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Direct Action Une histoire de résistance armée au Canada

mis en ligne le 17 octobre 2025 - Chanterelle

Direct action : une histoire de résistance armée au Canada

Guerre au patriarcat et aux technologies mortifères

Au début des années 1980, dans un milieu de squats, de punk, d’activisme et de vol à l’étalage, quelques individus affectés par les conflits en cours – luttes autochtones et écologistes, guérilla et guérilla urbaine – se rencontrent et complotent.

Nous sommes au Canada. Dans un milieu de contestation et de vie collective bien connu, l’objectif de Doug, Anna et Brent : construire un groupe armé de type anarchiste. Poser des actes destructifs qui bloquent le pouvoir dans ses projets nocifs, et ce, toujours en soutien avec les mouvements d’opposition. Ensuite : inspirer et instruire d’autres groupes pour qu’ils passent à l’attaque à leur tour.

L’approfondissement de leur rencontre donnera naissance à une expérience particulière et intéressante à laquelle vont se joindre plus tard Juliet et Gerry. Cette expérience se nommera Direct Action.

Le fil noir

« Combien de temps allons-nous rester spectateurs du viol de la terre par l’exploitation minière, l’exploitation forestière et le développement industriel effréné ? Combien de temps allons-nous tolérer la domination et la brutalité des hommes à l’égard des femmes ? Combien de temps allons-nous permettre au gouvernement de continuer à participer à l’escalade du terrorisme nucléaire ? Combien de temps allons-nous permettre aux institutions abrutissantes de cette société industrielle d’appauvrir notre esprit, notre corps et notre âme ? Allons-nous continuer à croire aveuglément aux dieux capitalistes/matérialistes du développement industriel, du profit à tout prix et de la technologie de pointe ? »

The Vancouver Five depuis la prison d’Oakalla, 1983

Les communiqués de Direct Action et les différents textes écrits par eux (collectivement ou individuellement) après leur arrestation témoignent d’idées anarchistes aussi profondes que claires, simples et farouchement combatives. Elaborées dans cette époque de guerre froide et de course aux armements nucléaires, elles esquissent le lien entre la tant détestée société industrielle et la guerre, l’État, la destruction de la nature, le génocide des peuples autochtones et le patriarcat. Une forte tension vers l’agir se renforce, également inspirée par des luttes alors en cours dans d’autres parties du monde. Cette période laisse apercevoir ce que pourrait être un mouvement non de réforme, mais de résistance.

Les idées qui animent les compagnons les poussent à prendre d’assaut ce système mortifère. Avant leur arrestation en 1983, les membres du groupe auront le temps d’attaquer le poste électrique d’un immense projet hydroélectrique en construction, une entreprise d’armement et des boutiques pornographiques. Mais first things first : le groupe passera d’abord du temps à organiser une base logistique qu’ils voulaient faire perdurer dans le temps.

Décorum

Notre trinôme de base est déterminé pour mener à bien son projet. Sans liens avec des compagnons plus expérimentés ou des milieux criminels fiables qui peuvent les instruire dans les compétences criminelles indispensables pour mettre en œuvre leur projet, le parcours n’est pas toujours évident. Non seulement Ann, Doug et Brent font recours à leur incroyable inventivité pour s’auto-instruire dans l’ABC de la clandestinité, mais ils passent également des heures et des heures d’affilée à étudier des questions techniques… à la bibliothèque municipale.

À cela s’ajoutent quelques manuels de la gauche radicale qui les aident à acquérir les compétences souhaités : le Manuel de la guérilla urbaine de Carlos Marighella, Towards a citizens’ militia : anarchist alternatives to NATO and the Warshaw Pact ou encore The Woman’s Gun Pamphlet.

Et le résultat de cet apprentissage ?

Faux papiers ? Ils obtiennent les noms et informations personnelles de personnes qui leur ressemblent en faisant des fausses enquêtes à la fac et en fouillant les poubelles de l’ambassade des Etats-Unis pour des demandes de VISA de voyage. Avec les données recueillies, elles font des demandes pour un renouvellement de pièce d’identité, et hop…

Voitures ? Louées avec les faux papiers et… volées. De longues recherches dans des livres et des revues payent. Une connaissance accrue du fonctionnement du système d’allumage des voitures et un manuel réservé aux professionnels sur les systèmes de sécurité, montreront leur utilité par la suite.

Argent ? D’abord il faudra des armes.

Armes donc ? Deux armes obtenues par vol à l’étalage et un arsenal de pas moins de 24 armes (pistolet, fusils et fusils à pompe tactiques) expropriées dans la maison d’un passionné d’armes.

Entrainement ? Dans les montagnes tant aimées, les cinq s’entrainent avec les différentes armes en s’imaginant différents scénarios.

Argent de nouveau ? La question n’était pas seulement résoluble avec les guns et la volonté, il a également fallu s’armer de patience : de longues heures à étudier comment fonctionnent les protocoles de sécurité dans les magasins ciblés, comprendre à quel moment il y a le plus d’argent, comment rentrer et sortir du bâtiment sans être repéré, identifié ou blessé. Résultat : au moins deux braquages de supermarchés, au moment où les employés sortent pour aller déposer l’argent à la banque.

