Q
Que c’est bon d’avoir mal
mis en ligne le 14 août 2024 - quecestbon
« Je te parle d’entailles et d’entraves et d’entrailles bénies. »
[À plat ventre - Lisette Lombé]
Introduction
J’écris ceci parce que j’aurais bien aimé qu’il y ait des ressources accessibles pour me guider quand j’ai découvert que j’aimais, sensuellement, ressentir de la douleur.
La notion même de BDSM est relativement grand public. Depuis le collège où les mots « maso » et « sadique » étaient lancés comme des insultes moqueuses, j’ai conscience qu’il y a des personnes qui aiment souffrir et d’autres qui aiment faire souffrir. Malheureusement, dès que j’ai découvert cette possibilité, ça allait avec l’opinion générale : ça existe, certes, mais c’est tordu, bizarre et anormal.
Grandissant dans la culture du viol et ayant été assignée femme à la naissance, on m’a appris implicitement que mon plaisir n’était pas aussi important que celui de mon partenaire -toujours un homme ça va de soi- et que parfois peut-être j’aurais mal mais que je devais serrer les dents parce que ce qui était important était que lui prenne son pied. J’ai grincé des dents quand j’ai relu, dix ans plus tard, les mails que j’envoyais à 18 ans à une amie pour lui raconter par le menu mes premières aventures sexuelles : j’y passe beaucoup de temps à me demander ce que j’ai fait de mal si mon partenaire n’a pas éjaculé, à me questionner pour savoir si je pratique avec talent la fellation et globalement à savoir si les hommes avec qui je couche trouvent que je suis un bon coup mais à aucun moment je ne parle de mon propre plaisir (spoiler : je n’en prenais pas beaucoup). J’ai donc appris cette forme là de souffrance et d’abnégation mais on ne m’a jamais encouragé à me questionner et à explorer les possibilités d’infliger ou de recevoir des pratiques douloureuses dans un cadre sexuel, parce que ça, ça aurait été franchement déviant et glauque n’est-ce pas.
La vie est pleine de surprise et m’a apporté son lot d’expérimentation qui fait que aujourd’hui j’ai pu mettre toutes ces idées qu’on a essayé de m’inculquer à la poubelle pour me faire mon propre avis à la place. J’ai appris des tas de choses en chemin, par des expériences de terrain, des discussions et des lectures. Je les mets ici par écrit pour que ces idées puissent servir à d’autres, que vous en soyez à vous poser la question de à quoi diable ressemble cette pratique, ou que vous ayez déjà un pied dedans et cherchiez du grain à moudre.
Disclaimer
Le contenu de cette brochure est le reflet des expériences que j’ai vécues, je n’ai pas l’ambition d’écrire ici une Vérité Ultime, je parle en toute subjectivité en espérant que mon témoignage pourra être utile / intéressant pour d’autres. Je ne prétend pas représenter l’entièreté de la communauté BDSM par ces mots, c’est une communauté riche et vaste dont je ne peux donner à voir qu’une infime portion.
Je suis une personne queer blanche, valide, âgée de 30 ans, ayant fait des études longues.
Mon parcours
Une initiation
J’ai découvert mon « penchant pour la douleur » à 24 ans, je vivais en Espagne en participant à un programme Erasmus+ et j’avais commencé à fréquenter un des accompagnateurs locaux du programme. Dès la première fois qu’on a partagé de la sexualité ensemble, il y avait, autour du schéma par ailleurs très classique « préliminaires + pénétration pénis dans vagin », un jeu autour de la douleur. La première fois, il m’a mordu fort, dans le cou et sur les bras, à m’en laisser des bleus. C’était la première fois que je m’essayais à ça, c’était à son initiative, et ça m’a tout de suite beaucoup plu. Par la suite on a continué les jeux où il me faisait mal de différentes façons, les morsures sont restées un favori mais il y aussi eu une session avec des pinces à linge, et je lui avais fabriqué, pour qu’il l’utilise pour moi, un martinet avec des lacets en coton. On n’en parlait jamais vraiment ouvertement - notre communication était loin d’être optimale…- mais je pense que les jeux de pouvoir dans la sexualité étaient dans ses habitudes (il aimait bien aussi les jeux de domination comme me bander les yeux, m’attacher, ou m’ordonner d’aller dans un sex-shop pour lui ramener un sextoy à utiliser avec lui) même s’il n’avait pas apparemment l’habitude d’avoir des partenaires qui y prenaient autant goût - il a plusieurs fois remarqué avec surprise qu’il n’avait jamais rencontré personne qui résiste tant à la douleur, et la réclame comme moi.
Avec le recul j’ai du mal à qualifier cette première expérience, aussi révélatrice qu’elle ait été, de BDSM. En effet à l’époque je n’avais pas encore baigné dans la culture du consentement avec laquelle j’ai pu me familiariser plus tard grâce au milieu sexpo, je n’avais pas de bonnes pratiques de communication avec mes partenaires. Or selon la vision du BDSM qui est la mienne aujourd’hui, un aspect très important est celui de la négociation.
Pour moi faire du BDSM ça ne concerne pas des partenaires qui ont compris, par essai et erreur, qu’iels aimaient bien se faire / avoir mal et pratiquent cela au petit bonheur la chance. Pour mettre l’étiquette BDSM, j’estime qu’il est important d’avoir des partenaires qui se parlent avant et après avoir joué ensemble ! Pour se dire avant de commencer ce qu’aime chacan, quelles sont les limites, les envies, les zones de flou où avancer avec précaution, les préférences, comment prendre soin l’un•e de l’autre après avoir joué etc. Pour se dire après, qu’est ce qu’on a préféré, qu’est-ce qui nous a mis moins à l’aise, qu’est-ce qui nous a manqué, qu’est ce qu’on voudrait refaire, ou pas, la prochaine fois s’il y en a une. Bien sûr ces discussions n’auront pas toujours le même aspect, ni la même exhaustivité. Elles seront infiniment variables selon si elles ont lieu avec un•e inconnu•e que je rencontre en ligne ou une personne familière que je croise dans une soirée ou encore mon partenaire régulier. Mais ce qui compte c’est que ce canal de communication est ouvert, plutôt que de rester chacun•e de son côté à tâtonner dans le noir en se fiant au mythe que « ça se sent, on a pas besoin des mots ».
Le tournant sexpo
Après cette découverte, j’ai mis mon masochisme entre parenthèses pendant quelques années. C’était une période où de toute façon je n’avais pas beaucoup de partenaires, et des relations plutôt foireuses. J’ai repris mon exploration des plaisirs de la douleur quand j’ai commencé à fréquenter le milieu sexpo. Ce sujet mériterait que je lui dédie une brochure entière mais pour résumer, c’est un milieu où on explore comment la sexualité peut être vecteur d’épanouissement et de plaisir plutôt que de honte et de tabou, ça passe beaucoup par l’exploration de ses désirs, la pratique du consentement et de nombreuses discussions et activités, plus ou moins engageantes au niveau sensuel/sexuel.
Ça m’a pris du temps pour explorer mes kinks*, même si depuis le premier événement sexpo auquel j’ai participé, fin 2021, j’y retourne de manière assez régulière.
Cette lenteur a, je pense, plusieurs raisons. Déjà le fait que certaines pratiques puissent avoir l’air plus intimidantes que d’autres et par conséquent que ma réponse réflexe tend souvent à être « oula c’est pas pour moi je vais même pas aller voir » plutôt que « mmm j’ai jamais essayé, j’avais même jamais imaginé que ça existe et je sais pas si ça va être mon délire mais je vais tenter ! ». Par exemple tout ce qui est uro*, aiguilles, bloodplay*, pet play* même si j’ai pu avoir l’occasion d’essayer, je n’ai jamais osé franchir le pas, même encore aujourd’hui ! Il y a aussi le fait que le BDSM regroupe un trèèèèès grand nombre de pratiques (oui, ça mériterait que je donne une définition de BDSM, si tu ne peux pas attendre, file à la page 25 !) et en me tenant éloigné de celles qui m’intimident ou me déplaisent a priori, je loupe des occasions.
Par exemple j’ai participé à un week-end sexpo où une domina était invitée pour animer une cérémonie. Elle est arrivée un peu avant pour partager le dîner avec nous. Elle s’est assise et a ordonné à un des soumis qui l’accompagnait de se mettre à quatre pattes devant elle pour lui servir de table où poser son assiette. L’humiliation n’est pas ma tasse de thé, après avoir vu ça je me suis dit que la cérémonie ne serait sûrement pas à mon goût, alors je n’y ai pas participé alors que peut-être j’aurais beaucoup aimé ce qui était proposé ! De la même façon lors d’un autre événement, il y avait en plus de la playroom* un espace de donjon, comme une playroom dédiée au BDSM, j’y étais au moment de l’installation à fixer des guirlandes lumineuses et j’ai vu qu’était mis en place sur un banc un assortiment de godes et de marteaux qui m’ont semblé si effrayants que je n’ai pas osé remettre les pieds dans cet espace de tout le week-end ! Et pourtant j’adore les jeux d’impact* ! Au contraire quand une personne que je connais un peu a proposé un atelier « morsures », j’étais là en avance pour m’assurer de ne pas le louper. L’équation « est ce que c’est une personne qui m’est familière / en qui j’ai déjà confiance qui anime » et « est ce que c’est une thématique que je connais / apprécie déjà » joue pour beaucoup dans ma capacité à me rendre ou non, dans les espaces qui sont ouverts dans le cadre de ces événements.
Malgré toutes ces réticences, le cadre des événements sexpo se caractérise pour moi par l’ouverture des possibles : des choses qui ne sont pas accessibles dans la vie courante deviennent des scénarios plausibles. J’arrive à me lancer pour proposer ou demander qu’on me fasse mal et à accepter de tester des pratiques qui me sont encore inconnues.
Il y a un peu trois types d’expériences. Celles avec des amies qui me proposent de tester une activité qu’elles aiment bien, c’est comme ça par exemple que j’ai essayé pour la première fois le waxplay* ou le shibari*. Celles dans le cadre d’adorations* où j’ai l’opportunité de demander certaines choses. Dans ce cadre j’ai pu demander des choses qui m’intriguaient (me faire marcher dessus par exemple) ou que je sais apprécier (me faire mordre par exemple, j’ai un très beau souvenir de m’être fait mordre par trois bouches en même temps à différents endroits du corps !)
Le dernier type d’expériences est celui d’interaction à deux pendant des moments de sexualités de groupe. Ce n’est pas systématique mais il arrive dans les événements sexpo qu’il y ait des moments de type orgie, c’est à dire un certain nombre de personnes dans une pièce, réparties en petits groupes plus ou moins mouvants qui sont engagés dans différentes interactions sensuelles ou sexuelles. C’est un cadre qui est pour moi assez propice pour faire des demandes, il m’est arrivé plusieurs fois dans ces occasions d’aller trouver une personne avec qui j’avais déjà échangé au cours de l’événement et avec qui j’avais envie d’interagir pour faire une proposition de type « j’aime qu’on me fasse mal est ce que ça te fait envie ? » et ça a produit des beaux moments !
