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Transmisogynie et culture du viol
dans les milieux féministes / queers / TPG / militants

mis en ligne le 26 novembre 2025 - neviahtf

Je suis une femme trans, non-binaire.

Je livre des fragments de mes expériences de violences sexuelles et de la culture transmisogyne du viol que j’ai rencontrée dans les milieux anarchistes, féministes, « queers » et TPG.

Je parlerai peu ou pas de l’en-dehors de ces milieux car de toute manière la transmisogynie féministe/queer/tpg est exactement la même que dans le reste de la société patriarcale. Les arguments et le vocabulaire utilisés sont parfois différents, la manière de politiser la haine des femmes et des non-binaires amab prend quelques formes spécifiques. Mais au fond ce sont les mêmes stéréotypes, le même sexisme, le même essentialisme, les mêmes ressorts, que ça vienne de TERF, de masculinistes d’extrême droite, de gauchistes, de féministes radicales prétendument « trans-inclusives » ou de certain.e.s queers. Malgré mes désaccords avec elle, je conseille la lecture du Manifeste d’une femme trans de Julia Serano pour l’analyse de la transmisogynie dans un contexte plus large.

C’est important de parler de ces milieux, pour casser l’idée que la transmisogynie et les violences sexuelles et sexistes seraient uniquement le fait des hommes cisgenres, et parce que c’est dans ces milieux qu’on imagine trouver un refuge et du soutien. Ce qu’on vit dans ces milieux où on déconstruit la culture du viol montre qu’il y a une culture SPECIFIQUE qui légitime, minimise, normalise, invisibilise les agressions sexuelles et violences conjugales sur les femmes trans, les personnes transféminines et non-binaires amab. Et cette culture démonise ou excuse des agressaires en fonction de critères sexistes (sexe, assignation de genre, passing).

La culture du viol c’est partout, la transmisogynie c’est partout. Ne fermez pas les yeux quand nos oppresseur.euses et nos agresseur.euses sont vos potes, quand ils/elles/iels sont des meufs cis, des queers, des féministes. Ne fermez pas les yeux. Arrêtez de nous silencier.

Pendant des années j’ai été bloquée devant une page blanche. Je voulais écrire un texte parfait, qui analyse tout bien, en prenant en compte tous les sentiments, les traumas et les enjeux théoriques possibles. Je voulais mettre les bonnes citations, les bonnes références, les bons arguments dans le bon ordre. Je voulais que ce soit exhaustif, carré, inattaquable. Je voulais visibiliser mes failles et les violences que j’exerce autant que celles que je dénonce. Je voulais être sûre de pouvoir l’assumer pour toujours.

Je n’ai pas écrit ce texte. J’ai abandonné ce fantasme après des années à boucler dans ma tête. Je suis pas capable de ça, et d’ailleurs personne ne l’est. Ce texte parfait est un mythe né des reproches qui sont sans cesse faits aux personnes qui dénoncent l’oppression qu’iels vivent. On reproche toujours aux opprimé.e.x de ne pas être parfait.e.x. Ce que j’écris n’est pas carré, ni parfait, ni une vérité éternelle à graver dans le marbre. C’est les fragments pétés du chaos dans ma tête. C’est la collision d’innombrables faits, paroles, pensées qui se sont déroulés pendant toute ma vie et auxquels j’essaie de donner du sens. La plupart de ces fragments je les ai vécus seule, et j’ai rarement pu en débriefer. Je n’ai pas eu de communauté. C’est le mieux que je peux faire aujourd’hui. Livrer des parts énormes de mon intimité. Me rendre vulnérable pour faire comprendre certains aspects invisibles de ma vie et du monde dans lequel nous vivons toustes. J’espère donner quelques clés à certaines de mes sœurs et adelphes. Des fois, ça suffit à faire une différence.

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J’essaie de faire du sexe pour la première fois de ma vie, avec un mec cis. Il me viole. On a des copines communes qui sont féministes et qui ont déjà réagi à une histoire de viol dans leur groupe d’amix. Je leur dis qu’il m’a agressée, elles me répondent "ah." puis ne m’en reparlent jamais.

Quelques temps plus tard elles m’invitent à une soirée chez ce mec, comme si de rien n’était. J’y vais et je m’amuse en l’évitant. Quand mes copines partent, je veux partir avec elles pour pas rester seule. Mais elles me disent que je suis trop bourrée pour rentrer chez moi et m’ordonnent de rester chez lui. J’étais en état de rentrer et j’avais aucune envie de dormir chez mon agresseur donc je vais pour sortir, elles tentent de m’en empêcher, je m’enfuis en courant de l’appart, elles me rattrapent devant la porte de l’ascenseur, me chopent chacune par une épaule et me forcent à rentrer dans l’appart de mon agresseur en me traînant par les bras. Elles me mettent sur un canapé et me disent "t’inquiètes pas, il va s’occuper de toi, te montrer un lit" et puis elles rentrent chez elles. Je suis totalement sidérée, choquée, paralysée. Au bout d’un moment le mec m’amène dans une chambre, puis me dit qu’il va revenir. Je suis confuse et terrifiée alors je me retourne le cerveau et quand il se pose près de moi je prends "l’initiative", pour avoir l’impression d’être en contrôle.

Quelques semaines plus tard je demande à l’une des filles pourquoi elle m’a forcée à dormir chez lui alors que je lui avais dit qu’il m’avait agressée. Elle me répond : "ah oui. j’y ai pas pensé." Fin de la conversation. Aucune question, aucun soin, aucune proposition de soutien, aucune excuse.

Longtemps je comprenais pas pourquoi elles m’ont interdit de partir seule ce soir-là. Finalement j’ai compris en trouvant des photos de cette soirée : c’était la première fois que je portais du maquillage et des vêtements féminins. J’avais laissé tomber le masque de mec cis que je portais à l’époque, et je me permettais d’exister à ma manière : folle, fem, femme.

Être transfem c’est être vue à la fois comme inviolable (c’est-à-dire que nul n’imagine que je puisse être violée, même si je dis que c’est arrivé), comme non-vulnérable ET être vue comme victime abstraite (incapable de se défendre ou de rentrer seule chez elle) qu’il faut protéger d’elle-même, y compris en la brutalisant.

Quand j’ai dit être victime, je n’ai pas été entendue. Quand j’avais confiance en moi, les autres m’ont "protégée" contre mon gré. Quand j’ai fui mon agresseur, des cis-féministes m’ont ramenée à lui.

On pourrait voir ce fragment comme un épisode accidentel, un peu triste mais pas révélateur. Mais non : c’est une violence exemplaire, une leçon apprise pour la vie, confirmée par la suite. Je ne rentre pas dans les cases du patriarcat ou du cisféminisme : mes expériences sont invisibles et inaudibles.

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Un mec trans m’a agressé sexuellement quelques fois. Je lui en parle quelques années plus tard. Après que j’insiste il reconnaît finalement. Il en parle à certains de nos amis, avec mon accord. Très vite une personne lui propose de l’accompagner dans un processus autour de ça.

En soi, c’est très bien qu’il reçoive du soutien. Mais pendant des années, j’ai essayé de parler à des gens de ce qui s’est passé avec lui. Quelques personnes m’ont écouté mais personne ne m’a proposé de soutien ou de processus, que ce soit autour des traumas liés à ces agressions ou pour lui demander de faire de la reconnaissance. Une amie commune évite le sujet depuis des années. Même après la reconnaissance, aucun de nos amis communs ne m’a contactée, n’a proposé de l’écoute ou du soutien. Le "processus" n’a jamais inclus de me contacter, de me demander mes besoins ou de me tenir au courant. Je me sens toujours non-vue.

Quand un mec trans m’agresse, il reçoit du soutien. Et je reste seule avec ces traumas.

En plus le mec qui a proposé un processus à mon agresseur est quelqu’un à qui j’avais déjà parlé des questions de transmisogynie dans la gestion de relations. Six mois plus tôt y avait eu une situation où une ex abusive essayait de me forcer à discuter avec elle. Les gens autour ne réagissaient pas. J’ai fini par monter la voix et crier pour qu’elle arrête de me poursuivre. Immédiatement, il était rentré dans la pièce en disant quelque chose comme "BON va falloir se calmer" en me regardant moi. Heureusement, un témoin était intervenu pour lui dire que je réagissais à un dépassement de limite. Le lendemain on avait discuté et je lui avais parlé du manque de réaction quand des transfems subissent des violences et de la tendance à réagir automatiquement pour soutenir les personnes AFAB. Donc c’était un sujet sur lequel j’avais déjà fait de la pédagogie.


Une meuf cis call out une meuf trans non-binaire. Après ce call-out, la meuf trans reconnaît les faits. Elle est très largement call out, avec deadname, dénoncée comme un homme, isolée.

Une meuf cis fait un tag dans notre cuisine, genre "si il a commis une agression il mérite pas le pronom elle."

Quelques semaines plus tard je suis agressée sexuellement par une meuf cis. Je la confronte, elle se met en colère et m’engueule "j’ai fait ça parce que je t’aime !", "arrête de me parler de ça !" et "je suis comme ça moi, je veux tout tout de suite, je peux mourir à n’importe quel moment !". Je parle de ça à plusieurs personnes, qui me répondent "ah. c’est pas cool." Aucune proposition de soutien. L’agresseuse n’est pas call-out, elle reste là, personne n’arrête de lui parler ou ne pense à l’exclure. Dans les années qui ont suivi elle a agressé sexuellement et harcelé sexuellement de nombreuses autres personnes transféminines et des hommes cisgenres.

Spoilers : personne n’a jamais dit "si elle a agressé c’est pas une meuf", personne n’a prétendu que cette meuf cis était en réalité un homme cisgenre infiltré... L’essentialisme c’est 2 poids 2 mesures... Une meuf trans qui agresse une meuf cis est exclue et désignée comme homme cisgenre mais une meuf cis qui agresse une meuf trans n’est jamais inquiétée ou mégenrée.


Une meuf trans avec qui je dors me touche sexuellement pendant que je somnole. Le lendemain j’en parle à mes cohabitant.e.s. Immédiatement ils et elles me croient, m’écoutent, expriment une véritable empathie, me proposent du soutien émotionnel ou de l’exclure ou d’aller lui parler pour moi. C’est la seule fois où des gens ont réellement réagi à une agression sexuelle que j’ai vécu.


Je corrige unx amix proche qui parle de son ex transfem en utilisant le pronom masculin. Elle est sortie du placard après de longues années. Iel me répond "vu ce qu’il m’a fait, j’ai le droit de dire "il"".

Si une personne trans/non-binaire commet une agression ou est abusif.ve ça n’autorise personne à la mégenrer. Mégenrer volontairement est une violence sexiste intolérable. Ce n’est pas un acte de réparation ou de riposte. C’est de la merde. J’ai peur de blesser mon amix en recontactant l’amie transfem qui l’a agresséx alors je la ghoste deux ans.

Plus tard j’apprends que mon amix a lui-même agressé sexuellement une meuf trans et n’a pas fait de reconnaissance. Plus rien n’a de sens : j’ai passé deux ans à ghoster une agresseuse pour être amie avec sa victime... qui est lui-même un agresseur.


Un ami trans me parle d’une personne que j’ai pas vu depuis deux ans et me parle de son coming-out : "maintenant elle utilise le pronom elle, c’est trop cool. même si ça fait bizarre vu ce qu’elle a fait à des copines... elle a fait des trucs pas cool avec des copines... mais bon c’est cool."

Comme si y avait quelque chose de contradictoire... comme si il regrettait de plus pouvoir la désigner comme un mec cis… C’est pas neutre de call-out gratuitement une personne transféminine au moment de révéler son genre. Jamais on fait ça pour des femmes cisgenres ?!

Quelques mois plus tard j’apprends qu’il a lui aussi "fait des trucs pas cool". J’apprends ça dans un contexte où y a une raison que j’ai cette info et où c’est en rapport avec les besoins de la victime.

Souvent les infos sur des agressions sont traitées de manières différentes selon le genre de l’auteur.ice : ultra-visibilisées si l’autrice est transféminine, cachées si l’auteur.ice est une meuf cis ou un transmasc.

Des grilles d’analyses faites pour les relations cis-hétéro sont tout le temps appliquées aux relations entre queers. Ça empêche de comprendre ce qui se passe réellement dans nos relations, et souvent c’est utilisé pour shamer (mettre la honte), dominer, gaslight la personne dont on prétend qu’elle a "un comportement de mec cis".

Souvent une analyse cis-hétéro-centrée sert à cacher la réelle dynamique de pouvoir. La brochure Paranormal Tabou raconte par exemple comment une femme cis abusive a fait passer son mec (trans) pour un agresseur/abuseur en utilisant des grilles d’analyse cis-hétéro, et comment elle utilise ces grilles pour installer une dynamique abusive et invisibiliser sa propre violence.

Ces grilles d’analyses sont fréquemment utilisées contre des personnes transfem et non-binaires amab par des meufs cis ou par des trans et non-binaires afab.

C’est très fort parce que ça appuie sur des traumas pré-existants. J’ai cru pendant des années que j’étais un homme cisgenre et que j’étais privilégiée alors que je suis une femme et que je suis opprimée (sur ce point). Grandir dans un monde transphobe m’a fait croire que je suis l’oppresseur dans une situation où je suis opprimée : c’est la forme de manipulation et de gaslighting la plus longue, puissante et totalisante que j’ai connue. Ça a provoqué une énorme culpabilité car je me sentais responsable et coupable des violences patriarcales dont j’étais moi-même victime et de violences patriarcales qui n’ont aucun lien avec moi. Des années après mon coming-out je commence tout juste à comprendre les traumatismes que ça crée.

AVERTISSEMENT DE TRIGGER :

violences familiales, pédocriminalité, inceste, climat incestueux

Pour dire plus précisément sur quel type de trauma la transmisogynie peut jouer :

Quand j’avais trois ans mon père a agressé sexuellement ma mère devant moi et l’a frappée. Comme beaucoup d’enfants témoins de violences familiales, j’ai cru que c’était ma faute. Je m’auto-accusais pour ce que mon père avait fait. Cette culpabilité, je l’ai ressentie toute ma vie, sans comprendre. J’ai eu la sensation toute ma vie que j’étais responsable et coupable des agressions commise par mon père sur ma mère. C’est l’un des piliers de ma construction mentale. Dès l’âge de trois ans, j’ai cru être "un agresseur".

Ma mère s’est enfuie de la maison. Mon père m’a agressé sexuellement dans le temps qui a suivi.

Mon père a maintenu un climat incestueux pendant mon enfance et particulièrement mon adolescence. Il valorisait et normalisait la pédocriminalité ("tu sais, en mai 68...", "les années 70, c’était pas pareil...", "la libération sexuelle des enfants..."). Il faisait des allusions sexuelles, parlait d’envies sexuelles qu’il avait, de ses désirs et "frustrations". Quand j’ai eu 11-12 ans il a essayé d’installer une solidarité masculine avec moi. Quand il a vu que j’étais attirée par une fille, il m’a dit "ah elle est jolie machine". D’une manière qui disait que lui aussi était attiré par cette fille, d’une manière qui disait "on est pareil toi et moi, on a les mêmes goûts". J’étais hyper mal à l’aise et je ne savais pas comment réagir. J’étais dégoûtée de moi, de mon attirance, j’avais honte d’avoir du désir, l’impression que mon attirance amoureuse était sale, mauvaise, dangereuse. Il a lié ses désirs aux miens, sa pédophilie est devenue ma honte. Mon expérience de la "solidarité masculine", du "privilège d’être assignée garçon", c’est ça. Quand j’ai eu 14-15 ans il m’a conseillé "un excellent auteur, un romancier qui a failli avoir le Goncourt". Y avait plein de romans dans sa bibliothèque, mais ce qu’il m’a conseillé c’est un auteur pédocriminel, très connu dans les années 70. Le roman c’était une succession de scènes de cul, le fantasme d’un groomer qui imagine un garçon de 14 ans qui cherche plein d’hommes adultes avec qui faire du sexe. Pourquoi mon daron m’a fait lire ça ? Il fantasmait sur ma gueule de minot de 14 ans ? Il me groomait pour que je fasse du sexe avec des hommes adultes ? Moi, ça me faisait bizarre mais ça devenait normal. Il a réussi à me donner l’impression qu’être victime de pédocriminalité ou d’éphébocriminalité c’est un truc de rebelle libéré des "normes sociales".

FIN DU TRIGGER WARNING

Est-ce que tout le monde réalise que des phrases qu’on entend souvent dans les milieux féministes comme "toi t’es assignée garçon donc t’as pas grandie en ayant peur d’être agressée sexuellement toute ta vie" ou "toi t’as pas risqué d’être agressée dans ton enfance", "toi t’as pas été agressée dans ton enfance" C’EST HYPER VIOLENT ?!

Et même si la phrase c’est "les mecs cis n’ont pas grandi en risquant de se faire agresser" c’est AUSSI faux et violent. Plein de mecs cis ont été agressés sexuellement dans leur enfance/adolescence ou ont grandi dans des climats incestueux. Y a des statistiques qui montrent que les mecs cis subissent moins d’agressions sexuelles ? C’est probablement vrai, mais aussi : toutes les statistiques sur les violences sexuelles sont sous-évaluées. Conscientiser qu’on a été agressée sexuellement quand on est assignée garçon c’est pas facile, car c’est un énorme tabou dans le patriarcat. Le dire, porter plainte, répondre à un questionnaire, trouver des espaces de parole, c’est quasi impossible. Pour nous qui sommes trans assignées garçon ET pour les hommes cisgenres victimes d’inceste, de pédocriminalité, de violences conjugales. Donc n’utilisez pas des statistiques d’une manière qui invisibilise nos agressions ou les leurs.

Quand vous dites "les personnes amab n’ont pas vécu en risquant d’être agressées" ça ne touche pas les personnes qui n’ont effectivement jamais été agressées. Ça nous blesse nous, et ça nous enferme dans le silence. Ça reproduit la culture de l’inceste et la domination âgiste. C’est nier la réalité et la spécificité des violences sexuelles contre les enfants. C’est nous faire taire. C’est nous pousser à enfouir ces souvenirs encore plus profonds. C’est nous faire sentir qu’on ne doit pas parler de ce qu’on a vécu parce que ça va contre le discours féministe mainstream (cis et adultiste).

Toute ma vie je me suis sentie coupable et j’ai intimement cru être un agresseur, par identification avec mon père -agresseur, sans comprendre. Entrer dans les milieux féministes était un soulagement, parce que je trouvais enfin une théorie qui donnait un sens à ma culpabilité. Des meufs me disaient que j’étais un homme, donc forcément un oppresseur, que même si je n’avais rien fait, mon existence était en elle-même oppressive car privilégiée, et que quoi que je fasse, je ne pourrais rien y changer. Le cisféminisme a donné à mon cerveau traumatisé une manière de normaliser les conséquences de mes traumatismes, en essentialisant ce sentiment de culpabilité et de dangerosité. Tout en enfouissant encore plus profond son origine réelle.

Récemment j’ai vu des statistiques (par ex. Défenseur des droits, avril 2020, Violences intrafamiliales, les filles et jeunes LGBT plus touchés) qui chiffraient les taux de violences sexuelles vécues dans l’enfance selon l’orientation sexuelle des personnes. Et ça montrait que y a de plus haut taux de violences sexuelles vécues dans l’enfance dans les populations homos et bies que hétéro, et chez les femmes que chez les hommes. Jusqu’ici j’étais pas surprise. Mais là où la féministe mainstream dans ma tête en a pris un coup, c’est quand j’ai comparé les taux de violences sexuelles dans l’enfance vécues par les hommes gay et bisexuels à celui des femmes hétérosexuelles. C’était deux fois plus fréquents pour les hommes gay et bi.

Gros points morts, y avait pas de recherche spécifiques pour les personnes trans et intersexes, ni ace ! Mais déjà on voit que le discours binaire "les hommes" "les femmes" trouve ses limites dès qu’on inclut une deuxième grille d’analyse du patriarcat. Pourtant le discours mainstream sert toujours à des féministes cis hétéras (ou non) pour contrôler les espaces anti-patriarcaux. Alors qu’on sait très bien qu’avoir vécu des violences sexuelles dans l’enfance c’est l’un de principaux facteurs de risque qui fait qu’on peut vivre des violences sexuelles et des relations abusives à l’âge adulte ! Ainsi que… plein d’autres formes de violences patriarcales, médicales, psychologiques, validistes, etc.

J’ai presque jamais eu d’ami.e.x ou de soutiens à qui je pouvais parler de mes relations ou de ma sexualité pour comprendre ce qui se passait, avoir des feedbacks, des réactions d’une personne extérieure. Ça rend très vulnérable d’être seule à essayer de comprendre. J’ai souvent vécu une asymétrie : mes partenaires avaient beaucoup plus d’occasions de parler de nos relations et d’être écouté.e.s. Ça leur donnait plus d’assurance, et ça fait que l’image que les gens se faisaient de mes relations était plutôt construite par le point de vue de mes partenaires. Cet isolement est fréquent chez beaucoup d’amies transféminines et c’est pas un hasard. C’est encore plus le cas quand on est autiste/neuroaypique, ou qu’on vit d’autres oppressions.

Quand j’avais des discussions, elles étaient souvent marquées par l’absence de connaissance sur les vécus transfems, sur les rapports de pouvoir transmisogynes, sur nos traumas spécifiques. Ca me rendait très vulnérable car les outils féministes et grilles d’analyse qu’on avait participaient à me gaslight et me culpabiliser.

J’étais un jour à un groupe de parole en mixité choisie transfem sur le sujet des relations amoureuses et de la sexualité. J’aurais aimé parler de mon vécu, de violences que je vivais, et partager mes débuts d’analyses. Mais j’ai pas osé. L’animatrice du groupe de parole était l’amie d’un de mes abuseurs. Il m’avait assuré qu’elle le soutiendrait contre moi. J’avais cru remarquer son changement d’attitude quand elle était devenue amie avec mon abuseur, et j’étais terrifiée qu’elle lui rapporte mes propos car il avait menacé de me frapper. J’étais même flippée qu’elle m’écoute avec méfiance. J’ai tenté de parler en bafouillant et je me suis enfuie au milieu d’une phrase.

Les asymétries de réseau et de capital social sont fréquentes entre meufs cis / trans afab et meufs trans. Ça fait que des mecs trans et des meufs cis peuvent répandre leur vision de leur relation et call-out leur partenaire transféminine par des discussions interpersonnelles et le bouche à oreille, tandis que nous n’avons souvent pas accès à ce pouvoir social. Des personnes transféminines victimes de violences ou d’abus sont plus souvent isolées et doivent faire des call-out publics pour espérer être entendue. Dans ce cas, on voit souvent des personnes influentes de milieux féministes tenir de grands discours anti-call-out, alors qu’elleux même soutiennent des call-out et dynamiques d’exclusion moins publiques.

La silenciation des femmes trans et des non-binaires amab dans les milieux queers et féministes est comparable à celle que vivent les meufs cis dans des groupes de mecs cis. C’est pourquoi le call-out public est parfois la seule manière de faire sortir notre vérité, de reprendre du pouvoir et de retrouver une dignité dans des situations d’exclusion, d’ostracisation et d’auto-exclusion.

