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Pas de libération queer sans la Palestine

mis en ligne le 3 août 2025 - Horizon Palestine

Sommaire


Un plaidoyer pour la libération de la part des Queers en Palestine, décembre 2023
« Pas de fiertés sans la Palestine », juin 2024
Israël : Le pinkwashing comme arme coloniale en Palestine, septembre 2024

Un plaidoyer pour la libération de la part des Queers en Palestine

[Article paru sur lenumerozero.info
le 17 décembre 2023]

Nous écrivons ceci en tant que travailleurs, étudiants, agriculteurs, parents - en tant que Palestiniens, Palestiniens queers. Non pas parce que notre identité queer nous procure une position d’exception mais parce que, de la même manière dont nous avons été marginalisés en tant que personnes queers, nous faisons aujourd’hui face à des tactiques patriarcales coloniales qui visent à marginaliser davantage nos identités de queers palestiniens. Rassembler nos mots et nos énergies nous demande un effort immense. Nous sommes révoltés que, au milieu de ces moments de brutalité spectaculaire et de carnage infligés aux corps palestiniens, y compris le viol, la torture, et la mutilation, nous soyons détournés de notre deuil et de notre propre organisation pour formuler une demande.

Depuis le 7 octobre, nous sommes témoins d’un génocide accéléré se déroulant dans la bande de Gaza et dans toutes les régions de la Palestine, ouvertement et publiquement déclaré à de nombreuses reprises par plusieurs responsables gouvernementaux et militaires israéliens. La brutalité et l’amplitude léthale des atrocités commises par l’État israélien et ses partisans créent des conditions de plus en plus épouvantables pour ceux qui restent en vie en Palestine, chaque jour, partout. Cette brutalité a été maintenue grâce au soutien économique, militaire, diplomatique et politique continu des dirigeants mondiaux, au cours de l’histoire et actuellement. Nous notons, documentons et racontons les centaines de massacres catastrophiques des 75 dernières années aux mains de la fureur anéantissante du régime sioniste ; de Deir Yassin au massacre de Tantura (1948) sur lequel est basée la fondation d’Israël, en passant par le massacre de Kafr Qassem (1956) et Sabra et Chatila (1982), pour n’en citer que quelques-uns. Il n’y a aucune possibilité pour un mouvement politique et social libérateur d’atteindre la vie et la dignité s’il est aligné sur la machine de mort génocidaire d’Israël. Israël est fondé sur le sang et est maintenue par le sang.

En cette période, et dans le continuité de son exploitation de longue date des politiques libérales d’identité, Israël instrumentalise les corps queer pour faire barrage à tout soutien à la Palestine et à toute critique de son projet de peuplement colonialiste. Les Israéliens (politiciens, organisations et « civils ») mobilisent des dichotomies coloniales telles que « civilisé » et « barbare », « humain » et « animal », ainsi que d’autres binarismes déshumanisants, dans le but de légitimer les attaques contre les Palestiniens. Dans cette rhétorique coloniale de peuplement, Israël cherche à obtenir le soutien des gouvernements occidentaux et des sociétés libérales en se présentant comme une nation respectant la liberté, la diversité et les droits de l’homme, luttant contre une société « monstrueuse » et oppressante, comme l’a clairement déclaré le Premier ministre d’Israël : « Il y a un combat entre les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres, entre l’humanité et la loi de la jungle. »

Pendant que ces déclarations ouvertement racistes et génocidaires occupent le devant de la scène, les activistes en Palestine et à l’échelle internationale sont réduits au silence, harcelés, placés en détention, criminalisés, des travailleurs sont licenciés, et des étudiants sont exclus de leurs universités. Les activistes féministes et queer internationaux, solidaires de la Palestine, font face à des attaques et du harcèlement de la part des sionistes sous prétexte que ceux qui soutiennent la Palestine seront « violées » et « décapitées » par les Palestiniens, simplement parce qu’elles sont des femmes et des queers. Pourtant, le plus souvent, ce sont les queers et les femmes qui soutiennent la Palestine que les sionistes souhaitent violer et tuer. Les fantasmes sionistes de corps brutalisés ne nous surprennent pas, car nous avons fait l’expérience de leur manifestation réelle à la fois dans notre chair et dans nos esprits. Pourtant, ils ne cessent de surenchérir dans leur véhémence explicite.

