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Je ne veux plus agresser, je fais comment ?
Des pistes pour changer (tout simplement)

mis en ligne le 20 décembre 2025 - a·lys Hérisson

Introduction

Mes intentions

Cette brochure est là pour aider les personnes qui ont dépassé les limites d’autre(s) personne(s) à ne plus le faire. Elle s’adresse à des gens volontaires et qui, sans forcément avoir tout saisi, savent qu’iels n’ont pas agi en accord avec leurs valeurs et/ou celles d’autres personnes.

Tout d’abord, à toi qui lis cette brochure parce que as dépassé les limites d’autres personnes : tu n’es pas un monstre. Tu es un être humain, qui commet des erreurs, qui peut-être a fait preuve de violence(s), qui a fait « de la merde ». On n’est pas défini·e par ce qu’on fait ; ou alors si tu crois que si : je t’en prie, prends aussi en compte tout le reste de tes actes, les beaux comme les laids. Tu es une personne complexe, tu as de la valeur juste parce que tu existes et tu as le droit de voir ta dignitié et ton intégrité préservées.

Je parle volontairement de « dépassement de limites » (contrairement au titre raccoleur de la brochure). Ça recouvre plein de réalités différentes : agression, viol, violences physiques, psychologiques… mais aussi ce qu’on appelle les « zones grises » du consentement et les dépassements de limites involontaires voire accidentels.

On dépasse quotidiennement les limites des autres. Dur de l’éviter quand on interragit avec d’autres personnes : on ne lit pas dans les pensées, on ne peut pas porter une attention aigüe à tout le monde H24, on a ses propres besoins, etc. Et d’ailleurs, on dépasse aussi soit même régulièrement ses propres limites (on y reviendra).

Dans cette brochure, je m’intéresse aux dépassements de limites qu’on est vraiment mal-à-l’aise d’avoir faits ; ou qui se répètent, que ça soit avec la même personne ou des personnes différentes ; ou qui ont eu des conséquences graves sur d’autres ; ou encore qui nous questionnent, qu’on n’arrive pas à s’enlever de la tête, qu’on ne comprend pas. Bref : les dépassements de limites qui nous posent problèmes ou questions.

Volontairement, je ne liste pas de faits précis ici, comme par exemple les agressions sexuelles ou la manipulation, ou d’autres. Je crois que, dans le travail introspectif que cette brochure invite à faire, ce n’est pas toujours nécessaire de savoir catégoriser avec précision les actes qu’on a faits. Notamment parce qu’on peut être en désaccord avec la personne lésée sur comment nommer ce qui a eu lieu, et cette « discussion » peut se mettre à prendre toute la place, au détriment du travail de compréhension, de réparations éventuelles et de changement.

Le plus important est de savoir que ce qu’on a fait était en désaccord avec ce qui est important pour nous – parce que ça a fait du mal à d’autres à qui on tient, parce que ça ne correspond pas à l’image qu’on a de soi, parce que ça va à l’encontre de ce que l’on souhaite pour ce monde, pour nos relations, etc. – et qu’on ne veut plus que ça se reproduise.

Attention, je ne dis pas que ce n’est jamais important de nommer les faits. En particulier vis-à-vis des personnes dont on a dépassé les limites : ça peut vraiment les aider à se réparer si nécessaire.

Mais du coup, je précise que cette brochure ne parle pas de comment se comporter envers les personnes qui nous disent avoir dépassé leurs limites. Il y a d’autres textes qui existent sur le sujet et que je liste dans la biblio, dans la partie « Agir face aux violences ». Même si tafer sur soi pour que ça ne se reproduise plus est souvent considéré comme faisant partie du travail de responsabilisation et de réparation qu’on peut nous demander, je préfère le penser ici à partir de nos motivations propres, et pas seulement en réponse à la demande d’autres personnes (voir la sous-partie « Changer pour soi, par seulement pour les autres », dans la partie « Trouver des ressources pour changer »).

Des critiques qu’on pourrait faire

Cette brochure sera sûrement perçue par certain·es comme « psychologisante », c’est-à-dire expliquant les actes des gens par leur psychologie, plutôt que par des faits sociaux. Je crois que les deux coexistent : notre psychologie découle, entre autres, du/des système(s) social(aux) dont nous faisons partie. La lutte contre les systèmes oppressifs fait partie des axes permettant un changement social. Mais ce n’est pas le seul. Malheureusement, bien souvent dans les milieux de luttes d’extrême gauche, l’aspect individuel du changement et spécifiquement le soin sont méprisés et mis de côté. Sur le sujet, je conseille l’article « La gauche a besoin de maturité émotionnelle » (de Leïla et Clément, sur le site medium.com). Je crois que les deux vont de paire. D’ailleurs, dans les outils de changement individuel, je nomme entre autres l’éducation politique (voir « Se former politiquement », dans « Trouver les outils qui nous conviennent »).

On critiquera peut-être aussi le fait que je ne m’adresse pas seulement à des hommes cis, en tant qu’acteurs dominants du patriarcat. L’absence d’une culture positive du consentement nous amène malheureusement à être toustes potentiellement auteur·es de violences. Et on dépasse toustes régulièrement des limites d’autres gens (ça, c’est une conséquence inévitable du lien social). La manière et les raisons pour lesquelles on fait preuve de violence dépend, certes, de là où on se situe par rapport aux classes de sexe, définies en tant que classe sociale (avec la classe dominante des « hommes » exploitant la classe opprimée des « femmes »). Cela fait donc partie des éléments à prendre en compte quand on cherche à comprendre les violences qu’on a commises et à comment ne pas les reproduire. Mais ce ne sont pas les seuls, je détaille tout ça dans la partie « Comprendre nos actes ».

Enfin, ça peut être très crispant que je mette mon focus exclusivement sur les personnes autrices de violences, sur leurs besoins, leurs émotions, leurs difficultés, etc. Je l’entends. Si ça te rebute, ou si en fait ce n’est pas ce que tu recherchais en ouvrant cette brochure, ne te force pas à la lire. Je mets en biblio quelques autres textes, plus centrés sur l’accompagnement de personnes victimes de violences.

Si tu as des critiques à me formuler, celles-là ou d’autres, je t’invite à m’écrire un mail avant toute chose : herisson@poivron.org. S’il te plait, évite le clash public, ça permet rarement des échanges et changements constructifs. Pour vrai, je pense pas avoir tout compris et j’adore réfléchir avec d’autres à tout ça, alors écris moi !

Qui je suis ?

Voici les trucs qui peuvent être utiles à savoir sur moi pour lire ce texte.

Je suis un militant féministe matérialiste et queer, anarchiste, et je défends une approche non-punitive des processus de justice, qu’ils soient communautaires ou institutionnels. Je crois que pour lutter efficacement contre les violences systémiques et, humblement, changer ce monde, il faut que les personnes qui ont commis des violences puissent être accompagnées à faire mieux à l’avenir. Je crois que ça ne peut se faire que si on respecte tout au long du processus leur intégrité et leur dignité.

Je suis aussi une victime/survivante de violences conjugales. J’ai de plus moi-même dépassé des limites et agressé d’autres personnes. Et certain·es de mes proches sont auteur·ices de violences, dont des viols.

Je me définis comme soignante. Je me suis formée à l’accompagnement en santé mentale, à la fois dans des contextes institutionnels, militants et en autonomie.
J’ai plongé dans les thématiques de lutte contre les violences intimes depuis 2016, en me retrouvant impliqué plus ou moins volontairement dans des processus de « justice communautaire » au sein de milieux de la gauche radicale. Depuis début 2024 (donc depuis pas très longtemps avant l’écriture de cette brochure), j’accompagne de manière formelle des personnes autrices, ou supposées autrices, de violences interpersonnelles, essentiellement pour des faits de violences sexuelles et intimes/conjugales (mais pas seulement). Ces personnes sont de tous genres et orientations sexuelles, et ont toutes une culture féministe.

Pour en savoir plus, les documents présentant mon cadre de travail sont disponibles sur demande par mail.

Le contenu de cette brochure est directement issu de ma pratique d’accompagnement. En gros, j’essaie de formaliser par écrit comment je travaille, pour que d’autres personnes puissent s’en saisir en autonomie. C’est nourri par plein d’apports extérieurs (voir notamment les remerciements à la fin de la brochure), mais ça reste ma propre approche. Elle va très probablement continuer à changer au fil du temps.

Comment lire cette brochure

Une première question qui se pose, c’est : quel est le bon moment pour se saisir de cette brochure ? Les réponses vont varier selon les gens. Fais confiance à ton intuition là-dessus. Pour certaines personnes c’est impensable de commencer à « bosser sur soi » alors qu’on est encore en plein dans une période de crise (par exemple parce que les accusations sont récentes). Au contraire, pour d’autres le choc de la prise de conscience est un bon moteur pour venir remettre en question ses préjugés et ses fonctionnements. Dans tous les cas, je t’invite à trouver une forme de stabilité avant de te lancer trop à fond dans la remise en question, car c’est souvent éprouvant. Ne vas pas te mettre en danger. J’en parle dans la première partie : « Trouver les ressources pour changer ».

Aussi, les processus ne sont pas linéaires : selon les gens et les situations, des axes semblent plus prioritaires que d’autres ; y’a des trucs qu’on fait en parallèle ; d’autres sur lesquels on peut avoir l’impression de « reculer » à des moments ; parfois on se sent découragé·e, on n’a plus l’énergie, on ne voit plus l’intérêt de faire ce travail ; et, heureusement, à d’autres moments ça met plein de joie dans notre vie, de se voir s’améliorer et de constater comment ça enrichit notre lien aux autres et au monde.

Ce texte est long. Alors j’ai essayé de faire en sorte que chaque partie puisse se lire séparément des autres, avec des redondances selon ce qui me semblait nécessaire, et en pointant les endroits où certaines parties se répondent. Je fais aussi référence à des contenus extérieurs, qui sont listés avec plus de précisions dans la bibliographie.

Bien sûr, y’a aussi moyen de tout lire dans l’ordre, hein.

Trouver les ressources pour changer

Avant tout : prendre soin de soi

Quelle que soit la situation pour toi au moment où tu lis la brochure, je t’invite à ne pas perdre de vue l’importance de te préserver et de prendre soin de toi. Peut-être que tu ressens de la honte et de la culpabilité. Cela ne doit pas être une raison pour te négliger, pour souffrir afin « d’expier tes fautes ». Il y a d’autres manières d’accueillir ces émotions, on en parlera juste après. C’est très difficile de changer si on ne dort pas assez, si on est isolé·e, si on n’a rien dans notre vie qui nous procure plaisir et joie… Si tu sais déjà ce qui te fait du bien dans la vie et/ou dans les moments difficiles : go ! Si par contre tu as du mal à identifier comment prendre soin de toi, tu trouveras dans la biblio et en annexe quelques outils qui peuvent t’y aider, dans la partie « Prendre soin de soi ». N’hésite pas non plus à demander de l’aide, que ça soit de proches ou de gens formé·es pour ça. Il y a des pistes dans la dernière partie « Trouver les outils qui nous conviennent ».

