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Paroles de révoltés Lettre de participants à la révolte de la prison James T. Vaughn

mis en ligne le 24 mai 2024 - Chicago Anarchist Black Cross , Coalition to Free the Vaughn 17 , Philly Anti Repression

Préface

Le 1er février 2017 après plusieurs semaines de protestations individuelles et collectives infructueuses contre leurs conditions de détentions, quelques prisonniers de la prison James T. Vaughn (James T. Vaughn Correctional Center) dans l’état du Delaware aux États-Unis se révoltent. Au matin ils prennent contrôle du bâtiment C et s’y barricadent avec les autres détenus et des otages, 3 matons et une travailleuse sociale. Ils demandent à être mis en contact avec le gouverneur du Delaware et les médias pour faire part de leurs revendications sur leurs conditions de détention. Après un siège de 19 heures, les flics de la prison assistés d’une unité tactique et d’un tractopelle reprennent possession du bâtiment. Ils y retrouvent un des matons mort.

18 des prisonniers seront poursuivis pour cette révolte et le meurtre du maton (une partie des détenus dans le bâtiment ayant décidé de ne pas prendre part à la mutinerie). Durant la révolte les émeutiers étaient masqués, le bâtiment a été inondé et de nombreux objets et vêtements ont été brûlés ou aspergés d’eau de javel. À l’exception d’un des inculpés qui a tourné balance en choisissant de collaborer avec l’accusation, les 17 de Vaughn (‘Vaughn 17’) ont toujours tenu un défense solidaire et revendicative. Face à cette détermination et malgré ses meilleurs efforts et les différentes poukaveries [1] l’accusation n’obtiendra que deux condamnations. Les deux condamnés qui ont revendiqué la révolte et en ont accepté la responsabilité étaient déjà sous le coup de peines de perpétuité qui ne leur laissaient aucun espoir que l’institution judiciaire leur rende un jour leur liberté. En plus d’avoir mis à mal la toute puissance de la prison les 17 de Vaughn ont ridiculisé la justice et sa répression, réduisant son pouvoir de punition à une sanction symbolique d’enfant vexé.

Si les juges et les procureurs ont échoué à exercer la fureur vengeresse de l’état sur les révoltés qui ont eu l’audace de s’attaquer à l’autorité, les matons eux ne se sont pas privés de rappeler, à chaque fois qu’ils en ont eu l’occasion, que l’état tolère mal que l’on ose rendre des coups. Des 17, un est sorti, un s’est suicidé [2], les 15 autres ont été dispersés dans différentes prisons où administration et matons s’évertuent à faire de leur détention un enfer. Isolement, restriction des parloirs et des appels à leurs proches, fouilles, harcèlement et tabassage sont la punition sournoise d’un état et d’un système carcéral blessés dans leur orgueil et leur prétendue toute puissance.

Ce qui frappe quand on découvre l’histoire de cette révolte et de ses suites, c’est l’unité et la détermination qui habitent ses protagonistes. Que dans les prisons étasuniennes où la ségrégation sociale et raciale de la société et sa répression sont exacerbées, des prisonniers aux passés et aux assignations différentes se retrouvent liés si solidement par un désir de ne pas se laisser faire et de garder la tête haute, est un témoignage éloquent du potentiel de la révolte à réunir des individualités que tout cherche à atomiser. Qu’en plus ce désir se soit transformé en un projet dans lequel des détenus, considérés comme dangereux, affligés de longues peines et traités en conséquence par la taule, se soient rendus maîtres, ne serait-ce que quelques heures, des murs au sein desquels ils avaient été soumis aux abus de leur geôliers, nous rappelle que les structures de contrôle, même dans leurs formes les plus répressives, sont souvent plus fragiles qu’on se l’imagine. Qu’enfin face aux pressions, aux représailles et à la menace de finir leur vie dans une cellule, ces mêmes prisonniers aient fait front en se soutenant les uns et les autres et en continuant aujourd’hui encore à revendiquer fièrement l’émeute à laquelle ils ont pris part, démontre encore une fois qu’il est non seulement possible mais nécessaire d’assumer la révolte quand la répression semble être à son plus fort.

Les textes qui suivent sont des traductions des paroles des 17 de Vaughn d’abord rassemblées dans deux brochures en anglais Live from the Trenches (2018) et United We Stood (2021). La première compile des lettres écrites à peu près un an après la révolte et avant que les différents procès n’aient eu lieu tandis que dans la seconde les révoltés s’expriment alors qu’ils ne sont plus menacés par les suites judiciaires de la mutinerie. Plutôt que de suivre un ordre chronologique strict le choix a été ici de rassembler les contributions par personnes lorsque celles-ci ont participé aux deux brochures.

Traduire c’est déformer, cette brochure n’y échappe pas. Malgré ses meilleurs efforts la.e traducteur.rice injecte forcément un peu de son langage et de sa subjectivité, c’est encore plus vrai ici où un dizaine de voix différentes passent toutes par l’entonnoir de l’esprit d’un.e seul.e traducteur.rice. Malgré la volonté de rester fidèle au ton de chaque lettre, une partie de ce que la langue porte de références explicites ou non se sera malheureusement perdue en route. L’ambition de cette brochure étant de tout de même réussir à retranscrire l’esprit de révolte et de défi qui n’a jamais cessé d’animer les paroles des 17 de Vaughn.

Il a été décidé de traduire et de publier l’intégralité des contributions écrites aux deux brochures en anglais sans faire de tri ou de sélection. Cela se fait au détriment de l’émergence d’un message ou d’une analyse claire et cohérente mais au profit de la représentation d’un projet collectif où les individualités se rejoignent mais ne s’uniformisent pas pour autant. Tous les textes ne résonneront sûrement pas avec la même intensité à la lecture. Les idées et les perspectives des personnes qui les écrivent proviennent évidemment de vécus et des réflexions différentes et parfois divergentes. On ne se sentira donc sans doute pas la même affinité avec tous mais il semblait plus juste d’en restituer la totalité. Parce que la révolte n’a pas qu’une seule source qui serait pure et infaillible, parce qu’elle peut se trouver partout et qu’elle n’appartient pas à un camp ou à une idéologie. La diversité des idées et des personnes qui se sont retrouvées pour mettre en échec la machine carcérale le 1 février 2017 à la prison James T. Vaughn en est la preuve.

D’ailleurs il est important de préciser que si ici certaines de ces personnes s’expriment et sont, de fait, mises en avant en leur nom, ce n’est pas avec les individus que l’on voudrait voir la solidarité s’exprimer mais avec leur acte. Comme l’un d’entre eux le rappelle : « je se ne suis qu’un homme et je galère comme n’importe quel autre ». Même si, l’on peut trouver de l’inspiration dans cette révolte, on se tromperait à vouloir en faire des héros ou des sujets révolutionnaires parfaits, d’autant plus qu’eux même réfutent ce statut. La volonté de cette traduction n’est pas d’ajouter à la liste des martyrs ou des histoires révolutionnaires vitrifiées par le temps et la distance mais de partager un exemple, à la première personne et au présent, du potentiel ouvert par la complicité des révoltés.

Abednego Baynes

Tiré de Live from the trenches

13 Janvier 2018

Comment ça va ? De mon côté, je vais bien et je travaille dur pour me préparer à mon procès et être sûr que je fais tout ce que je peux pour me prémunir des injustices auxquelles je risque de faire face. Je voudrais vous remercier vous et tou.te.s celleux qui bossent avec vous pour envoyer de l’amour et du soutien à tou.te.s celleux qui en ont besoin. Ce monde que vous imaginez pourrait un jour devenir notre réalité. Dans l’espoir que chaque personne qui a déjà été opprimée puisse trouver sa force et garder la tête haute. N’hésitez pas à m’écrire encore, c’est un geste que je respecte beaucoup et que j’apprécie encore plus.

Avec toute ma solidarité, mon soutien et mon respect.

Aux activistes – Beans (Abednego Baynes)

Tiré de United We Stood

Je ne suis pas ici pour parler de mes galères en tant que personne incarcérée ; sachez juste que si vous ne galérez pas c’est que vous ne luttez pas. Je suis ici pour parler d’un problème plus important qui est dur à regarder et encore plus dur à comprendre. Pourquoi les activistes symboliques se sentent si légitimes et meilleur.e.s que tout le monde ? On ne se bat pour la même chose. Iels se battent pour s’intégrer et les gens comme nous qui prenons des risques et faisons des sacrifices nous battons pour mettre un terme à ces institutions oppressives. Notre guide n’est pas une personne, c’est le désir d’un changement significatif et durable. Qui leur a donné l’autorité pour nous dire comment nous devrions ou ne devrions pas obtenir des résultats !? Nous sommes en guerre et iels resteront toujours dans la péroraison. Ce n’est pas une relation interdépendante, nous n’avons pas besoin de soutien symbolique et de langue de bois parce que nous ne recherchons pas de voie de sortie ou de compromis. Nous n’aspirons à rien de moins que la libération totale et la chute de ces institutions et de celleux qui les maintiennent. Si vous vous opposez à nous, nos efforts ou les manières par lesquelles nous obtenons nos résultats alors vous faites partie de l’opposition. Je me demande souvent si iels comprennent qui leur a construit et offert leur plateforme ; si ce n’est pas le cas le peux leur dire : ce sont celleux qu’iels condamnent pour fayoter auprès de leurs oppresseur.euse.s à chaque fois qu’une caméra apparaît ou qu’on leur colle un micro devant la bouche. Sans nous iels n’existeraient pas, mais même sans elleux nous serons toujours là. Nous ne sommes pas derrière des micros parce que nous avons encore des choses à dire, il n’y a pas de compromis. C’est tout ou rien, et rien c’est rien tant que nous n’avons pas tout !

Beans

Kevin Berry

Tiré de Live from the trenches

24 Mai 2018

J’espère que cette lettre vous trouvera dans la meilleure des formes. Quand à moi, je me porte plutôt bien. Je voudrais m’excuser d’avoir mis autant de temps à répondre. Il s’est passé plein de choses dans cette affaire sur lesquelles j’avais besoin de me concentrer. Comme le fait que le procureur ait décidé de rendre les déclarations des témoins dans l’affaires secrètes jusqu’au procès. (SMH [3]). Nos avocat.e.s auront accès aux déclarations mais iels ne pourront pas nous les lire, nous les envoyer ou nous en dire quoique ce soit jusqu’au procès. Toute l’affaire repose sur ces déclarations donc nous en priver c’est de la connerie. Les avocat.e.s qui nous ont été donné.e.s par l’état n’en foutent pas une pour nous. J’ai fait une demande pour renvoyer mon avocat.e mais elle a été refusée par le juge. On nous force à travailler avec ces avocat.e.s. Je suis aussi en train d’écrire des trucs destinés à être publiés dans la brochure « Innocent 18 » [4]. Au fait, l’un d’entre nous a décidé de devenir un indic (SMH). J’en parle dans la lettre que j’envoie pour la brochure.

Oui, toute cette affaire c’est de la merde, ils sont vraiment en train se préparer à nous faire plonger (SMH). En plus on est opprimés au quotidien par les gardes et on est enfermés 23 heures par jour depuis qu’on a été mis en examen. Les lettres et les brochures qu’on reçoit de groupes comme le vôtre nous aident beaucoup en ces temps difficiles. Ça nous touche beaucoup. Aussi, si il y a quoique ce soit dans les lettres que je vous écrit qui vous paraît pertinent pour la brochure, vous avez ma permission de le publier et vous pouvez utiliser mon nom. Je n’ai rien à cacher…

Amour et Solidarité
Kevin

11 juin 2018

Je voudrais poser une question à tou.te.s celleux qui lisent cette brochure. Cette question est surtout destinée aux personnes noires, mais quelque soit la couleur vous savez de quoi je parle. Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui les noir.e.s continuent à être des nègres de maison ? Ma définition de nègre de maison c’est : une personne noir.e (homme ou femme) qui opprime et agresse (mentalement, physiquement et sexuellement) sa propre communauté pour apaiser son maître (l’esclavagiste). Au bout du compte le nègre de maison sera toujours traité par ses maîtres comme les autres nègres de la plantation. Il n’y a donc aucun bénéfice à être un nègre de maison.

Alors pourquoi des noir.e.s sont iels devenu.e.s des nègres de maison si il n’y a aucun bénéfice à en tirer ? J’ai toujours du mal à comprendre. Est-ce qu’iels agressent et oppressent les leurs pour leur propre bénéfice ou pour leur plaisir ? Dans le dernier cas c’est triste. Oui les nègres de maison existent encore. Vous en croisez probablement tous les jours. Que vous le sachiez ou non, ils sont là. On les appelle balances, poukaves, mouchards, flics, etc. Ce sont les nègres de maison des temps modernes. Ils vont livrer les leurs pour rien. (SMH). Des types deviennent des poukaves sans raison. Ils mentent pour charger d’autres gars et échapper à la taule pour leurs affaires de tarés, ensuite ils rentrent chez eux, puis ils retournent en prison, ils deviennent addicts, ils continuent à balancer pour rester en liberté ou alors ils se font tuer dans la rue comme ils le méritent. Tout ça ne vaut pas le coup d’envoyer des gars innocents en prison, de les enfermer, de les arracher à leur famille et de les envoyer dans ces plantations des temps modernes où ils seront brutalisés, mentalement et physiquement par les flics. Pourquoi est-ce que les noir.e.s – et en fait tout le monde – continuent à se faire ça les un.e.s aux autres pour apaiser l’homme blanc (juge, procureur, policier ou maton) qui veut nous maintenir enchaînés.

Je parle de tout ça parce que je vois bien ce qu’il se passe. Combien est-ce que tu connais de bon gars qui sont enfermés parce qu’une balance a décidé de faire le boulot de l’homme blanc à sa place ? On se met nous même dedans – et on continue à s’entre-tuer – pour quoi ? À tous les frères qui me lisent, il faut qu’on arrête de s’opprimer les uns les autres pour apaiser l’homme blanc. Ces plantations ne seraient pas si pleines si nous arrêtions de nous y mettre nous même, si on laissait les flics faire leur boulot sans les aider. Réfléchis : Est-ce que t’en serais là si ce n’était pas à cause d’une balance ? Non, pas vrai ? Y a plein de bon gars qui n’y seraient pas non plus.

