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Auslieferung

mis en ligne le 14 juin 2023 - Thunfisch

Quelques réflexions sur :
- la prison, le genre et le patriarcat
- la figure de prisonnier.e politique
- le transport pénitentiaire
- les émotions en prison

Sommaire :
Introduction
Remerciements
Exemples du déroulé d’une journée en prison
Tentative de communiqué n° 38472
Discours devant la prison Lichtenberg, Berlin
C’est quoi cette histoire de privilèges ?
Lettre de prison 1
Lettre de prison post-prison
Le jour où il a neigé
Ce que tu dois savoir sur les prisons "pour femmes"
Deux terribles vérités sur la prison
Avant de se quitter : quelques conseils
Bibliographie


Introduction

Après mes incarcérations en Allemagne, de 3 mois en 2016-2017 (suite à une manif en solidarité avec le squat berlinois Rigaerstraße 94) et de 9 jours en novembre 2019 (suite à l’accusation d’avoir tenté de brûler une voiture de flics), je me suis encore intensément intéressée à la question de la prison - sans vraiment en avoir conscience, j’en suis arrivée à nouveau à la question du patriarcat.

J’ai rarement trouvé des analyses, des discussions ou des communiqués sur les prisons et l’enfermement qui correspondent à mon expérience dans 5 différentes prisons allemandes "pour femmes" ni qui aient pu m’éclairer sur mes difficultés à vivre ma position de prisonnière (politique). En moi, il restait de cette expérience des lambeaux, sales et mystérieux, incompréhensibles pour beaucoup. J’essaie de coudre ces lambeaux mais ils ne vont pas ensemble, ils ne forment pas une image convenable.

* * *

Le plus souvent, les discussions sur la thématique "Genre et prison" aboutissent dans l’impasse des stéréotypes de genre : "amour, care et enfants". Ne me comprenez pas de travers, ce sont des sujets très importants, je trouve juste insupportable que ce soit si souvent les seules choses que nous ayons à dire quand il s’agit de parler de genre et de prison. Là-dedans, j’ai ressenti quelque chose d’autre, quelque chose qui m’a séparée des expériences de prisonniers cis-hommes, m’a séparée des activités anti-carcérales habituelles et m’a éloignée de parties de moi. Il reste tellement de points d’interrogation.

Le plus souvent, les discussions sur la thématique "prisonnier.es politiques" aboutissent avec "tou.te.s les prisonnier.es sont politiques, certain.es sont subversifs.ves/rebelles/solidaires". Et c’est bien. Seulement cela ne m’aide pas à comprendre ce qu’il s’est passé là-dedans, ce long ruban des rapports avec mes codétenu.es, qui était si coloré et si changeant. Là-dedans, ensemble, nous avons fait de la politique. Mais quelle politique ?

J’ai trouvé des traces, des fils d’Ariane, dans quelques autobiographies telles que celles d’Inge Viett ou de Barbara Balzerani. J’ai pleuré en entendant pour la première fois Interview avec S. Des conversations avec quelques collectifs contre la prison m’ont apaisée et renforcée. Quelques émissions de "Un podcast à soi" m’ont chamboulée [1]. Voilà les rares prises auxquelles j’ai pu me tenir pour la digestion exagérément longue de ce qu’il m’est arrivé dans ces cellules.

* * *

C’est délirant à quel point c’est dur pour moi de faire sortir cette brochure. Je suis harcelée par mille questions : est-ce que ce n’est pas mégalo de faire une brochure avec seulement mes textes ? Est-ce que c’est seulement OK de signer un texte avec mon nom ? Est-ce que ça n’invisibilise pas d’autres prisonnier.es ? Est-ce que ce que j’ai écrit vaut seulement la peine de l’imprimer sur papier ? Est-ce que je ne vais pas mourir de honte quand des gens liront cette brochure ? Ces questions sont certes très importantes, mais je sais aussi que le fait que je me les pose et que d’autres se les posent moins est l’une des raisons pour lesquelles certaines voix sont entendues et d’autres non.

Je ne liste pas mes hésitations pour qu’on me rassure ou pour me justifier de quoi que ce soit, mais pour créer un lien avec les personnes qui se les posent aussi. Beaucoup de textes sont publiés comme si ce n’était rien, comme si nous autres qui souffrons à la simple idée de faire entendre nos voix étions des cas particuliers. Nous sommes plein et c’est justement parce que nous nous posons ces questions qu’il est essentiel que nous les dépassions. Ça m’a pris 6 ans d’efforts pour considérer mes propos sur la taule comme valant la peine d’être diffusés. 6 ans où j’ai été encore et encore confrontée à des situations où des compa auraient peut-être moins souffert si j’avais fait entendre ma voix avant et si j’avais partagé mon expérience, 6 ans où j’ai du répéter les mêmes choses encore et encore car je les avais chuchotées trop bas dans le vide.

* * *

Souvent, on représente le quotidien en prison, l’enfermement et la répression comme une lutte entre deux camps où il s’agirait de tenir bon. Mon expérience était autre. Je me trouvais - je me trouve dans une grosse toile d’araignée faite des forces et de failles, où mes privilèges sont finalement les armes avec lesquelles on me met en échec, où je suis souvent ma pire ennemie et où j’ai encore honte de certaines de mes plus grandes et belles victoires. Sur cette toile d’araignée, je dois me mouvoir tout lentement et observer en silence ce qu’il se passe alors, comme dans un jeu d’échecs, sauf que c’est tout mon coeur, mon corps et ma liberté qui sont en jeu, et pas seulement les miens. Or si je ne bouge pas, mon destin est scellé d’avance.

J’ai choisi de publier ces textes tels quels sans les retoucher, même si parfois ça pique.

Je vous propose de m’accompagner à travers les années, avec toutes les incohérences que cela implique. Vous trouverez ici presque tous les textes que j’ai écrits sur la question ainsi que quelques inédits.

Note sur les traductions : Certains textes ont d’abord été écrits en allemand, certains ont été traduits par moi, d’autres par d’autres personnes, le plus souvent anonymes. Merci beaucoup à vous !
Le titre de la brochure est un mot allemand, Auslieferung. Je l’ai choisi car il revient sans cesse dans mes écrits et que je n’arrive pas à le traduire en français. C’est un état ou un sentiment d’être "livré sans défense, à la merci [de l’ennemi]". Je l’ai laissé en allemand ou signalé après la traduction.

Remerciements : Mille mercis aux personnes qui ont relu cette brochure, m’ont demandé des nouvelles régulièrement, m’ont aidé à écrire les textes, à la mise en page, aux décisions prises. Un merci énorme aussi à tou.te.s celleux qui m’ont tenu la main dans l’aventure de cette brochure dont j’ai fait tout un flan. Mille mercis aussi à celleux qui ont été là, physiquement, en pensées ou par lettres, lors de mes séjours en prison et après.


Pour commencer... exemples du déroulé d’une journée en prison

Une journée à Bielefeld-Brackwede :

Dans la cellule, il y a : une radio, de quoi écrire, peut-être une bouilloire ou une télévision, des toilettes.

5h30 : réveil par l’interphone : "5h30, debout"
6h-7h : porte de la cellule ouverte sur le couloir et la cuisine. C’est le moment de donner les demandes écrites et courriers aux maton.nes.
11h30 : distribution du repas de midi.
15h à 16h : couloir, demandes écrites, courrier. Possibilité de prendre une douche.
16h à 17h : promenade ou téléphone.
17h : distribution du repas du soir et du petit-déjeuner du lendemain.
20h : contrôles vitaux et de présence, et c’est parti pour la nuit.

En prison, toute demande fonctionne par écrit, sur un formulaire dédié. Pour s’inscrire à une activité, se plaindre, obtenir une autorisation pour un coup de fil, une visite ou un livre : formulaire.

Tous les soirs et les matins, les maton.nes doivent vérifier que les détenu.es sont en vie et toujours là. Iels rentrent dans ta cellule, te regardent et ressortent.

Les horaires où il ne se passe rien sont les horaires passés en cellule.

Une journée à Berlin-Lichtenberg, dans le quartier des arrivant.es :

Dans la cellule, il y a : une radio, de quoi écrire, une télévision, un téléphone, des toilettes, une douche, une bouilloire.

7h : réveil et contrôles vitaux : les maton.nes ouvrent la porte, disent "Bonjour" et tu dois leur répondre un truc, car ça leur sert aussi à vérifier que tu es toujours là et en vie.
8h à 10h : Promenade ou salle de sport.
12h : On va chercher le repas du midi dans l’espace cuisine de la station.
19h : on va chercher le casse-croûte du soir et petit-déjeuner le lendemain dans l’espace cuisine, ainsi que du PQ ou autre.

Deux fois par semaine, les cellules étaient ouvertes de 17h à 19h et on pouvait aller les unes chez les autres ou être ensemble dans l’espace cuisine. Bienvenus étaient aussi : la messe le dimanche, les cours d’art (une fois par semaine sur inscription), le tour à la bibliothèque (dans l’après-midi, une fois par semaine).

Une journée à Berlin-Lichtenberg, dans le "quartier des étrangères" :

Dans la cellule, il y a : une radio, de quoi écrire, une télévision, un téléphone, des toilettes, une douche, une bouilloire.

8h : réveil et contrôles vitaux.
8h à 20h : les cellules sont ouvertes sur la station, on peut aller les unes chez les autres ou être ensemble dans l’espace cuisine.
12h : le repas de midi est servi dans l’espace cuisine.
14h à 16h (ou plus si les maton.nes ont envie, parfois ça allait jusqu’à 19h, on rentrait et on sortait comme on voulait) : Promenade ou salle de sport.


