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Pas de libération queer sans la Palestine
mis en ligne le 3 août 2025 - Horizon Palestine
Sommaire
Un plaidoyer pour la libération de la part des Queers en Palestine, décembre 2023
« Pas de fiertés sans la Palestine », juin 2024
Israël : Le pinkwashing comme arme coloniale en Palestine, septembre 2024
Un plaidoyer pour la libération de la part des Queers en Palestine

[Article paru sur lenumerozero.info
le 17 décembre 2023]
Nous écrivons ceci en tant que travailleurs, étudiants, agriculteurs, parents - en tant que Palestiniens, Palestiniens queers. Non pas parce que notre identité queer nous procure une position d’exception mais parce que, de la même manière dont nous avons été marginalisés en tant que personnes queers, nous faisons aujourd’hui face à des tactiques patriarcales coloniales qui visent à marginaliser davantage nos identités de queers palestiniens. Rassembler nos mots et nos énergies nous demande un effort immense. Nous sommes révoltés que, au milieu de ces moments de brutalité spectaculaire et de carnage infligés aux corps palestiniens, y compris le viol, la torture, et la mutilation, nous soyons détournés de notre deuil et de notre propre organisation pour formuler une demande.
Depuis le 7 octobre, nous sommes témoins d’un génocide accéléré se déroulant dans la bande de Gaza et dans toutes les régions de la Palestine, ouvertement et publiquement déclaré à de nombreuses reprises par plusieurs responsables gouvernementaux et militaires israéliens. La brutalité et l’amplitude léthale des atrocités commises par l’État israélien et ses partisans créent des conditions de plus en plus épouvantables pour ceux qui restent en vie en Palestine, chaque jour, partout. Cette brutalité a été maintenue grâce au soutien économique, militaire, diplomatique et politique continu des dirigeants mondiaux, au cours de l’histoire et actuellement. Nous notons, documentons et racontons les centaines de massacres catastrophiques des 75 dernières années aux mains de la fureur anéantissante du régime sioniste ; de Deir Yassin au massacre de Tantura (1948) sur lequel est basée la fondation d’Israël, en passant par le massacre de Kafr Qassem (1956) et Sabra et Chatila (1982), pour n’en citer que quelques-uns. Il n’y a aucune possibilité pour un mouvement politique et social libérateur d’atteindre la vie et la dignité s’il est aligné sur la machine de mort génocidaire d’Israël. Israël est fondé sur le sang et est maintenue par le sang.
En cette période, et dans le continuité de son exploitation de longue date des politiques libérales d’identité, Israël instrumentalise les corps queer pour faire barrage à tout soutien à la Palestine et à toute critique de son projet de peuplement colonialiste. Les Israéliens (politiciens, organisations et « civils ») mobilisent des dichotomies coloniales telles que « civilisé » et « barbare », « humain » et « animal », ainsi que d’autres binarismes déshumanisants, dans le but de légitimer les attaques contre les Palestiniens. Dans cette rhétorique coloniale de peuplement, Israël cherche à obtenir le soutien des gouvernements occidentaux et des sociétés libérales en se présentant comme une nation respectant la liberté, la diversité et les droits de l’homme, luttant contre une société « monstrueuse » et oppressante, comme l’a clairement déclaré le Premier ministre d’Israël : « Il y a un combat entre les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres, entre l’humanité et la loi de la jungle. »
Pendant que ces déclarations ouvertement racistes et génocidaires occupent le devant de la scène, les activistes en Palestine et à l’échelle internationale sont réduits au silence, harcelés, placés en détention, criminalisés, des travailleurs sont licenciés, et des étudiants sont exclus de leurs universités. Les activistes féministes et queer internationaux, solidaires de la Palestine, font face à des attaques et du harcèlement de la part des sionistes sous prétexte que ceux qui soutiennent la Palestine seront « violées » et « décapitées » par les Palestiniens, simplement parce qu’elles sont des femmes et des queers. Pourtant, le plus souvent, ce sont les queers et les femmes qui soutiennent la Palestine que les sionistes souhaitent violer et tuer. Les fantasmes sionistes de corps brutalisés ne nous surprennent pas, car nous avons fait l’expérience de leur manifestation réelle à la fois dans notre chair et dans nos esprits. Pourtant, ils ne cessent de surenchérir dans leur véhémence explicite.