Trouver un•e partenaire régulièr•e
Faire toutes ces expériences m’a donné envie de poursuivre ces activités de manière plus assidue que seulement au cours des événements auxquels je participe, car c’est assez régulier mais ça reste occasionnel (un week-end tous les trois à six mois). J’ai pu avoir l’occasion de revoir en dehors un partenaire rencontré lors de ces événements mais comme ceux que je fréquente sont plutôt en région parisienne et que j’habite en province ce n’était pas le plus pratique.
On m’a parlé de Fetlife*, qu’on m’a présenté comme le réseau social des personnes kinky et le moyen de rencontrer des partenaires de BDSM donc je me suis lancé et j’ai créé un profil. Ma photo était un littéral panier de chaton*, et j’indiquai être painslut*, non-binaire, de 30 ans cherchant quelqu’un•e avec qui jouer / un•e Dom et j’avais renseigné la ville de province où je vis. Suite à mon inscription j’ai eu trois discussions. La première que j’ai lancé moi, avec un jeune Dom de la même ville, qui avait affiché des fétiches* correspondant aux miens (affectionate domination, biting*, spanking*, cuddling*, face slapping*, hair pulling*, threesomes*… je vous invite à aller sur fetlife.com juste pour voir la très longue liste des fétiches à cocher qui donne une bonne idée de l’ampleur des activités possibles au sein du BDSM) et surtout qui disait des choses que je trouvais rassurantes dans sa description comme l’importance du consentement, de la confiance mutuelle et de l’honnêteté. La conversation, quoi que maladroite, se passait bien mais quand je lui ai proposé qu’on se rencontre en vrai pour pouvoir discuter plus à l’aise que sur la messagerie du site il m’a dit qu’il aimerait bien savoir à quoi je ressemblais d’abord. On s’est donc échangé des selfies et suite à ça il n’a plus répondu donc j’ai conclu que ma tête ne lui revenait pas et ça en est resté là ! Un autre jeune homme m’a contacté mais quand on a partagé nos intérêts il s’est avéré qu’on avait pas grand chose en commun, en plus le fait qu’il ait dix ans de moins que moi ne me mettait pas très à l’aise, ni le fait qu’il répondait à mes questions du type « qu’est ce qui te plait dans la pratique du BDSM ? » par « je sais pas trop ». Je ne dis pas que tout le monde devrait se poser autant de questions que moi sur le pourquoi et le comment de ses désirs mais bon, comme moi j’aime bien le faire, je préfère avoir des partenaires qui partagent cet intérêt pour qu’on puisse échanger ! Un troisième homme m’a contacté et j’étais sceptique dès le début parce qu’il insistait dans sa description sur le fait qu’il voulait être le « guide » de ses partenaires, leur partager son grand savoir dans le domaine et, autant je reconnais que j’ai peu d’expérience et que j’ai à apprendre de celleux qui en ont plus, autant ça me dérange de partir sur cette base de déséquilibre, sur cette supériorité de sa part « je sais tout et je vais verser mes connaissances parfaites dans ton cerveau vide ». La conversation s’est terminée quand on cherchait une autre plateforme pour discuter que le chat du site et qu’il me proposait deux applis que je n’ai pas (je suis millenial, donc je ne suis ni sur Skype ni sur Snapchat déso !), refusait mes autres propositions en se contentant de me donner des ordres « télécharge Snapchat immédiatement ! ».
Bref j’étais un peu blasé de fetlife et je commençais à me demander si j’allais finir par trouver chaussure à mon pied et puis j’ai participé à un week-end en non-mixité trans et sur le tableau des petites annonces j’ai lu « j’habite dans ta ville de province et je cherche une personne pour pratiquer le BDSM régulièrement, appelle moi ! » Bingo ! On s’est rencontré pour discuter, on a vu que nos profils et nos envies étaient très compatibles et depuis on se voit régulièrement dans mon grenier pour jouer ensemble et c’est très doux. C’est juste le début alors je ne sais pas trop à quoi ça va ressembler mais ça me plait de pouvoir explorer une relation qui se construit plus sur la durée avec tout l’enrichissement de mieux se connaître et se faire confiance qui va avec.
Pourquoi ?
Maintenant que j’ai détaillé mon parcours, de la première fois où j’ai trempé un orteil dans le bain à maintenant, je vais approfondir plus les raisons qui me poussent à poursuivre ces pratiques.
Dissiper un malentendu
Une clarification sur le masochisme pour commencer. Je ne peux pas parler au nom de toutes les personnes qui trouvent du plaisir dans la douleur, mais je pense que mon vécu est partagé par la majorité : si je me cogne un orteil dans un meuble ou si je souffre d’un mal de crâne, je n’ai pas de plaisir dans cette douleur là !
Peut-être que les cerveaux des masochistes sont câblés différemment et que pour certaines personnes douleur et plaisir peuvent se rapprocher au point de se confondre là où pour d’autres ça ne sera jamais le cas, peu importe les circonstances, mais je ne pense pas que ce câblage différent fasse que toute douleur = du plaisir.
Une comparaison avec les jeux de société
Comme beaucoup d’activités auxquelles on s’adonne, je pense que le BDSM ne fait pas tant sens en lui même, de manière abstraite, que pour les sensations qu’il procure, les expériences qu’il permet de vivre.
Par exemple, un grand nombre de personnes, dont je fais partie, apprécient de jouer à des jeux de société. Si on fait un pas de recul pour l’analyser, cette situation peut sembler absurde. Quel intérêt y a-t-il à se rassembler autour d’une table pour agencer des losanges de couleur sur un plateau, pour former des mots à partir de lettres figurants sur des cubes en plastique ou encore essayer de désamorcer une bombe imaginaire en coupant des fils avec des ciseaux en carton ? Poser la question sous cet angle n’apporte pas de raison satisfaisante car ce n’est pas l’activité en soi qui est porteuse de sens sinon ce qu’elle permet de traverser. Quand je joue, je ressens de la concentration et de l’excitation face au défi pour suivre les règles, aussi arbitraire soient-elles, et tenter de l’emporter face à mes adversaires, ou dans le cas des jeux coopératifs, atteindre la victoire ensemble. Je ressens du plaisir lorsque j’arrive à relever les défis que présente le jeu, en réfléchissant pour établir une stratégie, en étant le plus aux aguets possible pour réagir avec rapidité lorsque c’est nécessaire, les éléments de hasard qui peuvent être présents rajoutent des difficultés et du piquant car je dois composer avec pour essayer malgré tout d’atteindre mon but…
C’est la même chose dans le jeu BDSM. L’idée en soi de me faire mordre et recevoir des coups ne possède pas d’attrait en elle-même mais il se trouve que, quand dans le cadre d’une scène où on suit certaines règles du jeu, si une ou des personnes me soumettent à ce mélange d’impact et de caresses, de douceur et de brutalité, il se passe dans mon corps des choses délicieuses, et c’est cela que je recherche.
Être dans mon corps
Je passe beaucoup de temps dans ma tête, je réfléchis trop, je sur-analyse, je décortique tout, j’observe… c’est fatiguant et pourtant je ne sais pas faire autrement. Alors pour me soulager de tout ce temps que je passe à penser et essayer de tout comprendre et prédire, j’ai différentes pratiques qui me sortent de mon esprit. Par exemple j’adore faire du désherbage parce que le côté répétitif est très méditatif pour moi ! Et le BDSM c’est une autre manière d’arriver à ce vide du cerveau. L’impact et les autres formes de chocs et manœuvres douloureuses faites à mon corps ne me laissent pas d’autre choix que d’être présent, d’être dans l’instant, de mettre toute mon attention dans mon corps et dans les ressentis de mes sens, je ne peux pas aller me perdre dans mes idées quand je suis ramenée de manière si impérieuse à mon corps. Une fois, dans un cours de yoga, l’instructrice proposait de faire une posture d’équilibre et soulignait que cela est une manière aussi de s’ancrer dans le corps et dans le présent : quand on doit concentrer son énergie sur comment sont placés et équilibrés les membres de notre corps pour éviter de tomber, on n’a pas la possibilité de s’égarer dans ses pensées.
Il y a un cliché qui dit que les personnes qui aiment être soumises dans le BDSM sont souvent des personnes qui dans leur vie professionnelle ou personnelle portent beaucoup de responsabilités, de stress et de charge mentale et qu’elles ont donc l’envie d’avoir un espace où elles lâchent prise totalement et remettent à quelqu’un•e d’autre la responsabilité de prendre les décisions. C’est un équilibre assez beau je trouve, entre les Doms et les subs, certain•es tirent du plaisir de cette position de maître d’orchestre, de guider l’autre à travers une expérience qu’iels ont imaginé et certain•es tirent du plaisir de s’en remettre à l’autre entièrement.
Recherche de sensations fortes
On perçoit l’environnement où on évolue à travers nos sens et ces informations sont transmises au cerveau qui les interprète en données en tentant d’y assigner du sens. Et dans ce processus, il y a un cocktail d’hormones qui entrent en jeu et qui peuvent rendre une expérience excitante et intense. Faire passer son corps à travers un phénomène qui va le secouer pour ressentir des sensations plaisantes est une expérience humaine commune. Consommer des substance psychoactives, se jeter d’un avion dans le vide avec un parachute sur le dos, s’harnacher dans un wagon qui fonce à toute allure dans des montagnes russes… tous ces comportements cherchent à atteindre le même objectif : ressentir des sensations « fortes », qu’on n’expérimente pas dans la vie de tous les jours.
Le BDSM ça marche aussi. Je pense à ces exemples, le saut en parachute et les montagnes russes, parce que je trouve que c’est très similaire dans le fond : il s’agit de jouer à se faire peur. On éprouve la sensation de tomber dans le vide et l’adrénaline qui va avec, tout en ayant la sécurité d’être à l’abri dans le manège/grâce au parachute. Dans les jeux d’impact aussi je joue à avoir peur : si je joue avec une personne qui prend un paddle* pour me mettre des fessées de manière répétitive et monotone je vais un peu m’ennuyer. Alors que ce qui ajoute beaucoup de piment et d’intérêt au jeu, c’est quand la personne qui tient le paddle feinte, fait un coup dans le vide ou fait semblant de lever le bras pour frapper mais ne le fait pas. Là je suis sur les charbons ardents, à jouer avec l’anticipation et la « peur » alors que je sais que je n’aurais jamais plus mal que ce que je peux tolérer.
Vive l’inventivité
Pour moi, le BDSM est un espace presque infini de créativité. J’aime faire des choses créatives de manière plus traditionnelle - en dessinant, en faisant du théâtre ou en inventant des histoires - et j’apprécie d’avoir cet autre espace de jeu. Comme pour toutes les activités, la pratique BDSM demande de la variété pour ne pas perdre de sa saveur. Je ne voudrais pas manger le même plat à tous les repas, ni lire et relire le même roman dix fois d’affilée, le plaisir vient de la diversité et du renouveau. De la même façon, je m’ennuierai si toutes les scènes se déroulaient avec la même succession d’actes, les mêmes accessoires utilisés de la même façon à chaque fois.