Tentative de communiqué n° 38472

Écrit fin janvier 2017, publié sur freethunfisch.blackblogs.org.

Chèr*es vous [2],

J’ai réfléchi très longtemps et j’ai décidé de ne pas dire un mot de l’"affaire" ou du procès dans ce "communiqué". La situation est déjà bien assez compliquée pour que je ne doive la compliquer encore plus avec mes propres déclarations. Mes convictions, ma solidarité pour la Rigaer Strasse 94 et pour les luttes que nous menons tou*tes ensemble, n’ont rien à voir avec cette décision - mais pourquoi est-ce que je me sens obligée de me justifier ? J’aimerais juste raconter comment c’est, d’être en taule. Bon, je ne suis en aucun cas la première = pour une analyse plus complète, plus précise et à long terme du quotidien dans les prisons de Pankow et Lichtenberg, je vous recommande les textes de Gülaferit Ünsal (soligruppeguelaferituensal.blogsport.de). Moi pour ma part, je vous dirais seulement que la taule brise mon coeur chaque jour et me révolte toujours plus. Pas que j’aille si mal ; surtout parce que des personnes fabuleuse - compagnon*nes, ami*es, famille, entre autres - me soutiennent, m’aident, m’envoient des zines, des journaux, des livres et tout un tas de courriers, dans lesquels iels (...vous !) m’encouragent, me consolent, me conseillent, me font rire et parfois aussi pleurer.

Pour moi, pourquoi je suis ici et ce que les agent*es de l’Etat veulent de moi, ce qu’iels veulent punir en moi, est très clair - j’écris "de moi" et "en moi", mais je pourrais aussi écrire "de nous" et "en nous", car je suis enfermée au nom de nous tou*tes (ce "nous" n’a pas de frontières claires, mais il a quelque chose à voir avec les espaces libérés et les luttes contre les formes de pouvoir et les autorités). Combien d’entre vous m’ont déjà écrit que je ne suis pas seule - et à chaque fois, ça fait tant de bien de le lire !

C’était la première raison pour laquelle je vais à peu près bien. La deuxième réside en mes privilèges sociaux, donc que je sache lire et écrire et que j’ai eu, avant, suffisamment de temps libre pour développer des hobbies que je peux continuer ici. Mais ces deux raisons sont rares.

Beaucoup le savent déjà : les discriminations structurelles ne se laissent pas repousser par les murs et les barbelés. Au contraire : les discriminations que les personnes subissaient dehors sont mises ici au quarré. Les "assassin.es au sang froid" sont extrêmement rares : la plupart sont en prison pour des actes (des petits délits aux "crimes plus lourds") qui ont été réalisés sous la pression, la violence, la contrainte, l’instabilité psychique, les besoins vitaux, la manipulation, entre autres. Or - surprise ! - ces causes ont souvent quelque chose à voir avec des discriminations structurelles, et constituent souvent de gros traumatismes. Mais je ne veux vraiment pas continuer à analyser mes codétenues, mais plutôt la taule et quelques uns de ses mécanismes.

Qui ne peut pas parler et/ou écrire en allemand, en raison de son histoire perso ou de sa première langue, est mal baré.e. Toutes les demandes, inscriptions et plaintes doivent en effet être formulées par formulaire. Il ne reste donc plus aux personnes concernées qu’à faire confiance aux codétenues... Et qui ne peut parler parler allemand est totalement livrée aux codétenu*es et aux maton*nes. S’iels ont la flemme, alors celleux qui ne parlent pas allemand seront totalement exclu*es de toute communication. En effet, il n’y a pas d’interprète attitré*e en prison. Parfois, il est concrètement impossible de contacter sa*son avocat*e commis*e d’office en amont pour lui demander de venir avec un*e interprète. Les possibilités de divertissement sont aussi nettement réduit*es : tous les canaux de télé disponibles sont en allemand ou en français, et le stock de livres en langues étrangères est très réduit : par exemple il n’y a, dans toute la prison de Lichtenberg, qu’un seul bouquin en roumain. Alors forcément, tu te dis "je m’ennuie à mourir, j’aimerais bien travailler". Encore une fois, pas de bol : les prisonnièr*es qui ont un passeport allemand ont la priorité sur les autres [ceci ne m’a été dit que par le maton*nes, je n’ai trouvé aucune autre source]. Alors il ne te reste pas grand chose à faire à part rester au lit toute la journée - et pour ça tu te fais encore critiquer avec des commentaires racistes ou classistes.

C’est un exemple que j’observe souvent, et un parmi beaucoup d’autres. Les personnes handicapées, pour leur part, sont invisibilisées. Même la promenade n’est pas accessible et les cellules non plus. Je n’ai encore rien vu, qui soit pensé pour des personnes avec des handicaps, ni livres en brail ni boutons d’alarme générale ou d’appel d’urgence pensées our des personnes de petite taille. Même la structure de répartition des détenu*es pue. Les personnes sont mises sous étiquette, éhontément : "Hommes"/"Femmes", "Droguées", "Gitanes" etc, et ton étiquette - en l’occurence, dans quelle cellule, dans quelle station et dans quelle taule tu te trouves - conditionne la manière dont les autres pensent qu’iels doivent t’envisager et se comporter avec toi. En plus de cela, beaucoup de prisonnièr*es sont si seules. Même celle qui avait un large cercle social le perdent au fil des années, des mois, des semaines. La force repoussoir et séparatrice de la taule fonctionne à meveille, et beaucoup de taulard*es perdent leurs tafs, apparts, enfants, projets, animaux familliers ; ce qui ne se passerait parfois pas, si iels n’avaient ne serait-ce qu’1 être solidaire qui les soutienne au dehors.

Et c’est justement ces personnes-là que nous excluons en plus quand nous chantons "liberté pour tous les prisonnier*es POLITIQUES’. Bien sûr que la solidarité avec les compagnon*nes est quelque chose de bien particulier, parce que c’est au nom de tout*es que nous sommes enfermé*es. Juste, je souhaiterais ne plus jamais entendre "AH OUAIS ? Et que fais-tu avec les tueurs et les pédophiles ??" quand je chante "Liberté pour tou*tes les prisonnièr*es". Comme si ces gens, les "tueur*euses" et les "pédophiles", auraient "mérité" que la taule grossisse et catalyse les discriminations et traumatismes qu’iels ont vécu. Peu importe quel acte a été commis et à quel point nous le trouvons horrible : l’horreur n’est pas une réponse à l’horreur et les discriminations ne sont ni une punition, ni une solution, mais l’arme la plus puissante de l’Etat - voire l’Etat lui-même. L’horreur et les discrimnations sont ce que nous combattons chaque jour, et ce que l’Etat incarne - peu importe combien de personnes la*le prisonnièr*e a brisées, maltraitées, assassinées. Personnellement, ce que je trouve le plus horrible, c’est que cela ne semble être la "faute" de personne. Même certain*es maton*nes s’efforcent de faire régner la justice et le bien-être pour tou*tes - ce qui ne peut pas fonctionner. La situation devient plus supportable, mais les problèmes de base restent bien là. Cela rend un fait évident : que les dommages et les discriminations en taule soient si fortes ne dépend pas des conditions, mais du système carcéral dans son ensemble. Les "solutions" réformistes et modérées sont exclues : NON, même avec tout le confort moderne, l’enfermement reste un enlèvement, la détention une séquestration, c’est-à-dire une blessure des droits et des besoins fondamentaux des êtres ainsi qu’une tentative dégueulasse de cacher celleux que l’Etat a déjà brisé*es, et de briser celleux qui sont encore capable de rébellion. Alors merde aux compromis : les taules doivent être détruites jusqu’à la dernière cellule, et immédiatement.

À propos : des pensées très chaleureuses et reconnaissantes à vous, qui lisez mes mots ; et je partage la joie en particulier à Hodei, Siao, „Kim Neuland“, Tim H., Lianne Zwanenberg [3] et tout*es celleux, "politiques" ou pas, dont nous ne connaissons peut-être pas les noms, qui ont été libéré*es ou relaxé*es ; et des pensées solidaires pour tou*tes les prisonnièr*es et tou*tes les compas.

Je suis impatiente de vous revoir en liberté.

Love & Rage,

Thunfisch


Discours devant la prison Lichtenberg, Berlin lors d’une manifestion en juillet 2017

Déjà 5 mois que j’ai été libérée de Lichtenberg - mais je n’en ai pas l’impression : car tant que vous, de l’autre côté du mur, êtes encore derrière les barreaux, alors nous sommes tou*tes derrière les barreaux !

Lichtenberg est la prison où, avant d’être dispatché*es, tout le monde arrive dans le quartier des arrivant*es : 22h par jour en cellule, bienvenue en taule ! C’est ensuite que commence le jeu dégueulasse des transferts : carotte quand il s’agit d’aller à Neukölln [4], bâton au quartier des arrivant*es, et toujours l’outil le plus simple pour briser la solidarité et la communauté entre les détenu*es pour pouvoir briser les détenu*es elleux-mêmes.

C’est pourquoi je voudrais dire quelque chose à celles qui entendent ces mots de l’autre côté du mur : aucun transfert ne brisera notre solidarité ! L’Etat essaie de vous rendre invisibles, mais cela n’arrivera pas. Je ne vous oublierai jamais, ni les personnes fabuleuses que j’ai rencontrées à Lichtenberg, [noms de codétenues] !, ni les inconnu*es qui ont été violemment fait prisonnièr*es depuis ! Et en particulier à celleux, qui sont au quartier des arrivant*es, aux nouvelles détenu*es, je voudrais vous dire : gardez la tête haute ! Ne vous laissez pas faire ! Et si vous vous sentez seul*es et faibles, s’il-vous-plaît, souvenez vous : nous pensons chaque jour à vous !