Il existe un mécanisme que j’appelle « référent.e afab » ou « référent.e safe-itude ». Ca marche avec n’importe quelle personne afab avec qui je suis amie, mais plus spécialement avec mes amoureux.ses et mes exs. Dans les milieux féministes, les personnes afab qui me connaissent sont automatiquement considéré.es comme mes référent.e.s. C’est elleux qui ont le droit de dire si je suis safe, si je suis réellement une femme, réellement trans, si je mérite d’être dans un espace féministe, si je me « déconstruis », etc. Si quelqu’un.e a un problème avec une meuf trans, iel va voir ses amie.xs afab ou ses exs pour en discuter, pas la meuf trans. On peut très bien se faire violer, abuser, frapper, maltraiter, forcer à être en relation à coup de chantage au suicide par une personne. Si cette personne est afab, c’est toujours elle/il/iel qui aura le droit de définir notre genre et de garantir ou non notre « safe-itude ». L’inverse n’existe pas. Jamais personne ne vient nous demander ce que nous on a vécu dans ces relations. Jamais on m’a demandé de garantir que l’un.e de mes exs est safe ou non. Quand l’un de mes ex a été call-out pour des viols par une autre femme trans, personne ne m’a demandé si moi j’avais vécu la même chose (spoilers : oui). Jamais on m’a dit « hey, ton ex.e ce serait pas plutôt un homme cis infilltré pour violer des femmes ? T’as été en relation avec, tu dois savoir, toi ? » C’est un choix politique : les personnes qui fonctionnent comme ça choisissent de construire une solidarité afab contre les femmes trans, en ignorant les violences abusives commises par leur groupe.

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Des outils féministes tels que "croire les victimes", "écouter et valider les ressentis", "proposer de l’écoute et du soutien", "dire à la victime que ce n’est pas sa faute" sont rarement appliqués aux personnes transféminines. Surtout quand on ne ressemble pas à une femme cisgenre. Assez souvent les personnes féministes à qui j’ai parlé des violences sexuelles que j’ai vécu avec des personnes afab ont dit ou sous-entendu que c’était ma faute, ma responsabilité, ou que p-ê que mon agressaire s’était senti mal aussi. Je sentais qu’elles appliquaient un cadre d’analyse cis-hétéro en faisant comme si j’étais "le mec" dans la relation et comme si les transmascs étaient « la meuf ». Leur empathie et compassion était activée d’abord pour la personne afab.

Les autres femmes trans ne sont pas forcément des soutiens. Souvent les personnes transféminines qui sont dans des milieux féministes ont intégré les normes cis et transmisogynes. C’était mon cas. J’ai découvert le cisféminisme matérialiste en croyant être un mec cis, donc c’était extrêmement important pour moi de "reconnaître mes privilèges", "reconnaître que je suis dominant", "écouter les personnes que j’opprime". Dans cette idéologie sexiste ça veut dire écouter spécifiquement les personnes afab et ne jamais les contredire. Et ça veut dire que si une personne afab se sent mal avec moi, c’est forcément ma faute et je dois comprendre ce que j’ai fait de mal.

Même après avoir conscientisé ma transitude et en étant out je suis restée marquée par cette idéologie. Par exemple quand j’étais dans un groupe je comptais le nombre de personnes afab et de personnes amab, comme si ça révélait une dynamique de pouvoir genrée... Je plaçais les personnes trans amab dans le même panier que les mecs cis, sans comprendre que notre position est toute différente. Je gardais une méfiance envers les personnes trans amab et je les surveillais (me surveillais) avec un regard transmisogyne, en analysant leurs (mes) comportements comme s’ils étaient liés à une "socialisation masculine", à un "privilège masculin". Plus d’une fois j’ai clashé une personne transféminine qui parlait fort ou avait l’air sûre d’elle face à une personne afab. Elles ne faisaient absolument rien d’oppressif, c’est moi qui imaginais ça et les rappelais à l’ordre : sois moins affirmative, parle plus doucement, écoute plus, bref, soumets-toi mieux que ça ! Je croyais que c’était mon rôle de corriger les personnes transféminines qui n’avaient "pas bien déconstruit leur privilège masculin". Depuis que j’ai conscientisé et arrêté ce processus, je remarque souvent d’autres personnes prendre ce rôle de "police transfem", surtout pendant les premières années après leur coming-out. La plupart finissent par arrêter, après avoir fait, comme moi, bien des dégâts. Malheureusement, certaines restent coincées là-dedans et passent des années à servir de cautions transfem dans des groupes plus ou moins transmisogynes, ou à harceler des non-binaires.

Pour comprendre comment on en arrive là, faut expliquer à quel point c’est violent d’être dans un milieu féministe en tant que personne transféminine. Pour beaucoup, on arrive en pensant être un mec cis, on s’auto-gaslight en se gavant de brochures qui parlent d’expériences similaires aux nôtres, tout en se disant qu’on n’est pas concernées. Quand on arrive à exprimer pour les premières fois qu’on se sent féminine, on se prend souvent des remarques comme "toi t’es un mec cis qui s’approprie la féminité", "regarde tes comportements, c’est évident que t’es un mec cis", "tu dis ça pour qu’on puisse pas te critiquer". Les femmes cis ou les trans afab qui nous balancent ça à la gueule sont généralement nos compagnon.nes de lutte, nos ami.e.x les plus proches, voire nos amoureux.ses. Les personnes en qui on a le plus confiance, celles qu’on aime, qu’on écoute, qu’on a l’habitude de soutenir face à leur oppression. Celles qui nous ont transmis tant de choses. Et quand on leur parle de nous, quand on dit quelque chose de vrai et d’authentique, parfois pour la première fois de nos vies, on se prend un mur défensif dans la face. Quand je dis pour la première fois que je suis féminine, c’est le moment où les gens me font sentir que je suis une menace. Que je suis dangereuse. Que je suis LE PATRIARCAT. Tout cet imaginaire est mobilisé contre nous : les personnes transféminines sont des violeurs infiltrés, des manipulateurs au désir de toute-puissance, des hommes anti-féministes qui ne reconnaissent pas leur privilège. J’ai passé des mois et des mois à m’excuser et à rassurer mon entourage : "mon pronom c’est elle. mais bon ça veut pas dire que tu peux pas me critiquer, hein, si je fais de la merde t’as le droit de me faire des reproches". La condition pour être à moitié reconnue comme fille, c’était de fournir sans cesse des démonstrations de soumission ; c’était faire un travail monstrueux de soin invisible et d’adaptation émotionnelle. C’était soutenir systématiquement la parole des personnes afab. C’était soutenir des personnes afab qui faisaient de la merde contre leurs victimes. C’était cracher gratuitement sur des mecs cis pour m’en démarquer, pour prouver que j’étais du bon côté. C’était accepter des reproches totalement abusifs qui m’étaient fait, des attaques sexistes, des mensonges purs et simples. C’était prouver sans arrêt que "je me remets en question".

Une copine me parlait de l’association de ces deux phrases, sans cesse répétées dans notre lieu de vie : "les personnes amab sont construites comme mec" et "la déconstruction, c’est un travail qui ne finit jamais…" C’est ça notre condition ? Une peine de masculinité à perpétuité ? La féminité seulement sous conditionnelle ? Et tout notre entourage comme surveillant pour apprécier nos efforts de réinsertion ? Sorry, je préfère brûler la taule.

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La culture du viol détermine :

  • ce qui est considéré ou non comme une agression sexuelle ;
  • qui peut être considéré ou non comme une victime ;
  • qui peut être considéré ou non comme agressaire ;
  • et quelles réactions sont appropriées pour ces actes et personnes.

Tous les systèmes d’oppression jouent là-dedans. Par exemple le racisme : une personne blanche est plus souvent considérée comme victime, et moins souvent considérée comme agressaire qu’une personne racisée. Cette dernière sera moins souvent considérée comme victime et plus souvent considérée comme agressaire. Un même acte peut ou non être désigné comme agression sexuelle selon la position des personnes.

De même la transmisogynie : dans le patriarcat, une personne transféminine est vue comme une prédatrice. Dans les milieux cisféministes c’est pareil : le mythe du "violeur qui prétend être une femme" agit bien au-delà des groupes terf, à un niveau inconscient ou explicite. On le sent presque toujours, et à l’occasion on le voit surgir et être étalé tel quel.

Dans le patriarcat les femmes cisgenres et personnes afab qui leur ressemblent sont vues comme de faibles victimes, et l’idée qu’elles pourraient agresser sexuellement un homme (ou une personne transféminine) est une blague. Cette idée patriarcale est reprise telle quelle dans l’imaginaire féministe. Personne ne croit qu’une femme cis est capable de violences, et encore moins de violences sexuelles. Quand ces violences ont lieu elles sont souvent minimisées et excusées.

La culture du viol affecte la manière de voir les corps. Les codes patriarcaux sont repris tels quels dans le cisféminisme.

  • le phallus, les testicules et la barbe sont vus comme des attributs d’agresseur ;
  • la vulve est vue comme un attribut de victime.

Le phallus et les testicules sont utilisés comme des symboles du viol et les mutiler comme un symbole féministe. Les représentations de vulve et de clito sont omniprésentes, hyper-valorisées et sont vues comme non-menaçantes, inoffensives.

Comme si les agressions étaient commises par des parties génitales et non par des individus.

J’ai souvent entendu des meufs cis dire "j’ai été traumatisée par les pénis/par les corps amab/par les barbes" pour interdire aux personnes transféminines d’être dans des espaces en mixité choisie, ou d’y être nue, ou avec des vêtements moulants. Alors que ces femmes ont généralement été traumatisées par des hommes cisgenres, et pas du tout par des personnes transféminines. Qu’est-ce qu’elles diraient si je disais aux meufs cis de partir parce que moi j’ai été traumatisée par des personnes à vulves et que les clitos omniprésents me foutent de la dysphorie ? Mais je fais pas ça : je gère mes déclencheurs traumatiques et ma dysphorie comme je peux.

Un jour je me rends compte que lorsqu’une amie me dit que quelqu’un l’a forcée à faire une pénétration j’imagine spontanément que c’est elle qui a été pénétrée. J’imaginais pas vraiment que la personne pénétrante puisse être la victime, surtout si c’est un rapport pénis -vagin. Pourtant ça a été mon cas.

J’ai appris depuis le mot circlusion et l’expression viol par circlusion (par exemple dans Why couldn’t you be my Dumbledore sur l’insta @oestrogenese).

En fait c’est un stéréotype patriarcal qui est repris tel quel dans le cisféminisme. Pénis = violeur, vulve = victime. Le phallus est présenté comme objet de puissance et de domination. C’est essentialiste. La réalité c’est que des personnes à pénis vivent des agressions sexuelles, y compris sur leurs parties génitales. La réalité c’est que des personnes à vulve commettent des agressions sexuelles, y compris avec leurs parties génitales.

Les statistiques nous informent sur des tendances, sur des rapports de pouvoir, sur des généralités. Arrêtons de prétendre qu’il s’agit de réalités essentielles. Et aussi : les statistiques existantes sur les agressions sexuelles concernent les personnes cisgenres. On a peu de statistiques sur les vécus trans de violences sexuelles. Arrêtons de projeter des biais cis-centrés et cis-hétéronormés sur des corps-identité-individus qui n’entrent pas dans ces cases. On a besoin de comprendre nos propres réalités.

Dans le « Self Help Guide to Healing and Understanding » du Transgender Sexual Violence Project, un quart des personnes trans qui ont subi des violences sexuelles dans leur vie rapportent avoir été agressées sexuellement au moins une fois par une femme cisgenre. Et un cinquième des agressions sexuelles rapportées par des trans ont été commises par une agresseuse cisgenre. Les cisféministes diront « Ah ! Vous voyez, c’est moins que les hommes cis :D ». Moi je me dis que ça fait des milliers de viols et on prétend que ça n’existe pas. Plusieurs des témoignages rapportent que c’est encore plus dur de faire reconnaître qu’on a été agressée par une femme que par un homme. De nombreuses victimes de femmes cisgenres n’en parlent jamais à personne.


Un soir je demande à une amie cis-hétéro qui est photographe si elle voudrait faire des photos érotiques de moi. Elle m’avait agressée un an avant mais on avait repris une relation amicale avec parfois un peu de séduction. Je voulais faire des photos pour mettre en scène la féminité de mon corps, pour me sentir mieux et diminuer ma dysphorie. Elle est enthousiaste, mais très vite elle dévie le sujet et me propose de faire des photos érotiques / porno ensemble, elle me parle d’un shoot qu’elle a fait avec un mec cis-het. J’ai l’impression qu’elle veut poser avec moi comme « mec ». Elle capte rien aux enjeux. Puis elle me dit qu’elle aimerait aussi me photographier pour la couverture du zine d’une de ses amies. C’est une brochure sur une relation abusive avec un homme cis-hétéro agresseur. Ma pote veut que je pose pour le représenter, elle me dit « il a un corps un peu comme le tien, masculin mais mince, efféminé ».

Avant mon coming-out et dans les années qui ont suivi j’ai intégré des théories TERF comme le mythe de la "socialisation masculine" des femmes trans. Selon ce mythe toutes les personnes assignées garçon ont été socialisées "comme des hommes" (sous-entendu : cisgenres). Donc les personnes trans/non-binaires assignées garçon auraient les privilèges et le vécu des hommes cisgenres... LOL ! La version terf-subtile c’est qu’on aurait des privilèges et le vécu de mecs cis jusqu’à "La Transition".

Je vais pas argumenter ici mais je conseille ces textes qui permettent de comprendre un peu mieux les concepts de socialisation et d’assignation :

  • Tu crois toujours au privilège masculin des femmes trans ? de Kai Cheng Thom ;
  • J’ai été socialisé comme non-binaire et L’enbyphobie spécifique aux personnes amab, de La Vie en Queer ;
  • Socialization arguments are transmisogyny de Ashley Allan.

Par exemple je croyais que le fait que je puisse dire "non" à un acte sexuel c’était une expression de mon "privilège masculin". Donc des fois, quand quelqu’un.e me touchait ou me baisait d’une manière qui me plaisait pas et que j’avais envie de dire stop, je le disais pas. Je me disais "si je peux dire non c’est parce que je suis privilégiée, je dois déconstruire mon privilège masculin !!!". Et voilà, merci les brochures féministes.

En lisant ça vous vous dites peut-être que je suis exceptionnellement conne et que c’est ma faute ? Je me suis dit ça aussi, vraiment, mais quand j’ai commencé à en parler à d’autres personnes transfem ou non-binaires amab... bah j’ai découvert qu’on est nombreux.ses à avoir vécu ça.

Même quand c’est devenu clair en théorie, le fait de dire "non" ou "stop" me faisait de la dysphorie de genre........ parce qu’on m’a tellement fait sentir que si j’étais une vraie femme je dirais pas non. Je parle pas de cis-hetero-land, hein ! J’ai appris à ressentir ça dans les milieux féministes "trans-inclusifs".

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Plusieurs de mes partenaires sexuels queers et féministes ont renforcé l’idée que je devais pas dire non.

Un mec trans m’a dit que ça le blessait quand je disais stop après qu’on ait commencé un acte sexuel. Après ça j’ai eu peur de dire non. Il n’a pas proposé d’outils de consentement dans notre relation. Quand j’ai demandé qu’on fasse des debriefings pour se dire si des choses nous avaient pas plut il a refusé.

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Un autre (je l’appelle ici Axel, ce n’est PAS son nom) m’a amené à croire que lui proposer de dormir ensemble sans faire de sexe c’était manipulateur. Il m’a dit que ça le mettait mal si je ne voulais pas faire de sexe. J’avais l’impression que je devais toujours faire du sexe quand on était ensemble et que si je faisais pas ça j’étais en train de le manipuler et lui faire du mal. Des fois j’essayais de me convaincre que j’avais envie du sexe avec lui, ou j’épongeais ses envies et je me forçais. Dans ces moments ça m’arrivait de pas comprendre ce qui se passait pour moi et je changeais d’avis de manière répétée et ultra-rapide. Axel aurait juste pu me dire "si t’es pas sûre c’est non" ou "t’as le droit de dire non". Il aurait pu me dire n’importe quoi. Mais il n’a jamais fait aucun travail de consentement avec moi, au contraire. Parce qu’il se sentait mal quand je voulais pas baiser. En même temps, il se posait comme spécialiste du consentement dans plein de discussions. Il a aussi mis en place des dynamiques ou actes sans consentement, sans debrief, sans aftercare. Il m’a mis en compétition avec son autre amoureuse trans.

Je me sentais constamment forcée de faire du sexe pour prendre soin de lui et ne pas être accusée de manipulation. J’ai commencé à avoir des réactions traumatiques vraiment évidentes : par exemple, je me roulais en boule dans son lit en chuchotant "je veux plus jamais faire de sexe, je veux plus jamais faire de sexe de toute ma vie...". Il ne m’a jamais posé de question ou essayé de comprendre. J’ai appris à dissocier de mes réactions de détresse pour faire semblant d’avoir envie et le rassurer, mais elles revenaient tout le temps. Un instant je ressentais du pur dégoût pour mon corps, son corps, nos contacts ; la seconde d’après je me forçais à dissocier en me concentrant sur lui et son plaisir. Axel m’a quitté en me ghostant, puis il m’a accusée de l’avoir ghosté… et surtout il m’a accusée de manipulation parce que je faisais ces allers-retours entre faire du sexe et dire que je ne voulais plus. J’étais sidérée. Je croyais qu’être en désaccord avec lui serait "nier le ressenti d’une victime" donc je me suis forcée à ignorer mes sensations et mes traumas en me concentrant sur ses reproches. Je n’arrivais pas à répondre quoi que ce soit, mon cerveau était paralysé, je lisais et relisais son mail pour « comprendre », c’est à dire m’auto-persuader.

Six mois plus tard on s’est revu.e.s et on a recommencé à relationner ensemble. Il n’a jamais créé d’espace pour que je parle de ce que j’avais vécu avec lui. Il m’a activement fait taire à chaque fois que j’ai essayé d’en parler. Je croyais que toute hésitation de ma part sur notre relation était de la manipulation et lui ferait du mal. Alors je me posais pas de question, je performais l’envie et le désir de relationner avec lui, parce que j’étais terrifiée et que je culpabilisais. Je voulais simplement qu’il m’accepte. J’essayais de m’adapter par avance à ce qu’il voudrait, de devancer ses envies, d’être totalement stable dans mon « désir ». Parfois quand on s’embrassait une part de moi se réveillait et je me disais « mais… j’ai pas du tout envie de ça ! » J’écrasais immédiatement cette pensée en me concentrant sur ses lèvres, sur ses émotions, sur ma performance. J’étais terrifiée qu’il se rende compte de mes doutes. Une fois, il m’a dit que j’avais le droit de mettre fin à notre relation, en ajoutant immédiatement que « ce serait compliqué » si je faisais ça. Pendant quelques secondes c’était clair, évident : oui, je veux arrêter cette relation avec lui ! Mais immédiatement sa phrase a résonné : « compliqué » ça voudrait dire séparation d’espaces, mails culpabilisants, cris, insultes, violences physiques, exclusion. On évoluait tous deux dans un milieu féministe et TPG transmisogyne, où Axel avait une bien meilleure place que moi. Je n’avais personne à qui parler. J’ai immédiatement écrasé mon envie de le quitter. J’étais terrifiée par l’idée de le blesser, et par lui, et par tout ce milieu qui me voyait comme un quasi-mec-cis-hetero (lui était dans le placard). Je savais qu’au moindre signe de problème entre nous le milieu féministe me désignerait comme coupable. C’était une épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de ma tête.

Ces relations ont ravagé ma capacité d’identifier mes envies, mes désirs et mes limites. Elles ont détruit ma sexualité pour des années, ainsi que ma capacité à me faire confiance ou à faire confiance à d’autres. Elle ont distordu ma compréhension de ce que j’ai ou non le droit de faire. Par exemple, deux ans plus tard une personne m’a proposé de dormir ensemble en posant comme condition qu’on ferait pas de sexe. J’ai trouvé ça génial et totalement incroyable qu’iel propose ça, car j’en avais envie mais je n’aurais jamais osé le faire. Iel m’a demandé pourquoi, j’ai répondu "je sais pas, j’ai l’impression de pas avoir le droit". Il a fallu encore un an pour que je retrouve mes souvenirs et comprenne pourquoi je n’avais pas le droit de dormir avec quelqu’un tout en refusant de faire du sexe. Des années plus tard c’est toujours très difficile pour moi de dormir avec quelqu’un sans angoisser.

Ça a été difficile de me dire victime de violences sexuelles car j’ai été conditionnée à désirer ces violences et à les trouver normales, voire à prendre « l’initiative » pour ne pas faire du mal à l’autre. Ça a modifié la personne que je suis à un niveau tellement profond, tellement intime. Je fais rarement du sexe mais quand j’en fais ça arrive souvent que des mécanismes de cette époque se déclenchent. Des parts de moi font semblant d’être intéressées, proposent des actes sexuels dont je n’ai pas du tout envie. Je performe. Je me sens dépossédée, dépouillée, arrachée à moi-même. Mes pensées ne m’appartiennent pas. J’ai souvent envie que mes partenaires me tuent.

Au moment de ma première relation avec Axel, je venais tout juste de comprendre que j’étais une fille trans. Même si j’utilisais un prénom féminins depuis un an, et le pronom elle depuis 6 mois, je croyais auparavant que j’étais « un mec cis qui fait des expériences » (mdr). Je n’étais jamais allée dans des espaces queers ou féministes. Pendant notre deuxième relation, il était investi dans la plupart des espaces féministes et meufs-gouines-trans de la ville. C’était la première fois que j’osais aller dans des espaces en mixité choisie. Il m’a autorisé à aller dans les mêmes que lui, mais en exigeant que je vienne le voir et que je passe un moment avec lui à chaque fois qu’on était dans le même espace, car il avait peur de se sentir en insécurité si on se voyait sans se parler. Je me sentais extrêmement mal, notamment parce que y avait beaucoup de transmisogynie dans ces espaces, et je m’y sentais en danger. Quand j’étais angoissée et que je voulais fuir un évènement, je devais attendre qu’il soit libre pour capter son attention et satisfaire sa demande. Ça me créait énormément de dysphorie car je savais que dans cet espace je serais vue comme un mec cis-hétéro toxique (il était dans le placard à cette époque).

Pendant notre première relation, il avait une autre meuf trans (qu’il désignait comme un mec cis-hétéro) et des partenaires sexuels occasionnels fréquents. Ni sa copine ni moi n’avions d’autres relations ou partenaires. Il dépassait fréquemment les limites de son contrat relationnel avec elle. Et pourtant, c’est lui qui faisait des crises de jalousie violentes, l’empêchait de se rapprocher d’autres gens, m’accusait d’avoir une manière de relationner « trop radicale » et validiste. Moi, j’étais sa relation secondaire. Je n’avais aucune limite relationnelle par rapport à la non-exclusivité, notamment parce que j’étais convaincue qu’au fond j’étais un mec cis et donc que ce serait pas ok d’avoir des limites. Je passais parfois du temps avec lui et sa copine, en public ou chez elleux et il faisait des câlins avec elle ou l’embrassait devant moi. Ça n’a jamais été un sujet.

Il m’a vu une fois faire un câlin à unx amix dont j’étais amoureuse, dans une foule pendant un concert : il a fait une crise de jalousie et a dit qu’il allait mettre fin à sa relation avec moi. J’étais terrifiée alors j’ai abandonné mes amiex pour prendre soin de lui.