En plus en tant que sub je me sens assez chanceux : ce sont les Doms qui jouent avec moi, qui se creusent la tête pour inventer de nouvelles activités et manières d’utiliser les jouets, moi j’ai juste à venir avec ma bonne volonté et les regarder s’exécuter (mais on va pas les plaindre non plus hein, selon leur témoignage c’est un kif pour eux aussi d’imaginer de nouvelles tortures).
C’est un truc de cadriste
L’opposition cadriste/fluidiste est une terminologie que j’ai seulement entendue parmi mes ami•es, peut-être qu’il y a une autre manière de distinguer ces deux profils plus répandue. En tout cas ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a des gens qui aiment bien, pour le déroulement d’événements en tout genre, quand les choses sont prévues à l’avance, quand il y a un programme, quand il y a des règles énoncées clairement dès le début (ce sont les cadristes) et d’autres gens qui aiment plutôt que les choses soient spontanées, improviser, voir sur le moment (ce sont les fluidistes).
Moi je me retrouve dans la première catégorie, que ce soit pour organiser un atelier, un festival, un week-end entre copaines ou quoi, je préfère quand c’est carré et qu’on anticipe au maximum. Donc forcément, un type de relation où c’est un fonctionnement normal que de mettre les choses à plat, discuter en long en large et en travers de nos envies et désirs pour chercher des compromis, de mettre l’accent sur la communication et l’écoute, où on peut poser à l’avance des limites qui ne seront pas remises en cause ni dépassées… ben c’est très rassurant pour moi et je préfère ça au modèle de relation amoureuse/sexuelle standard qui est plutôt de l’ordre de « on a pas besoin d’en parler car ça se sent » et où je passe beaucoup de temps dans l’incertitude à essayer de deviner ce que pensent et désirent mes partenaires selon leurs actes, plutôt que d’en parler ouvertement.
Et mille autres possibles
C’était un résumé de mes motivations à faire du BDSM : ça répond à mon besoin d’avoir des interactions cadrées où je parle beaucoup avec mes partenaires sur nos attentes respectives, ça répond à mon besoin de sortir de mon cerveau pour me retrouver dans mon corps et le mélange de douleur et de douceur que je reçois produit dans mon cerveau un mélange d’hormones qui me font kiffer.
Interrogez cent autres adeptes du BDSM et vous aurez cent autres réponses qui auront certains points communs et d’autres spécificités qui leurs sont unique, par exemple je n’ai pas parlé du tout, car ce n’est pas ma pratique, de l’aspect plus psychologique qui fait que ce qui motivent et excitent certain•es ça peut être la symbolique, les idées d’appartenir à l’autre ou d’être humilié•e.
Mais ça tombe bien car la prochaine partie est dédiée à rencontrer d’autres parcours, à travers un interview, un extrait de livre traduit et un de podcast !
Interview
Est-ce que tu peux te présenter, situer d’où tu parles ?
Je dirais que dans le cadre de ma sexualité ce qui est important c’est dire que je suis un mec trans, bi, blanc et valide. C’est les biais sur lesquels je fonctionne. La sexualité ça a été très compliqué pour moi pendant longtemps, ma transition m’a un peu permis de reprendre possession du truc et le BDSM a aidé aussi.
Est-ce que tu veux essayer de me donner une définition du BDSM ?
C’est hyper compliqué… Moi j’associe ça à l’idée du jeu et à l’expansion de la créativité sur le corporel. Ça peut être sexuel ou pas. C’est vraiment lié à l’exploration. Quand j’ai commencé, je me suis dit « oh damn je vais vraiment pas me faire chier un jour dans ma vie ! ».
Comment tu y as eu accès ?
C’est une bonne question… Pour résumer ça a été un long parcours, j’ai été sensibilisé à travers pleins de petites actions. C’est des graines qui ont germé progressivement, une espèce de montée en puissance.
De base j’avais un peu une appétence pour le truc, je trouvais ça intéressant, et je me projetais dans le côté un peu dangereux, sale, transgressif.
J’ai commencé à m’acheter des sex toys à pratiquer sur moi différents types de sexualité, notamment ce que je connaissais du BDSM comme le shibari et l’impact. Aussi j’ai participé au WEP, un week-end entre PD, où il y a des ateliers donc j’ai pu participer à un atelier impact et une play party. Là j’ai vu que ça me plaisait beaucoup, j’aimais énormément et je voulais développer ça. J’ai fait différents évènements, j’ai testé des choses avec des partenaires et j’ai organisé une play party avec des copains sur Lille.
Attends tu dis ça en toute simplicité mais c’est un sacré défi non ? Comment tu en es arrivé à organiser une play entre potes ?
Ce qui s’est passé c’est qu’on s’est réuni, on était cinq à avoir envie. Moi j’avais fait un voyage au nouvel an et j’avais participé à un évènement où il y avait une play. Ça m’a donné une envie de le reproduire, ça m’avait fait beaucoup de bien ce moment-là. J’avais envie de faire vivre ça à d’autres, des instances de découverte du BDSM. Et au final dans la play qu’on a organisé, on était que deux à avoir de l’expérience BDSM, les autres avaient envie mais n’avait jamais trouvé de plateforme pour pouvoir le faire.
Tu peux me raconter plus en détail ?
On a décidé d’une journée complète : le matin on se réunit et on établit les règles avec lesquelles on a envie de vivre dans la journée. Ensuite on a parlé en petit groupe de nos envies et nos craintes et on a fait un point sur le consentement. On a parlé de la pratique BDSM et comment on fait des négociations, des points à aborder (génitalité ou pas, partie du corps qu’on peut toucher), comment tu checkes tes envies et celles de tes partenaires. Puis l’après-midi on a calé les ateliers (aiguilles, impact, discussion sur la pratique BDSM, fessée…) et le soir on a fait la play. Pour cet évènement on s’était dit pas plus de 30 personnes et que des personnes qu’on connait, au moins de loin, genre pote de pote. On avait fait ça en mixité exprès et c’était intéressant, y avait des mecs trans, des meufs trans, des mecs cis, des meufs cis, des PD, des lesbiennes, des bi•es…
Au final c’était chez un pote dans sa maison, on était qu’une quinzaine mais c’était bien, plus ça aurait été compliqué à gérer. On a commencé tôt, genre 20h et on a fini tôt, à 1h du mat on a rangé toustes ensemble et on a fait un debrief puis on est parti.
Et c’était comment ? La sauce a pris même si c’était que des nouvelles personnes ?
C’était hyper chouette, on a eu beaucoup de retours positifs !
J’avais invité des gens qui était intéressés par le BDSM mais qui se sentaient un peu intimidés et ne savaient pas si iels allaient se lancer pour participer à la play. Mais c’était aussi notre envie de désacraliser le BDSM. C’est une pratique comme une autre, ça a ses règles mais ça peut être simple, facilement mis en place. Il y a pas besoin de tas d’accessoires ou d’un gros donjon.
Le fait de passer toute la journée ensemble, parler en petit groupe le matin, manger ensemble à midi et le soir, se pimper ensemble pour la soirée… ça a créé du lien et ça a bien pris ! Et puis la soirée était dans la continuité des ateliers, éviter les pensées du type « il faut absolument que j’ai du sexe » et plutôt avoir une approche de découverte, tenter des trucs si on a envie, si on en a marre on arrête.
Toi c’est quoi qui t’intéresse dans ces pratiques ?
Je trouve ça extrêmement fun, dans le sens vraiment amusant, drôle. C’est de l’ordre du jeu, je trouve ça très agréable.
Le BDSM que je pratique le plus sur moi c’est l’impact. Y a une reprise de contrôle et il y a des sensations tellement différentes de la sexualité. C’est presque de l’ordre de l’extase parfois, sans prendre de prod. C’est fou, à la fois la connexion à maon ou mes partenaires et la sensation de mon corps qui est hyper concentrée, parce que je suis obligé de me concentrer là-dessus. Y a un aspect très jouissif dans le sens corporel et intellectuel. C’est aussi un moment pour challenger ses propres limites.
Je trouve ça hyper beau quand je fais de l’impact, de voir comment maon partenaire réagit, de voir son souffle se modifier… on est obligé d’être connecté ensemble sinon ça va pas bien se passer pour les deux ! Evidemment y a ça dans le sexe aussi mais c’est une autre forme de connexion.
Quel rôle tu prends toi ?
Je suis switch donc un peu les deux mais je dois reconnaitre que j’aime beaucoup recevoir de l’impact. Très fort, je veux pas que ça me caresse le corps, je veux que ça me défonce, qu’il y ait des marques, que ça saigne. J’aime bien donner de l’impact fort aussi mais j’ai remarqué que… c’était pas ce que les gens préféraient.
T’as pas encore rencontré la personne qui peut recevoir ce que t’es prêt à donner !
J’aime bien aussi l’impact surprise, j’aime trop prendre des objets chelous et faire de l’impact avec. Ce moment de « je pensais pas que cet objet pouvait faire cette sensation sur mon corps ». Du coup c’est pas forcément lié à de la douleur en terme de sensation. Quand je suis en top ce qui m’intéresse plus c’est la découverte sensorielle de l’autre. De lui faire découvrir des zones de son corps qu’iel ne pensait pas qu’elles existaient ou des sensations dans son corps qu’iel ne pensait pas possible.
C’est ça que tu as en tête quand tu parles de la dimension intellectuelle ou c’est encore autre chose ?
Pour moi la dimension intellectuelle c’est dans les jeux de rôles. Y a un coté très ludique. J’ai fait des scènes sur des principes complètement cons mais très drôles.
Par exemple j’ai fait une scène de waterboard, c’est-à-dire maintenir la tête de la personne dans de l’eau, et le scénario c’était que j’étais un stagiaire dans l’entreprise et ma patronne voulait que je dénonce les personnes syndiquées. C’était absurde et hyper drôle.
Une autre scène c’était de dire qu’on était un hôtel luxueux, on avait un spa et le client devait venir pour qu’on s’occupe de lui et comme il avait voté Macron au premier tour on lui marravait sa gueule, on le frappait, on crachait sur ses objets de luxe.
J’adore ! Y a un petit truc politique dedans à chaque fois…
Oui on avait besoin d’expier quelque chose je crois...
En même temps c’est le pouvoir du jeu, de pouvoir réaliser ces scénarios là !
C’est ça, cette liberté. Et puis le BDSM ça t’oblige à devenir créatif, devoir sortir du schéma je te caresse le sexe et je te touche les tétons… j’ai rien contre ça mais le BDSM offre la possibilité de prolonger le plaisir.
Est-ce que t’as déjà expliqué à une personne qui ne connait pas ça, pourquoi toi tu aimes te faire taper dessus ?
Je décris ça de manière purement physiologique : quand on te tape ton cerveau produit des endorphines, donc logiquement tu vas être défoncé, par ton propre cerveau, ça te fait du bien. Y a aussi une sublimation, c’est ton corps t’en fais ce que tu veux, tu prends cher avec ton corps et c’est une décision consciente. Pour moi c’est salvateur. Je sais pas si c’est vrai ou pas, ma psy me dit que principalement les gens qui pratiquent le BDSM c’est des gens qui ont des traumas…
Mouai je sais pas si c’est nécessaire d’avoir des traumas pour sentir que c’est empouvoirant de dire « c’est moi qui décide et qui pose le cadre au lieu de subir ».