C’est quoi cette histoire de privilèges ?

Écrit en novembre 2022.

Plusieurs personnes, en relisant la brochure, m’ont signalé que la phrase de l’introduction "mes privilèges sont finalement les armes avec lesquelles on me met en échec" n’est pas très claire. Il y a aussi des personnes qui étaient troublées que je parle de "privilèges" dans une situation aussi nulle que l’enfermement. Voici donc des explications et deux exemples pratiques issus de mon expérience, qui je l’espère, vous seront utiles.

Par "privilèges", j’entends d’une part les privilèges matériels en prison (quand la taule te propose une télé, une activité chouette toutes les semaines, des parloirs sans dispositif de sécurité ...), et d’autre part les privilèges sociaux, les "avantages" qu’on a à n’être pas touché.e négativement par une oppression : par exemple, les privilèges que j’ai à être blanche dans une société raciste. Bien sûr, le racisme ne m’apporte pas de bénéfice dans l’absolu car il contribue à rendre le monde naze et je préférerais que le monde ne soit pas naze. Il ne s’agit donc pas de privilèges dans l’absolu mais de privilèges dans une situation donnée vis-à-vis des personnes qui, elles, sont touchées négativement par le racisme. Je pourrais par exemple d’être priorisé.e dans une recherche d’emploi vis-à-vis d’une personne racisée, à CV égal. Ceci vaut en prison aussi : en Allemagne, les personnes avec un passeport allemand sont prioritaires pour se voir accorder un emploi en taule ; après elles viennent les personnes blanches avec un passeport européen, puis les personnes racisées et/ou sans passeport européen.

En Allemagne, on a le choix de travailler ou non quand on est en détention provisoire, et on est obligé.e de travailler en détention punitive. Ma codétenue Gülaferit Ünsal avait d’ailleurs mené bien avant mon arrivée une lutte de longue haleine pour ne pas être contrainte à travailler en prison - lutte qu’elle a gagnée. A l’inverse, beaucoup de détenu.es voulaient travailler en détention provisoire car elles voulaient s’occuper ou gagner de l’argent. Mais il n’y avait pas de travail pour tout le monde, et, comme écrit plus haut, les prisonnier.es allemand.es avaient la priorité. Moi, je suis de nationalité française et blanche, et comme Gülaferit, je ne voulais pas travailler, j’ai été très claire là-dessus dès le début de ma détention en 2016, face à tous les matons et travailleurs sociaux de la taule de Lichtenberg. Et pourtant...

Et pourtant, un beau matin, voilà-t-i pas qu’une matonne me propose un boulot d’auxilaire. C’est le taf où tu travailles à l’intendance de la prison, tu apportes les repas, tu nettoies les cellules. C’était l’un des emplois les plus recherchés, parce qu’il permet de circuler toute la journée dans la prison (contrairement aux tafs où l’on est enfermée dans une pièce), de voir plein de codétenu.es dans la journée, et d’avoir un rapport particulier aux maton.nes qui, parfois, font des cadeaux, genre des bonbons...

Forcément, j’ai dit non, et je ne comprenais pas comment iels pouvaient s’imaginer que ça m’intéressait, surtout qu’à ce moment-là, il y avait des actions de solidarité avec moi vénères tous les quatre matins, que je ne me cachais pas d’être militante anarchiste et que j’avais déjà fait chier pour des histoires de courrier. Je leur ai donc rappelé que je ne voulais pas travailler, je leur ai demandé de ne plus me faire ce genre de proposition et je leur ai dit que Madame Machin, ma co-détenue - une personne racisée et pas allemande - voulait travailler, elle. Je suis partie et j’ai informé mes codétenues immédiatement qu’un poste d’auxi était libre. L’histoire se finit avec davantage de confiance et de solidarité entre mes co et moi, un lien qui s’est renforcé au cours de la détention. Mais finalement, ce n’est pas Madame Machin qui a été embauchée, mais une autre personne blanche de nationalité européenne.

Si j’avais accepté cet emploi d’auxiliaire, que se serait-il passé ? Ç’aurait été une trahison de mes codétenu.es, et un peu de confiance aurait été brisé, peut-être que nos relations en auraient été gâchées définitivement. Quand j’y repense, je me dis que c’était certainement le but de cette démarche étrange des maton.nes : utiliser le racisme pour nous diviser.

* * *

Il y a des choses qui peuvent rendre le quotidien en prison plus supportable : avoir un travail, une radio, une télévision, une cellule seule ou avec une autre personne. Ces choses, il faut parfois se battre, menacer ou harceler pour les obtenir, mais parfois, un.e maton.ne débarque avec un grand sourire et t’installe une télé dans ta cellule sans que tu aies rien demandé. Je vais prendre l’exemple de la télé parce qu’il est simple. Très vite, tu t’habitues à la télé et tu as l’impression de ne plus pouvoir t’en passer. Alors à ce moment-là, si tu décides de te rebeller par solidarité ou pour obtenir autre chose, tu seras directement confronté.e à la menace : "si vous continuez, on vous retire la télé". A ce moment-là, on comprend pourquoi les maton.nes avaient tellement envie de nous donner une télé : c’est un type de privilège qui crée très vite une dépendance et rend donc plus facilement manipulable.

Alors comment faire ?

Déjà, voir les limites des discours réformistes : l’amélioration matérielle d’une situation ne signifie pas pour autant une amélioration globale. Ensuite, une fois qu’on est dedans : peut-être garder à l’esprit que rien de ce qu’on a en prison n’est acquis ? Par exemple, limiter la télé à 2h par jour, histoire de ne pas devenir totalement accro. Ou alors : se prévoir une activité à la place du sport ou de l’atelier dessin au cas où on en serait privé.e.

C’est difficile de parler de ça sans tomber dans un discours de type "c’était mieux avant, à la dure". Moi, j’étais bien contente d’avoir une télé et un téléphone dans ma cellule, j’ai passé de nombreuses heures à regarder des séries en faisant des sudokus. Mais il est important de garder à l’esprit que chaque avancée en matière de confort dans les prisons, est un moyen de plus de faire chanter les prisonnier.es et de les manipuler, de les mettre en concurrence, ainsi qu’un moyen de briser la solidarité et de nous isoler les un.es des autres.


Lettre de prison 1

Écrite en novembre 2019, publiée sur freethunfisch.blackblogs.org et attaque.noblogs.org.

12 novembre 2019, Brandenburg-an-der-Havel.

Salut, mes chéri.e.s,

Tout d’abord merci et bravo de lire cette lettre ! Prendre le temps de prêter attention aux mots des prisonnier.e.s est vraiment important et cool. Ça me fait du bien d’imaginer que de l’autre côté des barreaux, vous lirez cette lettre, dans votre vie normale.

Eh bien, maintenant je suis de retour en prison et de retour aux transferts d’une prison à l’autre – de façon cynique, ça se passe exactement sur la même route qu’il y a bientôt 3 ans, mais dans l’autre sens (de Berlin à Bielefeld, pas de Bielefeld à Berlin). Je profite de l’occasion pour confirmer mes impressions sur les prisons de Luckau-Duben (Brandebourg), Brandenburg-an-der-Havel (Brandebourg), Halle (Saxe), Hanovre (Basse-Saxe), Hildesheim (Basse-Saxe) et Bielefeld-Brackwede (Rhénanie-Westphalie) et pour mettre en place mes projets, longs de de trois ans, de notation des prison : je les publierai dès que possible, elles pourront vous servir ou même vous amuser.

En fait, au vu des circonstances, je m’en sors plutôt bien, aussi parce que ce n’est plus la première fois, et parce que je me suis occupée de la prison de façon intensive et offensive depuis la première fois. Cela aide vraiment beaucoup, je ne peux que vous le recommander ! Ce qui est bien aussi, c’est que cette fois-ci, je n’ai pas été arrêtée et ramenée dans la rue presque en pyjama, mais que les flics sont venus me chercher dans l’avion peu avant le départ, donc ma valise était prête.

Quelques réflexions. Il y a quelques jours, j’ai lu un article dans In der Tat (une revue anarchiste), qui s’appelle « Im Freiluftgefägnis » (In der Tat, numéro 5, automne 2019, « Im Freiluftgeffängnis » [5]). Il disait plus ou moins qu’il n’y a pas de différence concrète entre les deux côtés des barreaux, puisque les personnes dehors ne sont pas libres non plus et elles sont limitées dans leurs déplacements (par exemple par les frontières) et contrôlées (à l’aide de la technologie). J’en ai parlé avec des ami.e.s et j’ai émis la critique que la prison n’est pas seulement une question de « liberté », mais plutôt d’être livré.e à la merci d’autrui [all. Auslieferung]. En prison, on est constamment dans les mains de l’État, complètement à sa merci, presque sans défense. D’abord, en prison, on est enfermé.e. dans une cellule et certaines personnes peuvent entrer et faire de nous ce qu’elles veulent. A l’extérieur, on a presque toujours au moins la possibilité de s’enfuir, que l’on essaye ou pas, que l’on fasse ou pas.