Quelques jours plus tard, il m’a parlé d’une grosse soirée queer. J’étais contente car c’était ma première occasion d’aller dans un espace queer. Je lui ai dit que j’y irai avec mes amiex. Mais en fait, il m’en parlait pour me dire de ne pas y aller, car il y irait avec une meuf cis avec qui il avait eu un date. Je ne comprenais pas car c’était dans un grand lieu, avec beaucoup de gens et je ne comptais pas y aller avec lui. Mais il a insisté, en disant que si je venais à cette soirée il ne pourrait pas s’empêcher de passer du temps avec moi (sans se demander si moi j’en aurais envie) et qu’il ne voulait pas demander à la fille si elle serait ok avec ma présence car c’était « trop tôt » dans leur rencontre. Contraste énorme entre sa manière de traiter ses partenaires transféminines et cisféminines : quand on s’est rencontré, il avait voulu me pécho limite devant sa copine trans ; il péchotait des gens devant elle, alors que c’était contraire à leurs accords. On a fini par se fâcher parce que je trouvais pas ça ok de m’exclure d’une soirée queer, alors que j’avais jamais eu accès à ce genre d’espace et lui si, parce qu’il était en date avec une fille à qui ça ne poserait peut-être aucun problème, et en usant comme prétexte sa soi-disante incapacité à se retenir de venir me voir…

Finalement, je n’y suis pas allée. Dans la soirée, alors que je venais de me coucher tôt, il m’a téléphoné... pour m’engueuler d’avoir argumenté. Il se coupait au milieu de ses phrases pour crier sur des étudiants qui chantaient des trucs homophobes. J’étais inquiète car il répétait « je vais y aller, je vais les taper, je vais les taper », j’avais l’impression qu’il était en danger alors j’ai proposé de venir. Il a dit oui. J’ai foncé à vélo, en panique, mais à l’arrivée… il discutait tranquille avec ses potes aux abords du lieu de la soirée. J’étais gênée et je voulais rentrer dormir, mais il a quitté ses potes (et la fille en question) pour me faire des reproches en face à face, sans même demander si je voulais discuter. À des moments il voulait encore aller taper des homophobes, et je l’ai retenu (ils étaient 30). J’étais hyper confuse et je comprenais pas quoi faire face à ses reproches, il me retournait le cerveau et je me sentais coupable sans comprendre pourquoi. A un moment des gens sont venus nous emmerder, on s’est embrouillé avec, il a roulé au sol en tapant une personne pas vraiment impliquée, puis je me suis battue avec le relou. Ça s’est mal passé. Après coup, Axel était en colère contre moi. J’ai ignoré ce qui avait mené à cette situation et je me suis accusée de ce qu’il me reprochait. Je voulais seulement diminuer sa colère. Il m’a ramené dans un appart dont il avait les clés et on a fait des câlins et du sexe. J’en avais pas du tout envie. Plus tard, je lui ai dit qu’on aurait peut-être pas du faire du sexe ce soir là. Il n’a pas proposé d’en parler. Dans les semaines qui ont suivi, j’étais complètement dévorée par la culpabilité, sans comprendre pourquoi. Je me retournais le cerveau, je lisais des articles sur la culpabilité, je me disais que c’était un signe que je me remettais pas en question (sur quoi ?). J’ai tout fait pour avoir un souvenir de cette soirée dans laquelle je suis fautive et lui gentil et innocent.

Après notre première relation, dans le mail où il m’accusait de manipulation, il a écrit que le problème de ce soir là, c’est pas qu’on ait fait du sexe mais que je lui avais téléphoné et que je l’avais dérangé dans sa soirée au lieu de le laisser tranquille avec la fille. Alors que c’est lui qui m’a téléphoné, qui m’a fait venir, et qui m’a engueulé au lieu de rentrer avec elle…

J’ai essayé de me convaincre que c’était vrai, mais c’est l’un des rares mensonges trop évident. Alors, je lui ai dit que mon souvenir était différent. Il n’a jamais répondu. J’ai essayé deux fois de lui reparler de ça dans l’année qui a suivi, mais il n’a jamais admis que c’était faux. Une fois il m’a dit « je me suis déjà remis en question là où je le devais » (sur quoi ? mystère). Une autre fois il m’a dit « de toute manière c’est à cause de toi, j’aurais jamais fait ce que j’ai fait ce soir avec quelqu’un d’autre » (faux : il a agressé physiquement des gens en plusieurs occasions, tout comme il a injustement culpabilisé et harcelé d’autres partenaires).

Quand notre deuxième relation a commencé, j’avais un autre amoureux. Axel m’a dit qu’il ne voulait pas en entendre parler. Aujourd’hui je n’aurais pas ce type de relation car je trouve que ça crée des situations toxiques, mais à l’époque je n’avais jamais connu ça. Un matin, Axel avait rendez-vous avec mon autre amoureux, dans le lieu où je vivais, et comme ce dernier ne s’était pas réveillé, Axel est venu le chercher… dans ma chambre. L’une de mes colocs l’accompagnait, donc il aurait très bien pu rester dans le salon, mais il est venu nous voir dans mon lit. Il s’est mis hyper en colère et m’a accusée d’avoir fait exprès de l’exposer à ça pour lui faire du mal. Aujourd’hui, je considère ça comme une violation de mon intimité. Il n’aurait jamais du se permettre de jeter un œil dans ma chambre… d’autant plus s’il ne voulait pas me voir dormir avec quelqu’un ! Mais sur le moment, il était tellement en colère et j’étais tellement étonnée qu’il me reproche d’avoir fait exprès que j’étais sans voix. Il a mis fin à notre deuxième relation ce soir là et m’a dit qu’il ne voulait plus qu’on ait de contacts.

J’avais très envie de respecter ça… parce que je ne voulais plus avoir affaire à lui. Mais dès le lendemain on s’est croisé.es dans un concert et il s’est planté devant moi, en me fixant jusqu’à ce que je lui demande s’il voulait parler (il m’a ensuite parlé pendant des heures). C’est devenu un schéma : à chaque fois qu’on se croisait par hasard, il me fixait du regard en souriant jusqu’à ce que je vienne lui dire bonjour. Et à chaque fois, il lançait une discussion enjouée avec moi. Je ne voulais pas de ces discussions, mais je pensais que c’était toujours mon rôle de me conformer à ses envies et attentes, dans le cadre d’une « post-relation ». Après coup, il réagissait avec colère, comme si ces moments étaient ma faute, comme si c’était moi qui voulait absolument lui parler, comme si je dépassais sa limite. Je me suis jamais sentie légitime de lui dire que je voulais pas qu’il me contacte ou me fixe du regard.

De toute manière, je n’avais pas le droit de le contacter pour poser des limites ou demandes. Il était le seul à avoir ce droit. Un jour, j’ai demandé à un ami commun de lui dire que je serais à un endroit, parce que j’avais peur qu’on y soit en même temps. Je ne voulais surtout pas le croiser. Axel a répondu en me contactant directement et en m’incendiant, en disant des choses comme « tu fais de la manipulation, tu cherches des moyens sournois de reprendre contact avec moi, ne fais plus jamais ça, quand est-ce que tu vas respecter mes limites ? ». Pendant un an, j’avais deux visions conflictuelles de la réalité. D’un côté, je ne voulais pas le voir et j’avais peur de le croiser ; de l’autre côté, la réalité parallèle qu’il inventait, dans laquelle j’étais une personne horrible qui le poursuivait sans cesse et dépassait ses limites. Je continuais à vouloir croire à sa réalité parce que je le voyais, lui, comme la victime vulnérable. Et que je n’avais pas le choix.

Pendant ou après la plupart de mes relations amoureuses, j’ai dit à mes ex que si ils/elle voulaient un jour reparler de notre relation, je serais disponible. J’ai toujours eu en tête que je pouvais avoir commis des violences sans m’en rendre compte et que c’était utile de donner aux autres la possibilité de le penser et d’en parler. A chaque fois que Axel a voulu me parler, j’ai accepté. Mais lui a toujours refusé d’écouter quand j’essayais de parler de ce que j’avais vécu avec lui, pendant nos relations, entre, ou après. Il me contactait quand il voulait pour me faire des reproches ou demandes mais il m’interdisait de le contacter.

Quand on s’est revu.es après notre première relation, j’ai essayé de parler des violences sexuelles qu’il m’a infligé. Il m’a coupé la parole au bout d’une demie-phrase hésitante : "non mais je sais ça, je m’en suis déjà rendu compte", d’un air énervé. Je me suis tue, enfermée dans la honte et la confusion. Je commençais seulement à conscientiser ce que j’avais vécu, et son refus d’écoute a stoppé mes réflexions. Puisqu’il savait déjà, je n’avais pas besoin de savoir.

La deuxième fois que j’ai essayé d’en parler, il m’a coupé la parole au bout d’une demie-phrase et m’a dit "non mais ça c’est pas un problème, le problème c’est que TOI tu as dépassé mes limites". Puis il m’a parlé d’un moment où je lui ai proposé de faire du sexe, alors qu’il m’avait demandé de ne pas faire ça. J’ai fait de la reconnaissance là-dessus. Il ne m’a pas reproposé de parler du sujet de base. Il m’a fait taire en me reprochant une agression, à un moment où j’essayais de lui parler des mécanismes de sexualité forcée qu’il avait installé.

Quand je lui ai reparlé de l’histoire de la soirée queer : il a immédiatement dit "je me suis déjà remis en question là où je le devais" et... il ne m’en a rien dit, il n’a pas proposé de parler de ce que moi j’avais vécu ou de mes émotions, il n’a pas fait de reconnaissance sur quoi que ce soit. Encore aujourd’hui je ne sais pas sur quoi il s’est supposément remis en question.

Je crois qu’il ne l’a pas fait du tout.

La deuxième fois que j’ai tenté de lui parler de ça, il a rejeté la faute sur moi en disant qu’il n’aurait jamais fait ça avec quelqu’un d’autre que moi. La seule fois où j’ai vaguement mentionné les conséquences de la sexualité forcée avec lui, il s’est senti coupable. Il est donc venu chez moi dans la nuit pour me hurler dessus. Après ça, il a soupiré en disant "on n’en finira jamais de débriefer de cette relation…"

De mon point de vue : on n’a pas commencé.

Pendant et après ces deux relations, j’étais dans le déni. Mon sentiment d’illégitimité, l’absence totale de ressources sur le consentement et les violences sexuelles/relationnelles vécues par les meufs trans, les refus d’écoute de mon ex, sa manière d’exprimer sa colère, les mécanismes de gaslight et de guilt-trip qu’il a mis en place, les renversements de situation, le monopole du droit à la compassion qu’il a installé, tout ça m’avait enfoncé dans une perception binaire et essentialisante de notre relation. Il était La Victime Innocente, j’étais L’Abuseur, Le Manipulateur et L’Agresseur. Je croyais profondément être un monstre qui lui avait fait du mal tout au long de nos relations.

A chaque fois que je pensais à mes propres sentiments, mes propres émotions, mes propres traumas, ma propre perception de la réalité, je me rappelais à l’ordre : "non ça c’est du déni, c’est du déni, j’ai pas subi de violence, faut que j’arrête d’être dans le déni et que je reconnaisse entièrement ce que j’ai fait !"

Ça ne vient pas de nul part : c’est des mécanismes qu’il a mis en place, et pas qu’avec moi. Entre nos deux relations, il avait entamé une campagne de harcèlement et d’exclusion contre la première meuf trans avec qui il a relationné (j’étais la deuxième). Déjà quand les deux étaient ensemble, Axel refusait de reconnaître son genre. Il l’avait outée sans son consentement (ce qui est grave) dans le but de la délégitimer (ce qui est bien pire). Il m’a par exemple dit « il prétend être non-binaire, mais c’est évident que c’est faux, suffit de regarder son comportement pour voir que c’est un mec cis-hétéro ! » Quand il m’a dit ça j’étais dans les premiers mois après mon coming-out et je me sentais moi-même comme un imposteur, alors je ne l’ai pas contredit. Au contraire, j’ai participé à nier le genre de sa partenaire.

Après la fin de leur relation il m’a fait lire un mail dans lequel elle reconnaissait des actes qu’il lui reprochait, et elle se rendait disponible pour un processus autour de ça. Elle lui demandait aussi de reconnaître les violences sexuelles, violences psychologiques et dépassements de limites qu’il avait lui-même commis sur elle. Axel m’a immédiatement présenté cette demande comme "de la manipulation", « une tentative de retourner la situation". J’ai exprimé des doutes, mais il a réagi si violemment que j’ai adhéré à sa version et je l’ai soutenu par la suite. Il disait « c’est évident que c’est un mec cis-hétéro qui essaie de retourner la situation ! » Il hiérarchisait leurs actes respectifs pour minimiser les violences qu’il avait commises et éviter de les reconnaître, ou il les passait carrément sous le tapis.

Par un tour de magie dont les milieux sectaires et profondément idéologisés ont le secret, c’est elle qui a été considérée comme "l’agresseur qui ne fait pas de reconnaissance", "le mec cis-hetero dans le déni" à qui il faut "faire de la pédagogie", tandis que le mec trans qui refusait de faire de la reconnaissance a été considéré comme "la victime" innocente qui a besoin de soutien. Le fait qu’elle parle des violences qu’elle a subi, et qu’elle demande que toutes les violences de leur relation soient entendues et reconnues était EN SOI considéré comme "du déni" et "de la manipulation". Il avait confiance qu’il pourrait l’exclure facilement : "ça va être facile, c’est un mec cis-hétéro, personne va se faire avoir par ses trucs". Et c’est ce qui s’est passé : il a facilement rassemblé un groupe pour le soutenir dans les processus d’exclusion et de "pédagogie" (dans ce cas : harcèlement) et il a refusé de faire une médiation ou de la reconnaissance sur quoi que ce soit (tout en prétendant parfois que son groupe de soutien perso était un groupe de médiation…). Les membres ont été soigneusement sélectionnés par lui (« c’est des personnes carré politiquement, qui vont pas se faire avoir ») et il a dirigé le processus et contrôlé le travail de ce groupe. Différents lieux collectifs et groupes militants ont donc exclu sa victime et refusé d’écouter cette dernière pendant des années. Le discours de beaucoup de gens était « il y a déjà un groupe qui s’occupe de cette situation, discutez avec ce groupe ».

Des principes comme « écouter la victime », « donner du pouvoir à la victime », « l’autonomie des survivant.e.s » ont facilement servi à cet agresseur dans le déni pour contrôler le récit de sa relation, contrôler son image et exclure son ex transfémin
ine et non-binaire pendant des années, en plaquant un schéma cis-hétéro-normatif sur une relation entre queers dans laquelle il y avait eu des violences des deux côtés (mais de la reconnaissance seulement par la meuf trans, tandis que le mec trans poursuivait les violences par le harcèlement et le déni).

Toute personne qui a été témoin de cette histoire et qui enlève ses œillères cis-hétéro centrées deux minutes a assez d’informations pour savoir que c’est la vérité. Et le fait que cette meuf trans ait fait de la merde dans d’autres situations n’annule pas les violences qu’elle a vécu dans celle-ci. Chaque personne qui a participé à l’exclure et qui a soutenu son harceleur-abuseur devrait faire de la reconnaissance et s’engager dans un processus de réparation (si elle le souhaite). Elle a subi pendant des années une campagne de harcèlement majeure, transmisogyne, et pro-viol. Elle mérite de la reconnaissance. Et au-delà d’elle, c’est aussi important car ce processus abusif a eu des impacts sur d’autres personnes.

Les abus commis par Axel et ses soutiens illustrent un mécanisme ignoré quand on parle d’oppressions. Souvent, on considère qu’un individu est ou n’est pas transphobe, ou sexiste, etc, et on ne veut pas croire qu’iel fasse des trucs qui contredisent ses prises de positions habituelles.

Mais les oppressions ne fonctionnent pas comme ça. Dans les violences qu’il a mises en place avec ses deux premières femmes trans et relations queers, on voit que la transmisogynie est utilisée comme une stratégie relationnelle, et une stratégie de gestion émotionnelle. L’abuseur ne tient pas forcément des positions transmisogynes en général, il est transmisogyne dans des situations précises où cela lui donne un avantage social ou sexuel, un confort émotionnel et un levier contre ses victimes. En théorie, il avait des positions anti-terf, de respect des femmes trans et des personnes non-binaires. Quand je l’ai rencontré, il m’a immédiatement considérée comme une femme trans. Pourtant, en même temps, il accusait sa première amoureuse trans d’être un homme cis-hétéro. Ça lui donnait un pouvoir, ça lui permettait de l’agresser et de gérer sa relation sans gérer ses émotions ou sa santé mentale, sans se remettre en question. C’est comme ça qu’il a continué pendant des années à utiliser un discours TERF classique, l’idée du « mec cis-hétéro qui prétend être non-binaire/trans ». Plus tard ses soutiens ont utilisé la théorie de la « socialisation masculine » pour continuer à stigmatiser son ancienne partenaire quand c’est devenu plus difficile pour eux de nier son genre. De nombreux.ses militant.e.s trans et queers ont participé à cette dynamique par solidarité. Ça pose un énorme problème quand les personnes qui sont les plus visibles et connues sur un sujet reproduisent cette oppression, car qui va les remettre en question ? C’était d’ailleurs l’une des stratégies d’Axel : il utilisait une meuf trans de son groupe de soutien comme caution transfem, comme si sa présence prouvait que le processus ne pouvait pas être transmisogyne.

J’étais en relation avec Axel pendant la même période, j’ai été témoin et je n’ai pas réagi. Je ne pouvais même pas penser mon désaccord. J’ai même participé à accuser de manipulation la victime transféminine, pour des raisons qui n’avaient aucun rapport. Cette histoire a évidemment influencé ma propre position dans notre relation, et les suites, en construisant un cadre de pensée abusif : je ne peux pas avoir commis des violences ET avoir subi des violences ; si je dis que j’ai subi des violences, c’est que je me remets pas bien en question, c’est de la manipulation. Je ne voulais pas nier ce que j’avais fait (ni ce qu’il prétendait que j’avais fait), ou l’impact sur lui, DONC je devais nier ce que j’avais vécu. Je m’auto-fliquais en permanence là-dessus. Et je savais quelle serait la peine si je le faisais pas. Cette opération d’amnésie permanente et de réécriture de mes souvenirs m’a enfermée dans la culpabilité et a progressivement détruit ma personnalité.

Peu de temps après la fin de notre deuxième relation, j’ai réalisé que je vivais de la transmisogynie depuis des mois avec mon autre amoureux, mais aussi avec Axel. Je lui ai envoyé un mail pour lui reprocher deux choses, dont rétrospectivement, l’une était vraie et l’autre était seulement à moitié vraie. Au lieu d’entamer une discussion, sa réponse a été extrêmement violente et culpabilisante. Ça a déclenché une crise psy pendant laquelle j’ai cru que j’inventais tous mes problèmes de transmisogynie parce que j’étais une personne abusive. J’étais convaincue d’être une nuisance pour mes gentils mecs trans tout parfaits. J’ai essayé de me pendre pendant une demie-heure. Je suis pas allée jusqu’au bout, et finalement j’ai demandé de l’aide à l’une de mes colocs. Elle a prévenu mon ex, alors que je voulais surtout pas qu’il soit au courant, parce que j’étais terrifiée qu’il se sente coupable. Le lendemain il m’a fait passer un mot disant des choses comme « tu mérites de vivre ». Ça a créé un truc super fucked up dans ma tête : j’ai essayé de me suicider à cause de sa violence et en même temps c’est lui qui m’a autorisée à vivre. Pendant trois ans, j’avais l’impression de lui devoir ma vie. Quand je faisais des crises suicidaires, c’est à lui que je pensais et à ses mots qui m’autorisaient à vivre. Même quand ses violences étaient la cause de mes crises ! Il m’a amené vers la mort ; il m’a rendu la vie. Je lui devais tout ce que j’étais. J’avais l’impression que personne ne comptait réellement à part lui, qu’il était le seul à pouvoir me rendre mon humanité. Quand je croisais dans la rue quelqu’un qui lui ressemblait je trébuchais, je m’arrêtais en tremblant, paralysée. J’avais des flashbacks. Marcher cinq cent mètres prenait une demie-heure. Ça a cessé après trois ans. Plus de quatre ans après le début des violences. Il a fallu que je comprenne ce qu’il m’a fait subir, que je quitte lentement son emprise psychologique, que je m’écarte affectivement et géographiquement des milieux où il peut exercer sa violence sur moi. Que je reconstruise petit à petit la croyance que je ne suis pas un monstre, avec l’aide de rares proches à qui j’ai osé parler, et qui m’ont crue.

Après notre deuxième relation, j’ai appris qu’il avait commencé à me call-out, sans que je sache pour quoi. Il a arrêté d’être ami avec un de ses potes en raison de sa proximité avec moi, alors j’ai culpabilisé pour ça aussi. Pendant des mois j’ai évité d’aller dans des évènements, des lieux queers, j’ai évité de rencontrer des gens, de me lancer dans des projets dont j’avais envie. Des amiex ont mis des distances avec moi sans rien me dire ; je sentais soudainement la froideur dans leur regard et chaque fois ça confirmait que c’était mieux pour tout le monde de m’ignorer. J’ai arrêté d’avoir des relations intimes et de la sexualité. J’avais peur que des gens deviennent amis avec moi parce que ça serait comme voler quelque chose à mon ex, comme continuer à "lui faire du mal". Je croyais mériter de disparaître.

Dans l’un de ses mails il m’a ordonné de parler à mes proches du fait que j’ai dépassé une limite dans un moment de sexualité. Je n’avais pas de problème avec ça en soi : c’est important pour moi de parler des moments de ma vie où j’ai blessé des gens, des moments où j’ai dépassé une limite ou agressé sexuellement quelqu’un.

Mais son mail essentialisait l’ensemble de nos relations à cet acte ou à un « tu dépasses mes limites » général. Il ajoutait que si je faisais en sorte que « ça passe mieux » socialement pour moi, ou « moins bien » pour lui, il viendrait me chercher pour me dégommer, m’exploser le crâne et exercer des dégâts psychiques sur moi « en mode pokémon ».

Alors c’était impossible de parler des violences sexuelles qu’il m’a infligé pendant des mois, ou des formes de manipulation et d’abus émotionnels qu’il a exercé dans nos relations. S’il apprenait que j’en parlais, il considérerait ça comme de la manipulation et une manière de « renverser la situation », de me déresponsabiliser. Une manière de me faire passer pour LA victime. Je ne pouvais pas parler à mes amiexs de ce que j’avais vécu. Je n’osais même pas l’admettre pour moi-même. Je ne pouvais pas me poser de questions ou exprimer des doutes. La possibilité qu’il organise une expédition punitive était une peur permanente. Je savais qu’il en était capable.

J’ai accepté ses demandes. Il voulait savoir ce qui se passait dans ma tête… je voulais être entièrement honnête, alors je lui ai parlé des tourbillons de pensées et de souvenirs que je vivais et qu’à ce moment je ne comprenais pas. Le fait qu’il me reproche un dépassement de limite avec tellement de violence faisait éclater les souvenirs traumatiques des viols qu’il refusait de reconnaître, ou de viols lors d’autres relations. Je me démenais pour comprendre comment prendre la responsabilité entière de mes actions dans un contexte où je n’étais moi-même pas consentante et où ses violences m’avait traumatisée.

Une réaction appropriée aurait été qu’il propose un cadre où on aurait chacun.e pu comprendre comment on a blessé l’autre dans cette relation. Une réaction appropriée aurait été de me faire des excuses, lui aussi, et de travailler sur ses mécanismes. Une réaction appropriée aurait été : « quand même, mes deux ex transféminines me reprochent des violences sexuelles, je vais les écouter et y réfléchir ». Mais non. Il n’a pas répondu par mail.