Cela devient encore plus absurde lorsque de tels cadres sont construits contre la société palestinienne, à la lumière de nombreuses témoignages, rapports et documents sur les violences sexuelles auxquelles les Palestiniens sont confrontés tout au long des 75 ans d’occupation militaire israélienne. Depuis les milliers de prisonniers palestiniens, hommes et femmes, soumis à la torture sexuelle et au viol depuis la création d’Israël jusqu’à aujourd’hui, en passant par la violence quotidienne et croissante des colons contre les Palestiniens en Cisjordanie, jusqu’aux « civils » israéliens qui se filment en train de torturer des Palestiniens enlevés comme une tendance TikTok, et les récentes images terrifiantes publiées sur les plateformes de médias sociaux par les soldats israéliens, qui documentent l’ampleur de la torture et des abus sexuels infligés à nos corps, quel que soit leur orientation sexuelle et leur genre - toutes les formes de violence, y compris la violence sexuelle, font systématiquement et structurellement partie de la domination sioniste sur la vie palestinienne. Et pourtant, la société israélienne continue d’instrumentaliser la queerness pour justifier la guerre et la répression coloniale, comme si leurs bombes, leurs murs d’apartheid, leurs armes, leurs couteaux et leurs bulldozers choisissaient leurs victimes en fonction de leur sexualité et de leur genre.

Nous refusons l’instrumentalisation de notre identité queer, de nos corps, ainsi que la violence à laquelle nous faisons face en tant que personnes queers afin de diaboliser et déshumaniser nos communautés, surtout lorsque ceux-ci sont mis au service d’actes impéraux et génocidaires. Nous refusons que la sexualité palestinienne et les attitude palestiniennes vis-a-vis de corps diversifiés deviennent des paramètres pour assigner ou non une humanité à une société colonisée. Nous méritons la vie car nous sommes humains, dans la multitude de nos imperfections, et non de par notre proximité ou non avec les modes coloniaux d’humanité libérale. Nous refusons les tactiques coloniales et impérialistes qui visent à nous aliener de notre société et d’aliéner notre société à notre égard, sur la base de nos vécus queers. Nous combattons des systèmes d’oppression qui sont interconnectés, qui incluent le patriarcat et le capitalisme, et nos rêves d’autonomie, de communauté et de libération sont intrinsèquement liés à notre désir d’auto-détermination. Il n’y a aucune libération queer qui puisse être acquise par la colonisation, et aucune solidarité queer ne peux être favorisée si elle est aveugle aux structures racialisées, capitalistes, fascistes et impériales qui nous dominent.

Nous appelons les activistes et groupes queer et féministes dans le monde à affirmer leur solidarité avec le peuple palestinien et leur résistance à leur déplacement forcé, le vol de leurs terres, le nettoyage ethnique dont ils sont victimes et leur lutte pour la libération de leurs terres et de leurs avenirs de la colonisation de peuplement israëlienne. La réponse à cet appel ne peut se faire uniquement par le partage de tribunes et la signature de lettres collectives, mais doit s’accompagner d’un engagement continu auprès de luttes décoloniales et de libération en Palestine et dans le monde. Nos demandes sans équivoque sont les suivantes :

• Rejettez les financement sionistes, refusez de collaborer avec des institutions sionistes, rejoignez le mouvement BDS.

• Faites grève : que cela soit silencieux ou public, refusez que votre labeur soit exploité afin de réduire au silence le militantisme palestinien ou pour financer, soutenir et rendre possible la colonisation de peuplement militarisée israélienne et le génocide.

• Faites ce que les personnes queer décoloniales font depuis des années, emparez-vous de la mise en récit, et affirmez les termes de la conversation au sujet de la Palestine, cette-fois. Ce qu’il se passe en Palestine est un génocide. Israël est une colonie de peuplement. Les Palestiniens sont une société sous occupation militaire et colonisation. Selon le droit international, Israël n’a pas le droit de « se défendre » contre la population qu’il occupe, tandis que les Palestiniens ont le droit de résister à leur occupation. Exiger un cessez-le-feu est la première étape pour demander des comptes à Israël pour ses crimes contre l’humanité. Nous devons également exiger la levée du siège de Gaza et le démantèlement de la colonie de peuplement sioniste.