Je dis aussi ça parce qu’il y a un nègre de maison des temps modernes dans les “Innocent 18”. Il faut que vous sachiez ce qu’il se passe dans notre affaire. Si vous n’êtes pas encore au courant voilà l’histoire. On est 18 types à être poursuivis pour la révolte, ou l’émeute qui a eu lieu dans le Delaware en 2017. Un maton a été tué et plusieurs autres blessés. Si on parle d’innocence dans « Innocent 18 » c’est parce que nous le sommes. Sauf qu’un des gars (Royal Downs) a décidé de devenir une balance, une poukave, un indic, et un nègre de maison des temps modernes. Ce qui est fou c’est que c’est un grand garçon de 50 ans avec une peine de perpétuité. Au lieu de tenir ses couilles comme un homme, il préfère aider l’homme blanc à descendre les siens, alors qu’il les sait innocents. Mais comme il s’est bêtement chargé lui-même, il a menti pour nous charger aussi, sauf que cet abruti est quand même poursuivi au final. Il ne s’est pas juste mis dans la merde lui-même mais il a menti pour en entraîner d’autres dans sa chute – des innocents en plus (SMH). Il a dit aux procs qu’il veut juste être transféré dans une autre prison ! Quoi !? Il ment et met nos vies en danger juste pour un transfert. Il préfère continuer à mentir et menacer des types qui sont proches de la fin de leur peine au risque de les replonger dans la plantation à vie. Mais ça n’arrivera pas. On va se battre parce qu’on est innocents.

Kevin Berry

PS : Aux 17 innocents restants, gardez la tête haute et soyez forts. Amour, loyauté et solidarité. Souvenez-vous : Les vrais renois tiennent bon et résistent. Les baltringues plient et fuient.

11 juin 2018

Je vous écris ce petit mot parce que je veux vous donner de mes nouvelles et expliquer pourquoi cette lettre n’est pas partie à temps. J’espère qu’elle n’arrivera pas trop tard pour la brochure. Le dessin avec est aussi pour la brochure. En fait j’avais la lettre prête à être envoyée mais avant que je puisse l’envoyer je me suis fait embrouiller par un maton et j’ai fini par me faire tirer dessus, électrocuter par un bouclier anti-émeute [5] et tabasser par les matons deux fois. Depuis je me soigne et j’essaye de me remettre sur pieds. Je suis en grève de la faim depuis six jours maintenant. Je ne compte pas m’arrêter tant que je n’obtiens ce à quoi j’ai droit. Je me suis fait tabasser le sept et le huit juin. Je vous tiendrai au courant. Pour le moment ça va. Je suis toujours dans la lutte. Mon esprit est plus fort que mon corps donc j’ai la volonté pour tenir encore un long moment. Je suis encore désolé d’avoir mis de temps à répondre. Je n’ai pu récupérer mes affaires qu’aujourd’hui et je suis encore au trou à l’heure où je vous parle. Je voulais être sûr que vous ayez ma réponse. J’espère avoir de vos nouvelles. Prenez soin de vous.

Solidarité, amour et loyauté.

Kevin Berry

PS : Il y a des frères qui cherchent des avocat.e.s pour s’occuper de leur affaire pro bono [6]. Certains d’entre nous – moi y compris – avons décidé de nous défendre nous même. C’est parce qu’on refuse d’utiliser les avocat.e.s qui sont fourni.e.s par l’état parce qu’iels bossent contre nous. [...]

Quelques questions aux abolitionnistes (Kevin Berry)

Tiré de United We Stood

J’entends qu’il y a des gens qui voudrait un monde sans gouvernement. Moi aussi je suis de ces gens qui voudraient voir un monde sans gouvernement ni police. Mais la majorité de ces gens ne sont pas honnêtes avec elleux même et n’ont pas une vision d’ensemble.

Demandez-vous simplement : est-ce qu’un.e citoyen.ne ordinaire pourrait survivre dans un tel monde ? Je crois que les personnes qui ont traversé des épreuves dans leur vie, qui ont grandi sans rien, dans la rue, pourraient survivre dans un monde sans gouvernement ni police, parce qu’iels ont déjà vécu et survécu dans un monde sans ces choses là. Quelle serait la solution pour les individus qui violent ou violentent des femmes et des enfants, comment seraient-ils gérés dans ce monde ? Les gens sont-iels prêt.e.s à employer la violence physique pour gérer des cas comme ça ?

Quant à se débarrasser du gouvernement ma suggestion serait que les gens devraient créer un nouvel ensemble d’accords entre elleux. Un ensemble qui corresponde à notre époque. On vit actuellement sous une constitution qui a été écrite le 04/07/1776 par une bande d’esclavagistes européens. Cette constitution n’a donc pas été créée en prenant en compte les personnes de couleur, c’est une constitution qui a été créée pour protéger les blanc.he.s, c’est une constitution qui considère les gens de couleur comme une fraction de personne. Pourquoi donc les noir.e.s et les populations indigènes continuent à vivre selon une constitution qui les considère moins qu’une personne.

Aujourd’hui on se demande partout pourquoi le monde est comme il est pour les gens de couleur. Et si nous nous débarrassions totalement du gouvernement, comment est-ce que tu survivrais dans ce monde ? Est-ce que ta famille et tes proches survivraient dans ce monde ? Si en lisant tu penses que je suis en train de vriller, pose-toi et pense aux citoyen.ne.s ordinaires comme ta famille et tes proches, pourraient-iels survivre dans un monde pareil ? Je sais, sans aucun doute, que les miens en seraient capables, est-ce que tu peux en dire autant ?

J’ai la haine contre n’importe quelle forme d’autorité donc s’il te plaît ne confond pas ce que je dis avec une défense du gouvernement, ce n’est clairement pas le cas. Qu’est-ce que t’es prêt.e à faire et de quelles compétences tu as besoin pour y arriver ? Je suis juste honnête...

John Bramble

Tiré de Live from the trenches

17 janvier 2018

Comment ça va ? Je viens juste de recevoir votre lettre aujourd’hui et ça fait du bien de savoir que je ne suis pas seul. Vous savez dans des moments comme ça j’ai besoin de tout le soutien que je peux avoir. Je suis sûr que vous savez déjà que certains de mes camarades ont déjà reçu des lettres de l’ABC [7] et j’étais justement en train de vous écrire quand j’ai reçu ce courrier aujourd’hui. J’ai lu votre guide pratique de 2018 et je crois qu’on partage pas mal des mêmes idées. Dans le guide je cherchais quelque chose qui parlait de John Brown [8]. Je n’ai rien trouvé donc si vous pouviez m’envoyer des trucs sur lui. Pour le moment je ne peux pas parler de la révolte parce que l’affaire est toujours en cours. J’espère que vous pourrez le comprendre. Mais j’aimerais quand même vous donner un aperçu de ce que nous traversons en ce moment.

Du coup, ils ont séparés les 18 que nous étions en deux groupes de 9. Chaque groupe est dans une prison différente. Ils ont complètement vidé un bloc juste pour nous. Ils sont en train d’installer 10 nouvelles caméras. Chaque caméra est pointée sur l’une de nos 9 cellules. On pense qu’elles ne font pas que de la prise d’image mais qu’elles enregistrent l’audio également. Ils veulent voir et entendre tout ce que nous faisons. Ils ont écrit un nouveau règlement juste pour nous, notre bloc a ses propres règles qui ne sont pas celles du reste de la prison. En plus de ça il faut qu’on gère avec les matons qui disent de la merde et qui nous ciblent à chaque fois qu’ils en ont la chance. Ça les fout vraiment en rogne de voir qu’on se sert les coudes et qu’on fait front ensemble, ils ne le supportent pas. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour nous séparer mais ils n’y arrivent pas. Tout ça ne fait que me rendre plus fort. J’occupe mon temps à faire du sport, étudier et dessiner. Et une fois de temps en temps déconner un peu avec les gars. C’est à peu près tout. Il n’y a ni télé, ni radio et on a le droit qu’à un coup de fil par semaine donc autant me dire que c’est une occasion de travailler sur moi-même non ? Mais peu importe ce que je me dis la réalité fini toujours par revenir et c’est dans ces moments que je pense à toutes les personnes qui nous ont contacté et montré leur amour et leur soutien, alors je comprends que ce n’est pas fini ! Donc merci ! S’il vous plaît passez mes infos à n’importe qui qui voudrait m’écrire. Et n’hésitez pas à me répondre. D’ici la prochaine fois, gardez la tête haute, et faites attention à vous car le combat n’est pas fini.

En solidarité

Johnny

Il faut que quelque chose cède ! (John Bramble)

Tiré de United We Stood

J’écris en 2020, année d’élection et de loin la plus agitée que je n’ai jamais vu. Que ce soit Trump qui tweet des incitations à l’insurrection, le covid-19 ou un énième flic tuant un noir désarmé, 2020 a continué à souligner un système de deux poids, deux mesures, et nous a encore fait la démonstration de la nécessité de s’en débarrasser. On se retrouve avec des gens de tous horizons qui descendent ensemble dans la rue pour réclamer le changement.

Comme tou.te.s ceux dehors qui se bougent, moi aussi j’ai envie de changement. Je ne vois juste pas le rapport entre le vote et ce changement. Comment un nouveau président va-t-il mettre fin aux meurtres commis par les flics ou offrir une égalité réelle à tout le monde ? On vit dans un état capitalisme qui a littéralement besoin d’une communauté opprimée pour prospérer. Ma question pourrait laisser penser que je me satisfait d’avoir Trump comme président, rien n’est moins vrai. Je veux juste montrer que peu importe qui est au pouvoir, le système continuera à fonctionner exactement comme il est censé le faire.

Tu vois, c’est une de ces vérités difficiles que les gens refusent d’accepter. Que ça nous plaise ou non ce système dans lequel on vit n’est pas déréglé. Au contraire, il tourne parfaitement aux yeux de ses créateurs. Ceux là même qui sont idolâtrés par les personnes pour lesquelles on est censé.e.s voter.

Que ce soit le droit de vote, l’éducation, la déségrégation ou tout ce pourquoi les gens se sont battu.e.s et sont mort.e.s, ces changements n’existent que sur le papier. Par exemple, même si tout le monde a le droit de vote il y a des lois spécifiquement faites pour cibler une certaine catégorie de citoyen.ne.s américain.e.s qui, une fois condamné.e.s sont empêché.e.s de voter ; et rien ne change vraiment.

Puis il y a la ségrégation raciale. Même si ils disent que c’est illégal, est-ce que ça l’est vraiment ? Pense-y, qu’elles soient géographiques, économiques ou institutionnelles, les oppresseur.euse.s ont tracés des lignes très claires. Mais pourquoi ? Je veux dire, ces lignes sont indéniables, on ne peut honnêtement croire que c’est une coïncidence. Évidemment pas, c’est intentionnel, notre système carcéral les reproduit et notre département de la justice est structuré autour de ces lignes. Ils enferment et jugent ouvertement les gens selon leur race. Tout dans le DOJ et le DOC [9] en dépend. L’Amérique blanche se met enfin à reconnaître que c’est un fait et que le racisme systémique est bien réel. On parle partout de réforme de la police à cause de ces vidéos de violences ou de meurtres policiers qui sont sorties. Tu sais ça me fait marrer quand je vois tous ces ‘gens important.e.s’ faire comme s’iels étaient choqué.e.s de ce que montre les vidéos, comme si iels n’en savaient rien alors qu’iels travaillent au côté de la police depuis des années. Ce n’est que parce que c’est filmé qu’iels reconnaissent que quelque chose ne va pas.

Si je parle de tout ça c’est parce que je veux illustrer ce qui se passe dans nos systèmes carcéraux. On voit bien que c’est grâce aux images que les agissements des porcs sont remis en question. Pas vrai ? Parce que, soyons francs, sans ça les tabassages et les meurtres sont complètement ‘justifiés’ parce que personne ne contredit les flics. La vérité devient ce qu’iels en racontent.

En taule c’est la même chose en dix fois pire. Les porcs font ce qu’iels veulent quand iels veulent sans aucune forme de conséquence ou de répercussion pour leurs actions. Il n’y a personne ici pour filmer ou remettre en question, et même si c’était le cas, les ‘gens important.e.s ’ qui dirigent ici ont commencé en bas de l’échelle, il y a toutes les chances qu’iels aient fait la même chose à l’époque ou qu’iels approuvent ce genre d’agissements. Les prisons n’ont pas seulement été conçues pour nous isoler mais pour dissimuler ce qui nous arrive à l’intérieur. Le manque de transparence vis-à-vis du public n’est pas un accident mais un élément intentionnel de ce à quoi les prisons servent. C’est comme s’iels avaient carte blanche pour faire ce qu’iels veulent. Iels se servent de cette réalité pour justifier leurs tactiques de torture sadiques. Simplement parce qu’iels savent qu’iels ne risquent rien. Mais c’est nous, les prisonnier.ère.s qui sommes présenté.e.s comme des monstres et des sauvages.

C’est pour ça que ces institutions doivent être détruites. Ce que je veux dire c’est que le système qui nous gouverne est conçu pour ne pas faillir. Il a une façon de s’auto-corriger quand quelque chose est altéré d’une manière qui ne sert pas sa survie. De là, nous affrontons un système qui n’a absolument aucune envie de perdre, et qui attend de nous que nous le combattions avec les armes qu’il daigne nous autoriser. Il faut que quelque chose cède, parce que les vrais monstres ne nous donneront pas les outils nécessaires pour les détruire. D’ici à ce que le collectif trouve une voie, continuez à tenir bon et à vous éduquez. À la prochaine !!!