Un mois ou deux plus tard, je dormais chez moi. J’ai été réveillée en sursaut par des cris et des coups dans la porte de ma chambre. Quelqu’un m’appelait en criant « Je sais que t’es là ! Faut qu’on parle ! ». J’étais flippée, confuse, encore endormie, j’ai répondu « c’est qui ? ». Il m’a répondu « C’est Axel ! ouvre-moi ! ». Je comprenais pas ce qui se passait, mais je pouvais rien refuser car je me sentais coupable et j’étais sidérée. Je lui ai dit d’entrer. Je me suis dit « ça y est c’est le moment : il vient me défoncer ». J’étais au bord de la crise de panique. Mais immédiatement je me suis dit « je le mérite. il a le droit de faire ça, il a le droit de se venger » et j’ai réprimé la crise de panique qui venait. Je m’attendais à ce que 4 ou 5 personnes masquées rentrent dans ma chambre et je me suis préparée à agir bien, en acceptant de me faire défoncer. En fait, il était seul. C’était une ou deux heures du matin. Il rentrait chez lui bourré d’une soirée, et comme il s’était installé près de chez moi, il était rentré dans mon immeuble et monté jusqu’à mon étage pour taper à la porte de ma chambre, un an après notre séparation et un mois après ce mail de menaces. Il a allumé la lumière. J’étais toujours à moitié somnolente, flippée, dissociée et je comprenais rien. Je me suis cachée sous ma couette, il a crié « AH TU VAS PAS TE CACHER MAINTENANT ! ». Je lui ai demandé une minute pour gérer mes émotions. Il s’est posé sur mon lit et m’a forcé à l’écouter divaguer pendant plusieurs heures. Il alternait entre me faire des reproches, me parler de la nouvelle vie amoureuse de mon ex qu’il détestait et qu’il stalkait, me parler de ses amiex à lui et de ses nouvelles relations. Il me regardait avec colère, puis avec beaucoup de tendresse, comme si j’étais un petit animal à qui il faut tout apprendre. Cette nuit, il m’a donné la clé de ses mécanismes de violence abusive : il m’a reproché d’avoir mentionné mes traumas dans un mail, en disant « tu aurais du savoir que je me sentirais coupable... » (sous-entendu : donc qu’il se mettrait en colère et viendrait me crier dessus). Il avait froid aux pieds, alors il a demandé s’il pouvait les mettre sous ma couette sans enlever ses chaussures. Il avait des grosses rangers. J’ai hésité car c’est hors de question de mettre des chaussures dans mon lit… Mais il a insisté : « c’est long d’enlever les lacets… » Alors j’ai dit oui et il s’est glissé sous ma couette avec ses godasses. Bizarrement, c’est ce qui m’a le plus marqué. Il s’est finalement endormi dans mon lit après des heures de monologue. J’ai demandé à ma coloc réveillée si je pouvais dormir dans sa chambre. Elle était choquée qu’il soit venu chez nous dans la nuit pour me crier dessus. J’ai immédiatement pris sa défense, car j’avais peur qu’elle le juge : tout ce qu’il faisait me semblait justifié. Quand il s’est réveillé, il m’a fait chercher pour que je vienne le voir. Il m’a fait un commencement d’excuse immédiatement gâché : « désolée j’aurais pas du venir comme ça… mais bon, tu peux considérer ça comme ma réponse à ton mail ! » et il a rigolé. Il avait faim alors je lui ai préparé des tartines et un thé. Je lui ai servi le petit déjeuner au lit. Dans mon lit. Il a mangé en me racontant les histoires de son nouveau polycule et du rendez-vous amoureux auquel il irait dans la matinée. J’accueillais tout. J’aimais prendre soin de lui. J’avais peur de lui. Un an après la fin de notre relation j’étais plus que jamais sous son emprise.

Ça a créé de grosses crises dissociatives pendant plusieurs années. Des parts de moi s’affrontaient en permanence : certaines avaient conscience d’avoir subi des violences ; certaines étaient enfermées dans la culpabilité ; certaines reprenaient le vocabulaire féministe pour accuser les premières de manipulation et les deuxièmes de victimisation et d’auto-flagellation ; certaines croyaient mériter d’être violées et exclues, et voulaient reproduire ces situations. J’ai développé des formes de paranoïa, perdu le contrôle de certaines parties de mon corps et de certaines actions, développé des TOC envahissants, des crises de paralysie dissociative. Je comptais dans ma tête en suivant différents rituels pour "accrocher" mon esprit à quelque chose qui le fasse pas exploser. J’utilisais inconsciemment des techniques d’auto-hypnose pour tenter de m’ancrer ailleurs que dans un réel qui m’était interdit. L’auto-mutilation était l’une des rares choses qui me donnait un semblant de soulagement et de détente. Les flashback et la peur du jugement de mon abuseur et de ses proches m’ont empêché d’avoir une sexualité pendant des années. Souvent, faire de simple câlins ou dormir à côté de quelqu’un déclenchait des angoisses insurmontables.

Axel tenait avec moi et d’autres gens des doubles discours : il m’amenait à m’auto-exclure et poussait des gens à ne plus me parler, tout en prétendant me protéger et vouloir que j’ai des contacts avec d’autres queers. Il m’a dit qu’il trouvait insupportable que des gens restent amiex avec moi en sachant ce que j’avais fait, et qu’il arrêterait de parler à quiconque était ami avec moi. En même temps il exigeait que je parle de ce que j’avais fait à tous mes proches. Donc, il me disait que tous mes proches devaient cesser d’être amiex avec moi. Et en même temps il disait vouloir me protéger en mode « t’es une meuf trans, c’est important pour moi que tu puisses être dans ce milieu ». Je crois que c’est du à ses propres contradictions, pas à un plan machiavélique. Mais de fait : ça m’a interdit plein de relations, d’évènements et de lieux tout en me donnant l’impression qu’il était mon protecteur et que je lui devais tout. Je crois que de l’extérieur, ses amiex avaient l’impression que je créais ma propre exclusion.

Il m’a reproché que des féministes cisgenres soient transmisogynes, parce que du coup, il n’osait pas leur demander du soutien contre moi…

A l’époque, j’avais porté avec une amie un conflit dans un milieu meuf-trans-gouine très transmisogyne et enbyphobe. Je souffrais énormément du backlash et de l’isolement que ça a entraîné. Pendant des mois où il était dans le placard, il avait refusé de nous soutenir pour préserver ses relations avec des meufs cis transphobes, mais quand il s’est outé, il a finalement organisé un groupe pour intervenir dans ce conflit, et il m’en a exclue. Plusieurs personnes m’ont fait croire que j’en avais été exclue pour d’autres raisons et j’ai appris ça des années après. C’est seulement à la toute fin du processus que j’ai été informée.

Il a continuellement déformé la demande qu’il m’avait faite pour approfondir le dossier sur moi. Il m’avait demandé de parler de ce que j’avais fait à mes proches, ce que j’ai fait. Mais il racontait à des gens que je ne respectais pas sa demande car je n’en avais pas parlé à toutes les personnes avec qui j’habitais (j’habitais avec une trentaine de personnes à cette époque, j’étais proche de cinq ou six d’entre elles). Il aurait simplement pu préciser sa demande en me disant « parle en à tes cohabitant.e.s » mais il a préféré en faire une arme. De même, j’ai une fois dormi avec une personne que j’aimais bien. Iel m’avait proposé de dormir ensemble, sans faire de sexe, parce qu’iel ne voulait pas dormir seul.e et que son ami n’était pas là. J’ai pas pensé que je devais lui parler du dépassement de limite à ce moment là. J’ai voulu lui en parler plus tard, mais quand on s’est revu.es, iel avait rencontré Axel, qui lui avait parlé de sa demande. Iel avait demandé à Axel si il considérait que j’aurais du en parler avant de dormir ensemble, et Axel lui a répondu que c’était à iel d’en décider. Alors iel a décidé que j’aurais du lui dire et m’a exclu d’une fête. Ce cas montre l’absurdité : j’avais un engagement envers Axel, mais une tierce personne a redéfini cet engagement pour me punir. J’ai été exclue par cette personne et ghostée par ses ami.exs alors qu’en même temps, ces personnes maintenaient des amitiés avec deux violeurs / abuseurs transmascs dans le déni. Cette contradiction m’a retourné le cerveau.

Partout où j’allais, j’avais peur. Je pouvais être exclue de manière arbitraire, parce que je n’aurais « pas respecté » une demande qui pouvait changer sans que je sois informée… J’avais tout le temps peur quand je rencontrais des gens, quand on me montrait de l’affection ou de la confiance. Je ne savais jamais qui allait soudainement me ghoster, me rejeter, me faire des reproches. Je n’arrivais plus du tout à créer des affinités, rencontrer des gens. A chaque fois que je croisais quelqu’un.e que je connaissais, si la personne me disait pas bonjour ou était moins chaleureuse que d’habitude, ça déclenchait des angoisses. Quand je voyais des personnes parler discrètement, je me demandais toujours si elles organisaient mon exclusion. J’arrivais pas à connecter émotionnellement ou à désirer des gens car l’idée de parler de ce que j’avais fait sans parler de ce qu’Axel m’avait fait devenait impossible. A chaque fois que je ressentais de l’amitié ou de l’attirance pour quelqu’un.e, je pensais à mon ex, à ses menaces de violence, et je dissociais. Il a complètement envahi mon espace mental. Je voulais dire à tout le monde ce que j’avais fait, mais c’était irréalisable. Même la masturbation est devenue impossible : je pouvais pas imaginer des situations sexuelles sans penser à lui qui me surveillait, me jugeait, voudrait me frapper.

Axel avait aussi d’immenses talents de stalking et de harcèlement à distance : une incroyable capacité à créer des liens avec des gens éloignés pour obtenir des informations ou isoler une personne à distance. Il avait, par exemple, contacté les amoureux.ses de personnes qui l’ont blessé, au début en disant « ton partenaire est un agresseur, je suis inquiète pour toi, il est dangereux ». Mais si la personne continuait à relationner avec l’agressaire, il changeait de ton et passait en mode culpabilisation et call-out contre la personne qui ne lui avait rien fait, en disant qu’elle était un « soutien d’agresseur » parce qu’il/elle continuait une relation avec l’agressaire. Et cela, même si la personne et l’agressaire reconnaissaient l’agression. C’est des actes de poursuite, de harcèlement, d’isolement et de punition qu’il déguisait en processus de gestion ou de justice. A l’époque je croyais que ces pratiques étaient justifiées, donc qu’elles seraient justifiées contre moi. Ça créait une paranoïa intense. En plus, je ne savais pas ce qu’il pouvait me reprocher, car il avait l’habitude de dire plein de choses différentes, telles que de vagues accusations de manipulation.

Ses discours binaires ont mené à une essentialisation, et m’ont enfermée dans le rôle d’agressaire. Les gens n’imaginaient pas les violences sexuelles et psychologiques qu’il m’a infligé. Plus largement, je ne pouvais pas être vue comme victime, même dans des situations où mes limites ont été dépassées de manière visible et en public. Je faisais face à des murs les rares fois où j’ai essayé de parler.

Être vue comme « un agresseur » dont il faut se méfier ; ne pas être vue comme une victime quand je le suis ; être une paria pour des personnes qui soutiennent des agresseurs, dont le mien ; être accusée de manipulation pendant des années, sans savoir pourquoi, ou pour des choses indépendantes de moi ; ce combo m’a donné un pur sentiment de monstruosité. D’exclusion de l’humanité. L’impression d’être un déchet violable, agressable, disponible et à la fois intouchable. J’ai compris que n’importe quel mec trans ou meuf cis pouvait me violer et me call-out si envie. J’ai observé cette même dynamique autour de nombreuses autres personnes transféminines.

Quand on est dans cette position, on commence par croire qu’on la mérite. Puis qu’elle est absurde, que c’est un malentendu, que les milieux féministes et queers contredisent leurs propre principes. Que les actions des gens n’ont pas de sens politique. Que si on pouvait dire la vérité, on serait peut-être entendue ?

Mais non : j’ai commencé à m’émanciper de ces milieux sectaires en faisant le chemin inverse : en comprenant qu’il y a un sens politique dans ces violences. Simplement, ce sens n’est pas affiché en vitrine. Ce qui compte c’est pas être ou non un.e agressaire, se remettre en question ou non, faire de la réparation ou non. C’est d’autres structures politiques : la domination transmisogyne ; l’innocence féminine ; l’essentialisme cis-féministe, c’est à dire la binarité patriarcale de genre ; la culture du viol. C’est pour protéger ces structures que l’exclusion de meufs trans victimes de viols est normale. C’est le sens de ces double standards.

Pendant des années, j’ai voulu faire partie des milieux « queers », je les ai regardé d’en bas. Aujourd’hui, j’arrive à peu près à m’en émanciper. J’ai accepté qu’en France, les milieux « queers » sont d’abord des milieux afab transmisogynes, où des lesbiennes cisgenres, des non-binaires afab et des transmascs cohabitent sans trop remettre en question la transmisogynie. J’ai accepté de n’être jamais leur égale, et j’essaie de construire des choses ailleurs. Ça fait toujours mal, mais c’est la seule manière de me protéger que j’ai trouvé.

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18 mars ’21 mon amoureux mon amoureux mon amoureux

qui me dit rapidement

"nan mais je sais ça, je m’en étais rendu compte"

quand j’essaie de lui parler

doucement

timidement

gentiment

de ce que j’ai vécu

de ce qu’il m’a fait

tu sais déjà,

tu sais

tu sais ? comment pourrais tu savoir ce que j’ignore

ce que je n’ose ni penser ni savoir

même pas surtout pas dans mon esprit

même pas deux ans après

tu sais

alors je me tais

alors c’est fini

tu sais

alors JE n’ai pas besoin de savoir

pas besoin de penser, de comprendre, d’exprimer, d’être écoutée

TU SAIS la violence de ces mots

qui me renvoient au néant

au déni

au silence

comment penser

comment dire

comment raconter

ce corps inviolable

ce genre inviolable

ce sexe inviolable

que j’habite dans l’ignorance ?

5 avril ’21

tu crois me protéger ?

je porte ta violence dans mon ventre

je n’en parlerai pas

je porte ta douleur dans mon ventre

je n’en parlerai pas

je porte ta colère dans mon ventre

je n’en parlerai pas

je te porte en silence dans mon ventre

et j’absorbe

et je me tais

car je suis une femme

trans

car c’est mon rôle

celui que vous me donnez

souffrir en ignorant que je peux souffrir

subir en ignorant que je peux subir

toujours être coupable

jamais victime

toujours me voir comme une menace

jamais vulnérable

toujours me voir comme un prédateur

ignorer que je suis la proie

1er mai ’21

de l’autre côté du silence

mon corps est un objet que les gentes utilisent pour leur plaisir

mon corps est un objet que j’utilise pour satisfaire les autres

pour ne pas les décevoir

pour ne pas avoir à leur dire non

pour qu’ils ne se sentent pas abandonnés

pour qu’ils ne me fassent pas de reproches

mon corps est un objet que j’utilise pour ne pas être abandonnée

mon corps n’existe pas pour mon plaisir

mon corps est dégoûtant

mon corps est étranger

les gentes s’y accrochent

je veux fuir alors je m’accroche à leur corps

j’utilise mon désir pour écraser ma peur et mon dégoût du contact

je deviens objet sexuel

désirs conformes

gestes conformes

pensées conformes

j’accepte tout car je suis d’avance coupable

transféminine...

femme trans...

assignée mec...

ce corps est un objet condamné par le silence et les mensonges

j’ai peur de parler réellement des choses qui se sont passées.

j’ai peur de lutter contre tant de suppositions et de préjugés qui réduisent au néant mes expériences

j’ai peur d’être seule

mes récits sont d’avance jugés

je le sais car je les juge moi-même sans cesse

déni ! minimisation ! exagération ! fantasme ! manipulation !

qui est autorisé à parler ? q

ui est autorisé à se présenter comme victime ?

qui est cru ? qui reçoit de la reconnaissance et du soutien ?

qui s’étrangle sans comprendre avec ses traumatismes ?

qui est exclu ? qui garde le silence ? même dans sa tête...

qui porte la violence des autres et la retourne contre soi ?

contre soi..

absolument intouchable

totalement disponible

comment arrivez vous à me faire sentir ça ? queers et féministes

Début juin ’21

je suis faite pour recevoir votre violence

je suis faite pour recevoir votre colère

je suis faite pour recevoir votre désir

je suis faite pour recevoir votre inquiétude

je suis faite pour m’écraser m’effacer

je suis faite pour détruire mon individualité

je suis faite pour être à votre disposition et pour l’ignorer

je suis faite pour dissocier

je suis faite pour culpabiliser et me soumettre vous me faites,

vous m’écrasez, vous me soumettez

vous me tuez, vous me séparez de moi-même, vous m’annihilez

vous faites de moi le coupable, le monstre et le démon

vous en profitez cessez de vous mentir : vous en profitez

29 juin ’21

je ne suis pas un être humain : je suis un point de passage

vous m’utilisez et me désirez comme un portail

vous faites de ce corps un démon, une machine

vous rendez ce corps froid et métallique

et vous me le reprochez et vous vous tournez

vers ceux que vous reconnaissez comme vos semblables

et vous mettez vos mains dans leur nuque et vous les caressez

vous n’avez jamais caressé cette nuque, vous n’avez jamais touché ce corps quand vous l’avez violé

ce corps est intouchable et disponible et jetable

ce corps est un déchet

il n’a pas de mémoire ce corps n’a pas d’histoire

ce corps déambule sans comprendre d’un lit à l’autre, d’un corps à l’autre

ce corps mourrait s’il savait

ce que j’ai accepté que vous lui fassiez

ce corps se révolterait s’il savait

que je fus votre complice pendant tant d’années

nous n’avons pas d’histoire, pas de mémoire

vous l’avez effacée

comment exister en-dehors de vos regards ? en-dehors de vos idées ?

j’aimerais quitter votre monde et créer le notre. créer mon propre savoir, ma propre imagination, mes propres clés et concepts. cet esprit est envahi par vos parasites depuis l’enfance

dites moi que vous faites de votre mieux, que ce n’est pas si mal, que c’est mieux que les autres

je m’en fous

c’est à ça qu’on reconnaît les ennemis cachés.

mars ’22

je me dis ces choses pour la première fois :

j’ai le droit de rejeter les gens. j’ai le droit de dire non.

j’ai le droit de rejeter une personne qui m’aime ou me désire.

même si ça lui fait mal, même si iel souffre.

même si iel est traumatisé.e

ça ne fait pas de moi une mauvaise personne

ça ne fait pas de moi un homme cisgenre

ce n’est pas de la manipulation

et je n’ai pas à justifier ce rejet.

j’aurais aimé que tu me dises ça. j’aurais aimé que vous le disiez, même si vous aviez peur

*********************

Au-delà des violences sexuelles c’est tous les aspects des relations sexo-affectives qui sont touchés par la transmisogynie. Énormément de violences sont invisibilisées ou normalisées quand elles ciblent des meufs trans, des personnes non-binaires ou agenres amab.

On peut citer les plus fréquentes : les coups et blessures, les démonstrations violentes de jalousie et de possessivité, (coups, insultes, culpabilisation, exclusion d’un lieu de vie ou d’activité, slut-shaming, etc), les punitions exercées pour se venger d’une rupture amoureuse, le harcèlement sexuel, le harcèlement post-relation, le stalking, les menaces d’automutilation et de suicide, les menaces abusives de call-out, le dépassement fréquent de limites relationnelles puis la démonisation de l’autre quand elle dépasse une limite relationnelle, saboter des relations avec des tiers, isoler volontairement sa partenaire, outer sa partenaire comme trans sans son consentement, mégenrer ou délégitimer l’identité de genre de sa partenaire, empêcher une transition sociale ou médicale, comparer sa partenaire à un mec cis, le grooming, les viols punitifs, les accusations de manipulation pour rejeter des limites légitimes, l’exclusion arbitraire d’espaces de sociabilité, le contrôle de la sociabilité, des activités, des déplacements.

Et moi-même, quand j’ai vécu certaines de ces choses je les ai souvent normalisées et défendues en me disant que "c’est normal qu’il/elle fasse ça : je suis assignée mec, je suis privilégiée" comme si c’était... féministe !

Nouveau slogan pour 1984 ?

LA GUERRE C’EST LA PAIX

L’IGNORANCE C’EST LA FORCE

LES VIOLENCES CONJUGALES C’EST LE FÉMINISME :

Face à ça la plupart de mes demandes de soutien ou d’écoute ont eu pour réponses : "j’ai pas l’énergie", "désolée je veux pas prendre position", "j’ai entendu dire que toi aussi t’as fait de la merde avec des gens...", "ouh la la ça a l’air compliqué, je sais pas", "mais quand même il/elle est assigné.e meuf tu devrais comprendre !?", "tu sais il/elle a des traumatismes", "tu sais il/elle est neuroatypique...", "tu peux pas comprendre ce que c’est d’être une femme dans un monde patriarcal ", "je pense que tu fais de la manipulation...", "j’ai peur d’être en conflit avec toi", etc

J’aimerais bien que les gens réalisent que ces choses ne sont PAS rares dans les milieux queers et féministes, c’est monnaie courante. Vos potes font ça, peut-être que vous faites ça. Arrêtons de prétendre que les violences conjugales c’est le problème des mecs cis. Arrêtons de prétendre que seuls les mecs cis ont besoin d’être éduqués pour respecter le consentement des autres. Arrêtons de prétendre que les femmes et queers ont une intelligence émotionnelle supérieure et sont naturellement capables de relations plus saines, avec une meilleure communication et plus d’attention au consentement. C’est faux. C’est juste faux ! Tout ça s’apprend, tout ça se construit, dans nos milieux, pour nous-même, dans chacune de nos relations, au fil du temps. C’est un travail à faire en permanence et qui implique de conscientiser nos émotions, nos traumas, nos mécanismes d’attachement, nos désirs et frustrations cachées, nos points de ressentiment, notre désir impossible d’être innocent.e. Notre violence. Notre violence.

Cet article et cette étude sur les violences entre partenaires intimes ont plusieurs défauts mais sont quand même intéressants, notamment sur la fréquence de violences subies par les personnes queers qui vivent plusieurs oppressions (grossophobie, racisme, validisme, transphobie, biphobie, classisme, etc).

https://xtramagazine.com/power/intimate-partner-violence-study-242071

Dans les milieux féministes et queers les relations abusives et viols sont uniquement considérés comme des violences patriarcales, mais la réalité c’est que ces violences sont présentes dans toutes les oppressions et à leurs intersections. La culture du viol dont on parle habituellement n’est que l’une des cultures du viol existantes. Il y a aussi une culture validiste du viol, une culture raciste du viol, classiste, grossophobe, etc. J’ai lu ailleurs que 80 % des femmes qui ont un handicap psy ont vécu des violences sexuelles dans leur vie, et 66 % des hommes qui ont un handicap psy aussi. Le validisme est donc un facteur autant, sinon plus important que le genre, dans le fait d’être cible de violences sexuelles (les deux se cumulent, évidemment). On me dira « oui mais les auteurs sont majoritairement des hommes cisgenres ! » Sûrement, mais j’aimerais savoir comment varie le pourcentage de femmes cis parmi les agressaires de personnes minorisées autrement que par le genre… car ça confirmerait probablement que le viol est lié au pouvoir et au privilège, et pas spécifiquement à la binarité homme-femme.

Un autre point fort de cette étude pour moi ça a été de voir noir sur blanc que certains actes y sont considérés comme des violences... alors que les queers et féministes ferment tranquillement les yeux dessus. Notamment la liste d’actes abusifs en rapport avec l’identité de genre : « [le.a partenaire] vous a outé ou a menacé de vous outer ; a utilisé de mauvais pronoms ou des pronoms insultants pour parler de vous ; n’a pas respecté votre choix de prénom ; a ridiculisé votre corps ou votre apparence ; vous a dit que votre genre n’était pas réel ; a forcé des actes sexuels "incompatibles" avec votre identité de genre ou orientation sexuelle ; vous a enlevé des objets servant à affirmer votre genre. »

Je rêve d’un monde dans lequel on prend enfin au sérieux ces violences sexistes... et leurs conséquences sur nos vies et nos santés mentales. On est quand même dans des milieux où certaines personnes passent littéralement des années à délégitimer l’identité de genre de personnes non-binaires et de femmes trans afin de maintenir des lectures cis-hétéros centrées de leur relation. Et où ces violences sexistes sont largement soutenues et validées par des associations, des collectifs, des lieux militants, des festivals, des bibliothèques féministes/anars, des individus influents (organisateur.ices de festivals, de concerts, de spectacles, de groupes de paroles, contributeur.ices notables de revues queers, d’émissions de radio féministes, de podcasts, de maisons d’édition, etc).

On est quand même dans des milieux où quand des personnes ou collectifs se rendent compte avoir fait de la merde pendant des années ils/elles s’accrochent à n’importe quelle occasion de faire du déni ou décrédibiliser leur victime pour éviter d’admettre publiquement leurs torts. Parce que, soyons honnêtes : le but dans ces milieux, c’est pas de changer le monde, de prendre ses responsabilités quand on a été oppressif.ve pour grandir en tant que personne tout en contribuant à sa communauté et au bien-être des individus qui nous entourent. Nan. Les vrais buts c’est : être inclu.e.x dans le crew ; être aimé.e.x ; être populaire ; avoir des partenaires sexo-affectifs stylés ; avoir du pouvoir et de l’influence pour faire les choses qu’on veut ; passer pour une personne choupi-chou <3 <3 <3 ; être du côté des gentil.les et des innocent.e.s !