• Contactez vos représentants locaux, et exercez une pression sur eux à cesser de financer ce génocide, à mettre fin à leur soutien militaire, diplomatique et politique envers Israël. Dénoncez la criminalisation continue et complice de la solidarité avec la Palestine, ainsi que la projection coloniale et islamophobe de l’antisémitisme européen sur les voix palestiniennes et racisées, comme nous pouvons le constater notamment en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Allemagne.

• Bloquez des axes routiers majeurs. Organisez des sit-in dans votre gare centrale locale. Interrompez le flot du commerce. La complaisance est un choix.

Nous, soussignés, queers palestiniens et alliés, sommes une partie intégrante de notre société, et vous informons que : des allées lourdement militarisées de Jerusalem, aux terres calcinées de Huwara, aux rues sous surveillance de Jaffa et en passant par les murs de Gaza assiégée, la Palestine sera libre, du Jourdain jusqu’à la mer Méditerranée.

Nous, sousignés, Palestiniens et alliés, amplifions le Plaidoyer pour la Liberation, de la part des Queers en Palestine


« Pas de fiertés sans la Palestine »

[Tribune publiée dans la revue
Politis le 10 juin 2024]

En ce « mois des fiertés », un texte signé par des organisations et des personnalités invite à dénoncer le ‘pinkwashing’ du gouvernement israélien et à mettre la question palestinienne au cœur des revendications LGBTQIA+.

En ce mois de juin, mois de lutte pour les droits des personnes LGBTQIA+, nous appelons à mettre la question palestinienne au cœur de nos mobilisations. Nous refusons d’être complices de toute tentative de pinkwashing¹ de la part du gouvernement israélien.

En novembre dernier, une image nous a glacé le sang. Une photo. Celle d’un soldat Israélien à Gaza déployant un drapeau arc-en-ciel sur lequel on pouvait lire « In the name of love ». En arrière-plan, un champ de ruines à Al-Atatra, un quartier au nord-ouest de la ville de Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza. Effroyable. Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment pouvons-nous entendre qu’une armée ayant pour but d’anéantir une population, affirme garantir la liberté des personnes LGBTQIA+ ? À l’heure où l’on déplore plus de 38 000 morts, dont 15 000 enfants [en juin 2024, ndr], il est nécessaire de questionner le rôle des organisations LGBTQIA+ dans la lutte contre l’État génocidaire.

Une stratégie consciente

Malheureusement, si cette photo nous a terrifiés, sa découverte ne nous a pas surpris plus que cela. Et oui, depuis plusieurs décennies, l’État d’Israël a adopté consciemment une stratégie homonationaliste, qui consiste à utiliser nos vies, la vie des queers, comme une excuse pour justifier ses crimes contre l’humanité. Pour justifier la colonisation qu’elle entreprend. Pour justifier les meurtres de civils commis par l’armée d’occupation israélienne.

Chaque année, au mois de juin nous observons les campagnes de pinkwashing d’Israël qui visent à rendre acceptable son impérialisme. Dans un contexte génocidaire, cette campagne a un goût d’autant plus amer. Déshumanisation des palestinien·nes, diabolisation de leur société. Au nom des droits des femmes. Au nom des minorités de genre et sexuelles.

L’État d’Israël est-il vraiment progressiste ?

Ce qu’il faudrait comprendre est simple, les Palestinien·nes seraient consubstanciellement LGBTphobe. Dans ce contexte, l’État Israélien, « seule démocratie du Moyen-Orient », se verrait dans l’obligation de les combattre au nom de la défense des droits des minorités.

Mais de quel progressisme peut-on se réclamer, quand on rase l’hôpital d’Al-Shifah, plus grand complexe hospitalier de Gaza ? De quel progressisme peut-on se réclamer quand la société civile israélienne s’organise pour bloquer l’aide humanitaire vers Gaza, avec la passivité complice de la police et de l’armée ? De quel progressisme peut-on se réclamer quand on déplace 1,2 millions de personnes dans la ville de Rafah aussi petite que Colmar et ses 70 000 habitant·es ? De quel progressisme peut-on se réclamer, quand on bombarde un camp de réfugié·es à Rafah, pourtant décrété comme un « endroit sûr » par l’armée Israélienne elle-même ?

