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La mixité choisie sans hommes cis à l’atelier vélo

mis en ligne le 15 décembre 2025 - BQÀM-E

La mixité choisie à l’atelier vélo

BQÀM-E est l’atelier de vélo communautaire de l’UQÀM (l’Université du Québec à Montréal).

L’activité principale de l’organisme est d’offrir un espace d’atelier pour que les gens (étudiant-es de l’UQÀM ou pas) puissent venir réparer leur vélo avec l’aide des bénévoles mécanos sur place.

Les mardis de 16 à 20 heures, l’atelier est ouvert en mixité choisie sans hommes cis.

Zine rédigé en 2024

La mixité choisie sans hommes cis à BQÀM-E... Pourquoi ?

À BQAM-E, même si on fait plein d’efforts pour que toutes les journées d’atelier soient accueillantes pour tout le monde, il reste que dans la pratique, ce n’est pas toujours le cas. Les cas où une personne ne respecte pas les connaissances d’une autre ou où une personne se fait cruiser de manière lourde dans l’atelier, ça arrive. Et dans ces cas-là, la plupart du temps, ces comportements nuisibles viennent de la part d’hommes cisgenres [1], et sont dirigés vers les personnes ayant une apparence plus féminine. Alors pour donner un break à ces personnes-là, pour leur donner un espace où elles savent que cette situation désagréable n’arrive pas, on a créé BQAM-E en mixité choisie sans hommes cis.

C’est sûr que dans un monde idéal, on aurait pas besoin de cet espace où on exclue les hommes cis, mais dans un monde idéal, les hommes cis ne grandiraient pas dans une société qui leur montre à dévaloriser les connaissances des femmes et des personnes queer [2], à devoir ’se prouver’ envers iels [3], à devoir faire les choses à leur place (surtout les choses manuelles). Sans parler du fait que socialement, c’est normalisé pour les hommes de pouvoir exprimer leur désir pour les personnes à l’apparence féminine (par exemple, en commentant leur apparence ou en les cruisant (*cruiser : draguer, séduire, flirter) dans des contextes qui s’y prêtent pas), et que ça devient lourd à porter pour ces personnes-là.

Je brosse à gros traits, c’est des tendances, ça veut pas dire que ça s’applique à tout le monde, mais pour avoir plus de 6 ans de bénévolat dans l’atelier en périodes mixtes, ces tendances se retrouvent effectivement dans des comportements.

Depuis quelques années, on essaie fort d’améliorer la situation, en incluant ces questions dans la formation que l’on donne aux bénévoles, en encourageant la communication directe (se le dire quand quelque chose ne va pas), en mettant sur pied un système de ’plaintes’ où les personnes qui fréquentent l’atelier peuvent nous donner de la rétroaction par rapport à leurs expériences, etc. Mais changer une culture c’est long, et c’est pas un processus linéaire.

Surtout que BQAM-E n’est pas un vase clos. L’atelier est ouvert à tout le monde, et ça vaut aussi pour devenir bénévole (le processus est rapide et il n’y a pas de processus de sélection). Alors c’est sûr qu’étant dans une société avec tous les défauts qu’on a énumérés plus tôt, il y a des gens qui n’ont pas remis en question ces choses-là qui fréquentent l’atelier et/ou deviennent bénévoles, et ça peut mener à des actes plates de leur part. Même si dans la grande majorité des cas, les périodes en mixité se passent bien, même pour les personnes qui ne sont pas des hommes cis, le problème c’est que quand des ’actes plates’ arrivent, ils sont, la plupart du temps, commis par un groupe défini de personnes (les hommes cis) envers un autre groupe de personnes (les femmes ou les personnes d’apparence plus féminine).

On veut que BQAM-E soit un lieu où les gens peuvent apprendre à ne plus reproduire ces comportements poches, mais on ne veut pas que ça soit fait toujours au détriment des mêmes personnes, d’où l’idée de créer une soirée où les hommes cis sont exclus pour que les autres aient un espace plus agréable.