Ah, ça y est : j’suis une meuf amère !

On reproduira des dynamiques sectaires et des mécanismes de bouc émissaire tant qu’on valorisera l’innocence, la choupitude, les apparences et la conformité aux normes communautaires...

Le mythe de la pureté et de l’innocence des communautés queers sert la domination blanche, la domination bourgeoise, la domination valide et saniste. Ce mythe est l’un des vecteurs d’exclusion de celleux d’entre nous qui sont prol et précaires, fou/fols/folles, tds, handies, racisé.exs, tox, paranos, toqués. Ca suffit pas de constater que y a ce mythe ou ces dominations en discutant tranquilou entre privilégié.es. Ca suffit pas de "faire des efforts pour inclure les minorités et personnes précarisées". Faut détruire ce qui crée l’exclusion. Briser le silence. Trahir ses amiex quand c’est nécessaire. Agir directement pour faire craquer ces espaces, ou les quitter. Créer des liens avec celleux qui sont exclu.ex, celleux qui s’auto-excluent, celleux qui disparaissent sans un mot ou en claquant la porte. Je m’étrangle quand je vois qui parle de communauté et d’exclusion : « attention, faut pas déchirer la communauté queer !... » Iels citent et instrumentalisent Kai Cheng Thom pour se protéger en excluant leurs victimes... transfem, non-binaires, prol ou racisées… (manque de respect+ ++, que dire ?). Appeler à l’unité de la communauté pour justifier l’exclusion des marginalisées... ça vous rappelle rien ?

Tristes milieux queers, où des gens qui se sont fait bully au collège s’en donnent à cœur joie à 25 ans, maintenant qu’iels ont un espace safe où se sentir fort.e.s en harcelant d’autres personnes qui se sont fait bully au collège…

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Ma première amoureuse était une terf. Avant notre rencontre elle a voulu exclure une personne agenre d’un espace en mixité choisie queer parce que "c’est un HOMME, IL a une BARBE, IL me rappelle mes VIOLEURS". Quand des personnes lui ont dit que ses propos étaient transphobes et lui ont donné des brochures, elle a prétendu être exclue et harcelée.

Elle prétendait que la barbe de cette personne déclenchait des réactions traumatiques. Pourtant, peu après elle relationnait avec moi, en croyant que j’étais un homme cis-hétéro. Elle dormait avec moi, se réveillait à côté de moi, faisait du sexe et des câlins avec moi. Elle aimait ma barbe, la trouvait belle et douce. Ce qui la dérangeait c’était pas la barbe, ni ses traumas : c’était spécifiquement qu’une personne agenre assignée garçon soit dans un espace féministe.

J’ignorais être une femme trans. C’est d’ailleurs la première à m’avoir parlé de personnes trans. Ses propos m’ont causé énormément de dysphorie par la suite : l’impression d’être essentiellement "un agresseur", d’avoir un "corps d’agresseur". Son argument "je le vois comme un homme donc ça me fait le même effet qu’un homme" aussi. Cette idée que je dois faire passer la perception des femmes cis transphobes avant mon propre bien-être ou mes besoins... Que je dois toujours faire attention à elles, que je suis responsables de tous leurs traumas... alors que je n’y ai rien fait. C’est des idées profondément destructrices.

Un jour elle m’a proposé de porter une robe quand on faisait du sexe. C’est la première fois que j’ai porté une robe. C’était très étrange de faire ça avec elle alors qu’elle était tellement transphobe alors j’étais gênée. A la longue j’ai capté que c’est un type particulier de chaser : les femmes cis qui haïssent les femmes trans et aiment « les hommes en robe ».

Elle savait que j’avais été agressée sexuellement par un homme avant de la rencontrer. Pourtant des fois elle me disait quand même « untel est un homme / est assigné homme donc il n’a jamais risqué d’être agressé ». Je n’ai jamais rien dit, j’étais d’accord avec elle. Le discours féministe officiel avait plus de valeur que ma propre expérience, même pour moi. Surtout pour moi. J’apprenais à oublier mon expérience, à l’ignorer. Je développais une double conscience : quelque part, profondément j’avais été violée ; mais dans mes pensées conscientes et mes paroles, ce viol était escamoté.

Elle avait 44 ans, j’en avais 24. Elle avait commencé à avoir des relations amoureuses et sexuelles à 18 ans. Moi, j’avais jamais eu de relation amoureuse, jamais de relation sexuelle consentie. Elle avait donc 20 ans de plus que moi, et 26 ans d’expérience de plus. Elle avait plus d’années d’expériences sexo-affectives que j’avais d’années AU TOTAL !

On vivait dans un milieu où le grooming était normalisé. Moi-même j’avais pas de protection contre ça : mon père avait 29 ans de plus que ma mère et j’ai grandi avec des discours qui légitimaient ça. Dans ce milieu j’ai entendu des discours comme « l’âge c’est juste un nombre », discours qui est utilisé aussi par des prédateur.ices pédophiles ou éphèbophiles.

Le terme grooming est principalement utilisé pour parler de prédation pédophile et éphèbophile. Mais il peut aussi être utilisé pour une relation entre deux adultes où la différence d’âge et d’expérience crée une grande asymétrie de pouvoir. Être plus âgée et expérimentée aide à imposer ses idées, ses dynamiques, son cadre à une relation. Tandis qu’être plus jeune et moins expérimentée pousse souvent à se conformer, à s’adapter à l’autre et à ses envies. C’est souvent plus difficile de poser ses limites et on est moins écoutée et respectée, moins vue comme légitime.

Elle tenait un discours victimisant et culpabilisant : "c’est tellement dur pour moi d’être dans un milieu de personnes plus jeunes, je suis vieille, c’est pour ça que personne ne veut relationner avec moi ", "pourquoi les personnes qui ont 25 ans ne veulent pas relationner avec moi, j’ai pas assez de valeur sur le marché du sexe parce que je suis vieille".

Évidemment, il y a des normes de beauté et de désirabilité et de avec qui on peut envisager d’être en couple. Mais en réalité elle avait eu des relations amoureuses tout au long de sa vie et n’avait pas de mal à trouver des partenaires sexuels. C’était une femme cis blanche mince de classe moyenne qui cherchait une relation hétérosexuelle. Elle était donc loin du bas de "La Grande Hiérarchie Sexuelle" dont elle parlait. Et surtout, son argumentaire était très binaire : telle personne ne veut pas relationner exclusivement avec moi → c’est oppressif. Et ça rentrait dans une dynamique de grooming : elle cherchait à relationner avec des personnes jeunes ayant peu d’expériences, sans expliciter que son attente était d’avoir une relation monogame pour la vie.

Quand je l’ai rencontrée elle était encore en train de harceler publiquement un mec cis, encore plus jeune que moi, qui avait lui aussi peu d’expériences relationnelles. Elle avait fait du sexe avec lui quelques fois, sans poser de cadre relationnel. Quand il l’a informée qu’il ne voulait pas de relation monogame elle l’a insulté, a prétendu qu’il voulait la "forcer" à être en relation non-exclusive. Elle a développé tout un discours sur "les dominants sexuels qui veulent imposer la non-exclusivité" pour "se servir d’elle sexuellement et la jeter après".

Son attente implicite, qu’elle ne formulait jamais, était : "si quelqu’un fait du sexe avec moi une fois, il doit ensuite accepter d’être en relation monogame pour la vie sinon c’est un manipulateur et un dominant sexuel". Elle se victimisait et tenait aussi des discours culpabilisants sur l’âge. C’était du pur renversement : elle qui a 44 ans et qui relationne avec des personnes qui ont 20-25 ans de moins, c’est très bien. Par contre, une personne de 25 ans qui relationne avec quelqu’un du même âge, ça c’est oppressif !

Avant même qu’on partage de la sexualité ses discours m’ont formatée : j’étais toute prête à me sacrifier pour elle. Je me suis forcée à être en relation exclusive avec elle en me disant que j’étais privilégiée en tant que "mec cis" donc que « pour moi les relations c’est facile donc je peux m’adapter à ses besoins ». J’ai cru ça alors qu’à 24 ans c’était ma toute première relation... Chaque chose qu’on faisait ensemble était ma première fois : se tenir la main, s’embrasser, faire des câlins, être nue avec quelqu’une, faire l’amour, dormir ensemble. Je ressentais une énorme dépendance car avant ça je croyais que personne ne m’aimerait jamais et j’avais peur de vivre toute ma vie sans aucune relation amoureuse ou sexuelle.

Elle me valorisait énormément, me faisait beaucoup de compliments, me disait que c’était incroyable de relationner et coucher avec moi. J’étais à la fois flattée et mal à l’aise, j’étais mise dans un rôle de sauveur, quasi Jésus. Je crois qu’elle m’a comparée à un ange dans une lettre. J’ai continué à m’adapter pour être conforme à ses envies. Elle aimait cette relation. Moi j’étais rassurée. J’étais aussi mal à l’aise, notamment dans notre sexualité, mais j’avais pas de point de comparaison, donc je ne me rendais pas compte que je n’avais aucun plaisir et beaucoup de dysphorie.

J’ai commencé à lire des brochures féministes qui parlaient de non-exclusivité. Tout ce que je lisais avait du sens pour moi, c’était logique, ça correspondait aux idées que j’avais depuis l’enfance, à ma manière de voir les autres. Exiger de quelqu’un.e que j’aime de n’aimer et ne désirer que moi me semblait absurde. Je ne veux pas gérer mes émotions et ma dépendance affective en restreignant la personne que j’aime. J’ai dit à ma partenaire que je m’engageais à être exclusive mais que je ne lui demandais pas de l’être. Puis cette idée de fidélité m’a semblé absurde pour moi-même. Je réfléchissais tout le temps aux relations, à la dépendance affective, à la fusion, et ça avait vraiment pas de sens pour moi d’être monogame. Je voulais pas rompre mon engagement vis-à-vis de ma partenaire, même si ça avait de moins en moins de sens. Mais une fois j’ai partagé de la proximité physique avec une personne pour qui j’avais du désir. J’ai dit à ma partenaire ce que j’avais fait quand je l’ai revue et j’ai partagé mes réflexions. Constater qu’on avait envie de fonctionnements différents et mettre fin à notre relation n’a jamais été une option pour elle : elle me faisait seulement des reproches et elle me culpabilisait violemment. Ce jour-là, on a fait du sexe, elle était au-dessus de moi et me baisait en disant qu’elle était en colère contre moi, tellement en colère, que ça lui faisait tellement mal. Je me sentais écrasée, mal à l’aise et coupable, je ne savais pas quoi faire, l’impression que c’était ma responsabilité de la soulager. Je me suis dit que ça l’aiderait peut-être de me frapper pour décharger sa colère. Je lui ai demandé "est-ce que ça te ferait du bien de me frapper ?", elle a dit oui. Elle m’a donné des coups de poing pendant un moment. J’ai réalisé que j’étais terrifiée. J’ai accueilli ses coups et sa douleur. Je croyais que c’était ma faute, ma responsabilité, mon rôle.

Peu après j’ai décidé de mettre fin à notre relation. Je lui ai annoncé. Elle a négocié pour que je change d’avis, m’a culpabilisé comme toujours (« tu veux me quitter pour faire du sexe avec des filles plus jeunes et plus jolies », « t’as jamais été amoureux de moi sinon tu me quitterais pas »), puis elle m’a dit qu’elle voulait finalement être en relation non-exclusive avec moi. J’ai refusé encore et encore en lui rappelant qu’elle avait passé des mois à me dire qu’elle ne voulait pas. Elle insistait, avec du chantage émotionnel. J’étais déchirée car j’étais profondément amoureuse d’elle et prendre la décision de la quitter avait déjà été difficile. Finalement j’ai accepté, on a discuté d’un cadre. J’ai rapidement perdu le vague espoir que ça fonctionne et j’ai à nouveau mis fin à notre relation. Sa violence était énorme. Elle a jeté et cassé des objets, m’a crié dessus, insultée, chassée de mon lieu de vie, puis d’un autre endroit où j’étais réfugiée, m’a hurlé dessus dans un autre endroit encore. Elle tenait les discours qu’elle avait tenu tout au long de notre relation : "si tu veux pas être en relation exclusive avec moi c’est que t’es pas amoureux de moi et si t’es pas amoureux de moi t’es un dominant sexuel !!!" J’ai du fuir mon lieu de vie plusieurs semaines. Elle m’envoyait quand même des mails d’amour, de culpabilisation et d’insultes. Je donnerai seulement quelques exemples : elle a comparé mon envie de vivre de la sexualité en-dehors de relations amoureuses à de la pédocriminalité... Elle m’a sorti des discours comme "Il n’y a que deux camps : l’égoïsme ou l’empathie ; je croyais que tu étais dans le mien". Elle a comparé le fait que j’étais attirée par une femme de mon âge à "donner de l’argent aux riches plutôt qu’aux pauvres", thème qu’elle a développé sur 15 lignes. Elle m’a menacé deux fois de violences quand elle me reverrait et l’a justifié en disant que si elle ne déchaînait pas sa violence contre moi elle le ferait contre elle-même.

Les cris, les insultes, les objets brisés, le fait de me chasser de mon lieu de vie et de me harceler : tout cela s’est passé devant de nombreux témoins et elle en parlait elle-même à ses ami.e.xs. Mais je n’ai pas reçu de soutien. Une seule fois, un homme cisgenre m’a dit qu’il trouvait que c’était pas correct qu’elle m’insulte en public. Je ne l’ai pas vraiment écouté. J’étais pas convaincue de mériter tout ce qu’elle faisait mais comme elle se définissait, elle et elle seule, comme la personne en souffrance, je me disais que c’était normal. Je pensais que c’était mon rôle de "mec cis" d’accepter sa violence et de prendre soin d’elle. Elle était propriétaire d’une voiture, d’une maison, d’un appartement, mais elle disait "je n’ai nul part où aller". Alors j’y croyais, alors que moi-même j’avais rien de tout ça. Après un mois j’ai pu revenir dans mon lieu de vie et dans le collectif où on s’était rencontrées, en l’évitant. Elle fantasmait que je vivais ma meilleure vie en faisant du sexe avec plein de personnes. J’avais même pas envie de la contredire. J’étais déprimée, choquée par cette première rupture.

Ses violences étaient considérées comme légitimes. Ou peut-être même pas légitimes : elles étaient simplement ignorées. Parce que les relations sexo-affectives, les violences, les maltraitances et les enjeux de pouvoir étaient uniquement considérées dans un cadre cis-hétéro-féministe. Elle était vue comme la femme, j’étais vue comme l’homme. Donc les violences qu’elle exerçait n’étaient même pas vues. Dans ces milieux j’ai souvent eu l’impression que le fait de me faire crier dessus ou frapper par une meuf cis était en soi un indice que j’avais fait de la merde. Pourtant il y avait bien d’autres enjeux : ok, j’étais dans le placard donc les gens ignoraient que j’étais une meuf, mais y avait des enjeux de classe, d’âge, d’expérience, de position et d’ancienneté dans le milieu, d’accès à de l’écoute. Et, indépendamment de tous les enjeux systémiques ou sociaux : elle faisait de la merde.

Elle ne s’est pas arrêtée là : elle a pris notre histoire, depuis son point de vue... et en a fait un spectacle. Depuis des années elle est accueillie dans plein de lieux militants, anarchistes, écologistes, féministes, pour des représentations (en France, en Suisse, en Belgique). Dans ce spectacle elle prétend que des méchants "jeunes et beaux dominants sexuels » l’ont forcée à être en relation non-exclusive. A aucun moment elle ne précise qu’en réalité c’est elle qui a utilisé des techniques de culpabilisation et son rapport de pouvoir pour pousser une jeune femme trans inexpérimentée à être en relation exclusive PUIS en relation non-exclusive. A aucun moment elle ne parle des violences conjugales, du chantage affectif, du chantage au suicide, du love-bombing qu’elle a déployé pour m’obliger à rester dans une relation qui ne me convenait pas, puis pour m’engager dans une relation non-exclusive en laquelle je ne croyais pas.

Dans sa BD Les Sentiments du Prince Charles, Liv Strömqvist. parle de ces hommes cis-hétéros qui sont abusifs avec leurs femmes. Quand elles les quittent, ils écrivent de grandes œuvres littéraires ou des films pour se victimiser et dire à quel point elle leur a brisé le cœur. Et bien, naïvement, je croyais qu’une femme féministe ne ferait pas la même chose…

Trois ans plus tard on a été un peu forcées d’être dans les mêmes réunions d’orga. Un jour elle a tenté de me forcer à parler de notre relation à un moment où je ne voulais pas (elle est venue me voir dans la salle de bain où je me brossais les dents en sortant de la douche...). J’ai refusé, elle m’a mis la pression, m’a crié dessus. J’ai fini par lui dire qu’elle avait été abusive avec moi et que je voulais pas qu’elle me force à parler de notre relation. Elle a immédiatement joué la carte "moi abusive ? c’est moi qui voulais me suicider après notre relation !". Le lendemain dans une réunion elle a pris la parole pour dire "elle dit que j’ai été abusive donc je ne peux pas participer à cette réunion !", puis elle m’a recouvert d’insultes en hurlant pendant un quart d’heure. Des participant.e.s à la réunion ont pris soin d’elle pour la calmer et pour que la réunion se passe bien mais j’ai pas reçu de réel soutien.

Un an plus tard elle m’a envoyé un mail disant « c’est bon maintenant je suis prête alors dis moi en quoi j’ai été abusive. » Avec aucune excuse sur les hurlements, insultes, chantage au suicide… Aucune proposition de cadre... Je ne lui ai pas répondu : je m’attendais juste à ce que ça déclenche de nouveau du harcèlement ou qu’elle utilise mon vécu pour alimenter son spectacle. Je lui avais déjà écrit de nombreux éléments au moment de notre séparation, et elle s’était simplement victimisée. Depuis, elle continue à faire son spectacle et a publié un livre basé dessus. Elle fait son spectacle en binôme avec une autre personne, qui est au courant des violences et l’a toujours soutenue. Des personnes qui sont au courant des violences ont déjà programmé ce spectacle, sans jamais me contacter.

[OK, c’est chiant d’être dans un milieu où la moyenne d’âge est bien inférieure à la sienne. Mais en fait :

  • être sexualisé.e pour sa jeunesse c’est pas un privilège, ça fait partie de l’oppression ;
  • si vous êtes vraiment contre la sur-sexualisation des jeunes, la première chose à faire c’est arrêter soi-même, non ? trop facile de dire aux + jeunes de sexualiser votre corps alors que vous-même vous sexualisez uniquement les corps jeunes ;
  • faites pas reposer votre isolement et votre frustration sexuelle sur des personnes qui ont 10 ou 20 ou 30 ans de moins que vous. Faites pas payer des personnes plus jeunes pour votre absence de relations durables. Si y a pas de gens de plus de 30 ans dans les milieux féministes/queers/militants, c’est pas la faute des personnes qui viennent d’y entrer. C’est la responsabilité des gens qui n’ont pas rendu ces milieux vivables à long terme. Ne baisez pas des personnes plus jeunes en les faisant culpabiliser de l’échec de votre génération. Sérieusement.]

Un argument utilisé pour nier les violences faites aux personnes transféminines, ou pour orienter l’analyse c’est l’idée que seules les femmes cis ou les personnes afab pourraient être victime de cis-hétéro-norme ; ou que dans une relation entre une personne afab et une personne amab la personne amab serait "celle qui profite" des normes cis-hétéros. C’est problématique pour au moins deux raisons :

D’abord cette idée ignore le fait que les personnes trans amab sont des victimes systémiques de cis-hétéro-norme, au même titre que les autres personnes trans et bien plus que les femmes cis-het, par exemple. Elle repose sur l’idée transphobe que les personnes trans amab seraient privilégiées par le patriarcat. Les normes cis-hétéros de relation et de sexualité nous oppriment, nous excluent, nous causent de la dysphorie, du mal-être, un sentiment d’inadaptation, nous font perdre des relations, nous obligent à performer des rôles ou à participer à des pratiques qui peuvent nous blesser.

Les normes cis-hétéros nous oppriment de la plupart des manières déjà visibilisées par les cisféministes, mais je rajoute quelques exemples ou illustrations spécifiques :

  • j’ai jamais eu d’informations sur les usages des parties génitales comme les miennes au-delà de "pénis dur —> pénétration", ce qui est peut-être... 5% du potentiel de mes parties génitales, et pas un acte qui me plaît forcément. J’ai vécu sans représentation de sexes transféminins et sans idée que le mien pourrait être désirable en-dehors de l’usage "normal". Aujourd’hui encore je ne connais que la brochure "Baiser des meufs trans" comme représentation et source d’info alternative.
  • j’ai vécu sans aucune représentation respectueuse de meufs trans dans des relations amoureuses ou sexuelles. j’ai toujours eu l’impression que je devrais être une femme cisgenre pour être aimée et désirée. J’étais et je suis toujours parfois convaincue que personne ne peut m’aimer ou me désirer comme femme.
  • ma première partenaire adorait la pénétration PiV avec moi et me valorisait pour ça. Pour moi c’était presque toujours douloureux et désagréable et ça créait de la dysphorie. Je faisais ça comme un service sexuel pour elle, parce que ça lui plaisait et parce que je croyais que c’était normal de faire ça. Je n’avais pas de plaisir ou d’orgasme ou même de joie de faire ça. Je me rendais même pas compte que mon sexe avait des micro-blessures en permanence. A un moment elle s’est inquiétée parce que j’avais pas d’orgasmes et m’a dit qu’elle voulait que moi aussi je prenne du plaisir et que j’ai des orgasmes. J’étais gênée. Alors j’ai trouvé des moyens mentaux de me forcer à avoir des orgasmes, pour la rassurer. Je me sentais assez mal et coupable mais ça lui plaisait.
  • pendant longtemps le fait que quelqu’un touche mon sexe avec sa bouche me causait énormément de dysphorie à cause des représentations de fellations cis-hétéro. Je ne savais pas que je pouvais recevoir un cuni.
     certains partenaires m’ont poussée dans des dynamiques sexuelles cis-hétéronormées qui m’ont traumatisée et ont refusé d’en parler après coup.
  • une fois j’ai interrompu une pénétration PiV qui me mettait mal à l’aise et me créait de la dysphorie et ma.on partenaire m’a immédiatement parlé de son propre rapport à la pénétration en me disant qu’iel faisait ça "pour l’homme"... j’étais tout de suite mise dans une position d’écoute sans pouvoir conscientiser ce que moi je vivais, et ramenée à un rôle de mec ou quasi-mec.
  • peu de mes partenaires m’ont touché de manières qui me plaisaient et on ne m’a quasiment jamais proposé de pratiques qui pourraient provoquer de l’euphorie de genre. Mes tentatives de discussions, mes propositions de pratiques alternatives ou de rôles différents ont souvent rencontré du silence et de la gêne. J’ai souvent senti que je devais performer un rôle cis-masculin pour que mes partenaires veuillent faire du sexe avec moi. Je peux compter sur les doigts d’une main les fois où j’ai ressenti de l’euphorie de genre en faisant de la sexualité.
  • les violences que j’ai vécues n’ont pas été reconnues parce qu’elles ne rentrent pas dans les cadres cis-hétéronormés.
  • j’ai eu mes premières relations sexuelles et amoureuses très tard et compris ma sexualité très tard car je n’entre dans les normes cis-hétéro (ni cis-lesbienne !)

