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Heineken en Afrique
Colonialisme, violences sexuelles et génocide
mis en ligne le 23 février 2025 - Julien Rebucci , Olivier van Beemen , Rédaction de médiapart
Cette brochure est inspirée d’une sélection d’article effectuée par le site internet « Sobriété et anarchisme ».
Compilation de deux articles : une interview d’Olivier van Beemen lors de la parution de son livre Heineken en Afrique, une multinationale décomplexée (2018) faite par Les Inrockuptibles. Et une enquête de Mediapart sur le rôle de Heineken dans le génocide au Rwanda.
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La face cachée de Heineken
Les Inrockuptibles, 17 sept. 2018, Julien Rebucci
Dans cet article le terme "prostitution" a été remplacé
par "travail du sexe" sauf dans les citations.
Le journaliste d’investigation néerlandais Olivier van Beemen a enquêté durant cinq ans sur les pratiques du brasseur Heineken en Afrique. Emploi de travailleuses du sexe, implication dans le génocide du Rwanda ou entremise dans la Cour constitutionnelle du Burundi, au fil des années, la multinationale a fait mainmise sur le continent.
Heineken est l’un des fleurons de l’industrie néerlandaise. Présente dans 170 pays [En 2024 c’est 190 pays], l’entreprise est un symbole de la mondialisation galopante et du capitalisme triomphant. Après cinq années d’une enquête qui l’a conduit à mener quatre cents entretiens dans douze pays africains et à consulter des centaines de documents émis par l’entreprise elle-même, Olivier van Beemen met en évidence les pratiques de la multinationale dans une partie du monde où les Etats sont souvent défaillants. Il détaille les méthodes de Heineken pour y réaliser des profits bien supérieurs à sa moyenne mondiale, tout en prétendant participer au développement économique du continent africain. Cet ouvrage remet en cause la légende dorée construite par Heineken et brise le mythe d’une entreprise vertueuse et soucieuse du développement durable. L’auteur montre comment la firme a pu rester en place dans de très nombreux pays africains malgré la décolonisation et les guerres civiles, parfois au prix d’implications douteuses (apartheid sud-africain, génocide au Rwanda où l’entreprise brassait de la bière pour les génocidaires). Heineken a tiré profit de l’absence de réglementations en matière de marketing, de santé ou de normes environnementales, et ceci sans jamais tenir compte des dommages causés par l’abus d’alcool aux économies et aux sociétés dans lesquelles l’entreprise opère. Comme le souligne Olivier van Beemen en préambule de l’interview qu’il nous a donnée : « L’importance de ce livre est bien de montrer qu’il ne s’agit pas seulement d’actes isolés mais bel et bien d’une structure organisée sur l’ensemble du continent africain. »
Que représente le marché de la bière pour le continent africain ?
Olivier van Beemen – Pour les brasseurs internationaux, l’Afrique représente l’avenir. Et encore : le continent se révèle être déjà très rentable pour des entreprises comme Heineken. Car grâce à des coûts de production plus faibles que sur d’autres continents, la bière rapporte en Afrique près de 50 % de plus qu’ailleurs. Ils sont peu sur le marché : outre Heineken, le leader mondial AB InBev, SABMiller l’Anglais et le Français Castel. La profitabilité est déjà énorme en Afrique. Il est déjà difficile pour de nouveaux acteurs de faire leur entrée sur le marché. Il y a beaucoup de concurrence mais ils s’accordent sur le prix pour que ça reste rentable pour tout le monde. Ensemble, ils couvrent 93 % du marché de la bière en Afrique. Pour le groupe Heinkenen spécifiquement, selon les derniers chiffres disponibles, l’Afrique représente 14 % en volume et en revenu mais plus de 20 % de leurs profits.
Quel a été le point de départ de votre enquête ?
J’ai été correspondant en France de 2002 à 2012 pour la presse magazine et économique. Je proposais pas mal de papiers en rapport avec l’Afrique francophone. Aux Pays-Bas, il n’y a pas beaucoup de gens qui parlent le français et c’était donc une thématique qui n’était pas bien couverte. En 2011, j’avais aussi proposé de couvrir la chute de Ben Ali en Tunisie. C’est à cette occasion que je suis tombé sur Heineken en Afrique. Je ne savais pas qu’ils étaient implantés dans un pays qu’on n’associe pas forcément à la consommation de bière.
Heineken essayait de casser le monopole du Français Castel sur place et pour bien s’y implanter il fallait coopérer avec un partenaire local qui était une personne liée au clan Ben Ali. En soit, ce n’est pas un grand crime mais c’était une information intéressante qui montrait l’implication néerlandaise dans le régime. C’est surtout la réaction d’Heineken à l’époque qui m’a choqué. Ils ont, dès le début, affirmé : « On ne savait pas que cet homme en question [Saïd Boujbel, ndlr.] était lié au clan Ben Ali ». Alors que l’entreprise comptait sur lui pour obtenir des avantages afin de bien pénétrer le marché tunisien.
C’était une sorte de racket ?
En quelque sorte. Il ne fallait pas forcément leur offrir un pot-de-vin mais il était nécessaire de s’associer avec les « bonnes personnes ». Ils ont choisi ce monsieur qui n’était pas doté de compétences extraordinaires mais qui connaissait les bonnes personnes pour leur permettre de développer leur implantation. Ce mensonge d’Heineken m’a poussé à aller voir plus loin. J’ai alors découvert que beaucoup de choses avaient été cachées.
Quelle était l’image d’Heineken aux Pays-Bas ?
Très bonne ! Pour simplifier, aux Pays-Bas, il y a le pétrolier anglo-néerlandais Shell qui a cette image un peu « sale », par rapport à ce qu’il s’est passé au Nigeria avec des assassinats. Il y a un autre grand groupe anglo-néerlandais, Unilever, qui ne jouit pas toujours d’une bonne image. Au contraire, Heineken est une fierté nationale néerlandaise. Elle le reste d’ailleurs en grande partie aujourd’hui. Pour les Néerlandais, elle représente l’image de notre « siècle d’or », le XVIIe, où nous dominions les mers via la compagnie des Indes orientales, la Voc. Heineken, c’est en quelque sorte sa version moderne.
De plus, Heineken est l’une des rares entreprises aussi bien louée à droite comme à gauche, elle est très populaire. Notre Premier ministre est un libéral qui est très enthousiaste sur la marque ; notre ministre du Commerce et de l’aide au développement aussi, bien qu’elle soit social-démocrate. Il y a peu de consensus aux Pays-Bas, sauf pour Heineken (rires).
Vous avez réalisé de multiples voyages en Afrique pour votre enquête. Quel est le pays où la mainmise d’Heineken est la plus forte ?
Il s’agit du petit pays d’Afrique centrale, le Burundi. Heineken y a indirectement aidé le président sortant Pierre Nkurunziza à se faire élire pour un troisième mandat, malgré l’impossibilité constitutionnelle de la chose. Il a donc commencé par essayer de modifier la constitution mais ce n’est pas toujours évident de le faire, même dans une dictature. Il fallait 80 % de l’Assemblée nationale, qu’il n’a pas réussi à réunir. Il a donc fait appel à la Cour constitutionnelle qui a le dernier mot en la matière. Mais il y avait, là aussi, de l’opposition. Sur les sept juges, quatre étaient défavorables. Il a alors tout fait pour les faire changer d’avis et la plupart ont finalement retourné leur veste après avoir reçu de belles offres d’emploi. L’un des juges est par exemple devenu ministre de la Justice.