Sacrifice – Capo

Tiré de United We Stood

Tant que celleux qui luttent contre le fascisme sont anti-violent.e.s le fascisme gagnera toujours. Je crois fermement que les révolutions naissent dans le sang. Tu ne peux pas avoir de renouveau, de renaissance, sans la mort. Le modèle actuel de la civilisation telle qu’on la connaît doit mourir avant de pouvoir changer. Tant que nous laissons les marionnettes des législateurs nous tuer impunément, nous ne pouvons pas gagner. Pour chaque personne que les keufs tuent nous devons tuer deux des leurs. La guerre civile ça fait peur. Mais, sans elle, aucun changement, réel et durable, n’aura lieu.

Les gens parlent comme si l’incarcération de ces porcs meurtriers allait apporter la justice à nos mort.e.s. Ces victimes ne reviendront pas. Leurs familles devront toujours supporter la douleur d’avoir perdu quelqu’un.e qu’elles aiment. Et iels continueront à mourir tant que les meurtriers n’auront pas à faire face aux conséquences réelles de leurs actions. Vous pensez que Chauvin [10] en chie ? Au moins lui il est encore en vie. Moi je sais qu’un flic hésitera plus à appuyer sur la détente si il sait que sa vie est en jeu plutôt que celle de la personne sur laquelle il tire.

Il y a beaucoup de gens qui essayent de faire ‘évoluer’ ce pays en quelque chose de mieux. Je pense que cet état d’esprit est défaillant. Quand il y a des mauvaises herbes dans un jardin on ne les arrache pas simplement. On les déterre à la racine. Dans ce cas les racines de ce pays c’est la constitution. N’importe quelle école de pensée qui divise les personnes en fractions est dysfonctionnelle. Rien de pur ne se développera tant que c’est planté dans ce jardin. Il faut que nous réécrivions la constitution de sorte qu’elle nous unifie et qu’elle nous apporte l’égalité à tou.te.s. Il nous faut un nouveau jardin. Et on ne peut pas leur laisser le choix.

Sacrifice. Un mot qui porte le poids du monde. Jusqu’à ce que nous soyons prêt.e.s à tout sacrifier, y compris nos vies, pour obtenir un changement, un monde meilleur pour nos enfants, rien ne changera pour de bon. La conscientisation, le militantisme et les manifestations apportent de la clarté à des choses qui sont intentionnellement laissées obscures. Mais ce ne sont qu’une ÉTAPE vers le changement. Il faut que nous déterrions les mauvaises herbes. Qu’est-ce qu’il faudra pour tu sois prêt.e à te sacrifier pour le futur ?

Capo

L’importance de l’amour dans la lutte – Luis

Tiré de United We Stood

“We need to love each other on purpose.” - Assata Shakur
« Nous devons choisir de nous aimer les un.e.s les autres »

Cher.ère.s camarades,

Pour celleux qui ne le savent pas déjà les mots de cette citation nous viennent de la grande révolutionnaire et ancienne Black Panther, Assata Shakur. Si je veux partager cette citation c’est pour souligner l’importance d’apprendre à nous aimer mutuellement plutôt qu’à nous haïr. Non seulement nous devons apprendre à nous aimer comme nous le dit Assata mais nous devons aussi apprendre à nous aimer pour pouvoir initier un changement permanent. Si on y pense, qui nous a même appris à nous haïr au départ ?

Pour moi la haine s’apprend d’abord à la maison puis elle s’intensifie avec le temps, l’ignorance et la pratique. Si nous voulons changer en tant que peuple, il faut que l’on remplace la haine par de l’amour et les malentendus entre nous par de la communication. Plus on communique, plus on se comprend.

Plus on se comprend et plus on a de chances d’apprendre à nous aimer les un.e.s les autres. Plus on apprend à s’aimer et plus on a de chances de s’unir. Plus on s’unit, plus on a de chances d’obtenir des résultats ensemble. Plus on accomplit de choses ensemble, plus on fera de progrès ensemble. Et le meilleur pour la fin, plus on fera de progrès ensemble, plus le changement sera rapide et puissant. Malgré nos origines ethniques et nos différences futiles, il n’y a pas d’ingrédient plus puissant que l’amour. Tout ce que je demande c’est donc que nous nous rassemblions et que nous confrontions nos oppresseurs avec des nombres qu’ils n’ont jamais vu. Au final nous partageons tou.te.s un même objectif, celui de l’égalité, de la liberté et de la justice pour tou.te.s. Et quelle meilleure stratégie pour y arriver que de se rassembler ? Exactement, il n’y en a pas.

Malcolm X a dit : « Le nombre fait la force . » Le moment est venu camarades. Restez militant.e.s ! Restez motivé.e.s ! Soyez Inspiré.e.s ! Aimez plus ! Et le plus important, restez éveillé.e.s ! Tout le pouvoir au peuple !

Luis

Robert Hernandez

Tiré de Live from the trenches

25 janvier 2018

Je préfère mourir en homme libre en prison que comme un esclave brisé dans des États-Unis qui sombrent, divisés par la race, la couleur et la classe. Ce n’est que ce que je ressens personnellement. James Baldwin a écrit : “Les gens qui ferment leurs yeux à la réalité ne font qu’inviter leur propre destruction, et celui qui insiste à rester dans un état d’innocence bien après que l’innocence soit morte devient un monstre.” Je l’écris ici pour le DOC, les forces de l’ordre et le soi disant gouvernement de l’Amérikkke [11] continuent à victimiser, brutaliser et condamner les gens comme moi. Vous m’avez créé, maintenant vous allez devoir faire avec. Si vous me tuez vous deviendrez ce que vous avez créé.

Le nuage qui annonce la tempête

La peur est le momentum qui façonne notre ambition
Entraîné par le mépris, la tromperie et le tourment
Je ne trouve aucun refuge vers lequel fuir et me cacher
Car le vent souffle puissamment et avec lui vient la purification
Dans mes pires moments de faiblesse j’ai trouvé la force
À travers la douleur, l’abandon et l’isolement.
Les morceaux les plus intimes et fragiles de ma pensée
Déformés par l’obscurité de mes geôliers
Arrachant même ma respiration à mes poumons
Je suis la muse de votre duplicité
Au delà de votre contrôle
Le ciel bleu a perdu ses
Rayons d’innocence et de lumière
L’obscurité en a consumé la vision et
Maintenant vient le début de la tempête
Les outils même de votre force destructrice ont donné
Vie à une nouvelle réalité la Peur est devenue colère
L’isolement a couvé l’insensibilité
Et une pure haine alimente son pouvoir
Les nuages de la tempête ont éclos
L’éclair dans sa beauté
Nous consume maintenant tou.te.s
Par cela personne n’est pardonné
Événement de la beauté naturelle
Nous ne sommes que ses pions

Dans l’obscurité

Fais attention aux portes que tu ouvres
Et à ce que tu recherches
Parce que même le plus humble
Peut te toucher
Après tout ce n’est pas ce que tu
Vois dans la lumière
C’est ce à quoi tu ne fais pas attention
Qui dans l’obscurité va
Te hanter

1er mars 2018

Je me bats actuellement pour ma vie dans le Delaware. Cette expérience m’a complètement changé. Je ressens tellement de choses en moi que je veux les exprimer ici et juste parler à quelqu’un qui peut se retrouver dans ma lutte. Je viens de la rue. Je suis né à Tolare en Californie. J’ai vécu à El Paso, Texas, Albuquerque et Las Cruces, Nouveau Mexique. Pendant la majeure partie de ma vie je passais la plupart de mes week-ends à Juarez au Mexique.

Ma vie a été folle depuis le premier jour mais je n’ai jamais compris jusqu’à aujourd’hui la réalité de l’oppression, du racisme et ce pays de dingue ! Je suis Xicano, je ne me considère ni mexicain ni américain, je suis ma propre espèce. Mon ethnie c’est la minorité, si vous voyez ce que je veux dire. Je suis en train de lire vos textes sur l’abolition de la police à Oakland. Je considère ma vie comme anarchiste. J’ai un symbole de l’anarchie tatoué sur l’omoplate gauche depuis que je suis jeune. Sans comprendre vraiment la guerre dans laquelle nous sommes, j’ai été introduit par un système judiciaire qui est loin d’être juste et par une incarcération pleine de préjudice, de haine et de violence. Je ne suis pas parfait, j’ai fait des saloperies, mais ce que j’ai fini par réaliser c’est que je me battais pour les raisons et les conflits qui ne menaient à rien d’autre qu’à la destruction de ma propre existence...

Je me sens plus conscient maintenant et je sais que peu importe ma vie consiste en une incarcération à perpétuité ou une liberté dans la rue, mon objectif reste le même. Je crois en l’égalité et en un monde sans frontières et sans statuts, une vie qui vaut le coup d’être vécue sans les mensonges et les tromperies d’un gouvernement formé sur le suprémacisme blanc, le pouvoir, l’avarice et qui nous apprend à nous satisfaire de l’illusion de liberté ! Je suis fatigué d’être stéréotypé, vu comme un étranger illégal, un membre de cartel, un violeur ou un membre de gang. C’est la question qu’on me pose tout le temps et je ne suis pas membre d’un cartel. Je suis né en Californie je n’ai jamais violé personne et je ne le ferai jamais, je refuse le viol et de quoi j’aurais l’air à 36 ans à mouiller dans les gang ?

Mes ancêtres, ma culture, ma famille ont été violé.e.s et torturé.e.s (génocide), abusé.e.s de toutes les façons possibles par l’Espagne, l’Europe, les pèlerins blancs qui sont venus dans ce pays et ont amené l’esclavage, l’avarice et la destruction des native.f.s américain.e.s, les mêmes blancs supérieurs qui ont envahi l’Afrique et ramené sa population dans ce pays en tant qu’esclaves. Je ne regarde pas la couleur de la peau ou le genre, je regarde la personne ! Parce que c’est ce que nous sommes, un peuple ambitieux, déterminé à se faire une place et à vivre nos vies. Je ne hais pas les blanc.he.s j’suis pas hypocrite, j’accueillerai blanc.he, noir.e, chinois.e, petit.e, grand.e, avec amour pourvu que tu te battes pour les mêmes choses que moi. Je n’accueillerai ni homme ni femme qui me méprise ou qui prêche le racisme comme Trump et les nationalistes de droite au dehors qui recrutent et qui s’arment contre moi !

Je veux vivre pour bien plus, me battre pour bien plus. Je ne me tourne pas vers Dieu pour qu’il me sauve, je puise les forces en moi ! Aidez moi à comprendre et à apprendre pour que je puisse m’armer mentalement. Je veux apprendre et étudier. Cette prison ne m’apprend que dalle si ce n’est une chose : ne jamais se rendre, abandonner ou tomber. Je sais que ces porcs veulent me voir mourir et souffrir. Je sens leur haine, je la vois dans leurs yeux. Je m’en fous de détester ces connards de flics, ils me détestent ! Ils tuent continuellement et s’en tirent parce qu’ils portent un badge. Ils en ressortent avec des parades, des mémoriaux, et des plaques commémoratives mais nous n’avons rien ! On nous jette dans un trou et ciao ! J’ai entendu qu’un gamin de 20 ou 21 ans a été tué par la police à Las Cruces, ils ont traîné son corps comme un déchet ! C’est comme ça que l’Amérikkke me voit, comme un déchet, avec ma famille et mes enfants. Je préfère passer l’éternité dans une cage pour ce qui est juste que de vivre (libre) dans un monde qui cherche à me tuer ou à faire passer mon enfermement pour un acte digne. Je suis déjà libre dans ma tête de toute façon, mon esprit prend son envol même lorsque je suis enfermé en cellule. Vous pouvez prendre ma vie mais vous ne prendrez pas ma voix !

J’ai écrit ça il y a quelque mois :

Je ne peux pas trouver de refuge

Je ne peux pas trouver de refuge, ou ressentir l’amour,
Je ne vois que la douleur et j’essaye de voir au delà
Suis-je oublié peut-on me retrouver
Est-ce que dieu est un mystère est-ce que le salut est là
Je ne veux pas mourir, mais il est dur de vivre
Le diable est sur le seuil et il ne me reste rien à donner
J’ai tout donné
Juste pour un moment
Dieu m’entends-tu, peux tu me libérer
De ce tourment
Apprendre à éviter toutes les tentations
L’âme veut s’envoler
Et pourtant mon corps est prêt à mourir.

Je suis Mexica

Je suis Mexica fier de ma culture
Peau brune, yeux bruns, fierté brune
Esprit guerrier lié au jaguar
Humble mais courageusement libre par volonté
Je ne me laisserai pas esclavagiser
Olmeca Tolteca nous sommes une race ancienne
Leur monde blanc a tenté de tou.te.s nous détruire
De trahir mon peuple, de détruire nos foyers
De nous appeler disgrâce
Que Huitzilopochihi hante vos pensées
Que Quetzcoatl dévore votre monde
Aztlan est mon paradis Aztlan est mon foyer
Des paradis au dessus aux enfers en dessous
Faites le savoir
Je suis Mexica

17 mars 2018

Laissez moi vous racontez ce qu’il est en train de se passer. 18 d’entre nous ont été inculpés le 17 octobre 2017. Il y a beaucoup de propagande qui est sortie de la presse locale. (Vous avez ma bénédiction pour utiliser ce que je vous envoie. Si vous pensez que ça peut aider, servez vous en.) Nos avocat.e.s se sont plaint.e.s qu’iels ne sont payé.e.s que 70$ de l’heure pour nous représentez donc nous nous retrouvons avec la plus nulle des défenses. Mon avocat était procureur avant donc il n’y pas moyen que je parle à ce type, ou que je fasse confiance à quoique que ce soit qu’il puisse dire ou faire. Ça fait plus d’un an qu’ils sont censés construire notre dossier et rien. Les autres prévenus et moi n’avons aucune idée de ce qu’il se passe. L’état refuse de nous fournir autre chose que des excuses bidons [pour ne pas fournir les dossier]. Je n’ai pas senti l’air frais ou les rayons du soleil depuis le 17 octobre 2017. Nous sommes traités très différemment. On est fouillés deux fois par jour et nos affaires sont détruites ou volées. C’est triste parce que ces flics n’en n’ont rien à foutre du maton [qui a été tué pendant la révolte] ; c’est juste une performance théâtrale pour toucher leur salaire. Iels ont ça mais les autres n’ont rien. Si vous lisez la presse locale ou écoutez la radio du coin c’est taré comment ça continue à se passer, la corruption à son apogée. La haine ne vient pas de la mort d’un homme mais du stéréotype, du fait que nous sommes vus comme des incarcérés, un autre mot pour dire esclave.