Cela devient encore plus absurde lorsque de tels cadres sont construits contre la société palestinienne, à la lumière de nombreuses témoignages, rapports et documents sur les violences sexuelles auxquelles les Palestiniens sont confrontés tout au long des 75 ans d’occupation militaire israélienne. Depuis les milliers de prisonniers palestiniens, hommes et femmes, soumis à la torture sexuelle et au viol depuis la création d’Israël jusqu’à aujourd’hui, en passant par la violence quotidienne et croissante des colons contre les Palestiniens en Cisjordanie, jusqu’aux « civils » israéliens qui se filment en train de torturer des Palestiniens enlevés comme une tendance TikTok, et les récentes images terrifiantes publiées sur les plateformes de médias sociaux par les soldats israéliens, qui documentent l’ampleur de la torture et des abus sexuels infligés à nos corps, quel que soit leur orientation sexuelle et leur genre - toutes les formes de violence, y compris la violence sexuelle, font systématiquement et structurellement partie de la domination sioniste sur la vie palestinienne. Et pourtant, la société israélienne continue d’instrumentaliser la queerness pour justifier la guerre et la répression coloniale, comme si leurs bombes, leurs murs d’apartheid, leurs armes, leurs couteaux et leurs bulldozers choisissaient leurs victimes en fonction de leur sexualité et de leur genre.

Nous refusons l’instrumentalisation de notre identité queer, de nos corps, ainsi que la violence à laquelle nous faisons face en tant que personnes queers afin de diaboliser et déshumaniser nos communautés, surtout lorsque ceux-ci sont mis au service d’actes impéraux et génocidaires. Nous refusons que la sexualité palestinienne et les attitude palestiniennes vis-a-vis de corps diversifiés deviennent des paramètres pour assigner ou non une humanité à une société colonisée. Nous méritons la vie car nous sommes humains, dans la multitude de nos imperfections, et non de par notre proximité ou non avec les modes coloniaux d’humanité libérale. Nous refusons les tactiques coloniales et impérialistes qui visent à nous aliener de notre société et d’aliéner notre société à notre égard, sur la base de nos vécus queers. Nous combattons des systèmes d’oppression qui sont interconnectés, qui incluent le patriarcat et le capitalisme, et nos rêves d’autonomie, de communauté et de libération sont intrinsèquement liés à notre désir d’auto-détermination. Il n’y a aucune libération queer qui puisse être acquise par la colonisation, et aucune solidarité queer ne peux être favorisée si elle est aveugle aux structures racialisées, capitalistes, fascistes et impériales qui nous dominent.

Nous appelons les activistes et groupes queer et féministes dans le monde à affirmer leur solidarité avec le peuple palestinien et leur résistance à leur déplacement forcé, le vol de leurs terres, le nettoyage ethnique dont ils sont victimes et leur lutte pour la libération de leurs terres et de leurs avenirs de la colonisation de peuplement israëlienne. La réponse à cet appel ne peut se faire uniquement par le partage de tribunes et la signature de lettres collectives, mais doit s’accompagner d’un engagement continu auprès de luttes décoloniales et de libération en Palestine et dans le monde. Nos demandes sans équivoque sont les suivantes :
• Rejettez les financement sionistes, refusez de collaborer avec des institutions sionistes, rejoignez le mouvement BDS.
• Faites grève : que cela soit silencieux ou public, refusez que votre labeur soit exploité afin de réduire au silence le militantisme palestinien ou pour financer, soutenir et rendre possible la colonisation de peuplement militarisée israélienne et le génocide.
• Faites ce que les personnes queer décoloniales font depuis des années, emparez-vous de la mise en récit, et affirmez les termes de la conversation au sujet de la Palestine, cette-fois. Ce qu’il se passe en Palestine est un génocide. Israël est une colonie de peuplement. Les Palestiniens sont une société sous occupation militaire et colonisation. Selon le droit international, Israël n’a pas le droit de « se défendre » contre la population qu’il occupe, tandis que les Palestiniens ont le droit de résister à leur occupation. Exiger un cessez-le-feu est la première étape pour demander des comptes à Israël pour ses crimes contre l’humanité. Nous devons également exiger la levée du siège de Gaza et le démantèlement de la colonie de peuplement sioniste.
• Contactez vos représentants locaux, et exercez une pression sur eux à cesser de financer ce génocide, à mettre fin à leur soutien militaire, diplomatique et politique envers Israël. Dénoncez la criminalisation continue et complice de la solidarité avec la Palestine, ainsi que la projection coloniale et islamophobe de l’antisémitisme européen sur les voix palestiniennes et racisées, comme nous pouvons le constater notamment en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Allemagne.