Pour certaines personnes (même pour certain-es bénévoles), c’est ce qui leur permet de revenir à l’atelier après avoir vécu des moments difficiles dans l’atelier en mixité, dans un magasin de vélo ou juste dans le milieu cycliste ou celui de la mécanique en général. Pour certain-es autres, c’est ce qui leur permet de venir une première fois essayer de faire de la mécanique vélo, en sachant qu’il y a pas un homme qui va leur enlever les outils des mains.

Un truc que l’on s’est déjà fait dire :

« Hey ! mais je vois un homme dans l’atelier alors que c’est supposé être en mixité choisie sans hommes cis ! Qu’est-ce qu’il fait là, lui ? »

Sans doute que la personne que tu vois a une présentation de genre (une apparence) pas ou peu féminine (ex : de la barbe). Ça veut pas dire que cette personne est un homme cis. Ça peut être une personne trans masculine (personne femme devenue un homme), une personne non binaire [4], ou plein d’autres possibilités ! On essaie de ne pas assumer le genre des personnes selon leur apparence, on respecte leur capacité à décider quel genre leur convient.

Petite histoire (très vite) résumée de la pratique de mixité choisie

  • Le fait de se regrouper entre personnes d’un groupe discriminé est une pratique qui date ! Difficile de déterminer une date précise, mais plusieurs recensent des exemples de ce type de pratique, alors réalisée « entre femmes », dès la Révolution française (Voir l’article de Fanny Gallot et Alban Jacquemart dans les références à la fin).
    • C’est plus récemment, dans les années 60 et 70, que cette pratique s’est présentée davantage explicitement comme un outil politique, notamment dans les mouvements féministes et les mouvements antiracistes. Les regroupements de « non-mixité » ont alors émergé souvent en réponse au fait que certaines luttes étaient jugées « secondaires », ou moins importantes, qu’un combat dit « principal ». Par exemple, les femmes étatsuniennes afro-descendantes [5] ont observé, à l’époque des luttes pour les droits civiques, que leur réalité était traitée comme secondaire autant dans les luttes féministes que dans les luttes antiracistes : elles ont donc créé leurs propres collectifs et organisations. La Combahee River Collective, organisation féministe lesbienne noire, en en un exemple marquant.
    • Les objectifs de cette pratique sont :
      • Ça favorise la prise de parole et la participation des personnes, dont l’appartenance à un groupe, et/ou leur apparence, tend à minimiser l’écoute qu’on leur porte
      • Ça permet un lieu d’échange, une prise de conscience de réalités communes pour ces personnes (exemple : ok, je ne suis pas seul.e à me sentir comme ça dans telle situation !)
      • Ça favorise « l’autonomisation » de ces personnes : en s’organisant déjà entre elles pour cette activité ou cet espace, elles peuvent créer les bases d’une organisation qui peut induire des changements politiques pour améliorer leur situation
      • Ça participe (bien que de façon imparfaite) à ce que ces personnes, exposées davantage à de l’infériorisation, du mépris, de la violence, de la part des groupes dominants, se sentent davantage en sécurité (idée de « safe-space »)
      • Comme le montrent ces éléments, ce n’est pas nécessairement une fin en soi, c’est généralement un outil parmi d’autres afin d’offrir des espaces accueillants et qui favorisent la transformation sociale.
  • Aujourd’hui, l’idée de se réunir, ou de se réserver un espace, entre personnes d’un groupe discriminé prend diverses formes : collectifs militants, comités syndicaux, comités étudiants, activités communautaires ou de quartier… On retrouve même des récupérations commerciales de cette idée (ex. : gyms « pour femmes ») !
  • « Non-mixité » ou « mixité choisie » ?
    • La « non-mixité » fait référence à des pratiques d’organisation entre personnes partageant une oppression commune, sans les membres du ou des groupes dominants. C’est ce qui a été historiquement utilisé par les mouvements féministes (entre femmes, donc sans hommes) & antiracistes (entre personnes de couleur, donc sans personnes blanches), mais aussi plusieurs autres !
    • La « mixité choisie » fait référence à des pratiques plus récentes, notamment dans les milieux féministes et queers, qui veulent inclure les réalités des personnes trans et non-binaires. L’idée de « mixité choisie », bien qu’elle vienne des pratiques de « non-mixité », est née de sa critique. Bref, cela vise à souligner que « des espaces sans hommes cis peuvent être mixtes, c’est-à-dire composés de personnes ayant diverses expériences liées au genre. » (Voir l’article de Gustave dans les références)
  • Au-delà de tout cet héritage historique et politique, la pratique de mixité choisie découle souvent de besoins ou de problèmes concrets. Ici, à BQAM-E, on a abordé la question avec plusieurs usagères et usagers qui venaient à cette plage horaire, et voici quelques-unes de leurs réponses !
    • C’est moins intimidant, surtout pour s’initier à la mécanique
    • C’est plus facile de m’intégrer
    • Je me sens plus écouté.e et ça évite le « mansplaining [6] »
    • Pour s’améliorer et apprendre, c’est plus sécurisant, car j’ai l’impression qu’il y a moins de jugement
    • J’ai eu de mauvaises expériences passées avec des hommes cis dans les milieux cyclistes
    • En ce moment, je ne viendrais pas à BQAM-E sinon
    • Et aussi : ça adonne dans mon horaire !

