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Des bouts du mouvement lycéen 2005 - Paris Et aussi un peu Grenoble

mis en ligne le 26 août 2005 - Collectif


RECITS et réflexions


PARIS, AVRIL 2005


Récit de deux journées de lutte lycéenne

Jeudi 7 avril, rendez-vous était fixé à 10h à Barbès pour une action plus ou moins surprise... A 11h, environ 300 personnes s’engouffrent dans le métro, jusque dans le 20ème arrondissement, direction le rectorat de Paris.
Sorti-e-s du métro, nous courons en direction du rectorat et ne réussissons pas à y entrer. Les vigiles viennent d’en fermer les portes. Nous contournons le rectorat, cherchant d’autres entrées, en vain. La rue est bloquée. La tension monte, les portes du rectorat commencent à trembler et cèdent peu à peu. Tout le monde se rue alors dans le rectorat, qui avait déjà été occupé une semaine auparavant par trois fois moins de lycéen-ne-s... Cette occupation s’était doucement terminée, les lycéen-ne-s sortant calmement sous la "protection" des employé-e-s du rectorat. Mais depuis ? Rien. Forcément, ce jour-ci, la plupart d’entre nous étaient plutôt remonté-e-s voire enragé-e-s...
Les entrées du rectorat et les issues de secours sont barricadées avec le mobilier du rectorat (chaises, tables, etc.) plus les quelques barrières de chantier prises dans la rue. Ça discute dans tous les sens, l’ambiance est agitée mais sans agressivité. La petite cafetaria est autogérée spontanément, café et thé sont servis gratuitement par les occupant-e-s du rectorat. Plus loin, des vigiles nous empêchent de barricader une porte, ce qui donne lieu à quelques remous... Une vitre de cette porte est brisée lors des échauffourées, mais cela n’ira pas plus loin en termes de "violence".

Les flics mettent pas mal de temps à se ramener, et encore plus à pénétrer dans les lieux. Ils sont très nombreux. Quoi qu’il arrive alors, l’action a au moins fait son effet, puisqu’il n’y a rien à négocier. La réforme Fillon a déjà été votée et son retrait pur et simple reste la revendication principale d’un mouvement absolument pas reconnu par Fillon lui-même. L’antagonisme est complet.

Si l’arrivée des flics en masse crée un effet-panique au sein des lycéen-ne-s ("on a barricadé le rectorat, alors ils vont tous nous péter la gueule", "ils vont nous gazer, c’est sûr !"... alors qu’on est plus de 300 dans un lieu clos dans lequel des dizaines personnes travaillent). Après de longues discussions et malgré quelques tentatives de sortie pacificatrice de la part de syndicalistes mous, il est décidé de rester tou-te-s ensemble, assis-es en chaîne, pour que les flics assument leur sale boulot jusqu’au bout.

Des dizaines de flics nous encerclent, les minutes passent, et d’autres flics arrivent, bien énervés, et mettent plus d’une heure à nous déloger du rectorat, usant de violences physiques, de menaces et d’insultes pour arriver à leurs fins. Quelques lycéen-ne-s blessé-e-s seront évacué-e-s par les pompiers, quelques autres interpellé-e-s et détenu-e-s au commissariat du XXème (place Gambetta).

La rage est contenue devant le rectorat. Le bruit court qu’un lycéen s’est fait casser le poignet par les flics (qu’en est-il finalement ?). Toujours est-il que tout le monde s’est plus ou moins fait violenter par les flics. La haine des flics se généralise, qu’ils ne s’étonnent pas si de jeunes lycéen-ne-s ont déjà compris que le rôle des flics est d’imposer par la force l’autorité indiscutable de l’Etat.

Après un passage devant le commissariat du XXème où nous demandons la libération de "nos camarades", nous rejoignons la manif (en milieu d’après-midi) qui avait pour objectif d’atteindre le Ministère de l’Education... Nous retrouvons près d’un millier de personnes devant le Ministère des Affaires Etrangères, non loin de celui des Transports, enfin on est dans le VIIème arrondissement, au milieu de tout un tas de Ministères, tandis que des tas de rangées de flics bloquent les rues d’accès au Ministère de l’Education... Dans une des rues qui y mènent, un début d’affrontement entre lycéen-ne-s et flics a lieu. Quelques projectiles sont lancés vers les flics, les premières rangées poussent sur les boucliers, en vain. La manif fait demi-tour et se dirige vers le boulevard St-Germain.
La Sorbonne semble bien gardée, mais en la contournant rapidement nous finissons par atteindre ses portes d’entrée principales, qui sont solidement fermées. Une d’entre elles sera forcée et bien abîmée, mais ne cèdera pas.
Les flics remontent doucement la rue de la Sorbonne. Quelques projectiles partent en leur direction. Le chef des flics, le seul à être non casqué, reçoit un oeuf en plein visage, tandis que le reste de la flicaille reçoit aussi des oeufs et des yaourts (des éclaboussures touchant malheureusement aussi les premiers rangs des manifestant-e-s). L’ambiance est assez tendue.
Des appels à la solidarité étudiant-e-s/lycéen-ne-s sont lancés, sans être entendus... Seuls les flics rappliquent en nombre, et finissent, en début de soirée, par cerner complètement la Sorbonne (postés en travers du bas de la rue de la Sorbonne et du bas de la rue Victor Cousin, et bloquant toute la place de la Sorbonne dans l’indifférence des consommateurs des cafés de la place).
Gendarmes mobiles et CRS sont mobilisés sur cette affaire, et filtrent peu à peu les manifestant-e-s, dans le but de les disperser. Ce qui fonctionne, aucune arrestation n’ayant lieu.

Le gouvernement avait prévenu que de forts moyens policiers seraient employés. Cela se vérifiera également le lendemain, jour de manif à Paris...

Ce vendredi 8 avril, autre action-surprise...
Rendez-vous était fixé à 10h au métro Miromesnil, pour occuper le siège de l’UMP (rue de la Boétie dans le VIIIème arrondissement).
Toujours premier-e-s sur la course, nous nous ruons vers ce lieu sordide, plutôt étonné-e-s du fait que le lieu soit relativement accessible et qu’il ne soit pas protégé par un tas de flics. Cette surprise aura laissé le temps aux vigiles de fermer les portes en toute hâte... Des portes plus solides que celles du rectorat, qui ne seront pas forcées. Des slogans sont criés en direction de l’UMP, parti actuellement au gouvernement, qui est bien sûr également celui du Ministre de l’Education François Fillon.
La soixantaine de lycéen-ne-s présent-e-s passent de "A ceux qui veulent fliquer les lycéens, les lycéens répondent : Résistance !" à "A ceux qui veulent fliquer les lycéens, les lycéens répondent : Action directe !". "Chirac, Fillon et Sarkozy : Tous des menteurs, tous des pourris !" était entonné joyeusement. Des poubelles sont placées contre le siège de l’UMP et en travers de la rue, qui est vite bloquée, à l’aide de nombreuses barrières de chantier trouvées sur place. L’ambiance est chaude, nous ne sommes pas très nombreux-euses mais bien remonté-e-s !
Après environ une demi-heure (filmé-e-s par un cravateux depuis une fenêtre du siège de l’UMP), ce regroupement part en manif sauvage à travers ce très bourgeois VIIIème arrondissement, bloquant les rues par notre simple présence, y ajoutant parfois des poubelles et des barrières de chantier (étonnamment nombreuses dans le quartier) en travers des rues, pas loin du Palais de l’Elysée et du Ministère de l’Intérieur...
Plus loin, après avoir traversé l’avenue des Champs-Elysées, les flics ont fini par nous bloquer la rue, créant un effet-panique assez réussi, dispersant un peu tout le monde, mais ne réussissant à interpeller personne.
Nous nous sommes tou-te-s retrouvé-e-s devant le pont Alexandre III, bloquant une nouvelle fois la route, très consciencieusement, à l’aide des barrières de chantier qui se trouvaient le long du pont. Les flics arrivant en vitesse, nous courons pour traverser le pont - du côté de l’Assemblée Nationale, une dizaine de cars de CRS nous attend. On se disperse par petits groupes, en se donnant rendez-vous à 14h, République, pour la manif de l’après-midi...

Cette manif fut un véritable calvaire. A peine quelques milliers de manifestant-e-s, et surtout, des tonnes de flics en civil, de tous les côtés de la manif. Un fort sentiment d’oppression se dégageant de pas mal de lycéen-ne-s, se renforçant face au constat de toutes ces rues barrées par des flics armés jusqu’aux dents, puis s’apercevant peu à peu que nous étions suivi-e-s par des dizaines de fourgons et de cars de flics ! Le cortège policier était bien plus long que celui des lycéen-ne-s !
Au final, une manif très longue, relativement énergique au départ, puis lassée, notamment par un camion-sono pacificateur complètement inutile du fait de l’insoutenable présence policière... S’effilochant peu à peu à partir de la place de la Bastille, les flics devenaient de plus en plus nombreux du côté de Jussieu, tandis que la manif touchait difficilement à sa fin, se dispersant définitivement du côté de Port-Royal, avec une rumeur disant que 500 personnes étaient encerclées par les flics devant le lycée Montaigne... Courant vers le lycée Montaigne, les flics coupant la route aux moins rapides d’entre nous, nous arrivons devant le lycée Montaigne, fermé, personne devant à part trois flics devant son entrée close...