Mais hier, dans l’avion, je n’avais pas cette possibilité. Pas non plus à l’aéroport de Schönefeld : des sas partout, des portes fermées, des contrôles. En fait, j’étais là aussi complètement à la merci des autorités, comme dans une cellule de prison. Et ce qui est pire et qui m’énerve en ce moment, bien plus que l’arrestation elle-même, c’est que je me suis livrée de mon plein gré et sans méfiance, j’étais même heureuse. Je n’avais même pas vu venir cette arrestation. A part la blessure à l’ego, puisque j’espérais ne pas être si naïve et aussi pas si prête à me laisser aveugler par de petits plaisirs (dans ce cas, partir en vacances en avion), une question fait rage en moi : combien de fois est-ce que je me livre moi-même de cette manière, dans la vie quotidienne ? Combien de fois est-ce que je passe par des sas et des portes en fer sans même m’en rendre compte ? A ce propos, je ne suis pas encore prête, je sais seulement que je ne retournerai probablement jamais à l’aéroport – et pas seulement à cause du traumatisme, mais plutôt à cause du dégoût que je ressens maintenant, quand je pense à cette sensation d’être piégée et à ses lourdes conséquences. Écrivez-moi volontiers vos pensées à ce sujet ! J’écris un peu tous les jours – peut-être sur le comportement des matons et du syndrome de Stockholm : en tout cas j’aurais besoin de quelques conseils et analyses !

En ce sens, prenez bien soin de vous et de vos, de nos prisonnier.e.s : bonne chance aussi aux 3 de la Parkbank, à Lisa, à Loïc, et aux centaines de prisonnier.e.s de la protestation des Gilets Jaunes : aucune prison n’est éternelle et bientôt nous danserons ensemble sur la tombe de l’existant !

Aussi, gardez la déter ♥

* * *

Et comme bande-annonce pour ma deuxième lettre (à propos des transferts), qui viendra, voici...

Les meilleures citations de matons de la semaine ! 

Dans la prison de Halle :
Thunfisch : Je vois que mon droit de contacter mon avocate est violé.
Matonne : Mais pas du tout, vous pouvez lui écrire à tout moment.
Thunfisch : Ok, alors j’aurais besoin de timbres.
Matonne : Impossible.
Thunfisch : Donc, je ne peux pas lui écrire du tout !!!
Matonne : Non, mais vous en avez le droit.

Dans la prison de Luckau-Dubben, à propos du test de l’urine « obligatoire » :
Thunfisch : Je trouve cette mesure indigne.
Matonne : Tout le monde doit le faire.
Thunfisch : Oui, alors c’est indigne pour tout le monde.
Matonne : …
Thunfisch : Vous ne trouvez pas ?
Matonne : Non, je trouve ça normal.


Lettre de prison post-prison

Écrite en novembre 2019.

Autour du 19 novembre 2019, Berlin.

Coucou vous,

C’est ma deuxième lettre sur les 9 jours que j’ai passé du 10 au 19 novembre dans différentes prisons. Cette lettre, je la publie cette fois encore bien longtemps après les faits, un peu comme la dernière fois. J’ai toujours besoin de beaucoup de temps pour analyser les événements, pour digérer mes impressions et pouvoir les coucher sur le papier. Ensuite je dois laisser reposer le texte bien longtemps, pour pouvoir vérifier si j’ai honte en le relisant ou pas.

Je ne m’attendais pas à être libérée dès l’audience du juge des libertés et de la détention, et encore moins à être libérée sans contrôle judiciaire. Je partais du principe que ça se passerait comme en décembre 2016 avec le juge Prugel au tribunal correctionnel de Berlin : il avait essayé de m’arracher des aveux complets en me mettant la pression avec la perspective de passer Noël etc en prison. La bonne surprise de tomber sur un juge et un procureur qui ne voulaient réellement, là tout de suite, que la confirmation de mon adresse [6], était aussi inattendue qu’un coup de poing dans la gueule. D’un seul coup me tombèrent sur la tête le soulagement indescriptible de sortir finalement sans problème, et aussi l’absurdité totale, l’inutilité, le non-sens de ce mandat d’arrêt, qui était totalement gratos - on aurait pu d’abord essayer d’appeler mon avocate, ou bien de m’envoyer une lettre. Mais visiblement, il ne s’agissait pas vraiment d’éviter une fuite, mais bien plutôt avant tout de me foutre derrière les barreaux - bien sûr. 9 jours de détention gratos : qu’est-ce qui serait un exemple plus violent, plus cru de la sensation d’être livré.e pieds et poings liés [7], et de l’impuissance dans laquelle nous sommes bien trop souvent entre les mains de l’Etat ? Cette sensation d’être sans issue possible sous la puissance de l’Etat est devenue encore plus forte depuis mon arrestation dans l’avion et surtout par l’expérience amère du transport.

Pour expliquer ça rapidement : si tu as été arrêté.e à Berlin mais que c’est le tribunal de Münster qui est responsable de ton cas, on ne t’y conduira malheureusement pas en taxi. Tu vas être transporté.e des jours durant de Land en Land, de prison en prison dans les bus de l’administration pénitentiaire. Spoiler : c’est pas marrant.

En taule, tu as de toute façon l’impression de n’avoir de contrôle sur presque que dalle. Ce que tu manges, ce que tu vois et qui tu vois, ce que tu fais et quand tu le fais, quand tu te douches, est décidé par les matons et la direction. Tu peux cependant avoir encore en partie le contrôle de ton corps, en faisant du sport par exemple, ou bien à travers ton emploi du temps : tu réussis malgré tout à te faire une certaine routine, même au sein de l’emploi du temps de la taule où tu ne décides rien. Par contre, en transport, les matons décident SI tu te douches, si tu fais quelque chose ou rien du tout, si tu vois quelqu’un.e ou personne, si tu manges ou pas. Tout ce par quoi tu peux te construire une impression de sécurité et une sécurité réelle en taule - contact avec l’avocate, présence des compagnon.nes, rapport de force, solidarité avec tes codétenu.es, et aussi la responsabilité légale que la prison où tu trouves a finalement par rapport à ta santé et à ta vie (même si bien souvent iels peuvent s’asseoir dessus), tout cela n’existe plus. Le changement de taule constant signifie que tu rencontres sans cesse de nouvelles codétenues et que tu dois à chaque fois retrouver tes répères, que tu dois à chaque fois re-faire comprendre aux matons qu’ils n’ont pas intérêt à aller trop loin avec toi, que tes compa, avoc et tes proches ne savent même pas où tu te trouves, et que les différentes taules peuvent se rejeter la faute les unes sur les autres : "C’est dans la prison précédente que vous auriez du recevoir de quoi écrire/manger/vous habiller/lire, ici ce n’est plus possible." est la réponse standard. Peu importe depuis combien de temps tu n’as pas mangé chaud ou ne t’es pas douchée.

Pour rendre ça plus concret, je vais vous raconter ce qu’il m’est arrivé.
Tel était le trajet :
Dimanche 10.11 : Arrivée à la prison Luckau-Duben.
Lundi 11.11 : Prison Luckau-Duben jusqu’à prison Brandenburg-an-der-Havel.
Mardi 12.11 : Prison Brandenburg-an-der-Havel à prison Halle.
Jeudi 14.11 : Prison Halle à JVA Hannover puis prison Hildesheim.
Vendredi 15.11 : Prison Hildesheim à prison Hannover puis prison Bielefeld-Brackwede.

Le trajet ne m’a été donné que parce que j’ai été extrêmement insistante à Luckau, mais ma copine de transport, elle, a ignoré pendant tout le trajet quelle devait être sa destination ... Ah oui, par chance j’ai trouvé dès Luckau-Duben une copine de transport chouette, qui devait elle aussi être transportée jusqu’en NRW [8]. Nous n’avons donc pas eu à passer les journées de transport seules. Le véhicule de transport pénitentiaire est une camionnette blindée avec des cellules dedans, qui vont de 1m2 à peut-être 3m2, où tu es assise soit seule, soit par 2 ou 4. La "fenêtre" est une fente (évidemment tu ne peux pas l’ouvrir), mais tu peux réussir à voir l’extérieur. A chaque arrivée dans une nouvelle prison tu dois d’abord attendre entre 1 et 4 heures dans une cellule d’attente naze (c’est comme une salle d’attente mais sans magazine rigolo et ça pue) et puis tu te fais encore fouiller - c’est pas une fouille à nu. Ensuite tu dois, une fois encore, mendier tes besoins vitaux auprès des matons : est-je que je peux me doucher/appeler mon avocate ou bien juste lui faire un signe/faire un tour en promenade/avoir un livre ou des fringues/manger un truc chaud. Tu te prends une volée de "non" et tu reprends ta route.

Qu’est-ce que cela signifia concrètement pour nous ? Par exemple, nous n’avons pas pu sortir en promenade entre dimanche et mercredi, ce qui signifie que pendant 3 jours, nous n’avons pas pu passer plus de 2 minutes à la lumière du jour et dans l’air frais. Le mercredi, bien sûr, nous avons totalement pété les plombs telles les agneaux qui viennent de naître, à aller renifler chaque fleur, galoper et bondir, nous frotter de la résine sous le pif parce que ça faisait un bien de ouf de pouvoir enfin à nouveau donner des stimuli à nos sens. Ensuite, plus de promenade jusqu’à vendredi, donc plus de 50 heures enfermées. Nous avons pu nous doucher mercredi et samedi - ce qui n’est pas bien loin, en fait, du quotidien carcéral normal. Nous avons pu manger chaud mardi soir, puis une fois par jour, ce qui aurait été OK si j’avais pu recevoir quelque chose de végétarien à manger. Le goulasch de viande que tu reçois après 24h sans manger, c’est pas super.