Dynamite ? Ils tombent sur un stock dans les montagnes quand ils y sont pour un des leurs entraînements et y retournent pour le cambrioler. Dans une cache construite en bois et peinte en camouflage au milieu des bois, ils stockent les explosifs [1].

L’art de la démolition ? Et oui, retour à la recherche. Journaux scientifique et manuels forment notre groupe d’amis dans l’expertise requise : comment utiliser de la dynamite, comment fabriquer un retardateur électronique…

On se demande comment cela est rendu possible : est-ce l’époque ? Ou plutôt l’effervescence fébrile, la synergie inspirée de ceux qui rêvent ? Dans tous les cas : leur expérience s’approche de cet endroit souvent bien enfoui par la poussière toxique du réel trop désespérant, cet endroit qui fredonne un air pour celui qui s’ouvre à sa perception, un air timide et ignoré qui n’a jamais cessé de croire que « c’est possible ». Pas en coup de baguette magique, mais avec l’effort nécessaire. Nos amis, en étudiant et en travaillant, trouvent une réponse à chaque question.

One, two, three, bomb, four o’clock bomb !

Vancouver Island, la construction d’une nouvelle ligne électrique est contestée depuis de nombreuses années. Un élément d’un ensemble de nouveaux projets énergétiques (nucléaire, construction de nouveaux barrages hydroélectriques, accentuation de l’extraction et combustion charbonnière), mis en place pour alimenter l’énergivore Grand Projet de la Modernisation. Anarchistes locales partagent des argumentations avec activistes et citoyens contre cette ligne qui devait engendrer de nouvelles formes de pollution industrielle et devait permettre toute une batterie de développement industriel. Ils s’opposent à l’autorité politique, économique et technocrate de la force modernisante de BC Hydro.

Une nuit de printemps 1982. Doug et Ann font deux aller-retour entre le véhicule et la sous-station électrique de Cheekeye-Dunsmuir en construction. Dans leur sac-à-dos, près de 160 kilogrammes de dynamite. Pendant que Doug positionne méticuleusement les bâtons aux bons endroits, Ann monte la garde. Un retardateur électronique est branché au détonateur, puis les deux compagnons se retirent vers le véhicule. L’explosion qui suit réveille les habitants les plus proches, qui se trouvent pourtant à une distance considérable. Leurs maisons sont secouées par le souffle. Quant à la cible, elle tombe entièrement en ruines ; les machines, l’équipement du chantier et les quatre énormes transformateurs de 500 kV en attente d’installation ne sont plus que débris et éclats [2]. Un communiqué signé Direct Action suit, quelques jours après.

« ... C’était un acte de révolte contre la destruction écologique et l’oppression humaine inhérentes aux sociétés industrielles de l’Occident et de l’Est. Au cours des deux cents dernières années, la civilisation industrielle a violé et mutilé la terre et exterminé d’autres espèces à un rythme de plus en plus rapide. ... En fait, la destruction écologique est directement liée aux oppressions humaines que sont le sexisme, le racisme, la hiérarchie et l’impérialisme. Le désir de pouvoir, l’insensibilité à la souffrance d’autrui et le besoin de se sentir supérieur sont les rapports sinistres qui sous-tendent toutes les relations humaines oppressives. Le rôle historique du Canada a toujours été celui de fournir des ressources bon marché au monde industrialisé. ... Nous devons faire de ce pays un endroit peu sûr et inhabitable pour les capitalistes et leurs projets. C’est la meilleure contribution que nous puissions apporter à la défense de la terre et à la lutte pour une société libérée… »

En réaction aux négociations entre le Canada et les États-Unis à propos de test de missiles de croisière, une vague d’activisme anti-nucléaire et anti-militariste déferle sur le pays à partir de 1981. Dans le collimateur des activistes : l’entreprise Litton Systems Canada qui construit des systèmes de navigation pour des missiles de croisière fabriqués aux États-Unis.

Toronto, 14 octobre 1982. Toujours en période de guerre froide et d’escalade nucléaire. Les étoiles sont témoins d’une explosion de 225 kg de dynamite sur un site de Litton Systems Canada. Sept personnes sont blessées, une avec des séquelles permanentes. 3,8 million de dollars canadiens de dégâts pour cette entreprise qui collabore étroitement avec les Etats-Unis et l’OTAN.

Les trois auteurs de l’attaque, Juliet, Ann et Brent, sont dévastés par les blessures occasionnées aux personnes (travailleurs et personnel de sécurité) sur place. Leur préparation bien que laborieuse et réfléchie a été mis à mal par des facteurs humains, qui restent toujours un peu imprévisibles, créant une situation inattendue et chaotique. Les trois vivent la situation comme l’effet boomerang de la bombe qui leur revient au visage.