Quand même je constate que ces milieux sont remplis de gens qui ont eu des difficultés à des moments de leur vie, et je vais pas les juger parce que je le fais moi-même et je compte pas arrêter puisque ça me fait énormément de bien, c’est une autre forme de thérapie de me réapproprier ma douleur ou de l’infliger à quelqu’un qui est volontaire. Par exemple quand je fais de l’impact c’est que la personne me fait suffisamment confiance pour que je puisse lui faire mal et que ça soit ok. Et puis c’est une relation que je n’aurais pas ailleurs. Moi j’aime trop frapper les gens mais si je ne pouvais pas le faire dans le cadre du jeu j’en ferais quoi ? Autant trouver des gens qui veulent le faire avec moi, qui sont contents de le faire.
C’est quelque chose que je connais pas encore, moi j’ai toujours reçu. Qu’est ce qui te fait kiffer dans le top ?
Voir la personne transformer sa douleur en plaisir, parce que tu le sens. Le faire sur l’autre c’est voir ce plaisir du laisser-aller, de l’abandon. La personne qui reçoit n’a rien à faire, juste attendre, elle est dans la surprise en permanence. Elle est dans ce jeu de « qu’est ce que tu vas faire qui va me faire mal ? qui va me surprendre ? ». C’est hyper jouissif. De voir ce qu’elle attend, de lui donner autre chose puis la surprendre… c’est magique.
J’ai aussi le plaisir très sadique de voir les marques sur le corps. Je me dis « on a joué suffisamment pour que tu puisses avoir ces marques et que ça se passe bien ». De même que moi, quand on me fait des marques je me sens hyper fier d’avoir réussi à avoir ces marques là.
Après pour moi c’était hyper important de savoir d’abord la sensation que ça me fait, tout ce que je fais je le teste d’abord sur moi. Même si on a toustes des corps et des sensations différentes, je peux sentir et un peu connaitre l’expérience. Ça m’aide et ça me rassure parce qu’en tant que top j’ai peur de dépasser les limites de la personne, d’aller trop loin.
Est-ce que pour toi la symbolique c’est important ?
Je suis mi figue mi raisin sur la symbolique. J’ai vraiment du mal avec le sexe CNC*, j’ai jamais pratiqué ni vu mais j’ai pas envie pour l’instant de le voir ou le recevoir. Pareil pour l’humiliation, même si j’en ai fait. J’ai un amant qui aime trop être humilié et ça m’amuse de le faire parce qu’il adore ça, et on a vraiment mis les règles etc. mais je trouve ça compliqué… Après moi si j’aime la douleur c’est pour reprendre du contrôle sur les douleurs que j’ai pu ressentir avant, du coup je me dis que l’humiliation c’est le même principe : se le réapproprier, se dire c’est moi qui l’ai choisi, c’est ce qui me fait bander donc je peux comprendre. Comme une sublimation de ce qui s’est passé.
Comme c’est un jeu tout est permis. C’est un jeu négocié c’est ça qui est beau, avec la personne ou le collectif, par exemple les jeux de sang, on se met d’accord avec le groupe sur ce qui est possible dans un espace. On prend soin les uns les unes des autres. Ça permet de naviguer dans des espaces où tu es bienvenu.
Est-ce que tu dirais que ça forme un tout entre les négociations, le jeu et le debrief ?
Le jeu tout seul ça marche pas. Ce qui redonne de l’intellectualité dans le BDSM c’est le debrief. On s’exprime ce qui s’est passé pour nous, on verbalise ce qu’on a ressenti dans notre corps. Evidemment la séance d’impact en elle-même est incroyable mais après l’aftercare où je suis avec mes amant•es à faire des câlins et parler ce qui a marché ou moins bien marché… ce moment-là est indissociable, et pareil pour la négociation. De mettre les choses au clair, de sentir l’énergie monter. C’est pas possible, en tout cas ça ne m’est jamais arrivé, de faire une scène sans négo et sans debrief.
T’as des conseils pour les personnes qui débutent pour que ça se passe bien ?
Ça aide énormément d’aller a des sex party ou des play party pour la question de la représentativité. Voir les gens jouer ça permet de se rendre compte des différentes scènes, des possibilités qui existent. Ça ouvre des imaginaires.
Si t’as pas envie d’aller dans ces espaces là, ce que je peux comprendre parce que c’est déjà un degré élevé d’implication, je dirais essayer de le faire en mode date, soit avec soi même, soit avec un•e partenaire. Se dire je vais prendre un peu de temps pour moi, voir de quoi j’ai envie. Par exemple avec la bougie, je me suis prévu du temps, j’ai essayé sur différentes zones pour voir ce qui me plaisait ou pas. C’est de prendre un temps dédié à ça avec ton esprit pleinement là dedans, comme tu le ferais pour une autre activité, sportive ou artistique. Pareil avec un•e partenaire, on découvre ça ensemble.
Ce que je donne aussi en introduction c’est une liste en ligne de pratiques BDSM avec une case aimerait recevoir / une case aimerait donner (avec une gradation de jamais jamais à oui carrément). Donc se poser pour y répondre et partager avec ses partenaires. Ça permet de se donner des idées, quand on a pas l’habitude on peut se dire que c’est intimidant, qu’on sait pas par où commencer. Et quand t’as choisi une activité tu peux y dédier du temps et explorer, comme dans un atelier. Par exemple j’ai participé à deux ateliers fessées et c’est fou tout ce qu’on peut faire juste avec des fessées. C’est incroyable !
Dis m’en plus !
Dans l’atelier, on était en binôme et on donnait puis on recevait la fessée avec beaucoup d’expérimentation. L’objectif était pas de faire mal mais de créer des sensations. Il y a pleins de variations possibles : selon la position de la main, la partie de la fesse tapée, la fréquence, le rythme. C’est trop bien de tripper comme ça !
Je reviens un peu en arrière mais imagine je suis une personne qui lit ce fanzine et ton conseil c’est « va à des sex party » ben je vais dire cimer mais comment je fais pour qu’on m’y invite ?
Oui ça a été une grosse difficulté pour moi aussi d’avoir accès aux personnes ressources qui emmènent vers cet univers là. Comme toute chose dans la vie ça se fait de fil en aiguille. Aller à un évènement queer, rencontrer des personnes, parler un peu de cul… Plus tu vas être explicite sur ce que tu recherches plus tu vas trouver facilement des gens qui répondent à tes besoins. Mais il faut arriver à expliciter, à être au clair avec soi même. Dis toi que les gens autour de toi sont aussi en manque de cul ! Quand j’ai commencé à parler de cul, avec des personnes qui en ont envie et qui sont à l’aise de parler de ça, j’ai rarement eu des gens qui me disent « ah ouai non », les gens me disent plutôt « j’ai trop envie de ci, de ça » alors je réponds « ben vas y, on le fait ! »
Tu m’as parlé de faire des trucs que tu fais seul, tu arrives à te faire auto kiffer ou c’est plus dans l’optique d’explorer des possibilités ?
Je fais des trucs qui me font plaisir aussi ! J’ai pas encore rencontré de pratique, sauf l’humiliation, où je pouvais pas avoir de rôle switch donc quand je teste sur moi ça me fait extrêmement plaisir.
Je prends du temps pour me faire des séances de masturbation, généralement une heure. Parce que j’incorpore des éléments de BDSM dedans. Je vais commencer par du shibari pour me mettre en jambe tranquillement, après je vais faire du téton play après je vais faire un peu d’impact puis me caresser le sexe puis refaire de l’impact etc.
Ce qui est bien c’est que je suis avec moi-même, si ça rate y a rien à perdre, pas de grande conséquence si je me fais mal à moi-même, au-delà du respect des règles de sécurité de base genre je fais gaffe à ce que je me mets dans le cul et je me mets pas une bougie dans les cheveux !
Et est ce que du coup quand tu te fais des choses à toi-même c’est comme avoir les deux rôles en même temps ?
Non, c’est vraiment encore un autre rôle parce que la sensation est pas la même. Un peu comme quand tu te masturbes ou quand quelqu’un te masturbe : c’est pas la même chose.
A quoi ressemble ta pratique aujourd’hui en plus de ce que tu viens de me décrire ?
Je pense qu’elle est encore vraiment en construction, je suis encore un novice et je suis très content parce que j’ai pleins de trucs à faire. Ma pratique elle ressemble à moi qui veut faire des play toutes les semaines. Mais la réalité ressemble pas à ça, sinon je serai mort probablement ! L’énergie qui me porte c’est d’essayer de créer des espaces collectifs pour vivre ça. Et j’aimerais réussir à me créer des espaces BDSM avec un ou deux partenaires, pour explorer, ce que je fais déjà un peu mais pas suffisamment.
Moi j’aurais peur de dire ça à des ami•es et de faire ça avec des personnes proches mais avec qui j’ai pas l’habitude de partager de la sexualité.
Je comprends. Clairement j’ai des ami•es qui ont pas envie de partager de la sexualité avec moi parce que c’est clair que la sexualité c’est avec leur partenaire et leurs ami•es c’est leurs ami•es. Mais moi pour avoir vécu des moments entre potes en soirée où tout le monde est à poil et commence à se faire des massages et tout… c’est trop bien en vrai pourquoi on fait pas ça plus souvent ?! Et puis le BDSM, c’est pas que ça m’a appris à désexualiser les gens, mais ça m’a donné ce rapport de « je suis pas obligé d’être attiré par la personne pour faire une pratique BDSM avec », y a pas de pression sexuelle. Pareil pour sexer avec tes potes. C’est chouette si vous passez un bon moment ensemble et puis si vous commencez à vous caresser et à avoir du plaisir ben amusez vous bien, et le lendemain vous en parlez, vous vous tapez un bonne barre et c’est fini. C’est une activité comme une autre, comme aller à la plage.
C’est une déconstruction et c’est encore en cours pour moi. J’ai envie de le vivre parce que je trouve ça agréable. Ça c’est fait progressivement, quand je l’ai vécu la première fois, je me suis dit que ça me faisait du bien, d’assister à des play party où je vois mes potes avoir de la sexualité et sentir que je suis pas gêné… ça se fait pas du jour au lendemain genre « je vais baiser avec mes ami•es haha trop fastoche » C’est des petites étapes. Et on est toustes différentes sur comment on voit les choses mais j’aimerais tendre vers une perspective où la sexualité ça peut être un moment comme un autre, où une soirée sexe c’est pas plus impliquant qu’une soirée film.
Est-ce que t’as quelque chose à dire sur l’intersection queer et BDSM ?
Comme je l’ai fait que dans des contextes queer pour moi c’est un non sujet.
Lors de la première play qu’on a organisé s’est posée la question de la mixité, à la fin j’ai dit à mes potes je veux que ce soit des soirées queer ça veut dire qu’on peut pratiquer avec n’importe qui, sans attirance spécifique pour ce type de corps ou ce type de corps. Ça permet de jouer avec des partenaires que tu trouve pas spécialement attirant•es mais c’est pas un problème… En tout cas le queer est indispensable à ma sécurité. En tant que mec trans c’est compliqué d’aller dans une sex party gay si je connais pas a minima l’organisateurice et que je sais qu’iel est ok avec la présence de personnes trans, et que je sais qu’il y en aura d’autres.