Je sais que mes jours sont comptés parce que je fais partie de la race de l’unité, de la puissance. J’ai une voix et je sais que nombreu.x.ses sont celleux qui voudraient la faire taire. Les trou du culs voudraient me voir sous contrôle, mais la révolte fait partie de mon identité. Soyez fort.e.s et courageu.ses.x dans cette guerre, parce que c’est pour la vie et le droit de vivre, libre, que nous nous battons.

Je veux que le monde sache que tant qu’existeront la prison, le capitalisme, la présidence de Donald Trump, le racisme, la violence policière, l’oppression, il y aura de la révolte dans les quelque un.e.s qui se sont libéré.e.s.

Je voudrais lire des livres à propos d’histoire, de culture et d’éducation. Je veux vraiment lire les livres de Che Guevara etc. J’ai besoin d’alimenter mon esprit et d’aiguiser la lame qu’est ma langue. Les mots sont affûtés et je veux pouvoir éduquer et libérer autant de gens que possible, façon Billy Graham [12].

Quant à la question de notre défense dans ce dossier, elle est plus politique qu’autre chose. On est des agneaux sacrificiels conduits à l’abattoir. Il n’y a pas de preuves, pas de rapport d’autopsie ou d’élément nouveau, juste un soi-disant témoin qui raconte une fausse histoire pour soutenir le Dept. of Corruptions [13]. Je voulais vous demander si vous pouviez trouver des livres écrits par Carlos Castaneda.

Je cherche aussi des personnes qui auraient les mêmes convictions et idées que moi avec lesquelles correspondre. Plus on est de fous plus on rit. Parmi les 18 que nous étions il y en a un qui est un informateur confidentiel, il n’est plus avec nous. Royal Diamonds Down. Ce lâche a fait six déclarations mensongères particulièrement remarquables et qui ont des conséquences dévastatrices, pourtant il n’y a aucune excuse pour sa faiblesse et son attitude destructrice. C’était quelqu’un que je considérais comme un allié avec lequel j’avais une forte camaraderie. Malgré tout il reste 17 frères militants ici. Quoiqu’il se prépare pour nous il y a de la force dans l’unité, il y a de la loyauté et de l’honneur dans l’altruisme et le sacrifice si petit soit-il. Je vous remercie sincèrement pour votre camaraderie et pour avoir parler de “bad ass”, en réalité je ne suis qu’un homme et je galère comme n’importe quel autre. Nous sommes très ambitieux et déterminés à nous battre pour ce qui est juste, nous sommes égaux et apparemment on partage cet identité.

Nous étions six à être éligibles à une sortie dans les trois ans et ces bâtards nous agitent cette liberté sous les nez comme à des chiens dans un chenil. Il peuvent se la garder, j’ai beau être enfermé et enterré physiquement, mentalement et spirituellement je suis libre. Notre lutte est réelle et on entend toujours que ces connards veulent se venger et blablabla ! Je me fous de comment ils se sentent ou de ce qu’ils veulent parce qu’un jour la vérité sera vue et entendue par tou.te.s, un jour ce qui est dissimulé surgira à la lumière et les gens sauront que nous, 17 individus accusés et critiqués à tort, continuons à tenir bon. J’y crois sincèrement et j’espère que l’on me comprend. Merci encore pour votre soutien qui est particulièrement apprécié et ressenti derrière ces murs.

16 avril 2018

Deux fois par jour on est menottés et enchaînés juste pour qu’ils inspectent nos fenêtres. Ça prend trois fois plus de temps de nous “sécuriser” que de faire la vérification. On est constamment forcés à interrompre nos appels téléphoniques pré-payés pour que “l’équipe de sécurité” puisse nous fouiller. DEUX FOIS PAR JOUR. On est complètement isolés du reste des détenus. Nous n’avons aucune contrebande !

On est menottés pour que les surveillants de base puisse venir vérifier nos fenêtres. Mais on n’a pas besoin d’être menottés pendant les période de récréation où ils sont là. C’est absurde. On n’a pas le droit de sortir alors qu’il y a une cour de promenade pour notre unité où ils viennent d’installer des caméras mais où on ne peut quand même pas aller.

À plusieurs reprises les chefs de la sécurité : le lieutenant Kruetz, le capitaine Hernandez et le major Holinsworth ont fait preuve de préjudice envers nous et ont conduit des agressions de représailles :

1) Ils ont coupé l’eau dans nos cellules parce que nous refusions de manger.

2) Ils sont entrés dans la cellule d’un détenu sans caméra et avec une arme qu’ils lui ont braqué sur le visage à bout portant (un fusil de paintball qui tire des minutions incapacitantes)

3) Des matons ont recouvert nos fenêtres avec des caches aimantés pour nous empêcher d’être témoins des abus commis par le DOC.

4) Ils ont menacé de nous lâcher les chiens de l’équipe cynophile dessus pendant que nous étions enchaînés.

Ce ne sont que quelques uns des incidents. C’est une histoire quotidienne, ils nous antagonisent dans l’espoir que l’on réagisse pour qu’ils puissent s’en prendre à nous. Par exemple, le maton de l’équipe cynophile se balade en chantant agressivement le générique de “Cops” [14] et laissant son chien sauter et aboyer sur nos fenêtres.

Sur les huit que nous sommes trois se sont pris un assaut des équipes d’interventions spéciales, gazés, battus et privés de tout droits. Aussi bien leur droits constitutionnels que ceux obtenus par le CLASI [15]. Nous subissons du harcèlement depuis qu’on est poursuivis sans raison pour avoir participé à la révolte de Smyrna [16] le 01/02/2017. On est constamment harcelés. La sécurité se ramène avec un bouclier à décharge électrique et un flingue de paintball pour une simple fouille. Mes affaires ont été détruites de nombreuses fois.Mon courrier est lu, perdu ou détruit. J’ai vu un des chefs du DOC en mai qui m’a dit “mes agents ont le feu vert pour faire ce qu’il faut si tu ne te tiens pas à carreau.” Puis on m’a dit que “les agents avaient le droit de m’éliminer parce que je suis un suspect à ce niveau.”

Je me réveille tous les jours ne sachant pas si je vais être sérieusement blessé ou tué. Je sais que tous mes co-inculpés se sentent pareil. C’est pour ça qu’on a besoin de soutien dans cette affaire. Il faut que le plus de gens possible appellent et révèlent au grand jour que nous sommes 17 à subir une quantité incroyable de représailles. Il faut que les gens appellent, se plaignent, posent des questions et parle aux antennes des médias nationaux dans le Delaware.

Merci

29 mai 2018

Cela fait 14 ans que je suis incarcéré, au fil de ces années j’ai vécu plus de trucs que je ne pourrais en raconter. J’étais un gamin quand je suis rentré, depuis j’ai gagné en maturité… mentale, spirituelle et physique. Derrière ces murs existe un autre monde que beaucoup ne peuvent pas comprendre. C’est un monde de ségrégation, d’oppression et de corruption. Ce monde se nourrit de la haine, de la supériorité et du racisme. C’est une tanière de souffrance construite sur l’écrasement des esprits et des cœurs des hommes. Ces prisons ne sont pas faites pour réhabiliter mais pour briser l’esprit, contrôler et assurer la richesse d’un petit nombre. Ce périple à travers le tourment a éveillé mon esprit et mon cœur à chercher le but de mon existence… une raison de corriger mes erreurs, car désormais je peux voir le débordement d’injustice, l’importance de la compréhension révolutionnaire et de la propagation dans le monde extérieur de l’importance du changement et de la vérité. À cellui qui prête attention une seconde, et à celleux qui voient les épreuves, les difficultés et les sacrifices de tant d’autres qui sont passé.e.s avant nous. Celleux qui n’ont pas succombé à la bête et qui ont libéré tant d’esprits, nous ont inspiré à l’altruisme, à la fraternité et à l’égalité.

Je choisis de faire mieux pour moi-même, pour ma famille et pour l’humanité. Il y a tellement d’hommes et des femmes qui entrent dans ces institutions [carcérales] corrompues par la drogue, les gangs, les biens matériels, et beaucoup trop d’entre elleux sont assailli.e.s par la pauvreté (bien qu’il ne soit vraiment pas nécessaire d’être en prison pour être emprisonné.e). Sans réhabilitation, éducation ou une réelle chance de surpasser ces épreuves, comment peut-on sincèrement imaginer éliminer le facteur criminel. Ces murs de pierre sont devenus une deuxième maison, un cocon de sécurité pour tant de personnes qui ne peuvent plus tenir le rythme effréné du monde extérieur. Les problèmes de santé mentale viennent des prisons, on y crée plus de chaos que de changement. La prison est le royaume de la maladie mentale cachée, et il est tellement dur de demander de l’aide au système qui vous oppresse ! Le taux d’incarcération aux États-Unis est à son plus haut, il en fait les champions du monde en termes d’incarcération de ses propres citoyen.ne.s. C’est ça le monde libre ? Ça coûte plus cher de maintenir tant de gens enfermé.e.s, pourquoi est-ce que vous continuez à le faire ? Maintenant la présidence réfléchit à enfermer les sans-papiers. Iels ont construit un mur pour maintenir ces personnes à l’extérieur, tou.te.s celleux qui cherchent une opportunité de soutenir leurs familles. Est-ce que tout le monde est un criminel ? Il y a forcément mieux à faire. Les murs de prison ne font que créer et manufacturer plus de crime, de violence et de haine. Ce cœur est vivant et il a faim ! Il est temps de se réveiller, il est temps de faire mieux et montrer la voie pour que les autres suivent.

29 mai 2018

J’en viens à croire que les pensées des hommes ont récolté de nombreuses intentions au fil du temps. Elles ont fleuri, grandi et semé dans d’autres cœurs et esprits, par leurs actions, leurs mots et leur héritage. Elles laissent derrière elles une façon de vivre, des traditions, et les traditions de nos ancêtres qui ont survécu qu’elles soient bonnes ou mauvaises, justes ou iniques, ont été transmises à travers toute l’humanité. L’oppression, la haine et le racisme sont bien ancrées dans les traditions américaines. Ces caractéristiques sont toujours bien vivantes et elles se cachent aujourd’hui derrière le rêve américain, pourtant pour trop d’entre nous ce n’est pas un rêve mais un cauchemar. Tu vois il y a trop de gens qui sont prêt.e.s à pointer du doigt en critiquant les choix et les directions des un.e.s et des autres. C’est parfois justifié cependant nous sommes tou.te.s humain.e.s et nous faisons tou.te.s des erreurs. On peut échouer et perdre. Nous pouvons faire ces choses de manière naturelle. Ça ne veut pas dire que je ne devrais pas avoir accès à l’opportunité de corriger ces erreurs, chaque personne, homme ou femme, mérite cette chance. Qui que tu sois, quoi que tu crois, quelque soit ton apparence. On peut corriger, apprendre et évoluer. On peut s’améliorer, nous, nos communautés et notre monde. A-t-ton vraiment besoin de reproduire tant de ces traditions ? Ces pensées qui ont empoisonné notre environnement depuis si longtemps ? Que l’idéalisme du passé ne façonne pas notre futur. Il est temps de choisir de faire mieux, de questionner et défaire les doctrines de ségrégation, de supériorité, de classe et de valeur ou de bénéfice financier. Nous n’avons pas besoin de vivre en égoïstes mais de choisir de vivre en altruistes.

Je ne suis ni docteur, ni professeur, ni politicien, ni homme bien instruit. Aux yeux de ce système mis en place par le gouvernement des États-Unis je suis un détenu, un criminel, je ne suis qu’un prisonnier dans un monde d’injustice débordante. J’ai un GED [17] que j’ai obtenu en prison. Il y a beaucoup de personnalités au pouvoir qui ne pensent pas que je mérite plus d’éducation, de réhabilitation ou de formation professionnelle. Je passe mon temps en cellule, vingt-deux heures par jour. Je n’ai pas de stabilité financière ou de famille riche. Je n’ai même pas de pot pour pisser ou de fenêtre par laquelle la jeter. Mon esprit ne peut pas être confiné ou contrôlé, j’ai la capacité d’apprendre, de comprendre, de lutter et de surmonter les épreuves et les obstacles de ma vie. Je crois en la fraternité et l’égalité pour tou.te.s. Je veux transmettre une nouvelle tradition, un idéalisme meilleur, par mes actions, ma personnalité et mes mots. Les mots sont puissants, affûtés comme n’importe quelle épée, et ils tranchent profondément. Les hommes échoueront, passeront le relais, mourront et nous laisserons quelque chose derrière nous. Qu’est ce que ce sera ? Est-ce que ce sera bénéfique ou nuisible ? Je laisse des mots qui, je l’espère, pourront inspirer et parler aux cœurs pour les pousser vers l’altruisme. Les pousser à faire mieux. Le rêve que je veux réaliser est celui de la fraternité, du travailler ensemble et de l’unité. Un jour peut-être. Je crois en une chose, si se puede, yes we can ! À bas les murs qui nous divisent mentalement, spirituellement, et physiquement.