Le système d’alerte qu’ils avaient imaginé pour faire évacuer le site où on travaille 24h/24 était faillant. Quand un agent de sécurité à l’autre bout de la ligne téléphonique demande à Juliet de répéter son injonction à une évacuation urgente, elle ne le répète pas, par crainte d’être enregistrée. Elle informe rapidement le vigile pour qu’il aille lire les instructions écrites sur une boîte orange placée sur le toit de la camionnette chargée des 225 kg de dynamite garée le long d’un mur de l’usine. Mais le personnel de sécurité ne réagit pas comme prévu. L’explosif non armé, placé sur la boîte orange pour faire preuve d’authenticité, les a surtout effrayé et incité à rester à distance. Au lieu de donner l’ordre d’évacuation du site tout de suite, la situation traîne pour des raisons incompréhensibles, puis… la bombe explose plus tôt que prévue. L’explosion hâtive est peut-être attribuable à une interférence du système de communication des forces de l’ordre arrivant sur place avec le retardateur électronique [3].

Deux communiqués différents voient le jour. Le premier, sur les conséquences inattendues et non-désirées de leur agir, donne une description détaillée des mesures de sécurité qu’elles avaient mis en place et reprend le fil combatif.

« Nous regrettons sincèrement que des blessures aient été causées par cette action. Nous n’avons jamais eu l’intention de faire du mal à qui que ce soit – en particulier aux travailleurs de Litton – mais au contraire, nous avons pris grand soin de préparer ce que nous pensions sérieusement être des précautions adéquates pour assurer la sécurité de toutes les personnes présentes dans la zone. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Nous ne regrettons cependant pas notre décision de tenter de saboter la production du « cerveau » de guidage du missile de croisière. Nous affirmons seulement en toute honnêteté que cette action n’a jamais été conçue comme un acte de terrorisme. Nous n’avons pas essayé de menacer ou de tuer les travailleurs ou les cadres de Litton Systems. Nous voulions détruire une partie d’une installation industrielle qui produit des machines pour commettre des meurtres de masse. Nous voulions faire exploser autant que possible cette technologie de la mort... »

Le deuxième communiqué, celui qui était initialement prévu, reprend des éléments de leur critique anti-industrielle, explique le processus de fabrication des armes nucléaires par sous-traitance et développe une analyse du rôle de l’État canadien dans la guerre froide nucléaire en cours.

« La guerre nucléaire est sans conteste l’expression ultime des caractéristiques négatives de la civilisation occidentale. Elle plonge ses racines dans des siècles de patriarcat, de racisme, d’impérialisme, de domination de classe et de toutes les autres formes de violence et d’oppression qui ont marqué l’histoire de l’humanité. En outre, la guerre nucléaire exprime, de la manière la plus horrible qui soit, la tendance générale de la civilisation technologique moderne à l’extinction – soit par la guerre, soit par la destruction écologique. La guerre nucléaire souligne, sans pour autant être une finalité terrorisante, que si l’on n’arrête pas les hommes qui dominent les sociétés du monde entier – les hommes qui utilisent la science et la technologie pour la guerre, le pouvoir et le profit – le monde naturel complexe tel que nous le connaissons cessera d’exister.
... Nous pensons que les gens doivent lutter activement contre le système de guerre nucléaire sous toutes ses formes et partout où il existe. Bien qu’au total, la militarisation nucléaire du monde soit un vaste réseau apparemment insondable et omnipotent, elle peut être comprise et combattue efficacement si l’on comprend qu’elle est conçue et construite dans des milliers d’installations et d’industries distinctes réparties dans le monde entier. En analysant les intérêts et les institutions de nos propres régions qui contribuent à l’expansion nucléaire, nous trouvons les plus petits éléments du réseau nucléaire qui sont des cibles réalistes pour la confrontation directe et le sabotage. »

Cette action déclenche des débats féroces sur la légitimité de la violence dans le mouvement pour la paix et dans le mouvement anarchiste. Le débat n’est pas aussi binaire que l’on pourrait se l’imaginer. Il y a des positions pour et contre dans les deux mouvements respectifs. Suite à l’attaque, une répression étatique vise le mouvement contre la guerre avec des perquisisitions et harcèlements. Mais le mouvement n’est pas encore épuisé. En avril 1983, plus que 100 000 personnes se retrouvent dans la plus grande manifestation jamais vue contre Litton, qui d’ailleurs perd l’énorme contrat de construction du système de navigation pour une version avancée des missiles de croisière développés dans le cadre de l’OTAN.

Et le groupe continue à comploter… Sur leur liste de cibles potentielles se trouvent : une deuxième attaque sur la ligne de transmission Cheekeye-Dunsmuir, le sabotage des chemins de fer contre l’industrie du charbon, la destruction d’un nouveau brise-glace en construction pour freiner les forages dans l’Arctique, la démolition de nouveaux avions de chasse CF-18 Hornet sur une base militaire. Mais d’abord, il leur faut plus d’argent. Ann, Gerry, Juliet et Brent commencent à planifier un braquage d’un transport de fonds. L’histoire du groupe s’arrête avant la réalisation de ces plans. Mais avant de tomber dans les griffes de l’État, Ann et Juliet participent à une nuit d’action contre le patriarcat.

