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Courage fuyons
Lettres et autres idées pour un mouvement de désertion des ingénieur.e.s
mis en ligne le 15 septembre 2022 - lesdesert-heureuses
Quatre copaines se sont retrouvé.e.s un jour, avec une envie, celle d’adresser des messages tous particuliers à nos (pas toujours) ami.e.s les ingénieur.e.s … Résultat : un phileau’sophe Deleuzien qui tourne autour de l’origine des mots, une ingénieur.e déserteuse qui parle du fond du coeur, un clown de la très grande armée des clowns qui balance du vers à l’envers (du décor), et pour finir en beauté un ingénieur volontairement déchu qui aligne les punch-lignes avec panache …
Petite balade éthymologique ...
Le mot ingénieur est dérivé du verbe ingénier qui signifie chercher dans son esprit quelques moyens de réussir. Ce verbe est directement lié à l’ancien français engigneor : celui qui construit des engins de guerre. Traduisez : si vous cherchez une solution pour réussir, fabriquez des engins de guerre, vous la trouverez !
C’est toute la la perversité de la dérive du terme d’engin. Issu d’un des sens du latin ingenium : intelligence, esprit, talent, habileté ; engin est passé du sens d’esprit, à celui d’esprit inventif, puis à celui de ruse et enfin à celui de machine de guerre…
… comme souvent il pourrait pourtant en être tout autrement. En effet ingenium en latin est issu du suffixe in- (dans) et de gigno : naître. Littéralement, on pourrait traduire ingenium en français par inné. C’est à dire ce qui est né avec nous, ce qui nous est naturel. En latin ingenium a d’autres sens que celui déjà évoqué :
– La qualité naturelle, la nature ou la propriété d’une chose, par exemple ingenium soli signifie la qualité du terroir.
– Ou encore la disposition naturelle, l’humeur, le caractère…
Le plus drôle c’est que l’on a inventé ingénier, d’une part pour se rapprocher de la racine latine, mais surtout, d’autre part, pour bien distinguer du verbe engignier qui en ancien français signifiait tromper… voilà qui ne trompe pas !
Ingénieures, ingénieurs, contrairement à vos calculs, l’histoire de la fabrique des mots ne cherche ni à faire la guerre, ni à tromper son prochain : elle parle d’elle-même. Ainsi le terme d’ingénierie sociale qui désigne à la fois un métier, celui de superviser des projets de « développement social » ; et les techniques d’escroqueries et de piratage psychologique utilisées par les hackers pour obtenir des informations individuelles…
Lettre à mes ami.e.s ingénieur.e.s,
C’est une amie déserteuse qui vous adresse cette lettre depuis le monde du dehors. Si je vous parle du monde du dehors, là, maintenant, c’est parce que je n’ai de plus grand désir que vous nous y rejoigniez ! Que vous partagiez et viviez cette multitude de moments d’échange, d’apprentissage, de création. Et d’utopie, oserais-je dire. Je veux vous raconter comment ce monde du dehors me fait grandir, comment grâce à lui je touche du doigt ou en tout cas je me rapproche du monde que je souhaiterais voir, de cette utopie. Et comment j’ai cessé de vivre en incohérence avec ce qui m’habite. Je cesse d’alimenter cette dissonance entre les cris de mon cœur et la production de mon cerveau. Ça vous rappelle quelque chose ? Non ? Et bien laissez-moi vous en donner un petit aperçu.
Je suis du même monde que vous, ou presque. J’ai grandi sans que beaucoup de difficultés ne se posent sur mon chemin, je pouvais exprimer ce que je désirais être sans me retrouver contrainte par quelque entité supérieure, du moins c’est ce qu’il me semblait. Un esprit pragmatique, un attrait particulier pour les sciences, pour la compréhension du monde autour de moi, une facilité à appréhender les sciences « dures » telles qu’elles sont enseignées dans nos établissements scolaires, et un capital social plutôt facilitant m’ont tout naturellement mise sur les rails de l’excellence à la française : l’école d’ingénieurs. Mue par la volonté d’aider mon prochain et par mon amour de la nature, j’ai choisi d’œuvrer pour le développement des énergies renouvelables et la transition énergétique, ainsi je sauverais la planète et tous les êtres l’habitant de la catastrophe climatique à venir.
