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Les cantines végétaliennes : un positionnement politique
mis en ligne le 23 août 2025 - cantinepolitique@riseup.net
Introduction
Au moment où ce texte est écrit, la majorité des cantines dans les
espaces de luttes anarchistes ou autonomes en fRance sont
végétaliennes. C’est-à-dire qu’ielles ne servent pas de produits
d’origines animales (viande, lait, œuf, miel…).
Cette situation pourrait amener à croire qu’il s’agit d’une certaine forme
de « victoire » ou en tout cas d’une reconnaissance des théories et des
luttes du mouvement antispéciste au sein des espaces anarchistes,
autonomes ou de la « gauche radicale ». Ce n’est pourtant pas le cas.
Les cantines végétaliennes sont des outils de lutte historique du
mouvement antispéciste (comme le sabotage et les libérations). Elles
s’inscrivent dans une stratégie de propagande par l’exemple. Il s’agit
de montrer que l’on peut avoir accès à une alimentation équilibrée,
agréable et accessible sans utiliser de produits issus directement de
l’exploitation d’animaux non-humains.
Pourquoi cet outil de diffusion ne semble pas fonctionner au sein des
espaces radicaux ?
Une dépolitisation du choix de l’alimentation végétale
Cet échec est profondément lié au fait que la mise en place des cantines
végétaliennes au sein des espaces radicaux s’est faite par la
dépolitisation du contenu théorique et la disparition des idées
antispécistes pourtant à l’origine des cantines végétaliennes. Revenons
sur quelques pratiques de dépolitisation courantes.
- Absence de communication sur le sujet
De nombreux lieux ou espaces n’indiquent pas explicitement que les
cantines sont végétales dans leur communication. Parfois même en
justifiant que le dire explicitement amènerait certaines personnes à ne pas venir. Cette prétendue ouverture envers des personnes imaginaires
permet donc de faire disparaître les positionnements et des choix
politiques (ou leur absence) dans l’alimentation.
De même, il est exceptionnel de voir des flyers antispécistes sur les
tables de ces cantines. Pourtant le choix de l’alimentation végétalienne,
comme celui du prix libre ou encore de l’auto-gestion sont des choix
politiques. Il s’agit d’essayer de créer ici et maintenant le monde futur.
- Le faux argument de l’inclusion
Lorsqu’il s’agit de justifier le choix de l’alimentation végétale, un
argument qui ressort souvent, c’est qu’il s’agit d’un mode
d’alimentation collective qui permet de respecter les contraintes
alimentaires les plus courantes des personnes qui viennent se nourrir à
la cantine : hallal, casher, vegan...
Cet argument conduit à mettre sur le même pied l’adhésion à des
croyances religieuses que des positionnements s’opposant à
l’exploitation et au massacre continuel de milliards d’animaux.
Pourtant, les arguments antispécistes ne sont pas issus de règles
absurdes et contradictoires édictées par des figures d’autorité, mais des
choix basés sur des connaissances et analyses scientifiques et
émancipatrices.
Si l’inclusion est un faux argument, c’est bien parce que peu d’efforts
sont réellement déployés concernant l’inclusion au-delà du contenu de
l’assiette. Alors que les menus sont parfois connus à l’avance, ils ne sont
quasiment jamais indiqués ou diffusés. Ce qui serait pourtant important
pour les personnes ayant des régimes alimentaires spécifiques (allergies,
intolérances, condition médicale autre…). La liste des ingrédients et
allergènes est rarement présente, et peu d’attention est portée à éviter les
contaminations croisées.
- La double pratique
La double pratique, c’est d’avoir une cantine végétalienne ET en même
temps des aliments issus de l’exploitation animale à proximité. Cette
double pratique prend de nombreuses formes. Parfois, il s’agit d’avoir
une version végétalienne et une version spéciste d’un même plat, par
exemple un stand de crêpes. Lors d’un événement, il peut s’agir d’avoir
des cantines végétaliennes le midi et le soir, mais des petits-déjeuners et
goûters avec des produits issus de l’exploitation animale.
Cette double pratique est particulièrement vicieuse puisqu’elle permet
d’inclure les personnes véganes (qui peuvent en effet se nourrir) tout en
disqualifiant leur positionnement politique, réduit à un simple choix
personnel et non comme un moyen d’action s’insérant dans une lutte
contre une domination structurelle.
Mécanismes de la dépolitisation
Les pratiques de dépolitisation précédemment citées ne viennent pas de nulle part, mais sont la conséquence logique de stratégies et de visions du monde. En retour, ces pratiques influent aussi sur les stratégies et les visions du monde.