Novembre 1982, le Wimmin’s Fire Brigade illumine une longue nuit contre la domination patriarcale. Trois groupes de femmes attaquent avec des bombes incendiaires trois magasins de pornographie autour de Vancouver. Les boutiques en question font partie de la chaîne Red Hot Video Stores, spécialisée dans la distribution de vidéos particulièrement sexistes, violentes, racistes et écœurantes, allant jusqu’à des scènes de viols et de torture de femmes et d’enfants. Ces attaques pour lesquelles deux membres de Direct Action se réunissent avec d’autres femmes antiautoritaires en colère se situe dans une campagne d’ampleur de contestation féministe contre cette chaîne américaine qui venait de s’installer au Canada.

Une des trois attaques n’aura pas le résultat escompté suite à un manquement technique, au contraire des deux autres : une des boutiques est sérieusement endommagée, de la deuxième ne reste plus rien. Les attaques sont suivies d’un communiqué :

« Red Hot Video vend des cassettes qui montrent des femmes et des enfants torturés, violés et humiliés. Nous ne sommes pas la propriété des hommes pour être utilisées et abusées.
Red Hot Video fait partie d’une industrie pornographique de plusieurs milliards de dollars qui apprend aux hommes à assimiler la sexualité à la violence. Bien que ces cassettes violent le Code pénal du Canada et les directives de la Colombie-Britannique sur la pornographie, toutes les tentatives légales pour faire fermer Red Hot Video ont échoué parce que le système judiciaire a été créé, et est contrôlé, par des hommes riches pour protéger leurs profits et leurs biens.
Par conséquent, nous n’avons pas d’autre choix que de changer la situation nous-mêmes par des moyens illégaux. Il s’agit d’un acte d’autodéfense contre la propagande haineuse ! »

Ces actions montrent que le démantèlement matériel du patriarcat est aussi important et nécessaire que le démantèlement du patriarcat dans nos têtes. Différents groupes de femmes étaient depuis six mois en lutte contre la chaîne Red Hot quand le Wimmin’s Fire Brigade intervient. Rapidement, des dizaines de groupes de femmes en lutte expriment leur sympathie avec l’action et une dizaine de manifestations ont lieu. Par peur d’être la prochaine cible, six boutiques pornographiques ferment, déménagent ou retirent une grande partie de leur offre.

Le fil noir 2

Entre-temps le groupe est mis sous surveillance policière. Les attaques contre les magasins de Red Hot Video se déroulent même sous les yeux des flics. Un journaliste avait informé la police sur une similarité entre les communiqués de Direct Action et des textes écrits dans Resistance, un périodique anarchiste. Par recoupement, les enquêteurs arrivent chez nos amis. Des microphones sont installés dans leur planque et les flics attendent impatiemment des aveux sur l’attaque contre Litton. Les habitants qui remarquent des choses étranges durant la période où ils sont sous surveillance semblent partiellement ignorer voire nier ce ressenti. Leur inexpérience en termes de contre-surveillance leur porte préjudice [4].

Dans le prolongement de ce constat, il faut souligner le manque général tant sur le plan individuel que sur le plan collectif d’une préparation à la répression [5]. Quand Juliet, très jeune au moment des arrestations, et déjà rongée par les doutes peu de temps après avoir rejoint le groupe, est confrontée à la menace de 20 ans de prison, elle se retourne contre Ann et Brent, les accuse d’avoir été les leaders. Est-ce qu’il n’y avait pas suffisamment de place dans le groupe pour exprimer ses émotions, ses craintes, ses peurs, ses envies d’arrêter le parcours entamé ? Est-ce que la vie clandestine pesait trop lourd sur le petit groupe, formant ainsi un cercle social étouffant ? [6]

L’arrestation de Brent, Ann, Gerry et Juliet qui reviennent d’un entrainement aux armes à feu dans les montagnes marque la fin de leur aventure d’une façon brutale et inattendue. Ann Hansen et Juliet Belmans expliquent :

« Le 20 janvier 1983, alors que nous roulions sur l’autoroute de Squamish, nous avons été arrêtées par des policiers qui se faisaient passer pour des ouvriers de la voirie qui nous faisaient signe de ralentir et de s’arrêter. Quelques secondes après l’arrêt du véhicule, au moins 30 hommes en treillis, armés jusqu’aux dents de fusils automatiques, de fusils à pompe et d’armes de poing de gros calibre, ont pris d’assaut le véhicule dans lequel nous nous trouvions. Ils ont tous déboulé de leurs positions dans les collines environnantes et de leur planque derrière un gros camion-benne qui bloquait l’autoroute. Tout en bloquant le véhicule, ils ont brisé une fenêtre et tiré des gaz lacrymogènes. Tous les flics poussaient des cris hystériques pendant qu’ils nous extrayaient du fourgon et nous jetaient par terre. Ils n’arrêtaient pas de crier de ne pas bouger sous peine d’être abattus, tout en nous enfonçant leurs fusils dans le dos et en appuyant leurs armes de poing sur nos têtes. Nos visages étaient enfoncés dans le sol de sorte que nous ne pouvions pas nous regarder les uns les autres. Nous avons toutes pensé que l’un d’entre nous avait été touché lorsque nous avons entendu le tir de grenades lacrymogènes.
C’était horrible de devoir rester passive face aux caprices de ces extrémistes militaires fous et de leurs armes. Nous pouvions imaginer ce que d’autres femmes ressentaient dans d’autres pays, en particulier lorsqu’elles n’étaient pas armées et qu’elles devaient survivre et accepter l’horreur et la mort d’une attaque militaire contre leurs villages et leurs maisons. Ce sentiment est trop extrême pour être expliqué. Il devient soudain évident que ces hommes armés sont prêts à vous tuer. Ils semblaient très nerveux et imprévisibles, peu sûrs d’eux. Le moindre mouvement pouvait les faire sursauter, provoquant des secousses spasmodiques de leurs doigts qui pouvaient nous tuer. »

Huit ans après cette arrestation Ann Hansen, la dernière membre de Direct Action encore derrière les barreaux, sort de prison.