Le mouvement lycéen s’est radicalisé.
Le gouvernement a peur et met tous ses flics dans la rue.
La réforme Fillon est passée et ne sautera peut-être pas... En tout cas, il s’est passé bien des choses entre nous, des liens se sont créés, des pratiques d’action directe se sont développées, nos vies n’appartiennent ni aux flics ni aux profs ni à l’Etat. Peu à peu nous vivons les bases d’un autre monde, à travers l’autonomie de nos luttes.
Rendez-vous lundi...

Quand Fillon nous dit "Je ne laisserai pas une infime minorité bloquer le fonctionnement des établissements à quelques semaines du baccalauréat", nous lui répondons que nous ne laisserons pas une infime minorité (quelques ministres, bien moins nombreux que nous) bloquer nos vies. Nous n’avons qu’une vie et nous voulons en avoir la maîtrise.

Le bon filon
le 10/04/2005 à 23h39
Sur Indymedia-Paris


Récit de la journée du 11 avril 2005...
Poursuite de mouvement lycéen : la police s’essouffle

A 8 heures ce matin, le lycée Montaigne, dans le VIème arrondissement à Paris, a été investi par environ 300 lycéens, provenant de Montaigne et d’autres lycées, et quelques étudiants. Toutes les issues, et les escaliers, ont été barricadés grâce à des armoires, des tables et des chaises. Des échauffourées violentes ont suivi l’entrée de nombreux policiers et de gendarmes dans l’établissement ; tables volant sur les agents ; matraquage et gazage de lycéens. Suite à cela, une centaine d’occupants est parvenue à rejoindre les toits du lycée, où ils sont restés jusqu’à environ 17 heures, laissant les forces de l’ordre dans l’incapacité d’intervenir. Devant le lycée, un regroupement d’environ 300 élèves s’est rapidement constitué en soutien, subissant plusieurs charges de CRS et leur faisant subir des projections d’œufs, de pétards, de bouteilles et de légumes. Quelques lycéens blessés, ainsi qu’un journaliste de TF1. A la sortie des occupants, une manifestation sauvage a suivi, bloquant le boulevard St Michel.

Vers 18 heures, les manifestants sont parvenus à s’introduire dans la Sorbonne par une sortie de garage, malgré la violence du personnel administratif présent. Ayant rassemblé un très important déploiement policier sur les lieux, les occupants et les manifestants massés aux portes de l’université se sont retrouvés et ont poursuivi le blocage de la circulation depuis le boulevard St Michel jusqu’à Strasbourg St Denis, renversant les poubelles sur leur passage. Les barrières du palais de justice, de l’Hôtel de ville, et de la bibliothèque de Beaubourg ont servi de barricades, tandis que la police et les CRS tentaient de suivre le mouvement. La dispersion a été violente, entre insultes, coups de trique, gazage. 3 personnes ont été interpellées, et rapidement relâchées.

anonyme
le 11/04/2005 à 21h18
Sur Indymedia-Paris


Récit de la manif lycéenne du 13 avril à Paris

Ce mercredi 13 avril, entre un et deux milliers de manifestant-e-s se sont rassemblé-e-s vers 14h30 place Denfert-Rochereau. Le cortège grossira pendant la manif, draînant jusqu’à 3 000 manifestant-e-s minimum à mon avis (à moins que ce ne soit l’énergie de ceux-ci/celles-ci qui soit trompeuse...). Ce qui devait être une manif "nationale" n’aura été finalement que parisienne (voire francilienne)... Des trains en provenance de Toulouse ou Marseille auraient été annulés, expliquant l’absence de lycéen-ne-s d’autres régions lors de cette manif.

De Denfert jusqu’à la place de la Bastille, l’état d’esprit aura été très similaire à ce que le mouvement lycéen nous fait vivre en région parisienne : de l’énergie, de la rage, de la persévérance.

Peu après le départ de Denfert, la manif a failli être déviée de son parcours "officiel"... A plusieurs reprises avant de traverser la Seine, la manif donnera libre cours à ses envies, donnant bien des soucis à ces malheureux policiers "qui ne font que leur travail" (ne l’oublions pas). Ces flics toujours aussi présents, très massivement en uniformes (CRS et gardes mobiles se partageant certaines rues - chacun un côté) et tout aussi visiblement sur les côtés, en civil, sale gueule de l’emploi en prime, ont cette fois-ci encore été pas mal débordés.

Quelques courses-poursuites et déviations de manif auront suffi à déclencher l’arsenal répressif de l’Etat (matraquages, gaz lacrymogènes, quelques arrestations, ...).

A l’arrivée "officielle" de la manif, place de la Bastille, quelques affrontements ont eu lieu entre manifestant-e-s et CRS... Divers projectiles s’écrasant sur les CRS (notamment une chaise - il est vrai que les CRS étant quasiment toujours debout, une chaise pouvait leur être de la plus grande utilité), tandis que ceux-ci balançaient de la lacrymo à tout va.
Du sérum physiologique tournait pour les yeux sensibles, tandis que le mot tournait : Quand vous balancez des projectiles sur les flics, assurez-vous de bien viser, et surtout, de viser suffisamment loin (il y a eu au moins un blessé léger à la tête dans les premiers rangs parce qu’il s’est pris une cannette venant de derrière).

L’occupation de la place de la Bastille a duré plusieurs heures, la dispersion se faisant progressivement, dans un climat de tension assez fort.

Un rassemblement spontané de quelques dizaines de personnes a eu lieu le soir même devant le commissariat du 5ème arrondissement, où un étudiant était détenu suite à son interpellation pendant la manifestation... Celui-ci est encore en garde-à-vue à l’heure actuelle.

La colère continue de gronder.
Fillon prend nos vies pour un bordel, qu’il ne s’étonne pas que nous foutions le bordel dans la paix sociale que le gouvernement rêve d’instaurer...

Gérard Janvion
le 14/04/2005 à 13h19
Sur Indymedia-Paris


Manif à Paris : la rage !
[14 avril 2005]

A l’arrivée de la manif parisienne, à Nation. Des centaines de lycéens sont restés pour en découdre avec la police. Tous (autonomes, jeunes de la coord, banlieusards, ...) unis contre la police. Rien à voir avec le 8 mars.

L’atmosphère était tendue. L’envie d’en découdre, et en même temps le sentiment d’impuissance. Aucune organisation pour faire face à la police ultra-organisée (les connards de la FSU ont pris soin de se mettre à distance des manifestants qui sont restés). Impossible d’enfoncer les flics et continuer, cernés...

La colère des lycéens s’est alors tournée vers les flics en civil qui se sont aventurés près des manifestants : poursuivis, tabassés pour certains, ils se sont réfugiés derrière les CRS.

Ensuite, les lycéens ont commencé à déterrer des pierres, de plus en plus grosses, pour les balancer sur les CRS.

A un moment, les plus enragés ont été à 2 doigts d’enfoncer les CRS et de se frayer un passage. Ils ont foncé vers les CRS avec des barrières métalliques, mais ils ont pas osé aller à l’affrontement. A ce moment là, on était trop peu nombreux (100-200). Dommage, ce sera pour une autre fois.

Malheureusement, les flics ont pu se venger à la fin. Les mecs les plus en vue ont fait l’erreur de rester parmi les derniers sur la place. Les CRS ont alors chargé certains individus pour les coffrer. Y compris dans le métro, où les flics en civil nous ont balancé du gaz pour ne pas qu’on rentre assister au lynchage.

On a pu voir les RG et autres poulets en civil rire et applaudir des 2 mains quand ils apprenaient des arrestations dans leurs oreillettes. Ils en ont bavé aujourd’hui alors ils savouraient encore plus les arrestations.

Le mouvement lycéen n’est pas mort. Ceux qui sont restés à Nation ont la rage, ils vont se battre encore plus fort.

Alors que le pouvoir n’a jamais été aussi violent contre les lycéens (sanctions disciplinaires, descentes de flics dans les lycées, gardes à vue prolongés contre des leaders de la coord), les dirigeants de la FIDL et de l’UNL bouffent avec Fillon, et Blanchard (dirigeante UNL) a osé déclaré aujourd’hui : "Un effort a été fait par le ministre, il y a un moment où il faut calmer la situation" (la FIDL, c’est encore pire).

anonyme
le 15/04/2005 à 00h54
Sur Indymedia-Paris


Face aux interpellations et gardes à vue massives
[20 avril 2005]

Suite à l’occupation d’une annexe du ministère de l’Education Nationale à partir de ce midi, mercredi 20 avril, dans le 15ème arrondissement de Paris, plus d’une centaine de lycéens sont en garde à vue cette nuit ! !