Les ressources, ce sont les éléments de notre vie sur lesquelles on peut s’appuyer, à la fois internes (courage, capacité à gérer son stress, à se remettre en question, optimisme…) et externes (personnes qui nous entourent, soins, argent, lieu de vie…). Les ressources peuvent nous aider de deux manières :

Le maillage au quotidien

C’est tout ce qu’on met en place dans sa vie pour acquérir de la souplesse et de la force, afin d’être moins vulnérable en cas de crise : nouer et entretenir des relations épanouissantes ; vivre dans un environnement où on se sent bien ; faire des activités qui nous font sens ; avoir un rythme de vie qui marche pour nous ; bouger…

Tu trouveras plus d’infos là dessus dans la brochure « Se soutenir en période de stress intense ou après un événement choquant ».

On peut être plus ou moins limité·es là dessus : les populations les plus discriminées/marginalisées sont à la fois celles qui sont les plus exposées aux difficultés de la vie (violences, galère d’accès à l’emploi…), mais aussi les plus vulnérables quand ça arrive (ça a des conséquences plus grave que sur des personnes plus favorisées).

En situation de crise

Il y a aussi des outils qui aident à traverser les situations de crise, qu’elles soient courtent ou qu’elles durent dans le temps. Je ne vais en citer que deux, mais il en existe plein.

• Le mode d’emploi en cas de crise

L’idée c’est de détailler à quoi ça ressemble quand on va vraiment pas bien (crise d’angoisse, période dépressive, déréalisation, dissociation, manie… ou tout autre manière que tu as de nommer ce qu’est une crise pour toi). On écrit ensuite les différentes manières dont les autres peuvent nous aider dans ces situations là (tenir compagnie, éviter ou non le contact physique, poser des questions, se taire, faire un chocolat chaud, rappeler d’aller prendre une douche…). Enfin, on transmet ce document aux personnes qui nous entourent et qui sont d’accord pour nous aider en cas de crise.

• La trousse de secours émotionnel

C’est une trousse, un petit sac, un porte-feuille… que tu peux emmener facilement avec toi. Dedans, tu y mets des choses qui te font du bien, et auxquelles tu peux facilement accéder quand tu sens que ça va pas : une image qui te rappelle de bons souvenir, un flacon d’huille essentielle qui t’appaise, une liste de choses (très) faciles à faire qui te font du bien, etc.

Apprivoiser ses émotions douloureuses

Les personnes qui ont dépassé les limites d’autres gens ressentent souvent de la colère, de la culpabilité et de la honte (entre autres). Toutes ces émotions ont le droit d’exister… et de toute façon, elles sont déjà là ! Alors autant voir comment faire au mieux avec.

Le premier pas à faire face à ces émotions, c’est de les reconnaître et de les accueillir avec compassion. Elles sont légitimes. Elles sont en premier lieu des alliées, nous éclairant sur nos liens avec le monde. Bien souvent, c’est lutter contre elles qui les fait devenir un poids. Alors qu’en les apprivoisant, on s’aperçoit qu’on peut coexister avec elles tout en avançant vers nos objectifs de changement ; et qu’en travaillant à s’aligner avec nos valeurs, elles s’amenuisent petit à petit, voire même disparaissent. On peut faire ce travail seul·e, ou avec l’aide de thérapeutes. Je détaille tout ça dans la dernière partie « Trouver les outils qui nous conviennent », en particulier « outils à faire solo (ou avec de l’aide) » : « Identifier ses valeurs ».

À noter que pour certaines personnes ça peut très difficile d’avoir accès et d’identifier leurs émotions (ainsi que celles des autres) et donc encore plus difficile dans la foulée de trouver comment agir de manière adaptée depuis leurs émotions. J’en parle un peu plus loin dans cette partie.

On peut aborder les émotions comme des indices que nous nous donnons à nous-même, pour décrypter ce qui est en train de se jouer. Ce sont de supers alliées, et elles ont aussi leurs limites voire leurs risques.

La colère

• Ça dit quoi ?

La colère indique un sentiment d’injustice, envers soi ou d’autres ; ici, plutôt envers soi. On peut avoir la sensation d’avoir été laisé·e, incompris·e, injustement accusé·e et/ou injustement puni·e (à mon sens, toute punition est injuste, mais tout le monde n’est pas d’accord avec ça). Et c’est compréhensible de ressentir de la colère : parfois on n’est pas d’accord avec tout ce qui nous est repproché (à tort ou a raison ; voire partie sur la culpabilité) ; parfois les réactions des personnes qu’on a blessées et de leur entourage paraissent disproportionnées (à tort ou a raison) ; parfois aussi on ressent que les accusations de violences viennent nier les propres agressions et/ou souffrances qu’on a pu / qu’on peut vivre.

Lorsqu’on vit une situation comme injuste, cela peut aussi vouloir dire que certains de nos droits fondamentaux sont remis en question : droit à la dignité, à une vie sociale épanouie, à des conditions matérielles d’existence décentes, etc.

• Je fais quoi ?

C’est important lorsqu’on est en colère de chercher pourquoi elle est là, au-delà du sentiment d’injustice. C’est très utile d’identifier les endroits précis où on se sent lésé·es car ce sont souvent des trucs très concrets et on peut donc agir dessus : est-ce que tu trouves que ce qui t’est reproché est (partiellement) faux ? Est-ce que la manière dont on s’est comporté avec toi après une dénonciation te semble injuste voire violent ? Est-ce que tu as l’impression qu’en t’accusant de violences on vient invisibiliser/nier des violences dont tu as pu être toi-même victime ? Y a-t-il une menace sur tes droits fondamentaux ?

Une fois que tu as identifié les endroits d’injustice perçue, tu peux te demander lesquels te semblent en effet légitimes à défendre et lesquels sont plutôt l’expression d’un mécanisme de protection excessif et donc généralisant et souvent déresponsabilisant. C’est un travail d’introspection qui implique d’arriver à prendre un peu de distance avec notre colère. Trouver un cadre sécurisant peut aider à abaisser nos barrières pour faciliter le processus. C’est ce que je détaille dans la partie « Avant tout : prendre soin de soi ».
Une fois que tu as identifié les espaces où tu te sens légitimement lésé·e, la question suivante serait : comment puis-je les préserver, tout en agissant en accord avec mes valeurs ? Je détaille un peu plus dans la partie sur les outils (« À faire solo (ou avec de l’aide) »). La question des valeurs est essentielle : tout l’enjeu dans ce processus est de ne pas reproduire de violences avec lesquelles tu serais en désaccord. Et cela commence dès maintenant, au présent, dans la manière dont tu te comportes avec les autres et donc, aussi, dans la manière dont tu cherches à préserver ce qui est important pour toi.

Par exemple, tu peux trouver que c’est abusé de demander à tes potes de ne plus te parler et poser ça clairement dans tes échanges avec les personnes qui portent ces exigences. Par contre, même si tu n’es pas d’accord avec tout ce dont on t’accuse, peut-être que ce n’est pas le moment d’entrer dans un conflit pour donner « ta version des faits » et que ça peut attendre que tu y voies toi même plus clair. Car, comme je l’ai dit plus haut, tant que la colère n’est pas un minimum apaisée, on peut avoir tendance à manquer de nuance dans notre lecture des faits, passés comme présents. C’est rarement une bonne idée d’agir sous le coup de la colère. Le timing est un élément clef dans les processus de réparation/responsabilisation.

Pour les trucs sur lesquels tu ressens le besoin de poser tes limites, typiquement pour protéger certains droits fondamentaux cités plus haut, il y a des outils qui existent. Tu peux en trouver notamment sur le site de Chiche Paillette (voir la biblio).

• Points d’attention

La colère peut être bloquante : elle rend compliqué le fait d’assumer ce qu’on a fait et donc de travailler dessus. Nos mécanismes de défenses nous amènent le plus souvent à chercher à protéger notre intégrité avant toute chose. Si on se sent cible d’une injustice, c’est donc ça qui va primer, avec les conséquences qu’on a vues plus haut. Dans la même logique, ressentir de la colère amoindrit beaucoup nos capacités d’empathie. Et c’est dur d’être dans un lien juste avec les personnes qu’on a lésées, sans empathie fonctionnelle.

Être pris·e par la colère, avoir l’impression d’être traité·e de manière injuste sans prendre de recul sur la situation, ça augmente considérablement les risques de commettre des violences. C’est ce dont je parle dans les trois dernières sous-parties de la partie « Comprendre nos actes ».

La culpabilité

• Ça dit quoi ?

La culpabilité sert de boussole pour nous indiquer que l’on a fait « quelque chose de mal ». Elle renvoie à des actes précis. La subtilité avec la culpabilité, c’est que le référentiel moral peut être interne comme externe. Pour le dire plus simplement, on peut se sentir coupable pour des faits 1) car ils sont contraires à notre propre système de valeur, et/ou 2) car ils sont contraires au système de valeur de nos groupes d’appartenance (qui eux aussi sont multiples, histoire de simplifier les choses... société, famille, groupes de lutte, de potes, couple, etc.).

• J’en fais quoi ?

Un des premiers taf avec la culpabilité, c’est d’identifier précisément à quel(s) acte(s) elle est liée et, surtout, pourquoi est-ce qu’on considère qu’ils sont « mauvais ». Est-ce en lien avec ce que la société nous apprend ? Avec les normes d’un groupe dont je fais partie ?
Comment est-ce que j’évalue mes actes par rapport à mon propre système de valeurs (voir « Trouver les outils pour changer », la partie sur les outils à faire solo) ? Car si, dans mon référentiel interne, ce que j’ai fait n’est pas si grave, et que je me sens coupable principalement car j’ai enfreint les règles sociales, alors le travail ne sera pas le même que si je suis foncièrement en désaccord avec ce que j’ai fait. Dans ce premier cas (culpabilité d’avoir transgressé des règles extérieures à moi), l’enjeu est alors avant tout de comprendre pourquoi ce que j’ai fait est condamné par d’autres, et ensuite de décider si oui ou non je suis en accord avec cette condamnation morale.

• Points d’attention

Si tu constates que ta culpabilité est finalement liée à des comportements que tu trouves ok mais que d’autres dénoncent ; ou si dès le début, tu ne ressens pas de culpabilité face aux critiques qui te sont faites : prends quand même le temps de comprendre pourquoi ce que tu as fait est condamné par d’autres. Cela implique souvent de se documenter, pour mieux saisir des réalités qui seraient loin de la nôtre. Je donne quelques références dans la biblio, notamment dans « S’éduquer sur les oppressions systémiques ». Cela te permettra peut-être de te rendre compte que, finalement, ce que tu as fait était en effet contraire à tes propres valeurs, même si tu n’en avais pas conscience sur le moment.

Par exemple, tu aurais pu ne pas savoir que pour la personne que tu as lésée, tes actes s’inscrivent dans une continuité d’agressions, liées à un système discriminant (sexisme, racisme, transphobie, classisme, validisme…) et sont donc violents – là où pour des personnes ne vivant pas les mêmes opressions, ça n’aurait pas été le cas. Faute de saisir toute la complexité de ces discriminations, tu n’avais pas conscience de la violence de tes actes. Alors que si avais su ce que ça faisait subir à l’autre, tu n’aurais pas agi comme ça, puisqu’en fait, bah… c’est pas dans tes valeurs de faire du mal à des personnes qui ne t’ont rien fait (par exemple).