Est-ce que pour toi le BDSM ça pose pas un problème avec le féminisme ?
Je vois pas en quoi c’est pas féministe de se réapproprier les codes d’une domination et de la faire par toi-même.
Oui ben c’est lié à la question précédente, si on sort du schéma où c’est un mec cis qui tape sur une meuf cis c’est moins questionnant de ce point de vue là.
Oui je sais que c’est un débat, du fait que malheureusement on retrouve souvent dans le BDSM des schémas du mode dominant. Mais imaginons dans un couple cis hétéro, si la pratique est bien faite, iels négocient bien leur scène de domination, iels jouent et débriefent. Ben le gars il a répondu à son script et dans la vraie vie il arrive à ne pas mettre ces scripts en avant. Qu’ils restent de l’ordre du jeu au lieu de se dérouler la réalité. Quand on a été élevé dans un certain pattern, on peut s’en dissocier évidemment mais c’est aussi une zone de confort. Alors pouvoir le reproduire en BDSM dans un cadre consenti, peut être ça permet à la personne d’expulser ça de son système.
Hum je l’avais pas vu comme ça ! Bon merci beaucoup Gankey pour ton temps et tes partages !
Mind map du BDSM
Extrait de Hurts so good de Leigh Cowart
Grâce au podcast de Lina Dune, « ask a sub », j’ai découvert Leigh Cowart, ce qu’iel disait en interview m’a donné très envie de lire son livre et je n’ai pas été déçue ! Le sous titre est « la science et la culture de la douleur faite exprès » et c’est une exploration très large des différentes façons de pratiquer le masochisme. J’y ai appris pleins de choses sur le fonctionnement du corps et du cerveau en lien avec la douleur, par exemple, si se couper avec du papier est si douloureux, c’est que nos doigts sont une des parties du corps les plus densément couvertes de capteurs sensoriels ! Ou bien si on a le réflexe, quand on vient de se cogner, de frotter la zone qui vient de prendre le coup, c’est parce que l’information passe par les mêmes canaux donc ça réduit effectivement la douleur ressentie. Je vous partage un extrait provenant de l’introduction, qui montre tous les domaines où apparaissent des tendances masochistes, même si on n’a pas l’habitude d’en parler en ces mots. La traduction est de moi.
À quoi pensez vous quand vous imaginez un•e masochiste ?
Un investisseur en capital risque, couvert de lubrifiant et serré dans une combinaison en latex, ses petites fesses tremblant alors que Maitresse brandit son fouet ? Ou la souple et timide Anastasia Steele de Fifty Shades, participant à un style d’abus coercitif qui a peu de ressemblance avec le monde du BDSM sain et consenti ?
Peut-être que vous voyez une personne qui court un marathon, parcourant un nombre infernal de kilomètres sous un soleil de plomb, faisant une pause pour vomir dans un massif d’hortensias face à une cour de récréation remplie de bambins curieux, persévérant toujours plus vers une ligne d’arrivée lointaine. Ou bien un•e accro du piment, jurant dans son curry, les joues rosies et le front perlé de sueur ? Quand je dis masochiste, vous imaginez-vous une personne couverte de tatouages, le visage brillant de piques de métal et d’anneaux argentés ? Quid des masochistes qui courent et plongent dans des flots glacés au milieu de l’hiver ? Ou quelqu’un•e qui se ronge les cuticules jusqu’au sang ? Ou les danseuses de ballet classique ? Celleux qui font de la boxe ? Ou est ce que vous vous voyez vous-même ?
Voyez vous le motif qui se répète ? Toutes ces personnes choisissent délibérément de ressentir de la douleur. Si on prend en compte les efforts faits par les humains en recherche de confort et pour éviter la douleur, pourquoi ces personnes font-elles une chose pareille ? Que pensez vous qu’iels obtiennent de cette recherche de la douleur ?
Ce que j’essaye de montrer, ici et dans le livre entier, c’est que le masochisme peut être sexuel, mais ne l’est pas systématiquement. En fait, bien souvent, souffrir pour le plaisir a très peu à voir avec nos organes génitaux et leurs désirs. Et bien qu’il est vrai que le mot moderne pour souffrir par plaisir vienne de la trique d’un Autrichien du dix-neuvième siècle, la réalité est qu’il est beaucoup plus large. Le sexe est peut-être la drogue de passage qui nous amène à parler du masochisme mais le masochisme est tellement plus qu’un kink.
Aujourd’hui, quand j’utilise le mot masochiste, je décris quelque chose d’universel, d’intemporel, d’humain : l’acte délibéré de choisir de se sentir mal pour ensuite se sentir mieux. De sentir de la douleur exprès. Les gens utilisent cette tactique depuis longtemps, consentant à souffrir pour pouvoir profiter du soulagement biochimique qui suit un stimuli douloureux. Ce n’est pas bizarre. Et ce n’est pas rare.
Cette idée de masochisme, ce trait humain de se sentir mal pour se sentir mieux, n’est pas une proposition totale, sans compromis, en réalité c’est plutôt un continuum ou même une série de continuum qui se chevauchent. Si celleux qui courent des ultramarathons sont des masochistes, que dire de celleux qui courent des marathons ? Après tout iels aussi se font caca dessus, et perdent des ongles d’orteils tout le temps. Si les gens qui se baignent dans l’océan en hiver sont masochistes, que dire de celleux qui utilisent les piscines froides dans les saunas ? Est-ce un acte masochiste que de s’asperger d’eau glacée à la fin de sa douche ? Si danser sur des pointes est masochiste, qu’en est il de prendre des cours de pole dance qui laissent des bleus dans la chair tendre derrière les genoux ? Et que dire du GN (jeu de rôle grandeur nature) avec ses armes élaborées et rembourrées qui font mal, mais ne blessent pas ?
Ça ne semble pas exagéré de présumer que toutes ces activités, et les raisons pour lesquelles on les fait, puissent avoir quelque chose en commun. Après tout, nous pilotons toustes des versions similaires du même costume de viande hanté. Il n’y a pas d’expérience humaine sans un corps, les émotions sont aussi physiques que le fait de respirer. Elles viennent toutes de l’intérieur, comme les pensées et les pets et diverses odeurs. Et quand vous ou moi ou quiconque joue avec la douleur exprès, nous sommes, d’une certaine manière, en train d’utiliser les résultats de millions d’années d’évolution pour réaliser une sorte de biohacking. Nous faire nous sentir mieux en nous sentant d’abord comme de la merde. C’est amusant, peut-être que vous aimeriez ça.
A mon sens, le masochisme est un comportement très humain, et un qui n’a que rarement à voir avec le sexe. Je ne nie pas que le masochisme sexuel soit une de mes facettes préférées. Mais, comme nous allons l’explorer, le masochisme est tout simplement, absolument, partout. Par exemple, commençons par un des exemples les plus intense : les ultramarathons. Je ne pense pas que qui que ce soit remettrait en cause le fait qu’un être humain qui court plus de 300km en une seule fois sans s’arrêter pour dormir soit masochiste. On peut supposer que pour entreprendre un effort aussi significatif qu’un marathon de plusieurs jours à travers le désert, la personne qui participe doit retirer quelque chose de ses souffrances. Et il est certain que ce n’est pas toujours l’argent. Bien que certains ultramarathons offrent des prix en cash, l’argent pour la victoire n’est pas encore monnaie courante dans ce sport (bien que ça puisse changer). Le Big Backyard Ultra, par exemple, une course jusqu’au dernier coureur debout, largement considérée comme la course la plus sadique qui soit, ne remet aucun prix, seulement des gages de participation. Ces gens poursuivent ces exploits par amour de l’expérience. En poussant leurs corps jusqu’à la limite, ce qui peut signifier être aveuglé par la poussière ou régurgiter toute nourriture qu’on tenterait d’avaler, à un niveau fondamental, l’ultramarathonien•ne recherche la douleur délibérément. Je suppose qu’iels en retirent quelque chose, pourquoi sinon le feraient-iels ? Il doit y avoir une sorte de récompense interne. […]
Quand on regarde ma vie dans son ensemble, mon expérience personnelle avec le masochisme a été le plus souvent non sexuelle. J’ai fait de la danse classique, j’ai fait du sport à outrance, j’ai été boulimique et je me suis automutilé, j’ai une passion pour les tatouages et je suis journaliste scientifique. J’ai utilisé mes tendances masochistes dans mon intérêt, dans ma vie personnelle et professionnelle et j’ai utilisé mes tendances masochistes pour me faire du mal, bien qu’aujourd’hui je les utilise surtout pour m’amuser, sauf quand j’écris un livre. Ce que ces activités et compulsions ont toutes en commun, est qu’elles impliquent que j’utilise délibérément mon propre corps, ses phénomènes physiologiques, pour me sentir mal, et pour me sentir mieux. Je choisis de souffrir pour récolter une récompense très spécifique. Les endorphines sont une sacrée drogue.
Quand je parle de masochisme et de souffrance, je ne parle pas de n’importe quel type de souffrance. Un aspect crucial du masochisme est que ça doit toujours être consenti. Sinon, ce n’est pas du masochisme. Point final. Ce dont je parle ici n’est pas la souffrance généralisée. L’acte de souffrir couvre une zone beaucoup plus large d’expérience humaine. Si on ne peut pas décider d’arrêter la souffrance, alors ce n’est pas du masochisme. Ça ne se qualifie pas comme tel. Une personne qui choisit de courir malgré la douleur ou de soulever un poids phénoménal jusqu’à ce que ses muscles crient d’agonie est masochiste. Une personne qui est forcée à faire ces choses contre sa volonté est une prisonnière ou une esclave. Ça ne veut pas dire qu’une personne ne peut pas trouver du sens dans une souffrance à laquelle elle n’a pas explicitement consenti, après tout beaucoup de gens le font, mais je dirais que profiter de la douleur en dehors de situations consenties est plus un mécanisme de défense que du véritable masochisme, lequel requiert choix, consentement et autonomie. Ceci dit, de nombreuses personnes appliquent les principes du masochisme à la souffrance pour pirater leurs corps, peut-être pour rendre l’expérience un peu plus supportable. La douleur après tout est intimement liée au système dans votre corps qui vous fournit une délicieuse préparation de morphine faite maison.
Le genre de masochisme dont je parle est basé sur l’idée que la personne qui le pratique a l’option de mettre fin à la souffrance qu’elle a choisi de s’infliger. Une personne dans un ultra marathon peut s’arrêter de courir. Une personne dans un concours où on mange des piments peut refuser de manger le piment suivant, bien que, comme on le verra plus tard, les conséquences gastriques de ses actions soient non négociables. Une personne dans une scène de BDSM peut utiliser son safe word. La capacité à contrôler la scène et arrêter la souffrance est une des pierres angulaire du masochisme, il faut le souligner. Si une scène BDSM continue après que le safe word ait été dit, c’est de l’abus. Si une personne est forcée de continuer à courir contre sa volonté, c’est de la torture. Je ne veux pas laisser d’ambiguïté sur le fait que la souffrance dont je parle dans ce livre est complètement consentie et sous le contrôle de cellui qui la demande ou la réalise.