• Bloquez des axes routiers majeurs. Organisez des sit-in dans votre gare centrale locale. Interrompez le flot du commerce. La complaisance est un choix.
Nous, soussignés, queers palestiniens et alliés, sommes une partie intégrante de notre société, et vous informons que : des allées lourdement militarisées de Jerusalem, aux terres calcinées de Huwara, aux rues sous surveillance de Jaffa et en passant par les murs de Gaza assiégée, la Palestine sera libre, du Jourdain jusqu’à la mer Méditerranée.
Nous, sousignés, Palestiniens et alliés, amplifions le Plaidoyer pour la Liberation, de la part des Queers en Palestine
« Pas de fiertés sans la Palestine »
[Tribune publiée dans la revue
Politis le 10 juin 2024]
En ce « mois des fiertés », un texte signé par des organisations et des personnalités invite à dénoncer le ‘pinkwashing’ du gouvernement israélien et à mettre la question palestinienne au cœur des revendications LGBTQIA+.
En ce mois de juin, mois de lutte pour les droits des personnes LGBTQIA+, nous appelons à mettre la question palestinienne au cœur de nos mobilisations. Nous refusons d’être complices de toute tentative de pinkwashing¹ de la part du gouvernement israélien.

En novembre dernier, une image nous a glacé le sang. Une photo. Celle d’un soldat Israélien à Gaza déployant un drapeau arc-en-ciel sur lequel on pouvait lire « In the name of love ». En arrière-plan, un champ de ruines à Al-Atatra, un quartier au nord-ouest de la ville de Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza. Effroyable. Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment pouvons-nous entendre qu’une armée ayant pour but d’anéantir une population, affirme garantir la liberté des personnes LGBTQIA+ ? À l’heure où l’on déplore plus de 38 000 morts, dont 15 000 enfants [en juin 2024, ndr], il est nécessaire de questionner le rôle des organisations LGBTQIA+ dans la lutte contre l’État génocidaire.
Une stratégie consciente
Malheureusement, si cette photo nous a terrifiés, sa découverte ne nous a pas surpris plus que cela. Et oui, depuis plusieurs décennies, l’État d’Israël a adopté consciemment une stratégie homonationaliste, qui consiste à utiliser nos vies, la vie des queers, comme une excuse pour justifier ses crimes contre l’humanité. Pour justifier la colonisation qu’elle entreprend. Pour justifier les meurtres de civils commis par l’armée d’occupation israélienne.
Chaque année, au mois de juin nous observons les campagnes de pinkwashing d’Israël qui visent à rendre acceptable son impérialisme. Dans un contexte génocidaire, cette campagne a un goût d’autant plus amer. Déshumanisation des palestinien·nes, diabolisation de leur société. Au nom des droits des femmes. Au nom des minorités de genre et sexuelles.
L’État d’Israël est-il vraiment progressiste ?
Ce qu’il faudrait comprendre est simple, les Palestinien·nes seraient consubstanciellement LGBTphobe. Dans ce contexte, l’État Israélien, « seule démocratie du Moyen-Orient », se verrait dans l’obligation de les combattre au nom de la défense des droits des minorités.
Mais de quel progressisme peut-on se réclamer, quand on rase l’hôpital d’Al-Shifah, plus grand complexe hospitalier de Gaza ? De quel progressisme peut-on se réclamer quand la société civile israélienne s’organise pour bloquer l’aide humanitaire vers Gaza, avec la passivité complice de la police et de l’armée ? De quel progressisme peut-on se réclamer quand on déplace 1,2 millions de personnes dans la ville de Rafah aussi petite que Colmar et ses 70 000 habitant·es ? De quel progressisme peut-on se réclamer, quand on bombarde un camp de réfugié·es à Rafah, pourtant décrété comme un « endroit sûr » par l’armée Israélienne elle-même ?
En effet, la réalité est tout autre. Les queers palestinien·nes du collectif Queer in Palestine l’expliquent mieux que nous. Pour que leurs oppressions cessent, il faut avant tout mettre fin aux attaques, mettre fin aux crimes, mettre fin au génocide. Soyons lucides. Un État qui massacre massivement des LGBT ne peut pas être considéré comme un rempart aux LGBTphobies. Car aussi étonnant que ça puisse paraître les missiles ne sont pas téléguidés sur les cishétéros, et parmi les 38 000 mort·es, on compte sans doute des centaines de personnes queers.