Il y a eu deux vagues d’arrestations :
 vers 16h15, une quarantaine d’interpellés qui occupaient le hall et les étages
 vers 18h30, plus de 120 personnes occupant le toit sont descendus et se sont fait arrêtées (avec un soi-disant engagement de ne pas leur faire "passer la nuit au poste")

Les lycéens et autres gens ont apparemment été répartis, pour la première vague, dans les commissariats du 17ème et 18ème (Goutte d’or + rue de Clignancourt), et pour la deuxième, dans ceux du 13ème, du 9ème (25 lycéens ?), et 5ème.
Certains parlent du 14ème.

D’après plusieurs sources d’informations, les gardés à vues sont accusés de dégradations.

Attention : les photos et films peuvent servir de preuves contre tous ! Ne pas diffuser, et de préférence ne pas garder les films ou photos prouvant ces dégradations.

Connaître des gens pouvant témoigner "j’ai vu untel pendant toute la durée des évènements et il n’a rien dégradé" peut être utile en cas de comparution immédiate, ou de procès ultérieur. En même temps, si tout le monde est enfermé, ça va être dur...

TOUS DEVANT LES COMMISSARIATS DEMAIN MATIN
NI HEROS NI MARTYRS NI INNOCENTS NI COUPABLES

La justice est partout
le 21/04/2005 à 00h36
Sur Indymedia-Paris


Actions lycéennes et problèmes d’images...

Lors de la dernière occupation lycéenne à l’annexe de l’Education Nationale, de très nombreuses photos ont été prises, et des scènes particulièrement intenses filmées, y compris de l’intérieur...

Salut à tous,
Au cours de l’occupation particulièrement intéressante dans l’annexe de l’Education Nationale par les lycéens, permise en autre par une superbe feinte organisée par le collectif à l’initiative de cette action (il y aura certainement d’autres éclaircissements par la suite sur le site), ont été photographiés et filmés DE L’INTERIEUR (par des individus se mêlant aux participants) :
 des constructions de barricades (sévèrement punies, je le précise, dans le code pénal très clair à ce sujet) ;
 des jets de tables/extincteurs/chaises/armoires/planches/barres de fer ;
 des mouvements frénétiques de déplacement ; Il est à noter que bon nombre de participants n’étaient pas systématiquement masqués, et présentaient pour la majorité des traits aisément identifiables par les services de police.

Je voudrais soulever le problème que posent ces pratiques en temps d’action :

D’une part, à l’exception d’un journaliste clairement identifié, les photographes et adeptes de la caméra qui circulaient au coeur de l’action ne se sont pas explicitement présentés (certains semblaient lycéens et d’autres nettement moins) et tous ne demandaient que très rarement, voire jamais, aux personnes qu’ils ciblaient si ils avaient leur accord. La plupart des gens étaient trop occupés à monter des barricades et à surveiller l’arrivée des CRS pour vérifier qu’ils n’étaient pas dans le champ de visée des appareils.

Ensuite, à l’exception du journaliste précédemment cité et qui semblait assez expérimenté, aucun des photographieurs/filmeurs n’a manifesté une quelconque option de destruction ou de dissimulation des cartes de stockage des images lors de l’intervention des flics, et ont parfois même demandé à ces derniers, une fois embarqués et en toute naïveté, s’ils pouvaient récupérer leurs pellicules !!! Comment peut on évaluer les risques de telles situations ?? Le manque d’expérience de la répression chez les lycéens est assez palpable, et ce genre d’inconsciences par rapports aux conséquences que peut entraîner une récupération par les flics d’images de ces derniers dans leur posture la plus radicale (pour le moment), était tout à fait observable dans cette action. Je cite une réponse faite à un refus de se faire filmer : "Non mais t’inquiète, je vais pas la mettre telle quelle sur le net, je vais la "flouter""... l’idée de la récupération de l’image ne sort à aucun moment de l’obsession paranoïaque rampante. Casser la gueule de l’interlocuteur ou son appareil peut paraître, à l’opposé, très difficilement compréhensible par les lycéens dans ce genre d’action, qui présentent souvent une aspiration assez marquée à la notoriété médiatique.

J’incite donc les gens, tout particulièrement lycéens et présents sur les dernières actions, qui lisent ces lignes à adopter les deux options suivantes, qui à mon avis présentent le moins de risques possibles :

 Soit empêcher toutes photographies et films (je privilégierai celle-ci) de manière collective et explicitée à ceux, nombreux sans doutes, qui ne verraient pas le risque que présente cette collecte d’images.
 Soit être dissimulé en permanance, ce qui implique de porter la cagoule et autres accessoires pénibles et associés traditionnellement aux "casseurs méchants" (donc à une perte d’inhibition chez les flics qui tapent sans hésiter), et ce, surtout, n’empêche pas des identifications par la police (voir la suite).

Du côté de la matraque, on s’en est donné à coeur joie aussi.

Des photographes mitraillaient la façade et les terrasses en quête de visages de ces lycéens "essoufflés", ce qui jusque là parait relativement classique, mais le nombre était tout de même assez impressionnant, surtout lorsqu’il s’agit de photographes de la police, et pas systématiquement de journaux ou réseaux d’information. Première "véritable" mauvaise surprise : pendant que le premier groupe d’occupants se faisaient traîner au dehors, un photographe prenait un par un les interpellés (visage+vêtements) avant qu’ils ne soient foutus dans les fourgonnettes. Difficile encore une fois de protester quand le CRS furieux de s’être fait bombarder d’ustensiles de bureau t’amène devant le civil et son numérique dernier cri tout sourire, te broie le bras, ou, en cas de refus manifesté par des tentatives de se cacher, use de sa prothèse phallique en plastoc pour t’arranger les cotes. Pour ma part, j’ignore si cette mesure possède une dimension légale, ou s’il est possible de refuser la photographie à ce stade, mais je note là une avancée inquiétante dans le dispositif d’identification hors procès verbal.

D’autre part : la plupart des lycéens ont été informés du déroulement du procès verbal, et surtout de la possibilité, ou plutôt la nécessité, de répondre par un solide "je n’ai rien à déclarer" à tout ce qui sortait des considérations d’état civil (nom, prénom, date de naissance, lieu de naissance, lieu d’habitation, permis de conduire, noms et prénoms des parents pour les mineurs). De même, avait été signalée la possiblité du refus de signer l’ensemble de la documentation proposée à l’exception du registre de récupération des biens saisis pendant la garde à vue (et non pas le compte-rendu du procès verbal, qui contrairement aux dires de nombreux flics n’a pas à être signé pour pouvoir sortir). Jusque là, tout va bien, ou pas trop mal.

Le gros problème est que, pour la majeure partie des interpellés de cette action, le "rien à déclarer" a été décrit comme n’étant plus possible par des flics du commissariat du XVIème où ils avaient été conduits, soi-disant en vertu de la nouvelle loi Perben, ce qui est FAUX. Il est toujours possible de répondre "Rien à déclarer" à tout ce qui sort des questions d’état-civil. Et dans la même veine, pour revenir à l’histoire d’image policière, les mineurs ont été filmés à la chaîne pendant leur déposition. Là encore, il serait très important de savoir dans quelle mesure ces procédés peuvent être évités, ou quelle dimension légale les compose.

Voila pour cette petite analyse à chaud des problèmes rencontrés pendant l’action d’occupation de l’annexe de l’Education Nationale ce mercredi 20 avril à Sèvres Lecourbe, qui a conduit à ce que j’ai pu comprendre à plus de 160 interpellations, dont au moins, sur mes sources actuelles (récupérées minutieusement pendant cette très longue nuit au relent de conglomérat de pâtes réchauffées et de blagues de flics pourraves), trois jeunes, certains mineurs, vont voir la durée de leur garde à vue passée à 48 heures, et dont quatre se sont fait molester violemment au commissariat de la Goutte d’Or (informations plus précises à venir) dans la soirée du mercredi.

Merci.

Krachoume de Paris V
le 21/04/2005 à 18h54
Sur Indymedia-Paris


GRENOBLE, MARS 2005


Compte-rendu de la manif lycéenne du 8 mars

Les lycéen-ne-s étaient plus nombreux-euses que jamais ce 8 mars, journée de mobilisation nationale contre la réforme Fillon. C’est a priori enthousiasmant, quand on sait qu’à travers la France plus de 130 000 lycéen-ne-s étaient dans la rue (dixit France-Info)... Pourtant, entre les habituelles stupidités médiatiques au sujet de celles et ceux qui ne restent pas tranquilles et cassent (à Paris, des « casseurs » ont rendu la manif beaucoup plus offensive que ce qu’aurait voulu la FIDL et autres récupérateurs de mouvement social) et la mollesse obéissante de la manif grenobloise, il y a de quoi avoir un regard critique sur la situation.