La honte

• Ça dit quoi ?

La honte est aussi une boussole morale… mais avec laquelle on se juge nous même, plutôt que nos actes. Et elle est assez déréglée. Quand on se sent honteux·se, c’est qu’on déprécie l’ensemble de qui on est : on serait nul·le, intrinsèquement mauvais·e, cassé·e, impossible à aimer… Elle est souvent associée à des sentiments d’humiliation, d’impuissance et d’indignité. Elle a donc des conséquences assez dures : certitude d’être un « monstre », ruminations (on n’arrête pas de penser à ce qu’on a fait), renfermement sur soi, idées noires, auto-agression... tout ceci pouvant mener à un sentiment d’impuissance et à un immobilisme. On est tellement bloqué·e sur le fait d’être une horrible personne qu’on n’imagine même pas pouvoir sortir de ça.

Précision importante : on peut avoir très honte sans être coupable de quoi que ce soit. Les personnes victimes de violences sous emprise (le plus souvent durant l’enfance, mais aussi lors de violences conjugales) ressentent très souvent de la honte. C’est un outil utilisé par les auteur·es des violences pour maintenir leur emprise. La honte peut rester ancrée même une fois que les violences sont finies. La honte n’est donc PAS une bonne boussole, ni pour juger ses actes, ni pour juger sa propre valeur.

• J’en fais quoi ?

Là où la honte est utile, c’est qu’elle nous pointe l’un des axes importants de travail sur soi : booster l’estime de soi. Déjà, tout simplement parce que tu le mérites ! Tout le monde mérite d’avoir une bonne estime de soi, de trouver qu’on a de la valeur. Ensuite, cela permet de limiter le risque de reproduire des violences : j’explique dans la partie « Comprendre nos actes », sous-partie « Quelles raisons pour avoir agi » comment la détresse augmente fort le risque de commettre des violences. Tout ça, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, j’en ai conscience. C’est là où on peut demander de l’aide, que ça soit de proches (voir les outils collectif dans la dernière partie) ou de professionnels de la santé mentale (outils thérapeutiques).

• Point d’attention

C’est souvent l’une des émotions les plus ancrées en nous, indépendamment des faits. Notamment car elle peut être liée à des choses douloureuses que l’on a vécues par le passé. Elle est donc souvent difficile à faire passer. Dans les premiers temps, il s’agit surtout de réussir à cohabiter avec la honte, sans la laisser être la voix principale en nous. Se rappeler, même si c’est uniquement intellectuellement et pas émotionnellement, que « je suis une belle personne » (ou tout autre phrase qui marche pour toi).

… Et si je ne ressens pas grand-chose ?

Si c’est ton cas, il n’y a que toi qui peut décider si c’est un problème ou non. Y’a pas mal de gens qui ont peu voire pas accès à leurs émotions et y’a plein de raisons différentes à ça. Ce qui est super, c’est que ça n’empêche pas de faire tout le chemin écrit dans cette brochure, en adaptant un peu les stratégies.

Des fois, l’accès aux émotions est compliqué un peu tout le temps, par exemple car on ne nous a pas très bien transmis au début de notre vie ce que sont les émotions, comment elles s’expriment dans notre corps, ce qu’elles racontent… Dans ce cas, on peut focaliser le travail surtout sur des outils cognitifs : comprendre comment on fonctionne, identifier ses valeurs, ses objectifs pour ce travail. Les outils de la TCC sont particulièrement utiles pour ça. J’en parle un peu plus dans les outils thérapeutiques, dans la dernière partie de la brochure.

Ça peut être aussi car ce qu’on est en train de traverser est trop douloureux et que le mécanisme réflexe de protection consiste à se couper de ses émotions, ou en tout cas à les mettre à distance (cetrain·es parlent de dissociation). On peut ne pas s’autoriser à explorer ce qu’on ressent, par peur de ce qu’on peut y trouver : par exemple, peur de la honte, du dégoût qu’on ressentirait envers soi-même. Si c’est le cas, tu peux te tourner vers les TCC. Ou bien les émotions peuvent arriver d’elles-même à un moment. Ou encore tu peux décider d’aller activement à l’exploration car tu penses que c’est nécessaire pour ton travail de responsabilisation et de changement. Il y a dans ce cas quelques précautions à prendre.

Émotions et fenêtre de tolérance

C’est normal que ça soit inconfortable de ressentir des émotions douloureuses. L’enjeu quand on les accueille, c’est de les garder dans ce qu’on appelle notre « fenêtre de tolérance » : c’est le niveau d’intensité émotionnelle qu’on peut traverser sans que cela ne devienne de la détresse. Au dessus de ce niveau, on se fait déborder et tout devient plus compliqué. C’est par exemple le cas quand on ressent plein d’émotions mélangées et intenses.

Il y a un deux mouvements conjoints qui permettent de vivre ses émotions sans saboter le travail sur soi : réguler leur intensité pour qu’elle reste tolérable ; et élargir sa fenêtre tolérance pour avoir plus de capacité émotionnelle et d’action (voir la sous-partie « Avant tout : prendre soin de soi » de la partie « Trouver les ressources pour changer », et « Réguler son stress » de la partie sur les outils la fin).

Je t’invite à faire preuve de compassion et de douceur envers toi-même. Faire ce travail est une bonne manière de prendre soin de ton estime de toi, de préserver une belle image de toi-même. C’est courageux de faire ce que tu fais.

Changer pour soi, pas seulement pour les autres

Dans l’intro, je parle d’agir « à partir de nos motivations propres, et pas seulement en réponse à la demande d’autres personnes ». C’est un point important pour que le travail sur soi soit sincère et pérenne. Si on agit essentiellement sous la contrainte, la peur, la pression sociale ou juste pour répondre aux attentes d’autres gens, on va lâcher le processus quand ces contraintes extérieures se lèveront. Il y a aussi de fortes chances d’être au moins partiellement malhonnête avec soi et les autres, par peur de la punition.

Alors qu’en agissant pour soi, à partir de notre éthique propre (voir la partie sur les outils, sous-partie « outils à faire solo », à propos du système de valeurs), ça marche en général beaucoup mieux. L’un des axes du travail est donc de trouver en toi tes motivations propres, ou dites « intrinsèques », pour continuer ton travail. C’est typiquement le taf que font les professionnel·les de la santé avec l’outil de l’entretien motivationnel. J’en donne un exemple dans la biblio.

Les questions à te poser sont les suivantes :

→ Quels sont les actes que tu ne veux plus reproduire ? Pourquoi ?
→ Comment veux-tu te comporter à l’avenir envers les autres, que ça soit dans des situations similaires à celles sur lesquelles tu travailles, ou d’une manière plus générale dans ta vie ?
→ Qu’est-ce que ça va changer concrètement à ton quotidien, d’adopter ces nouveaux comportements ?
→ Qu’est-ce que ça va changer dans ton lien avec les autres ?
→ Qu’est-ce que ça va te permettre que tu ne pouvais pas faire avant ?
→ Comment ça va modifier l’image que tu as de toi, ton estime de toi ?
→ Qu’as-tu déjà mis en place pour favoriser ce changement ? (à part avoir ouvert cette brochure :) )
→ Quelles sont les étapes suivantes dans ton processus ?
→ Quelles sont tes ressources déjà présentes, en toi et dans ton environnement, sur lesquelles tu peux t’appuyer pour changer ? (voir « Trouver les ressources pour changer », sous-partie « Avant tout : prendre soin de soi »).

C’est dans tout ça que tu vas pouvoir trouver des motivations fortes à changer.

Tout l’enjeu de cette brochure est de définir quel est ton objectif et de trouver les moyens pour y parvenir. Alors, peut-être que tu sais déjà quelle est la réponse à cette question. Et probablement que non. Elle va prendre forme au fur-et-à-mesure de ton travail. Le chemin n’est pas linéaire, les différentes « étapes » se répondent et se nourrissent constamment. Peut-être que ton objectif évoluera en même temps que ta compréhension de qui tu es et de ce qui compte pour toi.

Si la question des motivations intrinsèques versus les motivations extrinsèques t’intéressent, tu peux aller jeter un oeil à l’article de Hacking Social que je mets en biblio.

Préserver son intimité pour faciliter le processus

S’il y a une chose à retenir de cette partie : c’est à toi, et à toi seul·e de décider si, et avec qui, parler de tout ça. Préserver son intimité, c’est un truc important pour se sentir assez en sécurité pour changer.

Une grande partie du processus de changement implique de l’introspection et du dévoilement de l’intime. Ça brasse. Peut-être que tu te confronteras à de la honte, à des blessures, à des doutes, etc. Cela peut être très intimidant et bloquant de devoir partager tout ça avec d’autres. Mais aussi parfois très aidant. Si tu as envie d’avoir des personnes avec qui partager ce qui te traverse et que tu ne sais pas trop comment faire, je parle de comment trouver du soutien auprès d’autres personnes dans la partie « Trouver les ressources pour changer », sous-partie « Avant tout : prendre soin de soi », ainsi que dans la partie « Trouver les outils qui nous conviennent ».

Tu peux te sentir redevable aux personnes que tu as blessées de leur donner accès à ce que tu traverses dans ce processus, à ce que tu comprends de toi et de ce qui s’est passé entre vous. Si c’est le cas, assure-toi d’abord 1) que tu as envie un minimum de le partager et que tu ne le fais pas juste par obligation (voir partie précédente « Changer pour soi, pas seulement pour les autres ») et 2) que la personne souhaite elle aussi avoir accès à ces infos (et si oui, par quels biais). C’est un point essentiel. Ça peut être très violent (voire retraumatisant, selon le vécu de la personne) de recevoir de manière non-sollicitée des bouts d’intime de quelqu’un·e qui a dépassé ses limites !

Se sentir obligé·e de rendre des comptes à d’autres gens, ça peut être au gros frein au travail introspectif. Par exemple, ça peut nous empêcher de réfléchir aux faits qui nous sont reprochés, car on risquerait alors de considérer qu’on est effectivement coupable. On peut aller jusqu’à se mentir à soi-même pour éviter de le reconnaître, par peur de la punition. C’est grave dommage si la peur des conséquences t’empêche de t’interroger avec sincérité sur ce que tu as fait. Tu as le droit de prendre le temps d’y voir plus clair avant de nommer vers l’extérieur ce que tu as compris de ce que tu as fait.

Faire les choses en conscience

Parfois, nos besoins paraissent incompatibles avec ceux de la personne dont on a dépassé les limites. Si tu identifies que le travail de réparation auprès de la personne lésée semble entrer en conflit avec ton propre travail de transformation, demande toi lequel tu veux privilégier dans un premier temps.

