impératif (illes ne peuvent donc en principe exprimer leurs positions personnelles). Une bonne moitié, semble-t-il, viennent de l’UNEF mino (la tendance minoritaire du syndicat) : la coord a donc à sa tête la partie de l’UNEF qui n’a pas prise sur le porte-parole.
Une conférence de presse sera réalisée à l’issue de la mascarade. La “motion Jussieu” est lue avec le peu d’entrain qu’elle mérite devant des journaleux impatients. Les questions posées portent, comme il fallait s’y attendre, sur la violence. Les porte-parole s’en sortent avec la réponse besancenote : la première violence est celle du gourvenement. Quelle répartie.
ON RESTE CRÉDIBLE.
NOUS DEVONS MASSIFIER LE MOUVEMENT.
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La première chose qui m’a prise, lorsque je suis allé à la coord, a été le sentiment de participer à un vaste délire collectif. Tout ce petit monde badgé qui ronchonne, hurle, lève des cartons, complote dans les couloirs, se marre en plissant des yeux vides quand telle secte gauchiste n’a pas réussi à placer sa motion, sa perspective, son bilan. Ces listes d’inscrit-e-s avec 70 noms de facs, ces tribunard-e-s qui hurlent hystériquement pour appeller au calme ou au respect. Tout ça pour quelques vagues phrases rajoutées à un petit texte et de fumeuses journées d’action où chacun-e selon le désir du coin ira faire des sit-ins sur les places des villes, differ à la sortie des gares ou des usines, fera des manifs de nuit. Vingt-quatre heures d’AG pour presque que dalle, en dehors des divers jeux de pouvoir des organisations. Aucun contenu, aucun discours qui prend aux tripes, une juxtaposition de phrases qui se superposent mais ne se composent pas. Un brouhaha dont le sens doit pouvoir être trouvé dans les divers bureaux politiques.
À quoi aboutit-on finalement ? Un “appel à la grève interprofessionnelle reconductible” (comme la semaine dernière), trois revendications en plus sur la plateforme. Je ne vois pas ce qui a été coordonné. À peine des journées d’action qui de toute façon auraient eu lieu. Pourquoi tout ce temps passé en AG à ce sujet, pour mandater, pour penser des motions, pour proposer des actions si c’est pour aboutir à cela ?
NOUS DEVONS MASSIFIER LE MOUVEMENT.
NOUS DEVONS RESTER CRÉDIBLES.
Il me semble qu’à l’heure actuelle, deux hypothèses sont à l’œuvre, en pratique. Une première est celle qui se montre à la coordination nationale et dans bien des AG. Je la qualifierais de gauchiste-révolutionnaire. Elle s’articule autour du double-motif de la grève générale appellée par les syndicats et l’opinion publique. L’enchaînement des idées est simple. Pour que les syndicats appellent à la grève, il faut démontrer la puissance du mouvement étudiant : faire donc de grosses manifs, multiplier les grèves. Il faut aussi que les syndicats puissent partager nos exigences : avoir donc une plateforme dans laquelle ils puissent facilement se retrouver.
Il faut enfin que la base des syndicats sentent qu’un coup est à jouer : proposer donc à l’opinion publique une image claire du mouvement, le rendre compréhensible au pire des idiots, faire preuve de responsabilité face à la violence ou aux revendications. De là des diffusions massives auprès des salarié-e-s, dans les gares, à la sortie des entreprises, avec un message CRÉDIBLE, pour qu’illes puissent se joindre à nous. De là aussi, conformément à cette volonté, ce qui s’est exprimé à la dernière coord de manière explicite à plusieurs reprises : donner une tête forte à ce mouvement, une “vraie direction”, pour que les syndicats et leurs adhérent-e-s sachent où ça va, pour que les journaleux aient quelqu’un-e de fixe à qui parler.
Cette hypothèse traverse en partie ce mouvement, prend du temps. Beaucoup de diffusions de tracts insipides sont faites en ce sens, bien des discussions sur ce qui est CRÉDIBLE ou non ou ce qui passe dans les media ont lieu dans ce sens. L’hypothèse gauchiste-révolutionnaire de la constitution d’un grand mouvement de masse par le biais de mots d’ordre simple bat son plein. La coordination telle qu’elle se fait aujourd’hui n’en est que le pur produit désastreux.
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La seconde hypothèse, elle, ne se montre pas en coordination, même si elle y laisse ses traces. C’est la suivante : dans la situation présente, la force de notre mouvement est liée à ce qui a lieu dans la rue et les occupations, c’est ce bouillonnement qui fait peur et pourrait bien, par contagion, ouvrir les possibles. Ce bouillonnement est d’abord celui de la parole qui se délie. Nous recommençons à parler de politique, de ce que signifie vivre dans ce monde-ci aujourd’hui. Nous partageons nos révoltes, nos rages, nos refus. Parfois s’élaborent des programmes, plus ou moins farfelus. Cela a même débordé à la coordination, avec ces 70 revendications votées dans les assemblées dont les syndicalistes ne savaient que faire. Pour reprendre le vocabulaire en cours chez eux, la base est largement politisée : nous n’en sommes plus, après plusieurs semaines de contestion, au simple refus du CPE, mais bien, de manière souvent explicite, à un refus du monde qui se déploie aujourd’hui. Les discussions en marge des assemblées, dans les occupations, dans les moments creux du temps de grève laissent émerger des espoirs de changements radicaux. Revient, après une longue absence, l’idée qu’il nous appartient de faire ce monde.