En effet, la réalité est tout autre. Les queers palestinien·nes du collectif Queer in Palestine l’expliquent mieux que nous. Pour que leurs oppressions cessent, il faut avant tout mettre fin aux attaques, mettre fin aux crimes, mettre fin au génocide. Soyons lucides. Un État qui massacre massivement des LGBT ne peut pas être considéré comme un rempart aux LGBTphobies. Car aussi étonnant que ça puisse paraître les missiles ne sont pas téléguidés sur les cishétéros, et parmi les 38 000 mort·es, on compte sans doute des centaines de personnes queers.

Une méthode qui fonctionne et qu’on connaît en France

Le pire, c’est que cette stratégie semble fonctionner. Chaque jour, en tant que LGBTQIA+ qui se dressent contre le génocide en cours, nous recevons de multiples dissuasions qui nous expliquent que nous serions des « poulets qui défendent KFC ». Que si nous étions à Gaza, nous serions « jeté·es du haut des tours ». En somme, que les Palestinien·nes qui se font massacrer seraient nos bourreaux.
Ces comparaisons aussi ridicules que racistes, nous ne les connaissons que trop bien en tant que LGBT de quartiers populaires. En effet, beaucoup racontent que nos difficultés seraient dûes à l’islam et aux habitant·es de quartiers populaires – noirs et arabes – forcément LGBTphobes. Mais la réalité nous la connaissons car nous la vivons. Ce qui complique nos vies ce ne sont pas nos voisins, nos camarades et nos familles. Mais bien les lacunes d’un État français qui mutile les personnes intersexes, qui reste indifférent à notre précarité et qui souhaite interdire la transition des mineur·es trans au détriment de leur santé mentale.

De la même manière, il nous faut diffuser les mots des queer palestinien·nes. Aujourd’hui, ce qui rend leurs vies impossibles, ce ne sont pas les Palestien·nes elleux-mêmes. Ce sont les bombes larguées sur leurs toits et sur leurs têtes.

Organisations LGBT, mobilisons-nous pour le cessez-le-feu durant le mois des fiertés !

En tant que mouvements LGBTQIA+, ne soyons pas dupes. Ces crimes ne doivent pas être commis en notre nom. Il nous faut dénoncer fermement l’invisibilisation absolue des LGBTQIA+ de Palestine et des mouvements qui les représentent.

En ce mois des fiertés, nous appelons à relayer leur voix et à les soutenir plus que jamais dans leur lutte libératrice. Et surtout, nous réaffirmons notre soutien à la défense de toustes les Palestinien·nes. Les droits à la vie et à la dignité sont inconditionnels. Il ne doit en aucun cas être un privilège attribué par Israël sur la base d’identités religieuses ou de positions politiques supposées.

Nous ne pouvons pas rester silencieux·ses face à ces crimes. C’est pourquoi nous appelons à la solidarité et à la mobilisation de toutes les organisations qui luttent pour la défense des droits LGBTQIA+. Nous appelons à mettre la question palestinienne au centre de nos revendications. Nous appelons à lutter pour un cessez-le-feu immédiat et pour la libération de la Palestine.

Il n’y a pas de fierté sans défense de la vie des LGBTQIA+ palestinien·nes. Il n’y a pas de fierté sans défense de la vie des Palestinien·nes tout court.

Sans défense des Palestinien·nes, du « mois
des fiertés », il ne restera plus que la honte.

/ La Pride des Banlieues /


Israël : Le pinkwashing comme arme coloniale en Palestine

[Article paru sur agirparlaculture.be
le 19 septembre 2024]

Le pink­wa­shing est une stra­té­gie qui consiste à déployer des messages super­fi­ciel­le­ment sou­te­nants à l’égard de la com­mu­nau­té queer à des fins qui n’ont que peu ou rien à voir avec l’égalité ou l’inclusion des per­sonnes concer­nées. Cette pra­tique a régu­liè­re­ment été obser­vée en Israël et est dénon­cée par cer­tains acti­vistes LGBTQIA+ qui y voient un moyen uti­li­sé par les auto­ri­tés israé­liennes pour faire oublier l’occupation et redo­rer l’image du pays auprès de cer­tains publics.