Lawrence L. Michaels

Tiré de Live from the trenches

18 janvier 2018

D’abord je voudrais vous remercier pour le soin et l’attention que vous avez montrés par vos actions et vos mots. Je vous transmets ce sentiment de ma part et de celle de mes camarades. Personnellement je me suis préparé mentalement à une bataille longue et solitaire. Une bataille contre un système habitué à utiliser tous les moyens pour détruire les individus comme moi. C’est la démonstration de classisme et d’oppression la plus claire que je n’ai jamais vécue. Honnêtement j’ai fini par réaliser que ce n’est qu’en acceptant de faire face à ce scénario du pire que je pourrais me défendre librement. Vous êtes dans le mille quand vous parler de “l’enfer” qu’on traverse en ce moment. Je pense que c’est un euphémisme. Où que nous allions on est accompagnés de quatre gardes avec un chien ou un fusil de paintball. Ça fait du bien de voir que dehors il y a des gens qui se mobilisent. Parfois on peut se sentir seul et sans soutien. Mais une simple lettre ou une carte postale peut rendre un environnement pollué plus puissant d’air frais. Votre lettre a aéré mon environnement. Pour le moment je ne peux pas raconter grand chose parce que l’affaire est toujours en cours mais dès que j’aurais eu accès au dossier (ce qui devrait arriver d’ici un mois), je vous en enverrai des copies pour que vous puissiez voir par vous même ce qu’ils ont contre nous et que vous puissiez le partager avec d’autres groupes du pays/monde. Quant à moi j’ai 31 ans, je viens de Philadelphie Nord ou j’ai vécu toute ma vie. Mon père et ma mère ont été tué.e.s (à des moments différents) quand j’étais jeune. J’ai passé un peu plus de la moitié de ma vie dans ce système [carcéral], du coup j’ai été enfermé de mon adolescence jusqu’à ma vie d’adulte. Je n’ai JAMAIS pu profiter de ce qu’on appelle la vie, mais si dieu le permet je serai blanchi de ces accusations tarées et je pourrai enfin sortir libre quand j’aurai fini les 5 ans et demi qu’il me reste à tirer. À part ça j’adore lire, écrire et apprendre de nouvelles choses. J’essaie de bosser sur les compétences de communication qui me font défaut. Mais correspondre avec de nouvelles personnes maintenant m’aide à progresser. Ça me ferait plaisir que nous continuions à correspondre… Merci encore de prendre ce temps dans votre vie pour me contacter. Ça me touche beaucoup. Traverser tout ça et apprendre juste là, que l’état veut le retour de la peine de mort avant notre procès. Ils ont divisé les procès en cinq groupes. Le premier procès commence en octobre de cette année. Je suis dans le deuxième groupe qui commence en janvier 2019. Mais s’il vous plaît n’hésitez pas à écrire si vous en avez le temps. Jusqu’à la prochaine fois faites attention à vous et restez droits.

Paix et solidarité.

L’union fait la force – Smoke, Lawrence Michaels

Tiré de United We Stood

Il est des moments dans la vie où l’on doit s’unir avec des individus ou des groupes avec lesquels on ne s’entend pas, simplement pour atteindre les objectifs qui nous feront avancer. Les 17 de Vaughn se sont fixés comme premier objectif l’unité. Un objectif de construire l’unité derrière ces murs. Nous devions nous souvenir de ce qui était important, définir nos principes et comprendre qui nous combattions et pour qui nous le faisions. Pas juste pour nous mais pour les personnes opprimé.e.s de ce monde.

L’appel au changement tirait sa substance des réalités avec lesquelles nous vivions. Tout a commencé avec l’idée d’un camarade et a fini avec les actions de gens qui avaient faim. Faim de libération. Voilà des hommes qui ne sacrifiaient pas juste leur liberté mais qui sacrifiaient leur vie, juste pour la reconnaissance qu’on nous avait refusé si longtemps. Il est nécessaire de se battre pour la dignité humaine même quand la souffrance et la maltraitance nous attendent en chemin. Nous le faisons pour une cause qui en vaut la peine. Et grâce à ça, j’ai maintenant un sentiment de respect de moi-même qui, quoiqu’il arrive, sera toujours là malgré toutes les épreuves de ma vie à venir.

Une des plus belles choses qu’il m’ait été donnée de vivre a été de voir 17 hommes (les 17 de Vaughn) se tenir solidement ensemble face à un système qui a voulu réinstaurer la peine de mort dans un état (le Delaware) qui l’avait aboli des années avant le 1er février 2017, sans succès ; le système a perdu alors que 17 hommes ne faisaient qu’un.

Les prisonnier.ère.s sont exploité.e.s, réprimé.e.s et opprimé.e.s. Nous sommes soumis.e.s à un système qui maintient la réalité d’une terreur psychologique et physique pour nous faire peur et nous garder sous contrôle tandis qu’iels se maintiennent au pouvoir. La démoralisation est leur priorité première. Dès qu’iels voient un signe d’unité chez nous, nous devenons une menace. Le pouvoir fait peur, alors iels essayent de détruire la moindre possibilité de résistance. Iels usent de certaines tactiques comme l’infiltration dans nos rangs, ce qui reste le meilleure tactique et qui remonte au Black Panther Party, voire à la période de l’esclavage. Il nous faut travailler dur pour combattre ce système injuste. Intégrer le peuple est une nécessité.

Nous devons montrer notre volonté et, de temps en temps, notre force physique quand c’est nécessaire. Malcolm X a dit :« Historiquement, les révolutions sont sanglantes. Il n’y a jamais eu de révolution sans sang, ou de révolution non-violente. Même à Hollywood ça n’arrive pas. Les révolutions renversent des systèmes. Les révolutions détruisent des systèmes. Les révolutions sont sanglantes. » Ce n’est pas juste une lutte pour la liberté, mais c’est une lutte pour la vie. Et il faut que nous en prenions conscience.

Avoir le privilège de prendre part à quelque chose de si puissant avec mes camarades était beau en soi. Et ce n’est que grâce aux efforts engagés de prisonnier.ère.s rebelles et de leur soutien à l’extérieur que le monde sait ce qui se trame dans ces prisons. Savoir que nous avons une ligne de communication avec des gens qui se battront avec et pour nous, tend à rendre les autorités des prisons plus prudentes.

Le 1er février 2021 marque le quatrième anniversaire du soulèvement de la prison James T. Vaughn. Quand je me pose aujourd’hui et que je repense au 1er février 2017, ce n’est pas le résultat de notre geste, mais le moment de l’action elle même qui résonne le plus fort en moi. Un moment dans lequel une fraternité était liée par une cause. Cette fraternité est allée au-delà de ces 19 heures dans le bâtiment C. Nous avons continué à avancer en restant solidaires tout du long, même après les fausses accusations dont on nous a menacés. L’unité est importante. Particulièrement en ce moment avec tout ce qui se passe dans le monde. Malgré les antagonismes de toute sorte nous devons nous rassembler pour atteindre nos buts.

Sans ça nous ne pouvons vaincre. Je veux remercier les hommes qui se sont soulevés et qui se sont battus quand le moment est venu. Et sans les oublier, je veux remercier les femmes qui se sont tenues à mes côtés et à ceux de mes camarades tout au long de cette bataille. Je vous suis tou.te.s sincèrement reconnaissant.

Dwayne Staats

Tiré de Live from the trenches

27 janvier 2018

Paix et salutations ! L’énergie, les efforts et la dévotion dont vous faites preuve envers la lutte sont bienvenus et appréciés. La solidarité est un langage universel qui s’exprime par le sacrifice et l’altruisme. Ces actes poursuivent un but qui va au-delà de la gratification individuelle. Cette philosophie est la Mecque de la plupart des rébellions, des révoltes et des soulèvements. Quand le seuil de discrimination, d’inégalité ou d’oppression est dépassé, la résistance devient un mécanisme viable pour écraser ces injustices. Malheureusement quand il s’agit d’humanité ou de droits civiques, l’histoire nous rappelle que la mise en place d’un « réel » changement est souvent précédée d’évènements tragiques. C’est le discours qu’il faut porter sur la révolte de la prison James T. Vaughn. Quand le « contrôle absolu » est le désir d’une hiérarchie malfaisante, l’émasculation, les abus physiques, psychologiques et émotionnels sont quelques uns des moyens pour forger cette culture de soumission. De mon expérience la prison est un microcosme de la société, il y a un système de classe et de caste, un jeu politique, une économie et auditions de celleux qu’on accuse de violations. Toutes ces facettes sont teintées de corruption, mais les superviseur.euse.s arrivent toujours à prospérer sous un voile de dissimulation. Le paradigme change sur tous les fronts. Les fascistes, les élitistes et les sadiques qui sont dans des positions de pouvoir qui leur permettent d’influencer la vie politique ou même simplement d’imposer leur volonté aux plus vulnérables, n’ont jamais imaginé que leur cape d’invincibilité pourrait s’évaporer. C’était inconcevable que, du cheptel passif et docile, quelques cœurs vaillants émergent. Pas seulement pour exposer l’injustice mais pour libérer la conscience du collectif.

En direct des tranchées

5 mars 2018

Memorabilia

« C’est le plus libre que je me suis senti en presque deux foutues décennies mec ! » Cette déclaration a été faite par une vieille gueule connue en passant alors que je restais envoûté dans un royaume de tranquillité. Dans ce moment j’étais devenu indifférent à l’eau que l’inondation faisait lentement remonter sur les semelles de mes baskets. Rayonnant à travers la fumée qui envahissait l’atmosphère, prenaient place les échanges victorieux des esprits revitalisés qui avaient été étouffés par une obscurité asphyxiante. Alors que simultanément des âmes revigorées se mettaient à l’unisson à ériger des barricades expéditives. Dans ce moment les lumières clignotantes des alarmes incendie illuminaient les tâches pourpres qui réclamaient de l’attention alors qu’elles s’étalaient sur la surface pâle. Les gens passaient sur le chemin pour aller d’un bloc à l’autre. Les visages étaient couverts pour éviter d’inhaler la fumée. Rendant impossibles de distinguer entre la connaissance et le parfait inconnu. Dans ce moment il y avait un familiarité dans les yeux de tous qui transformait un sentiment réciproque en une émotion ineffable…

4 juin 2018

La prison James T. Vaughn est située au 1181 Paddock Road (« Route de l’enclos »). Pour celleux qui l’ignore, un ‘enclos’ est un zone fermé dans laquelle on parque le bétail. Leur mode opératoire est manifeste avant même que l’on pose un pied dans la prison. Fort heureusement il y en a qui ne se laissent pas acclimater à la domestication… J’ai lu récemment un article à propos d’une émeute dans une prison en Caroline du Sud. Quelques frères ont avoué avoir tué d’autres détenus car ces derniers préféraient être exécutés plutôt que de devoir passer le reste de leur vie en prison. La mort est-elle synonyme de liberté lorsque notre existence est submergée dans les entrailles d’un enfer manufacturé !? Dans mon affaire le procureur fait pression sur les législateurs pour ré-instaurer la peine de mort par injection létale. Le raisonnement se cache derrière un supposé désir de justice mais cette mesure de représailles témoigne de leur propension à tuer. Ça n’est pas mon problème parce que je ne crois pas que la mort soit une punition. Personne ne peut me convaincre du contraire. De plus, quand ton état d’esprit passe en mode « par tous les moyens », la mort n’est plus dissuasive face à l’objectif d’accomplir le « nécessaire » [18].

Je ne suis pas ce que l’on pourrait appeler orthodoxe. Ce que ces esprits perçoivent comme étant le scénario du pire, dans mon interprétation c’est une transition du physique au spirituel, dans laquelle on peut converger avec nos ancêtres et devenir plus adaptés à leurs ailes. Ceux qui apportent des témoignages mensongers contre nous se sont honteusement agenouillés face aux mêmes persécuteur.ice.s qui utilisent la captivité comme un outil pour détruire nos familles et nos communautés. Ils en sont arrivés à brader leurs âmes contre de la clémence. J’ai choisi de me défendre moi même (sans avocat) du coup je pourrais questionner ces rats à l’audience. C’est inconcevable d’imaginer que ces parasites opportunistes puissent exploiter un acte si juste pour leurs propres desseins égoïstes. Ce devrait être un crime contre l’humanité en soi. Ces sangsues ne compromettent même pas leur intégrité pour améliorer la vie. La plupart n’ont pas de compétences viables pour subvenir légitimement à leur besoins. Il n’y a pas de ligue professionnelle pour les baltringues. Comment survivraient-ils ? La prison James T. Vaughn les a conditionné à n’être utiles qu’à une chose « contribuer au taux de récidive ». Pour moi ce procès est une continuation de la révolte dans le sens où la prison James T. Vaughn se retrouve de nouveau sous le microscope pour une dissection. Il faut que j’insère, avec la précision d’un chirurgien, dans la conscience des jurés le fait que la révolte était le seul antidote assez puissant pour contrer le mal vicié qui exacerbe une culture de soumission. Évidemment l’état agitera les charges de meurtre, d’agression, de séquestration et de mutinerie pour des effets inflammatoires, mais ça ne me découragera pas de « tenir ma vérité et m’en remettre au destin ».

Il n’y rien qui change à part les visages (Dwayne Staats)

Tiré de United We Stood

Il y a quelques années en lisant le Delaware News Journal, mon attention a été attirée par un article qui racontait la commémoration d’un parc en l’honneur de Joe Biden. Une photo qui accompagnait l’article en disait pour plus long sur le sujet que l’article lui-même. Le parc, anciennement connu comme « Price’s park », est situé en centre-ville de Wilmington, Delaware. Un Biden jovial était entouré d’une foule de jeunes noir.e.s et leurs accompagnant.e.s (principalement des femmes). Tout le public semblait apprécier l’évènement.

Alors que je secouait lentement la tête, un sourire se dessinait sur mon visage en pensant à l’ironie de cette image. Pendant que mes yeux décryptaient la photo je ne pouvais m’empêcher de penser à combien de leurs grand-pères, pères, oncles et frères j’avais croisé durant ma détention. Ils étaient tous des « exilés institutionnels » sous le Violent Crime Control and Law Enforcement Act of 1994 (aussi appelée « loi de fermeté contre le crime »). Selon Micelle Alexander auteure de The New Jim Crow « Une fois élu, Clinton soutient l’idée d’une loi fédérale dite des « trois fautes » (Three strikes and you’re out). La loi sur le crime – à 30 milliards de dollars – présentée à Clinton en août 1994 est accueillie comme une victoire par les démocrates qui sont ainsi « capable de confisquer la question du crime aux républicains pour se l’approprier ». Cette loi crée des dizaines de nouveaux crimes passibles de la peine capitale au niveau fédéral, rend obligatoire la perpétuité pour certains de celleux qui récidivent deux fois (les trois fautes) et attribue plus de 16 milliards dollars de dotation aux prisons et au renforcement des forces de police des états et de l’état fédéral. Loin de résister à l’émergence du nouveau système de castes, Clinton se livre à une escalade dans la guerre contre la drogue telle que les conservateurs avaient pu l’imaginer dix ans auparavant. Comme l’a observé le Justice Policy Institute, « la politique de « fermeté envers le crime » de l’administration Clinton a eu pour conséquence l’augmentation la plus forte en nombre de détenus dans les prisons fédérales et d’états jamais observée pendant un mandat présidentiel aux États-Unis. » À l’époque le sénateur Joe Biden était l’un des plus grands défenseurs de la loi.