Références :

Gustave. (2024). « Sur conduire un tracteur avec ses chums de fille, ou la mixité choisie : comment, pourquoi, vers quoi ? ». Première Ligne. https://premiereligne.info/sur-conduire-un-tracteur-avec-ses-chums-de-fille-ou-la-mixite-choisie-comment-pourquoi-vers-quoi/#_ftnref1

Stéphanie Mayer. (2014). « Pour une non-mixité entre féministes ». Revue Possibles. 38 (1). 97-110. https://revuepossibles.ojs.umontreal.ca/index.php/revuepossibles/article/view/502/520

Fanny Gallot et Alban Jacquemart. (2023). « Quelles pratiques féministes de la non-mixité ? ». Travail, genre et sociétés. 49. 161-164. https://shs.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2023-1-page-161?lang=fr

[1Un ’homme cisgenre’ (ou ’homme cis’) c’est quelqu’un qui a grandi comme un homme et qui s’identifie encore avec ce genre-là, par opposition à une personne trans, qui a changé de genre au cours de sa vie (Ex : une personne née homme qui décide de devenir une femme, ce n’est pas une personne cis, c’est une personne trans.)

[2Une ’personne queer’ est une personne qui se distingue de la norme homme/femme hétéro, soit par son apparence (ex : avoir une apparence qui emprunte aux deux genres à la fois, ou juste qui s’éloigne des deux) ou de son orientation sexuelle (pas hétéro).

[3’iel’ et ’iels’ sont des nouveaux pronoms, créés pour avoir une manière d’inclure les femmes, les hommes et les personnes queer dans un même mot.

[4Une personne non binaire, c’est une personne qui ne se définit ni comme homme ni comme femme, donc qui fait le choix d’abandonner le genre dans lequel elle a été élevée pour quelque chose qui se trouve en dehors de cette dualité homme/femme. Cette personne n’a pas nécessairement l’air ’androgyne’, elle peut avoir l’air ’vraiment d’une femme’ ou ’vraiment d’un homme’. Le genre, ce n’est pas juste notre apparence, mais ça peut inclure aussi la manière dont on se comporte dans le monde, les rôles que l’on se donne, la façon dont on entre en relation avec les autres, etc.

[5Une personne afro-descendante est issue de parents ou d’ancêtres d’origine africaine.

[6Mansplaining : Wikipédia : Le mansplaining (de l’anglais « man », homme, et « explaining », explication) est un concept féministe né dans les années 2010 qui désigne une situation dans laquelle un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte, souvent sur un ton paternaliste ou condescendant.


Vous pouvez contacter les créateurices de ce zine par email au pissenlitjaune [at] protonmail.com



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