Depuis plu­sieurs mois, le pink­wa­shing est régu­liè­re­ment uti­li­sé pour mini­mi­ser les crimes per­pé­trés par l’armée israé­lienne à Gaza. Le meilleur exemple en date reste cette pho­to publiée sur le réseau social X d’un sol­dat israé­lien qui, muni d’un dra­peau arc-en-ciel, se dresse fiè­re­ment devant une scène de guerre à Gaza. Celle-ci a été vue plus de 16 mil­lions de fois, notam­ment grâce à l’écho qu’en ont fait les autorités israé­liennes sur leur compte offi­ciel, affir­mant « Le tout premier drapeau de la fier­té LGBT his­sé à Gaza ». Plus cynique encore, ledit dra­peau arbo­rait l’inscription « In the name of love », sug­gé­rant à demi-mot que le pay­sage dévas­té en fond avait été détruit pour les per­sonnes queer, dans leur inté­rêt, en leur nom.

Mais que vient faire la com­mu­nau­té queer [1] dans ce conflit ? Et pourquoi le gou­ver­ne­ment israé­lien met-il tant de cœur à soi-disant sou­te­nir ses reven­di­ca­tions ? Quelle place cette pos­ture tient-elle dans la pro­pa­gande coloniale ?

Le pinkwashing comme outil de propagande

Le terme de « pink­wa­shing » est cal­qué sur celui de « green­wa­shing », cette stra­té­gie de mar­ke­ting don­nant une image faus­se­ment éco­lo­gique à une orga­ni­sa­tion qui ne l’est pas. Le pink­wah­sing (lit­té­ra­le­ment rosi­fi­ca­tion) se réfère à une méca­nique simi­laire pour don­ner à une orga­ni­sa­tion, une entre­prise ou, dans ce cas, un État, une image plus éthique et plus pro­gres­siste sans que cela ne se reflète dans ses poli­tiques réelles. Ici, il s’agit de déve­lop­per des stra­té­gies de com­mu­ni­ca­tion pour construire l’image d’un fort sou­tien à la com­mu­nau­té LGBTQIA+. Ce terme a été popu­la­ri­sé par l’autrice, mili­tante juive pro­gres­siste et fon­da­trice du col­lec­tif Les­bian Aven­gers, Sarah Schul­man dans un édi­to­rial du New York Times en 2011. Elle y affirme qu’Israël fait preuve de pink­wa­shing dans le cadre de ses actions de rela­tions publiques en approu­vant de manière sélec­tive cer­taines reven­di­ca­tions de ces mino­ri­tés afin de ser­vir sa propre cause, et donc sa poli­tique anti­pa­les­ti­nienne. Selon elle, si Israël se pré­sente comme pro-LGBT­QIA+, c’est for­cé­ment en oppo­si­tion à un peuple pales­ti­nien pré­sen­té comme bar­bare, rétro­grade, homo­phobe et fana­tique. Dans le même temps, Israël soigne sa propre image de marque et déshu­ma­nise ses opposant·es, se posi­tion­nant en cela comme la « seule démo­cra­tie » au Moyen-Orient. Elle per­met éga­le­ment aux auto­ri­tés d’affirmer que les auto­ri­tés israé­liennes ont fait d’incroyables pro­grès en termes de droits LGBTQIA+, bien plus que tous les pays qui l’entourent, et plus par­ti­cu­liè­re­ment la Palestine.

Cette pra­tique s’inscrit par­fai­te­ment dans la stra­té­gie de soft power déve­lop­pée par l’État d’Israël qui se qua­li­fie de terre d’accueil, comme seul refuge pour le peuple Juif, un État défen­dant des valeurs démo­cra­tiques occi­den­tales, et par­mi elles, la défense des per­sonnes LGBTQIA+. Au-delà de la volon­té de redo­rer (ou plu­tôt rero­ser) l’image d’Israël aux yeux du monde, c’est aus­si l’entretien d’un sté­réo­type raciste selon lequel le Moyen-Orient serait de fac­to hos­tile aux valeurs occi­den­tales et aux res­pects de droits fon­da­men­taux. Il y a « eux » et « nous ». Ces sté­réo­types s’appuient sur les efforts his­to­riques effec­tués pour dia­bo­li­ser les récits et la résis­tance pales­ti­nienne en uti­li­sant des stra­té­gies poli­tiques ancrées dans le racisme anti-arabe et l’islamophobie. Ils rap­pellent les cam­pagnes de pro­pa­gande colo­niale comme celle de la France en Algé­rie qui, de façon sem­blable, oppo­sait le droit de la popu­la­tion colo­ni­sée à celle d’une par­tie de cette même popu­la­tion (dans ce cas, les femmes) pré­sen­tée comme oppri­mée par ses pairs, dont la pré­ten­due libé­ra­tion ne pou­vait adve­nir que par le biais du colo­ni­sa­teur, appor­tant civi­li­sa­tion et déli­vrance (l’abandon du voile et/ou de la reli­gion musul­mane). De cette façon, Israël ne s’impose pas seule­ment comme colo­nie de peu­ple­ment et comme puis­sance mili­taire mais éga­le­ment comme repré­sen­tante d’une force morale, assu­rant sa légi­ti­mi­té et s’attirant des sou­tiens à l’international.