Alors me voilà, tambourinant sur mon clavier d’ordinateur le grand programme salvateur d’optimisation du réseau de transmission d’électricité qui à l’aide de la technologie super sexy et innovatrice des réseaux de neurones assurerait non seulement la stabilité du réseau trans-européen, satisferait à chaque instant et en chaque endroit le besoin vorace en électricité des humains et de leurs systèmes, et le tout en minimisant les coûts des producteurs d’électricité – sans distinction : charbon, nucléaire, pétrole, gaz, sont aussi nos amis ! – Me voilà tambourinant sur mon clavier le rapport du siècle expliquant où ajouter les lignes électriques, les fermes éoliennes, les champs de panneaux solaires, et j’en passe qui nous permettront d’atteindre 50 % - Cinquante ! Qui dit mieux ? - d’énergies renouvelables sur le mix énergétique de l’Europe en 2050 – ah oui parce qu’on a largement le temps d’éviter la catastrophe climatique d’ici là – pour couvrir une demande en électricité galopant vers des sommets infinis années après années – Ben oui quoi c’est normal vu qu’il y a la croissance, tout ça, tout ça. Me voilà tambourinant sur mon clavier une étude de faisabilité d’un beau système énergétique hybride et « low carbon » alimentant une mine de fer en Mauritanie. Et je tambourinais, tambourinais et tambourinais tellement fort et vite que je ne pouvais comprendre encore moins analyser ce profond malaise qui grandissait en moi.
Bon, pas la peine de vous faire un dessin, je suis arrivée au bout de mon diplôme d’ingénieure avec le cerveau qui disjonctait plutôt deux fois qu’une, et une belle rage qui bouillonnait dans mon ventre. Alors je me laissais doucement aller à découvrir le monde du dehors, celui là-même qui m’arracha avec délectation de mon monde de privilèges et de facilité et de calculs froids pour me montrer comme on vit, comme on chante, comme on danse, comme on lutte. Depuis ce monde du dehors je regardais mes ami.e.s et le monde que j’avais quitté par une petite lucarne et je pris le temps de comprendre. De comprendre que nous autres ingénieures nous berçons de douces illusions quant à notre effet dans le monde. Nous croyons être les grands penseurs et penseuses de l’organisation du bien-être global – oui car, tant que l’économie se porte bien, le monde se porte bien ! - Alors que nous ne sommes que les outils d’un système perpétuant les oppressions et dominations de classe, de genre, de race. Au fil des générations la société technocratique à laquelle notre fonction est indispensable a ôté aux populations toute possibilité d’avoir une quelconque emprise sur leurs sociétés, sur leurs systèmes alimentaires, énergétiques, et politiques. Nous en avons complexifié les moindres recoins et nous nous sommes accaparé les savoirs nécessaires à leur soi-disant bon fonctionnement, réduisant ainsi le reste de la population à de simples constructeurs et utilisateurs ignares de nos beaux procédés, et la nature et les animaux à une masse uniforme de ressources à organiser. Notre fonction d’ingénieur nous propulse dans les rangs d’une classe dirigeante décidante pas marrante. Quelles sont maintenant nos options pour inverser la tendance ? Les individus d’une classe dominante peuvent-ils participer à la destitution de cette même classe ? Comment faire ce en quoi je crois lorsque ce que je suis est par essence ce que je veux combattre ?
