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Zone à Défendre
22 jours perchées à lutter pour le vivant contre l’A69
mis en ligne le 7 novembre 2025 - multiple
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Du 16 septembre au 7 octobre 2024, des militant·es écureuil·les et chauves-souris sont monté·es dans les arbres et sur les toits du Verger pour défendre la dernière Zad, Zone à défendre, du tracé de l’A69.
L’A69 est un projet d’autoroute entre Castres et Toulouse inutile et catastrophique sur le plan environnemental. Pour empêcher sa réalisation, une Zad s’est déployée sur son tracé, installée sur plusieurs zones, dont le Verger. Ces zones ont été habitées et partagées par des personnes venues un jour, une semaine, des mois, lutter pour la survie de ces habitats contre les machines destructrices de ce chantier.
Ce zine rassemble les illustrations quotidiennes d’une grimpante déter, écureuille lors de l’évacuation des derniers arbres du tracé. On y retrouve un récit des cinq dernières écureuilles qui ont résisté, pendant ce siège de vingt-deux jours, perchées dans deux noyers du Verger.
TÉMOIGNAGE COÉCRIT PAR LES CINQ DERNIÈRES ÉCUREUILLES DU VERGER
Nous parlons d’une zone à défendre située entre Castres et Toulouse sur le tracé de l’autoroute A69. 53 km de chantier, d’arbres abattus, de champs désertifiés, d’artificialisation des sols. Plusieurs zones zadées ont éclos, la Crem’zad, la Crem’arbre, la Cal’arbre et enfin le Verger. Le Verger est le jardin d’Alexandra, ancienne locataire devenue occupante de droit de la dernière maison encore habitée sur le tracé de l’autoroute. Elle a ouvert la porte aux zadistes et nous avons surnommé Verger son terrain rempli d’arbres fruitiers et de plantes comestibles. L’une d’entre nous y a même cultivé un grand potager, habité par des plants de tomates, aubergines, pommes de terres, piments, etc.
Nous avons occupé les arbres du Verger de mars 2024 jusqu’à leur évacuation par la police, qui dura du 16 septembre au 7 octobre 2024. Des cabanes et des plateformes furent construites sur des noyers, chênes, frênes, tilleuls, marronniers, et platanes.
Nous avons lutté pour la protection de cet habitat avec Alexandra contre les violences des expropriants (NGE-ATOSCA [1]) et leur volonté de l’isoler.
INTERVENTIONS DE LA CNAMO [2]
Les premières interventions étaient assez distantes de nous, dans des arbres à l’autre bout du jardin. Pourtant nous avons vu et surtout entendu les cris, ceux des écucus [3] et du sol, d’encouragements et de mises en garde des CNAMO.
« Courage ! »
« Faites attention à vous »
« Iel est détaché·e ! Vous le·a mettez en danger ! »
« Cette branche est trop petite pour vous, elle va casser ! »
Entendu aussi le bruit sourd de la chute d’un·e camarade sur le chemin où étaient éparpillées des tuiles. Vu aussi la course effrénée de ce·tte camarade dans les petites branches hautes du tilleul, pendant que plusieurs hommes cagoulés et en uniforme le·a pourchassaient. Entendu de près, les insultes transphobes et les blagues sexistes adressées à certaines d’entre nous. Vu de plus près, leurs interventions sur notre arbre, d’abord pour couper les branches qui gênaient l’accès de leur nacelle, puis pour jeter par terre toutes nos affaires (y compris celles de première nécessité, médic, hygiène, bâches, duvets), de manière méthodique et répétée, et enfin détruire sous nos yeux impuissants notre plateforme à grands coups de tronçonneuse.
Vu de près aussi, leurs regards tantôt mesquins, malveillants et condescendants, tantôt implorants et presque inquiets de nos attitudes dangereuses. Incapables de comprendre ce qui nous anime et nous émeut. Incapables aussi de comprendre l’architecture de la cabane de Noguerre [4] .
Nous avons eu la chance pour l’instant de ne pas voir leur mains prédatrices s’approcher pour agripper nos corps et nous faire descendre de force. Difficile de savoir comment nous réagirions à ça.