La plupart des féministes (et pas que) estiment qu’en cas de violences, ce sont les besoins de la victime qui sont prioritaires. Si tu acceptes de répondre à ses demandes de réparation au détriment de certains de tes besoins, je t’invite à faire ce choix en étant aligné·e avec. Sinon c’est très probable que tu empires les choses en reproduisant des violences. Si tu ressens de l’injustice, tu risques juste de contre-attaquer, consciemment ou inconsciemment, de manière directe ou sournoise. À ce sujet, tu peux alors voir le passage sur la colère dans la partie « Apprivoiser ses émotions douloureuses » ainsi que la partie « Quelles raisons pour avoir agi ? ».

D’une manière général,e je trouve aidant dans ce genre de processus de savoir pourquoi on fait les choses, même si nos motivations ne nous paraissent pas très « légitimes ». Dans l’immense majorité des cas on fait les choses pour plusieurs raisons à la fois, certaines dont on est fier·e (ex : je veux arrêter de faire souffrir des gens) et d’autres dont on a un peu honte (ex : je veux garder une bonne réputation). Je t’invite à accueillir tout ça avec compréhension et compassion (voir la sous-partie « Apprivoiser ses émotions douloureuses »). Se voiler la face empêche d’avancer. Et puis, ce qui se passe en toi ne regarde, au final, que toi (voir la sous-partie « Préserver son intimité pour faciliter le processus »). Il y a donc tout à gagner à être sincère et lucide sur ce qui te traverse.

Comprendre nos actes

Identifier ce qu’on a fait

C’est difficile de changer sans savoir d’où on part. Pour autant, aussi paradoxal que ça puisse paraître, ce n’est pas indispensable d’identifier précisémenent ce qu’on a fait pour commencer le processus de réflexion et de changement. Notamment, c’est fréquent de ne pas se souvenir des faits avec précision lorsqu’on est encore en lutte avec la honte, la culpabilité et/ou la colère (voir « Apprivoiser les émotions douloureuses »). L’oubli, sélectif ou total, peut être un moyen de protéger son intégrité : on chercherait inconsciemment à préserver l’image qu’on a de soi, et/ou à se protéger de la violence de nos actes et/ou de la possibilité qu’elle nous ramène à des violences qu’on aurait pu subir dans le passé.

On peut aussi mal se souvenir du fait de la prise de produits stupéfiants, notamment l’alcool. Pour ça, j’ai pas trop de billes. Un·e addictologue et/ou l’hypnose peuvent t’aider là-dessus (voir la sous-partie « Outils thérapeutiques » dans la partie « Trouver les outils qui nous conviennent »)

Malgré ces freins (émotions envahissantes ; mémoire hésitante), ça reste intéressant de réussir à décrire avec précision les faits concrets qui ont eu lieu :

• Pour toutes les personnes impliquées : quels ont été leurs gestes et actions ; leurs comportements non verbaux ; leurs paroles… et aussi leurs silences !

• Pour toi : quelles ont été tes pensées, tes émotions et tes sensations corporelles à chaque moment clef, ainsi que leur évolution au fil du temps.

Sans chercher à tout prix à caractériser avec précision les faits, ça reste important d’en identifier la teneur : les actes étaient-il plutôt verbaux, physiques, sexuels, autres ? Ponctuels, répétés sans lien apparent entre eux, ou encore étalés dans le temps comme un continuum ? Ont-ils déjà eu lieu par le passé auprès d’autres personnes, ou en tout cas des actes qui y ressemblent ?

Que les dépassements de limites soient ponctuels ou récurrents, je t’invite à réaliser une chronologie des faits, des dynamiques relationnelles avec la/les autre(s) personne(s) impliquée(s) et de tes propres événements marquants dans ta vie durant ces périodes là. Cela permet de remettre en contexte les actes. Car bien souvent, on ne retient que les violences « spectaculaires », qui sont celles qui sont visibles et donc considérées comme graves. Or, bien souvent, ces violences sont inscrites dans une continuité d’abus et de violences moins visibles. Typiquement, dans le cadre de violences conjugales, les violences psychologiques sont systématiques et sont les premières à apparaître. Pourtant, elles sont très dures à mettre à jour, et donc à conscientiser quand on en est l’auteur·e ou la victime. Il y a un document sur les violences psychologique que je peux transmettre par mail sur demande. Ainsi, analyser le pourquoi d’une agression sexuelle sans prendre en compte tout ce qui a pu y mener, ça empêche de réfléchir à comment éviter que ça se reproduise.

Pour le moment, contente-toi de décrire les choses, sans chercher à tout prix à les analyser. Un outil qui peut bien aider pour ça est le « tableau d’enregistrement des pensées » (ou TEP) : c’est un peu l’outil de base des thérapies cognitives et comportementales (TCC). Je le décris dans la sous-partie « Outils à faire solo (ou avec de l’aide) » de la partie « Trouver les outils qui nous conviennent ».

Attention ! Se repasser en mémoire des faits de violences – ou bien perçus comme tels par toi ou par d’autres – peut être éprouvant. C’est donc important de le faire dans un cadre sécurisant, à un moment où tu te sens suffisamment appaisé·e. Il y a des outils qui facilitent ça, notamment en diminuant le niveau de stress : cohérence cardiaque, activité physique (modérée), méditation pleine conscience... ou toute autre chose que tu sais te faire du bien. Des outils comme l’hypnose peuvent aussi aider à mobiliser des ressources intérieures en amont (calme, sécurité, confiance…). Je détaille certains outils dans la sous-partie « Avant tout : prendre soin de soi », de la partie « Trouver les ressources pour changer » ; dans la partie sur les outils, sous-partie « Outils à faire solo (ou avec de l’aide) », et sous-partie sur les « Outils thérapeutiques » ; ainsi que dans la biblio à « Prendre soin de soi ».

Prendre ses responsabilités

Dans toute situation, les responsabilités sont multiples : nous ne sommes jamais seul·es dans une interaction et tous les acteur·es ont leur part dans ce qui se passe. En plus de nous, cela comprend la personne dont on a dépassé les limites, mais aussi – et c’est souvent plus important encore – le collectif et le cadre existant dans lesquels l’agression a pu avoir lieu.

Attention cependant à ne pas tomber dans le piège de la rhétorique de la « co-responsabilité », où la victime serait autant responsable que l’auteur·e des violences ! L’important pour toi qui lit cette brochure, c’est de te focaliser avant tout sur tes endroits de responsabilité.

Du coup, ça peut paraître un peu contre-intuitif, mais je crois que le travail de responsabilisation implique de se regarder un peu le nombril. C’est nécessaire de s’observer, de s’analyser, d’aller creuser là où on n’a pas l’habitude. C’est souvent inconfortable voire douloureux. C’est entre autre pour faciliter tout ça que j’ai écrit toute la partie « Trouver les ressources pour changer ».

Chaque situation est unique et c’est parfois dur de trouver où est sa juste place, de ne pas se sur-responsabiliser, ni se sous-responsabiliser.

La sur-responsabilisation, c’est quand on prend sur nos épaules l’intégralité d’une situation et de ses conséquences. On accepte alors toutes les critiques sans même y réfléchir. On sur-investit le travail de réparation, parfois au détriment des demandes de la personne lésée et de ses besoins. On a tout compris mieux que tout le monde : « c’est nous qu’avons tout fait tout·e seul·e, et on va tout réparer tout·e seul·e ». Ça nie aux autres personnes impliquées leur agentivité : c’est-à-dire leur capacité d’agir, de réfléchir à leurs actes et de prendre des décisions en conséquence. C’est une dynamique où nous sommes fixé·es sur nous, où paradoxalement notre ego est sur-dimensionné tout en étant abîmé par la honte.

La sous-responsabilisation, c’est quand on minimise nos actes et leurs conséquences. Dans un processus de remise en question, on peut avoir envie de renvoyer les autres à leurs propres « fautes », pour éviter d’avoir à regarder où seraient les nôtres. Dans des cas d’agression, ça peut mener à ce qu’on appelle de la « renversionnite » : en fait, ça serait la victime qui serait coupable. C’est le genre de rhétorique qu’on entend beaucoup autour des violences sexistes et sexuelles : « elle l’a bien cherché, t’as vu comment elle était habillée, c’est de la provocation ».

Trouver quelle est sa juste responsabilité dans ce qui s’est passé est un travail tout en finesse. C’est tentant d’essayer de le définir « en creux » : ce dont on est responsable, ça serait les espaces où les autres ne le sont pas. Et donc de se concentrer sur les fautes ou erreurs des autres, plutôt que sur ses propres actes. C’est en faisant des aller-retour entre les tafs proposés dans les sous-parties « Identifier ce qu’on a fait » et « Comprendre pourquoi » de cette partie que tu devrais réussir à y voir plus clair sur tes espaces de responsabilité.

Dans ce processus de responsabilisation, on peut aussi avoir envie d’ouvrir un dialogue avec les autres parties prenantes. Je déconseille de le faire tant que l’on n’est pas d’abord au clair avec soi-même sur ce qu’on a fait, sur ce dont on est responsable. Et éventuellement, dans un second temps, on peut en discuter avec les autres personnes impliquées pour identifier ensemble où seraient les responsabilités de chacun·e. Mais c’est un travail qui n’est possible que si tout le monde en a envie, et si les relations sont suffisamment apaisées pour faire preuve d’écoute et d’empathie. Il y a quelques outils que je ne maîtrise pas qui existent pour ça, comme la médiation et les cercles restauratifs. C’est important aussi d’avoir en tête que les temporalités ne sont pas les mêmes pour tout le monde : une personne victime de violences peut par exemple avoir besoin de nombreuses années avant de pouvoir envisager d’échanger à nouveau avec la personne qui l’a agressée ; quand bien même si cette dernière a fait un super taf de remise en question.

Cependant, cela ne veut pas dire qu’il faut tout faire solo, bien au contraire : j’en parle dans la partie « Trouver les outils qui nous conviennent », sous-parties « Outils à faire solo (ou avec de l’aide) » : « Devenir plus autonome » et « Outils collectifs ». Il y a toujours des choses pertinentes à faire avec les autres pour travailler à ce que des bris de consentement aient moins lieu.

Comprendre pourquoi

Une fois que tu as identifié les faits et toute la chaîne d’événements qui ont mené au(x) dépassement(s) de limites, l’idée c’est d’essayer de comprendre à la fois :

• les facteurs, c’est-à-dire les éléments internes (parcours de vie, modes de fonctionnement, valeurs...) et externes (conditions de vie, dynamique relationnelle...) qui ont favorisé l’acte de dépassement de limites

• nos raisons d’avoir agi comme ça, c’est-à-dire nos motivations intimes, souvent au moins partiellement inconscientes, à partir desquelles nous avons agi

Lorsqu’on se demande « pourquoi », on vient souvent donner des raisons comme : « je n’avais pas conscience que c’était hors limite », « je n’en pouvais plus de ne pas être entendu·e », « la colère est montée, ça a été plus fort que moi », « j’étais épuisé·e »…

Ces justifications sont en fait construites inconsciemment après l’événement, pour y mettre/trouver du sens. On appelle ça des « rationnalisations a posteriori ». On fait ça sans en avoir conscience, lorsqu’on se retrouve à agir en désaccord avec ses valeurs ou bien de manière socialement répréhensible. Ce sont des histoires qu’on se raconte pour se sentir dans notre bon droit et ne pas avoir à se confronter à la culpabilité, voire la honte, d’avoir « mal » agi.