* * *

Le truc, c’est qu’iels peuvent justement te traiter comme iels veulent, puisque tu es dans le trou noir du transport. Tu vas faire quoi ? On ne te donnera de toute façon pas de timbre pour écrire à ton avocate. Personne ne sait que tu es là. Chaque mauvais traitement est OK : de toute façon, le temps que tu aies accès à un médecin, les bleus auront disparu. Ce n’est pas allé aussi loin, mais lorsque les sadiques de Luckau-Duben m’ont mise à l’isolement et m’ont privée de nourriture car j’avais refusé de faire le test d’urine devant une matonne, je me suis dit que, "oups, là j’ai vraiment un problème". Si le transfert n’avait pas eu lieu le jour même, alors la punition n’aurait pas duré 7 heures mais peut-être 7 jours, sans que je puisse faire quoi que ce soit contre ça et - ce qui était bien pire pour moi - sans que quiconque se fasse du souci : ben oui, j’étais en transfert, personne ne se serait inquiétée de ne pas recevoir de signe de vie pendant une semaine. Lorsque ma copine de transport a dû dormir dans la cellule de quarantaine/d’observation [9] à la prison surchargée de Hildesheim parce qu’elle avait été trop polie [10], elle n’a rien pu faire dans un premier temps : à qui est-ce qu’elle aurait raconté ça ? Elle n’a pu commencer à se chercher un avocat que le lundi suivant. Le transfert est décidément une stratégie de répression très efficace. Isolement total, abandon [all. Auslieferung] total, totale prise de pouvoir sur ton corps qui est envoyé ici et là comme un colissimo, désarroi total puisque tu ne peux trouver aucun repère, que tu ne peux te bricoler aucune habitude.

* * *

Qu’est-ce qui aide contre ça ? Moi, un livre [11] m’a énormément aidée. Je l’avais sur moi lors de l’arrestation et j’ai pu le garder partout avec moi. C’est devenu mon fil rouge, mon ancre en moi-même et ma possibilité de m’enfuir. Un projet de dessin ambitieux peut aussi avoir cette fonction. Dès Luckau-Duben, je me suis procuré un tas de formulaires de taule différents et un stylo : ensuite, j’ai utilisé les formulaires en guise de papier et j’ai pu écrire mon journal tous les matins, ce qui a été très utile pour me retrouver rapidement, réfléchir à ma situation et gérer mes émotions. Ce qui était bien, aussi, c’était de pouvoir utiliser chaque taule pour faire des petites expérimentations. A Luckau-Duben par exemple j’ai constaté que ce n’était finalement pas si malin de dire à mes codétenues ce dont j’étais accusé - incendie sur voiture de flic. Chez les codétenues, la présomption d’innocence existe encore moins que chez la plupart des juges et certaines sont malheureusement encore plus fan des flics qu’un procureur. J’étais donc décidément bien contente de pouvoir me casser vite fait de là. En ce qui concerne le comportement avec les matons, c’était plutôt bien aussi de pouvoir faire consciemment quelques expérimentations. J’ai testé la provoc, les menaces, une politesse relative, et j’ai pu arriver tranquille à Bielefeld en sachant que pour moi, une ligne efficace est de rester simplement neutre, de m’économiser tout "merci" "s’il-vous-plaît" "pardon" et de refuser le small talk en me taisant.

Le transport peut aussi être l’occasion de recueillir des infos sur différentes taules (d’où ma notation des prisons) et d’établir le contact avec autant de codétenues que possible. Pour moi, malheureusement, ça a été un véritable "nazi-tour" : la fan de flics à Luckau-Duben, puis Halle avec le nazi qui a fait l’attentat [12] deux étages en dessous de moi et enfin l’ultra-vieille Ursula Haverbeck [13] à Bielefeld. A Halle j’ai aussi rencontré une ancienne jeune "star" de RTL2 [14], tristement célèbre de par sa famille nazie - qui s’est finalement avéré être une des codétenues les plus solidaires et anti-racistes (je vous jure) qu’il m’ait été donné de rencontrer : on peut donc toujours avoir de bonnes surprises.

Mais c’est seulement sur un coup de chance que nous avons été reçues à Halle par cette chouette bande de taulardes, qui nous ont direct embarquées dans la salle de télé, nous ont donné des clopes et du pain de mie avec de la pâte à tartiner et nous ont mis les raquettes de badminton dans la main lors de la promenade. Grâce à leur incroyable solidarité, elles nous ont donné de la force pour le reste du voyage. Si ça s’était passé autrement à Halle, qui sait comment le voyage se serait terminé. En transport, tu n’as que tes codétenues : mais peut-être que c’est comme ça qu’on se sent - me disais-je de temps en temps - d’être une prisonnière "normale", enfin, une prisonnière sans milieu solidaire, sans groupe de solidarité, sans la meilleure avocate du monde, une prisonnière qui ne reçoit pas 10 lettres par jour et un concert devant la taule une fois par mois. Et ben c’est une sensation vraiment, vraiment pourrie.

Les routes que les prisonnières doivent prendre sont presque toujours les mêmes - qu’il s’agisse du transport de prison à prison ou bien de la prison au tribunal. Les prisonnières s’y trouvent enfermées dans une camionnette blindée, mais ce n’est justement qu’une camionnette blindée avec 2 ou 3 matons et pas 10 murs de béton avec des kilomètres de barbelés : c’est là que nous avons l’occasion la plus simple de s’approcher très, très, très près d’elles. Mettre un signe de solidarité sur la route, même de manière anonyme - une banderole, un graffiti, un coucou de la main de temps en temps - ça fait énormément de bien. Cela brise, pour quelques secondes, cette solitude infinie.

Si nous nous concentrons sur cette question, peut-être que quelques autres idées nous viendront à l’esprit : la solidarité n’a aucune limite, outre les limites de la créativité ou du possible !


Le jour où il a neigé

Écrit et réécrit entre 2019 et 2020.
Ce texte a été écrit pour et avec le soutien du collectif Free Them All (https://freethemall.noblogs.org/), pour un projet qui n’a finalement pas eu lieu. Sa rédaction a commencé avant mon incarcération en novembre 2019 et il ne la prend pas du tout en compte.

Je dois dire que, depuis environ un an, j’ai perdu la sensation de la prison. Pendant assez longtemps je pouvais la rappeler à moi, lorsque je me concentrais fort dessus, lorsque j’écrivais à une personne détenue, que je faisais une activité que j’avais fait souvent en prison (comme par exemple regarder un feuilleton ou bien boire de la chicorée) ou bien que j’étais triggerée par autre chose. Maintenant c’est parti pour de bon, je sais juste eque ça ressemblait à un mélange d’être sans défense (all. Auslieferung), de nostalgie, de détermination, d’impuissance et encore quelque chose d’autre, qui me rappelait mon enfance.

Il y a une histoire que je raconte toujours volontiers quand l’ambiance est aux anecdotes de prison. Je l’aime bien parce qu’elle est en quelque sorte joyeuse mais en même temps forte, parce qu’elle brise des stéréotypes sur la prison, et aussi parce qu’elle ouvre beaucoup de tiroirs dans ma mémoire. Elle m’aide, à chaque fois que je la raconte, à réfléchir à ma façon d’être en prison, au rôle de "prisonnière politique" avec lequel j’ai eu tant de difficultés.

La figure du prisonnier politique (bien sûr que je fais exprès de ne pas genrer ça) ne me posait pas problème, jusqu’à ce que mon ami atterrisse en taule. Pour moi, c’était des figures inspirantes de détermination, d’absence de compromis ; des gens qui étaient prêt.es à être enfermés pour la lutte, et encore de continuer à lutter derrière les barreaux : vraiment fort ! D’abord quand il a été enfermé, puis pour de bon quand ça a été mon tour, j’ai remarqué que cela n’a rien à voir avec de la force. Juste, tu ne peux rien faire d’autre. Pour moi, il était très clair que j’étais une prisonnière politique, dans le sens où je disposais de connaissances théoriques et pratiques ainsi que d’un réseau de solidarité très large, qui ne me laissaient pas totalement désarmée face à la taule.

Cette situation plutôt privilégiée portait en elle, selon mon sentiment, deux objectifs politiques : premièrement, partager ces privilèges pratiques et théoriques autant que possible avec mes codétenues : deuxièmement, envoyer un message politique aux compagnon.nes qui me donnaient des actions de solidarité tellement oufs, des lettres, du soutien, et aussi à celleux qui ne m’en donnaient pas, pour leur donner du courage de continuer dans leurs luttes et leur montrer que moi-même, je continue malgré tout.

Ça sonnait plutôt bien, non ? Mais le problème était que je ne savais pas du tout où ni comment commencer : j’étais et je suis tellement loin de ces figures quasi-héroïques et de ces modèles de prisonniers politiques, qui savent tellement de choses et étaient si combatifs !

En cela, les spécificités de la prison pour femmes ne m’ont pas du tout aidée : les matons étaient super polis et prêts à faire des compromis, ce qui a renforcé ma tendance au syndrome de Stockholm et m’a rendu très compliqué la tâche de ne les appeler que "morceaux de merde" comme je l’avais prévu. Les conditions de vie étaient luxueuses, nous autres dans la station des étrang.ères [15] avions même de petits balcons privatifs. Bien sûr que c’était quand même merdique. Ça m’a permis d’avancer énormément dans ma réflexion sur le réformisme et la manipulation des masses, mais il y avait zéro grosse indignation sur les conditions de vie sur laquelle j’aurais pu surfer pour forger des révoltes. Les autres détenues étaient naturellement en colère et indignées d’être derrière les barreaux de ce pays de merde à cause de cet Etat de merde, bien sûr - mais ce sentiment était si fugace, si difficile à comprendre et à saisir sans formation politique, qu’il était très simple à manipuler. Voyez l’extrêmement bonne analyse de Gülaferit Ünsal à ce propos. Gülaferit Ünsal est une prisonnière politique qui a été condamnée à 6 ans et demi de détention en Allemagne pour son soutien au DHKP-C (Front pour la Libération des Peuples) en Turquie. Après sa libération, elle a été menacée d’expulsion [16].