D’après les « organisateurs » de la manif (c’est qui ceux-là ? quelle légitimité ont-ils à s’approprier le mouvement ? qui constitue la fameuse délégation représentative du mouvement ?), il y avait 8 000 personnes dans la rue à Grenoble... Et après ? Il s’est passé quoi dans cette manif ?

Beaucoup d’entre les manifestant-e-s avaient de la rage en eux-elles, mais quelles sont les perspectives de ces manifs au juste ? Le refus d’une réforme et... ? La découverte de leaders lycéens futurs politiciens ?
J’ai l’impression que si c’est l’ensemble du système éducatif qui ne nous convient pas, si c’est l’avenir tout tracé « travaille, consomme et meurs » qui nous fait peur, alors on ne peut se contenter de défilés encadrés par des lycéen-ne-s à brassard de Service d’Ordre accompagné-e-s de membres locaux de la LCR (pas vraiment lycéens ceux-là, mais toujours prêts pour la récupération politique et la canalisation de la révolte).

Désemparé-e-s nous sommes quand un lycéen se fait arrêter par la BAC en plein milieu de la manif sans que personne ne bronche...
Dégoûté-e-s nous sommes quand le Service d’Ordre se bat pour nous empêcher d’encourager les lycéen-ne-s resté-e-s en cours (à Champollion)...
Abattu-e-s nous sommes quand nous entendons les leaders lycéens gueuler « dispersion générale », genre allez tout le monde à la maison dans le calme, surtout pas de débordements, et que tout le monde quitte sagement la place de la préfecture en laissant une « délégation » gérer la suite des événements pour l’ensemble des lycéen-ne-s...

Organisons-nous de manière autonome !
Ne déléguons ni notre pouvoir ni notre rage !
Formons des groupes affinitaires solidaires les uns des autres !

Lisons notamment « Appel pour l’action directe » qui peut servir au moins pour se protéger des assauts policiers.

Camomille
le 08/03/2005 à 18h29
Sur Indymedia-Grenoble


Compte-rendu de la triste manif lycéenne du 15 mars

En arrivant place Félix Poulat peu après 14h, j’ai cru être en retard... Peut-être la manif était-elle déjà partie ?
En fait, non, quelques lycéen-ne-s étaient là, mais vraiment peu.
Quand la manif a finalement quitté la place, il y avait peut-être un millier de mainfestant-e-s, un peu plus ou un peu moins, je ne sais pas. Disons cinq à dix fois moins qu’il y a une semaine.

Pourtant, Fillon "François Fillon signe et persiste malgré les manifestations" explique une dépêche de l’agence Reuters... "Rien ne me fera renoncer à définir des priorités éducatives. Rien ne me fera renoncer à engager l’Etat à transmettre à tous les enfants de la République ce socle de connaissances et de compétences communs qui est indispensable à leur réussite. Enfin, rien ne me fera renoncer à optimiser l’organisation de l’Education nationale", a déclaré le ministre de l’Education nationale lors des questions d’actualités à l’Assemblée nationale.

Bref, il n’y avait aucune raison de ne pas retrouver les lycéen-ne-s revendicatifs-ives de la semaine dernière.

Est-ce à cause d’incidents et de violences qui auraient eu lieu la semaine passée ?
Sûrement pas, la manif qui avait regroupé de 5 000 à 8 000 personnes s’était déroulée dans le calme le plus complet (une passivité inquiétante, même... voir mon compte-rendu de la manif du 8 mars sur ce même site). L’argument facile des "casseurs" qui font fuir les gentil-le-s manifestant-e-s ne tient pas. On peut presque se demander si ce n’est pas cette passivité et ce service d’ordre déprimant qui ont résigné les manifestant-e-s de la semaine dernière...

En tout cas, cette petite manifestation m’a vite lassé, je dois bien l’avouer... Le nombre n’est pas gênant, il y aurait eu mille manifestant-e-s dans un état d’esprit offensif et créatif, pourquoi pas, mais là, c’était encore service d’ordre et canalisation de toute intiative qui sorte de la norme. Quant aux slogans braillés par la sono en tête de manif, c’était déprimant de soumission : "Dans les rues de Grenoble, les lycéens chantaient, éducation on t’aime, et on veut te garder".

Moi qui pensais qu’on descendait dans la rue parce qu’on n’en pouvait plus de cette éducation qui nous mène tout droit à l’intégration vers le "métro-boulot-dodo", la rentabilité et la concurrence, bref, ce dont a besoin le système capitaliste : des pions malléables à merci.

A côté de ça, il y a bien sûr les habituels slogans homophobes à la "Fillon, on t’encule", que l’on remplace par "Fillon, enculé" quand on fait la remarque que ce genre de slogans pue le fascisme à plein nez (comme si cela changeait quelque chose...).

En bruit de fond, du "Motivé-e-s, motivé-e-s" qui nous abrutit, tandis que la motivation ne semble pas vraiment présente...

Les prochaines fois, la rue, on la prendra vraiment, hein ? On sera dans l’offensive et virera les brassards blancs du service d’ordre pour mettre enfin de l’agitation dans ce mouvement qui s’épuise forcément (un mouvement statique, ça ne peut pas durer).

Formons des petits groupes autonomes, n’attendons pas d’être mille, ni même cent ou vingt, pour agir !

Camomille
le 15/03/05 à 17h44
Sur Indymedia-Grenoble



Pourquoi manifester avec les lycéen-ne-s et retour sur la manif du 8 mars


Pourquoi j’irai manifester avec les lycéen-ne-s

Ce texte s’adresse à la fois aux lycéen-ne-s et aux étudiant-e-s. Il souhaite prendre acte du mouvement en cours et repérer comment il pourrait s’étendre au moins à l’ensemble de la jeunesse, sans tomber dans l’accumulation de revendications stériles et abstraites. Il revient aussi sur les "casseurs". En espérant une confrontation joyeuse.

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La force lycéenne naissante, je l’ai croisé il y a environ un mois et demi, lorsque, près de la rue de Solférino, plusieurs centaines de lycéen-ne-s du lycée Michelet (de Vanves, près de Paris), chantaient gaiement, éparpillé-e-s dans toutes les rues du quartier : autour d’elleux, des dizaines de flics anti-émeutes tentaient péniblement de les rassembler dans un cortège conformes aux normes traditionnelles. Rien n’y faisait, leur désorganisation épuisait la flicaille, sans compter la grande minorité de "provocateurs" sympathique qui les insultaient et les prenaient pour des cons. Déjà, on pouvait apercevoir ce qui fait les ambiguïtés du mouvement actuel. D’un côté, il y avait les figures traditionnelles gauchistes, mégaphones de la CGT à la main, qui voulaient être reçu-e-s par le Ministère afin d’empêcher la fermeture d’une filière STT dans le lycée. A l’autre bout du spectre, celleux qui étaient là pour exprimer leur rage, qui couraient dans tous les sens et criaient qu’il fallait que le Ministère aille se faire foutre. Et, entre les deux, de ces lycéen-ne-s dont j’ai été, qui se plaignaient de leur désorganisation qui ne fait pas assez "sérieuse" (pour les médias) et de celleux qui foutent le bordel.

Comme un rappel de ces tristes manifestations de 1998, où je criais comme un con : "On est pas avec les casseurs, on veut juste des professeurs !". Et pourquoi pas des mars et des machines à café...

Nous voulions montrer notre solidarité de lycée de banlieue assez aisée avec ces lycées dans lesquels des filières devaient être remises en causes, des profs n’étaient pas remplacées. C’était l’époque d’Allègre et du mammouth à dégraisser, j’étais en seconde, et je me rend compte que je n’ai presque aucun souvenir de ce que les gens voulaient. Peut-être, comme moi, ne pas aller légitimement en cours, me bouger avec mon crew pour sortir de nos quotidiens répétitifs jusqu’à l’obsession, exprimer de manière abstraite mon opposition à ce monde dans lequel on m’insérait progressivement. Car la manif en cortège, c’est totalement abstrait : il s’agit de faire-masse contre, il s’agit de démontrer l’existence d’une opposition chiffrable.

Les casseureuses, qui traversaient notre parade ceinturée par des S.O sans résistance, étaient plutôt uni-e-s et organisé-e-s, contrairement à nous, tous au fond solitaires dans cette masse hurlante et unie négativement autour de notre profond respect de la légalité qui, comme nous le croyions, nous assurait une légitimité (vis-à-vis des médias et du Méchant-Gouvernement-qui-est-de-gauche-quand-même). Nous étions ce que les médias voulaient que nous soyions : des jeunes assez "matures" pour s’en prendre calmement à une Réforme qui remettait en cause notre droit à avoir une bonne éducation qui nous permettrait d’avoir un bon métier. Assez "mature" pour avoir l’attitude "réaliste" de quémander gentiment au Gouvernement d’enlever sa Réforme qui allait transformer notre bon enseignement d’alors en une machine-à-nous-intégrer-de-force (alors que jusqu’à présent...). Face aux casseureuses, nous étions la bonne majorité qui voulait un avenir avec un travail, les gentils contre les méchants voyous. Ces dernier-e-s m’inspiraient de la crainte : illes ne voulaient pas les mêmes choses que notre grand cortège. Les vitrines tombaient, la flicaille était débordée, illes se fondaient parmi nous de force. Au fond, je me disais qu’illes profitaient de nous pour chourrer, alors que c’était pour elleux que je manifestais, je me disais qu’il ne comprenaient pas qu’ils feraient mieux de venir avec nous qui avions compris que le monde change quand on demande des choses. Comme une espèce de trahison de celleux mêmes que j’essayais de "sauver", de celleux qui, au fond, incarnaient cette misère que je voulais abolir avec ma parade rituelle.