Un des juges a refusé et à cause de cela, il a dû se réfugier en Belgique. Je l’ai rencontré et il m’a raconté toute l’histoire de l’intérieur. Un autre exemple : le président de la Cour a obtenu, avant le vote, un siège au conseil d’administration d’Heineken au Burundi. Or, après le « bon » verdict pour le président Nkurunziza, il a été promu président du conseil d’administration. Depuis ce jour, il est donc formellement le numéro 1 de Heineken au Burundi et est toujours l’un des juges les plus importants du pays.
Concrètement, qu’est-ce qu’obtient Heineken en échange de ce « service » ?
Déjà, il n’y a pas du concurrence, Heineken a le quasi-monopole – il y a juste un tout petit peu d’importation de Tanzanie. Il faut plus voir cela comme une expression de l’imbrication extrême d’Heineken et de l’appareil d’État. Ils sont si entremêlés qu’il est parfois difficile de les différencier. De plus, cela permet à Heineken de faire du business dans un des pays les plus pauvres du monde. L’État possède 40 % de la filière burundaise de Heineken ; la collaboration est entière entre les deux acteurs. Heineken a par exemple aussi tout un réseau de dépôts de vente et là aussi ils font en sorte qu’il y ait des hauts-fonctionnaires ou des hommes politiques qui gèrent ces dépôts, qui sont en général très rentables. Pour résumer Heineken se finance une paix et une tranquillité pour faire de « bonnes affaires ».
C’est un investissement finalement ?
Oui, dans ce milieu-là on parle de « licence d’opération ».
Il y a un autre pays dans on parle beaucoup dans votre livre, c’est le Nigeria. Dans ce pays en plein développement, Heineken a fait appel à 2 500 travailleuses du sexe pour une vaste campagne promotionnelle. De quoi s’agit-il ?
Le directeur général de l’époque a accepté de m’en parler très ouvertement. Il y avait à l’époque une sorte d’entente entre Heineken et le grand concurrent de l’époque, Diageo, qui est derrière la Guiness. Heineken régnait lui sur le marché de la bière blonde et Guiness celui de la stout. Or, Guiness a poussé sa marque de bière blonde, la Harp et Heineken a senti qu’ils devaient réagir. Selon ce même directeur général, il y avait peu de moyens pour soutenir la marque locale d’Heineken. Alors il a décidé d’engager 2 500 travailleuses du sexe dans les hot spots de la ville, très fréquentés, qui devaient inciter les gens à boire la bière Heineken. De manière un peu naïve, je lui ai demandé si ces filles étaient aussi censées faire l’amour avec les clients ? Il m’a répondu : « Vous venez d’Amsterdam, avec le Quartier Rouge ? Que font les prostituées là-bas selon vous ? » Il était très cynique. D’ailleurs Heineken faisait croire aux consommateurs que leur produit améliorait leurs performances sexuelles.
Ça a eu lieu au début du XXIe siècle. Aujourd’hui ce sont surtout ce qu’on appelle des « filles promotrices » qui sont à l’œuvre. Ce ne sont pas des travailleuses du sexe stricto sensu qui sont employées, mais la frontière est ténue. Jusqu’à aujourd’hui, Heineken intime à ces filles de pousser ses marques de bière. Mais, très souvent pour gagner un peu plus que ce qu’elles empochent dans la soirée, elles font du travaille du sexe. Elles sont d’ailleurs forcées de porter des jupes. La ligne est très fine. L’affaire a été révélée pour la première fois non pas en Afrique, mais au Cambodge. Heineken en a connaissance depuis le début mais n’a jamais rien fait pour y remédier. L’entreprise a déclaré qu’elle travaillait à la résolution de ce problème mais ça fait partie de leur tactique : montrer leur implication mais, dès que la tension médiatique retombe, on retourne à la normale.
Le PDG lui-même a eu une aventure avec une « promotrice ». En accord avec plusieurs rédactions, nous avons décidé de le révéler car c’était selon nous plus qu’une histoire privée. C’est le plus haut responsable de l’entreprise, qui n’a rien fait depuis des années pour améliorer les conditions de travail de ces filles. Ce qui est dingue, c’est que l’information était connue au siège par pas mal de monde, ce qui donne bien une idée de l’ambiance où tout est permis. Lorsqu’il a reconnu, lors de la dernière assemblée générale des actionnaires ce printemps à Amsterdam, que ce que j’avais écrit était vrai, il a été applaudi. En voyant ça, je me dis qu’il y a peu de chances d’assister à d’éventuelles améliorations des conditions des promotrices [1].
Vous expliquez que la multinationale a prospéré sur fond de corruption et de soutien à certains régimes, notamment au Rwanda pendant le génocide des Tutsi en 1994…
La multinationale a continué de produire de la bière pendant les massacres. La Primus, la marque produite par Heineken au Rwanda, permettait aux Interahamwe, les milices hutu, d’être ivres. Il suffit de lire Une saison de machettes, de Jean Hatzfeld, pour comprendre à quel point cette bière servait de motivation pendant les tueries et de récompense après. Par ailleurs, Heineken a continué de payer des taxes au régime génocidaire.
Mais la firme était-elle en mesure de stopper sa production ?
Un porte-parole de Heineken a répondu dans un journal néerlandais de l’époque que cette offre de production répondait à une demande. Plusieurs sources, dont un technicien, m’ont assuré que si Heineken avait réellement essayé de cesser la production au printemps 1994, elle aurait sans doute pu le faire. Mais elle n’a jamais essayé. Jean Louis Homé, directeur Afrique de la société à cette date, a indiqué dans son ouvrage Le Businessman et le Conflit des Grands Lacs qu’il y avait un contact quotidien entre les techniciens rwandais et la direction de la société, alors basée à Goma [en République démocratique du Congo, RDC]. La brasserie n’était pas autonome, livrée à elle-même, comme le prétend aujourd’hui Heineken. Des Rwandais seuls n’auraient pas pu faire tourner la production.
Vos révélations ont-elles écorné la réputation d’Heineken aux Pays-Bas ? Quel a été l’accueil ?
Les médias en ont pas mal parlé mais j’ai pu sentir une certaine réticence générale. On ne m’a jamais invité dans un talk show pour en parler par exemple à la télévision néerlandaise. Il n’y a pas eu de grandes indignations aux Pays-Bas. Par contre, il y a bien eu des conséquences : des questions ont été posées au Parlement, des motions ont été votées… C’est important mais ça n’a pas eu de grandes conséquences… A part le désengagement de Bill Gates via sa fondation, ce qu’Heineken n’a pas du tout apprécié.
Comprenez-vous le faible impact qu’ont eu ces révélations sur l’image d’Heineken ?
Il faut comprendre que pour les Néerlandais, les conflits en Afrique ne sont pas toujours bien compris. Nous n’avons pas les mêmes relations car nous n’avons pas le même passé colonial de la France. C’est pour cela que la possible implication de Heineken dans le génocide de 1994 n’a pas le même impact qu’en France par exemple.
Il y a-t-il des pays en Afrique dans lesquels Heineken n’a jamais réussi à s’implanter ?