Gül était une super co-détenue et aurait pu être un bon exemple d’une prisonnière politique femme. Malheureusement nous n’étions tout simplement pas dans la même catégorie : elle était si cultivée et précise dans ses analyses, références et perceptions, que je ne pouvais la suivre qu’à peine. En plus de ça nous avions quelques différences d’opinions critiques.

* * *

J’étais donc seule avec ce que j’étais et ce que je voulais être - en fait, comme tout.e détenu.e. J’ai d’ailleurs écrit environ 5 déclarations différentes, et puis je les ai toutes jetées. Elles ne convenaient simplement pas, soit à moi, soit à la situation. J’été donc salement bloquée lorsqu’un jour, il a neigé.

Ce devait être fin janvier. Je n’avais encore jamais vu un tel manteau de neige, si épais, tout était totalement blanc et confortable. Noël et le Nouvel An venaient de se terminer, et ça avait été très glauque et fatigant. A cause des vacances de Massak [17], tous nos placards étaient vides, et le manque de café et de choco se faisait cruellement sentir dans toute la station. En plus de ça, nous étions déjà surexcitées toute la journée à cause de la neige, comme les gosses à l’école. En un mot, nous avions besoin de nous défouler d’urgence, ou alors nous courions le risque de ce qu’il se passe dans de tels cas en taule : dispute, bagarre, crise de nerf, bref : du moche.

Dans la cour de promenade de Lichtenberg, il y a une petite colline, qui à ce moment là étincelait d’un blanc immaculé. Sur mon étagère, j’avais toujours, suite au transfert, un énorme sac poubelle, que j’avais conservé pour une éventuelle évasion via le camion poubelle. Lorsqu’une codétenue et moi avons fait la connexion entre les deux, mes plans d’évasion ont été immédiatement repoussés : d’abord, nous devions, de façon extêmement urgente, faire de la luge sur la colline. L’idée a electrisé toute la promenade et nous avons eu - chose très rare derrière les barreaux - une heure entièrement de fun, tout simplement. De fun total. Nous avons descendu et redescendu cette sale colline à trois, à quatre, en criant et hurlant, et pour un temps, tous nos conflits naissants étaient oubliés.

Au bout d’un moment, on en a eu assez de la luge, et l’activité suivante s’est imposée à nous comme une évidence : attaquer les matons à coups de boules de neige, bien sûr ! Pendant quelques minutes, nous nous sommes vraiment vénère passé les nerfs sur eux, qui étaient tombés dans le piège de leur propre manipulation : quand tu veux te faire passer pour le gentil maton, compréhensif et supersocial, alors que peux-tu contre des personnes qui rigolent, qui viennent de faire de la luge et qui, maintenant, te canardent de boules de neige ? C’était un moment super empouvoirant.

Après, il y a eu régulièrement des moments de rébellion de ce genre : tous les soirs, avant que nous soyons enfermées dans nos cellules pour la nuit, nous nous entassions toutes dans une seule cellule, mettions la musique super fort (c’était toujours la même chanson en boucle ..) et dansions, dansions, dansions. Dit comme ça, ça a peut-être l’air inoffensif. Mais la fermeture pour la nuit devait avoir lieu à 20h, et chaque soir, on dépassait soigneusement l’horaire en dansant. Ce qui, là-dedans aussi, était génial ; la musique était tellement forte qu’on pouvait faire comme si on n’entendait pas les matons qui tapaient contre la porte et nous criaient de retourner dans nos cellules. Nous les laissions là 5, 10, 15 minutes, à s’efforcer de faire régner le calme, et au fond nous n’arrêtions que lorsque nous n’avions plus envie et étions prêtes pour la nuit. Ça aussi c’était super empouvoirant, nous avions enfin l’impression d’avoir du contrôle sur quelque chose, et en l’occurrence : le contrôle sur le moment où nous retournerions dans nos cellules. Là encore, les matons se retrouvaient enfermés dans leur propre petit jeu : quiconque fait comme s’il n’y avait pas de violence dans cette prison et qu’il ne s’agit que de "resocialiser" les femmes ne peut se trouver aucune raison de fondre sur un groupe de détenues qui dansent pour les arracher par la force d’une cellule. Nous utilisions consciemment nos privilèges de taule (le lecteur CD, le fait d’être à cellules ouvertes sur le couloir toute la journée) pour perturber la routine de la taule et pour un temps très bref mais quotidien, pour inverser un petit peu le rapport de force.

* * *

Ces actions appartiennent peut-être plutôt au spectre du pacifisme ou de la désobéissance civile, qui ne me sont pas vraiment chères. Mais il était très compliqué de développer ensemble une confrontation directe contre les matons, la direction de la taule ou le système carcéral. Nous explorions donc ensemble des possibilités de jouer un tour aux particularités de cette taule. Les tentatives de matons d’entrer en conversation avec nous apportaient beaucoup de possibilités (mais seulement lorsqu’il était clair pour chacune que c’étaient eux les ennemis et après avoir discuté de stratégies pour reconnaître et éviter les pièges habituels [18]) : il était très facile d’entamer une conversation avec tel ou tel maton chargé de surveiller la promenade pour être sûre qu’il ne se retourne pas et ne surprenne pas les codétenues en train de faire le yoyo ou un autre truc du genre. Avec un peu d’entraînement, il était aussi possible de les faire parler sans nous-mêmes parler de nous, pour obtenir des informations telles que "Il/elle est très affecté.e que vous l’insultiez tout le temps", "il/elle enchaîne les burn-outs" (top, qu’ils nous fassent ainsi un rapport direct des dommages que nous réussissions malgré tout à infliger à l’ennemi !), "je flippe toujours de perdre de vue mes clés". Jusqu’à ce qu’une matonne me raconte ça, je n’y avais pas encore pensé : tsap-tsarap, chopper le trousseau de clés, et c’est parti pour la mutinerie. Cela m’a ouvert un horizon plus large. Si elle en avait tellement peur, alors en toute logique, ça devait être possible !

* * *

Lentement mais sûrement, je commençais donc à voir les failles dans la stratégie apparemment imbattable de la taule. Cette méthode manipulative du contrôle et de la répression via les balances, les tentatives d’approche et la manipulation par les privilèges [19], quand bien même elle m’avait au début mise en échec et semblé imbattable, avait finalement ses faiblesses, et je pouvais les reconnaître et les utiliser pour faire chier, pour me rebeller, pour déranger l’ordre quotidien et récupérer un léger sentiment de contrôle. Mais pour ce faire, je devais me défaire du modèle du stéréotype du prisonnier politique et explorer des stratégies qui n’allaient pas du tout dans cette image (comme, par exemple, papoter avec les matons ou faire de la luge). Mais c’était le prix pour pouvoir développer un sentiment de solidarité et de lien avec mes codétenues et pour ne pas tomber dans le piège de l’avant-garde, et aussi, sûrement, le prix pour trouver mon propre chemin de rébellion dans cette taule en particulier.

Mais je ne crois pas que ce soit là quelque chose d’exceptionnel. Je crois au contraire que chaque prisonnier.e politique doit passer par là, que ce soit consciemment ou non : prendre ses distances des stéréotypes et attentes sur les prisonnier.es politiques pour trouver son propre chemin de la résistance contre le système carcéral. Après tout, les figures de héros sont là pour nous donner de la force et peut-être de l’inspiration, pas pour définir la route à suivre à notre place.


Ce que tu dois savoir sur les prisons "pour femmes" parce que ça va te rappeler des sales trucs, te choquer ou te blesser

Ce qui suit sont quelques notes et points que j’ai écrites comme ça pour une discussion qui n’a finalement jamais eu lieu. J’ai quand même pu les utiliser pour d’autres moments, pour les partager avec des compagnon.nes. Je les ai rédigées spécialement pour cette brochure, de sorte à ce qu’elles prennent la forme d’un texte.

Je ne suis pas une experte de la question de la taule. Ce que j’ai à proposer, ce sont deux expériences carcérales et l’impression de ne retrouver ces expériences presque nulle part. Mon voeu est donc qu’il devienne aujourd’hui tout aussi courant et évident de parler de la réalité de la prison dite "pour femmes" que de la prison dite "pour hommes". Mais pour cela, nous devons d’abord mener un tas d’analyses.

J’ai tiré deux constats de ce type de tentatives de discussions :

1. Il est quasiment impossible d’embrasser dans le cadre d’une seule discussion les thèmes "femmes trans en prison", "hommes trans en prison", "le genre en prison", "différences entre prisons "pour femmes" et "pour hommes"".

2. Dès que le domaine "genre et taule" est abordé, nous glissons presque toujours sur les thèmes : enfants, famille, sexualité, care, faire des enfants. C’est très bien et très important de parler de ces thèmes, je comprends aussi qu’il y a un énormissime besoin d’en parler, mais alors pouquoi devons-nous, jusque dans nos cercles anticarcéraux, invisibiliser les thèmes du féminisme et de l’empouvoirement avec la traditionnelle répartition binaire des rôles des meufs cis ?

Je veux me concentrer sur les points des particularités de la détention en prison "pour femmes" et sur ce que ça fait avec nous :

- les prisons "pour femmes" sont invisibles. Souvent, elles sont une taule dans une taule : une partie surveillée en plus dans une taule "pour hommes". Tu as donc double dose de barbelés et de murs à traverser avant d’en sortir... Quand ces prisons ne se trouvent pas au sein d’un complexe carcéral "pour hommes", alors souvent, elles ne sont pas évidentes à reconnaître en tant que prisons : combien de personnes découvrent après des années que les jolis cloîtres de Lichtenberg ou Hildesheim sont en fait des prisons ?! Les prisons "pour femmes" ne se voient pas.