Une méthode qui fonctionne et qu’on connaît en France
Le pire, c’est que cette stratégie semble fonctionner. Chaque jour, en tant que LGBTQIA+ qui se dressent contre le génocide en cours, nous recevons de multiples dissuasions qui nous expliquent que nous serions des « poulets qui défendent KFC ». Que si nous étions à Gaza, nous serions « jeté·es du haut des tours ». En somme, que les Palestinien·nes qui se font massacrer seraient nos bourreaux.
Ces comparaisons aussi ridicules que racistes, nous ne les connaissons que trop bien en tant que LGBT de quartiers populaires. En effet, beaucoup racontent que nos difficultés seraient dûes à l’islam et aux habitant·es de quartiers populaires – noirs et arabes – forcément LGBTphobes. Mais la réalité nous la connaissons car nous la vivons. Ce qui complique nos vies ce ne sont pas nos voisins, nos camarades et nos familles. Mais bien les lacunes d’un État français qui mutile les personnes intersexes, qui reste indifférent à notre précarité et qui souhaite interdire la transition des mineur·es trans au détriment de leur santé mentale.
De la même manière, il nous faut diffuser les mots des queer palestinien·nes. Aujourd’hui, ce qui rend leurs vies impossibles, ce ne sont pas les Palestien·nes elleux-mêmes. Ce sont les bombes larguées sur leurs toits et sur leurs têtes.

Organisations LGBT, mobilisons-nous pour le cessez-le-feu durant le mois des fiertés !
En tant que mouvements LGBTQIA+, ne soyons pas dupes. Ces crimes ne doivent pas être commis en notre nom. Il nous faut dénoncer fermement l’invisibilisation absolue des LGBTQIA+ de Palestine et des mouvements qui les représentent.
En ce mois des fiertés, nous appelons à relayer leur voix et à les soutenir plus que jamais dans leur lutte libératrice. Et surtout, nous réaffirmons notre soutien à la défense de toustes les Palestinien·nes. Les droits à la vie et à la dignité sont inconditionnels. Il ne doit en aucun cas être un privilège attribué par Israël sur la base d’identités religieuses ou de positions politiques supposées.
Nous ne pouvons pas rester silencieux·ses face à ces crimes. C’est pourquoi nous appelons à la solidarité et à la mobilisation de toutes les organisations qui luttent pour la défense des droits LGBTQIA+. Nous appelons à mettre la question palestinienne au centre de nos revendications. Nous appelons à lutter pour un cessez-le-feu immédiat et pour la libération de la Palestine.
Il n’y a pas de fierté sans défense de la vie des LGBTQIA+ palestinien·nes. Il n’y a pas de fierté sans défense de la vie des Palestinien·nes tout court.
Sans défense des Palestinien·nes, du « mois
des fiertés », il ne restera plus que la honte.
/ La Pride des Banlieues /
Israël : Le pinkwashing comme arme coloniale en Palestine

[Article paru sur agirparlaculture.be
le 19 septembre 2024]
Le pinkwashing est une stratégie qui consiste à déployer des messages superficiellement soutenants à l’égard de la communauté queer à des fins qui n’ont que peu ou rien à voir avec l’égalité ou l’inclusion des personnes concernées. Cette pratique a régulièrement été observée en Israël et est dénoncée par certains activistes LGBTQIA+ qui y voient un moyen utilisé par les autorités israéliennes pour faire oublier l’occupation et redorer l’image du pays auprès de certains publics.
Depuis plusieurs mois, le pinkwashing est régulièrement utilisé pour minimiser les crimes perpétrés par l’armée israélienne à Gaza. Le meilleur exemple en date reste cette photo publiée sur le réseau social X d’un soldat israélien qui, muni d’un drapeau arc-en-ciel, se dresse fièrement devant une scène de guerre à Gaza. Celle-ci a été vue plus de 16 millions de fois, notamment grâce à l’écho qu’en ont fait les autorités israéliennes sur leur compte officiel, affirmant « Le tout premier drapeau de la fierté LGBT hissé à Gaza ». Plus cynique encore, ledit drapeau arborait l’inscription « In the name of love », suggérant à demi-mot que le paysage dévasté en fond avait été détruit pour les personnes queer, dans leur intérêt, en leur nom.