Comment se sentiront ces gamin.e.s le jour où iels découvriront qu’iels ont acclamé une personnalité qui a été instrumentale dans le déchirement de leurs familles et communautés ? Est-ce que leur perception aurait changé si iels avaient su que Biden est aujourd’hui la figure de proue d’un système dont l’évolution est basé sur la négation de leur existence ? Lors de l’un de ses débats présidentiels Biden a présenté ses excuses en reconnaissant que son soutien à cette loi était une erreur. Sachant que son « excuse » ne peut être mesurée ou quantifiée objectivement elle n’a aucun poids. L’expiation de Biden devrait se traduire par de la désincarcération et de la fermeté vis-à-vis des forces de l’ordre, des avocats, des magistrats et de tou.te.s celleux qui bénéficient d’une « immunité privilégiée » lorsqu’iels violent la constitution. Des centaines de milliers d’affaires se retrouvent en appel, sont cassées ou rejetées pour des violations grossières de ces amendements constitutionnels :

4ème amendement : Le droit des citoyens d’être garantis dans leurs personne, domicile, papiers et effets, contre les perquisitions et saisies non motivées ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n’est sur présomption sérieuse, corroborée par serment ou déclaration solennelle, ni sans qu’il décrive avec précision le lieu à fouiller et les personnes ou les choses à saisir.

6ème amendement : Dans toute poursuite criminelle, l’accusé aura le droit d’être jugé promptement et publiquement par un jury impartial de l’État et du district où le crime aura été commis - le district ayant été préalablement déterminé par la loi - d’être instruit de la nature et du motif de l’accusation, d’être confronté avec les témoins à charge, d’exiger par des moyens légaux la comparution de témoins à décharge, et d’être assisté d’un conseil pour sa défense.

8ème amendement : Des cautions excessives ne seront pas exigées, ni des amendes excessives imposées, ni des châtiments cruels et exceptionnels infligés.

14ème amendement (section1) : Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis et de l’État dans lequel elle réside. Aucun État ne fera ou n’appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis ; aucun État ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière, ni ne déniera à quiconque relevant de sa juridiction l’égale protection des lois.

Leurs privilèges et immunités sont protégés par le 11ème amendement : Le pouvoir judiciaire des États-Unis ne sera pas interprété comme s’étendant à un procès de droit ou d’équité entamé ou poursuivi contre l’un des États unis par des citoyens d’un autre État, ou par des citoyens ou sujets d’un État étranger

C’est l’une des fondations rudimentaires du ‘racisme systémique’. Telles que les choses sont aujourd’hui, il n’y a rien qui puisse dissuader les pouvoirs judiciaires d’utiliser leur position pour exprimer la bêtise, l’ignorance, le suprématisme et le racisme. Tant qu’iels ne seront pas tenu.e.s responsables en tant qu’individus plutôt qu’en tant qu’entités pour leurs transgressions contre le peuple, nous resterons sujet.te.s à un système en déclin par son manque d’intégrité, ce qui contribue à la désacralisation de l’humanité.

Partager ces réflexions m’a forcé à me replonger dans ma propre jeunesse. Je ne me souviens pas vraiment de la venue de politicien.ne.s dans nos parcs mais je me rappelle que nous étions régulièrement transporté.e.s en groupe à des événements de charité, à des levées de fonds et autres pirouettes de communication publique. Avec le recul je pense que le seul but de notre présence(/exploitation) était de participer à l’arrière plan de leur opérations photos et par conséquent de devenir l’image qui perpétue l’illusion. Il y a 30 ans il y avait sans doute déjà un prisonnier qui en lisant le journal a vu ma tête à 9 ans dans le coin d’une de ces photos, je l’imagine secouant lentement la tête tandis qu’un sourire se dessine sur son visage…

Le pouvoir au peuple !

La guerre aux prisonniers et la naissance des 17 de Vaughn – Roman Shankaras

Tiré de United We Stood

Depuis les centre de détention pour mineurs quand j’étais jeune ça a toujours été naturel pour moi de m’opposer au personnel des prisons et aux maton.ne.s pour ce qu’iels faisaient. Dès ma jeunesse je n’ai jamais cru en leur contrôle et en leur force. Je n’ai jamais cru à leur autorité, je ne me suis jamais laissé avoir ; ça n’a jamais rien voulu dire pour moi.

Les autres en prison ne l’envisageait pas pareil mais ils exprimaient quand même de la colère. Au début je n’ai jamais chercher à organiser quoique ce soit, je l’exprimais seulement – ça allait dans tous les sens mais au final la manière dont je voyais les choses c’était : t’as la haine, j’ai la haine, faisons quelque chose. Et c’est comme ça que ça se passait, depuis l’origine de ma colère contre ce système c’est comme ça que je l’ai toujours vu. C’était surtout physique, juste du déchaînement ; quelque part on émulait juste ce qu’iels nous faisaient subir. Iels nous frappent, iels sont abusifs sur des enfants, on se venge de la même manière. Et tu vois ça se développe au fur et à mesure, tu deviens adulte et maintenant t’es en prison.

En taule il y avait des gens qui partageaient cet état d’esprit mais ça ne se manifestait jamais concrètement. J’avais l’habitude de l’entendre, puis je comparais à ceux qui faisaient vraiment des trucs, eux ils n’en parlaient pas. Ils n’y connaissaient rien, ils savaient juste comment l’exprimer physiquement. Du coup j’ai trouvé un équilibre entre les deux.

Quand j’ai commencé à lire les histoires d’autres gens je me suis dit : cette personne a traversé la même chose que moi, ça me parle carrément, je vais faire la même chose que cette personne dans les années 60 ou 70. À ce moment je me suis plongé à fond dedans, à l’étudier vraiment, à le comprendre et à capter contre quelle merde je me battais. Avant j’avais une éducation superficielle contre mon ennemi, mais maintenant j’apprends, j’apprends comment ce bordel fonctionne – l’industrie carcérale ; je fais des parallèles sur comment ça affecte la communauté et comment ça revient, et maintenant je suis encore plus motivé – à dire c’est quoi la solution ? comment est-ce que je peux avoir un impact ?

George Jackson, Frantz Fanon, James Yaki Sayles – Yaki Sayles a tiré 33 ans avant d’être relâché et il est mort d’un cancer quelques années plus tard. Il a écrit un livre sur ses méditations sur Franz Fanon. Ça a changé pas mal de chose. Ça a motivé beaucoup de mes observations, George Jackson aussi. On appelait ça la base parce que c’était une compilation d’écrits et d’analyses sur les communautés et les prisons et leur relations fondamentales. C’était essentiel pour moi.

Qu’est-ce qui dans le bâtiment C a fait que les conditions étaient réunies pour ce qui s’est passé là-bas ? Mon opinion personnelle c’est : beaucoup. L’ensemble de la prison était en transition donc iels ont pris un bâtiment de moyenne/haute sécurité (comme l’était le bâtiment C) et l’ont transformé en locaux carcéraux (de sécurité plus basse). Tous ceux du quartier de haute sécurité qui avaient accumulé assez de points pour être éligible à une sortie prochaine se sont retrouvés ensemble. Juste par coïncidence c’est ça qui s’est passé.

Ça a commencé avec des problèmes triviaux : tel nombre de gens autorisés à aller aux douches, du coup ils n’avaient qu’un certains temps pour le faire ; c’était pratiquement impossible que tous ceux qui avaient besoin d’une douche puisse l’avoir. L’autre truc c’était qu’iels nous prenaient du temps de promenade et on perdait entre 45 minutes et une heure à chaque fois parce que les gardes prenaient leur temps pour ouvrir les portes et faire sortir les gens de promenade. Les trucs auxquels je considérait qu’on avait le droit, la promenade, les visites (les maton.ne.s qui devaient nous y emmener ne se pointaient pas à l’heure et t’arrives 10 minutes en retard mais iels ne te file pas de temps en plus pour compenser. Parfois les familles avaient fait des heures de route pour venir…). Donc il y avait plein de petites frustrations et ça s’est accumulé jusqu’à un point où elles ont été confrontées.

Les protestations non-violentes – il y a eu un sit-in dans la cantine (on était 21 la première fois) ; ça a mis la prison à l’arrêt. Il y avait quelques gros noms dans la cantine, avec des réputations de violences physique, donc quand iels ont vu ces personnes – dont le passif montrait que ce genre de situations finissent dans la violence – leur réponse a été d’envoyer 18 hommes en tenue complète (ce qu’iels appellent l’équipe de gros bras les CERT [19]), des chiens et des armes pour répondre à une manifestation pacifique. Ils entrent par la porte et demandent ce qu’il se passe, là les gens hésitent – je vais à la porte et je leur parle. Ils nous sortaient tout le temps des notes bidons qui disaient que tu ne peux pas aller aux toilettes quand t’es en cours . Le chef de détention est venu et a dit qu’il n’avait jamais signé ces notes. Tout ce temps c’était un autre gradé qui écrivait ces notes en falsifiant les signatures. C’est des conneries qu’on aurait jamais su si on s’était pas bougés. Et bien sûr tout le monde pensait que c’était dégueulasse. Mais c’est des trucs qui ne seraient pas sortis autrement.

Le truc non-violent, si t’as assez de monde et que tu perturbes la prison économiquement – je parle de personne qui ne travaille, personne qui ne nettoie, personne qui ne sert la gamelle – tu commences à foutre en l’air toute la structure. T’as pas besoin de verser le sang de qui que ce soit, si vous êtes assez nombreu.ses.x et que c’est organisé, que le gens ont la discipline pour s’y tenir, ce genre de truc peut-être aussi efficace – voire plus – que toi seul qui t’en prends physiquement aux flics.

Mais les gens (détenu.e.s et prisonnier.ère.s) ne se mettent pas à y croire – iels commencent à perdre confiance. Du coup pour compenser ce manque de confiance il faut concentrer ses forces – dix personnes peuvent avoir un impact plus profond qu’un milliers de participant.e.s pacifiques. Juste un petit nombre de personnes prêtes à faire le sacrifice peuvent avoir un impact plus profond que la moitié de la population dans une grève pacifique.

Iels ont réglé les problèmes – la promenade est à l’heure, il y a plus de temps pour manger ; ça marche pour les détails. Les problèmes plus sérieux, l’absence de programmes [20], l’interdiction de suivre des cours selon ton statut, ces trucs là étaient ignorés. Avec les protestations pacifiques t’as pas assez de gens pour suivre ces problèmes de manière conséquente. Du coup il faut faire place à des actions plus intenses.

Si tu imagines une répartition de la population carcérale t’as la majorité, la minorité et l’exception. À ce moment c’est l’exception qui s’est mise en action.

Il y avait d’autres gens qui ont essayé d’interférer, des gens qui l’encourageait ; au final c’était assez triste. Tu te demandes, si ça n’est jamais arrivé depuis que cette prison existe, comment ça se fait que personne n’ait jamais ressenti la même chose et décidé d’agir ? Et on dit que la génération avant la mienne était plus agressive et plus militante. Il y avait plus d’incidents isolés avant – mais il y a une différence entre le collectif et toi seul de ton côté. Un incident isolé c’est facile à balayer et à oublier, puis c’est extrêmement limité. Iels peuvent très vite asphyxier les mesures que tu prends parce que t’es tout.e seul.e.

Selon moi ce qui s’est passé au bâtiment C, c’est qu’un groupe particulier de gens en ont eu marre. Ils étaient prêts à faire ce sacrifice, à passer à l’action et à s’attaquer à la source. Tout le reste était futile. Ça avait du sens mais c’était de la gratification de surface.

Je pense que Vaughn 17 est symbolique d’une nuance de liberté, une nuance de révolution, une nuance de sacrifice. C’était symbolique d’un degré de force, je crois que ça représentait un commencement. Même si rien ne se passe pendant les 30 prochaines années, dès que le moment propice reviendra, quand les conditions seront réunies pour que ça se repasse. Et ça se repassera, parce que cette machine se sophistique constamment et si les gens ne suivent pas cette sophistication iels sont laissé.e.s en arrière. Mais si tu veux continuer à suivre ça veut dire que tu dois continuer à l’affronter. Pas seulement avec des mots.

Je crois qu’en un sens c’est la naissance d’un mouvement, qui même si il est laissé dormant pour un demi-siècle finira par réémerger. Il sera plus abouti et il aura capitalisé sur les erreurs du premier groupe. Ça dépend des gens impliqué.e.s et d’à quel point iels sont sérieu.ses.x. Mais tout compte fait c’est encourageant. Au minimum c’est encourageant pour le prochain groupe de gens qui le verra.

Les révolutionnaires de demain – Ruk

Tiré de United We Stood

Salutations camarades !

J’espère que cette lettre sera pour moi l’opportunité de présenter ce que je pense être une maladie oppressive interne. Une maladie imposée à notre peuple par le traumatisme psychologique à travers un racisme et une oppression générationnels systématiques, une maladie qui nous fait souffrir parce qu’elle alimente la déconnexion entre notre jeunesse et nous.

Selon moi la fonction centrale de cette maladie est d’estropier notre leadership futur en nous infectant de cet état d’esprit malade d’oppression interne qui réprime l’esprit rebelle et révolutionnaire de nos enfants dès la naissance ! Consciemment ou non, elle nous fait perpétuer l’enchaînement de nos pensées, du développement émotionnel et de l’esprit rebelle de notre jeunesse !