- ça va avec : les personnes incarcérées en taules "pour femmes" sont invisibilisées. Iels n’ont pratiquement pas de représentation dans les médias majoritaires (bon, sauf Orange is the new black) et ne reçoivent que très peu d’intérêt, même pas, par exemple, lorsqu’une détenue est décédée d’une crise d’asthme à Lichtenberg l’été 2016. Mon cercle d’ami.es voit encore et toujours mon co-incuplé de 2017 comme l’exemple du taulard alors que moi j’y ai été 2 fois et que je fais du militantisme anticarcéral. Les prisonnières meufs cis het sont souvent coupées de tout contact, parce qu’elles dépensent tout leur temps de visite avec le type avec lequel elles sortent, et pour cela elles refusent parfois des propositions de visites de groupes de soutien pour prisonnier.es ou de leurs ami.es pour recevoir à la place une visite de leur partenaire (jaloux ?). Souvent, les personnes dans les prisons dites pour "femmes" ont très peu de personnes-soutien dehors et sont rejetées par les cercles d’ami.es ou les familles, et iels font leur temps à l’intérieur presque sans la moindre visite ou lettre : compare ça avec les files d’attente les jours de parloir ou les jours où on peut sortir ou rentrer du linge devant Moabit (la taule dite "pour hommes" de Berlin) et devant Lichtenberg (la taule dite "pour femmes" de Berlin)... Cet isolement social provient aussi d’un sentiment de culpabilité d’avoir "laissé la famille dans la merde", d’être un "mauvais exemple" pour les ami.es ou les frères et soeurs ... Beaucoup se laissent volontairement effacer parce qu’iels se sentent coupables d’être enfermé.es. En tant que prisonnière "femme" tu es aussi considéré.e comme déviant.e, anormale, parce qu’on est peu nombreuses et parce que les personnes sexisées délinquant.es ou criminel.les sont considéré.es "anormales" ou "contre nature" par beaucoup.

- les taules "pour femmes" passent aussi après les taules "pour hommes" officiellement, par exemple en matière de budget. Il y a moins d’offres d’études ou de formation, de possibilités de sorties, de participer à du sport ou à d’autres programmes, parce qu’il y a moins d’argent. A Berlin, les taules "pour femmes" reçoivent la bouffe livrée depuis la taule "pour hommes", on a l’impression de recevoir ce qui reste. Et on s’y habitue et on l’accepte ! C’est dur de trouver là une base pour la révolte, parce que beaucoup de personnes dans la taule sont de toute façon déjà habituées à passer après les types si jamais il reste des miettes. Le système carcéral profite de notre manque de sentiment de nos propres valeurs.

- dans les taules dites "pour femmes", l’objectif semble être plutôt la "normalisation" que la "répression". Ce n’est PAS mieux ! Cela signifie : des médocs au lieu du mitard, la pathologisation de la révolte, l’espoir d’une resocialisation au lieu de la solidarité entre codétenu.es. Les maton.nes sont censées avoir le rôle des "ami.es et soutien", donc la violence physique est souvent "déléguée" aux codétenues en les manipulant : les maton.nes préfèrent provoquer une bagarre que de tabasser elleux-mêmes une détenue. La concurrence féminine, très présente dehors, existe aussi à l’intérieur et est attisée par les matons et l’administration pénitentaire pour affaiblir la solidarité et encourager à poucaver.

- chaque trace de "féminité" traditionnelle est utilisée pour te manipuler, te pacifier ou te "resocialiser". Le crochet ou le tricot sont valorisés, une matonne s’incruste dans la salle de sport et propose de faire des exercices "ventre-fesses-jambes" ensemble, une matonne essaie de te faire parler en te faisant des compliments sur tes enfants "tellement mignons"... Si tu te comportes de manière "féminine" (par exemple si tu portes une robe ou es surprise en train de parler régime), tu reçois automatiquement une récompense, un compliment ou un soupir triste accompagné de "Vous n’avez vraiment pas votre place dans cet endroit horrible" (true story). Puisque, à cause du point précédent, tu as peu de sécurité émotionnelle avec tes codétenues, ça fonctionne direct. La taule va te pousser dans le moule à gâteau de la femme normale, pour te récupérer comme collaboratrice de l’existant. Après ça, comment veux-tu avoir un rapport normal et sain à tes propres féminités ?

- dans beaucoup de taules "pour femmes", le sexe est impossible. Impossible entre les codétenues car : pas de préservatifs ni de digues dentaires à disposition, pas d’infos sur les IST-MST, et de moins en moins d’occasions concrètes de se rapprocher. Les douches collectives sont par exemple un lieu de sexualité courant, mais elles sont de plus en plus remplacées par des douches privées dans la cellule (ce qui a aussi des côtés positifs). L’isolement croissant que la modernisation entraîne rend l’accès à une intimité partagée de plus en plus compliqué. Mais quand bien même : le sexe seule est aussi souvent impossible. Dans mon expérience, la sexualité, y compris la masturbation, était un tabou complet. Ton corps et ta sexualité ne t’appartiennent pas à toi mais aux mecs cis dehors. Par conséquent, beaucoup de codétenu.es en viennent à sexualiser des matons ou à flirter avec eux... ce qui conduit, là encore, à une bonne dose de trahisons, concurrence ou divisions.

Une note positive pour la fin : les taules "pour femmes" sont justement un lieu, où il n’y a que des femmes, hommes trans, personnes non binaires, intersexe ou agenrées. Quand on arrive à réaliser que les matons sont les ennemis, se développe alors une solidarité très enthousiasmante, où beaucoup découvrent pour la première fois ce que ça fait de passer ses journées sans le contrôle des mecs cis et sans le boulet d’une famille. Est-ce que tu vas continuer à te raser les jambes, à aimer cuisiner, à faire la dure ou faire la douce, quand ni mec ni enfants ne sont là ? C’est ce qu’on va voir !


Deux terribles vérités sur la prison

Écrit en 2022.

On en parle beaucoup trop peu. A mon avis, ce sont des choses très importantes, pour pouvoir bien traverser le temps passé en taule et la sortie, de manière digne, mais aussi pour comprendre comment la répression peut fonctionner, voire ce qui nous freine parfois sur le chemin de la rébellion et de la liberté.

Le syndrome de Stockholm

Il est possible qu’en prison, on se mette parfois à trouver les maton.nes "cools" ou bien "agréables". Cela n’a rien à voir avec le fait qu’on n’aurait pas conscience qu’iels nous enferment, ou alors qu’on le prendrait à la légère. Quand ça t’arrive, tu sais exactement ce qu’iels te font, mais tu les trouves quand même sympas et tu as envie de te lier avec elleux. Quand c’est les seules personnes que tu vois de la journée, c’est compréhensible. Qui peut passer sa vie sans sympathie ou contact social agréable ? Pour ça, tu aurais besoin d’énormément de force. Beaucoup de prisonnier.es politiques que tu connais ou dont tu lis les textes ont aussi papoté gentiment avec les matons de temps en temps, oui oui.

Mais il ne s’agit pas que d’un besoin de contact humain. Si je regarde honnêtement en moi-même, je remarque que j’apprécie de recevoir la reconnaissance ou la sympathie de l’ennemi. Ça nous donne à tou.tes un shoot de dopamine conséquent, quand le prof, le juge ou une figure d’autorité quelconque nous félicite ou nous fait comprendre qu’iel ne nous trouve pas si nul.le. Beaucoup d’entre vous vont s’écrier "oh non pas moi, berk berk", mais je vous demande d’y réfléchir à deux fois. Je vois un lien entre cela et le fait qu’on soit tou.te content.e quand le super cool héros de l’anarchie, le.la prisonnier.e politique très important.e ou un macho quelconque nous trouve finalement chouette - même si ces situations ne sont pas totalement comparables. Nous nous réjouissons de recevoir un feedback positif des figures d’autorité. Nous nous réjouissons aussi de recevoir de la "sympathie" de la part de l’ennemi.

Il faut qu’on en ait conscience. Y a vraiment pas de quoi avoir honte : c’est comme ça qu’on a été programmé.es pendant des décenies. Mais ça nous rend très faciles à faire craquer, à briser ou à manipuler. C’est seulement quand on le nomme qu’on peut le combattre.

La nostalgie carcérale

La taule manque à beaucoup de personnes qui y ont été. Là, je brise un gros tabou. J’ai demandé à beaucoup d’ancien.nes prisonnier.es assez différent.es et beaucoup l’avouent : oui, nous avons connu une ou plusieurs phases où nous nous sommes dit "si seulement je pouvais retourner en prison svp, là-bas tout était beaucoup plus simple". Aucune responsabilité, aucun choix à faire ... Pas de liberté quoi.

Comme pour le syndrome de Stockholm, il y a une explication psychologique : les prisonnier.es qui refoulent la souffrance (comme moi), passent un temps "ok" en prison et s’effondrent à la sortie, puis se demandent dans le pire moment "quand est-ce que je me suis senti.e bien pour la dernière fois" et c’était : en zonzon. C’est simple mais ce n’est pas tout, je le crains.

Je crains que nous ayons peur de la liberté. De toute sorte de liberté. Et c’est normal vu que nous n’avons jamais appris à être libre. Nous devons tout commencer depuis le début. Nous nous battons pour la liberté mais en même temps, nous devons déjà apprendre ce que c’est que d’être libre... pas facile. La liberté, c’est pas simple et ça fait peur. Je pense que c’est l’une des raisons pour laquelle on retourne à une relation amoureuse traditionnelle à deux (c’est pas moi qui l’ai inventé ça, c’est Simone de Beauvoir), pour laquelle on aime tellement avoir des études ou un taf pour régler notre quotidien, pour laquelle on construit des structures d’autorité dans nos cercles, pour laquelle la taule nous manque après coup ou bien notre enfance "sans souci".