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Aujourd’hui, je n’ai pas forcément grandi, je ne suis pas devenu plus "mature". J’ai fait d’autres rencontres, j’ai vécu d’autres situations. Par l’intermédiaire de l’un de ces tafs merdiques d’étudiants, j’ai eu l’occasion de fréquenter pendant longtemps, dans un lycée pro, ces fameuses classes populaires. J’ai eu l’occasion d’entendre ce qu’illes ont à dire sur leurs orientations trop rapides ou forcées, leurs destins non-choisis, leur résignation récurrente à accepter "après avoir longtemps foutu le bordel" le monde dans lequel illes sont destiné-e-s à vivre. J’ai peut-être pu saisir en partie leur souffrance d’avoir été victime d’un système éducatif qui leur demandait de choisir entre accepter leur bêtise ou d’affirmer qu’illes ne travaillaient pas. J’ai vu que c’était bien souvent pour ne pas paraître bêtes qu’illes avaient décidé d’arrêter de trop taffer. J’ai vu l’injustice d’un système méritocratique qui fait rentrer dans la tête des perdant-e-s leur imbécillité génétique et peut les conduire à accepter comme tristement naturels leurs destins détestés. Mais j’ai aussi pu écouter la rage consciente qui les conduisait à insulter leurs vieilles profs autoritaires et fatiguées, à chourer, à se défoncer, à vouloir par moment tout foutre en l’air. J’ai vu les amitiés, les ressentis partagés, qui leur permettent, le temps de leur proximité, de construire une résistance fragile à un monde et à ses flics qui leur pourrissent la vie.

J’ai aussi compris, par cette expérience, le caractère colonial voire fasciste des mes pensées des manifs de 1998. Je voulais qu’illes se rangent à mes côtés, pour qu’illes expriment à ma façon une rage bien plus intense. Je voulais que, comme moi, illes quémandent, alors qu’elleux avaient bien compris que rien ne s’obtient en demandant ou en attendant, qu’en somme il faut prendre. A ce moment, par les cortèges sécurisés dans lesquels je me trouvais, je les excluais, rénovant l’idée d’apartheid ; et en les excluant, nous les livrions passivement aux keufs : je voulais les sauver contre eux-mêmes, je manifestais pour celleux que j’acculais à la garde-à-vue. Comme un con, j’agissais directement contre elleux en voulant les placer dans ma propre forme-de-vie.

D’un autre côté, je me suis progressivement dégagé de cette foule hurlante des cortèges. J’ai commencé à sentir en moi, à l’intérieur de ces formations, trop de bêtise, trop de pensées perdues, trop de solitude, trop d’occasions manqués, trop de bonne conscience rebelle à deux balles. Ces syndicats qui répètent à loisir les mêmes slogans pour offrir un exutoire à la rage contenue et modérée de ses adhérents... Ces partis et ces micro-formations pris dans un processus d’auto-agrandissement sans fin qui ne savent que marcher en rang... Et rentrer chez soi après avoir bu sa bière près de la place de la Nation, comme des militant-e-s qui ont effectué leur travail.

Cette absurdité, je n’en ai pas pris conscience. Ça s’est passé dans mon corps, à l’intérieur de ma sensibilité même. Nous avons partagé, entre ami-e-s, notre refus du travail salarié à venir, notre refus de se voir bientôt divisés par les dispositifs éducatifs et économiques, notre refus de renoncer à trouver les moyens d’avoir la vie que nous voulons. Et, en même temps, nous avons mis en oeuvre ces fameux moyens. Nous nous sommes détachés par défaut des luttes étudiantes, celles-ci n’offrant trop rarement les espaces dans lesquels nos rages et nos désirs peuvent se déployer. Nous nous détachons progressivement d’une fac qui a bien peu de chance de nous offrir quoique ce soit d’intéressant. Nous vivons de plus en plus ensemble, encombrant nos appart’/cages à poules pour des repas partagés, pour des moments communs, pour préparer aussi l’ouverture de l’un de ses lieux vides qui nous permettra de durer et de nous assurer une base pour nos luttes. Nous avons vu les violences policières qui surgissent aux moindres écarts par rapport au chemin traditionnel de la lutte et de la résignation. Et nous avons senti en nous l’émergence d’une rage considérable et déterminée à faire exister jusqu’au bout les formes-de-vie que nous désirons intimement.

J’ai senti qu’une guerre de basse intensité était en train d’avoir lieu. Une guerre qui se livrait tous les jours entre celleux qui ont accepté ce monde et veulent faire respecter par la force la nécessité de cette résignation et celleux qui, malgré les multiples mécanismes de division, essaient de s’organiser pour le détruire car illes les empêchent de vivre comme illes le désirent.

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Aujourd’hui, je crains que le même cirque que celui que j’ai vécu ne recommence. Encore une fois les appels à plus d’organisation se font entendre, et l’on stigmatise les casseureuses comme des éléments extérieurs qui nuisent à la "crédibilité". Cela m’attriste. Comme je l’ai déjà fait en 1998, de nombreus-es lycéen-ne-s pensent qu’illes s’agit de toucher les médias et de donner une image claire et propre des revendications. Moi aussi, je voulais toucher "l’opinion", ce truc qui s’exprime par les sondages et peut parfois descendre un ministre qui sera ensuite remplacée par un clone.

Aujourd’hui, j’ai des regrets sur mon attitude d’alors. Trop de télévision peut-être m’avait convaincu qu’elle était toute-puissante, alors que sa force ne peut être mesurée qu’aux changements minimaux et minables qui ont eu lieu depuis son apparition et sa diffusion. De plus, et surtout, j’ai compris que la dénonciation effective de la pourriture de ce monde destructeur de nos amitiés et de nos désirs ne peut être propre, claire, chiffrée et spectaculaire. Ce que nous vivons toutes et tous est bien trop terrible pour s’énoncer clairement et distinctement, sans injure, ni casse. Les destruction de nos liens intimes, les courses débiles au nouveau gadget ; ces profs qui, à l’école comme à l’Université, nous apprennent que des choix collectifs sont impossibles et que chacun doit tracer sa voie,ces profs qui, avec leur bêtise et parfois leur génie, ne font que nous résigner à une vie de merde ; ces keufs qui nous harcèlent avec leurs caméras, leurs sirènes, leurs lois qu’illes manient toujours à leur avantage ; ce travail qui nous attend avec son cortège de petites rivalités, de relations hiérarchiques insupportables ; ce quotidien stérile qui se précise, bonheur plastique de l’enfermé-e solitaire enchaîné-e par des crédits ruineux ; cette vie banalement sordide : comment parler de tout ça, en même temps, sans concevoir que cela ne peut se faire proprement ?

Aujourd’hui, je suis encore inscrit à la fac. Comme un espèce de raccord à un monde que je ne peux plus supporter. Je la vois comme l’un de ces champs de bataille dont j’ai parlé. Une fois de plus, un dispositif qui tend à nous séparer et nous résigner parvient à construire une petite guerre entre celleux qui acceptent les règles du jeu et celleux qui les refusent. L’intensité de cette guerre est encore bien faible, les camps sont encore peu définis, peu consistants. Le camp de la résignation a bien peu d’armes de justification, mis à part un réalisme à la petite semaine. Le camp de la rage et du désir, de son côté, n’a que ce monde merdique à montrer et ses projets à mettre en oeuvre. Ce qui est donc en jeu, à présent, c’est la construction d’une véritable polarisation. Elle ne pourra provenir que d’une intensification du conflit. D’un côté, par la montée en puissance du mouvement lycéen et l’élargissement des significations dont il est porteur ; de l’autre, par l’action autonome des étudiant-e-s qui essayeront d’élargir ce mouvement pour aller au minimum vers un mouvement général de la jeunesse qui prendrait acte de rages et de désirs communs et partagés.

Si, aujourd’hui, je pense aller manifester avec les lycéen-ne-s, ce n’est pas pour faire du nombre. C’est pour essayer de rencontrer celleux qui espèrent au-delà des revendications présentes, pour rencontrer celleux qui bientôt, auront la force de construire sur les fondements de leurs liens affinitaires et amicaux, quelque chose qu’illes ne pourront jamais avoir en ne faisant que le demander. Ce sera aussi pour rappeler que la rage ne s’exprime pas forcément proprement, que c’est par cette diversité des attaques que la jeunesse se renforce et gagne en puissance. Ce sera enfin pour montrer que les désirs, moins confinés dans des slogans débiles et castrateurs, constituent une ressource extraordinaire.