En attendant, on est toujours là, et ça fait déjà 21 jours qu’on les empêche de couper ces arbres. C’est déjà une victoire.
VIVRE ENSEMBLE EN OCCUPATION
Vivre ensemble au Verger, c’était vivre dans un collectif fait d’initiatives individuelles et communes. C’était partager la lutte, mais surtout le quotidien : les discussions, les états d’âme, la nourriture, la musique, l’art, les constructions, les idéaux. C’était faire attention à tout le monde et à chacun·e.
Dans les arbres, un clivage mais aussi une solidarité se créent avec le sol. En haut, nous vivons ensemble dans des espaces restreints et la promiscuité que cela implique. Nous partageons tout, de la nourriture aux téléphones, en passant par notre lit et nos fringues. Peu d’intimité qui tienne, qu’elle soit physique ou intellectuelle.
La vie dans les arbres assiégés, c’est aussi un confort très limité. D’un côté, une plateforme de 1,20 m x 2 m surmontée d’une bâche, et de l’autre, une cabane grinçante d’environ 10 m2, hétéroclite à notre image, ce qui fait sûrement notre meilleur atout. Le vent rentre entre les planches et les jointures des bâches et fait grincer les branches de ces noyers dont on ne nous a que trop répété qu’elles sont cassantes. La pluie ruisselle parfois à l’intérieur. Des branches ou n’importe quel endroit de la cabane servent par moments de salle de bain ou de toilettes. Nous sommes sans cesse confrontées à la gravité, quand nous nous déplaçons à au moins 8 mètres du sol ou lorsque nous devons accrocher nos affaires, sous peine de les voir finir entre les mains des keufs.
Nos réserves alimentaires sont faibles : nous mangeons chacune entre 200 et 300 kcal par repas depuis le cinquième jour de l’évacuation, le début du siège, et, au 18e jour, nos ressources sont épuisées, à quelques poignées de raisins secs, d’amandes et de noix près. Vivre dans ces conditions est éprouvant et nous demande de la résilience. Nous devons être vigilantes en permanence, ingénieuses, fortes et agiles. Loin des symboles capitalistes de féminité, nous faisons corps avec ces arbres qui sont le dernier rempart physique à l’autoroute.
Dans les arbres, le quotidien est frugal. Nous nous rationnons car nous avons peu de nourriture restante (jusqu’au jour 19 où nous subissons un jeûne forcé), nous avons peu de distractions, isolées de tout, la communication en ligne est extrêmement réduite par les limites de nos batteries solaires, et nous n’entendons pas très bien nos ami·es au sol qui ont été éloigné·es par les FDO [5] . Nous sommes donc par défaut connectées surtout à nos corps, à nos pensées et à l’arbre qui nous héberge. Chaque jour nous nous mouvons dans la structure unique de cet être vivant, nous observons les mésanges et les insectes qui viennent se nourrir de brou de noix et nous nous dépassons pour accéder aux fines branches où se logent les dernières noix, nos derniers vivres.
Nous ne sommes maintenant plus que 5 femmes dans les arbres entourées majoritairement d’hommes. En effet, au pied des arbres, un ballet majoritairement masculin prend place. Entre les gendarmes et autres CRS, le personnel d’NGE et les vigiles, la plupart sont des hommes cisgenres qui nous observent depuis cette lor-gnette, oscillant entre paternalisme méprisant, franches insultes et regards lubriques.
« Vous êtes manipulées par vos camarades, regardez comme eux mangent bien et dorment au chaud » - pensée pour celleux qui dorment depuis 15 jours sous une bâche dans le champ d’à côté.
« Vous voulez descendre ? » – au minimum 4 fois par jour.
« Sales chiennes »
« J’espère qu’elles aiment les feux d’artifice »
« C’est pas bien joli » - à propos d’une camarade faisant pipi depuis son baudrier.
Et les dialogues entre eux ne sont pas plus respectueux.