L’autre facette logique de cette stra­té­gie, c’est la dis­qua­li­fi­ca­tion des opposant·es qui défendent ces valeurs cen­sées être défen­dues par Israël, à gauche et plus spé­ci­fi­que­ment ici, des com­mu­nau­tés LGBTQIA+ ouver­te­ment pro-Pales­tine. On a pu voir défi­ler des réac­tions hos­tiles aux actions de soli­da­ri­té, telles qu’incarnent par exemple les mou­ve­ments queers for Pales­tine, réac­tions allant du dis­cré­dit à la franche moque­rie. Une tri­bune publiée dans l’hebdomadaire Marianne est à ce titre très exem­pla­tif en se fai­sant volon­tiers le relai du pink­wa­shing israé­lien. Ces réac­tions per­mettent de dis­qua­li­fier d’office ces sou­tiens sans même en entendre les pro­pos, puisqu’ils sont jugés comme de fac­to inau­dibles. De tels dis­cours par­ti­cipent à la déshu­ma­ni­sa­tion des Palestinien·nes et, dans le même mou­ve­ment, méprisent les per­sonnes queer affi­chées comme inca­pable de voir leur propre inté­rêt ou d’apprécier un com­bat qui s’affiche (aus­si) en leur nom.

Il est impor­tant de rap­pe­ler que les mou­ve­ments queer luttent pour les droits humains en géné­ral et pas uni­que­ment les droits des per­sonnes LGBQIA+. Et c’est à ce titre qu’ils se posi­tionnent en faveur de la cause pales­ti­nienne. Si ces mou­ve­ments émergent de la lutte de et pour les mino­ri­tés sexuelles et de genre, leur posi­tion à la marge de la socié­té encou­rage la soli­da­ri­té avec des per­sonnes ou des peuples subis­sant, au sens large, une oppres­sion sys­té­mique. Certain·es fémi­nistes comme Eve Kosof­sky Sedg­wick ont d’ailleurs ten­dance à don­ner au terme queer une défi­ni­tion fluc­tuante au croi­se­ment des iden­ti­tés de genre, de sexua­li­té mais aus­si de race, de l’ethnicité ou des ques­tions migratoires.

Le mythe d’un État gay-friendly

Il est éga­le­ment impor­tant de sou­li­gner que le pink­wa­shing per­met aux auto­ri­tés israé­liennes de ne pas obser­ver leur propre réa­li­té, et notam­ment à pro­pos des droits LGBTQIA+ puisque de nom­breuses expé­riences d’oppression homo­phobe exer­cées par Israël sur ses propres ressortissant·es queer sont docu­men­tées et que seul le mariage hété­ro­sexuel y est léga­le­ment auto­ri­sé. En fai­sant la pro­mo­tion de villes telles que Tel-Aviv comme des des­ti­na­tions tou­ris­tiques gay-friend­ly, les auto­ri­tés israé­liennes cherchent à obte­nir le sou­tien des com­mu­nau­tés queer à tra­vers le monde sans que cela ne se reflète dans les droits effec­tifs des per­sonnes sur leur ter­ri­toire. À pro­pos du res­pect des droits humains plus lar­ge­ment, l’État colon est régu­liè­re­ment mis en cause par les ONG, notam­ment en rai­son de l’instauration de plu­sieurs lois mani­fes­te­ment dis­cri­mi­nantes à l’égard des Palestinien·nes. En 2022, devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le rap­por­teur spé­cial, M. Michael Lynk qua­li­fiait offi­ciel­le­ment d’« apar­theid » le sys­tème poli­tique appli­qué par les auto­ri­tés israé­liennes aux ter­ri­toires pales­ti­niens occu­pés. La recon­nais­sance par la Cour Inter­na­tio­nale de Jus­tice des Nations Unies d’un risque de génocide à Gaza ne fait qu’appuyer ce constat.