Espérons au moins que la confrontation sera joyeuse.

anonyme
le 5/03/2005 à 20h20
Sur Indymedia-Paris


Pourquoi j’irai encore manifester avec les lycéen-ne-s

Un texte avait été fait avant la manif du 8 mars. Celui-ci tente d’y faire suite après ce qu’il s’est passé ce jour-là. J’essaie de faire une analyse qui se passe du recours explicatif à la manipulation, pour essayer simplement de comprendre. Le texte est long, il exige un peu de temps à lire, mais j’estime que l’événement le mérite vraiment.

J’ai vu ce qui s’est passé ce mardi 8 mars à Paris. Je n’ai pas vu de "casse" au sens traditionnel : bris de vitrine, etc. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas eu : seulement que c’était loin d’être le phénomène le plus visible. Et si pas ou peu de casse, pas de casseur ni de casseuse.

Il s’est passé tout autre chose. A première vue : des bandes de petits mecs (car c’était essentiellement masculin) qui fondaient à une bonne dizaine sur des gen-te-s isolé-e-s pour leur prendre des trucs (portables, larfeuilles, etc.). Les critères de choix étaient pas vraiment visibles : les agressé-e-s n’affichaient pas une thune considérable, étaient plutôt isolé-e-s, avaient l’air plutôt faibles (questions de taille et d’allure). Notre groupe de sept personnes, plus âgé-e-s, habillé-e-s de couleurs sombres, avec capuches et écharpes sur le visage, n’a pas été attaqué. Par chance peut-être, parce-que nous étions susceptibles de résister, aussi. Celleux qui ont été agressé-e-s ont reçu des coups, ont vécu l’humiliation terrible de se voir isolé-e-s au milieu de la foule, entièrement passif-ve-s vis-à-vis du danger encouru. C’était une putain de chasse à l’homme, aux manifestant-e-s, dans une atmosphère de défoulement et de gratuité (avec des petits coups inutiles "juste pour participer", des lynchages quand il y a résistance, pas de parole possible). J’ai ressenti une grande angoisse. Angoisse de notre impuissance à aider celleux qui se faisaient dépouiller. Angoisse aussi pour des gen-t-es du lycée pro dans lequel j’ai bossé, qui étaient complètement terrorisé-e-s au milieu d’un manif dont illes ne pouvaient sortir. Angoisse enfin face à ces actes que j’avais bien du mal à saisir et à interpréter.

C’était comme une attaque de skin sur une manif. Comme une attaque de la BAC qui vient pécho au milieu de la foule. Mais je n’aurais jamais pensé que ceux qui le faisaient seraient par leurs actes du côté de la répression et de l’attaque lâche. La flicaille a été très peu visée, comme innocentée de l’ordre actuel des choses.

Je ne crois pas qu’il y ait eu manipulation directe. Le complotisme m’ennuie : trop utilisé par les médias lorsqu’ils ne comprennent pas, trop usé par les citoyennistes qui veulent contrôler les marges radicales et faire les beaux devant les politiques. Dans le cas présent, j’ai bien du mal à adhérer à un complot directement mené par des RG déguisés ou contrôlant les cailleras. Une telle thèse laisse une part trop grande à leur puissance de manipulation. La manipulation revient trop souvent, dans le vocabulaire gauchiste (avec son corollaire, la "désinformation") pour justifier l’incapacités de nombres d’organisation à pousser les gen-te-s à sortir de la passivité. Or, il ne faut jamais oublier que s’il y a manipulation, c’est que les gens sont manipulables ; et là, cela renvoie à des causes sociologiques beaucoup plus profondes, qui, en fait, réduisent l’importance de la manipulation elle-même Par conséquent, ce que nous devons nous demander, c’est : les cailleras sont-elles directement manipulables ? Je ne le pense pas.

Ce qui est manipulable, c’est traditionnellement la foule. Plus particulièrement une foule solitaire, une foule dans laquelle des individu-e-s délié-e-s les un-e-s des autres réagissent comme un seul organisme et suivent les directives et les paroles d’un chef ou d’un idéal porté collectivement. Pour dire plus simplement, une foule solitaire, c’est une masse anonyme entièrement portée, dans ses actes et ses paroles, par la figure du Meneur (ou d’une idée menante). L’exemple traditionnel, c’est la masse fasciste ou stalinienne, dans laquelle chacun-e se sent en contact direct avec le Guide, et dans un état d’égalité totale avec les autres. A cette foule solitaire correspond aussi certaines manifs spontanées, à laquelle chacun-e a été poussé-e par la rage, et se retrouve entouré-e par des inconnu-e-s. Ces manifs peuvent être pacifiques comme super-violentes (contre les keufs, notamment) : c’est pourquoi les pouvoirs en place y ont bien vu la nécessité de manifs rituelles et bien réglées, avec des S.O et des pratiques "correctes" - et les organisations soucieuses de "propreté" et d’ordre ont su tirer parti d’une telle "nécessité". Aujourd’hui, les émeutes spontanées sont moins fréquentes et on en entend moins parler. Celle de Barbès, après le meurtre "accidentel" d’un jeune par des policiers de la Goutte d’or, n’a presque eu aucun retentissement. Il en va de même pour celle(s ?) de la soirée du 21 avril 2002 à Paris, au cours de laquelle les affrontements ont duré jusqu’à 5 heures du mat’ face à des keufs complètement désarçonnés. Mais il y a encore un autre type d’émeute ou d’affrontement : l’émeute (ou l’affrontement) organisée. C’est l’émeute "black block", où chacun-e, loin d’être seul-e, est organisé-e dans un groupe affinitaire (fondé sur des liens et une véritable connaissance de chacun-e par chacun-e) qui poursuit des objectifs politiques précis comme le taguage, cassage des vitrines des représentants majeurs de la société spectaculaire-marchande ou les affrontements avec la flicaille. Quoiqu’en disent bien des gentil-le-s citoyen-ne-s, ces foules affinitaires et émeutières sont loin d’être manipulables, puisque chaque groupe reconnaît les sien-ne-s et détient ses propres objectifs. A la limite, celleux qui peuvent être manipulé-e-s sont celleux qui débarquent au milieu des affrontements sans connaître personne. Les groupes que j’ai vu agir ce mardi 8 mars ressemblent plus à des groupes affinitaires qu’à une foule solitaire. Chacun-e, à l’intérieur des bandes ou des crews avaient l’air de se connaître et d’entretenir une solidarité (de cité, de lycée, liée à des années passées ensemble, etc.). Je ne vois pas comment, dans une telle configuration, des "provocateurs" auraient pu s’infiltrer et conduire les actions : ce serait sans compter sur les interconnaissances et postuler des "tribus sauvages" menables par n’importe qui. On pourrait aussi supposer qu’un groupe entièrement formé par des keufs aurait pu pousser les autres à suivre l’exemple, mais d’une part, c’est bien trop machiavélique et organisé, et, d’autre part, je me demande si cela seul aurait suffi pour entraîner les autres.

Donc, exit la manipulation directe, car les cailleras n’étaient probablement pas directement manipulables dans la situation donnée. Cherchons donc ailleurs. Les jours qui ont précédé ce mardi, nous avons pu voir, lire et entendre que les RG prévoyaient - par je ne sais quel pouvoir de divination - qu’il y allait avoir entre "cinq cent et sept cent casseurs". Une rumeur s’est donc développée qui disait que la manif allait être chaude, ce d’autant plus que le gouvernement, à travers des annonces, demandait que les services d’ordre soient considérables. A partir de là, il me semble fort possible que - le souvenir des précédents mouvements lycéens aidant - la prophétie/rumeur des RG soit devenue auto-réalisatrice, c’est-à-dire qu’est arrivé ce qui était prévu : cela a sonné le rappel. Mais cela n’explique pas du tout la tournure des événements. Les fois précédentes, le racket avait été largement mineur, à côté des voitures brûlées et des vitrines pétées. Ces fois-là, il y avait vraiment des casseurs et des casseuses. Pour comprendre véritablement, il faut donc voir ailleurs, même si nous avons là le déclencheur principal. Tout d’abord, les voitures avaient été préalablement retirées par les keufs le jours d’avant. Par ailleurs, les magasins étaient fermés, grillagés et directement protégés par des keufs (en civil ou non). Enfin, les keufs ne sont pratiquement pas intervenus dans la manif. En gros, il manquait ce qui d’ordinaire, sont les objets de la rage sociale et émeutière. Pas de caisses à défoncer, de vitrines à péter (et à piller), de keufs qui démontrent en acte le caractère policier et répressif/dépressif du monde dans lequel nous sommes aujourd’hui forcés d’évoluer. En somme, les conditions d’une émeute traditionnelle n’étaient pas réunies.