Fin

Si l’histoire de Direct Action s’est tristement terminée, l’expérience n’en reste pas moins intéressante et les mots et réflexions de ses protagonistes continuent à être inspirants. En cette époque, tout peut sembler peine perdue aux vues de la vitesse avec laquelle la société industrielle continue de dévorer la planète et provoquer les conséquences délirantes que l’on connaît. Un futur de vie libre et en harmonie avec la nature semble être plus lointain que jamais. Mais le réalisme n’a jamais été l’étoile guidant celles qui persistent. Dans la situation actuelle désespérante, chérissons plutôt notre attitude de résistante, notre esprit indompté. Valorisons les liens entre nous et ce à quoi nous appartenons, cultivons des valeurs étrangères à la logique de l’extinction.

On finit avec un petit mot de Ann, un message qui va droit au cœur : « Ils ont beau essayer, ils ne peuvent pas nous isoler avec leurs barreaux et leurs murs de ciment de la lutte de libération au sens large, car notre volonté et notre esprit s’élèvent à chaque victoire au Salvador, et nous vivons dans la nature sauvage avec le vent, les arbres et les créatures sauvages, ressentant la puissance de la Terre qui ne peut jamais être détruite. Tant que nous survivrons, nous devrons continuer à lutter, car c’est notre seul espoir. Nous pouvons apprendre beaucoup des pissenlits qui fleurissent dans les fissures du ciment. »

Chanterelle

Pour lire plus :
- Direct Action : memoirs of an urban guerrilla, Ann Hansen
- War on patriarchy, war on the death technology, Untorelli press


Nous n’envisageons pas une forme particulière sous laquelle un mouvement de résistance active devrait apparaître, mais nous croyons que ce qui doit se produire, c’est qu’une mentalité de résistance prenne racine parmi les activistes au Canada. A partir de cette conscience radicale, la résistance active apparaîtra alors sous diverses formes et dans de nombreuses luttes différentes. Dans une large mesure, le mouvement fonctionne aujourd’hui avec une mentalité de protestation qui, malheureusement, nourrit des illusions réformistes largement répandues sur le type de lutte nécessaire pour atteindre les objectifs que nous recherchons. La protestation tente d’influencer les décisions des personnes au pouvoir en montrant un désaccord public avec leurs politiques. Parce que nous pensons qu’en protestant, les puissants finiront par être poussés à changer, nous nous engageons à tort dans une forme de lutte dont l’issue est finalement laissée entre les mains de ceux à qui nous nous opposons...
Une mentalité de résistance repose sur l’idée que les puissants ne tiendront pas compte de nos protestations et que, par conséquent, nous devons construire un mouvement avec l’engagement et la détermination d’utiliser des moyens de lutte par lesquels nous pouvons nous-mêmes arrêter les projets auxquels nous nous opposons...
Un mouvement de résistance ne serait pas limité par la légalité lorsqu’il y a besoin d’une confrontation directe : une telle approche offensive est absolument nécessaire lorsque nous sommes confrontés à des situations qui menacent la vie, en particulier la destruction et la pollution continues de l’environnement ou l’accumulation d’arsenaux nucléaires et la machine de guerre.

Entretien avec les 5 de Vancouver : résistance vs. Protestation, 1983)

La raison pour laquelle nous n’avons été confrontés que récemment à la réalité cauchemardesque des crises d’extermination est que l’ère moderne est la première dans laquelle le potentiel réel d’extermination existe. Ce n’est qu’avec l’avènement d’une civilisation industrielle avancée qu’ont été créés les machines, les armes et les processus industriels qui menacent aujourd’hui la persistance de la vie sur Terre. (...) Au cours de milliers d’années, la culture patriarcale de conquête a virtuellement détruit notre ancrage intérieur avec ce que l’on peut appeler « une appréciation naturelle et intégrale de la vie ». Cette grave paralysie spirituelle nous a laissés collectivement blessés et égarés. Cela est particulièrement vrai dans les sociétés industrielles avancées, qui ont une vision extrêmement déformée et morne de la vie. Non seulement une grande partie de la révérence et du culte de la vie même a disparu, mais il semble que ces sociétés soient devenues incapables de reconnaître le fait qu’elles créent un Monde de chambre d’exécution par la manière même dont elles fonctionnent et par les motifs mêmes qui les poussent à aller de l’avant.