Mais que vient faire la communauté queer [1] dans ce conflit ? Et pourquoi le gouvernement israélien met-il tant de cœur à soi-disant soutenir ses revendications ? Quelle place cette posture tient-elle dans la propagande coloniale ?
Le pinkwashing comme outil de propagande
Le terme de « pinkwashing » est calqué sur celui de « greenwashing », cette stratégie de marketing donnant une image faussement écologique à une organisation qui ne l’est pas. Le pinkwahsing (littéralement rosification) se réfère à une mécanique similaire pour donner à une organisation, une entreprise ou, dans ce cas, un État, une image plus éthique et plus progressiste sans que cela ne se reflète dans ses politiques réelles. Ici, il s’agit de développer des stratégies de communication pour construire l’image d’un fort soutien à la communauté LGBTQIA+. Ce terme a été popularisé par l’autrice, militante juive progressiste et fondatrice du collectif Lesbian Avengers, Sarah Schulman dans un éditorial du New York Times en 2011. Elle y affirme qu’Israël fait preuve de pinkwashing dans le cadre de ses actions de relations publiques en approuvant de manière sélective certaines revendications de ces minorités afin de servir sa propre cause, et donc sa politique antipalestinienne. Selon elle, si Israël se présente comme pro-LGBTQIA+, c’est forcément en opposition à un peuple palestinien présenté comme barbare, rétrograde, homophobe et fanatique. Dans le même temps, Israël soigne sa propre image de marque et déshumanise ses opposant·es, se positionnant en cela comme la « seule démocratie » au Moyen-Orient. Elle permet également aux autorités d’affirmer que les autorités israéliennes ont fait d’incroyables progrès en termes de droits LGBTQIA+, bien plus que tous les pays qui l’entourent, et plus particulièrement la Palestine.
Cette pratique s’inscrit parfaitement dans la stratégie de soft power développée par l’État d’Israël qui se qualifie de terre d’accueil, comme seul refuge pour le peuple Juif, un État défendant des valeurs démocratiques occidentales, et parmi elles, la défense des personnes LGBTQIA+. Au-delà de la volonté de redorer (ou plutôt reroser) l’image d’Israël aux yeux du monde, c’est aussi l’entretien d’un stéréotype raciste selon lequel le Moyen-Orient serait de facto hostile aux valeurs occidentales et aux respects de droits fondamentaux. Il y a « eux » et « nous ». Ces stéréotypes s’appuient sur les efforts historiques effectués pour diaboliser les récits et la résistance palestinienne en utilisant des stratégies politiques ancrées dans le racisme anti-arabe et l’islamophobie. Ils rappellent les campagnes de propagande coloniale comme celle de la France en Algérie qui, de façon semblable, opposait le droit de la population colonisée à celle d’une partie de cette même population (dans ce cas, les femmes) présentée comme opprimée par ses pairs, dont la prétendue libération ne pouvait advenir que par le biais du colonisateur, apportant civilisation et délivrance (l’abandon du voile et/ou de la religion musulmane). De cette façon, Israël ne s’impose pas seulement comme colonie de peuplement et comme puissance militaire mais également comme représentante d’une force morale, assurant sa légitimité et s’attirant des soutiens à l’international.
L’autre facette logique de cette stratégie, c’est la disqualification des opposant·es qui défendent ces valeurs censées être défendues par Israël, à gauche et plus spécifiquement ici, des communautés LGBTQIA+ ouvertement pro-Palestine. On a pu voir défiler des réactions hostiles aux actions de solidarité, telles qu’incarnent par exemple les mouvements queers for Palestine, réactions allant du discrédit à la franche moquerie. Une tribune publiée dans l’hebdomadaire Marianne est à ce titre très exemplatif en se faisant volontiers le relai du pinkwashing israélien. Ces réactions permettent de disqualifier d’office ces soutiens sans même en entendre les propos, puisqu’ils sont jugés comme de facto inaudibles. De tels discours participent à la déshumanisation des Palestinien·nes et, dans le même mouvement, méprisent les personnes queer affichées comme incapable de voir leur propre intérêt ou d’apprécier un combat qui s’affiche (aussi) en leur nom.
Il est important de rappeler que les mouvements queer luttent pour les droits humains en général et pas uniquement les droits des personnes LGBQIA+. Et c’est à ce titre qu’ils se positionnent en faveur de la cause palestinienne. Si ces mouvements émergent de la lutte de et pour les minorités sexuelles et de genre, leur position à la marge de la société encourage la solidarité avec des personnes ou des peuples subissant, au sens large, une oppression systémique. Certain·es féministes comme Eve Kosofsky Sedgwick ont d’ailleurs tendance à donner au terme queer une définition fluctuante au croisement des identités de genre, de sexualité mais aussi de race, de l’ethnicité ou des questions migratoires.