C’est un point crucial qui est utilisé très volontiers par la répression. Elle est comme une sirène à ton oreille qui chante sans cesse : "regarde comme c’est safe et comme c’est simple, de notre côté ! Que c’est facile et sans inquiétude ! Laisse-toi donc resocialiser, ça ne fait même pas mal !". Cette sirène, on l’entend tou.te.s de temps en temps et plus on en parlera, plus vite on saura repérer et afficher ses mensonges.


Avant de se quitter : quelques conseils

Mon but avec cette brochure, c’est de partager mon expérience et quelques réflexions, pas de donner des conseils. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’en mettre quatre tout petits ici, au cas où.

Si tu n’es pas (encore) en prison :

- Pour écrire aux prisonnier.es : ose tout, avec leur accord !
Je trouve qu’on se retient beaucoup trop, par peur que "ça ne passe pas". Dans mon expérience, tout peut passer tant qu’on essaie, du contenu politique enflammé, des insultes aux maton.nes trop curieux, des tickets de métro... Certain.es font rentrer des instruments de musique. Tant que la personne enfermée est OK, surtout en matière de contenu politique, alors pourquoi ne pas essayer ? Autre truc : en cas de contrôle des courriers par les juges ou les maton.nes, pensez paillettes. Une bonne dose dans le creux du papier, ça redécorera le bureau des indiscret.es pour un moment et ce n’est pas illégal, contrairement à l’anthrax.

- Prévoir une incarcération : le "testament de taule".
Il s’agit de se poser au calme une heure ou deux en se demandant : qu’est-ce que je veux donner comme infos à mes proches si jamais je suis incarcéré.e ? Les numéros de personnes qui doivent être informé.es, celles qui ne doivent surtout pas l’être, que faire de ton appartement, ta voiture, tes plantes vertes, des informations sur des personnes (humaines ou non humaines) dépendantes de toi... Tes souhaits en matière de campagne de solidarité : ton nom doit-il être divulgué, ton numéro d’écrou ? Es-tu OK pour qu’on t’envoie du contenu politique explicite, pour des actions directes en solidarité avec toi ? De quoi aurais-tu besoin urgemment, en taule ? Un peigne, une montre, des draps, un peignoir, des tongs, ton doudou, un livre ? C’est aussi l’occasion de te demander ce que tu y ferais : de la gym, apprendre des langues, de l’origami ? Tu peux aussi laisser une lettre pour une personne chère, les codes d’accès à ta boîte mail, ton ordi ou ton portable. Tu mets tout ça dans ton enveloppe et tu le confies à des personnes sûres. Ton entourage te remerciera le moment venu et ça vous économisera beaucoup de temps ...

Quand tu seras en prison :

- La première promenade, un moment crucial.
J’ai lu cette information dans Wege durch den Knast (voir la bibliographie) et elle ne cesse de se confirmer : même si tu es perdu.e et que tu as les yeux défoncés par les larmes, sors dès la première promenade ou la première ouverture sur le couloir, et va parler à tes codétenu.es. N’aies pas peur d’être ridicule. Un simple "Salut, je peux marcher avec vous, je suis nouvelle, comment vous vous appelez" fera l’affaire. L’essentiel, c’est d’entrer en contact. On se met très vite à se méfier de celles qui ne sortent pas ou ne parlent pas. Pense aussi à l’avance à ce que tu vas dire de ce dont on t’accuse : refuser en bloc d’en parler n’est jamais bon.

- Penser à s’évader.
Rien qu’y penser, ça fait du bien. Regarder les failles dont on pourrait se servir un jour. Je m’étais fixé une limite après laquelle je m’efforcerais de m’évader. Je suis sortie avant, mais ça m’a énormément aidée car cela me donnait l’illusion d’avoir le contrôle sur ma situation : "Là ça va encore, mais passé tel délai, je m’évaderai". Et de fait, les évasions sont plus courantes qu’on se l’imagine. Le barbelé le plus efficace, c’est la résignation.


Bibliographie

Cette bibliographie est très subjective. Il s’agit de documents que je cite, qui m’ont inspirée ou alors que j’ai découvert après coup et qui m’ont plu.

Entretiens :

Entretien avec S., par Les Tenailles (https://carapatage.noblogs.org/entretien-avec-s/)
Entretien M et M (https://archive.org/details/entretien-m-et-m)

Autobiographies :

Nie war ich furchtloser, Inge Viett, Nautilus, 1999.
Camarade Lune, Barbara Balzerani, Cambourakis, 2019.
La ballade des dangereuses, Delphine et Anaële Hermans et Valérie Zézé, La Boîte à Bulles, 2018.

Brochures :

Femmes trans en prison (https://infokiosques.net/spip.php?article864)
Lettres depuis la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis (https://infokiosques.net/spip.php?article1481)
Femmes en prison, qu’advient-il de nous ?, d’Assata Shakur (https://infokiosques.net/spip.php?article1853)

Guides :

The Prisoner’s Herbal, Nicole Rose, 2020.
Wege durch den Knast, Redaktionskollektiv (Hg.), Assioziation A, 2016.

Et le blog du groupe de soutien de Gülaferit Ünsal (https://soligruppeguelaferituensal.blogsport.de/).

Bon, ça fait quelques trucs quand même, de quoi je me plains !

[1Les références sont dans la bibliographie.

[2En raison de certains privilèges que j’ai et que je n’ai pas encore bien déconstruits, il se peut que je passe à côté de beaucoup de situations ou alors que je formule des choses de façon peu prévenante ou blessante. Pour cela, je vous prie sincérement de m’excuser. Vous pouvez volontiers me signaler ce genre de choses par lettre ou e-mail, si vous voulez.
L’allemand n’est pas ma première langue : il se peut qu’il y ait des formulations inhabituelles ou une syntaxe bizarre. Pour cela je ne présente aucune excuse, je préviens juste.

[3Toutes ces personnes avaient été libérées ou relaxées au cours de l’hiver 2016-2017.

[4Prison de semi-liberté "pour femmes" à Berlin.

[5Note d’Attaque : « Dans la prison à ciel ouvert ».

[6Il n’était pas encore question, à ce stade, des chefs d’accusation (l’accusation d’avoir essayé, en février 2016, de mettre le feu à une voiture de flics). La détention provisoire a été demandée sous le prétexte du risque de fuite, puisque les flics doutaient de mon adresse, pour une raison inconnue de tou.tes jusqu’à présent.

[7Traduction compliquée de l’allemend Auslieferung : le fait d’être livré.e, sans défense, sans issue.

[8Nordrhein-Westfalen, le Land où se trouvent Bielefeld et Münster.

[9La cellule d’observation : un matelas en plastique, une chaise en plastique, pas de fenêtre, pas de table, pas de possibilité de divertissement, une caméra qui te filme non-stop et plusieurs cas de tuberculose dans la taule.

[10D’abord, les matons nous avaient dit que nous devrions toutes les deux dormir dans cette cellule. Après que j’ai gueulé en direction de la caméra et tapé du pied contre la porte de manière très colérique et insistante, ils sont revenus pour me dire que finalement ils m’avaient trouvé une chouette petite place ailleurs. Les menaces, ça paie.

[11C’est marrant, c’était Le Comte de Monte Cristo, d’Alexandre Dumas. Livre extrêmement top, je ne peux que vous le recommander.

[12Attentat d’octobre 2019 à Halle.

[13Une femme d’extrême droite très âgée, incarcérée pour avoir tenu des propos négationnistes. A son sujet la question est et restera : est-il politiquement correct de lui piquer son déambulateur ?

[14Chaîne de télé allemande, avec beaucoup de télé-réalité.

[15Tiroir 1 : la station des étrangèr.es : 12 détenues, dont 3 ou 4 qui parlent allemand. La seule qui a un passeport allemand est noire. Puisque celles qui ont un passeport allemand ont la priorité pour travailler, elle est la seule à bosser et toutes les autres - sauf moi et ma grosse thune de solidarité - sont totalement précaires. Là, une solidarité exceptionnelle règne ainsi qu’un sentiment d’appartenance particulier, puisque nous partageons tout et qu’aucune de nous ne peut poucaver : puisqu’aucune ne pouvait parler avec les matons...

[16Pour plus d’informations, voir son blog dans la bibliographie.

[17Tiroir 2 : Massak, le fournisseur pour cantiner, en 4 faits : -des prix jusqu’à 3 fois plus chers que dehors, -cantinage possible en moyenne une fois par mois, -toujours penser à vérifier que tu as bien reçu dans ton panier tout ce que tu as payé, parce qu’ils te font volontiers payer l’un ou l’autre produit sans te le livrer ; -si tu commandes du parfum, tu reçois ta bouteille à moitié vide.

[18Tiroir 3 : Le plus souvent, les matons arrivaient soit avec une question personnelle ("Alors, comment allez-vous en ce moment ? Comment va la famille ? C’est quoi en fait, l’"anarchie" ?) ou bien ils commençaient directement à parler de soi. Avec la première stratégie, il fallait évidemment être beaucoup plus prudente et refuser la conversation le plus tôt possible. Avec la deuxième, là c’était finalement intéressant de les laisser papoter, voire de poser soi-même des questions, et de ne mettre fin à la conversation que lorsque que quelque chose du genre "et vous, avez-vous déjà vécu ce genre de choses ?" arrivait, pour signaliser clairement qu’aucun "échange" ou collaboration n’était envisageable.

[19Par exemple, en achetant la docilité d’une détenue en lui proposant un emploi avantageux, ou bien en lui promettant une télévision si elle se calme.


Brochure rédigée en français et en allemand entre 2017 et 2022.
Publiée la première fois en décembre 2022.
Contact : auslieferung-auslieferung@@@riseup.net



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