Brent Taylor, Conquête patriarcale et civilisation industrielle

En tant que femmes identifiées en tant que telles, politiquement conscientes, écologistes et déterminées à défier le pouvoir et les motivations de profit de la société patriarcale qui assure le viol et la mutilation de notre mère la Terre, nous refusons d’endosser les étiquettes de terroristes qu’ils nous ont collées. Nous savons que de nombreuses sœurs partagent notre analyse radicale des questions liées aux accusations portées contre nous. Pendant des siècles, les autorités ont réagi violemment face aux femmes qui résistaient ; elles nous qualifiaient de « sorcières » et nous brûlaient ; aujourd’hui, elles nous qualifient de « terroristes » et tentent de nous enterrer dans leurs tombes en ciment.
L’État et ses médias nous dépeignent comme des éléments d’une « frange lunatique » afin que les gens à l’esprit rebelle aient peur de nous au lieu de se rapprocher de nous. Nous ne devons pas permettre au libéralisme de cette société de cacher la maladie des dirigeants et des violeurs derrière leurs institutions, leurs lois et leurs mensonges. Nous sommes toujours menacés par leur violence, qu’il s’agisse de centrales nucléaires, d’armes nucléaires, d’industrialisme, de prison ou de terrorisme sexuel dans notre société de tous les jours. Nous ferons face à leurs horreurs avec audace et défierons leurs intérêts capitalistes avec la détermination et la force des femmes guerrières. Nous verrons un mouvement de résistance se construire au Canada, dans une tentative de débarrasser la terre de la destruction des entreprises pour que les générations futures puissent survivre.
Depuis nos arrestations, nous avons ressenti une responsabilité envers la communauté des femmes, celle d’expliquer pourquoi nous pensons que le mouvement des femmes doit se transformer en un mouvement de résistance des femmes capable d’écraser le patriarcat capitaliste.
Pendant tant de siècles et dans tant de sociétés, le patriarcat a séparé les sœurs des frères. Les institutions sociales ont rabougri et mutilé notre potentiel humain en privant les femmes du pouvoir de contrôler leur propre vie, tout en faisant de nos frères nos dirigeants et nos violeurs. Tout au long de leur vie, les femmes sont empêchées de développer les soi-disant « qualités masculines » que sont la force, l’agressivité, la puissance, la raison et l’intellect, tout en apprenant aux hommes à mépriser les soi-disant « qualités féminines » que sont la sensibilité, la spiritualité, la sensualité et l’émotivité.
Il n’y a aucune raison biologique pour que les qualités masculines et féminines ne puissent pas vivre harmonieusement dans le même corps. Mais au lieu de cela, la socialisation patriarcale a déchiré nos êtres intérieurs riches et complexes, nous laissant des coquilles pathétiques de femmes et d’hommes dont la seule fonction est d’être rentables pour le système capitaliste.
Le monde a presque toujours été dominé par des sociétés patriarcales, mais aucune ne manifeste autant les qualités masculines à tous les niveaux et n’a autant dépouillé les femmes de toute valeur que la culture industrielle moderne. C’est l’incarnation historique du patriarcat. Les tours de bureaux, les voitures, les mines de charbon et les armes nucléaires sont l’hommage matériel à l’HOMME. Il n’y a pas d’équilibre dans le monde industrialisé. Il n’y a pas de place pour la sensibilité et le partage. L’équilibre bascule dangereusement vers le précipice nucléaire et l’extinction…
Il n’est pas possible dans cette société d’être une femme « libérée » sans être dans un état constant de conflit et de lutte. Cependant, si notre conflit et notre lutte ne sont pas guidés par la conscience de l’ampleur du problème, nos énergies seront mal orientées et futiles.
Nous ne voulons pas de l’égalité et des salaires égaux dans cette société patriarcale. Nous ne voulons pas de l’égalité des chances pour travailler dans leurs tours de bureaux, leurs industries forestières, leurs centrales nucléaires. Nous ne voulons pas être des répliques féminines agressives et compétitives des hommes qui gouvernent cette société. Nous voulons développer un mouvement de résistance féministe qui nous permette de nous épanouir et de grandir en tant qu’êtres humains riches vivant en harmonie avec la terre.
Le mouvement des femmes ne peut pas être une lutte orientée sur un seul sujet, mais doit comprendre et embrasser la lutte écologique, la résistance des peuples autochtones et les mouvements de libération anti-impérialistes parce que les mêmes institutions patriarcales qui perpétuent notre oppression oppriment également les animaux, les peuples autochtones, les peuples du tiers-monde et la terre. ...
Nous nous sentons très solidaires des femmes féministes qui s’efforcent de se remettre en question pour trouver la vérité et qui ont la sensibilité et la conscience politique nécessaires pour ne plus jamais créer de luttes de pouvoir et d’ordres oppressifs. Nous sommes sœurs pour toujours.

Ann Hansen, Juliet Belmans, A nos sœurs, nous ne sommes pas des terroristes

Les entreprises telles que Litton, BC Hydro et Red Hot Video sont les véritables terroristes. Ils sont coupables de crimes contre l’humanité et la terre, et pourtant ils sont libres de poursuivre leurs activités illégales tandis que ceux qui résistent et ceux qui sont leurs victimes restent en prison. Comment pouvons-nous, nous qui n’avons ni armée, ni armes, ni pouvoir, ni argent, arrêter ces criminels avant qu’ils ne détruisent la terre ? Je crois que s’il y a un espoir pour l’avenir, il réside dans notre lutte.