Maintenant que ceci est clair, je veux vous montrer que le champ du masochisme s’étend bien au delà des chambres à coucher et des donjons, le choix d’inviter la douleur dans nos corps est partout autour de nous, dans les salles de sport, les restaurants et les plages en hiver. C’est empouvoirant et effrayant, sain et dangereux. C’est repousser vos limites et voys sentir vivant•e et mordiller une coupure sur votre lèvre jusqu’à avoir le goût du fer dans votre bouche parce que faire ça, d’une certaine manière, semble vous faire vous sentir mieux. Pour résumer, le masochisme est partout. Alors pourquoi est ce qu’on n’en parle pas ?
Fin de l’extrait de Hurts so good par Leigh Cowart
Intermède visuel
Pour votre divertissement, voici une sélection de mes memes préférés sur le BDSM. Je les ai glané au fil du temps sur Instagram et malheureusement je n’ai pas toujours l’info pour les créditer.
Quand tu lui as dit que tu étais un monstre, une bête au lit mais que tu n’as pas été spécifique.
Quand il n’y connait rien au shibari mais que tu passes quand même un bon moment.
Ouai je kiffe grave le BDSM, que des gros chiens me fassent des câlins ! @brownroundboi
Extrait du podcast Le plaisir dans la douleur avec Paul Bloom
L’extrait qui suit est une traduction des premières minutes d’un épisode du podcast All in the Mind où un professeur de psychologie parle de ses recherches autour du masochisme. Les parties en gras et italique correspondent aux interventions de la journaliste, Sana Qadar. La traduction est de moi.
J’ai toujours été curieux de pourquoi, parfois, on aime souffrir. C’est facile d’expliquer pourquoi les gens aiment la nourriture, le sexe, être en bonne compagnie, toute sorte de choses plaisantes, mais c’est un vrai casse-tête d’expliquer pourquoi on choisit souvent de se mettre dans des situations impliquant douleur, effort et souffrance. Pourquoi on aime les plats épicés et pourquoi certain•es d’entre nous vont voir des films qui les font hurler de peur, certain•es s’entrainent pour des marathons ou des triathlons… je me suis pris d’intérêt pour cette question.
Paul Bloom est professeur de psychologie à l’université de Toronto et cette question, pourquoi on cherche parfois la douleur en en tirant du plaisir est le sujet de son livre The sweet spot [1]. Mais ce n’est pas que la douleur dans le but d’avoir du plaisir qui l’intéresse, c’est aussi comment le fait de traverser la douleur et des difficultés peut donner du sens.
Considérons une personne qui a une vie pleine du plaisir le plus intense, elle reçoit en continu une dose de drogue délicieuse qui lui permet d’être euphorique en permanence et elle passe sa vie entière allongée sur une table, sous l’effet de cette drogue. Peut-être cette personne est elle heureuse si on l’entend au sens de ressentir beaucoup de plaisir mais je pense qu’on peut regarder cette situation et se dire, quelle vie horrible !
Est ce qu’alors un certain degré de douleur et de souffrance peuvent nous aider à mener une bonne vie ? (…)
Pouvez vous commencer par expliquer si tout le monde tire du plaisir d’un certain degré de souffrance ou de douleur ? Sommes nous toustes attiré•es par ça ?
Je n’ai jamais rencontré quelqu’un•e qui ne le soit pas, d’une manière ou d’une autre. Les usages peuvent varier, certaines personnes n’aiment pas du tout les films d’horreur mais aiment le sexe sadomasochiste, d’autres n’aiment pas la nourriture épicée mais aiment l’exercice physique très intense… cela diffère selon les gens. On parle là de souffrir en y cherchant du plaisir mais il y a aussi de la souffrance qui fait partie d’un projet de vie plus large, comme élever des enfants, aller à la guerre, escalader des montagnes… et les gens diffèrent là aussi, mais je pense que tout le monde partage cet élan.
Pouvez vous expliquer un peu plus ce que vous entendez par douleur ou souffrance ?
Quand j’ai commencé le livre, je m’intéressais aux cas où on s’inflige de la douleur à nous-mêmes de manière contrôlée, pour passer un bon moment, comme une source de plaisir. Mais en y réfléchissant plus, en avançant dans l’écriture, en lisant et en parlant aux gens, je me suis rendu qu’il existe une notion plus large. Souvent nous choisissons de souffrir et cela fait partie d’une vie bien vécue. Il y a des gens qui ont des enfants, n’importe qui ayant des enfants sait combien ça peut être difficile, combien on en bave, mais ça ne vaudrait pas tant la peine si ce n’était pas si difficile ! Et c’est la même chose pour bien des choses que nous recherchons dans la vie. Je pense qu’avoir une vie qui a du sens passe par se mettre dans des situations qui impliquent des difficultés, du stress, la possibilité d’un échec. J’entends la souffrance à la fois de manière spécifique, par exemple en mangeant un plat très pimenté, mais aussi de manière plus générale, de faire des choix de vie qui supposent des difficultés.
D’accord, d’un côté ça semble un peu contre-intuitif mais d’un autre ça paraît évident.
C’est vrai que c’est assez évident, d’une certaine manière je ne fais que réciter des sagesses anciennes tirées de la philosophie ou de la religion. Si tu dis à une personne qui est bouddhiste ou catholique pratiquante qu’une bonne vie implique des souffrances, elle te regardera en disant « vraiment ? Tu viens de le découvrir ? Ça fait un moment qu’on est au courant ». D’une certaine façon c’est du bon sens, c’est ce qu’on entend quand on dit « on a rien sans rien » [2], on comprend qu’on cherche parfois ce qui fait mal. Et en même temps c’est contre-intuitif et les psychologues, philosophes et neuroscientifiques ont tendance à l’oublier. Beaucoup de gens se contentent de l’idée que nous sommes hédonistes, que le plaisir et notre seul but.
Venons en plus en détail aux sortes de douleur et de souffrance dont vous parlez, en commençant par le masochisme bénin. Qu’est ce que c’est ?
C’est un terme créé par un psychologue, Paul Rozin, il parlait des cas où l’on se donne des doses contrôlées de douleur afin d’augmenter notre plaisir. Il pensait à des cas où l’on se met dans une position d’avoir peur ou d’être triste mais tout en restant en sécurité.
Par exemple en regardant un film ?
Exactement. Ou quand tu as mal à une dent et que tu joues avec avec ta langue, ou quand quelqu’un vient te voir et te dis « tu veux voir un truc dégueu ? », la plupart des gens répondront « oui d’accord » même si le dégoût est une sensation déplaisante. Alors j’explore différentes théories de pourquoi on fait ça. Il y a toutes sortes de réponses.
Une réponse est le contraste. Le cerveau est une machine à différencier et on expérimente les choses, le plaisir inclus, pas en terme d’absolu mais en terme de différences. Alors une manière d’avoir plus de plaisir est de le faire précéder d’un peu de douleur.
Il y a une blague qui parle d’un gars qui se cogne la tête contre un mur, quand on lui demande pourquoi, il dit « ça fait tellement du bien quand j’arrête ». Bon c’est une blague nulle mais ça capture bien ce fonctionnement : parfois tu te remplis la bouche de nourriture piquante parce que c’est si bon ensuite de prendre une gorgée de bière, ou tu te mets dans une baignoire d’eau brûlante parce que quand elle refroidit un peu c’est délicieux.
Est ce qu’on peut donner d’autres exemples de contrastes et parler de pourquoi ça augmente le plaisir ?
La nourriture a meilleur goût quand tu es vraiment affamé•e, ralentir pour marcher est agréable quand tu courais juste avant et que tu es essoufflé •e. Un autre exemple que je mentionne dans le livre est de visiter un sauna en Finlande. Les gens s’y rendent de leur plein gré, mais si tu venais de Mars et que tu observais les humains, tu te demanderais : pourquoi iels se mettent dans des pièces où il fait si chaud que ça les met dans un grand inconfort ? La réponse est en partie que lorsque tu en sors pour plonger dans un lac, c’est merveilleux. Il n’y a pas de meilleur raccourci pour atteindre des sensations délicieuses que de les mettre dans un contexte où les précèdent un certain degré de douleur.
Mais il n’y a pas que le contraste, d’autres éléments entrent en ligne de compte pour le masochisme bénin, dont le sentiment de maîtrise, de contrôle. Parfois c’est très satisfaisant de se mettre dans une mauvaise situation sachant qu’on peut le supporter, que c’est sous notre contrôle.
Il y a aussi le fait que parfois une expérience douloureuse peut te permettre de t’égarer, c’est une drôle de manière de le dire mais parfois nos têtes sont pleines de bruits, de distractions, de choses agaçantes, une petite voix qui parle tout le temps, la conscience du passé et du futur, nos inquiétudes, nos hontes, des questions sur ce que les autres pensent de nous… et certains états, notamment ceux où on ressent de la douleur, oblitèrent ça. Si tu parles à un•e athlète de ses exercices physiques de haute intensité, iel te dira que quand iel les fait, le plus souvent iel ne pense à rien d’autre, et il y a du plaisir à ça aussi.
Guide DIY pour fabriquer un martinet
Questions ouvertes
Est ce que c’est pas anti féministe ? ou Comment concilier mes valeurs féministes et la pratique BDSM ?
Dans un épisode de son podcast intitulé « soumission sexuelle et slut shaming », Florence Given répond à deux questions d’auditrices autour de cette thématique. La première dit que dans la vie de tous les jours, elle est déterminée et grande gueule, mais que dans sa sexualité elle préfère être soumise et se demande quoi faire de cette apparente contradiction. Floss lui répond gaiement « If you do enjoy being submissive then fucking own it ! » qu’on peut traduire « si tu kiffes être soumise alors assume ! ». Elle continue en disant qu’on est pas la même personne au lit que dans la vie extérieure et qu’il n’y a pas de valeur morale liée à nos préférences sexuelles et aux rôles qu’on adopte, tant qu’on est dans des pratiques consenties et qui nous plaisent tout va bien. La seconde question est autour du lien entre nos fantasmes et le conditionnement du monde patriarcal : à quel point une posture de soumise est elle inculquée aux femmes par la société ? Et si ça vient du patriarcat devrait on essayer de repousser ces fantasmes ? Ce à quoi Floss répond qu’on aime ce qu’on aime et tant que ça nous fait du bien alors tout va bien.
Dans un épisode de son podcast intitulé « faux•sses Doms, vrai•es Doms et comment la soumission peut-elle être féministe ? », Lina Dune répond à une question similaire de la part d’une auditrice « la soumission est elle féministe ou perpétue-t-elle les violences faites aux femmes ? ». Elle commence par un rappel, toutes les personnes qui sont soumises ne s’identifient pas comme femmes donc la question serait plutôt est-ce qu’une situation où une femme est soumise à un homme peut être féministe ? Elle admet que si on regarde de l’extérieur, si on épiait une scène par la fenêtre , il semble que la sub n’a aucun pouvoir et que celui qui la top l’a entièrement. Mais si on a déjà joué, on sait qu’à l’intérieur de la scène la sub possède une part de pouvoir équivalent par sa capacité à arrêter la scène. Si on envisage le féminisme comme les femmes ayant du pouvoir alors oui une soumise est féministe. Elle rappelle que la seule manière pour qu’il y ait un échange de pouvoir est qu’à la base les deux personnes aient du pouvoir - on ne peut pas donner ce qu’on a pas.