Et, en parallèle, les moyens s’inventent. Des actions symboliques plus ou moins débiles se réalisent, on se débrouille pour trouver de la thune, on récupère sur les marchés, dans les supermarchés pour nourrir l’occupation, on s’équipe pour les affrontements, on apprend à se soigner, à faire attention aux autres, on apprend à s’exprimer publiquement, à construire des trucs. Des solidarités pratiques se nouent, on finit par tenir à la lutte moins pour son prétexte que pour les moments qu’elle laisse vivre, le temps qu’elle voit émerger, les espoirs qui se partagent. Ça bouillonne et ça s’organise. On finit par se dire que l’on peut aussi bien faire des choses sans forcément attendre l’aval épuisant de tou-te-s, que l’on peut aussi parler véritablement en dehors des débats et des AG.
Ce qui se constitue, en ce moment, c’est la puissance du débordement. Les ressorts d’action syndicaux s’épuisent, on perd le goût de la manif plan-plan où même les chansons bien trouvées ne suffisent plus. On perd le goût des slogans mille fois répétés, des tracts mille fois distribués. On perd la curiosité pour les motions, pour les subtilités qui ont amené aux choix de parcours ; les AG apparaissent dans leur vacuité, leur tristesse formaliste. Alors, évidemment, cela dégénère, comme illes disent. La parole se fait plus rêveuse, les actes se font plus déterminés. Les beaux cortèges bien rangés se disloquent, les tracts non-tamponnés se multiplient. Cela démarre vers l’incontrôlable.
Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Au cœur du conflit entre deux hypothèses qui ont pu cohabiter un moment ensemble, mais qui, à présent, vont s’affronter. La coordination nationale, encore à Aix, s’est voulue fière coordination du mouvement étudiant. Elle n’en représente pourtant que sa face syndicale, bien lisse, bien propre, bien claire, bien CRÉDIBLE. Rien de plus que cela. Elle ne vient que couronner la domination, dans les AG, du principe de l’unification des mots d’ordre et des actions, de la tribune qui note les listes d’inscrit-e-s, de la volonté d’obtenir en se montrant à leur hauteur la grève générale par le biais des syndicats. Le mouvement réel de son côté, est irréaliste, irresponsable, divers, il pense et il déborde. Sa rage est trop forte pour se contenir dans les pauvres slogans tout mous et les manifs en rang. Il ne passe pas bien dans les media, il aime faire la popotte, préparer des actions, se dire qu’il ne fait que commencer et qu’il a le temps. Le mouvement réel s’organise.
Rien ne peut encore vraiment être prévu. Ça s’affronte déjà dans les rues, ça prend une tournure radicalement politique dans certaines AG. On ne sait dans quelle mesure les syndicats et les gauchistes parviendront encore à pourrsuivre leur œuvre d’encamaradement, leur œuvre de censure du caractère politique du mouvement dont ils ont constitué l’étincelle. Émettons une hypothèse : si grève générale ou blocage général il y a, cela arrivera surtout parce que, dans les rues et les occupations, la jeunesse, qu’elle vienne des cités ou du centre des mégalopoles, se sera mise à s’organiser par elle-même, à penser et parler haut et fort à l’écart des mégaphones et des camions sonos.
Le désastre est trop présent pour que ce monde ne commence à se fissurer. Le besoin de révolte est trop grand, trop partagé pour que le mouvement réel n’émerge pas.
Je pense que la Sorbonne devrait cesser de participer à la coordination car sa préparation prend trop de temps, parce que ses résultats sont et seront minimes, parce qu’elle ne sait pas et ne saura jamais refléter la multiplicité de ce qui a lieu en bas, parce que c’est avaliser comme une évidence les logiques de pouvoir délirantes d’organisations syndicales et gauchistes. On m’a dit, sûrement avec raison, que si l’on cessait de faire tout cela en AG, beaucoup de gens s’en iraient. Il est vrai que certain-e-s s’amusent dans ce jeu d’organisations. Mais les autres ?
Quant à moi, et je sais que je ne suis pas seul, je préfère la seconde hypothèse. Car je crois en notre capacité à nous organiser pour les affrontements à venir et en notre capacité à laisser surgir à l’intérieur de ce mouvement des réflexions politiques radicales et des pratiques d’organisation autonomes.
En tout cas, je n’irai plus jamais en TGV pour voir cette pièce de théâtre sordide. L’exil est déjà assez difficile. Pas besoin d’aller voir ces gardiens de troupeau à keffieh s’écharper sur la part de désert qu’ils contrôlent. J’ai définitivement mieux à faire.
Kamo, le 27 mars 2006
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