A un moment, Heineken a décidé d’abandonner l’Afrique du Sud mais c’était seulement car cela ne marchait pas très bien d’un point de vue commercial. Ils y étaient restés tout au long de l’apartheid avec leur marque Amstel mais c’était brassé sous licence par SAB (South African Breweries), une entreprise très puissante qui fait partie de AB InBev. Ils ont essayé de s’installer en Zambie aussi mais il y avait déjà une forte concurrence. Si Heineken n’est pas présent dans un pays c’est qu’il n’y trouve pas un intérêt commercial. Sinon, ils sont capables de s’installer où ils veulent.
Vous n’êtes pas uniquement négatif sur l’influence d’Heineken en Afrique peut-on lire à la fin de votre livre… Qu’est-ce qu’il y a de positif à retenir ?
Il faut leur reconnaître une certaine persévérance quand d’autres entreprises sont parties. Ils croient en l’avenir du marché africain. Mais je pense aussi que grâce à ces systèmes mis en places, ils avaient les moyens de continuer, même dans les années les plus difficiles pour le continent, comme la décennie 1980-1990, à extraire un peu d’argent de ces pays dévastés. Ce qui a définitivement contribué au succès et à la réussite de Heineken en Afrique.
Qu’attendez-vous de cette version française du livre ?
Je suis déjà très content de cette traduction, comme je suis aussi enthousiaste de la future traduction en anglais. Car j’estime que les premiers destinataires de mon livre devraient être les habitants des pays où Heineken est implanté.
Dans vos multiples voyages, avez-eu écho d’autres grandes entreprises s’adonnant à des pratiques similaires ?
Dans mon introduction, je rappelle que ce que j’ai vu et lu, qu’Heineken est un cas « représentatif » pour une entreprise en Afrique. Il serait probable que si on se lance dans le même genre d’enquête pour d’autres grandes multinationales bien implantées en Afrique, on trouve des pratiques similaires…
Heineken au Rwanda : brasser de la bière pour des génocidaires
La rédaction de Mediapart, 29 août 2018
TW : récits détaillés de violences, torture, viols, meurtre.
Mediapart publie les bonnes feuilles du livre du journaliste néerlandais Olivier van Beemen, Heineken en Afrique, qui sort en France ce jeudi 30 août. L’auteur, qui a rencontré plus de 400 sources au cours des sept dernières années, y décrit les méthodes nauséabondes de la multinationale. Un chapitre, consacré au Rwanda, détaille la façon dont la société a été impliquée dans le génocide. [...]
C’était le 4 septembre 1993. Max Boreel, qui avait été pendant treize ans directeur général de Bralirwa, la filiale rwandaise de Heineken, se préparait pour son discours d’adieu.
La tension était à son comble dans le petit pays d’Afrique centrale où, tout comme au Burundi, la population se composait d’une majorité de Hutus et d’une minorité de Tutsis. Depuis l’invasion en 1990 du Front patriotique rwandais (FPR) venu d’Ouganda, la nation était en proie à une guerre civile. Les rebelles, majoritairement tutsis, et le gouvernement hutu avaient signé en août un accord de paix, mais la Radio-Télévision libre des Mille Collines (RTLM) diffusait des messages de haine sur les Tutsis, qui « devaient être exterminés comme des cafards ».
Du point de vue commercial, Boreel avait peu de souci à se faire. Heineken connaissait son âge d’or. « Bralirwa roule comme un train express », titra un journal d’entreprise fin 1991 (1) [Notes et sources sont à retrouver dans l’article de médiapart]. Les civils buvaient comme si leur dernière heure avait sonné et ne mettaient pas un sou de côté. L’armée était un gros client et, pour soutenir le moral des troupes, on distribuait chaque jour une ration de bière aux soldats. Un ex-manager : « Ils buvaient plus qu’ils ne mangeaient. À mon départ en 2000, nous n’avions pas encore retrouvé le niveau de consommation d’alcool de la grande époque de la guerre. »
De même que dans l’actuel Burundi, Heineken avait au début des années quatre-vingt-dix une position de monopole au Rwanda et l’entreprise entretenait des liens étroits avec le pouvoir. Le gouvernement était coactionnaire et partenaire au sein du conseil d’administration, et dépendait en grande partie de Heineken pour la perception des impôts. Selon des initiés, le brasseur ne payait pas toutes les taxes dues, ce que le gouvernement acceptait tacitement. Un fait rachetait tout cela aux yeux de celui-ci : Bralirwa se conformait scrupuleusement au quota maximal de 10 % de Tutsis. « Ce n’était pas un problème si nous en avions moins, mais si on dépassait ce quota, le gouvernement intervenait », déclare le chef du personnel de l’époque.
Jusqu’à l’introduction du multipartisme en 1991, la brasserie hébergeait – comme bien d’autres grandes entreprises – une cellule de propagande spéciale du parti unique de Juvénal Habyarimana, maître absolu depuis 1973. La même source : « Chaque semaine, nous chantions la grandeur du chef et dansions pour le parti, pendant les heures de travail. Trois ou quatre membres du personnel organisaient cela aux frais de Bralirwa. »
Un virus dangereux
C’est d’une voix vibrante que Max Boreel, le directeur sortant, commença son discours. Il regretterait le site. L’usine située juste en dehors de la petite ville de Gisenyi était coincée entre une baie du lac Kivu et une colline couverte de maisonnettes en pisé et de bananeraies. Pour les expatriés, c’était l’une des plus belles destinations possibles. Dans le lointain se profilaient, à 3 500 mètres d’altitude, les sommets menaçants du Nyiragongo, un volcan actif, sujet de temps à autre à de violentes éruptions.
Boreel était fier que, sous son égide, la filiale Bralirwa soit devenue plus grande, plus riche et plus mûre, mais il était aussi profondément préoccupé. « Il s’agit de la concentration d’un nouveau phénomène qui s’est installé partout au Rwanda : le régionalisme, pour ne citer que cela. À mon avis, c’est ridicule, car le Rwanda n’a pas l’excuse de la Belgique avec les différences de langue et de culture. Le petit Rwanda, où tous parlent la même langue, ne peut pas se permettre le luxe du régionalisme. »
L’assistance dressa l’oreille et comprit que par « régionalisme », il n’entendait pas seulement une distinction géographique mais également ethnique. « C’est ridicule que les gens veuillent chasser ceux qu’ils considèrent comme étrangers ou espions, poursuivit Boreel. Faites gaffe que l’entreprise ne devienne pas victime de ce jeu de manipulation ! En tant que société la plus importante du Rwanda, Bralima a le droit d’utiliser les meilleurs éléments subalternes ou cadres que la société rwandaise produit, là où bon lui semble. Faites attention, c’est un virus très dangereux qui s’installe dans votre société. » (2)
Dans un pays où le silence est d’or, l’explosion de Boreel fit forte impression. « Chers amis », conclut-il, « peut-être vous dites-vous “Mais de quoi il se mêle, ce muzungu [blanc] ?” Moi, je vous dis que je vous considère comme mes amis, et entre amis la vérité doit pouvoir se dire. » (3)
Il est très vraisemblable que Boreel avait compris que le « virus » était également actif au sein de Bralirwa mais, aux dires d’un initié, ce thème n’avait jamais constitué un sujet brûlant avant cet exposé émouvant. « Les expats faisaient comme si le problème ethnique n’existait pas. Ils essayaient de considérer Bralirwa comme une entreprise purement commerciale : nous sommes ici pour brasser de la bière. Point à la ligne. »
Après cette allocution, la situation devint plus tendue à la brasserie. « Les Hutus et les Tutsis se montrèrent de plus en plus agressifs », rapporte un cadre. « Ils écoutaient RTLM ou une station de radio extrémiste pour Tutsis et s’excitaient mutuellement. » Au sein de l’entreprise militait la Coalition pour la défense de la République et de la démocratie (CDR), l’expression la plus intransigeante du « Hutu Power », qui, selon diverses sources, faisait circuler des listes de noms et adresses de travailleurs tutsis.