Le deuxième problème est lié à une mauvaise compréhension de comment les oppressions systémiques agissent dans des interactions interpersonnelles précises. Les normes cis-hétéros visent à construire les hommes cisgenres comme dominants, en tant que classe. C’est une tendance qui a évidemment d’énormes impacts et qui s’exprime d’une manière ou d’une autre dans les relations sociales. Mais ça ne veut pas dire que toute interaction est entièrement et uniquement déterminée par ce schéma. Ça ne veut pas dire qu’un individu homme cisgenre profite de son privilège dans chaque interaction. Ça ne permet pas de réduire toute interaction à ce schéma. Des interactions existent en dehors. Et c’est même possible, et fréquent, que des normes cis-hétéros soient utilisées par leur victime (systémique) pour abuser leur oppresseur (systémique). Un homme cisgenre peut tout à fait être victime de cis-hétéronorme dans une interaction précise ou dans une relation, quand bien même cette norme est censée lui assurer la domination. Un homme cisgenre peut aussi être victime de cis-hétéronorme quand il vit une autre oppression. Quand on tient cet argument la réaction est généralement de minimiser l’importance de ce type de violence : "c’est un mec cis, on s’en fout", "ok elle l’a violé et frappé mais c’est pas un problème féministe, on va pas intervenir", "c’est quand même lui le dominant", "c’est pas une question d’oppression". Je suis en désaccord. Les violences sexuelles et les violences conjugales sont des rapports de domination, quelles que soient les catégories sociales de la victime et de l’auteur.ice. Se servir d’arguments anti-oppression pour ignorer des violences abusives interpersonnelles, c’est une manipulation insupportable.

Quelques exemples dans la sexualité :

  • obliger un mec cis à faire des actes sexuels cis-hétéronormés qui le mettent mal à l’aise, lui font mal, peur ou le blessent, ou réactivent des traumas.
  • faire du sexe avec un mec cis sans faire attention à son consentement parce que "de toute manière les mecs ont toujours envie de baiser" et "il devrait être content" et "c’est moi qui suis opprimée". -obliger un mec cis non-hétéro ou asexuel à faire du sexe pour lui prouver qu’il "a pas rencontré la bonne fille ;)".
  • obliger un mec cis non-valide à faire des actes sexuels dangereux ou blessants en raison de son handicap.
  • performer un rôle féminin cis-hétéronormé et exiger du mec qu’il performe un rôle masculin cis-hétéronormé alors qu’il est pas ok avec ça.
  • utiliser des arguments féministes pour contraindre un mec cis à faire du sexe. -faire passer des violences sexuelles pour un acte d’empouvoirement.
  • humilier un mec cis pour ses fantasmes ou désirs d’actes ou de rôles non-conformes à la cis-hétéronorme.
  • refuser d’avoir des discussions sur les besoins d’un mec cis en terme de consentement en disant qu’il n’est "pas concerné" et n’a "pas besoin de ça", voire que "c’est pas à moi de faire un travail de consentement dans cette relation".
  • pressuriser un mec cis pour faire un enfant, retirer une capote sans son consentement.

Quand j’ai commencé à écrire cette brochure j’osais pas formuler ça. Je voulais pas sembler pro-mec-cis ou anti-féministe alors je disais juste que « le problème c’est quand les femmes trans sont traitées comme des hommes cis, parce que c’est sexiste. ». Mais, en fait ça me va pas d’écrire cette brochure en invisibilisant la violence de ces arguments. Je crois pas avoir à y gagner. Je crois pas qu’on puisse combattre la culture du viol en gardant certains bouts quand ça nous arrange.

Nous existons toustes dans un monde patriarcal et nous sommes toustes pénétrées par ses normes, ses injonctions, son idéologie. C’est évidemment important de faire attention aux dynamiques systémiques de pouvoir et de fonder des pratiques politiques entre personnes opprimées pour combattre ceux qui nous dominent. Je crois aux pratiques politiques situées, au pouvoir empouvoirant de la mixité choisie, à la lutte par et pour les opprimé.e.s. Je crois à l’importance et la valeur des politiques identitaires comme instruments d’analyse, de lutte et de libération. Mais tout ça ne peut nous faire oublier que chaque individu est capable de reproduire les oppressions qui la.e traversent. Et ça ne peut nous faire oublier que chaque individu peut être victime de violences injustifiées et mériter notre empathie et notre soutien.

Est-ce que des mecs cis toxiques peuvent se servir de ça pour manipuler, se victimiser et obtenir du travail émotionnel ? Bien sûr. Mais soyons sérieuses : ils le font déjà ! Ce dont on a besoin c’est de les reconnaître et les envoyer chier avant de tomber dans leurs vortex. Mais ça sert à rien de tenir des discours qui invisibilisent ces mécanismes.

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Dans La Chair est triste hélas, Ovidie parle de son rapport au sexe avec les hommes cisgenres, et de sa décision d’arrêter ça. Elle parle principalement de l’injonction à la sexualité, à la sexualisation, de la nullité du cul avec les hommes cisgenres, et des violences sexuelles ordinaires. À la fin d’un chapitre, elle mentionne rapidement ses propres actes. Elle dit rapidement avoir mis la pression à des hommes, humilié, fait des injonctions. Et immédiatement, elle dit (je paraphrase) « certes, nous [les femmes] ne sommes pas exemptes de comportements problématiques, mais ce n’est jamais la même chose. On ne parle pas de la même violence ». Et c’est clôt… en cinq lignes dans un livre de 80 pages, elle règle la question des violences sexuelles et de sa participation à la reproduction de normes patriarcales hétéro, pour immédiatement la minimiser. Cette désinvolture me choque. Je crois que ce serait important, justement, que les femmes cisgenres hétéros traitent sérieusement ce sujet : leur part dans la co-construction du patriarcat. Car quand une femme cis force un mec à « être un mec », à reproduire une sexualité cis-hétéro toxique, elle n’est pas seulement responsable de la violence sur lui : elle a aussi une responsabilité dans la violence qu’il exercera sur d’autres femmes, pour se conformer à cette injonction.

D’autres femmes trans l’ont déjà écrit, mais j’ai pas la ref’ alors je paraphrase ici. Nous, les femmes trans, sommes particulièrement bien placées pour comprendre le rôle des femmes cisgenres et spécialement des hétéras, car nous avons vécu leur violence, la punition qui nous est réservée parce que nous ne sommes pas viriles. Pendant les quelques années où j’ai essayé d’être un homme cisgenre, je devais sans cesse me positionner par rapport à ça, avec mes amies cis-het. Toujours ces questions, ces reproches, ces injonctions à être plus un mec, plus viril, plus affirmatif, plus musclé, plus directif, plus agressif, plus large, surtout pas homo. Même dans les milieux féministes, c’est présent d’une autre manière. Tant que les meufs cis hétéras pouvaient me voir comme un mec doux et à l’écoute, je les intéressais. À partir du moment où c’est impossible d’ignorer que je ne suis pas un homme cisgenre… j’ai beaucoup moins de valeur à leurs yeux. Une amie dans le placard me disait une fois « je préfère être vue comme féminine et j’aime être genrée au féminin… mais je sais que les personnes avec qui je relationne préfèrent me voir comme un homme alors je change pas ». Puis elle m’a montré ces petits gestes qu’elle contrôlait consciemment pour les faire de manière masculine. On a toutes ce répertoire… ces innombrables détails qu’on a appris à modifier pour être aimée. Et malgré ça elle me disait « mais moi c’est pas pareil que toi, moi j’ai pas de dysphorie, moi je suis pas trans »…

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Dans une relation où je n’avais pas le droit de dire non, j’ai été traumatisée par l’assignation à un rôle de top / domme, à un rôle masculin et par l’absence de travail de consentement et de soin de la part de mon partenaire.

On a trouvé tôt dans notre relation qu’on avait des fantasmes en commun, des envies de jeux de rôles et de dynamiques qui nous excitaient et qu’on voulait mettre en place. J’avais envie d’être dans différents rôles (dans des dynamiques de genre ou de pouvoir). J’avais aussi envie d’être pénétrée et pas seulement pénétrante. Mais mon partenaire n’était à l’aise que dans les rôles de bottom/sub/pénétré. Je le dis tout de suite : c’est entièrement ok de préférer un rôle ou une position et de refuser d’en faire d’autres ! Je ne lui reproche absolument pas ça.

Par contre, ce que je lui reproche c’est de n’avoir jamais discuté de cette dynamique, de n’avoir jamais parlé de consentement (moi je posais des questions avant, pendant et après, à propos des actes et dynamiques), de n’avoir jamais fait d’aftercare, d’avoir pris pour acquis que j’avais envie de ça, comme si c’était naturel, et que je n’avais aucun besoin. Il m’a encouragé à prendre ces rôles en me valorisant beaucoup pour ça, parfois en me comparant avec son autre meuf trans en me disant qu’il s’ennuyait avec elle parce qu’elle ne faisait pas les mêmes choses que moi. Il a parfois initié des dynamiques sans mon consentement.

Je vois cette relation comme liée à une culture qui voit les femmes trans comme naturellement dominantes / masculines et les tops / dom.mes comme des personnes qui n’ont pas de besoin, comme les personnes responsables de tout le travail de consentement et de care dans le bdsm. C’est déshumanisant car ça confond complètement le rôle et la personne humaine qui tient le rôle.

Prendre une femme trans peu expérimentée, qui a des traumas sexuels, qui vient de faire son coming-out, et l’utiliser exclusivement comme top / dom / rôle masculin hétéro sans faire de travail de consentement ou de soin, sans jamais proposer d’actes qui l’aident à se sentir bien, sans parler de dynamiques genrées, et en l’accusant de manipulation si elle refuse de faire du sexe… c’est de l’exploitation sexuelle et émotionnelle. Ça a profondément brisé des choses en moi. Maintenant, c’est très difficile d’imaginer faire du bdsm, prendre des initiatives ou avoir un rôle de top. C’était aussi difficile de réaliser que y avait pas de place pour mon consentement dans cette relation car les actes ne correspondent pas du tout à ce qu’on imagine être des violences sexuelles. Dans ces jeux, les rôles étaient l’inverse de la réalité.

Notez qu’on peut très bien être une femme trans et aimer ces rôles et dynamiques, vouloir performer des rôles de top/domme, des rôles masculins, des rôles d’agressaire dans du CNC, avoir l’initiative. C’est totalement valide, et c’est ok de désirer ça chez une femme trans. Ce qui fait la différence, c’est le consentement, le soin, la possibilité donnée d’être autre chose, ou simplement de dire non. C’est ce qui peut faire la différence entre fétichisation / réassignation et sexualité consentie et épanouie.

Je suis pas dans les scènes bdsm mais je tombe parfois sur des textes qui parlent du fait que le consentement se construit à plusieurs dans le bdsm, que les top ont aussi besoin de soin, qu’être bottom/soumise ça implique aussi de faire un travail, qui parlent des « red flags » chez les bottoms, ou de la nécessité de faire attention à soi et se protéger en tant que top / domme... Et c’est vraiment soulageant. Lire d’autres personnes transféminines qui ont vécu la même expérience m’aide aussi. Mais c’est terrifiant d’en parler dans cette brochure vu la combinaison des préjugés transmisogynes et anti-bdsm.

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Dans les milieux féministes, les gens font comme si "croire la victime" était un processus automatique. C’est faux : cette expression cache des processus complexes. Pour écouter et croire "la victime" il faut déjà décider qu’il y a une victime. Ce n’est pas du tout spontané. Toutes les victimes ne sont pas entendues ou crues, ou pas de la même manière, y compris par celleux pour qui c’est un principe.

Un premier mécanisme c’est : croire par avance qu’une personne est une victime, soit dans son essence (par ex croire que les femmes sont toujours victimes), soit dans la circonstance (par ex croire qu’une femme en relation avec un homme cis est forcément une victime). L’accès au statut de victime n’est donc pas du tout en rapport avec la réalité d’une situation, c’est le résultat de préjugés et de biais de compassion fondés sur des observations ou sur l’empathie. Mais l’empathie est une émotion construite par l’oppression. Par exemple, les femmes cis blanches bourgeoises sont plus souvent vues comme victimes que des trans racisé.e.s prolétaires ou schlag.

(Who is allowed to be a victim ? vidéo de Travis Alabanza).

L’autre mécanisme a lieu quand quelqu’un s’intéresse aux faits, les juge et décide que ces faits constituent une agression ou des abus. La reconnaissance d’une personne comme victime n’est donc pas automatique ou aussi évidemment arbitraire : elle dépend d’une appréciation des faits et d’une décision de la personne qui écoute. En droit les juristes appellent cette étape "la qualification des faits" et c’est la comparaison de faits rapportés à une règle générale. par exemple : tel acte a eu lieu, le code pénal dit que tel type d’acte est un viol et prévoit telle peine, il y a donc eu un viol et telle peine sera appliquée. Dans les milieux féministes et queers on fait souvent comme si cette étape n’existait même pas, comme si tout était toujours évident. Pourtant je vois régulièrement des mêmes groupes et des mêmes personnes considérer ou non un acte comme agression ou abus en fonction de critères totalement hors-sujet.

Le plus courant que j’ai observé, c’est qu’un même acte est considéré comme une agression sexuelle quand il est fait par une meuf trans sur une personne afab, mais n’est pas considéré comme une agression sexuelle quand il est fait par une personne afab sur une meuf trans. Dans le premier cas la meuf trans subit des conséquences importantes (exclusion, call-out) tandis que dans le second la personne afab reçoit de la compassion et la meuf trans est appelée à comprendre son agressaire ou est tout simplement ignorée.

Si au lieu de regarder au cas par cas on examine de nombreuses situations de gestion d’agression, on observe qu’il n’y a pas d’idée cohérente de ce qui est ou non considéré comme agression, ni de traitement cohérent des situations. Les milieux queers et féministes fonctionnent souvent de la même manière que la justice pénale institutionnelle, en condamnant ou en absolvant de manière arbitraire, en fonction des mêmes oppressions et des mêmes privilèges. Seul le vocabulaire change un peu.

L’idée féministe de croire automatiquement les personnes qui disent être victimes de violence est un biais cognitif qui engendre des erreurs et des violences.

Quelqu’1 m’a un jour dit quelque chose comme "je préfère croire automatiquement la personne qui me parle et me tromper parfois plutôt que risquer de pas soutenir une personne qui en a besoin". C’est peut-être un bon principe quand on fait de l’écoute active, mais pas quand on écoute quelqu’un.e en vue de s’engager dans des actions de soutien. Le dégât collatéral accepté ici est énorme. Quand une personne est call-out ou exclue sans raison, que ce soit par une personne de bonne foi ou par une personne abusive, les conséquences sur sa vie peuvent être dévastatrices (violence psychologique, gaslighting, exclusion, etc). C’est d’autant plus le cas si la personne désignée comme autrice d’abus ou d’agression est marginalisée (trans, précaire, racisée, fol, handi). Dans ce cas, la personne accusée à tort a elle-même besoin de soutien, mais n’est pas entendue lorsqu’elle dit être victime.

En réalité, je n’ai jamais connu quelqu’un.e qui croit toute personne qui se dit victime. Par contre j’ai souvent vu des personnes attaquer des gens en mode « tu mets en doute la parole de la victime ? » tout en mettant elleux-même en doute la parole d’autres personnes qui les accusaient ou accusaient leurs potes d’agression. Ce principe est parfois brandi comme simple argument d’autorité.

Dans les milieux queers c’est fréquent que deux ex-partenaires s’accusent mutuellement de violences ou d’agression. Parfois la première personne qui call-out sa/on partenaire est celle qui est crue ; ou la personne qui a le plus d’ami.e.x ou de pouvoir social est celle qui est crue ; ou les groupes d’ami.e.x de chaque personne croient leur pote et la.e défendent plus ou moins automatiquement ; ou la personne qui a le plus de privilèges est crue ; ou la personne la plus proche du stéréotype de "La Victime" est crue.

La plupart des gens que j’ai connu dans les milieux queers / militants / féministes ne s’intéressent pas aux victimes, et préfèrent discuter avec un.e agressaire et la.e croire si ça leur donne un avantage ou que ça préserve leur relation avec iel. J’ai fréquemment été face à des gens qui refusaient de m’écouter parce qu’iels avaient déjà discuté à mon agressaire, et avaient décidé de le croire sur parole, sans même confronter sa parole à la mienne. Pourtant, c’est là le vrai intérêt de cette phrase. Quand une personne se dit victime, c’est important de l’écouter. Pas forcément de la croire automatiquement, mais au moins l’écouter et s’informer.

J’ai aussi vu des gens inventer qu’une personne était une victime, alors que la personne ne disait rien. Généralement quand une meuf trans et une personne afab relationnent ensemble, les proches peuvent inventer des accusations de manipulation ou d’abus si cette dernière se sent mal. C’est fréquent dans des relations non-exclusives, quand la meuf trans essaie de développer de nouvelles relations et que sa.on premier.e partenaire est en insécurité.

Je suis pas très satisfaite de cette partie du texte. En tout cas, c’est une invitation à regarder en face les problèmes réels, en arrêtant de prétendre que nous ça va, on gère, que tout est évident et facile et que les gens sont des merdes s’ils ne comprennent pas que ceci est une agression, ou que cela est la bonne manière de gérer une situation. Tout le monde a des biais cognitifs et des biais de confirmation, alors laissons tomber les principes tout faits qui les aggravent.

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Le harcèlement sexiste et sexuel vécu dans la rue et les espaces publics est l’un des laboratoires des violences sexuelles et de la culture du viol. C’est donc intéressant d’observer comment cette question est prise en charge par des féministes et des queers quand elle touche des personnes trans amab.

Quand on est trans amab, si on est pas dans des codes normatifs de féminité c’est souvent même pas imaginé qu’on puisse vivre du harcèlement sexiste. Les gens sont étonnés : "ah bon tu vis ça toi ?" (sous-entendu "mais t’as pas l’air d’une meuf !") ou imaginent que c’est extrêmement rare, voire que c’est la première fois que ça nous arrive. On peut avoir vécu du harcèlement sexiste toute sa vie et des dizaines d’agressions, tant qu’on a de la barbe ou des fringues "masculines" y aura toujours des meufs cis pour se dire qu’on est "nouvelle", "en début de transition", "privilégiée" et qui imagineront qu’on commence juste à vivre du sexisme.

Les féministes cis ont aussi un gros biais sexiste : elles ont tendance à imaginer que seuls les mecs cis sont des dangers dans la rue. Elles ont aussi plus tendance à voir les femmes cis comme des présences rassurantes. Pour moi, c’est beaucoup moins clair : les menaces de viol viennent principalement de mecs cis, c’est vrai. Mais je vis des violences sexistes de la part de meufs cis aussi : des remarques, des insultes, des compliments non consentis, des moqueries, des regards et des rires, des prises de photo/vidéo, des filatures, des insultes putophobes et du slut-shaming, des regards et rires transmisogynes et grossophobes, etc.

Quelques exemples : une meuf cis me voit en crop top, regarde mon ventre et ma tête et explose de rire ; plein de meufs fixent mon entrejambe quand j’ai un mini-short ; des meufs cis commentent mon maquillage, trouvent ça "marrant" que je porte du rouge à lèvres ; des meufs cis me suivent en regardant et commentant mon cul "c’est sûr que c’est une pute, elle va taffer, regarde comment il bouge des hanches la salope" ; les caissières du supermarché échangent des regards complices et me montrent en rigolant ; la boulangère me dit "madame, pardon, monsieur", je dis préférer "madame", elle regarde mes seins et explose de rire ; en stop une meuf cis demande si mon amix et moi on fait du cirque ; dans le tram des filles se demandent ce que je suis, se demandent à voix haute si elles devraient checker mon entrejambe pour savoir, puis elles… demandent mon pronom, que je refuse de donner alors elles concluent que je suis un psychopathe et me mettent un coup de pression physique en sortant du tram.

La deuxième ou troisième fois que j’ai osé porter une jupe en public dans une ville j’ai été suivie à la sortie d’un magasin par un groupe de 4 collégiennes en roller et vélo, qui m’ont suivie partout pendant 20 ou 30 minutes en me filmant, en téléphonant à leurs copines pour leur parler de moi, en me genrant au masculin. C’était hyper humiliant. J’aurais aimé me retourner et leur crier dessus mais j’ai pas osé. Je sais comment sont vues les personnes comme moi dans la société : un "mec barbu avec une jupe" dans un espace public où y a des enfants ou des adolescent.e.s, je risque en permanence d’être vue comme un pédocriminel, un prédateur, un pervers. Si je crie sur ces filles dans la rue, je sais qui recevra de la solidarité : mes harceleuses ; et qui risque d’attirer la violence des passant.e.s : moi. Leur groupe a grossi, elles étaient bien une dizaine à m’attendre à la sortie d’un bâtiment de la fac où je me suis réfugiée.

Quand on est trans, on est pas menacé.ex que par les mecs cis, mais potentiellement par toutes les personnes cisgenres. Ça peut aller jusqu’au meurtre par des adolescentes (cf. Nex Benedict).

Mais en réalité, même ce qui devrait être le plus simple à comprendre pour des femmes cis féministes ne l’est souvent pas. Car elles participent souvent à des dynamiques de répression patriarcale.

Quand je suis arrivée dans des milieux féministes, et même avant, c’était important pour moi d’offrir de l’écoute aux personnes qui viennent de vivre des violences. Le cadre cisféministe confirmait que j’avais raison de faire ça. J’imaginais que si je vivais des violences je pouvais en parler et que cette parole serait accueillie comme celle d’une victime de violences patriarcales, qui a des raisons d’exprimer sa douleur et sa colère. Quelle naïveté...

J’étais dans un milieu où la plupart des gens exprimaient de la solidarité et de l’empathie pour les personnes afab qui parlent de violences. Mais pour moi ou d’autres trans amab les réactions étaient souvent différentes.

  • les silences gênés, avec un air un peu saoûlé
  • le déni "non mais t’es sûre ? c’est p-ê pas ça qui s’est passé"
  • les reproches : comme si en parlant parfois de ce que je vis, je "prends toute la place" ; comme si je prenais la place d’autres personnes "y a plein de personnes qui vivent pire et n’en parlent pas" ; comme si parler des violences que je vis était un signe de privilège masculin
  • la culpabilisation : mettre sur moi la charge de l’agression ou du harcèlement, comme si j’étais responsable de la violence que je subis, par mes habits, par mon comportement, ma manière de parler, ma manière de répondre
  • la culpabilisation d’actes d’autodéfense et de riposte : dire qu’on est "à moitié responsable" de l’agression parce qu’on a répondu au mec au lieu de fermer notre gueule, qu’on a "provoqué", que "c’est pas étonnant", qu’on ferait mieux d’éviter au lieu de "chercher la confrontation"
  • la rééducation : ne pas exprimer d’empathie mais immédiatement chercher à nous expliquer la meilleure manière de gérer ces situations, sans demander si on veut des conseils ou si on est en état de les recevoir. C’est souvent fait sous la forme du partage d’expérience : "moi je gère ça plutôt comme ça", alors ça m’a pris du temps de remarquer que ces personnes ne font pas ça à des personnes afab adultes. On est perçues comme des personnes que faut "former" à la féminité et éduquer en nous apprenant la passivité, le silence et "la résilience". Ça vient de l’idée que "en tant que mec" on aurait eu une grande gueule et qu’on devrait apprendre à la fermer pour être une femme. Notre colère n’est pas vue comme le résultat des nombreuses violences qu’on vit mais comme un signe de privilège. Nos actes d’autodéfense transféministe, de riposte queer et de prise d’espace ne sont pas vus comme les actes militant empouvoirants de personnes opprimées et ultra-minorisées mais comme la violence de quasi-oppresseurs privilégiés.