Je ne saurais dire dans quelle mesure cette conjonction d’éléments étaient voulues et si ses effets étaient prévus. Je pense que non. Les dispositions mises en place visaient simplement à protéger la propriété à partir des expériences antérieures. De plus, si les flics ne sont pas intervenus, c’est tout simplement parce qu’ils ne pouvaient pas, à moins de se prendre des coups sévères. Des petits crews vénères comme ce que j’ai vu se fondent trop rapidement dans la foule, on ne peut repérer aisément les coupables (car tout le monde est à peu près habillé pareil) et il leur serait facile d’isoler un keuf. La situation était trop dangereuse pour eux. Il faut sur ce point, arrêter de croire que la flicaille est toute-puissante : elle ne pouvait rien faire, à moins d’interdire la manif ou de tabasser tout le monde : deux choses que le gouvernement n’est pas prêt à faire. Donc exit aussi la passivité voulue des keufs (ce d’autant plus que partout ou un traitement "différencié" pouvait se faire, illes l’effectuaient : métro, carrefours, etc.).

Reste que ceci ne nous permet pas de comprendre pourquoi les cailleras se sont littéralement retournés contre celleux qui manifestaient. Car il me semble qu’il y a un abîme éthique entre la casse traditionnelle et ce que nous avons vu ce mardi 8 mars. S’en prendre à des biens ou à des voitures sous vitrine, quoiqu’en disent les médias et la justice, n’est pas à proprement parler une violence. Il s’agit (et l’interprétation est désormais traditionnelle) de briser l’emballage métaphysique qui entourent, dans la situation marchande, les biens de consommations. Dans ce cadre, on nie la qualité de marchandise des objets, et ce faisant on en nie la propriété. Il s’agit d’un changement de regard : on nie la relation marchande qui fait du produit une marchandise. Il y a une continuité entre cet acte et celui du récupérateur sur les marchés, qui, en récupérant, en se passant de la relation marchande, réaffirme la valeur d’usage aux dépends de la valeur marchande. Cette continuité nous indique bien qu’il ne s’agit pas véritablement de violence, bien que l’acte de casser sorte de la normalité. Dans le cassage (qu’il soit ou non accompagné de pillage) on cherche à dévoiler la mystification de la marchandise : il s’agit avant tout de chercher à mettre à nu le biens (et, parfois, de l’emporter). La personne qui détient le bien est secondaire : la plupart du temps, il ne lui sera fait aucune violence corporelle.

La violence corporelle, c’est tout autre chose. Mettons de côté la violence envers la police : les keufs l’usent et l’aiment tellement qu’il est possible de saisir pourquoi, historiquement, le peuple a dû s’en prendre à elleux. Et je pense que le recours à ces moyens n’a jamais été sans remord pour les participant-e-s, à la différence absolue des keufs et autres exterminateur-euse-s qui se lavent les mains de leurs crimes quotidiens (car eux suivent des ordres : leur irresponsabilité explique leurs manques sensibles et affectifs). Parlons de la situation de ce mardi. Il n’y avait pratiquement que des agressions sur des personnes, pour quasiment aucun gain (rapportée à ce qu’un pillage offre comme possibilité). On pourrait dire que c’était par défaut de magasins : mais il me semble que c’est trop faible. J’ai eu l’impression que les participants éprouvaient un véritable plaisir à agir d’un telle manière. Si l’enjeu était purement fonctionnel (obtenir de la thune), il n’y aurait pas eu ces coups lâches au sol, ces coups de pied donnés au hasard, etc. Je dirais qu’il ne s’agissait ni d’une manipulation ni, à proprement parler, de racket, mais bien simplement d’un tabassage généralisé. C’est là qu’il y a quelque chose d’absolument nouveau. Avant, ce type d’acte était ultraminoritaire. Pourquoi ces tabassages ? Une première interprétation, traditionnelle, me semble fausse. Celle qui dirait : il s’est joué une opposition de classe entre les tabasseurs et les manifestant-e-s. Il aurait s’agit alors d’un simple réglement de compte classe contre classe. Cette interprétation, pour radicale qu’elle soit, ne résiste pas au fait qu’il y avait une présence massive des lycéen-e-s des classes populaires dans le cortège. Si les grands médias transcrivent principalement les discours de lycéen-e-s parisien-ne-s issus d’établissements reconnus, c’est parce-qu’eux font proportiennellement plus partie des syndicats lycéen-e-s et sont plus susceptibles d’avoir la parole lisse que réclament les médias. Donc : pas de consistante opposition de classe.

Pour tenter de comprendre, il faut peut-être passer à un niveau symbolique/métaphysique. Que représentaient les manifestant-e-s pour les tabasseurs ? En premier lieu, illes étaient la figuration même de celleux qui acceptent les règles du jeu. Celle de la manif-défilé tranquille et de l’image à donner dans les médias. Puisqu’ils suivaient les règles du jeu spectaculaire, on peut supposer que, par un processus d’association, illes sont devenu-e-s, dans la tête des tabasseurs, des figurants pour la télé, des acteurs irrespectables qui veulent faire partie du Spectacle. Quand on voit le désir de certains des tabasseurs de passer devant les caméras, on peut se demander si sur ce point la confrontation n’avait pas pour enjeu de déterminer qui sera la star du jour. Si l’on continue sur cette piste, on peut essayer de trouver des binômes qui s’opposent. On pourrait d’abord dire qu’il s’agissait d’un opposition phantasmée par les tabasseurs entre inclus-e-s et exclus du système scolaire, entre ceux qui glandent et foutent le bordel et celleux qui l’acceptent tout en voulant l’améliorer. Pour le coup, il y là une putain d’erreur sociologique qui serait encore redoublée si l’on disait : c’était la violente puissance des cités contre celleux qui vivent en pavillon ou en ville. Tout le monde était beaucoup trop mélangé, la diversité des origines indiquait que ce n’était pas vraiment le cas. Il est possible d’expliquer cette erreur tragique. D’un côté, les médias, avec leur vieille opposition manifestant-e-s/casseur-euse-s laissent toujours entendre que ces oppositions binaires existent ; de l’autre, avec une bonne dose d’aveuglement, la mise en scène de la manifestation pouvait se prêter à un tel phantasme : les camions sonos habituels, l’ordre rangé et festif au centre, et les cailleras sur les côtés. Ce qu’il faut se demander c’est : "par quels processus ont-ils vu ce qu’ils avaient prévu de voir ?". Les médias sont importants pour le saisir. Beaucoup de manifestant-e-s croient que l’enjeu d’une démonstration comme celle-ci est de se montrer médiatiquement, qu’il faut passer par là pour se faire entendre. Cette vision conditionnée spectaculairement de la confrontation trouve en définitive échos dans celle des tabasseurs qui avaient toutes les chances de vouloir y voir cette mise en scène spectaculaire binaire, avec des bons et des méchants.

D’un côté, il y a la puissance du Spectacle, qui conduit à faire voir des choses même si l’expérience démontre l’inverse. Le phantasme de toute-puissance auto-propagé par les médias fait croire au lycéen-ne-s que tout doit passer par les médias, que ces derniers donnent une puissance magique à leurs revendications. Et, en retour, le Spectacle produit des confrontations de plus en plus mises en scène, au point même que l’on peut finir par y voir un jeu d’acteurs. De l’autre côté, on peut tenter de donner des explications internes aux groupes des tabasseurs. Le fait qu’il n’y avait que des petits mecs indique bien un problème autour de la question du sexe. A l’intérieur de ces groupes, comme dans la plupart des groupes d’ami-e-s, règnent une atmosphère totalement viriliste et sexiste. Chacun sa tâche, chacun son rôle. D’un côté, les filles et les bourgeois qui manifestent (d’ailleurs la télé est réputée pour être "pleine de pédés"), disent et font des trucs de meufs ; de l’autre les durs qui jouent les coqs et veulent s’émoustiller les uns et les autres. Je ne m’attarderai pas là-dessus. Ce qu’il importe de comprendre, c’est qu’il s’agissait toujours de montrer aux autres qu’on en était capable : ce qui n’a rien de spécifique à ce type de groupe. Dans ce qui n’était plus qu’un jeu, il fallait dépasser (et la masse du groupe était là pour y aider) ses propres réticences à frapper aveuglément et violemment sur n’importe qui. Ce qui aide à dépasser ce type de résistance, c’est de pouvoir se dire qu’il ne s’agit que de choses, de symboles, d’objets, et non de véritables personnes.

Les keufs de la BAC ne regardent jamais dans les yeux mais au niveau du front pour ne pas croiser le regard des victimes qu’illes tabassent. Les agents des camps réduisaient ceux qu’ils allaient exterminer à l’état de "matériau" ou de "vermine", et celleux qui mourraient le plus rapidement étaient celleux, qui, dans leur regard, gardaient les traces d’un humanité profonde.