Le 20 mars 1994, au cours de sa première visite en Afrique, le grand patron Karel Vuursteen fit escale à Gisenyi, le soir où le Ballet national du Rwanda se produisait sur les rives du lac Kivu. « Une soirée magique », se rappelle Homé (ancien directeur Afrique de Heineken) (4). Deux semaines et demie plus tard, les premiers cadavres flottaient au même endroit sur le lac.
Le génocide, jusque dans la brasserie
Le génocide, qui a été qualifié de meurtre collectif le plus efficace depuis les bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki, débuta le 6 avril 1994 (5). Peu avant l’atterrissage à l’aéroport de la capitale, Kigali, un avion avec à son bord les présidents du Rwanda et du Burundi fut abattu – le mystère pèse toujours sur l’identité des auteurs de l’attentat. Les deux présidents moururent sur le coup. Heineken figura aussitôt aux premières loges, vu que Juvénal Renzaho, le président du conseil d’administration de Bralirwa – et conseiller du président –, se trouvait dans l’appareil. Lui non plus ne survécut pas au crash.
La mort du président Habyarimana fut le coup d’envoi d’un carnage sans précédent, préparé par l’armée, la police et les milices liées au pouvoir (les Interahamwe), et perpétré en grande partie par de simples citoyens. Avec des machettes et d’autres armes encore, ils s’en prirent à des Tutsis ainsi qu’à des Hutus considérés comme traîtres. Le nombre de tués est estimé à 800 000, dont 90 % de Tutsis, et le nombre de coupables à quelque 200 000 (6). Ces derniers assassinèrent leurs propres collègues, des habitants de leur village, parfois même des amis et des membres de leur famille.
Heineken se retrouva au cœur de la mêlée. « J’étais l’un des premiers qui devaient mourir », raconte un ex-manager. « Des collègues vinrent à l’hôtel de Gisenyi où j’habitais temporairement. Heureusement, j’étais justement à Kigali. Je suis un Hutu, certes, mais je viens du Sud et n’étais pas membre du parti. J’étais donc un ennemi. En plus, j’avais un emploi convoité. Pendant le génocide, les motifs étaient d’abord ethniques et régionaux, mais aussi économiques. »
Heineken avait alors (et a toujours) deux sites au Rwanda. À Gisenyi, il y a la brasserie et à Kigali, le siège principal ainsi qu’une limonaderie où – tout comme au Burundi et au Congo – Heineken produit des bouteilles de soda sous licence Coca-Cola. Dans les deux implantations, les Hutus procédèrent à des bains de sang parmi leurs collègues tutsis. Heineken n’a jamais communiqué le nombre exact de victimes. Il s’agit au moins de quelques dizaines (7). Tout comme au Burundi, la dépouille mortelle du président Habyarimana fut conservée dans la chambre froide de la brasserie.
La maison mère d’Amsterdam se préoccupa en premier lieu de la sécurité des expatriés. Le successeur de Boreel, Edwin Botterman, était par hasard en vacances à l’étranger, et les autres Néerlandais et Belges du Rwanda purent être évacués en l’espace de quelques jours. Parmi eux se trouvait Kees Klute, du service technique, qui tenta vainement de cacher ses deux enfants dans sa villa pour les soustraire aux meurtriers. Ce qui lui fut reproché par Heineken. « Une initiative maladroite, qui a brisé la neutralité », déclare une source interne.
Luc Jolie, le directeur de la brasserie, s’installa temporairement à Goma, de l’autre côté de la frontière. Il fut plus tard rejoint par Botterman. Homé parle d’un état-major temporaire de Bralirwa, dans lequel était également présent Henk Bont, de l’entreprise de sécurité interne Proseco. « Des cadres techniques traversaient la frontière tous les jours. » (8)
C’est ainsi que Heineken continua à produire la marque locale Primus alors qu’au printemps 1994, le sol du Rwanda était jonché de cadavres. Bier soll sein – oui, l’oukase hitlérien s’applique aussi à ce génocide. Du fait du grand nombre de travailleurs décédés et de l’afflux de réfugiés, la production était plus faible que d’habitude, mais Heineken réussit cependant à livrer de la bière fraîchement brassée dans de grandes parties du pays. La brasserie était équipée de canons anti-aériens et protégée par une trentaine de soldats, et les chauffeurs tutsis firent place aux Hutus (9).
Ce fut une bonne nouvelle pour les meurtriers car la bière jouait un rôle important. Il ressort de multiples déclarations de témoins que les atrocités commencèrent sous l’effet de l’alcool et de la drogue, avec de grandes bouteilles de Primus et de bière de banane comme principaux adjuvants. Des témoins oculaires parlent de « SS tropicaux, ivres d’alcool et de fureur purificatrice », ou de génocidaires qui buvaient de la Primus « entre deux meurtres », ce qui les rendait encore plus cruels (10).
« Les meurtriers tuèrent toute la journée à Nyarubuye », écrit Philip Gourevitch dans ses Chroniques rwandaises – Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles. « La nuit, ils tranchaient les tendons d’Achille des survivants, puis organisaient derrière l’église un banquet où ils faisaient griller du bétail pillé et buvaient de la bière. (De la bière en bouteille, de la bière de banane – les Rwandais ne boivent peut-être pas plus que d’autres Africains, mais ils boivent des quantités incroyables, jour et nuit.) Et le matin, encore ivres après le peu de sommeil qu’ils avaient peut-être trouvé au milieu des hurlements de leurs proies, les meurtriers de Nyarubuye repartaient tuer. » (11)
C’est tous les jours la fête avec de la Primus en abondance
Des grossistes et d’autres personnages influents qui soutenaient la cause hutue utilisaient la bière pour motiver les meurtriers inexpérimentés. Le distributeur Étienne Nzabonimana, condamné plus tard en Belgique à douze ans de prison pour sa participation au génocide, fut un pivot du commerce de la bière à cette période, rapporte un ancien salarié. Au retour d’une journée de meurtres, les membres des milices se repaissaient de bière (12). La parlementaire radicalisée Bernadette Mukarurangwa, membre du parti du président assassiné, incitait également les civils à prendre part aux meurtres en les récompensant avec de la bière, des biens volés et des filles tutsies à abuser sexuellement (13).