Au sol parmi les copaines, il y a aussi des mecs cis. Mais la parité est plus présente que chez les bleus ou les oranges, les voix plus bienveillantes. Les copaines au sol ont des yeux inquiets braqués sur nous, écureuilles, depuis plus de 2 semaines, tout en continuant à réfléchir à une suite, et en vivant dans un confort pas beaucoup plus enviable que le nôtre. Chaque jour, iels tentent de nous transmettre de l’énergie, parfois au sens propre avec des bolas [6] ou des négociations, parfois au figuré avec de la musique, des spectacles ou simplement par leur présence et les « Bon matin » qui fusent. Et si tout n’est pas parfait, ce collectif que nous formons donne espoir en une société plus égalitaire.
NOS REVENDICATIONS
Il y a celles qu’on donne aux keufs comme conditions pour descendre, qui se veulent audibles et atteignables :
– Arrêt complet des travaux jusqu’au jugement des recours sur le fond.
– Arrêt des poursuites de tous·tes les militant·es dans le cadre de la lutte contre l’A69 et dédommagement pour celleux ayant déjà été condamné·es.
– Moratoire sur tous les grands projets inutiles destructeurs du vivant et de l’environnement.
Et il y a celles qu’on porte nous, collectivement ou individuellement, qui sont plus diverses, mais qui impliquent l’abolition des systèmes en place pour permettre de faire société de manière écologique, transféministe, juste et humaine.
Et celles que notre seule présence ici affirme :
Être ici, c’est être en danger physique, mais aussi (surtout) être protégées de l’A69, de l’artificialisation. Être à l’abri de la société patriarcale et capitaliste et l’empêcher d’avancer.
Être ici, c’est être en danger psychique, d’isolement et d’insécurité, mais aussi (surtout) d’être protégées de l’éco-anxiété par une action concrète. Se confronter aujourd’hui à des choses pouvant arriver avec le changement climatique, pour donner de l’espoir pour plus tard.
Être ici c’est rendre visible la violence du monde patriarcal.
PAGE DES CRÉDITS
Si tu cherches des informations sur le contexte et les enjeux de cette lutte, le collectif La Voie Est Libre propose de la documentation sur son site levl.fr ; l’instagram d’Extinction Rebellion Toulouse @xr_toulouse suit de près les actualités de la lutte contre l’A69 ; et le compte instagram @zad_a69 permet
de retracer tout ce qui a pu se passer sur la Zad et de se
tenir informé·e des évènements et des suites juridiques.
Dessins d’une grimpante déter
Paroles des chansons de Paloma
Textes des cinq dernières écureuilles du Verger
Design et mot d’introduction par fib
Relecture par Isa
Merci à Denis pour son soutien technique et le façonnage
Typo : Uncut Plan8 par Kasper Nordkvist
Imprimé à Lyon en hiver 2024 - 2025
La vente de ce zine permet de récolter des dons pour la cagnotte de solidarité face aux nombreux procès des militant·es anti-A69.
Pour avoir accès à la BD et lire la suite de ce texte, aller sur le pdf en version lecture en ligne :
[1] NGE – Nouvelles générations d’entrepreneurs – est le groupe BTP qui a créé la société ATOSCA, en charge de la concession de l’A69. Leurs vigiles ont à répétition menacé et attaqué les militant·es anti-A69.
[2] La CNAMO – Cellule nationale d’appui à la mobilité – est une unité de police ’spécialisée‘ dans les décrochages complexes de manifestant·es en hauteur ou au sol ; elle est responsable d’accidents graves où certain·es activistes ont frôlé la mort, contre l’A69 ainsi que sur d’autres Zads et mobilisations.
[3] Les écureuil·les sont des militant·es qui occupent un arbre pour bloquer l’avancée d’un projet destructeur de l’environnement.
[4] Noguerre est le nom d’un des noyers assiégés, qui fait référence à noguièr, mot occitan pour noyer, mêlé au message clair no guerre. Le deuxième noyer s’appelle Zineb, en souvenir de Zineb Redouane, tuée par la police lors d’une manifestation par une grenade lacrymogène lancée dans son appartement au 4e étage.
[5] Les FDO sont les Forces de l’ordre.
[6] Les bolas sont de petites quan-tités de nourriture scotchées en boule et attachées à une ficelle, envoyées dans les arbres pour ravi-tailler les écureuil·les assiégé·es.
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