Déclaration de Ann devant le tribunal

Si les femmes ne développent pas des méthodes et des objectifs révolutionnaires, les fondements mêmes du patriarcat resteront intacts, laissant indemnes les gouvernements et les entreprises qui incarnent le système de valeurs masculins. Il y aura toujours des couchers de soleil brumeux, des marées noires, des gens qui meurent de faim et des ordinateurs qui prennent le contrôle de l’esprit. ... Nous devons nous débarrasser de nos lunettes teintées de rose et des contes de fées de la classe moyenne qui nous ont appris que notre société est un endroit agréable et que tout se passe toujours bien. En réalité, le capitalisme et le patriarcat sont enracinés dans l’exploitation et l’objectivation de la vie. Le capitalisme est un système économique dans lequel les valeurs masculines, à savoir la compétition, le pouvoir et l’agression, dominent et annulent toutes les autres valeurs. ... Au lieu de consacrer leur énergie à demander l’aide de leurs protecteurs masculins, le gouvernement, les femmes libérées développent des tactiques de résistance qui ne peuvent être contrôlées par le gouvernement, telles que les occupations, les blocages, la diffusion d’informations, les enquêtes populaires, les affiches, les slogans peints sur les murs, l’expropriation, les rencontres dédiées à l’acquisition de compétences de survie et d’autres actions directes.
Si nous regardons autour de nous, et que nous sommes secouées par la crainte de l’avenir mortel que cette société nous propose, alors nous devons nous tourner vers l’esprit, l’émotion et la sensualité qui sont en nous et qui nous permettent de nous relier à toute vie. En rejoignant l’esprit de la vie, nous ferons renaître l’esprit de révolte. Révolte face aux forêts violées, aux rivières polluées, à la culture mortifère de cette société, au massacre des peuples du tiers-monde et au génocide des peuples autochtones. Un profond sentiment de révolte face à la mort et un amour correspondant de la vie nous donneront le pouvoir de résister et de faire les sacrifices qui sont essentiels pour sauver la terre. Il n’y a certainement pas de plus grande tâche que d’empêcher la destruction de la terre, la misère et l’insignifiance de la vie humaine moderne.

Ann Hansen, Résistance féministe vs. Réforme

Nous rejetons l’autorité du gouvernement. Nous le considérons comme une puissante force d’oppression dans le monde. C’est une force qui mène depuis trois cents ans une guerre génocidaire contre les Indiens, les premiers habitants de ces terres, et qui non seulement sanctionne mais facilite les investissements des entreprises dans le tiers-monde, l’argent de sang qui maintient des dictatures brutales. Le gouvernement planifie et exécute des attaques massives contre la nature, participe avec enthousiasme à la course mondiale aux armements et, fondamentalement, dirige et maintient notre société dans sa violence et son aveuglement.

Quatre des Cinq de Vancouver, Déclaration au peuple, 1983

Alors que nous nous éloignons de plus en plus d’une dépendance directe et d’une relation étroite avec le Monde naturel, et que nous nous immergeons de plus en plus dans un mode de vie basé sur la production et la consommation d’objets fabriqués par l’humain, les besoins d’exploitation des « ressources » naturelles augmentent de manière drastique, ce qui entraîne une destruction accrue de la nature. Cela a pour effet d’éloigner de plus en plus du domaine du possible une relation d’interdépendance avec le Monde naturel. Les éléments de base nécessaires au maintien de la vie humaine – indépendante de la société moderne – ne seront tout simplement plus là, et les savoir-faire sur la manière de les utiliser auront également été oubliés. ...
Pour ceux et celles d’entre nous qui s’efforcent d’être vraiment honnêtes avec elles-mêmes et qui partagent une profonde préoccupation pour la qualité de la vie sur notre planète, la réalité de la situation devrait être claire à présent. Soit nous refusons de collaborer encore plus longtemps à la destruction de la Terre et à notre propre destruction, soit nous nous engageons, nous et nos enfants, dans une position permanente de subordination et dans un mode de vie totalement artificiel, sans retour possible. Si nous choisissons de refuser, un changement radical de notre façon de penser s’impose. Nous devons cesser de croire que l’industrialisme et la nature peuvent coexister. Ce n’est pas possible. Nous devons cesser de présumer que nous avons besoin de tous nos appareils et processus modernes pour survivre et être heureuses. Ce n’est pas le cas. Et nous devons cesser de croire que les détenteurs du pouvoir, qu’ils soient élus ou non, prendront les bonnes décisions pour nous. Ils ne le feront pas. ... Le changement total qui doit se produire pour garantir que nos vies auront un sens et une indépendance réels, et que notre planète survivra, semble si désespéré en termes de réalisation. Pourtant, il doit se produire. Chacun d’entre nous, individuellement, doit essayer de comprendre pleinement la société plastique qui nous entoure et notre relation avec elle, et de la rejeter entièrement, à la fois en pensée et en action. De même, nous devons nous associer à d’autres personnes qui partagent cette connaissance et cette préoccupation pour l’avenir et aller courageusement de l’avant, de toutes les manières possibles, vers un mode de vie nouveau et meilleur. Un mode de vie fondé sur la coopération, l’égalité et le respect profond de la terre.
La situation est urgente. Le temps du changement est venu. L’éthique du travail et le rêve occidental sont en train de nous tuer, tant sur le plan psychologique que spirituel, mais nous pouvons vivre si nous le voulons. Cela dépend de nous.