Ça ne veut pas dire que ces histoires sont complètement fausses. Mais elles viennent plutôt pointer des facteurs qui facilitent le passage l’acte, plutôt que les motivations qu’on a eu à agir.

Ces dernières sont difficiles à avouer, même à soi-même, car elles sont souvent en contradiction avec l’image qu’on se fait d’une « bonne personne ». Elles sont donc sources de honte, puisqu’elles nous donnent l’impression d’être quelqu’un·e de mauvais, comme on le voit dans la sous-partie « Apprivoiser ses émotions douloureuses » de la partie « Trouver les ressources pour changer ». Et la honte appelle le silence, voire le tabou.

Je répète ce que j’ai écrit dans l’intro : très souvent dans notre vie on dépasse des limites d’autres gens en ne sachant pas réellement que c’était des limites, ou bien par accident. C’est une conséquence inévitable du fait d’être en lien avec d’autres. Il n’y a pas toujours de « raisons cachées » à nos actes et le travail d’introspection ne doit pas être là pour nous torturer à chercher des choses qui n’existent pas.

Cependant, on peut quand même souhaiter ne plus reproduire des actes accidentels ou faits par manque d’information. On n’est pas obligé·e d’être « fautif·ve » pour vouloir s’améliorer. Cela reste donc utile de comprendre pourquoi ces actes ont eu lieu et de trouver comment les éviter à l’avenir. On peut par exemple travailler à mieux comprendre ses fonctionnements automatiques, à améliorer ses qualités d’observation, d’empathie, de communication… Plusieurs des outils présentés ensuite peuvent répondre à ça.
Alors, comprendre pourquoi… vaste programme ! Dans la suite je liste certains des facteurs ET des raisons qui peuvent amener à dépasser les limites d’autres personnes. Ces listes sont, bien entendu, non exhaustives.

Quels facteurs facilitants ?

Attention ! Ces facteurs, en particulier les facteurs externes, ne sont pas des raisons à tes actes. Ce sont des facteurs facilitants. Les identifier permet, quand c’est possible, d’agir dessus et donc de diminuer la probabilité de dépasser à nouveau des limites. Par exemple, si tu identifies que tu dépasses régulièrement les limites des personnes notablement plus jeunes que toi avec qui tu sors, tu peux décider d’arrêter ce type de relations. Ça ne viendra pas régler les raisons de fond qui sont à l’origine de ces comportements. Mais ça évitera que ça se reproduise, au moins dans ce contexte relationnel de pouvoir lié à l’âge.

Facteurs externes actuels

c’est-à-dire qui sont liés au contexte présent :

• la dynamique et les habitudes relationnelles

ex : peu de communication verbale explicite sur vos besoins, limites, envies ; le fait de vivre ensemble ou au contraire de se voir peu ; l’histoire de la relation et les difficultés qu’elle a traversées par le passé ; etc.

• la présence de déséquilibres dans la relation

ex : dans un couple hétéro ; lorsqu’une personne est plus privilégiée que l’autre à un niveau systémique (classe sociale, proximité à la blanchité, handicap, âge…) ; lorsqu’une personne est plus privilégiée dans les milieux sociaux fréquentés, a plus d’expérience, etc.

• tes conditions de vie, qui peuvent être source de stress, de difficultés à répondre à tes besoins de base, d’instabilité, etc.

• les éventuelles autres personnes de ton/votre entourage

ex : cela peut être source de pression par les pairs (injonction au sexisme, à la consommation d’alcool…) ; d’enjeux relationnels complexes (non exclusivité amoureuse et/ou sexuelle, par exemple) ; et autres.

• le contexte dans lequel le(s) dépassement(s) de limites ont eu lieu

ex : dans une relation amoureuse, amicale, professionnelle… ; en soirée/fête, en privé, devant d’autres gens ; pendant de la sexualité ; en période de stress, fatigue… ;

→ Que puis-je changer dans ma vie pour limiter au maximum les facteurs extérieurs qui facilitent le fait que je dépasse les limites d’autres gens ?

Facteurs internes

c’est-à-dire liés à ton propre fonctionnement, à tes croyances, à ta perception des faits... :

• ton mode de réaction face au danger : j’y reviens juste après, dans la partie sur les raisons pour lesquelles on peut dépasser des limites
• ta connaissance de tes propres limites/besoins/envies : sais-tu les identifier et en prendre soin ?
• tes compétences de communication, notamment sur ce super trio limites/besoins/envies (mais pas que)
• ton histoire personnelle et familiale : a-t-on déjà dépassé tes propres limites et/ou été violent·e avec toi ? ; quelles valeurs t’ont été transmises pendant ton enfance ? ; ta famille a-t-elle un parcours compliqué (exil, guerres, contexte incestuel…) ?
• tes imaginaires, spécifiquement érotiques pour les situations de bris de consentement en contexte de sexualité : reposent-ils sur des clichés sexistes, racistes, transphobes… ? sur une érotisation des dynamiques de pouvoir et/ou actes non consentis ?
• à quel point tu as intériorisé les rôles genrés et les dynamiques de pouvoir qui y sont liées
• ta compréhension des systèmes d’oppression, notamment patriarcal (mais pas que : où te situes-tu là dedans et quels sont les axes de changement possibles, tant individuels que collectifs ?

→ Qu’est-ce qui a facilité dans mon parcours de vie le fait d’avoir dépassé les limites d’autres personnes ?
→ Comment puis-je trouver du pouvoir d’agir sur mon histoire personnelle et changer ? (voir la partie « Trouver les outils qui nous conviennent »)

Quelles raisons pour avoir agi ?

Il y a probablement une infinité de raisons intimes pour avoir dépassé les limites d’autres personnes. J’en ai quand même identifié deux principales : se sentir en danger, ou en tout cas menacé·e dans son intégrité physique et/ou morale ; et chercher à obtenir des avantages, plus de pouvoir et/ou de privilèges, ou simplement à les conserver. On verra que ces deux points sont souvent liés.

La plupart du temps, ce sont des raisons au moins partiellement inconscientes. C’est nécessaire pour éviter la dissonnance cognitive – incohérence entre nos valeurs et nos comportements – et pour protéger l’estime de soi. D’où la difficulté à les mettre à jour. Les identifier peut faire ressortir de la honte (voir la sous-partie « Apprivoiser ses émotions douloureuses » dans « Trouver les ressources pour changer », et la sous-partie « Comprendre pourquoi » de cette partie).

Quel intérêt à aller creuser un peu loin sur nos raisons de dépasser les limites des autres ? Car cela nous donne des billes pour identifier à quels besoins fondamentaux nous essayons de répondre en agissant ainsi. Et du coup, trouver quels comportements/réponses alternatives on peut avoir et qui soient plus en accord avec nos valeurs (voir la sous-partie « Outils à faire solo (ou avec de l’aide) » dans la partie « Trouver les outils qui nous conviennent »), tout en prenant soin de notre intégrité.

Se protéger d’une menace ressentie

L’une des grilles de lecture que je trouve utile, c’est celle des 4F (je détaille juste après), qui peut s’appliquer à tout le monde. Comme toute grille de lecture, elle ne suffit pas à décrire le réel. Si j’en parle, c’est que j’ai constaté qu’elle aide les personnes que j’ai accompagnées à mettre du sens sur leurs comportements violents, ce qui donne un bon coup de pouce pour sortir de la honte : « je suis un monstre » devient « je suis un être humain qui, à partir de réactions normales face au danger, a des comportements inadaptés ».

Alors, c’est quoi les 4F ? Cette approche analyse les réactions animales (dont humaines) face au danger. Face à un danger perçu, qu’il soit réel ou imaginé, on peut réagir de différentes manières : contre-attaquer/combattre ; fuir ; se figer ; chercher à apaiser/amadouer (quand le danger vient d’une personne). Ce sont les 4F : fight/flight/freeze/fawn en anglais. Cette classification, je le redis, a ses limites : il y a plein de subtilités et de complexité dans ces réactions. Je t’invite à observer à quoi elles ressemblent chez toi, quitte à les renommer voire même à créer d’autres catégories.

Je précise que je parle bien « d’impression » de danger. Car le danger n’est pas toujours présent. Par exemple, lorsqu’une personne sur qui on a du pouvoir vient visibiliser voire remettre en question ce pouvoir, même subtilement, ça peut nous mettre en inconfort. Surtout si dans notre éthique, « avoir du pouvoir sur d’autres » est une mauvaise chose : lorsque cette dynamique est pointée du doigt, on peut avoir tendance à se sentir attaqué·e dans notre valeur en tant que personne. C’est une posture qui peut être inconfortable, d’être renvoyé·e ainsi à ses responsabilité en tant que membre d’une classe dominante. Même si le danger n’est pas réel, on a l’impression que notre intégrité est menacée (« on me dit que je ne suis pas une bonne personne »), ce qui peut déclencher une réaction réflexe de type fight/flight/freeze/fawn. C’est pertinent dans ces cas là de s’éduquer sur les opressions systémiques (il y a des ressources là dessus dans la biblio).

C’est la même quand la situation, sans qu’elle soit dangereuse, nous ramène à une situation passée qui l’était réellement et qui a laissé en nous une mémoire corporelle réflexe. La plupart sont des traces de stratégies passées qui ont bien fonctionné et nous laissent donc des réflexes adaptés. D’autres sont liées à des événements traumatiques non digérés et ça arrive dans ce cas que nos réponses réflexes actuelles face à certains dangers perçus soient inadaptées.

Dans ce cas, ça peut être aidant de se documenter sur les effets des psychotraumas et, si tu le souhaites, de suivre des thérapies qui y sont adaptées. On peut guérir d’un syndrome de stress post-traumatique, et même avant ça il existe des outils qui en diminuent les symptômes et facilitent notre quotidien, dans le lien à soi, le lien aux autres, etc. Pour ça, tu peux aller regarder : la sous-partie « Avant tout : prendre soin de soi » dans la partie « Trouver les ressources pour changer » ; les sous-parties « Outils à faire solo (ou avec de l’aide) » et « Outils thérapeutiques » dans la partie « Trouver les outils pour changer qui nous conviennent ; et la sous-partie « Prendre soin de soi » dans la biblio.

Ces réactions aux danger sont instinctives. On ne décide pas consciemment quel « F » on va utiliser face à telle ou telle situation. Cela dépend de notre histoire, de ce qui a fonctionné par le passé, de ce que l’environnement a soutenu comme étant une « bonne réaction », etc. C’est là par exemple que la socialisation primaire de genre, c’est-à-dire la manière dont on a été éduqué·e étant enfant, peut jouer un rôle important : schématiquement, on apprend aux petits garçons à être dans l’action, la contre-attaque, on leur dire que leur valeur dépend du pouvoir qu’ils ont sur les autres ; et on apprend aux petites filles à être dans la passivité, à accepter le pouvoir de l’autre sur elles, à prendre soin des autres au détriment de leurs propres besoins, etc. Ce n’est bien entendu pas les seules données à prendre en compte. Mais cela donne une certaine explication à pourquoi les hommes cisgenres sont en immense majorité les auteurs des agressions, et à pourquoi les femmes, les enfants et plus largement les personnes sexisées en sont les principales victimes.