Dans Une saison de machettes, son livre unanimement salué où il brosse le portrait d’un groupe de dix copains hutus, des hommes comme les autres qui se métamorphosent en génocidaires, Jean Hatzfeld montre bien les différentes fonctions qu’avait alors la bière. Page après page, on comprend l’importance que les tueurs attachaient à la Primus et à la bière de banane. Avant le génocide, les amis, dont la plupart travaillaient aux champs, avaient l’habitude de se retrouver en fin d’après-midi dans un cabaret où ils se régalaient les jours de fête d’une bouteille de Primus et d’une brochette de bœuf. Ces trois mois de la saison – d’avril à juillet 1994 – représentent pour eux la possibilité d’échapper à la routine quotidienne. « La vie se faisait plus facile à cette époque puisqu’on bénéficiait de tout ce qu’on manquait auparavant. La Primus quotidienne, la viande de bœuf, [...] tout. Il se disait que c’était une saison heureuse et qu’il n’y en aurait pas deux », déclare Alphonse. « Pendant les tueries, on n’a connu aucun mariage, aucun baptême, aucun match de foot [...]. On se fichait de ces bagatelles de dimanche. On était fourbus de travail, on devenait possédants, on se réjouissait sans préparation, on buvait autant qu’on demandait. » Chaque jour était un jour de fête.
Au début, certains avaient du mal à tuer, et la bière les aidait à accepter les atrocités. C’est ainsi que Jean-Baptiste, qui avait épousé une Tutsie, fut forcé par les Interahamwe d’assassiner un présumé complice de l’ennemi, un Hutu qui aurait aidé des Tutsis à s’enfuir. S’il ne le faisait pas, il passerait lui-même sous la hache. Une foule s’était rassemblée autour de lui quand il fendit sa victime de sa machette, après quoi il voulut se détourner. Mais il fut repoussé et, fermant les yeux, il frappa une seconde fois. Il s’écroula ensuite sur un banc dans un café tout proche, commanda à boire et essaya de ne plus regarder la victime, qui se trouvait toujours dans son champ visuel. Il apprit par la suite qu’avant de mourir, l’homme avait encore été agité de convulsions pendant deux heures.
La bière servait aussi de calmant pour pouvoir se remettre à la tâche le lendemain. « Le soir, la bande se retrouvait au cabaret, raconte Jean-Baptiste. On commandait des casiers de Primus, on buvait et on blaguait pour se reposer de notre journée. Il y en a qui passaient des nuits sans sommeil à vider des bouteilles et qui s’en trouvaient encore plus attisés. »
Après quelque temps, l’extermination des Tutsis devint si banale aux yeux de certains qu’ils imaginèrent de nouveaux petits jeux pour conserver le suspense. Ils organisèrent un concours à qui ferait le plus de victimes en un seul jour, ou prévoyaient le nombre de morts du lendemain, avec chaque fois une Primus supplémentaire à la clé.
« Ces vantardises nous contentaient ; même si tu perdais, tu y trouvais de la satisfaction »
Vers la fin du génocide, certains avaient perdu tout plaisir. La chasse devenait de plus en plus difficile, vu qu’il ne restait que les Tutsis les plus courageux et les plus rusés. « Ces collègues grimaçaient parce qu’ils s’impatientaient simplement de vider une Primus », expose clairement Pancrace.
En prison, Elie raconte avoir même placé son espoir dans la bière pour, après avoir purgé sa peine, se réconcilier avec les descendants de ses victimes. « Je me suis dénoncé et j’ai raconté ma faute aux familles de personnes que j’ai tuées. Quand je sortirai, j’apporterai des présents, le boire et le manger ; j’offrirai la Primus et les brochettes en quantité suffisante pour des réunions de réconciliation. » On peut se demander si cela suffira. « Un homme, s’il a bu une Primus de trop et qu’il bat sa femme, il peut demander pardon », estime la cultivatrice Francine. « Mais s’il a travaillé à tuer tout le mois, même le dimanche, comment peut-il espérer se faire pardonner ? » (14)
« Pas la Croix-Rouge »
Bien que le monde ait mis un certain temps à se rendre compte de ce qu’il se passait au Rwanda – de nombreux correspondants sur le continent se trouvaient en avril 1994 en Afrique du Sud pour les premières élections libres –, chez Heineken, on fut directement conscient du sérieux de la situation. Quelques jours après le décès du président, Homé comprit que « le pire » était en train d’arriver (15). Le brasseur n’a jamais envisagé de fermer le robinet à bière. « Pourquoi ? Tant qu’il y a de la demande et que nous pouvons produire, ça ne me semble pas à l’ordre du jour », déclara à l’époque une porte-parole de Heineken (16).
D’anciens salariés confirment que le rôle de la bière dans les massacres n’était pas une raison pour arrêter la production. « Les affaires sont les affaires. Pour nous, le volume venait en premier lieu, à l’époque aussi », se souvient l’un d’eux. Un ancien directeur : « Bralirwa n’est pas la Croix-Rouge. Si tu as des matières premières, des bouteilles vides, des machines et assez de personnel, et qu’il y a de la demande, tu dois produire. Tu peux même essayer d’augmenter la production pour satisfaire toute la demande. Si tu ne le fais pas, tu cours le risque d’être pris pour un saboteur. Alors, là, ç’aurait été pire. »
Il poursuit en chuchotant : « Si Bralirwa ne produisait pas, cela signifiait selon l’armée que nous étions du côté des Tutsis, que nous étions des complices du RPF. Tu comprends ça ? “Il y a pénurie de bière parce que Bralirwa est du côté des Tutsis”, auraient-ils dit. Nous ne sommes pas des saboteurs, nous préférons augmenter la production. C’est logique. La demande est là, tu y réponds. »
Jusqu’au bout, Bralirwa resta fidèle aux autorités, confirme une autre source interne. « En ce temps-là, nous appelions Bralirwa le grand frère du gouvernement. Même pendant le génocide, ils continuèrent à payer des impôts. Si Heineken avait fermé la brasserie, les tueurs auraient essuyé un revers. Ça n’aurait pas fait cesser les meurtres, mais l’entreprise aurait pu avoir une influence. »
Dans une interview réalisée en 2010, Hans van Mameren, qui fut grand patron au Rwanda entre 1998 et 2001, a reconnu implicitement que Heineken a joué un rôle important dans le génocide. Lorsqu’un journaliste avança la thèse que des milices hutues armées de machettes étaient souvent sous l’influence de la Primus, il déclara : « Le président du Rwanda m’a dit un jour : “Vous avez soutenu les [génocidaires].” Oui, c’est difficile. Je ne pense pas que vous aviez vraiment le choix, avec un fusil dans le dos. Et indépendamment de la bière, il y avait naturellement une haine terrible. » (17)
Pas le choix ? Foutaise, estime un ancien expatrié qui était installé au Rwanda plusieurs années avant le génocide. « Bien évidemment que Heineken aurait pu déclarer : “Bon, les gars, nous nous retirons jusqu’à ce que les choses se calment.” C’est très malsain que Bralirwa ait tourné à plein régime en temps de guerre. C’est incroyable quand même : tout le pays se transforme en champs de ruines et ces magnifiques camions de Primus continuent tout bonnement à le traverser. »
À la différence de ce qui se passa au Burundi, l’entreprise Heineken fut à peine critiquée au Rwanda. Certes, le quotidien régional néerlandais De Leeuwarder Courant publia un article désapprobateur : « Le Rwanda, la bière et la mort ». On peut y lire : « Dans cette bande, une seule entreprise tient debout : la brasserie Heineken. [...] La population locale du Rwanda et des territoires avoisinants n’ose plus manger de poisson provenant de la rivière Kagera, qui est criblée de cadavres, mais l’esprit commerçant néerlandais n’est pas aussi superstitieux. Plus la guerre est perverse, plus la consommation d’alcool est fonctionnelle. Si on reste sobre, le plaisir pourrait bien disparaître trop vite. » (18)
« Heineken avait perdu le contrôle »
Et sous le titre « Au Rwanda ensanglanté, Heineken continue gaiement à brasser », le journal Trouw y alla fort, lui aussi : « Selon des dépêches, les tueries de ces dernières semaines furent chaque fois précédées par des beuveries. » (19) Cinq ans après les faits, le NRC Handelsblad écrivait que Heineken n’était pas incontesté au Rwanda. « Durant la période du génocide, entre avril et juillet 1994, l’entreprise a continué à tourner et si l’intervention tutsie n’avait pas eu lieu, le brasseur aurait, semble-t-il, tout simplement continué comme ça. “On peut difficilement utiliser un autre terme que collaboration pour définir pareille attitude”, déclare un entrepreneur néerlandais à Kigali. » (20) Voilà pour les critiques.