Pour que les tabasseurs s’en prennent aussi violemment aux manifestant-e-s, dans les conditions que nous avons précisées (absence de bagnole, commerces fermés, pas d’affrontement avec les keufs), il fallait que soit perçue une différence de nature entre eux et les autres. Dans un système éducatif qui nie hypocritement son rôle de reproducteur des inégalités sociales au nom de la "méritocratie" et sous-entend que la différence de réussite repose non sur ces différences sociales mais sur des degrés d’intelligence, et donc ancre la hiérarchie sociale dans le domaine du naturel/génétique, il serait presque naturel, pour celleux que l’institution rejette, de s’en prendre aux bons manifestants qui ne font que redoubler symboliquement les bons en cours. Si pour que la violence corporelle soit mise en oeuvre, il faut voir dans l’autre quelqu’un qui n’a pas la même nature, il ne faut pas oublier la responsabilité du système qui lui-même transforme des différences de classe en différences de nature. Si les manifestant-e-s ont été tabassé-e-s, c’est en partie parce-que les tabasseurs les voyait d’une nature différente. Quand on ajoute à cela le fait que la différence de classe, au-delà du niveau d’intelligence, est souvent pensée en terme de racisme (de l’école, des profs, etc.), il n’y a qu’un pas à franchir pour se dire que les tabasseurs se vengeaient contre des blancs (même si ce n’était vraiment pas le cas...) qui ont toutes les chances de réussir et les oppriment au jour le jour. Ce mode d’appréhension de la société française, où la différence de classe est assimilée à une différence de race est le dérivé du côté des opprimé-e-s, de l’idéologie raciste. Quand on connaît le racisme fréquent des keufs et de la société française, on peut aisément comprendre qu’une telle interprétation surgisse, avec les conséquences que l’on sait. Le problème, c’est que le racisme de la société française n’est pas tant dans les têtes (comme résultat d’une "ignorance") que dans ses institutions qui reproduisent une société divisée en classes. Je ne m’étendrai pas plus là-dessus. Ce qu’il faut saisir, c’est que dans un monde où les immigré-e-s se retrouvent principalement dans les classes populaires, les mécanismes qui reproduisent ce système de division sont facilement perçues comme racistes, alors qu’il s’agit avant tout de la reproduction d’un système social inégalitaire. Les conneries du 8 mars sont notamment le produit de cette simplification "cohérente" du conflit de classe. Pour le pire : non seulement il me semble que les tabasseurs avaient eux aussi tout intérêt à manifester (même violemment contre les keufs et le pouvoir), mais ils n’ont pas su voir que c’était loin d’être que des blanc-he-s qui manifestaient.

Je pourrais maintenant résumer mes explications de ce qui s’est passé le 8 mars pour que ce soit plus clair pour tout le monde :

D’abord, les conditions qui ont produit cette situation extra-ordinaire.
 Il y avait des conditions spatiales spécifiques : absence de caisses, de magasins ouverts à péter ou à piller.
 Il y avait des conditions de répression spécifiques : les keufs sur les bords empêchaient toute casse véritable, les keufs pouvaient difficilement intervenir sans s’en prendre à tout le monde ou sans se prendre des coups, les rues sur les côtés et les stations de métro étaient fermées enfermant tout le monde danss un vaste piège. Surtout, des keufs qui n’agissent pas, cela enlève tout ennemi direct, et surtout un ennemi qui aurait pu être commun.

Ensuite, les déclencheurs ponctuels d’une manifestation avec un tel nombre de personnes sur les bords.
 Une rage des lycéen-ne-s qui selon moi, va bien au-delà des revendications avancées.
 Une volonté de participer au rituel spectaculaire de la manifestation.
 Des rumeurs des RG indiquant qu’il y aurait beaucoup de "casseurs".

Enfin, ce qui peut expliquer ce tabassage généralisé.
 La spectacularisation des conflits sociaux qui en fait un vaste jeu avec des figurants (des figurants à être et/ou à taper).
 Des logiques de groupe virilistes et sexistes qui poussent à l’actualisation massive de gestes que l’on ne ferait pas forcément seuls.
 Le phantasme médiatiquement entretenu de situations manichéennes : les bons/les méchants, les bons élèves/les mauvais élèves, les bons lycées/les mauvais lycées, les villes riches/les banlieues pauvres, les blanc-he-s/les immigré-e-s.
 Des dispositifs institutionnels qui ancrent et naturalisent les différences : de classe (et, dans la situation actuelle, de "race"). Cette naturalisation, associée aux trois points précédents, a contribué à forger un regard pour lequel le-la manifestant-e n’est plus un semblable mais un tout-autre, une chose, un symbole, etc.

Tout ceci ne vise pas à justifier ce qu’il s’est passé ce mardi 8 mars, mais seulement à tenter de le comprendre sans passer par des interprétations unilatérales et fausses : celles qui évoqueraient, de manière raciste, le caractère sauvage de ceux qui ont agi ; celles qui crieraient trop facilement à la manipulation ; celles qui mettrait avant tout l’accent sur les conditions spatiales de la manifestation ; celles qui, à prétention radicale, en viendraient à justifier ces actes par une trop simple opposition de classe.

Pour tout dire, ce qu’il faut aujourd’hui, c’est ne plus jamais laisser une telle situation avoir lieu. Les manifestations spontanées sont bien plus intéressante que ces manifs prévues à l’avance : on bouge dans son propre quartier, on se fait entendre, on gêne la circulation, on montre sa rage sans que la répression puisse faire quoique ce soit. C’est ce type d’événements ponctuels qui fait bien plus flipper les pouvoirs en place. De plus, le vécu est bien plus intense, on est plus entre soi, dans des lieux connus, on peut croiser celleux qui avaient pas l’intention de venir, etc. Autre chose : occuper son lycée, bloquer les portes d’accès, y organiser des repas collectifs, préparer des petites actions, ça fout beaucoup plus le bordel que les manifs en rang et c’est beaucoup plus intéressant. Pourquoi ne pas organiser des AG dans les lycées pour faire des actions et ateliers de réflexion (sur le modèle éducatif, la reproduction des inégalités sociales, l’individualisation des parcours, la possibilité de destin collectif entre ami-e-s, la nécessité de rapport prof-élève...) ?

A cela pourrait s’adjoindre des grosses manifs. Mais dans ce cas, il faudrait changer de tactique, ne pas reproduire les manifs plan-plan des fonctionnaires qui ne mènent pas à grand’chose. Ce que les manifs ordinaires oublient, c’est la nécessité d’une confrontation, de foutre un gros bordel flippant. On dira : puisque la manif est dans l’ordre du symbolique, il faut mettre en scène un conflit abstrait. Je rappellerais plutôt qu’une manif est une démonstration de rage, c’est corporel, c’est chacun-e qui vient avec son désir, sa rage pour démontrer sa force et sa détermination à, au minimum, bouleverser ce monde. On ne vient pas pour simuler un conflit comme des figurants mais pour montrer que ce conflit existe. Ce qui a principalement manqué à la manif du mardi 8 mars, c’est cette union habituelle (négative, certes) entre tous contre le pouvoir répressif. Il faudra donc, à moins d’en rester là, prendre plus de risque, se préparer physiquement un peu plus, prendre les moyens de se défendre contre les keufs, et commencer à y aller vraiment car nous n’aurons rien sans sortir des cadres qui nous sont donnés.

anonyme
le 11/03/2005 à 13h46
Sur Indymedia-Paris


A lire, sur Internet et/ou sur papier en contactant zanzara at squat point net :

 « C’est ça la jeunesse en colère ? », tract lycéen en provenance de banlieue parisienne, distribué à Paris le 8 mars 2005 (ainsi qu’à Grenoble et Dijon).
 « Class Wars », détournement parisien d’une bédé de Star Wars, autour des luttes lycéennes de 2005.
 « On voudrait nous apprendre à marcher en nous coupant les pieds », texte pamphlétaire contre l’école.
 « De la misère en milieu étudiant », texte situationniste de 1966.
 « Professeurs, vous nous faites vieillir », texte des Lascars du LEP électronique (Paris, manifs lycéennes/étudiantes, 1986).
 « A tous ceux qui veulent fliquer les lycéens, les lycéens répondent : résistance ! », paroles de lycéens (Montreuil, De l’huile sur le feu, L’Insomniaque éditeur, juin 2005).
 « Dans le ventre de l’Ogre », textes du collectif Alertez les bébés, sur l’école, l’éducation, l’Etat, la citoyenneté, la psychiatrisation scolaire, l’idéologie sécuritaire, etc. (janvier 2005).
 « Retour sur le mouvement lycéen », transcription d’une partie de l’interview de trois lycéen-ne-s de banlieue parisienne réalisée par "Vive la sociale".
 « Nouveau lumpenprolétariat et jeunes casseurs », texte de parents de lycéen-ne-s, suite à la manif parisienne du 8 mars (paru dans Le Monde).
 « Appel pour l’action directe », conseils pour agir en manif.


Y’a aussi plein plein d’autres textes réjouissants et/ou subversifs sur
http://infokiosques.net/.



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