Ces réactions ne sont pas, en elles-même, sources de violences. Mais elles peuvent l’être, selon les différents éléments que je décris dans la sous-partie « Quels facteurs facilitants ? » de cette partie. Voici quelques exemples de comportements pouvant blesser/faire violence/agresser d’autres personnes :

→ sur le mode « combat » : cris, violences verbales, violences physiques sur l’autre ou sur des objets, menaces
→ sur le mode fuite : rupture de contact sans explications, d’autant plus quand c’est très contrasté avec le lien habituel ; passer du temps dans un même espace en ignorant la présence de l’autre ; gaslighting (négation de ce qui a réellement eu lieu)
→ sur le mode figement : loi du silence ; refus de partager ses émotions (souvent car elles sont insaccessibles) ; dire que tout va bien alors que c’est palpable par l’autre que c’est faux
→ sur le mode amadouer l’autre : accepter en conscience des actes dont on n’a pas envie, voire qui sont hors limites, et le faire payer à l’autre ensuite, du type : comportements passifs-agressifs, vengeance (plus ou moins subtile) et/ou passage à un mode fuite ou combat quand on atteint un point de rupture

Mais là où il y a une bonne nouvelle, c’est que, bien que réflexes, nos réactions face au danger dépendent aussi de ce à quoi nous nous sommes entraîné·es ! C’est possible de changer ses réflexes face au danger : c’est exactement à ça que servent par exemple les stages d’autodéfense féministe.

Je précise à ce sujet : ici je parle bien de dépassements de limites que tu aurais aimé ne pas commettre. Il y a sûrement dans ta vie des moments où tu as dépassé les limites d’une autre personne, tout en trouvant ça tout à fait légitime, par exemple justement dans un cadre d’autodéfense.

Il y a par contre des situations où notre réaction dépasse la sévérité, voire la réalité du danger qu’on perçoit, comme je l’évoque plus haut. On peut se sentir menacé·e dans notre intégrité car :

• l’autre nous refuse quelque chose qui serait important pour nous

→ est-ce vraiment à l’autre de répondre à ce besoin ? Que puis-je faire pour être plus autonome dessus ? (voir la sous-partie « Devenir plus autonome » de la partie « Trouver les outils qui nous conviennent »)

• ou parce que, directement ou indirectement, l’autre remet en question notre valeur en tant que personne

→ est-ce vraiment ce qui se passe ? Si oui, comment puis-je en faire une opportunité pour grandir et/ou m’affirmer ? Quels apprentissages puis-je tirer de cette situation ?

• ou parce que son comportement nous rappelle de manière instinctive une situation du passé où nous étions effectivement en danger

→ les deux situations sont-elles vraiment identiques ? Comment puis-je retrouver de la sécurité au présent, de quoi ai-je besoin pour ça ?

• ou encore parce qu’on sent qu’une de nos limites en train d’être dépassée

→ quelle(s) limite(s) exactement ? Quelle est ma part de responsabilité dans le fait qu’on en arrive là ? Cette question, bien que sensible, est importante : l’un des schémas pouvant mener à une agression est le fait d’avoir soi-même, pendant un certain temps, dépassé ses propres limites au sein de la relation. Souvent par peur de ne plus être aimé·e, de perdre l’autre, voire par crainte d’être puni·e pour avoir exprimé certaines limites et demandé à ce qu’on les respecte. L’autre peut avoir aussi une part de responsabilité dans la mise en place et l’entretien de ce schéma, tout particulièrement quand le déséquilibre relationnel est en sa faveur. Mais ici les questions importantes sont : pourquoi est-ce que moi j’ai agi ainsi ? Comment est-ce que je peux changer ?

Chercher à obtenir quelque chose

Certaines personnes intègrent plus que d’autres le fait que des choses leur sont dues. C’est souvent là que se nichent la frustration et d’autres émotions qui peuvent y être liées, spécifiquement le sentiment d’injustice et donc la colère.

Schématiquement, plus on a de pouvoir dans la vie, plus c’est facile de considérer que c’est normal d’accéder à des privilèges, et plus on peut avoir du mal à tolérer de ne pas recevoir ce qu’on souhaite. Sauf que : « de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités ». C’est dépendant aussi du contexte et de ce que nos groupes d’appartenance, et plus largement la société, nous dit avoir droit. L’exemple typique est celui de la sexualité au sein du couple, avec le (non)fameux « devoir conjugal » : de nombreux hommes estiment que leur conjointe, indépendamment de ce qu’elle souhaite, doit répondre à leurs « besoins/désirs » sexuels (qui sont en fait souvent une manière pour eux d’accéder à de la tendresse/intimité, plutôt qu’à de la sexualité). Là dessus, je te renvois à la vidéo sur la misère sexuelle des hommes, sur la chaine youtube « Les vidéos de Léo ». À noter que ce sont des normes que beaucoup de femmes intègrent aussi.

Même en n’adhérant pas à ce discours, il peut toujours nous influencer à un niveau inconscient et venir justifier que nous allions « prendre » ce à quoi nous pensons avoir droit. L’autre devient un objet. En suivant la norme selon laquelle certaines personnes ont un accès inconditionnel au corps et à l’intimité de l’autre (y compris hors sexualité), la question de où se trouvent les limites de l’autre ne se pose pas. C’est un non-sujet. Il est donc difficile de se rendre compte lorsqu’elles sont franchies.

Et c’est là où il peut y avoir un lien avec la sensation de danger. Le sentiment d’injustice à ne pas se sentir respecté·e, et donc la colère qui y est liée, nous coupe de nos compétences d’empathie (voir la sous-partie « Apprivoiser ses émotions douloureuses » dans la partie « Trouver les ressources pour changer »). À partir de là, nos valeurs de respect des limites de l’autre peuvent passer à la trappe, remplacées par le dogme « je devrais avoir un accès inconditionnel à l’intimité de l’autre ». Cela mène à de la violence plus ou moins directe, ayant pour objectif de « remettre l’autre à sa place » : excès de colère, crises de jalousie, contrôle du corps de l’autre notamment via la sexualité imposée, vengeance (parfois subtile et difficile à identifier, même pour soi), etc.

→ Qu’est-ce qui m’est dû ? Dans quelles relations ? Suis-je en accord éthique avec ça ?
→ Dans quels espaces de ma vie ai-je du pouvoir ? Qu’est-ce que ça me fait ressentir d’avoir ce pouvoir ?
→ Dans quels espaces de ma vie ai-je moins, peu voire pas de pouvoir ? Qu’est-ce que ça me fait ressentir que d’autres aient du pouvoir sur moi ?
→ Qu’est-ce que ça me fait de ressentir que des gens que j’aime et sur qui j’ai du pouvoir puissent se sentir elleux-même comme ça ?
→ Comment puis-je répondre à mes besoins et désirs sans que cela ne pèse sur celleux qui m’entourent ? Et sans pour autant chercher à tout faire solo…
→ Et en particulier dans les relations avec un déséquilibre relationnel (quel que soit son sens) ?

Trouver les outils qui nous conviennent

Je précise que les « bons outils » sont uniquement ceux qui fonctionnent pour toi. J’en décris plusieurs, de différents types. À toi de voir ceux qui te parlent, il y en a même sûrement certains que tu connais déjà. Je t’invite à tester ceux que tu ne connais pas si tu t’en sens le temps et l’énergie. Laissent leur l’opportunité de te suprendre, ils deviendront peut-être de super compagnons dans la suite de ton voyage.

À faire solo (ou avec de l’aide)

Se former politiquement

L’une des raisons pour lesquelles les violences et autres bris de consentement sont aussi fréquents, c’est qu’ils sont normalisés, et donc invisibilisés. Chaque groupe social normalise, voire encourage, certaines violences : tout particulièrement celles qui viennent soutenir l’ordre social établi.

C’est pour cela que les violences policières sont très rarement condamnées et qu’elles sont même le plus souvent justifiées par les instances de pouvoir. C’est pour cela qu’un viol commis par un homme noir et/ou prolétaire sera beaucoup plus sévérement puni que si l’auteur est un homme blanc (encore faut-il qu’il soit même reconnu coupable) : cela soutient l’hégémonie bourgeoise blanche. C’est pour cela que les violences envers les enfants sont encore peu reconnues, car elles entretiennent le cycle générationnel de la violence, sur lequel repose en grande partie le système patriarcal.

Une partie du travail pour éviter de reproduire ces violences inscrites dans les systèmes de domination, c’est de comprendre :

• si elles sont invisibilisées, banalisées ; et si oui, à quels endroits
• à quoi elles ressemblent
• quels sont leurs effets, sur les individus comme sur les communautés
En fonction de ce que tu as identifié comme facteurs facilitant tes comportements, tu peux par exemple vouloir te renseigner sur :
• les dynamiques d’opressions systémiques dans lesquelles tu as du pouvoir (racisme si tu es une personne blanche, sexisme si tu es un homme cisgenre, etc.)
• les formes spécifiques que prennent les violences selon le contexte socio-relationnel qui te concerne (violences conjugales, violences au travail, violences sexistes et sexuelles en milieu festif, etc.)
• les conséquences sur les personnes victimes de violences, notamment en terme de psychotrauma

Pour creuser plus loin ces questions d’oppressions systémique, je t’invite à aller voir la bibliographie, mais aussi à creuser de ton côté.

Réguler son stress

On l’a vu, la sensation de danger est l’un des facteurs qui nous amène à dépasser les limites des autres, tout particulièrement lorsqu’elle se combine à une position de pouvoir (et donc une légitimisation des comportements violents).

Pour limiter les réactions violentes lorsqu’on a l’impression d’être menacé·e dans son intégrité, une des stratégies est de… moins facilement se sentir en danger ! surtout lorsqu’il n’est pas réel ou en tout cas moins grave que ce qu’on imagine. Cela implique d’abaisser notre niveau de stress quotidien, ce qui nous aide à faire preuve de plus de discernement face aux situations auxquelles nous sommes confronté·es. On arrive ainsi à distinguer le danger réel de l’inconfort, et donc à réagir de manière adaptée.

J’en parle de manière plus détaillée dans les sous-parties « Avant tout : prendre soin de soi » et « Apprivoiser les émotions douloureuses », de la partie « Trouver les ressources pour changer ». Il y a aussi des éléments dessus dans la biblio, partie « Prendre soin de soi ».

Devenir plus autonome

Si tu réussis mieux à réguler tes affects, en particulier douloureux (frustration, colère, tristesse, abandon..) et que tu es plus autonome pour répondre à tes besoins, il y a moins de chances que tu en veuilles aux autres de ne pas le faire, et donc moins de chance que tu dépasses leurs limites.