Un autre événement survint peut-être à point nommé pour Heineken. La branche néerlandaise de la multinationale fut frappée en avril 1994 par une grève qui dura une bonne semaine, après l’échec d’une négociation d’une convention collective de travail. La presse en fit ses choux gras. La une du quotidien De Telegraaf n’augurait rien de bon : « Le stock de Heineken s’assèche lentement. » Quelques jours avant la fête nationale, lors de laquelle les Néerlandais fêtent l’anniversaire de leur monarque, la nation risqua de se retrouver sans Heineken ni Amstel (21). « C’est fascinant à quel point une insubordination chez un brasseur nourrit davantage le débat que les guerres en Bosnie et au Rwanda réunies », écrivit un chroniqueur (22).
Heineken préférait sans aucun doute voir les journaux et quotidiens s’exciter à propos de la grève que se pencher de manière détaillée sur le rôle de l’entreprise dans le génocide. Les grévistes reprirent le travail juste à temps et la nation en fête put, comme de coutume, s’enthousiasmer avec de la Heineken fraîchement brassée.
C’est dans un fauteuil confortable du lobby de l’Hôtel de l’Europe au centre d’Amsterdam que m’attend Eugène Ubalijoro. Ce n’est pas un hasard si l’entrevue avec l’expatrié de Heineken se tient ici : l’hôtel appartient au brasseur et le bar porte le nom de l’ancien PDG de la firme, Freddy Heineken. Mon interlocuteur et moi avons une gigantesque salle de réunion à notre disposition.
Ubalijoro, qui fut entre 1992 et 1995 directeur du marketing à Kigali, a été envoyé tout spécialement pour me raconter – aux dires du brasseur – la véritable histoire de Heineken durant le génocide. Lors des entretiens que j’avais eus antérieurement au siège social avec le grand patron van Boxmeer et le directeur Afrique, Pirmez, ces derniers avaient abordé spontanément le sujet.
Selon Ubalijoro, la brasserie de Gisenyi tomba aux mains des extrémistes tout de suite après l’éclatement du génocide. Il s’agissait en fait de membres du personnel, mais ils auraient opéré de manière autonome. « Heineken n’avait plus le contrôle. La brasserie produisait et livrait encore de la bière aux soldats pour s’assurer qu’ils continuaient à se battre, mais Heineken n’avait plus rien à voir avec cela. »
Voilà donc qu’après l’aveu implicite de van Mameren, Heineken admet maintenant sans équivoque que la bière de ses propres cuves a été d’une grande importance durant le génocide. Seulement l’entreprise n’aurait plus rien eu à voir avec cela, en dépit du fait qu’il s’agissait de son propre personnel.
Je demande à Ubalijoro pourquoi une porte-parole de Heineken a parlé d’une question d’offre et de demande lorsque l’entreprise fut interrogée sur la raison qui l’avait poussée à continuer à brasser. « C’est la première fois que j’entends cela », répond-il. Je lui lis le passage du livre de Homé dont il ressort que, tous les jours, des cadres traversaient la frontière pour garantir le contact entre la direction à Goma et la brasserie à Gisenyi. Tous les jours. Ubalijoro : « Heineken était bien là, mais il est naïf de penser qu’ils savaient depuis Goma ce qu’il se passait à Gisenyi. »
Ubalijoro, lui-même un Hutu, était à Kigali lorsque débuta le génocide. Lui aussi, les meurtriers le cherchèrent parce que son père était membre d’un parti d’opposition. Le 8 mai, il réussit à fuir le Rwanda, sans même être allé dans les parages de la brasserie.
Van Boxmeer et Pirmez corroborent le récit d’Ubalijoro. Heineken rejette entièrement la faute sur le personnel local sous la direction d’Emmanuel Sinayobye. C’était lui, selon la multinationale, le cerveau derrière les massacres au sein de Bralirwa, et c’est à cause de lui que la brasserie a continué la production et donc que de la bière fraîchement brassée est restée disponible pour les génocidaires.
Le rôle exact qu’a joué Sinayobye demeure toutefois confus. Certains expatriés jurent de son innocence et l’ont soutenu quand, après le génocide, il a été accusé de complicité active. Mais il n’a jamais été condamné. Le fait est qu’au moment où débuta le génocide, il n’était pas à Gisenyi mais au Kenya. Selon Heineken, il revint vite à la brasserie, ce que nient d’autres sources. Quant à Sinayobye lui-même, il préfère se taire sur l’affaire, tout comme les autres principaux protagonistes, Jolie et Botterman.
Lors d’un entretien, je pose la question à Homé, qui était à l’époque directeur Afrique et qui dans son livre s’étend de façon approfondie sur le génocide. La brasserie de Gisenyi était-elle devenue entièrement autonome ? Il écarte ma suggestion d’un geste et confirme ce qu’il a écrit : « Ils disent ça maintenant chez Heineken ? Non, c’est vraiment exagéré. Il y avait un contact quotidien entre nos gens à Goma et le cadre de la brasserie à Gisenyi. »
Selon un ancien expat, la production ne pouvait perdurer que si les usines étaient approvisionnées en levure fraîche. « Ce qui, en ce temps-là, devait encore se faire chaque mois. Sans levure, pas de bière. Si la production n’a pas été arrêtée, ça signifie que Heineken a simplement continué à en livrer. »
On comprend que le sujet préoccupe le brasseur. D’après les critères du Pacte mondial des Nations unies, qui n’existait pas encore à l’époque, il fut vraisemblablement question de « complicité directe dans des crimes de guerre » : l’entreprise continua à produire alors qu’elle savait que sa bière jouait un rôle dans les massacres, et les chauffeurs tutsis furent remplacés par des Hutus afin d’organiser au mieux la distribution.