Malgré les apparences, il y a à mon sens plus de féminisme dans une scène BDSM où une sub se fait insulter et fouetter par son partenaire quand c’est fait dans de bonnes conditions (les éléments de la scène ont été décidés d’un commun accord en amont, le Dom est à l’écoute, il y a de l’aftercare* ensuite etc.) que dans une relation sexuelle vanille* où la pratique aura peut-être une apparence plus « douce » et consensuelle mais où il peut y avoir de nombreux éléments de violences qui ne sont pas visible (chantage émotionnel, manipulation, absence de communication claire et honnête sur les envies de chacan…).
Queeriser la pratique me semble aussi une bonne solution pour sortir de ce malaise où on peut avoir l’impression qu’une scène de BDSM fait trop penser à une scène de violence conjugale. Quand je suis avec mon partenaire et qu’il porte des talons aiguilles rouges et des faux ongles je kiffe le genderfuck* de la situation.
Même si certaines représentations mainstream du BDSM peuvent donner l’impression que les interactions dans ce milieu reprennent tous les clichés de genre en les empirant, c’est à dire le macho qui exerce sa domination sur une femme soumise, il y a en pratique une grande diversité qui casse ces codes. Des personnes de tous les genres peuvent jouer n’importe quel rôle : une meuf cis peut dominer un mec cis, une meuf trans peut dominer une meuf cis, une personne non binaire peut dominer une autre personne non binaire… il n’y a pas de limites ! Et justement, ces renversements de rôles peuvent être empouvoirants, une amie m’a partagé que dans une soirée où elle n’était pas à l’aise sur comment elle pouvait être perçue, elle avait regagné de la joie et de la confiance en jouant à dominer des hommes - avec qui elle avait déjà pratiqué par ailleurs.
Il y a pas suffisamment de violence et de souffrance dans le monde, il faut venir en rajouter une couche dans les pratiques récréatives ?
J’ai une forte dissonance cognitive sur cette question. J’évite autant que possible d’assister à des représentations de violence. Ainsi j’esquive au maximum les films avec des scènes de combat (je ne me suis toujours pas remis de Sin city que j’ai vu au cinéma à 12 ans…) et autres divertissements de type MMA (à l’exception de la série GLOW avec une bande meufs catcheuses !), jusqu’à très récemment je fuyais les scènes de playfight* - je ne me suis réconcilié avec ces jeux de bagarre qu’après avoir participé à une initiation à des formes de lutte traditionnelles, lors d’un atelier d’autodéfense féministe je n’ai voulu ni prendre part ni observer un exercice consistant à feindre de se mettre des baffes, ça me mettait mal de regarder des gentes se taper dessus, même pour de faux, même pour apprendre à se défendre.
Et pourtant, moi j’adore qu’on me tape dessus.
Je suppose que je n’ai pas de meilleure réponse que : « ce qui compte c’est que ce soit consenti » et « parfois la fin justifie les moyens ».
Aussi, dans le podcast « à quoi tu jouis » Pascale St Onge et Gabriel.le Beauregard répondent à la question « est ce que le BDSM est forcément violent ? » en disant que non car « c’est du jeu de sensation, c’est éclater les modèles de l’érotisme, fait que c’est aussi du BDSM d’être attaché•e pis de se faire chatouiller avec une plume, y a rien de violent là dedans. Y a toutes sortes de façons d’entrer dans ce grand acronyme là. Jouer avec des glaçons ou se bander les yeux c’est du jeu de sensation. »
Pourquoi on aime ça ? TW viol
Certaines personnes cherchent à trouver des explications, l’histoire de l’origine de leurs kinks. Ce n’est pas mon cas. Il n’y a pas d’évidence - aucune figure d’autorité ne m’a donné de claque ou de fessées dans mon enfance- et je n’ai pas cherché à creuser plus loin.
Certaines personnes se réconcilient avec leurs trauma en revivant des scènes qu’elles ont vécu sans consentir dans leurs pratiques kinky, ce n’est pas mon cas non plus donc je ne peux pas témoigner plus la dessus. Néanmoins je trouve que de manière globale la pratique BDSM peut être un moyen de se réconcilier avec des vécus douloureux. J’ai été violée et je trouve ça très rassurant de pouvoir avoir des relations où il y a autant de place pour parler, se mettre d’accord sur des envies communes et où je sais que maon partenaire est à l’écoute, veut que je lui dise si c’est toujours ok pour moi et s’arrêtera si je lui demande. Bien sûr que le consentement est un muscle qui a besoin d’être entraîné et peut toujours s’améliorer, que selon les circonstances et l’état de fatigue et d’autres variables on est plus ou moins capable de s’écouter soi / d’écouter l’autre… mais dans l’ensemble j’ai l’impression de partir d’une base beaucoup plus sécure, où je n’ai pas à redouter qu’un de mes partenaires entre dans mon lit en pleine nuit pour me pénétrer par surprise ni ne répète avec insistance « mais si allez » quand je dis non.
Comment savoir quelles sont nos limites ?
Pour moi c’est un travail en cours et qui ne termine jamais…
Déjà, même si comme je le dis dans la réponse précédente, je sais que mon « non » est bienvenu, et même nécessaire pour la personne qui me dom, que je suis légitime de dire « stop » ou « moins fort » à tout moment, j’ai quand même grandi et vécu toute ma vie dans la culture du viol et aller contre cet enseignement de « subis et tais toi » n’est pas évident.
Ensuite les limites fluctuent selon les circonstances, et puis je manque d’expérience pour savoir où sont les miennes à certains endroits. Un outil courant en BDSM c’est la qualibration* : au début d’une scène læ Dom/top donne des coups avec une force croissante et læ sub/bottom dit à haute voix un chiffre de 1 à 10 pour chaque coup reçu. On considère en général que 1 équivaut à « ça me titille à peine » et 8 à « plus fort que ça, ça sera trop pour moi ». Mais comment savoir qu’un 8 est un 8 ? Comment savoir sans avoir reçu plus fort encore que décidément oui, là c’est trop ? Comment savoir où est ma limite sans la franchir ? Parfois je sens que je pourrais dire « stop » parce que ce que je ressens est presque insupportable mais ma curiosité me demande « mais qu’est-ce qui vient ensuite ? Est ce que je ne suis pas capable d’encaisser encore un peu plus ? » Il peut y avoir un enjeu de fierté, de me montrer à moi même ma résistance et mon endurance et aussi de vouloir impressionner maon partenaire. Et puis il y a des choses pour lesquelles je change d’avis ! Je me souviens d’une partenaire qui connaissait les points d’acuponcture et qui m’a donné un coup de poing sur un de ces points. C’était incroyablement douloureux, ça m’a surpris et j’ai dit « euh non stop je n’aime pas ça » et puis ça m’a intrigué et j’ai dit « en fait tu peux refaire pour voir ? » et on a joué avec ça longtemps et j’ai adoré.
Enfin il y a la limite nébuleuse entre ce que j’aime recevoir parce que j’aime ce que ça me fait ressentir, et ce que j’aime recevoir parce que je sais que maon partenaire aime le donner, et je kiffe de læ faire kiffer. Je trouve que l’outil de la roue du consentement** aide à rendre ça visible. C’est la différence entre ce que j’aime recevoir pour mon propre plaisir donc que je demande à ce qu’on me donne en opposition à ce que l’autre veut me faire pour son propre plaisir et que je lui permets de me faire. Mais bon, même avec cette distinction, j’ai du mal à ne pas me perdre dans mes désirs et parfois je nourris avec enthousiasme un fantasme qui n’est pas le mien…
Quelle est la différence avec l’automutilation ?
Je n’ai pas trouvé d’autres témoignages sur le sujet alors je ne sais pas s’il est courant ou non que les deux expériences se recoupent.
Personnellement j’ai utilisé plus jeune des formes d’automutilation mais je le vois comme assez différent de la pratique BDSM. Quand je me faisais mal à moi même, c’est vrai qu’il y avait quelque chose d’assez similaire à mes douleurs de soumis : je le faisais pour essayer d’éteindre mon mental. Mais c’est parce que je sentais une détresse psychique si intense que j’avais la sensation qu’elle allait m’engloutir, et le fait de me faire mal était un moyen de transformer cette souffrance intense en quelque chose de plus contenu, de limité. La souffrance dans ma tête pouvait sembler immense, s’étendre sans jamais finir alors que quand je me faisais mal, la souffrance avait un début et une fin, et aussi une existence matérielle ce qui la rendait plus supportable, plus facile à porter.
Mais je dirais que cette façon là de me faire mal était ancrée dans un grand mal être, une croyance que j’étais bonne à rien, sans valeur, de vouloir me faire mal pour me punir de ma nullité, dans une détestation de moi même alors que dans le BDSM la douleur physique est juste un moyen d’atteindre quelque chose d’agréable. Soumettre mon corps aux coups d’un•e Dom n’est pas le résultat du fait qu’il soit mauvais, à corriger, ne méritant pas le soin ni le respect. On en riait d’ailleurs ensemble avec un partenaire qui essayait de me punir, une punition a-t-elle du sens si la personne qui la reçoit s’en régale ? C’est un phénomène connu qui est représenté par le mot valise « funishment », la rencontre du fun et de la punition. Quand les subs adorent se faire donner la fessée, leurs Doms devront faire preuve d’imagination si iels jouent un scénario de discipline avec des punitions.
Outils
RBDSM
Cet acronyme permet de se rappeler des points dont il peut être bon de discuter avec un•e nouvelle partenaire (ça marche dans toutes les relations, même hors BDSM).
R - Relations
Avec qui j’ai déjà des relations, quel engagement, quelles limites, est ce que j’ai déjà interagi avec des personnes que tu connais…
B - Boundaries = limites
Quelles sont les limites que je ne veux pas dépasser (ex. concernant des activités à ne pas pratiquer, des parties du corps à ne pas toucher, des mots à éviter, se donner ou non de l’affection en public…)
D - Désirs
De quoi j’aurais envie avec toi, là et plus tard ? (C’est super dur d’avoir la vulnérabilité d’oser parler de ses désirs mais il est garanti que personne ne sait lire dans les pensées et que vous n’avez pas de meilleure chance de réaliser vos fantasmes qu’en faisant une proposition !)
S - Santé
J’en suis où dans ma santé sexuelle (est ce que je me suis fait dépister récemment, est ce que j’ai connaissance d’avoir en ce moment une MST, est ce que j’ai eu des pratiques à risque récemment, est ce que j’ai une forme de contraception…).
M - meaning = signification
Qu’est ce que je mets derrière cette interaction ? Ça veut dire quoi pour moi de faire du sexe ensemble, de faire des câlins, de s’embrasser, de dormir dans le même lit, de rencontrer les ami•es de l’autre, de partager un repas, de s’envoyer des messages pour se raconter nos vies ?