Soyons clairs, ma position ne vise pas à remettre en question ni la capacité de chacun.e à élever ses enfants, ni l’autorité du foyer ! Je cherche simplement à provoquer une réflexion qui inciterait à l’action pour ensuite causer une forme de changement générationnel décisif pour l’estime de soi de notre peuple – un peuple d’opprimé.e.s ! Tout en sympathisant et en comprenant le sentiment des parents et de celleux en position de leadership qui veulent protéger l’optimisme dans l’esprit de nos jeunes, je vous demande de regardez autour de vous ! Que sincèrement et honnêtement on réalise et admette que nos enfants sont traité.e.s comme des adultes qu’on le veuille ou non !!!

Entravé.e.s par les chaînes esclavagistes du sursis dès l’âge de 10 ans ! En proie à un système dont la seule intention est traquer nos futur.e.s leader dès la naissance ! Il les enferme dans des plantations des temps modernes en tant que jeunes, jusqu’à ce que leur développement mental et émotionnel stagne suffisamment pour qu’avant même leur puberté iels soient programmé.e.s psychologiquement pour la voie toute tracée, raciste et capitaliste, de la récidive. Pour, au final, être condamné.e.s à la mort par l’incarcération !

C’est précisément là, il me semble, que cette maladie d’oppression interne affecte la déconnexion entre notre leadership et notre jeunesse ! Il faut que nous soyons prêt.e.s à entendre une vérité ! Nous perdons les cœurs, les esprits, le respect et la confiance de jeunes rebelles et révolutionnaires, parce que ça tient à notre responsabilité de leur présenter des leaders et des exemples révolutionnaires qu’iels veulent bien suivre. Si l’intellectualisme sera toujours respecté, notre jeunesse, comme toutes les jeunesses avant elle, ne suivra pas les intellectuel.le.s réformistes et passif.ve.s qui observent de loin cette même jeunesse être attaquée psychologiquement et physiquement de manière systématique par cet ennemi avec lequel ces intellectuel.le.s veulent discuter et faire de la politique.

La capacité de la jeunesse des générations passées à reconnaître avec humilité et fascination le rôle des avant-gardes qui les ont précédées, a toujours été un pilier que cette jeunesse a pu utiliser comme catalyseur dans sa quête de changement dans des périodes de stagnation. Que ce soit le marronnage [21]
et les rébellions d’esclaves du 19ème siècle qui ont mené à la fondation d’Haïti, ou le camarade Nat Turner qui a mené une avant-garde sans merci de plantation en plantation pour faire brûler dans l’esprit des esclaves le désir de liberté pour soi et les autres par la résistance physique et au risque de sa vie. Que cela devienne une force à suivre intrinsèque pour la jeunesse, comme elle l’a été pour George et Jonathan Jackson [22] qui ont choisi de demander réparations et libération pour celleux gardé.e.s captive.f.s, opprimé.e.s et déshumanisé.e.s aux confins de la plantation contemporaine.

Notre jeunesse ne demande qu’à trouver un leadership comparable à l’esprit révolutionnaire et rebelle offert par Fred Hampton et Malcolm X, qui ont tout deux su s’adresser à l’esprit rebelle de la jeunesse ; tandis que d’autres leaders parlaient avec une passivité et un réformisme dont une génération de jeunes révolutionnaires ne pouvait pas se sentir proches.

Ce que je voudrais dire à ces parents et ces leaders c’est : vous êtes-vous déjà demandé.e.s pourquoi vous cherchiez tant à protéger l’esprit idéal et optimiste de notre jeunesse ? Est-ce qu’on a arrêté de croire que l’on pouvait élever et encourager la résistance de nos rois et reines guerrier.ère.s ? De jeunes leaders éduqué.e.s avec une pleine conscience de la réalité à laquelle notre peuple fait face, de leur ennemi et de la cause et l’objectif avec lesquels iels devraient vivre leur vie.

Si je me souviens bien, c’est cette même réalité consciente qui a produit des camardes tel.le.s qu’Harriet Tubman et Frederick Douglass [23] ainsi que des milliers d’autres intellectuel.le.s guerrière.er.s qui, du passé, nous ont fait aller de l’avant. Nous ne pouvons pas continuer à laisser cette maladie oppressive interne réprimer le leadership génial de la prochaine génération et de celles à venir !

Camarades, aujourd’hui et pour toujours notre plus grande responsabilité est de construire, continuellement et avec envie, une jeunesse noire intellectuelle et rebelle pour nous guider demain. Pas seulement pour garantir notre futur, mais pour garantir l’existence des principes centraux de notre mouvement ; pas seulement pour demander des réformes mais pour la destruction et le changement complet d’un système qui tue les opprimé.e.s de plus de manières que je ne peux l’exprimer !

Nous devons affûter leurs armes naturelles dès la naissance. Les préparer pour le moment où iels seront appelé.e.s à utiliser ces armes contre notre ennemi !!! Je ne parle pas que de fusils et de rage ! Je parle de leurs cœurs et de leurs esprits ! Un courage jeune, rebelle et révolutionnaire combiné à l’intellectualisme !

Aux jeunes : je m’adresse à vous directement quand je dis… je vous parle depuis un esprit et un cœur qui aurait pu et du être un leader pour notre peuple. Si j’avais été façonné à la façon de nos camarades passé.e.s, complètement conscient du combat de notre peuple et du but de ma vie. Il n’y a pas de limite à ce que j’aurais pu accomplir pour le collectif !!!

N’oubliez jamais, l’énormité des obstacles auxquels vous ferez face sera bien peu comparée à la force, au génie et à la détermination d’accomplir vos objectifs de vous tenir fermement du bon côté de l’oppression ! C’est une partie intrinsèque de vos personnalités. Agrippez vous à cette liberté, votre liberté, et ne laissez pas les faiblesses du leadership et les moments de difficulté vous rompre, vous faire plier ou dévier de votre chemin ! Restez fort.e.s ! Restez concentré.e.s ! Restez vous !

Et à nos parents, s’il vous plaît, respectez la force mentale et émotionnelle de nos enfants, ou, du moins, comprenez leur objectif… ne pas le faire c’est risquer leurs vies et le futur de notre peuple !!!

Souvenez vous toujours
Si c’est juste
Alors c’est légal, car le pouvoir
Est au peuple !

Ruk

Un message d’un soutien extérieur – Fariha

Tiré de United We Stood

Choisis ton camp : si la libération n’est pas ton objectif alors qu’est-ce que c’est ? On m’a demandé de donner mon avis sur une brochure. On est exigeant.e.s lorsqu’il faut choisir un sujet sur lequel s’exprimer et une audience pour qui le faire. J’ai donc choisi les miens. De quel camp êtes-vous ? Les notes lyriques de cette chanson libératrice rôdent dans ma mémoire [24]. On répond souvent qu’on est du côté de la liberté. C’est ces mots que nous avons chanté lorsqu’en tant que soutiens extérieurs nous représentions, devant les mur froids des taules, les 17 de Vaughn et les autres combattant.e.s des prisons pour la liberté pendant les actions directes du #BlackAugust [25]. Nos camarades Dwayne Staats et Jarreau Ayers nous ont inspiré.e.s à défendre cette idée. Nous avons bruyamment crié les mots qu’ils avaient écrits alors qu’ils portaient l’uniforme orange des emprisonné.e.s. Nous nous sommes particulièrement rendu.e.s compte de comment, ces dernières années, les soutiens extérieurs sont souvent tombés dans le piège de l’activisme libéral qui romance le soutien aux prisonnier.ère.s et qui débat sur son propre activisme en oubliant ce que l’objectif ultime devrait être. Si vous n’êtes pas là pour ouvrir les portes des prisons pourquoi êtes vous là ? Voilà une question que je lance à l’univers. Je comprends bien que certain.e.s d’entre vous s’engagent dans des discussions philosophiques sur ce que devrait être l’abolition, et cet engagement est nécessaire et valable. Mais je suis fatiguée. Je me retrouve là à me demander, depuis combien de temps les gens ont usé de mots ? Le changement ne se fera pas du jour au lendemain. Je contemple mes camarades à l’extérieur, je peux les compter sur les doigts d’une main.

Je pense souvent à ces jeunes activistes blanc.he.s qui se plaignent des questions de surpopulation. Je voudrais leur présenter mes camarades. Est-ce qu’iels connaissent ce.tte militant.e emprisonné.e stylé.e qui fait une grève de la faim de 7 jours avec ses camarades au cœur des geôles pennsylvaniennes ? La question de la surpopulation était évidente pour certains de mes camarades que l’ont connaît mieux en tant que 17 de Vaughn. Ils sont tous accusés d’avoir participé au soulèvement de la prison James T. Vaughn dans le Delaware. Au cour du procès nous avons perdu Kelly Gibbs à cause d’un prétendu suicide. Aujourd’hui la plupart ont été envoyés en Pennsylvanie, l’un d’entre eux est en Virginie et un autre en Illinois. Jusqu’à maintenant ils sont restés forts et unis et ont conservé un grand respect les uns pour les autres. J’ai assisté au procès et, honnêtement, ils m’ont sauvé d’une quasi retraite de l’activisme. Après les émeutes de Baltimore [26] je n’en pouvais plus des campagnes de soi-disant justice sociale. Pourtant, ces gars-là m’ont montré qu’il y avait des choses plus importantes, c’est là que j’ai choisi mon camp. La lutte anti-carcérale n’est pas simple, mais je suis fier.ère de pouvoir dire que je suis du côté de la liberté – jusqu’à ce que chaque porte soit enfoncée et chaque mur abattu, jusqu’à l’abolition. Le pouvoir au peuple.

Fariha

Un peu de contexte

L’histoire de la mutinerie à la prison James T. Vaughn se lit dans et entre les lignes des lettres traduites dans cette brochure. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de plus pour comprendre et de sentir proche du violent élan de liberté qui habitait ses protagonistes. Cependant il est apparu utile d’ajouter à la traduction française un résumé plus descriptif et une petite contextualisation du système carcéral et judiciaire étasuniens.

La prison James T. Vaughn peut enfermer jusqu’à 2500 personnes, c’est l’une des quelques prisons de l’état du Delaware (un des plus petit des États-Unis). Ses différents bâtiments sont destinés à l’incarcération de prisonniers de tous les niveaux de sécurités de l’autorité carcérale (« minimum », « medium » et « maximum ») ainsi qu’à ceux qui y sont détenus dans l’attente de leur procès.

Dans les mois qui ont précédé la révolte plusieurs facteurs contribuent à créer une atmosphère propice à l’embrasement. En raison de travaux le bâtiment C est temporairement reconverti en unité de sécurité maximum, mais n’étant pas conçu pour, les mesures de sécurité se retrouvent amoindries. En parallèle plusieurs prisonniers considérés comme dangereux et influents, auparavant maintenus à l’isolement peuvent rejoindre la population générale au sein du bâtiment C.

C’est aussi dans ce bâtiment qu’opère une équipe de matons particulièrement abusifs qui s’attirent la haine unanime des prisonniers. Les petits chefs de la détention rajoutent à l’oppression des réglementations carcérales leur dose d’arbitraire, de vexations et punitions aussi bien individuelles que collectives. Les restrictions collectives des temps de douche, de téléphone ou de parloir sous des motifs bidons cherchent à mettre les prisonniers en concurrence. Ces derniers décrivent la situation comme une guerre ouverte entre les matons et les prisonniers, qui plutôt que de diviser les enfermés fini les rassembler.

À l’image de la société étasuniennes hors de leurs murs les prisons fonctionnent sur des bases de ségrégation raciale et sociale forte. L’affiliation raciale et culturelle pèsent lourd sur les rapports entres les prisonnier.ère.s et les hiérarchies quasi formelles (comme les « prison gang ») ou informelles régissent elles aussi la vie sociale des enfermé.e.s. C’est pourquoi il est surprenant, pour nous et encore plus pour les autorités carcérales, qu’au début de l’année 2017 des prisonniers d’horizons différents se soient retrouvés et organisés pour tenir tête à la prison.

Dans les semaines qui précèdent le 2 février un groupe de prisonniers se concerte pour lutter contre les conditions de détention. Ils organisent plusieurs mobilisations non-violentes dans le bâtiment C. Comme le raconte Roman Shankaras dans son texte, l’une d’elle consiste en un refus collectif de regagner les cellules. La réaction des matons et de leurs chefs montre déjà que ces derniers réalisent le danger potentiel que représente une action collective transversale dans ce bâtiment. Les matons en tenue anti-émeute préfèrent négocier et accepter une partie des revendications contre un retour au calme. Pendant un temps les quelques concessions cosmétiques apaise l’ambiance, mais très vite le vernis craque, les mesurettes disparaissent et la colère remonte. L’escalade devient inévitable.

Contrairement à l’image d’une explosion de violence destructrice irréfléchie et spontanée que peignerons les médias plus tard, la révolte à la prison James T. Vaughn est le fruit d’une préparation minutieuse. Les prisonniers s’accordent sur une liste de revendications (dont nous n’avons malheureusement pas le détail) concernant les conditions de détention. Probablement influencés par le bagage politique de certains d’entre eux, les futurs mutins revendiquent dès le départ une lutte qui dépasse de loin leurs propres conditions de détention et qui s’attaque à l’entièreté du système répressif. Cette ambition plus large est attestée par le fait que certains s’investissent dans le projet en acceptant sciemment des rôles sacrificiels. La répression à venir est envisagée dès les préparatifs de la révolte et plusieurs prisonniers aux peines les plus lourdes sont déjà prêt à en prendre la responsabilité quitte à sacrifier les minces espoirs de sortie (légale) qu’il leur restait.

Le matin du 1er février 2017 au moment de rentrer de la promenade un groupe de prisonniers aux visages dissimulés se jettent sur les 3 matons présents dans le bâtiment à ce moment là. Ils sont maîtrisés et tabassés avant d’être enfermés dans des placards. Pendant ce temps un autre prisonnier va chercher une travailleuse sociale dans son bureau et l’enferme dans une cellule. Rapidement les issues sont barricadées et les mutins se rendent maîtres du bâtiment. Les vêtements et objets incriminants sont détruits à la javel ou par les flammes.