Même si l’avocat pénal Michiel Pestman n’estime pas probable qu’on verra un jour les responsables de l’époque sur le banc des accusés, il ne l’exclut pas. « Il n’y a pas de prescription pour le crime de génocide et aux Pays-Bas, il y a une certaine volonté de poursuivre des présumés coupables. Après une recherche approfondie, c’est théoriquement possible de faire un procès contre Heineken ou ses directeurs. »
Juste avant la mise sous presse de l’édition néerlandaise de ce livre, j’ai reçu une nouvelle déclaration de Heineken. Le siège social reconnaît que, pendant le génocide, deux membres de la direction de Bralirwa se trouvaient à Goma, juste de l’autre côté de la frontière, et qu’il y avait un contact avec la brasserie. Mais : « Nous maintenons qu’à l’époque du génocide, en raison de la grande panique et du chaos régnant dans le pays et la région, la brasserie de Gisenyi n’était pas sous le contrôle de Heineken. » (23)
« Le soutien à un système génocidaire ne peut rester impuni »
Début juillet 1994, il ne fit plus aucun doute que les Tutsis du FPR en sortiraient gagnants, et le 10 juillet, la brasserie finit quand même par s’arrêter. « Une semaine plus tard, le FPR était à Gisenyi, relate un témoin. Quand nous avons recommencé à brasser, les cuves étaient encore pleines mais pas refroidies. En fait, nous aurions dû jeter la bière mais le directeur de l’époque refusa. “Les gens boivent tout, maintenant”, affirma-t-il. »
Après le génocide, des travailleurs de Bralirwa qui s’étaient enfuis furent autorisés à se présenter à la brasserie ou dans un dépôt central de boissons de leur région pour faire valoir leur droit à « une petite somme d’argent, juste de quoi survivre », selon un ex-salarié. En octobre, la brasserie redémarra, partiellement avec de nouveaux travailleurs venus de l’étranger et partiellement avec le personnel existant, parmi lequel il y avait également des meurtriers. Un ex-manager : « Des dizaines des travailleurs de Bralirwa y ont participé. Certains sont aujourd’hui encore en prison, mais d’autres n’ont jamais été poursuivis et ont pu se remettre au travail. C’était douloureux. Beaucoup de gens étaient dépressifs, suicidaires. Tu as vu des amis, des connaissances, des enfants, mourir sous tes yeux. Comment es-tu supposé gérer cela ? »
À la suite du changement de pouvoir, Heineken se trouva confronté à un nouveau partenaire au sein de Bralirwa. La première rencontre ne fut évidemment pas des plus chaleureuses, étant donné que le FPR reprochait au brasseur d’avoir soutenu jusqu’à son dernier souffle le régime criminel. « Le soutien à un système génocidaire ne peut rester impuni », estimait le FPR. Selon ses propres dires, Homé para cette accusation en faisant remarquer que son entreprise payait des impôts sans vouloir influencer l’objectif des dépenses. Et que Heineken continuerait à le faire, que ce soit aux Pays-Bas, au Rwanda ou ailleurs. « L’ambiance changea au cours de la conversation. Nous ne nous quittâmes sans doute pas en bons termes mais avec une solide poignée de main », écrit-il (24). C’est là une présentation optimiste des choses, comme la suite des événements le montrera.
L’embuscade
Heineken se mit en quête d’un nouveau grand patron et se vit conseiller par Ubalijoro de ne surtout pas désigner un Français (25). En effet, le gouvernement tutsi était furieux contre la France, qui avait armé les militaires et les milices. En outre, grâce à une mission française sous la bannière de l’ONU – l’opération Turquoise –, de nombreux criminels avaient pu s’échapper sans entrave à l’étranger. Donc, de préférence, pas un Français.
Au printemps 1995, Heineken nomma un Français, répondant au nom d’Yves Lafage (26). Dès lors, les relations furent continuellement très tendues entre Bralirwa et le gouvernement, des dissensions dont il existe deux lectures. Certains ex-salariés soulignent que le nouveau régime se comportait à la manière de « la petite chenille qui faisait des trous » et ne cessait de réclamer plus d’impôts. Selon d’autres, notamment l’actuel ministre du Commerce François Kanimba, le brasseur voulait continuer à agir comme au bon vieux temps, tandis que le nouveau gouvernement exigeait davantage de transparence et un prélèvement plus strict des impôts. « Cela provoqua des tensions, parce que le gouvernement avait l’impression que Bralirwa payait toujours trop peu d’impôts », confirme-t-il.
Selon des initiés rwandais, cités dans le quotidien NRC Handelsblad, Heineken se comporta « avec arrogance » en arguant que les investissements comme tels constituaient déjà une contribution importante au Trésor public. Pourquoi l’entreprise devrait-elle de surcroît payer des impôts (27) ? Cette petite phrase fit l’objet de questions parlementaires, auxquelles le ministre des Affaires étrangères de l’époque Jozias van Aartsen répondit que, à sa connaissance, Heineken s’acquittait de toutes les charges obligatoires (28). Les conflits d’intérêts persistaient encore, lorsque début 1998, Bralirwa fut secoué par une nouvelle tragédie.
Le 19 janvier 1998, comme chaque matin, le bus du personnel de la brasserie quitta peu avant sept heures le centre de Gisenyi en direction de l’usine située au sud de la ville (29). La route sinueuse en bordure du lac escaladait des collines, longeait des plantations et traversait de petits villages. À mi-parcours environ se dressait une montée raide, que gravit au pas le véhicule à bord duquel avaient pris place soixante personnes.
Une embuscade. Des hommes armés en uniforme intimèrent au bus de s’arrêter. Ce devaient être des soldats, pensèrent les passagers, jusqu’au moment où des coups de feu éclatèrent. C’était une milice hutue, « ceux-là qui quatre ans plus tôt avaient perpétré le génocide », selon un témoin. D’autres guerriers étaient dissimulés entre les bananiers, ils devaient être plusieurs dizaines.
Le chauffeur du bus fut tué très vite après le début de l’attaque. La milice somma les travailleurs de former deux groupes : les Hutus d’un côté, les Tutsis de l’autre. « Nous sommes tous des Rwandais », cria un héroïque travailleur. Collectivement, ils refusèrent d’obéir. Une réponse furieuse claqua : « Alors, tout le monde y passera. » Ce n’était pas là une menace en l’air : les guerriers lancèrent une grenade dans le bus et se mirent à tirer à vue. Puis ils arrosèrent d’essence le véhicule et l’incendièrent.
« Quand ils ont ouvert le feu, j’ai plongé sous un siège, mais j’ai été touché à la jambe gauche », se souvient douloureusement Alphonse Bahati, qui était cuisinier chez Heineken. Il réussit à sauter par la fenêtre et à s’enfuir malgré ses blessures. « Ils m’ont rattrapé. Un assaillant m’a dit qu’ils me pardonnaient parce que j’étais hutu. Certains avaient travaillé chez Bralirwa et savaient exactement qui était hutu ou tutsi. Moi, je venais à peine d’être engagé, ils ne savaient donc pas pour moi. Je suis tutsi. »
Jean-Bosco Karoretwa, qui travaillait à la bouteillerie, réussit lui aussi à s’échapper. « Ils m’ont tiré dessus, une balle s’est enfoncée dans ma nuque. J’étais couvert de sang, et quand je suis tombé, ils ont cru que ce serait vite fini. J’ai encore parcouru en trébuchant près d’un kilomètre, jusqu’au moment où j’ai reçu de l’aide d’un villageois. C’est dans une brouette qu’il m’a conduit jusqu’à l’hôpital de Gisenyi. »
L’incident fit 36 morts et 27 blessés. Homé en fut anéanti. « Ce qui s’est passé à Gisenyi, c’est arrivé à NOUS », écrit-il. À l’abri des regards, il tomba dans les bras de son adjoint Siep Hiemstra, le futur directeur Afrique. Les deux hommes laissèrent couler leurs larmes. La production fut temporairement réduite et n’eut plus lieu que de jour, sous la protection de l’armée. Heineken, d’après ses propres dires, fit preuve de souplesse envers les absents et tout le monde continua d’être payé (30).