Une histoire pour illustrer : je suis avec une amie à une soirée où y a principalement des trans et inter et des proches. En partant, la copine se prend une remarque sexiste d’un mec cis présent à la soirée. Elle va le voir, il fait du déni et du ouin-ouin, il refuse de partir et l’agresse physiquement. En même temps, un groupe de quatre mecs cis qui passent dans la rue s’arrêtent, nous insultent, nous filment et nous menacent. Aucune des personnes présentes dans la soirée ne sort pour nous soutenir. Sous le choc, on retourne dans la soirée : presque tout le monde évite de nous regarder, baisse les yeux, personne ne nous demande comment on va à part deux ami.e.x. Dans les jours suivants on a des retours de ce que des gens ont dit : ce serait notre faute, on serait à moitié responsable de "l’embrouille" (le terme agression sexiste n’est pas utilisé...), "les personnes transféminines ne sont pas opprimées depuis longtemps", "elles savent pas ce que c’est une vraie agression", etc. On se sent isolées et jugées de loin. La semaine suivante, avec la même copine on va dans un lieu féministe pour un concert. Un mec cis nous embrouille en mode remarques transmisogynes et travestiphobes. Cette fois on n’ose rien dire, on n’ose pas réagir, on reste assises dans un canapé et on ferme nos gueules en l’écoutant et en souriant. Finalement deux personnes du lieu "gèrent la situation" : un mec trans et une meuf cis. Cette dernière est l’une des personnes qui nous a culpabilisées de "l’embrouille" de la semaine précédente. Elle avait vu ce qui se passait et s’était cassée sans réagir, puis avait fait des reproches à la copine.

Cette séquence montre en accéléré une dynamique sexiste commune : on est deux personnes transféminines qui subissent une agression, on se défend nous-même avec nos moyens. Des féministes cis et un homme trans féministe nous reprochent de nous être défendues et prétendent qu’on fout la merde et qu’on crée des embrouilles. Du coup la semaine suivante on n’ose pas réagir, on reste passives et c’est une meuf cis et un mec trans qui nous "défendent". Ça me rappelle tellement la manière que les mecs cis ont de déposséder les femmes cisgenres de leur violence pour pouvoir se poser comme protecteur et fort. Dans ce cas, les transfems sont dépossédées et des féministes afab jouent les protecteurs. C’est le monopole de la violence féministe légitime.

Y a une ignorance du niveau réel de violence qui vise les femmes trans et trans amab. Y a pas de "t’es une meuf je frappe pas les meufs" pour nous. On est vues comme cibles de violence car féminines, queer, pédales, anormales, monstrueuses. Et on est AUSSI vues comme frappables car "des mecs". Ça fait que le niveau de violence des gens monte très très vite contre nous, qu’on est vues comme des menaces à écraser dès qu’on élève la voix. Dans plein de situations y a des violences physiques : pression physique front contre front, coups de poing, coups de tête, gaz lacrymo, etc alors que les mêmes mecs touchent pas les meufs cis avec nous. J’hallucine quand je vois ce que certaines meufs cis peuvent se permettre sans se faire taper. Bien sûr c’est pas systématique : y a énormément de violences contre elles aussi. Mais la différence est réelle. En général faut qu’on soit dans une situation où on se fait taper pour que nos copines cisgenres comprennent ça. Le choc sur leur visage : "ah ouais c’est chaud en fait ce que tu vis ?!". Bah ouais... pourquoi ça t’étonne ?

L’un des arguments qui marche bien pour nous dire de fermer nos gueules quand on subit des violences c’est l’idée qu’on vit ça depuis pas longtemps. Certaines personnes trans amab ont vécu du harcèlement sexiste et queerphobe toute leur vie, mais moi j’en vivais assez peu dans le placard ou je l’analysais pas comme ça. Donc je me sentais facilement coupable et illégitime devant cet argument. Je comprenais la frustration de personnes qui vivent du harcèlement depuis des années, qui apprennent à vivre avec et à gérer ça émotionnellement en ravalant la colère, en souriant, en évitant la confrontation, en ignorant. Qui évitent d’en parler pour pas que ça prenne de la place dans leur vie. Je comprenais la douleur d’accepter la présence d’une violence dans sa vie, d’accepter qu’on est impuissant.e et de vivre avec. Et je comprenais qu’elles ressentent de la colère contre moi quand je parlais des violences que je subis. Mais en fait : c’est super injuste. C’est sexiste. C’est anti-féministe.

D’abord j’ai observé que c’est spécialement contre les personnes transféminines/trans amab que y a cette colère. Les mêmes personnes n’ont pas DU TOUT les mêmes réactions quand elles entendent une personne assignée fille parler du fait qu’elle commence à subir du harcèlement. Là, y a un sentiment de vécu commun qui est activé. Les personnes féministes vont plus accueillir les récits et les émotions des jeunes personnes afab qui commencent à vivre du harcèlement. Elles comprennent que c’est important d’avoir de la solidarité féminine ou féministe dans cette période et peuvent accompagner la personne, lui fournir des ressources, partager des expériences. Elles voient ça comme une condition commune. Moi aussi j’ai vécu du sexisme et de la misogynie depuis mon enfance, et à un moment dans ma vie j’ai commencé à vivre du harcèlement sexiste et sexuel plus intensément qu’avant. C’était pas au moment de la puberté, mais à ma sortie du placard, quand j’ai cherché à visibiliser ma transitude et ma féminité dans un monde qui ne la reconnaît pas sans indices esthétiques. Et quand j’ai essayé de parler de ça à des personnes dont je pensais qu’elles me soutiendraient et accueilleraient ma douleur (comme j’accueillais la leur), elles se sont mises en colère. Elles m’ont dit que j’étais pas légitime à parler, que je prenais trop de place, que je réagissais pas bien, que c’était dû à "mes privilèges". Mon amoureux (trans) de l’époque m’a dit qu’il a été entouré par ses cousines quand il a commencé à être harcelé à l’adolescence. Mais moi il m’a fait des reproches. Quand j’avais peur de passer près d’un groupe d’hommes cisgenres il était saoulé parce que lui n’aimait pas changer de chemin. Il était saoulé de mes réactions et de ma peur. Il a commencé à me dire que je ne comprenais pas son vécu de personne afab, alors que je parlais simplement du mien. Le fait que je parle de mon vécu créait immédiatement un sentiment de concurrence chez lui, comme si ça le menaçait. Avec plein de personnes afab j’ai senti qu’on me reprochait d’être blessée par les micro-agressions et les regards. On me reprochait d’être sensible. Les personnes se comparaient à moi. On me reprochait d’avoir pas fait le même travail émotionnel d’acceptation de la violence. Mais en fait, c’est normal d’être choquée quand on vit une nouvelle forme de violence. C’est normal d’avoir besoin de soutien et d’écoute et nous devrions accueillir ça. Pas reprocher aux personnes transféminines d’avoir pas appris à mieux se faire (micro-)agresser en silence.

La vérité c’est que si j’ai passé des années dans le placard et si j’ai essayé de passer pour un mec cis à des moments de ma vie, c’est par peur de cette énorme violence qu’on rencontre dès qu’on est visiblement non-conforme, même en passant pour cis. J’avais besoin de soutien pour me permettre d’exister et pour apprendre à vivre avec la violence. J’avais besoin de partage et que quelqu’un.e me dise "je t’entends, je te vois, ce que tu vis est tellement douloureux et injuste. on peut vivre avec cette douleur et cette colère. on peut vivre avec cette impuissance et on peut prendre soin de soi jour après jour. on peut se battre et gagner, on peut baisser la tête et fuir, on peut se cacher, on peut survivre et s’épanouir. ne laisse pas la colère t’étouffer mais ne l’abandonne jamais. tu n’es pas seule."

J’ai appris, finalement, en écoutant les poèmes de Travis Alabanza et d’Alok Vaid Menon. J’ai appris en traversant les flammes de la folie et de la paranoïa. Je suis forte. Je suis blessée. J’ai toujours peur et je me cache. Je m’écrase. Je survis. Alors je laisse ces mots pour tous.tes les trans : votre colère et votre douleur sont légitimes. Votre rage est légitime. Nous méritons de prendre de la place.

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Dans la période où j’ai été le plus confrontée à la transmisogynie féministe j’ai développé un trouble anxieux généralisé qui a entraîné des TOC envahissants, qui étaient gênants pour moi et les autres. Ça a pris un an pour que je trouve ces mots. Avant, la seule explication que j’avais pour ce que je faisais c’était « voilà, en réalité je suis un mec cis-hétéro, seul un mec cis-het ferait ce genre de chose ». Ça me causait une dysphorie ultra-violente. Plus j’essayais de contrôler mes TOC, plus ils étaient fréquents et plus je me les reprochais, plus ils devenaient incontrôlables et entraînaient de nouveaux TOC. Plein de lieux communs psychophobes entendus dans les courants féministes tournaient dans ma tête. Par exemple l’idée que les gens qui font de la merde se contrôlent toujours et sont parfaitement en maîtrise de leurs actes, et que dire qu’un problème psy a causé nos actions c’est de la victimisation. Je me souvenais de l’exclusion automatique d’un homme cisgenre dont les actions avaient manifestement un lien avec des problèmes psys. La décision de l’exclure de son lieu de vie avait été prise sans aucune discussion. Comme je n’avais aucun outil pour me comprendre ou changer, et que j’avais honte de mes TOC, je me suis enfermée dans une spirale d’auto-démonisation. J’ai tenté de me suicider une fois pour m’éliminer et protéger les autres. Quand j’ai finalement réussi à en parler j’ai été vraiment étonnée des réactions. Beaucoup de personnes m’ont dit vivre des choses similaires, plus ou moins intensément. Beaucoup de personnes comprenaient et trouvaient ça normal. J’étais surtout surprise par le nombre de femmes cisgenres qui m’ont dit vivre la même chose.

Je suis en désaccord avec le refus de reconnaître l’impact des troubles psys, et aussi avec l’utilisation de troubles psys pour déresponsabiliser. Ces fonctionnements viennent de la conception judiciaire de la responsabilité pénale : en contrôle = responsable = punition ; pas en contrôle = irresponsable = pas de punition. Mais on n’a aucune raison de la reprendre dans le féminisme anti-carcéral. D’ailleurs, même dans le droit civil français, le concept de responsabilité n’implique pas d’être en contrôle : on est civilement responsable du dommage causé à autrui, indépendamment de si on était en contrôle, ce qui entraîne l’obligation de réparer. On peut plutôt se poser la question de comment fonctionne la responsabilité quand on a des troubles psys, ce qui amène à la question, qu’est-ce que la responsabilité, en général ? A quoi nous sert ce concept ? Est-ce qu’on parle de responsabilité seulement pour ne pas dire culpabilité ? Ou est-ce que ça nous permet de développer d’autres perspectives ?

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J’observe un schéma récurrent dans de nombreuses relations abusives transmisogynes :

  • une personne afab qui a principalement ou uniquement relationné avec des hommes cis hétéros, -qui a subi des violences dans ces relations, qui lui ont causé des traumatismes,
  • qui relationne avec des femmes trans/nb amab en début de transition ou peu de temps avant/après leur coming-out
  • qui a des comportements abusifs avec elles et utilise des discours féministes cis-hétéro-centrés pour les justifier. Ces caractéristiques sont souvent vues par des personnes et utilisées pour justifier les violences abusives sous la forme : "tu comprends il/elle est assigné.e meuf, a des traumas de ses relations passées"… Mais la conclusion est absente ! C’est un schéma de relation abusive récurrent en raison d’une asymétrie de pouvoir, et des représentations transmisogynes qui justifient :
  • de nous réassigner et d’expliquer nos comportements par la théorie du "privilège masculin des femmes trans" ;
  • de nous traiter comme des hommes cisgenres (c’est-à-dire des oppresseurs contre qui toute violence serait légitime) ;
  • de faire payer des femmes trans/nb amab pour les traumas infligés par des hommes cisgenres.

Il y a une économie de la violence dans le patriarcat, et la place des des trans assignéex garçons est vers le bas de la pyramide, là où ça dégouline. Les hommes cisgenres infligent de la violence à tout le monde ; les femmes cisgenres et les trans afab trouvent en nous de merveilleux objets à maltraiter pour décharger leurs traumas. Après tout, se rebeller contre un homme cis-hétéro, ça fait peur : ils sont trop puissants. Alors que se défouler sur une meuf trans... nous charger de la culpabilité du patriarcat... des hommes cis... c’est beaucoup plus facile ! Limite on est là pour ça... Limite on les y invite !

Ce n’est pas un hasard ou un problème individuel : c’est un schéma de prédation. Un schéma prédateur-proie qui se déroule à des niveaux émotionnels, affectifs, sexuels, domestiques, politiques.

Une part énorme de ces relations repose sur notre dysphorie : notre peur d’être comme des hommes ; notre malaise d’être perçues comme des hommes ; notre croyance que nous avons été comme marquées pour toujours par l’assignation au genre masculin et que cette marque est une marque de pouvoir ; notre réflexe d’essayer de nous écarter de tout ce qui pourrait être vu comme masculin.

En miroir de ça on trouve la manière de nous percevoir des personnes qui sortent de cis-hétéroland. C’est déchirant, mais à la fin de beaucoup de relations j’ai conclu que la personne avec qui je relationnais me voyait comme un homme différent, un homme doux, un homme déconstruit. Que c’est aussi comme ça que j’étais érotisée. J’ai l’impression d’avoir été utilisée comme point de passage pour sortir de l’hétérosexualité. Que des personnes qui avaient l’habitude de baiser et aimer des mecs cis-het étaient attirés par moi parce que dans leurs yeux j’étais assez proche (surtout avant que je prenne des hormones et que j’enlève ma barbe). Et qu’en même temps, plein d’autres choses leur plaisaient chez moi : le taff émotionnel, d’écoute, de conversation, d’adaptation, de consentement. La douceur. La disponibilité. L’habitude de faire du sexe pour l’autre.

Quand je dis que j’ai été utilisée comme point de passage c’est parce que ça n’allait pas jusqu’à me voir telle que je suis : une meuf, une personne vulnérable, un corps-esprit écrasé par le patriarcat depuis la petite enfance, un corps-esprit traumatisé par les violences sexuelles, les abus émotionnels et le psy-validisme. Des personnes étaient bien contentes de m’utiliser et m’exploiter comme queer, mais quand je demandais à être vue, écoutée et respectée, c’était fini. Parce que je quittais la place qui m’était assignée, pour laquelle j’aurais été respectée et désirée : "le mec qui se remet en question", qui "ferme sa gueule et écoute", qui "a conscience de ses privilèges".

Pour d’autres mécanismes de prédation transmisogyne je conseille le Petit tuto pour exploiter sexuellement une meuf trans, par @oestrogenese sur instagram.

Je ne connais aucune association ou collectif sensibilisé à l’écoute des femmes trans/n-b amab et aux violences conjugales spécifiques que nous vivons. Même sans parler de violences conjugales spécifiques, les violences misogynes les plus simples et basiques ne sont pas considérées quand elles nous touchent : par exemple le fait qu’un.e conjoint.e nous harcèle à propos de tâches ménagères en remettant en question notre féminité... (argument du type : "si t’étais une vraie femme tu ferais mieux le ménage", "tu fais mal le ménage parce que t’es assignée garçon")

Je n’ai jamais osé demander de l’aide à des associations existantes. L’habitude de ne pas être crue, d’être mise en doute, d’être vue comme un homme, d’être accusée de manipulation, que les sentiments de mes abuseur.euses et agressaires soient vus comme plus importants que les miens... tout ça l’interdit. J’ai peur de vivre encore plus de violences de la part des personnes dont c’est soi-disant la mission d’écouter et soutenir des victimes.

Les milieux féministes et queers ne sont que des petites parties d’une société patriarcale qui est cissexiste, transmisogyne et enbyphobe. L’ensemble de la société est organisé pour nous écraser et ça affecte notre position dans ces milieux. Les aspects juridiques de nos existences y sont souvent ignorés, pourtant ils ont un impact potentiel énorme sur nos situations et nous mettent dans des positions de vulnérabilité. L’idée d’aller dans un poste de police pour déposer plainte est irréaliste pour beaucoup de personnes transféminines. Les flics, juges, psychiatres légistes, etc maltraitent déjà souvent les femmes cisgenres mais c’est pire encore pour les trans !

Les femmes trans n’ont pas le même accès aux droits reproductifs et familiaux que les femmes cisgenres. Dans des procès qui concernent des femmes trans, la transidentité ou la non-binarité est souvent un élément à charge. Des femmes cisgenres utilisent la transidentité de leur ex-conjointe pour obtenir des avantages de la part des juges, par exemple lors de divorces. La transidentité d’une femme est un motif pour lui retirer la garde de son enfant. Les cas de kidnapping d’enfant par des mères cisgenres sont fréquents, soutenus et confirmés par des juges aux affaires familiales qui considèrent la transidentité comme néfaste pour les enfants.

J’ai plusieurs fois entendu des meufs cis et des trans afab accuser des meufs trans "d’instrumentaliser des discours féministes", d’utiliser leur "capital militant", de "recracher ce qu’elles ont lu dans des brochures". Les personnes qui disent ça ont elleux même construit leurs analyses politiques petit à petit, dans un long processus de politisation et de conscientisation féministe, qui passait par des lectures, des discussions, de l’introspection, l’analyse de ses propres expériences, les parallèles et analogies faites avec les autres expériences de femmes cis ou de trans afab, la découverte de schémas qui se répètent. Quand une personne afab tient un discours féministe c’est normal.

Alors pourquoi reprocher à des trans amab de faire la même chose ? Quand une femme trans ou une.x trans amab analyse son expérience de manière politique, en utilisant des grilles d’analyse féministes et en les adaptant aux spécificités de son vécu, c’est vu comme une usurpation. Parce qu’au fond, ces personnes nous voient comme des hommes cisgenres qui "s’approprient" des expériences, ou qui "deviennent des femmes", qui "commencent tout juste à vivre de la misogynie", qui "prétendent vivre de la misogynie". C’est un préjugé sexiste qui est utilisé pour ne pas écouter la réalité de nos expériences : celles qui sont identiques à celles des personnes afab, celles qui sont similaires, et celles que nous sommes les seule.xs à vivre. Notre savoir est nié ; notre expertise est niée.

Souvent quand je discute avec des nouvelles féministes ça m’arrive de sentir que la personne met des barrières avec moi parce que je suis assignée garçon, pour éviter de réfléchir. Je discute avec des personnes qui sont en découverte du féminisme et qui ont des réflexions ultra binaires et essentialistes, genre féminisme de niveau 1. C’est normal d’avoir besoin de temps pour affiner ses réflexions, pour intégrer les grilles intersectionnelles, pour nuancer ou abandonner certaines catégories ou concepts. Mais quand j’essaie d’amener ça je me retrouve face à des barrières : la personne se dit que je comprends pas ce qu’elle vit, que je suis assignée mec, que c’est pour ça. Par contre, quand une meuf cis (ou parfois un mec trans) débarque et dit exactement la même chose que moi, soudainement c’est entendable !

La réalité c’est que mes réflexions sur le féminisme, le genre et le patriarcat sont beaucoup plus poussées que beaucoup de féministes cis, justement parce que je n’y suis pas incluse. J’ai pas eu le privilège et le confort d’être acceptée, de rencontrer des discours prémâchés pour moi, pour que je m’y reconnaisse, qui me mentionnent explicitement. Je dois me battre avec chaque discours, chaque concept et chaque brochure, pour les arracher au cisféminisme transphobe et en faire de véritables outils d’émancipation.

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ANNEXES : clarifier certains trucs

Qu’est-ce que le cisféminisme ?

cette brochure s’oppose au cisféminisme. Le cisféminisme n’est pas le féminisme des femmes cisgenres. Toute personne peut être cisféministe, et des femmes cisgenres féministes peuvent ne pas l’être. Le cisféminisme est l’ensemble d’idéologies féministes qui se centre sur l’analyse de la condition des femmes cisgenres, plutôt que sur l’étude des conditions de toutes les catégories opprimées du patriarcat. Le cisféminisme, c’est l’idéologie féministe qui défend la domination cisgenre.

La forme de base du cisféminisme c’est l’idéologie TERF. Mais certaines réflexions cisféministes sont plus subtiles, et infusent les milieux trans-inclusifs, voire les réflexions trans. Car oui, il y a des trans cisféministes. Ainsi, beaucoup de trans « matérialistes » veulent préserver des catégories cis-centrées, telles que « la classe des hommes » et « la classe des femmes ». Ces catégories ont été créées par et pour des cisgenres, alors les « matérialistes » essaient tant bien que mal d’y forcer les expériences trans*. Ce qui aboutit généralement à des résultats absurdes et contradictoires. Cette brochure parle un peu du pan transmisogyne. Mais d’autres cisféministes veulent exclure les hommes trans du féminisme, sous prétexte qu’ils sont « de vrais hommes », donc comparables aux hommes cisgenres. Ces personnes voient les femmes trans comme « de vraies femmes » du moment qu’on passe pour des femmes cisgenres (ou selon leur bon vouloir), et affirment que les femmes trans vivent de la misogynie « à partir du moment où elles passent pour des femmes » (voir par exemple le collectif anti-terf Toutes des femmes). Les expériences de misogynie que nous vivons quand on n’a pas de cispassing, ou qui ne sont pas identiques à celles des femmes cisgenres, sont niées. Les violences de genre vécues par les hommes trans aussi. Le blog « parole de mec trans materialiste » est un bon exemple de l’absurdité de cette politique, puisqu’il va jusqu’à affirmer que les femmes trans sont plus concernées par l’IVG que les hommes trans… simplement parce que l’auteur veut s’intégrer dans une binarité homme-femme cisnormée.

Je parle de cisféminisme car j’ai pensé ça depuis ma place de trans dyadique adulte, mais ce problème est plus large. En ignorant les expériences des personnes intersexes, non-binaires, agenres, enfants, le patriarcat est réduit à "la domination des hommes sur les femmes" et manque la plupart des rapports d’oppression patriarcaux. De la même manière que les hommes cisgenres se sont basés sur leurs expériences pour comprendre "l’humanité", le cisféminisme fait l’erreur de se fonder sur l’expérience d’une catégorie privilégiée (les femmes cisgenres dyadiques adultes) pour comprendre l’expérience de "toutes les femmes" et de toutes les personnes assigné.e.s femmes. Pour comprendre l’ampleur du cisféminisme on doit relire notre héritage féministe. Par exemple, lire chaque théoricienne féministe en se demandant : quand elle dit "les femmes", cela inclut ou exclut les femmes trans ? désigne-t-elle comme "femmes" des personnes qui n’en sont pas (hommes trans, non-binaires) ? Comment cela a affecté les pratiques féministes ? Quelles expériences de « femme » sont invisibilisées ? Quelles expériences de l’assignation au genre féminin sont invisibilisées ? Les expériences des personnes inter sont-elles pensées ? Celles des enfants ?

Je considère le cisféminisme comme une idéologie patriarcale. C’est l’idéologie féministe qui reste attachée au patriarcat, par son adhésion à la cisnorme, l’hétéronorme, la norme dyadique, la norme adultiste, la binarité de sexe et de genre. Le cisféminisme est présent dans la quasi totalité des pensées féministes, y compris malheureusement chez des personnes qui revendiquent le terme "transféministe".

C’est important de noter que tous les courants féministes ont été traversé par des contradictions sur ces questions, par des réflexions, des pratiques plus ou moins inclusives, parfois des réflexions radicales qui allaient au-delà des généralités. Dénoncer ne veut pas dire rejeter l’histoire du féminisme. Ça veut dire examiner cette histoire avec de nouvelles grilles d’analyse, et fonder nos concepts et notre lutte contre le patriarcat sur d’autres bases.

Contre le mouvement anti cancel culture

Je suis en fort désaccord avec la position anti-call-out, anti-exclusion et anti-« cancel culture », qui apparaît depuis quelques années dans les milieux queers-féministes. 79 Je veux qu’il y ait plus de réflexions sur les pratiques punitives, l’exclusion ou le call-out et leurs conséquences, la justice transformatrice, l’essentialisation des rôles agressaires-agresséex, etc. Mais ces discours ne se contentent pas de ça. Ca me va pas de prendre toutes les pratiques de call-out, d’exclusion, de protection des victimes, de visibilisation d’agression, etc et de tout mettre dans un sac en mode « ça c’est la cancel culture, pas bien ! C’est de la punition, pas bien ! ». Ça me va pas qu’on enjoigne aux victimes d’agression de fermer leur gueule pour prendre soin de leurs agressaires ou protéger « la communauté ». Ça me va pas qu’on nous retire tout pouvoir et qu’on nous culpabilise. Les pratiques de call-out, de partage d’informations, d’exclusion sont hyper importantes dans les luttes contre les oppressions et les violences sexuelles/conjugales.