C’est mon propre résumé, vous pouvez trouver une version plus détaillée ici et si ça cet acronyme vous parle bof il y a aussi la version RIB DSL (en plus ça parle de biais !)
Mon propre questionnaire
Voici une liste de questions que j’ai préparé en compilant plusieurs sources et ce que moi j’avais envie de partager / savoir. C’est adapté à ma pratique personnelle, sentez vous libre de l’utiliser comme base en l’adaptant à vos besoins.
Détailler par activité* ce qu’on a envie et pas envie (en précisant quelle intensité, quelle zone du corps et quel instrument si pertinent et si on a l’habitude ou pas)
Activités : impact lourd, morsures, griffer, pincer, pétrir, marcher sur, tirer les cheveux
Qu’est-ce que j’ai envie d’entendre ? Qu’est-ce que j’ai pas envie d’entendre ? Quels mots je veux que tu utilises pour parler de mon corps ?
Quel degré de nudité est ok ?
Quel degré de génitalité ?
On est comment sur ces autres activités : privations sensorielles (bander les yeux, boucher les oreilles), s’enlacer, s’embrasser
Quels safe word* utiliser ?
Est ce que tu as des potentiels trigger* ?
Quelles préférences pour qu’on se checke mutuellement ?
Est ce que c’est ok de laisser des marques ?
La roue du consentement
C’est une manière de présenter le consentement qui fait la différence selon qui fait l’action et à qui elle fait plaisir. Ces variables dépendent de chaque situation et pas du type de proposition qui est faite, par exemple « recevoir un massage » peut être vu comme une activité qui profite à la personne qui le reçoit mais si je fais une formation de massage et que j’ai besoin de m’entraîner, consentir à se faire masser par moi peut être un service qu’on me rend.
Cette manière de présenter les choses fonctionne avec deux oppositions : donner / recevoir et prendre / accorder. Toujours dans l’exemple du massage, si A demande à B « j’aimerais que tu me fasses un massage », B va donner le massage et A le recevoir, alors que si B demande à A « j’aimerais m’entrainer pour ma formation en te faisant un massage », B va prendre la possibilité de masser et A va l’accorder.
Plus de détails sur les tenants et aboutissants de ces dynamiques ici.
Inspiration : objets que vous avez déjà chez vous et utilisables pour une scène BDSM
Glossaire
NB : ce glossaire n’est pas exhaustif, il est déjà long et pourtant j’aurais pu continuer sur des pages et des pages, je vous laisse continuer par vous même vos recherches et découvrir l’existence et le sens d’autres mots tels que ursusagalmatophilie ou sthénolagnie.
Adoration : dans le milieu sexpo, c’est un moment facilité, c’est à dire où une ou plusieurs personnes posent un cadre et aident le groupe à suivre le déroulé. La proposition est de permettre un moment où, chacan son tour, les participataires pourront recevoir ce qu’iels demandent (dans la limite du consentement des personnes qui leur donneront évidemment). Il y a de nombreuses modalités possibles : fonctionner par groupes prédéfinis où le groupe reste le même ou bien ouvrir et pouvoir aller visiter plusieurs personnes, donner les instructions sur ce que l’on veut recevoir à l’écrit ou à l’oral… le point commun reste la possibilité, pour une fois, de pouvoir se concentrer sur ce qui nous est fait, là où souvent dans des interactions sensuelles ou sexuelles, on s’inquiète d’être à un certain équilibre entre ce que l’on donne et ce que l’on reçoit.
Aftercare : retour au calme, moment où læ Dom prend soin de læ sub selon ce qui lui fait du bien, ça peut être des câlins, manger un snack ou boire de l’eau, être seul•e sous une couverture, debriefer…
Ageplay : jeu de rôle basé sur faire semblant d’être plus vieux ou jeune qu’on ne l’est
Biting : mordre
Bloodplay : jeu impliquant de faire couler du sang (avec des aiguilles, couteaux…)
Brat / brat tamer : sub qui aime jouer à désobéir / personne qui aime essayer de faire obéir un•e brat
Breathplay : jeu sur la respiration ((se faire) étrangler ou étouffer)
Cage de chasteté : objet installé autour du pénis et des testicules, empêchant l’érection
CNC (consensual non consent) : pratique consentie en amont qui consiste à faire semblant pendant la scène de ne pas consentir (dire non, stop etc.)
Cuddling : faire des câlins
Drop : redescente, parfois triste ou dure à traverser, quand toutes les délicieuses hormones vécues pendant la scène s’estompent du cerveau
Edging : amener une personne proche de l’orgasme puis la laisser redescendre, plusieurs fois à la suite
Face slapping : donner des claques au visage
Fétiche : pratique spécifique en lien avec un objet, une partie du corps, une matière (des exemples clichés : les culottes, les pieds, le latex)
Fetlife : réseau social du BDSM, vous pouvez y avoir des « ami•es » et « suivre » des personnes qui y postent des photos ou des textes, être informé•e sur la tenue d’événements, rejoindre des groupes avec des personnes ayant des intérêts communs…
Food play : jouer avec de la nourriture (par exemple l’étaler sur le corps d’une personne et manger à même sa peau)
Genderfuck : qui emmerde les normes de genre
Hair pulling : tirer les cheveux
Head space : espace mental particulier où on peut se trouver lorsqu’on pratique, on peut distinguer le sub space et le Dom space.
Kink : « déviance assumée », pratique qu’on aime spécifiquement et qui sort de la norme
Knife play : jouer avec un couteau / objet tranchant
Munch : apéro de rencontre entre pratiquant•es, se tient en général dans un bar et on demande de venir dans une tenue passe-partout.
Paddle : objet relativement plat et large pour frapper
Painslut : personne qui aime qu’on lui fasse mal
Panier de chaton : proposition de s’allonger en groupe dans un endroit confortable, tout le monde un peu sans dessus dessous, en se touchant doucement éventuellement (le niveau de nudité et d’intensité dans les interactions peut varier mais de base c’est une proposition peu impliquante, avec beaucoup de douceur). On dit aussi cuddlepuddle
Petplay : jouer à être des animaux
Playfight : se battre mais pour rire, jouer à la bagarre
Play party : après-midi ou soirée de jeu
Play room : lieu se tiennent généralement les cérémonies, temps de groupe pour l’organisation et certains ateliers dans un événement sexpo. Imaginez une grande salle et tout le sol couvert de matelas.
Primal (hunter/prey) : montrer son côté sauvage/animal, dans un jeu entre prédateurice et proie
Qualibration : exercice pour aider læ Dom/top à mesurer le ressenti de douleur chez læ sub/bottom selon l’intensité appliquée, se fait au début d’une scène
Relation D/s vs. top/bottom : dans la relation D/s, læ Dom prend le pouvoir sur læ sub pendant la scène (et potentiellement au delà, au sein d’une relation qui s’étend plus largement), alors que quand on parle de top/bottom, on enlève cette dimension de domination pour se référer seulement au fait qu’une personne fait l’action (top) et l’autre reçoit (bottom). L’utilisation des mots top/bottom vient à l’origine de la communauté gay, dans ce contexte top désigne la personne qui pénètre et bottom la personne pénétrée.
Rigger/rope bunny : personne qui aime attacher / être attachée
Safe word : mot ou geste pour arrêter la pratique. Ça peut être pour arrêter complètement ou pour faire une pause, réajuster. J’ai l’impression que c’est une blague hors de la communauté BDSM de dire que le safe word doit être un mot qui n’a rien à voir pour qu’il soit bien entendu genre « girafe ! » ou « jumanji ! » mais à mon sens, tant qu’on ne joue pas avec de la CNC (consensual non consent) ça peut être « non » ou « stop » tout simplement ! Une autre pratique courante est d’utiliser des couleurs : vert = tout est okay / orange = j’ai un léger inconfort ou je suis proche de ma limite mais on peut continuer / rouge = stop. Selon la pratique envisagée (si la personne est bâillonnée par exemple), on peut aussi se mettre d’accord sur un geste.
Scène : nom donné à un moment de jeu partagé entre des partenaires
Service top : la personne qui fait les actes le fait pour le plaisir de celle qui reçoit uniquement, de manière désintéressée
Shibari : pratique d’attache à l’aide de cordes, faite autant pour l’aspect de contrainte que pour l’esthétique, issu de la tradition japonaise.
Soft limit / hard limit : une hard limit ou limite « dure » est une limite que, a priori, vous ne voulez pas dépasser, c’est catégorique, au contraire d’une limite soft c’est à dire « molle », donc une activité qui ne vous fait pas envie, c’est plutôt non mais peut-être pourquoi pas à voir dans de bonnes circonstances avec la bonne personne ça pourrait se tenter. (Elles peuvent évoluer avec le temps !)
Spanking : donner des fessées
Switch : personne qui selon les moments adopte le rôle de Dom ou sub
Threesome : plan à trois (aussi P3)
Uro : jouer avec l’urine
Vanille : toute forme de sexualité qui n’est pas kinky, la forme la plus consensuelle, ce qui vient à l’esprit de base quand on dit « faire du sexe » (le mot vient du fait que la glace vanille, c’est la saveur de glace la plus populaire globalement, ça plait à peu près à tout le monde, à la différence des kinks qui ne sont pas le truc basique qui plait à tout le monde).
Waxplay : jouer avec des bougies / de la cire fondue
Sources et ressources
Je compile ici les documents sur lesquels je me suis appuyée directement dans la rédaction (sources) et ceux que vous pouvez consulter pour creuser plus loin (ressources). Cette liste est écrite comme le reste de la brochure en 2023, sûrement au fil du temps il y aura de plus en plus de partage d’infos et d’expérience disponibles !
Sources
Livres
J’ai traduit et inclus, avec permission de l’auteurice, une partie de l’introduction du livre Hurts so good, the science and culture of pain on purpose, qui n’a pas (encore) été traduit en français. Leigh Cowart y fait un examen minutieux des nombreuses facettes du masochisme en détaillant le fonctionnement du cerveau et du corps en lien avec la douleur, c’est un livre extrêmement riche que je recommande chaudement ! Il est paru en 2021 chez Public Affairs.
Podcasts
Exactly. With Florence Given, épisode « Sexual submission, shit kisses and slut shaming »
À quoi tu jouis, épisode « BDSM (avec Pascale St Onge et Gabriel.le Beauregard) », un super épisode accessible aux non initié•es qui repasse sur beaucoup de thématiques qui sont dans cette brochure (le rapport à la violence, l’importance du consentement, le (ré)empouvoirement par la pratique).
[1] The sweet spot, The Pleasures of Suffering and the Search for Meaning, paru en 2021 chez Ecco, non traduit
[2] en anglais « no pain no gain » littéralement « pas de douleur pas de gain »
Si cette lecture vous donne envie d’ouvrir une discussion ou de faire des retours, vous pouvez m’écrire à quecestbon@@@tuta.io
ce texte est aussi consultable en :
- PDF par téléchargement, en cliquant ici (4.1 Mio)
- PDF par téléchargement, en cliquant ici (4.1 Mio)