Attention, cependant : être autonome ne veut pas dire se couper des autres, ne pas chercher de soutien, gérer tout solo… C’est plutôt d’être en mesure de trouver la juste manière, pour soi et pour les autres, de prendre soin de soi, au sens large.

Une bonne manière pour impliquer ses proches (ou moins proches), c’est de leur expliquer notre mode d’emploi : « Voilà comment je fonctionne, voilà ce qui est important pour moi, les choses qui m’aident dans telle ou telle situation, etc. Tu ne peux pas le deviner donc j’essaye de te l’expliquer le plus tôt possible ». Il faut donc d’abord identifier et créer notre mode d’emploi. Dans un second temps, à nous de décider ce qu’on a envie de transmettre ou non aux autres… et aussi : à qui ! On en revient à cette question des rapports de pouvoir (voir sous-partie « Quelles raisons pour avoir agi » : « Chercher à obtenir quelque chose » de la partie « Comprendre nos actes ») : une personne sur qui on a un ascendant et à qui on demande du soutien aura probablement moins d’espace pour dire non que quelqu’un·e avec qui on a un meilleur équilibre relationnel.

Pour identifier à qui on peut demander du soutien, il y a un combo de deux outils que je trouve super : la constellation relationnelle + le soleil des besoins. Comment ça se passe ?

• d’abord j’identifie quels sont mes besoins dans la vie, notamment en termes affectifs, mais aussi matériels. Par exemple : me sentir aimé·e, me sentir valorisé·e, avoir une sécurité financière, me sentir utile…

Attention : on confond souvent un besoin avec la manière d’y répondre. Par exemple : « me sentir aimé·e » est un besoin, et « recevoir des mots doux par sms tous les soirs » est une manière d’y répondre, mais tout comme « partager des câlins », « recevoir des compliments », et plein d’autres à inventer ! Je le précise car lorsqu’on demande a quelqu’un·e de répondre à un de nos besoins, ce n’est pas juste pour iel d’attente qu’iel y réponde d’une certaine manière plutôt que d’une autre. Il y a toute une discussion à avoir à ce sujet, déjà pour savoir si cette personne est ok à l’idée de répondre au besoin en question, mais aussi pour déterminer ensemble comment le faire d’une manière qui fasse plaisir à tout le monde. Pour ça, tu peux t’aider des outils métarelationnels évoqués dans la sous-partie suivante « Outils collectifs ».

• ensuite, j’identifie quelles sont les personnes/collectifs qui m’entourent
• puis je fais le lien entre les deux, pour voir qui répond à quoi (des fois c’est moi-même qui répond solo à un besoin et c’est ok)
• j’analyse si c’est fonctionnel ou non (par exemple si un besoin important repose sur une seule personne, ou sur des gens sur qui j’ai de l’ascendant…)
• enfin, je trouve si besoin des alternatives (par exemple en faisant des points méta-relationnels, voir la sous-partie suivante sur les outils collectifs).

Il y a aussi quelques brochures intéressantes autour de tout ça, notamment « La fabrique artisanale des conforts affectifs » (voir biblio).

S’analyser pour mieux changer

Une bonne partie de cette brochure t’invite à un travail d’introspection, afin de mieux comprendre tes mécanismes de fonctionnement et de voir ce que tu veux changer en toi. Ça t’aidera à ensuite transmettre ton mode d’emploi aux autres (voir dans la même partie la sous-partie « Devenir plus autonome »).

On pense souvent que c’est un travail qu’il faudrait faire avec un·e psy. Ça peut en effet être très aidant, et parfois nécessaire d’être accompagné·e par quelqu’un·e dont c’est le travail (voir la sous-partie suivante sur les « Outils thérapeutiques »). Mais il y a aussi des choses qu’on peut faire par soi-même.

→ Le tableau d’enregistrement des pensées (TEP) est un outil de base des thérapies cognitives et comportementales (ou TCC ; voir la sous-partie suivante sur les « Outils thérapeutiques »). Il est aussi possible de le faire seul, comme outil d’introspection. Le TEP aide à identifier ce qui se passe en nous lors de situations qui nous ont posé problème, et dans un deuxième temps à réfléchir à comment nous aurions pu réagir différemment. C’est ce bout là qui nous donne des pistes pour changer. L’idée à la base c’est qu’en comprenant nos actions et nos émotions, on gagne du pouvoir d’agir. On passe en mode « résolution de problème » plutôt que de subir la situation. Ensuite, réfléchir et imaginer comment on pourrait agir autrement nous aide à le faire réellement dans des situations similaires. Ça sera sûrement pas parfait au début, mais en continuant à s’analyser et à voir comment faire mieux, petit à petit on s’améliore, jusqu’à ancrer un nouveau comportement avec lequel on est plus en accord. Comme un entrainement, quoi : au début on galère, et à la fin c’est devenu un automatisme.

Le modèle du tableau d’enregistrement des pensées est facilement trouvable sur le web. Si besoin, je peux t’en envoyer un par mail sur demande.

Identifier ses valeurs

Qu’est-ce qui est important pour moi dans mon rapport au monde ? Comment est-ce que je veux être traité·e par les autres ? Est-ce que je veux les traiter de la même manière ?
En quoi ce que j’ai fait n’est pas en accord avec mes valeurs (qu’elles soient politiques, spirituelles, morales, philosophiques, ou autres) ? Quels comportements alternatifs dans des situations similaires auraient pu être plus adaptés (voir le TEP) ? Quels comportements ai-je envie plus globalement dans ma vie ?

À l’avenir, que puis-je changer en moi et dans mon environnement pour avoir ces comportements, qui sont plus en accord avec mes valeurs ?

Un des outils aidant pour ça, c’est le tableau des valeurs. Il comporte une liste de valeurs, qu’il s’agit de noter de deux manières, de 1 à 10 : d’abord à quel point elle est importante pour moi ; ensuite, à quel point elle est effectivement présente dans ma vie.

Cela te permet d’identifier ce qui est important pour toi et qui n’aurait pas assez de place dans ta vie ; et en parallèle, ce que tu t’efforces à avoir comme ligne de conduite alors que c’est surtout en réponse à ce que tu imagines être attendu de toi.

À noter : souvent, l’anxiété est liée à un conflit entre deux valeurs importantes, qui semblent se contredire. S’en rendre compte peut beaucoup nous apaiser et faciliter le travail en cours.

Il en existe plusieurs, trouvables via une recherche sur le web. J’en ai une version, que je peux t’envoyer par mail sur demande. Ce tableau a ses limites : tout n’est pas forcément listé et certaines formulations ne sont pas claires. Tu peux modifier ce qui te semble pertinent, ajouter ce dont tu as besoin, etc.

Outils collectifs

Les pods de responsabilisation

Cet outil s’adresse tout particulièrement aux personnes qui sont en position de pouvoir, d’influence et/ou sont très visibles dans des communautés/groupes. Il a deux fonctions : être un contre-pouvoir à celui que je peux avoir ; mais aussi être une ressource pour ma remise en question et ma responsabilisation.

C’est un outil qui vient des communautés anarchistes noires étatsuniennes de Philadelphie, comme une alternative au système de justice/police étatique.
Concrètement, c’est un groupe de 4 à 6 personnes : à la fois des personnes en qui j’ai confiance et dont j’estime l’avis, mais qui sont aussi capables de me « tenir tête » ; tant des personnes de qui je suis proche, que plus éloignées de moi ; qui n’ont pas trop d’intérêts matériels et/ou affectifs avec moi (pas de colocataires, amoureux·ses, employé·es…) ; et qui représentent d’autres groupes sociaux que les miens, notamment des populations minorisées (par exemple, si je suis une personne cisgenre et blanche, ça serait bien d’avoir dans mon pod des personnes transgenres et/ou racisées).

Si quelqu’un·e à des retours critiques à me faire, par exemple en cas d’agression, iel peut s’adresser à mon pod. En effet, c’est souvent difficile de dire à quelqu’un·e qui est en position de pouvoir que cette personne a merdé : on peut avoir beaucoup à perdre dans l’affaire. L’objectif du pod est alors de m’accompagner dans mon processus de remise en question et de responsabilisation envers la personne lésée.

Note importante : l’existence de ce pod doit être publique auprès des communautés concernées. Sinon, bah… il sert à rien.

Il y a plusieurs documents sur les pod sur le site de Chiche Paillette (voir biblio).

Les groupes d’accompagnement / groupes de soutien

Plus largement, même quand on n’est pas une figure publique dans une communauté, ça peut être grave aidant d’avoir des personnes qui nous entourent lorsqu’on essaie de changer. Il existe aussi des groupes de soutien qui se montent autour de victimes d’agression, mais ce n’est pas l’objet ici.

Ce groupe peut avoir différentes fonctions : il peut se créer pour gérer une situation spécifique, et se dissoudre ensuite ; ou bien être plus général.

Note importante : je conseille de déterminer avec toutes les personnes concernés plusieurs points de cadre. Le groupe peut en effet avoir beaucoup de pouvoir sur la vie de la personne qu’il accompagne, et comme toute situation de pouvoir, cela peut amener à des dérives autoritaires. Les points à définir ensemble :

• les objectifs du groupe : ils doivent être précis et avec des critères qui aident à déterminer lorsqu’ils sont atteints. C’est un point difficile à définir, mais cela reste important d’avoir des grandes lignes. Quelques exemples d’objectifs : réparations auprès de la personne lésée ; changement des pratiques afin d’éviter la récidive ; éducation politique…
• sa constitution : voir la partie sur les pods de responsabilisation
• la durée du groupe : décider a minima d’une date à laquelle on fait le point, pour savoir si le travail continue ou peut s’arrêter
• les mandats et outils à sa disposition : typiquement, le groupe peut-il faire médiation entre la personne accompagnée et les personnes qu’elle a lésé·es ?
• les modes de fonctionnement : à quelle fréquence le groupe se réunit ? Sur quelle durée ? Se réunit-il avec ou sans la personne accompagnée ? Etc.
• les limites du mandat : le groupe a-t-il droit de regard sur les relations affectives de la personne qu’il accompagne ? A-t-il des moyens coercitifs et/ou punitifs ; exemples : peut-il exiger le retait de certains espaces ? Etc.