Lorsque sont évoqué·es les per­sonnes queer pales­ti­niennes, les auto­ri­tés israé­liennes ain­si que les adeptes du pink­wa­shing dressent la plu­part du temps le por­trait d’une vic­ti­mi­sa­tion indi­vi­duelle qui ren­force la bina­ri­té d’un pré­ten­du sous-déve­lop­pe­ment pales­ti­nien face à un État israé­lien pro­gres­siste. Ces repré­sen­ta­tions sug­gèrent que la socié­té pales­ti­nienne souffre d’une homo­pho­bie patho­lo­gique, et qu’aucune voix dis­si­dente ne peut s’y faire entendre très long­temps. Le pink­wa­shing porte un dis­cours selon lequel la seule pos­si­bi­li­té de libé­ra­tion pour les per­sonnes queer pales­ti­niennes est indi­vi­duelle (il n’est jamais ques­tion de libé­ra­tion col­lec­tive) et consiste à s’échapper de leurs com­mu­nau­tés pour se réfu­gier en Israël. Le mythe domi­nant de Palestinien·nes queer trou­vant refuge dans des villes israé­liennes est pour­tant tota­le­ment men­son­ger compte tenu des poli­tiques colo­niales actuelles (res­tric­tions de dépla­ce­ment, res­tric­tion d’accès au loge­ment, res­tric­tion d’accès au tra­vail) qui visent sur­tout à conte­nir une popu­la­tion pales­ti­nienne dans des zones ultra­con­trô­lées avec peu ou pas de res­sources et en appli­quant une poli­tique mili­taire inté­rieure per­ma­nente de contrôle et de répres­sions. Et rap­pe­lons-le, cette poli­tique colo­niale s’applique à toustes les Palestinien·nes sans dis­tinc­tion d’orientation sexuelle ou d’identité de genre.

Notons en outre, avec peut-être une pointe de cynisme, qu’il est bien dif­fi­cile de mettre en place sous un régime d’apartheid des poli­tiques pro­gres­sistes, quelles qu’elles soient.

/ July Robert & Marie Charue /


Pour aller plus loin

Livre et articles

• « Mirage gay à Tel Aviv », Jean Stern - Voir son entretien sur trounoir.org du 28 mai 2021
• « De l’Eden Gay au front pionnier », Valérie Pouzol. En accès libre sur books.openedition.org
• « Palestine, un féminisme de libération », Nada Elia, édition Remue Ménage, 2024
• « Queer Liberation & Palestine », à lire sur alqaws.org, 26 mai 2021

Vidéos & films

• « The Queer Palestinian experience ft. Moody », Queer collective sur YouTube, 2-11-2023
• « Derrière les fronts. Résistances et résilience en Palestine », Alexandra Dols (documentaire), 2017

Sites internet

• Orient XXI
• Electronic Intifada
• Middle East Eye
• Chroniques Palestine
• Campagne BDS France
• Stop Arming Israël

Instagram

@carnets_palestiniens
@palestinestudies
@eye.on.palestine
@wizard.bisan1
@queers.for.palestine
@queercoalitionforPalestine

[1« Queer » est un terme ini­tia­le­ment péjo­ra­tif (bizarre, étrange), par­ti­cu­liè­re­ment adres­sé à l’encontre des per­sonnes LGBTQIA+ à par­tir du 19e siècle, les dési­gnant comme déviant·es, que des membres de la com­mu­nau­té se sont réapproprié·es à par­tir des années 1990. Il recouvre géné­ra­le­ment une dimen­sion plus poli­tique des mino­ri­tés sexuelles et de genre car il sup­pose une volon­té de sor­tir des normes (sexuelles et de genre)


// Brochure éditée par Horizon Palestine
horizon-palestine@protonmail.com
@HorizonPalestine //



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