Mais la souplesse et la compréhension de la multinationale avaient des limites, comme il ressort d’une interview de Karel Vuursteen quatre ans plus tard. « Tu ne peux pas faire grand-chose, bon sang. Tu peux juste montrer de la compassion. Tu es assis là sur un casier de bières, à te rouler une cigarette, entouré de gens qui disent : “Il y a deux ans, vous étiez ici. À l’époque, j’avais une famille avec trois enfants dont je devais m’occuper. Maintenant, j’ai le même emploi à la brasserie, mais maintenant je dois aussi m’occuper des cinq enfants de mon frère, de ma belle-mère, ou de ma petite sœur et de ses deux enfants, et je gagne toujours la même chose, c’est vraiment injuste.” Bon, tu ne peux pas y faire grand-chose.
• Augmenter le salaire ? suggéra le journaliste
• Non, c’est impossible, nous sommes une institution commerciale, nous sommes très concernés par le bien-être des gens, mais nous ne pouvons pas augmenter structurellement les salaires pour une telle raison. » (31)
De même, les passagers du bus qui avaient survécu durent affronter les limitations de l’institution commerciale. Deux ans à peine après l’attentat, le contrat de Bahati ne fut pas prolongé et il dut désormais payer lui-même les médicaments dont il avait besoin. « Naturellement, que j’étais indigné, mais que peut-on y faire ? Ils ont à leur service des gens qui ont longtemps étudié. Tu peux les poursuivre, mais tu ne gagnes de toute façon pas. Je n’étais pas le seul survivant à avoir été bien vite mis à la porte. Heureusement, je n’ai pas subi de traumatisme. Je ne fais pas de cauchemars, mais je sens surtout la douleur physique. »
Quant à Karoretwa, c’est un miracle qu’il soit encore vivant.
« À l’hôpital, le docteur a fait un trou dans ma gorge pour que je puisse à nouveau respirer. J’étais incapable de parler. Ma situation s’améliorait à peine quand j’ai été transféré à Kigali », raconte-t-il. « Là, un médecin néerlandais a conseillé de me transférer dans une clinique universitaire en Belgique, mais la direction a trouvé que c’était trop cher. Après quatre mois, j’ai été autorisé à aller à Nairobi, où j’ai été aidé par un docteur qui venait d’Inde. Au total, j’ai été opéré quatre fois et je n’ai pas pu parler pendant plus d’une année. Pour communiquer, je me servais d’un bloc-notes. »
Karoretwa, qui s’exprime toujours difficilement, a été entièrement payé pendant cette période et a pu reprendre le travail. Il s’en est bien sorti et a été promu chef d’équipe. « Ce qui m’a vexé, c’est que je n’ai perçu qu’une part de l’indemnisation de l’assurance. L’assureur a essayé de minimiser les suites de l’accident, ça m’a fait mal. De la part de Heineken ou de Bralirwa, il n’y a pas eu de dédommagement non plus, alors qu’il s’agissait d’un accident du travail. Dès que tu es dans le bus du personnel, l’employeur est responsable. Mais on nous a toujours dit : “La brasserie n’a pas les moyens de payer tous les survivants.” Même lors de la séance annuelle de commémoration, la direction ne prend pas tous les frais à sa charge. Ils règlent le transport et les boissons, mais nous devons nous occuper de la nourriture. »
Avec le soutien de Heineken
À présent que les machettes servent à nouveau d’ustensiles de cuisine et que les kalachnikovs se sont tues, les Rwandais peuvent se concentrer sur la guerre locale de la bière qui a éclaté en 2010. Heineken est défié par la Skol Brewery, derrière laquelle se cache l’entreprise belge Unibra. Un match Pays-Bas/Belgique donc, à quelques degrés au-dessous de l’équateur (32).
Lors d’une de mes visites au Rwanda, la nation entière est placée sous le signe de la commémoration du vingtième anniversaire du génocide. Kigali est en effervescence, dans l’attente de recevoir des invités de marque en provenance du monde entier. La ville a subi une véritable métamorphose depuis le drame, et le Rwanda peut, à bien des égards, être vu comme un « miracle économique » africain. Le revers de la médaille est que Paul Kagame, ancien commandant en chef du FPR et président depuis 2000, ne supporte pas la contradiction. Il a tellement fait modifier la Constitution qu’il pourra rester au pouvoir au bas mot jusqu’en 2034.
Durant la cérémonie, il s’adresse à 30 000 personnes rassemblées dans le stade national, qui servit en 1994 de camp de réfugiés. Sur des panneaux disséminés dans la ville, des entreprises, notamment Bralirwa, se déclarent solidaires du gouvernement et de son slogan Remember, unite, renew, illustrant les trois thèmes de la commémoration : la mémoire, l’unité et l’avenir.
Je visite l’imposant Mémorial du Génocide de Kigali, un musée implanté sur une colline où, après les événements, fut découverte une fosse commune. Sur des photos et leurs légendes, je vois comment, dans ce pays très religieux, des Tutsis furent massacrés jusque dans des églises où ils espéraient trouver un peu de clémence. Des femmes furent violées par des hommes qui étaient notoirement porteurs du VIH, et souvent « épargnées » par la suite, de manière à continuer à souffrir. Des extraits d’émissions de radio donnent à entendre comment les Hutus étaient exhortés à éliminer les « cafards ».
Profondément frappé et meurtri par les milliers de crânes, photos et inscriptions de noms de victimes, je me dirige vers le paisible jardin du souvenir qui donne sur la ville en contrebas. Mon œil tombe sur un petit écriteau portant le logo de la filiale locale de Heineken et la mention : Les jardins du Mémorial ont été aménagés avec le soutien de Bralirwa.
La direction aurait-elle envisagé de faire anonymement cette modeste donation ? Ou d’omettre, par dignité, d’apposer cet écriteau avec son nom et son logo ? La charité est toujours liée à un destinataire déterminé et je me rappelle soudain que Heineken n’est pas la Croix-Rouge.
La rédaction de Mediapart
Quelques unes des 250 Marques de Heineken
Desperados ; Affligem ; Mort subite ; Fischer ; Perlforth ; Grimbergen ; Lagunitas ; Hapkin ; Ancre Pils ; La phénicienne ; La Slavia ; Adelscott ; Old Lager ; Pélican ; Judas ; Record ; Gallia ; Stassen ; Amstel ; Edelweiss ; Panach’ ; Ancre ; ...
Heineken possède France Boisson qui livre un quart des cafés, hôtels et restaurants français (en boisson chaude, soft et alcools) et possède un contrat d’exclusivité de la bière dans huit café/restaurants sur dix à Paris.
[1] Au Congo par exemple, des femmes gagnant moins de la moitié du salaire d’un agent d’entretien sont forcées de coucher avec des responsables de la brasserie si elles veulent conserver leur emploi. Et à consommer cinq à dix bouteilles de bière par jour (de 72 centilitres) pour convaincre le client d’en boire lui-même au moins autant.
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