Les groupes de parole

Il existe plusieurs collectifs et associations qui proposent des groupes de parole entre personnes ayant commis des violences :

• Nous Sommes : à destination des hommes, à la fois en présentiel dans plusieurs villes, et en visio
• la FNACAV (Fédération nationale des associations et centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales) peut être aussi une ressource pour orienter vers des dispositifs existants
• des collectifs militants locaux : demande autour de toi ce qui existe par chez toi

Les outils méta-relationnels

Ce sont des outils qui permettent plusieurs choses :

• identifier et communiquer notre « mode d’emploi » aux gens qui nous entourent ou qui rentrent dans notre vie
• les inviter à faire de même
• avoir un espace cadré pour discuter de la relation
• faciliter les feedbacks, notamment si des choses se sont mal passées

Quelques exemples :

• l’outil RBDSM, pour Relations – Bounderies/limites – Désirs – Santé/statuts – Meaning/significations. Il est trouvable sur le web, par une simple recherche « métarelationnel rbdsm ».
• l’outil RIB DSL : une variante du RBDSM, adapté par des personnes des milieux sexpositifs, trouvable sur le site web de Chiche Paillette
• la brochure « 100 questions sur le consentement et les relations sexuelles », qui porte bien son nom, et donne un support de discussion à 2 ou plus (ainsi que solo)
• divers « formulaires » pour définir ensemble la nature et le contenu d’une relation

Les ateliers sur le consentement

Quelques exemples :
• la Fresque du Consentement
• l’atelier Wely wely want (tu peux me contacter directement pour avoir plus d’infos)

Les espaces de réflexion/action collective

Il existe sûrement par chez toi des collectifs qui proposent des temps de réflexion autour des violences sexistes et sexuelles (VSS), de la justice communautaire et/ou transformatrice. Si ce n’est pas le cas, peut-être peux-tu en créer toi-même avec d’autres personnes ? Attention cependant à la visibilité que cela peut t’offrir, et donc au pouvoir associé. Cela peut aussi être difficile pour des/tes victimes de te voir mis en avant autour de ces sujets.

Quelques exemple de formes : arpentages, groupes de travail thématiques théoriques, groupes de travail thématiques à visée pratique (pour collectifs existants, événements…), espaces de discussion, groupes de parole…

Les formations thématiques

Il en existe plusieurs : sur les VSS, les VSS en milieux festifs, les violences faites aux enfants… On peut en trouver proposées par les Planning Familiaux, les centres LGBTQIA+, les associations et collectifs féministes (par exemple : les associations Nous Toutes, les Catherinettes, la Petite…) et d’autres.

Approches thérapeutiques

Je fais ici un rapide tour d’horizon sur le sujet. Il y aurait plein d’autres manière de classer tout ça, et ce n’est pas exhaustif. Je t’invite à faire plus de recherches pour creuser la question si tu souhaites commencer un accompagnement psy.

Le point le plus important quand on cherche un accompagnement thérapeutique, c’est avant toute chose de trouver un·e soignant·e avec qui on se sent en confiance. Quelques soient les approches outils utilisés, si la relation de soin est sécurisante, alors une grosse partie du travail sera fait. Et vice-versa : même avec des outils qui seraient super adaptés à ta problématique, si tu sens un malaise avec le·a soignant·e, alors c’est peu probable que ça marche très bien.

Il existe plein de « titres » différents, qui ne recouvre pas les mêmes réalités en terme de formations et reconnaissance légale : psychologue (formation en psychologie à l’université) ; psychiatre (médecin spécialisé) ; psychotérapeute (titre réglementé par la législation) ; psychopracticien (cadre légal qui s’applique à tout thérapeute)...

Ensuite, sous un même intitulé peuvent se cacher des approches très différentes Une des classifications possible est de distinguer les approches humanistes, un modèle de psychothérapie qui s’appuie sur la tendance innée de la personne à vouloir se réaliser ; les TCC, une approche selon laquelle la technique thérapeutique doit être fondée sur les connaissances issues de la psychologie scientifique ; et les approches psychanalytiques, qui cherche à comprendre certains actes, pensées ou symptômes en termes psychiques à partir du postulat de l’existence du déterminisme psychique. Merci wikipédia pour toutes ces définitions, vous pouvez aller voir les articles pour creuser la question.

Attention, certaines peuvent être néfastes (pratiques sectaires, endoctrinement, tarifs exorbitants…). Voir pour ça le podcast Méta de Choc.

Enfin, certaines méthodes vont se focaliser sur les « racines » des problèmes (par exemple en cherchant à guérir un psychotrauma), et d’autres à traiter les symptômes (par exemple mieux vivre avec les conséquences du trauma).

Je te conseille de se renseigner sur les approches qui te parlent, mais aussi sur les différentes « écoles » en son sein, puis sur les thérapeutes que tu as en ligne de mire. C’est un travail un peu fastidieux, ça peut prendre du temps de trouver la bonne personne pour t’accompagner. Ça peut être aidant de demander autour de toi si les gens ont des noms à conseiller, tout en gardant en tête que ce qui a marché pour tes potes peut ne pas du tout te parler.

Enfin, l’essentiel des accompagnements psycho-thérapeutiques sont payants, voire chers. Il existe des mutuelles qui remboursent certains soins, et en France il est possible avec le dispositif « Mon soutien psy » d’avoir des séances gratuites auprès de psychologues, sous certaine conditions. Tu peux aussi t’adresser aux CMP (centres médicaux-sociaux), où les suivis psy sont gratuits. Mais il peut y avoir beaucoup d’attente pour avoir un rendez-vous et les soins y sont de qualités très variées. Enfin, il existe des associations qui proposent des soin psy à tarifs solidaires.

Voici un (tout petit) tour d’horizon des outils de thérapie en santé mentale que je connais. Chaque outil peut être utilsé au sein d’approches différentes (humaniste, TCC ou psychanalytique). À noter que seuls certains outils et thérapies ont été analysées scientifiquement, et parmi celles là, certaines ont des effets validés par ces méthodes, d’autres non.

• l’hypnose : un ensemble d’outils qui mobilisent l’imaginaire et le symbolique, en état de conscience modifié, afin de faciliter les changements désirés
• l’EMDR : technique dite de « désensibilisation », qui permet de diminuer le poids d’un événemt du passé qui a encore des retentissements négatifs au présent, notamment dans les cas de stress post traumatique et de phobies
• les outils de TCC (utilsés aussi dans d’autres cadres que les approches TCC) : thérapies cognitives et comportementales, où on analyse ses propres comportements, afin de les comprendre puis de les changer, donc à la fois cérébral et très pratico-pratique
• l’internal family system (IFS) : un outil qui utilise l’imaginaire pour entrer en contact avec nos différentes « parts », dans une optique d’intégration de ces parts, à vocation plus générale de mieux être ; à noter que cet outil est inscrit dans une approche spirituelle qui n’est pas forcément explicitée
• la sophrologie : proche de l’hypnose, aide essentiellement à réguler le stress et à mobiliser des ressources internes
• la thérapie sensori-motrice : un ensenble d’outils qui implique le corps
• la somatic experiencing : outil passant par le corps ayant pour objectif de guérir de psychotrauma

Biblio

Je ne suis pas la personne la plus fortiche sur les ressources. Tu trouveras quand même ici quelques « bases » à partir desquelles aller fouiller par toi même les sujets que tu veux prioriser.

Aussi, il y a des sujets sur lesquels je n’ai pas trouvé de ressources. Par exemple : les rapports de pouvoir liés à l’âge dans les relations amoureuses, ou liés aux classes sociales. Et sûrement plein d’autres.

J’ai la plupart des documents dispo en pdf, les brochures comme les livres.

Infokiosques en ligne

Ces sites sont de vraies mines à brochures. Toutes celles que je cite ici et au fil du texte sont trouvables sur l’un ou l’autre. Mais si besoin tu peux me faire un mail pour que je te les envoie.

• Infokiosques : centralisation d’énormément de brochures sur plein de sujets, il vaut mieux l’utiliser en faisant des recherches thématiques
https://infokiosques.net/

• Radis Calcaire : plein de textes sur le soin communautaire, les processus alternatifs de justice, l’organisation collective…
https://radiscalcaire.wixsite.com/

• Zinzinizine : un site qui regroupe des ressources de différents types (brochure, témoignages, audio…) sur la folie et la santé mentale dans une optique anti-psychiatrie
https://web.archive.org/web/20230321231317/https://www.zinzinzine.net/zinotheque.html

• Linktree de Chiche Paillette : des brochures et partage de tips dans des situations de dénonciation de violences
https://linktr.ee/chichepaillette

Prendre soin de soi

• La fabrique artisanale des conforts affectifs (brochure)
• Étrangèr·e à soi (brochure)
• Se soutenir pendant une période stressante ou après un événement choquant (brochure et atelier, me contacter pour plus d’infos)
• toutes les brochures d’Icarus project, trouvables en français sur https://icarus.poivron.org/
• Complexe PTSD : from surviving to thriving, de Pete Walker (livre, en anglais uniquement)
• Le corps n’oublie rien : le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, de Bessel Van der Kolk (livre)

S’éduquer sur les oppressions systémiques

Patriarcat, masculinités et sexisme

• Les vidéos de Leo (chaîne youtube)
• Les couilles sur la table (podcast)
• Comprendre le patriarcat, Bel Hooks (brochure)
• Nos alliés les hommes (compte instagram)
• Masculinités : enjeux sociaux de l’hégémonie, de Raewyn Connel (livre)

Hégémonie blanche, racisme, colonialisme

• Moi et la suprématie blanche, de Layla F. Saad (livre)
• Mécanique du privilège blanc, d’Estelle Depris (livre)

Inceste

• Inceste (brochure)
• Sensations volées (brochure)

Validisme et psychophobie

• Y’a pas viol si c’est une folle (brochure)
• Qu’est-ce que la psychophobie ? (brochure)

Queerphobies

• Les licornes existent et ont la rage : brochure d’autodéfense contre le biphobie en milieu tp(b)g (brochure)
• La transphobie et ses croisement avec le racisme (brochure)
S’outiller sur le consentement
• 100 questions sur le consentement (brochure)
• Apprendre le consentement en 3 semaines (brochure)
• Apprendre le consentement en 3 semaines : le cahier de vacances (brochure)

Agir face aux violences

• Que faire quand quelqu’unE te dit que tu as dépassé ses limites (brochure)
• Soutenir un·e survivant·e d’agression sexuelle (brochure)
• J’ai violé, j’ai agressé (mais je veux pas perdre mon badge du club des mecs déconstruits-feministo-alliés) (brochure)

Autres ressources

• Un exemple d’entretien motivationnel
https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2024-03/2024_02_15_entretien_motivationnel_1.pdf

• Article de Hacking Social sur les motivations intrinsèques et extrinsèques
https://www.hacking-social.com/2019/11/08/se-motiver-et-motiver-autrui-une-histoire-dautodetermination/

• « La gauche a besoin de maturité émotionnelle », de Leïla et Clément (article)
https://medium.com/@leilla/la-gauche-a-besoin-de-maturit%C3%A9-%C3%A9motionnelle-fe0c77f0da30

• Le site web de TCC Montréal, ou tu peux retrouver notamment le TEP
https://tccmontreal.com/

• Méta de Choc (ensemble de podcasts)
https://metadechoc.fr/

Cette brochure n’aurait jamais pu exister sans toute l’aide qu’on m’a apportée : par la relecture, le partage de ressources, les discussions de fond, les intervisions autour du taf d’accompagnement, le soutien moral pendant mes crises d’(il)légitimité, les jeux de société…

Je ne peux pas citer tout le monde, alors je vais juste nommer les personnes qui ont (ré)écrit des passages de la brochure, par leurs relectures et/ou les discussions qu’on a eues ensemble sur le contenu. Un grand merci donc à Paillette, Cécile, Élie, Noëlla et Ari.

Coeur coeur sur vous, et sur toustes les autres sans lesquel·les je n’aurais jamais pu pondre un truc pareil (j’espère que vous vous reconnaitrez).



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