Le mythe d’un État gay-friendly
Il est également important de souligner que le pinkwashing permet aux autorités israéliennes de ne pas observer leur propre réalité, et notamment à propos des droits LGBTQIA+ puisque de nombreuses expériences d’oppression homophobe exercées par Israël sur ses propres ressortissant·es queer sont documentées et que seul le mariage hétérosexuel y est légalement autorisé. En faisant la promotion de villes telles que Tel-Aviv comme des destinations touristiques gay-friendly, les autorités israéliennes cherchent à obtenir le soutien des communautés queer à travers le monde sans que cela ne se reflète dans les droits effectifs des personnes sur leur territoire. À propos du respect des droits humains plus largement, l’État colon est régulièrement mis en cause par les ONG, notamment en raison de l’instauration de plusieurs lois manifestement discriminantes à l’égard des Palestinien·nes. En 2022, devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le rapporteur spécial, M. Michael Lynk qualifiait officiellement d’« apartheid » le système politique appliqué par les autorités israéliennes aux territoires palestiniens occupés. La reconnaissance par la Cour Internationale de Justice des Nations Unies d’un risque de génocide à Gaza ne fait qu’appuyer ce constat.
Lorsque sont évoqué·es les personnes queer palestiniennes, les autorités israéliennes ainsi que les adeptes du pinkwashing dressent la plupart du temps le portrait d’une victimisation individuelle qui renforce la binarité d’un prétendu sous-développement palestinien face à un État israélien progressiste. Ces représentations suggèrent que la société palestinienne souffre d’une homophobie pathologique, et qu’aucune voix dissidente ne peut s’y faire entendre très longtemps. Le pinkwashing porte un discours selon lequel la seule possibilité de libération pour les personnes queer palestiniennes est individuelle (il n’est jamais question de libération collective) et consiste à s’échapper de leurs communautés pour se réfugier en Israël. Le mythe dominant de Palestinien·nes queer trouvant refuge dans des villes israéliennes est pourtant totalement mensonger compte tenu des politiques coloniales actuelles (restrictions de déplacement, restriction d’accès au logement, restriction d’accès au travail) qui visent surtout à contenir une population palestinienne dans des zones ultracontrôlées avec peu ou pas de ressources et en appliquant une politique militaire intérieure permanente de contrôle et de répressions. Et rappelons-le, cette politique coloniale s’applique à toustes les Palestinien·nes sans distinction d’orientation sexuelle ou d’identité de genre.
Notons en outre, avec peut-être une pointe de cynisme, qu’il est bien difficile de mettre en place sous un régime d’apartheid des politiques progressistes, quelles qu’elles soient.
/ July Robert & Marie Charue /

Pour aller plus loin
Livre et articles
• « Mirage gay à Tel Aviv », Jean Stern - Voir son entretien sur trounoir.org du 28 mai 2021
• « De l’Eden Gay au front pionnier », Valérie Pouzol. En accès libre sur books.openedition.org
• « Palestine, un féminisme de libération », Nada Elia, édition Remue Ménage, 2024
• « Queer Liberation & Palestine », à lire sur alqaws.org, 26 mai 2021
Vidéos & films
• « The Queer Palestinian experience ft. Moody », Queer collective sur YouTube, 2-11-2023
• « Derrière les fronts. Résistances et résilience en Palestine », Alexandra Dols (documentaire), 2017
Sites internet
• Orient XXI
• Electronic Intifada
• Middle East Eye
• Chroniques Palestine
• Campagne BDS France
• Stop Arming Israël
@carnets_palestiniens
@palestinestudies
@eye.on.palestine
@wizard.bisan1
@queers.for.palestine
@queercoalitionforPalestine
[1] « Queer » est un terme initialement péjoratif (bizarre, étrange), particulièrement adressé à l’encontre des personnes LGBTQIA+ à partir du 19e siècle, les désignant comme déviant·es, que des membres de la communauté se sont réapproprié·es à partir des années 1990. Il recouvre généralement une dimension plus politique des minorités sexuelles et de genre car il suppose une volonté de sortir des normes (sexuelles et de genre)
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