Un premier point, c’est de remarquer que les cantines militantes sont
rarement composées entièrement ou majoritairement d’antispécistes. Le
choix du végétalisme correspond donc non pas à l’expression des
positions politiques des cuisinier⋅es mais à un choix lié à un rapport
de prestataire à client. Ainsi, l’absence de communication sur le
végétalisme s’explique parce que pour la cantine/les organisateurices, ce
n’est pas un choix, mais une contrainte inhérente à la présence de
végétarien⋅nes/végétalien⋅nes au sein des luttes et des espaces radicaux.
Le second point, c’est une stratégie plus globale d’une partie du
mouvement de s’allier avec des structures spécistes. Qu’il s’agisse des
Soulèvements de la terre avec la Confédération Paysanne ou des mouvements locaux avec certain⋅es éleveureuses, des fédérations de
pêche ou des chasseurs. Une alliance qui se fait forcément sur le dos des
non-humains et des antispécistes. Aussi bien dans la pratique que dans
la théorie. Ainsi, l’analyse des ravages écologiques du spécisme est
remplacée par une dichotomie agro-industrie/élevage paysan. Une
division fictive du point de vue des non-humains qui finissent à
l’abattoir, mais aussi quand il s’agit de s’intéresser aux conséquences
environnementales de l’élevage.
Le troisième point, c’est la nécessité du maintien du déni pour l’immense majorité des personnes qui fréquentent ces cantines. La dépolitisation permet d’éviter de les confronter aux conséquences de leurs choix quotidiens en matière d’alimentation ainsi qu’à leurs propres contradictions.
Repolitiser les cantines
S’il paraît important de repolitiser la question des cantines, il ne s’agit
pas simplement de défendre une position morale. Oui, arrêter de torturer
et de tuer des êtres sensibles pour les manger est évidemment plus juste
moralement que de justifier ou d’ignorer leurs souffrances au nom du
plaisir gustatif. Mais le spécisme ne se réduit pas à la question de
l’exploitation des non-humains, il se combine avec de nombreux autres
systèmes de domination.
C’est parce que le système spéciste considère que la vie de la majorité
des animaux ne vaut rien et qu’ils peuvent être éliminés en masse sans
remords que l’animalisation de groupes humains est un outil au service
des génocidaires. La fabrique du spécisme et celle des prétendues races
humaines s’entremêle.
La construction de la masculinité se réalise en partie à travers la
pratique du contrôle et de la violence sur les non-humains : chasse,
consommation de viande, combat de chiens/coqs, dressage, violence
contre les animaux dits domestiques.
L’enfermement des animaux non-humains est à la fois la reproduction,
la continuité et un espace d’innovation du système carcéral. D’une
certaine manière, les différentes formes d’élevages ne sont qu’un
catalogue des manières d’enfermer.
C’est le reflet d’une société anti-écologiste, qui au nom du plaisir de
quelques élites condamne le reste des individus à la souffrance et à la
mort. Ainsi, environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre sont
liées à l’élevage.
C’est un exemple de comment la société capitaliste vise à transformer
les animaux humains comme non-humains en simple outil au service du
pouvoir des possédants : chiens policiers/militaires, animaux de traits,
cobayes de laboratoire...
Faire le choix d’une cantine végétalienne, c’est donc une manière de se
positionner clairement dans la lutte contre le pouvoir et le ravage
écologique. C’est participer à créer et à renforcer des liens entre les
individus et entre les luttes. C’est ne pas séparer les actions individuelles des luttes globales, le quotidien de l’horizon révolutionnaire.
Repolitiser les cantines, c’est ne plus les considérer comme simplement
un moyen de s’alimenter, mais comme un morceau d’un projet plus
vaste de bouleversement du monde.
Plusieurs propositions :
• Une communication claire en amont et sur place
• Un texte de positionnement politique expliquant ce choix et/ou
un infokiosque antispéciste sur place
• La sensibilisation des participant·es à ces questions, par exemple
lors d’un point avant la cuisine elle-même
• Un refus de la « double pratique »
• Le refus de participer à des événements qui refusent de prendre
en compte les réflexions antispécistes ou qui ont des
discours/pratiques spécistes
• Lier l’antispécisme de la cantine au sujet abordé lors de
l’évènement.
Quelques ressources
Audios :
• La série de podcasts Comme un poisson dans l’eau
Sites internet :
•Unoffensive Animal – unoffensiveanimal.is
•Animal Liberation Front supporters group - alfsg.org.uk
Brochures :
• Un monde d’exploitation animale. Définitions et perspectives contre le spécisme – infokiosques.net
• Idée de Nature, humanisme et négation de la pensée animale –
infokiosques.net
• Entretien avec une militante antispéciste anarchiste brésilienne
– leseditionscafarnaum.noblogs.org
• Le néo-carnisme de Jocelyne Porcher – infokiosques.net
Livres :
• Animal Radical de Jérôme Segal
• Un éternel Treblinka de Charles Patterson
• La politique sexuelle de la viande de Carol J. Adams
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