Le siège du bâtiment C par les flics de la pénitentiaire assistés des ‘troopers’ de l’état durent 19h. Plus d’une centaine de prisonniers se trouvent à l’intérieur. Tous ne participent pas à la révolte, certains restent passivement dans leur cellule, d’autres même décideront de quitter le bâtiment lors de sorties organisées en accords avec les mutins. En plus des barricades c’est la présence des otages qui retarde l’opération policière. Des échanges talkie-walkie ont lieu entre les keufs et les prisonniers qui réclament de pouvoir parler au gouverneur et aux grands médias nationaux pour faire entendre leurs revendications. Plusieurs des participants décrivent ces 19 heures comme une parenthèse de liberté magique lors de laquelle les prisonniers reprennent possession des murs dans une ambiance de solidarité festive. Ils partagent leur nourriture et leur médicaments, s’assurent que tous vont bien.

Le 2 février à l’aube les flics défoncent l’une des portes avec un tractopelle. Ils rencontrent peu de résistance mais découvrent le corps d’un des trois matons pris en otage. Dans la presse et le monde politique du Delaware (un état minuscule où il ne se passe pas grand-chose) c’est l’indignation. L’ampleur que prend l’affaire laisse peu de doute sur la fermeté de la répression qui s’annonce. 18 prisonniers sont désignés et inculpés pour la révolte et le meurtre du maton. Ils sont transférés dans deux autres prisons (il n’y a pas assez de prisons de haute sécurité dans le Delaware pour pouvoir les séparer plus), mis à l’isolement et constamment harcelés par les matons.

La répression judiciaire s’organise, l’état ne peut pas laisser passer la mutinerie et le meurtre d’un de ses matons. Dans un premier temps la pression est telle que le procès est reporté pour laisser le temps aux législateurs de discuter de la réinstauration de la peine de mort. Cette discussion a pour déclencheur explicite la révolte de James T. Vaughn et la peine de mort pourrait être rétroactivement appliquée aux inculpés. Pour répondre à la mort d’un de ses mercenaires en uniformes l’état réclame du sang.

C’est dans ce contexte plusieurs individus et collectifs se sentant solidaires prennent contact avec certains des inculpés. Ce premier lien marque le début de la solidarité anarchiste avec la révolte de James T. Vaughn. Il participera à faire connaître l’histoire dans les milieux anarchistes et révolutionnaires d’Amérique. Parmi ces collectifs l’Anarchist Black Cross Chicago échangent des lettres avec les inculpés. Ce sont ces lettres qui seront publiées dans Live from the Trenches.

Une pression énorme est mise sur les inculpés et les autres prisonniers présents le jour de la révolte par les procs et les autorités carcérales pour obtenir des témoignages à charge. Les inculpés finissent par apprendre que l’un des leurs Royal ‘Diamond’ Downs est en réalité une balance. Ce dernier dans une négociation avec l’accusation accepte de charger ses co-inculpés pour ‘ne pas être sûr de finir sa vie en prison’ (autant dire pas grand-chose pour quelqu’un condamné à la perpétuité avec l’espoir très hypothétique de voir sa première condamnation remise en cause des décennies plus tard).

Les procs décident de diviser l’affaire en plusieurs procès. Dwayne Staats et Jarreau ‘Ruk’ Ayers présentés comme faisant partie des leaders du groupe doivent comparaître au premier procès. Après avoir rejeté leurs avocats commis d’office ils se heurtent à la quasi impossibilité de se faire représenter. Face aux remous provoqués par l’affaire dans les élites du petit état Delaware et dans un contexte où il n’est pas rare que les procs deviennent avocats et vice-versa, les baveux ne veulent pas se mouiller. Les deux prisonniers décident donc de se défendre eux-mêmes. Ce qui leur donne directement accès au dossier en détention. Cet accès va leur permettre d’étudier à fond le dossier et de communiquer en douce malgré l’isolement pour préparer leur défense collectivement avec les autres inculpés. Par ailleurs la répression carcérale intense n’a pas raison de la combativité des révoltés de Vaughn qui à l’été 2018 se coordonnent pour organiser un grève de la faim en protestation de leur conditions de détention.

À l’approche du procès l’ABC de Chicago, qui est éloignée géographiquement, se retire à mesure que plusieurs individus et collectifs plus ‘locaux’ de Washington et Philadelphie prennent le relais du soutien et de la solidarité extérieurs (c’est de ce nouveau lien qu’émergera par la suite United We Stood).

Le premier procès contre Staats, Ayers et Deric Forney s’ouvre en novembre 2018. L’accusation n’a pratiquement aucun élément matériel car les objets les plus incriminants ont été détruits et que les relevés d’empreintes et d’ADN n’ont quasi aucun poids ayant été effectués dans des lieux où tous les inculpés vivent depuis au moins plusieurs semaines (et qu’il est impossible à l’accusation de prouver que les empreintes et traces ADN trouvés datent de la révolte et pas avant). Les procs s’appuient donc majoritairement sur les déclarations à charge faites pas d’autres prisonniers (Diamond et d’autres qui ne sont pas poursuivis). En assurant leur propre défense Staats et Ayers ont aussi l’occasion d’appeler à citer leurs propres témoins et d’interroger eux-mêmes ceux de l’accusation. Les témoignages souvent vagues voire contradictoires sont démontés et les deux accusés en profitent pour ridiculiser les balances à l’audience. Ils vont même plus loin profitant de leur contre-interrogatoires pour saper les déclarations qui pèseront sur les futurs procès et construire une narration sur laquelle la défense dans ces derniers pourra s’appuyer. À l’issue du procès Dwayne et Staats qui ont assumé la responsabilité de la révolte et qui étaient déjà sous le coup d’une perpétuité, sont condamnés et Forney est acquitté.

Ce premier procès est une humiliation pour l’accusation qui avait promis des têtes à l’opinion public. Les procès suivants ont lieu en février pour John Bramble, Kevin Berry, Obadiah Miller et Abednego Baynes ‘Beans’, et mai pour Shankaras. À ce procès l’accusation présente l’un des seuls relevés ADN du procès contre Obadiah Miller. Selon le proc son ADN a été retrouvé dans l’un des placards où les matons étaient séquestrés. Il suffira à sa défense de rappeler qu’Obadiah bossait comme auxiliaire dans la taule à cette période, et qu’à ce titre il avait accès à ce placard, pour démonter ce début de ‘preuve’. Toujours sans éléments matériels donc et faute d’aveux ou de dénonciations des accusés, les deux procès se soldent par des relaxes. Face à ces défaites successives l’accusation abandonne les poursuites pour les inculpés restant.

Cette ‘victoire judiciaire’ peut sembler surprenante, elle l’est. Cependant plusieurs circonstances assez inédites l’expliquent. D’abord et surtout c’est la préparation et la coordination des inculpés entre eux. Ça a été mentionné plus haut mais le fait que la répression ait été anticipée et discutée dès la préparation de la révolte mérite d’être souligné à nouveau. La solidarité et l’unité des inculpés (à l’exception de Diamond) a joué un rôle particulièrement importants dans un système judiciaire où 98% des affaires finissent dans des accords négociés de plaider coupable. C’est d’ailleurs une des erreurs principales de l’accusation que de s’être reposée sur la certitude que certains inculpés accepteraient de négocier. En prévision de ces négociations l’accusation avait décidé, pour se donner un moyen de pression, de poursuivre 16 des inculpés pour le meurtre du maton. Quand personne n’a coopéré l’accusation s’est retrouvé forcé de poursuivre 16 personnes pour meurtre sans éléments matériels, sans aveux ni dénonciations solides. Les verdict de ces procès étant déterminés par un jury, et compte tenu de l’absence de preuves convaincantes, les jurés, à part pour Staats et Ayers, ne se sont jamais unanimement mis d’accord pour prononcer la culpabilité des inculpés « au-delà de tout doute raisonnable ».

[1En plus de Royal “Diamond” Down, le seul parmi les inculpés a avoir choisi de négocier avec l’accusation en balacant ses complices, plusieurs prisonniers, présents dans le batiment lors de la révolte mais qui n’ont pas été considérés comme y ayant participé, ont témoigné a charge lors des
différents procès (vraissemblablement aidés par la pression mise par l’administration pénitentiaire).

[2Le 21 novembre 2018 Kelly Gibbs, l’un des inculpés, est retrouvé mort pendu dans sa cellule quelque temps après avoir accepté une négociation de ‘plaider coupable’. II laisse derrière lui une lettre dans laquelle il prend la responsabilité du meurtre du maton et disculpe ses co-inculpés. Le tribunal jugera que cette lettre n’est pas recevable.

[3Abréviation de l’anglais ‘shaking my head’ pour signifier le désaccord et l’exaspération. Comme l’expression nous parait intranscriptible en francais et quelle revient au fur et à mesure des lettres on a choisi de la laisser telle quelle.

[4Traduction du texte de l’image : “Mort aux rats. Tue : les rats, les souris, les cafards et tous les nègres de maison des temps modernes !!!”

[5Dans la panoplie infinie des gadgets du marché de la répression aux Etats-Unis, certaines prisons équipent leurs maton.ne.s avec des boucliers anti-émeute qui envoient des décharges électriques aux personnes qui ont la malchance et/ou l’audace de se trouver en face.

[6Gratuitement.

[7L’Anarchist Black Cross est un réseau international de soutien aux prisonnier.ère.s anarchiste avec des antennes dans différents coins, notamment plusieurs assez actives en Amérique du Nord.

[8John Brown est un abolitionniste blanc du 19ème qui a pris les armes avant la guerre civile pour lutter contre les esclavagistes. Il a été condamné à mort et pendu en 1859 pour avoir fomenté une insurrection d’esclaves qui a fini réprimée dans le sang.

[9Le Department Of Justice (DOJ) et le Department Of Correction (DOC), sont les institutions dans chaque état en charge respectivement de la justice et des prisons. A noter qu’il existe aussi un département de la justice à l’échelle fédérale et un bureau fédéral des prisons.

[10Derek Chauvin est le flic quia tué Georges Floyd le 25 mai 2020 A Minneapolis. C’est ce meurtre policier qui a donné lieu aux émeutes qui ont embrasé les Etats-Unis durant les semaines suivantes.

[11En anglais “the so called 8 governement of Amerikkka” est une expression instranscriptible qui confond les orthographes d’”America” et de “KKK” (Ku Klux Klan) pour souligner le caractère raciste et suprémaciste des Etats-Unis et de leur gouvernement.

[12Un pasteur évangéliste célèbre pour avoir organisé d’immenses rassemblements religieux et qui aurait participé à de nombreuses conversions.

[13Jeu de mot sur le Department of Corrections précédemment cité.

[14Une émission TV populaire au Etats-Unis depuis plus de 30 ans dans laquelle la caméra suit des flics dans une version dramatisée au montage de leurs interventions quotidiennes.

[15En 2016 après un combat judiciaire la Community Legal Aid Society, Inc. (CLASI) a obtenu d’une cour de justice que la mise à l’isolement dans l’état du Delaware ait un nouveau cadre réglementaire.

[16Une autre manière de nommer la révolte, Smyrna étant la ville la plus proche de la prison James T. Vaughn.

[17Diplôme pour adulte équivalent au niveau lycée.

[18“By any means necessary” (“Par tous les moyens nécessaires”) est une phrase tirées des écrits de Frantz Fanon et reprise par Malcolm X qui est emblématique des mouvements de libération noirs aux Etats-Unis.

[19Les équipes CERT (Correctional Emergency Response Team) sont en charge d’intervenir dans les situations particulièrement violentes ou tendues en prison. C’est un équivalent des ERIS (Equipes Régionales d’Intervention et de Sécurité) en France.

[20Programmes de cours et d’ateliers à destination des détenu.e.s en vu de la réinsertion.

[21La marronnage désigne la pratique des esclaves déserteur.ice.s qui s échappaient des plantations pour se réfugier dans des zones difficiles d’accès (forêts, marais,...) et y former des communautés dans lesquelles iels vivaient de la nature environnantes mais aussi de vols et de pillages, parfois iels y fomentaient aussi des rébellions et s’attaquaient aux plantations avoisinantes.

[22George Jackson a été condamné à une peine à durée indéterminée en 1961 pour le braquage d’une station-service. En prison il s’est familiarisé avec les idées et les textes révolutionnaires et a participé à fonder la Black Guerilla Family (un des principaux gangs de prisonniers particulièrement lié aux mouvements de libération noirs depuis les années 1960). Il a été tué dans une tentative d’évasion échouée en 1971 dans laquelle trois matons ont aussi trouvé la mort. Ses écrits ont été
publiés dans deux livres Soledad Brothers (Les Frères de Soledad) et Blood in my eyes (Du sang dans mes yeux). Jonathan P. Jackson, le frère de Georges Jackson, était membre du comité de soutien des Soledad Brothers. Il est mort abattu par les flics lors d’une tentative de prise d’otage et d’évasion qu’il avait organisé dans un tribunal de Californie.

[23Deux abolitionnistes né.e.s esclaves du 19éme siecle. Harriet Tubman après avoir fui l’esclavage a aidé et guidé la fuite de dizaines d’autres esclaves avant et pendant la guerre civile. Frederick Douglass a lui aussi fui l’esclavage et est devenu une des figures noires les plus emblématiques de l’abolitionnisme de cette époque.

[24“Which side are you on ?” (“Dans quel camp êtes vous ?”) est une chanson sur les luttes syndicales de la fin 19éme/début 20éme aux Etats-Unis.

[25Le Black August (“l’août noir”) est une commémoration annuelle pendant le mois d’aoiit des mouvements de libération noirs aux Etats-Unis et ailleurs. Ces commémorations particulièrement tournées vers les prisonnier.ére.s ont été initiées par la Black Guerilla Family.

[26A la suite du meurtre Freddie Gray par la police le 12 avril 2015 la ville de Baltimore a
connu plusieurs nuits d’émeutes.


Traduites depuis les brochures Live frome the Trenches et United We Stood



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