Le principal problème que je vois c’est pas que ces pratiques existent. C’est qui a le pouvoir, qui est vu comme légitime de faire ces choses. C’est les pratiques abusives par des personnes ou des collectifs qui ont déjà du pouvoir et se servent de ces outils pour l’accroître ou conforter leur position, ou pour faire disparaître leurs victimes. Parfois c’est les conséquences données aux call-out, qui sont abusives. C’est l’habitude d’exclure des agressaires qui font de la reconnaissance plus facilement que des agressaires dans le déni. C’est aussi la tendance à call-out et exclure pour créer des milieux « safe », le processus de bouc émissaire qui consiste à bannir une personne pour dire que « nous » on est différent, « nous, on ne fait pas ça », alors que des histoires similaires sont mises sous le tapis. C’est aussi la « gêne » et la peur du jugement qui font qu’on préfère éviter de parler à quelqu’un.e qui est pointé du doigt, sans trop savoir pourquoi, mais parce qu’on ne veut surtout pas être critiquable, parce qu’on a peur de se salir à son contact, d’être éclaboussée.

Des réflexions intéressantes sont proposées par des personnes "de gauche" qui l’utilisent, mais « la cancel culture » est un concept réactionnaire et confusionniste. Il mêle des pratiques très différentes : aussi bien une victime qui révèle que quelqu’un.e l’a agressé.e ou qui a besoin de soutien pour aller dans des lieux où est son agressaire, que des pratiques de harcèlements ; des pratiques abusives aussi bien que des tentatives de pousser un.e agressaire dans le déni à faire face à ses actions, ou même de simples demandes de soutien et des discussions.

Clementine Morrigan, par exemple, est opposée à la pratique du « cancel », quelle que soit la raison, y compris lorsque ça vise un.e agressaire dans le déni (podcast Fucking Cancelled épisode 6 ou 26). Mais ce que recouvre ce terme n’est jamais défini. Et on s’aperçoit vite qu’elle utilise ce raisonnement pour rencontrer n’importe quelle personne qui « a été cancel » et créer des réseaux de solidarité sur cette base, sans jamais s’intéresser aux violences que ces personnes ont pu faire ou peuvent être en train de faire.

Des militant.e.s anti-cancel redéfinissent des concepts comme « justice punitive » : contacter une victime d’agression pour la soutenir, demander à un.e agressaire de faire de la reconnaissance ou de pas être dans un espace à un moment donné, demander du soutien à des amie.x.s, visibiliser des actes violents, oppressifs, autoritaires : tout peut être considéré comme « de la justice punitive » et « de la cancel culture ». Inversement, je vois le terme « justice réparatrice » être utilisé pour harceler des victimes, leur reprocher leur colère, défendre la place de harceleur.euses et d’agressaires dans le déni.

Si on parle de Darmanin ou Depardieu, la plupart des militant.e.s anti-call-out et anti-exclusion sont pour leur call-out et leur exclusion ! Quand on visibilise cette contradiction, ces personnes font exactement ce qu’iels dénoncent : iels tiennent des discours binarisants et découpent le monde entre gentils et méchant, entre « les puissants », « les institutions » qui méritent d’être combattus, et les gentil.le.s pas puissants, c’est-à-dire… elleux et leurs potes : « on va pas faire ça entre nous ».

Le discours anti-cancel est une posture qui permet de dénoncer un « système » tout en évacuant les questions d’oppression, de privilèges, de pouvoir et surtout : les actions de chacun.e et leurs conséquences. C’est parfois un moyen de se soustraire au jugement, de faire disparaître ses propres actes, sa propre violence en déviant le regard : « le problème, c’est ceux qui me reprochent quelque chose, ceux qui me demandent de faire de la reconnaissance ».

Je suis d’accord avec énormément de réflexions qui viennent de cette sphère, elles me nourrissent et c’est important de les intégrer. Par exemple, l’idée que même en ayant commis une (ou des) agressions, j’ai le droit d’avoir certaines limites et de refuser des actes abusifs dans un « processus ». Ça s’oppose à la pratique courante de « on sait que t’as agressé donc ferme ta gueule et accepte tout ce qu’on te fait sinon on te call-out plus fort ». Mais cette idée peut aussi servir à empouvoirer des agressaires contre leur victime. Les agressaires et harcelaires deviennent celleux qui disent que leurs limites sont dépassées par leurs victimes.

Quand je vois que ces discours servent à justifier des refus de reconnaissance et de réparation, des dynamiques de harcèlement portées par des agressaires contre leurs victimes, des positions militantes pro-viol, pro-racisme, etc... je suis dégoûtée.

Je crois que les courants anarchistes, anarcha-féministes (et queers anglophones) ont d’autres concepts et outils que "cancel culture" pour porter ces réflexions. Je ne vois aucune raison de partager ce concept confusionniste avec l’extrême-droite et les réactionnaires de gauche.

Et surtout, si on veut que notre action soit appropriée, y a pas de formule magique ou de position automatique ! Pour ou contre les call-out ? Pour ou contre l’exclusion ? Pour ou contre croire les personnes qui se disent victimes ? Ce qui est évacué par ces questions c’est les faits, les besoins, l’analyse et les décisions appropriées à chaque situation.

J’identifie 4 expériences de vie qui rendent très sensibles au militantisme anti-cancel. Ces 4 types sont schématiques et se mêlent fréquemment.

  • Certaines personnes ont commis une agression / des actes oppressifs et ont été call-out / exclues pour leur déni → réaction de défense, le militantisme anti-cancel est un outil de déni et de harcèlement de la victime, voire un outil de prédation, solidarité intéressée entre agressaires.
  • Certaines personnes ont commis une agression / des actes oppressifs et ont été call-out /exclues de manière abusive, malgré leur reconnaissance (par ex. par racisme ou transmisogynie, réactions disproportionnées qui n’auraient pas été faites à d’autres personnes, dynamiques de bouc émissaire, etc) → réaction de défense, sentiment d’injustice, empathie mal dirigée envers des agressaires dans le déni.
  • Certaines personnes sont des victimes de violences / agressions / abus et ont été call-out / exclues par cette personne et ses soutiens → réaction de défense, empathie mal dirigée envers des agressaires par confusion (souvenir traumatique et transfert), peur des call-out et exclusion abusives, méfiance envers les personnes qui se disent victimes.
  • Certaines personnes sont des victimes de violences / agressions / abus et n’ont pas pu réagir et obtenir de la reconnaissance, voire, leurs tentatives d’obtenir reconnaissance et réparation leur ont été reprochées → réaction d’intégration de normes qui font violence, empathie traumatique avec les auteur.ices de violences, hostilité envers les victimes qui ne se taisent pas, mise en concurrence de vécus de victimes.

Beaucoup de personnes transféminines développent ces idées, car nous sommes fréquemment dans plusieurs de ces situations en même temps. Pas parce qu’on commet plus de violences, mais parce que les violences que nous commettons sont sur-visibilisées et les violences dont nous sommes victimes sont invisibilisées. Nous vivons des injustices énormes et flagrantes et faisons face au déni le plus brutal. Nous sommes particulièrement visées par les agressions et les attaques, par les call-out abusifs, par les call-out justifiés (comparées aux meufs cis qui ne sont généralement pas call-out même quand ce serait justifié), par les violences de tout type, par l’exclusion et l’isolement. Nous sommes très nombreuses à avoir subi des violences sexuelles / maltraitances / abus tout au long de nos vies.

J’ai moi-même été attirée par l’idéologie anti-cancel. Avec ce que je vivais, les podcasts de Clementine Morrigan m’ont fait énormément de bien. C’était comme un espace de sécurité, de calme et de détente. Le premier espace qui me disait : tu es humaine, tu as droit au respect de tes besoins de base, les violences que tu as vécues sont réelles. Le caractère inconditionnel de l’acceptation a un impact émotionnel puissant. J’ai tiré des outils de certains podcasts, qui m’aident à me reconstruire des abus et traumas, et qui m’ont aussi aidé à affirmer certaines limites légitimes après une situation où j’ai commis des violences.

Mais dans ces quelques mois, j’ai aussi développé d’énormes réflexes de défense d’agressaire et de colère contre des personnes qui reprenaient du pouvoir contre un agresseur. Les podcasts ont participé à me gaslight, à me convaincre que je devais donner du temps et du soin à mes agresseurs/oppresseurs, que je ne devais pas être en colère contre eux ou leur faire des reproches, que je ne devais pas demander à nos amis communs de se positionner. Ça aussi c’est puissant : cette idéologie nous aide à dissocier en tant que victime, à nous concentrer sur les besoins de nos agresseurs, à les légitimer. Ça crée un (faux) sentiment de sécurité. On ravale sa douleur. On se dit que c’est normal et bien que tout le monde reste ami avec un agresseur dans le déni. On se convainc que tout va bien, alors qu’on vit des violences de groupe. Mais un jour ou l’autre, cette douleur, on la recrache à la gueule d’autres victimes, à qui on reproche de « cancel » leur agressaire…

C’est ce qui fait le danger de la théorie anti-cancel : cette capacité de tout brouiller pour la défense d’agressaires.

À propos d’amour et de pardon

L’anti-cancel ressemble parfois au pardon chrétien : si on te frappe, tends l’autre joue, et pardonne. Ce pardon est une manière de dissocier émotionnellement. Cette dissociation peut provoquer une résignation ou un état quasi-mystique, dans lequel on se sent libre, puissant.e, plus grand.e que sa propre souffrance, ou extérieure à elle. La compassion et « l’amour » (encore un terme chrétien abstrait) pour cellui qui nous blesse sont des manières d’ignorer sa propre souffrance et la réalité, de les transcender dans un état où on a l’impression de toucher une vérité plus grande. C’est des effets normaux des décharges d’adrénaline et de cortisol lié au stress traumatique. Le texte de Muriel Salmona « violences sexuelles et situations paradoxales de dépendance à l’agresseur » est intéressant pour comprendre ce mécanisme. Perso, je n’ai aucune envie de fonder une politique là-dessus, et c’est terrible de voir des victimes d’agressions défendre ce « pardon » et cet « amour » abstraits. Dans ma culture (juive et révolutionnaire), ce qui compte, c’est comprendre, admettre, demander pardon, et réparer. L’idée de réparation est au centre, à tel point que d.ieu même ne peut pardonner ce qu’on a fait à l’autre si on ne répare pas. Et l’idée de réparation individuelle et de réparation du monde sont liées dans le concept de tiqqun olam. Ces idées coïncident avec ma manière de penser la responsabilité en tant qu’anarchiste, bien plus qu’aimer et pardonner dans le vide.

Risque de détournement et d’instrumentalisation

Chaque réflexion sur une dynamique de pouvoir peut être détournée de manière abusive. Celles portées par cette brochure peuvent l’être, comme n’importe quelle analyse d’oppression, comme le féminisme cisgenre l’est contre nous. Le rôle de tout.e lecteurice est de nourrir ses réflexions, son regard, sa perception de la réalité, et de voir qu’est-ce qui s’applique, dans quelle situation. Je suis convaincue d’une chose : le silence et l’ignorance ne nous aident pas. Mes analyses, mes concepts, ma représentation de la réalité sont autant de matière de réflexion, de discussion et d’éducation.

Comme dit Alok Vaid Menon : "j’écris de la théorie pour que mes sentiments semblent plus légitimes."

C’est important de savoir que ce type de détournement n’est pas forcément le fait d’horribles personnes manipulatrices. C’est souvent une réaction traumatique. Quand on a subi une violence intensément et qu’elle n’a pas été reconnue, on peut facilement transférer des analyses, des déclencheurs traumatiques, avoir des flashbacks émotionnels et des réactions inappropriées dans des situations qui ressemblent à celle qu’on a connue, sans être identiques. C’est aussi pour ça qu’on doit absolument partager ces analyses : tant que nos traumas ne seront pas reconnus et que nous vivrons cette oppression, ça restera difficile de faire la distinction entre une situation de violence abusive et une situation qui nous déclenche.

Diffusion

je choisis de diffuser ce texte en visant les milieux queers/féministes/tpg, mais sans restriction. Je regrette le parti pris par des groupes de limiter leurs zines à une diffusion dans les "milieux queers" car beaucoup de personnes n’ont pas ou plus accès à ces espaces. Ce choix nourrit un entre-soi sectaire plutôt que la diffusion de réflexions vitales. J’ai bien plus peur de l’ignorance et du manque de ressources que de l’instrumentalisation de ce texte par des mascus.

Le choix de diffusion en version papier uniquement est aussi validiste : de nombreuses personnes handicapées ont principalement accès à des ressources en ligne/numériques et sont isolées des milieux "IRL". Les réseaux sociaux sont un moyen de politisation et de socialisation extrêmement importants pour plein d’entre nous. Si on doit compter sur les milieux féministes IRL pour diffuser des analyses radicales, nous aider à vivre et changer le monde… on est pas sortiex de l’auberge.

Contre le matérialisme transphobe

Le matérialisme transphobe (qu’il soit full terf ou seulement enbyphobe) est souvent marqué par un manque flagrant... d’analyses matérialistes. Un.e matérialiste devrait observer et analyser les conditions matérielles d’existence des personnes trans et non-binaires, les structures sociales, économiques, familiales et politiques existantes, comment elles agissent et quelles conséquences cela a. Au lieu de ça les matérialistes transphobes se contentent de prendre les conclusions faites par l’analyse des conditions de vie des personnes cisgenres et SUPPOSENT que ça s’applique aux personnes trans (en général, ou "avant transition", ou aux personnes non-binaires). Pourtant, des observations simples de nos vécus démentent cela. Ce présupposé transphobe et cis-normatif (croire que les trans ont des vies de cis) mènent à un angle mort total dans les réflexions cisféministes matérialistes.

Une critique matérialiste transphobe des transidentités est que les identités "ne sont pas matérielles" et n’ont donc pas de réalité. C’est très révélateur d’une pensée qui sépare artificiellement le corps et l’esprit, l’individu et la société. La manière qu’un individu a de se penser, de se voir, de se subjectiver en terme de genre est toujours liée de manière indissociable à ses conditions matérielles d’existence. Les pensées, émotions et idées existent par et dans le corps. Elles ne peuvent en être séparées. Il n’y a pas de pensées ou d’idées qui existent indépendamment de la matérialité des corps-esprit et de leur contexte social. Ce qu’on appelle aujourd’hui "identité" trans ou "identité" non-binaire n’existe pas dans un "ciel des idées". Ce sont des réalités vécues, directement liées à nos positions sociales, au traitement de nos corps-esprit par la société et à nos réactions à celui ci.

Cette séparation absurde fait des dégâts considérables car elle provoque des formes de dissociation : elle nous pousse à nous séparer de nos corps, à les voir comme étrangers, à les voir à travers des normes sociales : "corps d’homme", "corps de femme". La dysphorie de genre et la dysphorie corporelle ont bien moins de prise quand on sort de cette de cet essentialisme social.

Notons que les matérialistes transphobes ne font pas cette erreur pour les femmes cisgenres. Les pensées, émotions, idéologies, modes de subjectivation et identités des femmes cisgenres sont compris et analysé.e.s dans le cadre de leur oppression. Si une femme cis dit se sentir inférieure, les matérialistes comprennent ça comme une conséquence du patriarcat, elles viennent pas lui dire "c’est juste dans ta tête, c’est un sentiment, ça n’a rien de matériel, ce qui compte c’est la société !"

Une TERF matérialiste m’a un jour dit : « y a pas de domination des femmes cisgenres sur les femmes trans car y a pas d’exploitation économique des femmes trans par les femmes cisgenres ». Cette affirmation est déjà discutable, mais à la limite peu importe. Car c’est une déformation d’un argument matérialiste qui manque un point central : la politique patriarcale vis-à-vis des femmes trans (et des trans en général) n’est PAS une politique d’exploitation économique. C’est d’abord une politique génocidaire, une politique de disparition, d’élimination, d’effacement et d’extermination. Nous menaçons le patriarcat car notre existence fait tomber le mythe de la naturalité du genre, de la binarité homme-femme et de la domination masculine. Pour qu’une partie de l’humanité soit catégorisée comme « femme » et exploitée efficacement, le patriarcat doit éliminer ou effacer les trans, que ce soit en nous tuant, en nous poussant au suicide, soit en nous enfermant dans le placard ou en nous contraignant à passer pour des personnes cisgenres. Les personnes intersexes vivent une dynamique similaire car leurs corps et leurs existences menacent le mythe de la binarité des sexes. Les trans et intersexes doivent être effacés pour que les hommes (cisgenres-dyadiques) et les femmes (cisgenres-dyadiques) aient l’air naturel.le.s. Nous ne sommes pas des égales car nous ne faisons pas l’objet du même type de politique : il y a une différence énorme entre être exploitée et être effacée. Et nous ne sommes pas égales parce que les femmes cisgenres trouvent un privilège dans le patriarcat : le droit d’exister et d’être incluses dans un système social qui les valorise. Qui les opprime et les exploite, certes, qui les menace de mort et en tue certaines, certes ; mais qui leur donne une place.

Quand des féministes cisgenres justifient leur transphobie en disant « non mais les questions trans sont nouvelles, on se pose ces questions que depuis 20 ans/depuis 2008/depuis quelques années », ou « les non-binaires n’existent que depuis 2017 », elles participent à cet effacement. Ça met la rage d’entendre des femmes cisgenres chanter « nous qui sommes sans passé, les femmes, nous qui sommes sans histoire » car c’est faux : les femmes cisgenres sont présentes dans toutes les histoires humaines. Mais notre histoire à nous, et celles de nos ancêtres, les histoires des personnes extérieures à la binarité de sexe et de genre : elles sont effacées au point qu’on a l’impression d’apparaître dans le monde ! Cet effacement de nos vies et de nos cultures à travers les siècles et les civilisations est le point final d’un processus d’écrasement permanent. Et cette disparition est profondément liée à d’autres politiques de destructions physiques, culturelles et historiques : notamment racistes et coloniales. Car dans de nombreuses parties du monde, c’est la colonisation et le patriarcat suprémaciste blanc qui ont fait disparaître des cultures qui ne se limitaient pas à homme-femme. Et, en retour, le patriarcat blanc a construit ses normes de genre de manière à renforcer la suprématie blanche (voir Alok Vaid Menon, race + policing body hair et body hair + transmisogyny). Le cisféminisme est un héritier des politiques coloniales et de la suprématie blanche. Il faut prendre en charge cette histoire et ses conséquences. Spécialement aujourd’hui, où en surface, on voit« des progrès » relatifs dans le traitement social des personnes trans, mais où les réactionnaires de tous bords gagnent en puissance et mettent en place des politiques anti-trans. Dans les soi-disant « USA », les discours génocidaires se répandent, et les mesures législatives suivent. Certains états mettent en place un arsenal législatif qui permet théoriquement d’appliquer la peine de mort à des personnes trans, travesties ou drag. D’autres rendent l’existence publique, le travail ou l’accès aux traitements hormonaux impossibles. En Russie aussi. Et en fRance, l’extrême-droite s’inspire de ça : on a simplement quelques années de retard. Et même sans mesures étatiques, les violences transphobes sont boostées.

Contre le féminisme anti-mec trans

J’ai peur que ce zine soit utilisé pour dire « regardez, les mecs trans violent des femmes, les mecs trans sont des hommes comme les autres, faut les exclure pour être en sécurité ». Oui, les hommes trans sont des vrais hommes. Non, ça veut pas dire que les hommes trans sont l’équivalent des hommes cisgenres. Sérieux : qui a décidé que être un vrai mec = être comme un mec cis ? Qui a décidé que les mecs cis sont la référence pour être un vrai mec ? Les transmasculinités sont réelles et authentiques indépendamment de leur proximité avec les cismasculinités. Ce genre de réflexions renforce l’essentialisme de genre.

Je ne pense pas que la masculinité des auteurs ait joué un quelconque rôle dans les viols que j’ai subi de la part de mecs trans ou la solidarité qu’ils ont reçu. Les principaux mécanismes qui ont joué c’est la transmisogynie et la solidarité cisféministe entre personnes AFAB (qui, paradoxalement, est un mécanisme transphobe vis-à-vis des mêmes mecs trans que ça avantage). Dans mon expérience, les mécanismes de défense des meufs cis agresseuses et des mecs trans agressaires étaient globalement les mêmes.

Les hommes trans et non-binaires vivent aussi des violences sexistes dans les milieux féministes, proches de celles que nous vivons y compris s’ils ont pris de la testostérone : comparaisons avec des hommes cisgenres, manque d’empathie et de compréhension des vécus communs, leur faire porter le poids du patriarcat, stigmatisation et déshumanisation des personnes qui ont de la testostérone dans le corps, qui ont de la barbe, exclusions, etc. Je parle souvent avec des mecs qui ont super peur de leur masculinité parce qu’il ont peur d’être vus comme des mecs cis et ça me rend super triste. C’est en rencontrant des transmascs que j’ai découvert que les masculinités peuvent être magnifiques et non-oppressives. Ça me désole de voir autant d’auto-répression, et que c’est les mêmes mécanismes… qu’on soit une transfem obligée de jouer la ptite meuf fem silencieuse et timide ou un transmasc obligé de jouer au garçon réservé fem et timide. Marre de nous réprimer et de payer les pots cassés du patriarcat : je veux voir nos genres s’épanouir et les trans prendre de la place.

Que faire ?

  • La perception que nous avons de la vulnérabilité est politique. Le féminisme cisgenre nous apprend à voir les femmes cisgenres comme vulnérables face aux hommes cisgenres ; à faire attention à la parole des femmes cisgenres, à lui donner de la place et de la légitimité ; à supposer qu’une femme cisgenre peut être victime de violences dans une relation cis-hétéro ; à analyser les expériences individuelles des femmes cisgenres en tenant compte du cadre social et systémique qui les minorise ; à développer des outils pour reconnaître les situations de violence contre les femmes cisgenres et y réagir. Le même travail doit être fait pour toutes les oppressions systémiques, car elles créent toutes le même genre d’asymétrie de pouvoir dans les relations intimes. Même dans des relations où deux personnes vivent la même oppression, la non-reconnaissance de l’un.e peut entraîner ces dynamiques (par ex quand le handicap d’un.e partenaire n’est pas reconnu par son partenaire handi.e.x)]
  • Comprendre que les personnes trans/enby amab vivent des oppressions spécifiques qui nous minorisent vis-à-vis de toutes les personnes qui ne les subissent pas. Les termes TMA et TME sont parfois utilisés en anglais pour : affectés par la transmisogynie / exemptés de transmisogynie. -Reconnaître cette asymétrie, les privilèges qu’elle implique et les rapports de pouvoir qu’elle crée, pour analyser et reconnaître les schémas et mécanismes spécifiques (y compris les mécanismes subjectifs chez nos agressaires et abusaires et leurs soutiens).
  • Reconnaître que le regard qu’on porte sur les corps a été formé par le cis-patriarcat, ce qui fait qu’on ne reconnaît pas les violences vécues par les femmes trans et enby amab, même quand ces violences sont exactement les mêmes que celles vécues par des femmes cisgenres. Modifier consciemment son regard.
  • S’habituer à écouter la parole des femmes trans et enby amab, leur faire de la place ; avoir une démarche active d’écoute, de soutien, de légitimation du ressenti et des expériences. Lire, regarder, écouter des textes, de la poésie, des vidéos créées par ces personnes.
  • Reconnaître les facteurs particuliers de vulnérabilité : être au croisement avec d’autres oppressions systémiques (folie et sanisme, précarité et classisme, racisme, handicap, putophobie, toxicophobie, etc) ; être dans le placard ou dans les premières années après son coming-out ; se sentir illégitime ; être convaincue qu’on a des privilèges masculins ; être en-dehors des normes physiques de transféminité ; avoir déjà été call-out ou exclue dans les milieux féministes (que ce soit légitime ou abusif) ; être en relation avec une personne qui ne vit pas de transmisogynie, etc.

Contact : neviah-tf@riseup.net



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