Gerry Hannah, L’éthique du travail et le rêve occidental

Ces dernières années, des dizaines de milliers de personnes sont mortes au Salvador, principalement des guérilleros et guérilleras tuées par l’armée et des paysans et paysannes tuées par les escadrons de la mort. Qu’est-ce que cela signifie ? Pas grand-chose, je pense, pour la plupart d’entre nous. Nous avons une compréhension intellectuelle des événements qui se déroulent dans ce triste pays, mais je ne pense pas que nous ressentions vraiment la réalité de la souffrance et de la lutte qui s’y déroulent. Pour la plupart des gens politiques, il existe une distanciation émotionnelle inconsciente, une aliénation et une séparation qui nous empêchent d’éprouver de l’empathie, de ressentir la tangibilité de ce qui se passe. Nous lisons un article de magazine et nous sommes indignés, mais nous oublions quelques jours plus tard. Je pense que nous devrions essayer de surmonter cela ; nous devrions faire un effort pour intérioriser la réalité du fascisme et de la guérilla au Salvador. Aujourd’hui, en ce moment même, il y a quelqu’un comme nous, qui espère, rêve et a peur, qui est torturé, assassiné ou violé par des soldats salvadoriens. Et en ce moment même, il y a quelqu’une comme nous, assise dans la jungle avec un fusil, qui regarde et attend. Ces personnes sont nos sœurs et nos frères et leur vie est réelle. Nous devrions leur accorder la réalité dans nos esprits.

Doug Stewart, Vivre dans la réalité

The wild seed

Like the wild seed, beneath the winter’s snow,
We must be.
Seemingly lifeless, held frozen in the dark,
Yet we are not dead.
The cycle is not complete.
Life, hidden deep within, is only waiting.
For the sun to shine, for the snow to melt,
For the warm spring wind to blow.
Then we’ll rise above the ground,
Flowering for all to see.
And what purpose will we serve ?
To grow more seeds,
Who in turn will also know the changing seasons,
And will not fear them.

Gerry Hannah

[1Quand on lit le passage où Ann Hansen décrit la manipulation de leur butin, on se rend compte à quel point ces compagnons semblent avoir manqué de prudence à l’égard de ces substances. Plus tard dans leur histoire, Juliet dormira à côté d’une énorme pile de dynamite dans la planque où ils se trouvaient avant l’attaque contre Litton. La dynamite, bien moins stable que les explosifs militaires, est exigeante en termes de sécurité (stockage, manipulation, entretien, transport).

[2B.C. Hydro évalue les dégâts à 4,5 millions de dollars canadiens de l’époque (soit près de 13 millions d’euros d’aujourd’hui). Les pompiers mettront plus d’une semaine pour éteindre l’incendie des transformateurs attaqués.

[3Il y a d’autres exemples où des révolutionnaires installent leurs bombes puis font appel aux autorités pour évacuer les lieux visés (usine, institution,...). Cette tactique de déléguer l’évacuation espérée aux autorités (militaires, policiers, pompiers, journalistes) et à leurs protocoles de sécurité comporte un risque très élevé de faire des victimes non-voulues, sans parler du fait que cela expose les révolutionnaires à de la manipulation (un calcul politique fait par l’État et/ou ses services secrets sur le dos de victimes pour discréditer l’action révolutionnaire offensive). Dans les années 1980, on peut se souvenir de l’attaque à la bombe des Cellules Communistes Combattantes, organisation communiste de lutte armée en Belgique, contre le siège du patronat belge où la non-transmission et/ou manipulation des instructions d’évacuation par la gendarmerie a provoqué la mort de deux pompiers lors de l’explosion du véhicule piégé (1985). En 1987, l’attentat à la voiture piégée contre le supermarché Hipercor à Barcelone perpétré par l’organisation de libération nationale basque ETA tourne au massacre : l’avertissement téléphonique est ignoré, et l’explosion cause 21 morts et 85 blessés. Soulignons que dans les deux cas cités, l’objectif des attaques n’étaient pas de faire des victimes.

[4Les enquêteurs font de nombreuses entorses à la légalité pendant toute la période de surveillance. C’est ni la première ni la dernière fois que la police jongle avec le cadre légal pour arriver à son but.

[5Le soutien potentiel en dehors du cercle de Direct Action n’était pas non plus préparé pour des perquises, des harcèlements policiers, la désolidarisation de proches, le travail nécessaire avec les avocats…

[6La vie en clandestinité ne se passe en effet pas toujours très bien pour le groupe. Dès leur première expérience, les membres s’ennuient et les liens sociaux et affectifs leur manquent. Ce constat les fait sortir une première fois de la clandestinité avant d’y retourner avec une nouvelle configuration de personnes.


Texte originellement publié dans la revue Takakia, brame de combat contre le Mordor industriel, #3 (automne-hiver 2024).
takakia.noblogs.org



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