Nous devons apprendre l’humilité de nous dire que nous n’avons pas, bien évidemment, de solutions à tout, et surtout nous devons déconstruire en nous la fascination de la technologie et de son solutionnisme. Déconstruire l’idée que nous détenons le monopole de l’ingéniosité, de la compréhension du monde et de ses systèmes. Déconstruire tout ce qui nous a été inculqué bien insidieusement pendant ces années d’éducation nous vouant aux strates supérieures de la hiérarchie humaine. Mettre un gros coup de pied dans le postulat de base que jamais au grand jamais il nous a été donné d’appréhender, et encore moins de remettre en question. Celui d’un monde basé sur des équations bien ficelées et immuables, nous contraignant au mouvement perpétuel du toujours plus haut, toujours plus fort, toujours plus ! – Mais voyons bien sûr que nous devons entretenir la croissance économique, l’augmentation du PIB, le développement industriel, la relance la relance la relance !! Sinon comment vivrions-nous ? De retour à l’âge de pierre, dans les cavernes comme des sauvages ! – Et si en fait, ce postulat de base n’avait été que créé de toutes pièces, et qu’il nous suffirait simplement de partir d’un autre postulat ? Et si d’autres règles avaient déjà été inventées que les nôtres ?
Revenons en à cette histoire de monde du dehors, et je suis sûre que certain.e.s d’entre vous le connaissent déjà un peu… Il y a au moment même où vous lisez ces lignes, et depuis bien des décennies, aussi loin que remonte la mise en marche de la grosse machine capitaliste, des personnes tout près et très loin de nous qui s’évertuent à construire d’autres rapports humains, d’autres rapports à la nature et au vivant. À créer et développer des lieux où les hiérarchies et les dominations de genre, de classe, de race et j’en passe n’ont pas leur place. Où l’on favorise des échanges autres que monétaires, où l’on cultive la solidarité et l’entraide. Où l’on essaye de recréer des communs : savoirs-faire, nourriture, énergie, matériel… pour faire grandir notre autonomie collective, et couper nos dépendances aux chaînes de valeur qui nous enchaînent à ce système moribond. On s’organise pour défendre une autonomie politique aussi, pour reprendre le droit de décider par nous même et collectivement de nos besoins, ainsi que de la manière dont nous produisons, transportons et distribuons ce qui subviendra à ces besoins, soient-ils alimentaires, énergétiques, matériels ou intellectuels. Nous en avons assez de laisser des technocrates au service de structures dévouées uniquement à la maximisation du profit le faire pour nous. Et nous nous battons corps et âmes contre ces-dites structures et les gouvernements qui les appuient.
On enquête, on informe, on bloque, on manifeste, on tracte, on occupe, on organise, on barricade, on lance des pavés, on se rassemble, on construit des cabanes, on sabote, on crie, on chante, on pleure, on rit, on essaye, on essaye par tous les moyens d’arrêter cette machine infernale qui exproprie, expulse, extraie, rase, bétonne, isole, contrôle, réprime, tue, déforeste, pollue, emprisonne, empoisonne, rationalise, industrialise, quantifie, valorise, processe, développe, optimise, et est-ce qu’on y arrive ? Et si nous ingénieur.e.s, à la fois rouages inconscients et architectes du désastre, nous y mettions aussi ? Et pourquoi pas avec ces mêmes moyens qui nous ont été donnés pour huiler la machine infernale ? Si nous faisions en sorte de mettre nos savoirs au service d’une écologie sociale et politique ancrée dans ces lieux que nous ne savons plus habiter ?
Bien sûr quelle tâche difficile de regarder en face les horreurs du monde et de s’en sentir en partie responsable, ou du moins par procuration. Et qu’en est-il d’avoir l’envie impensable de vouloir y remédier ? Mais n’est ce pas la particularité des ingénieur.e.s de penser qu’à tout problème sa solution ? N’avons nous pas été nourris et biberonnés à nous croire plus puissantes et puissants que tout et capable de résoudre n’importe quel problème ? Gardons en nous et cultivons cette folle prétention, mais seulement pour nous autoriser à penser que nous pouvons, avec celles et ceux qui s’y attachent depuis bien longtemps, déconstruire les structures de domination, le bon gros système complexe et soi-disant inextricable que nos anciens et nos aînés, puis nous-même avons tricoté et retricoté au fil d’années et années d’industrialisation de notre monde, et de recherche mal placée de bien-être économique.
Je voulais vous raconter ce monde du dehors, et vous envoyer une invitation à le rejoindre, ou du moins à le savoir existant, vivant, vibrant d’une énergie et d’une adrénaline qui ne cherchent qu’à rayonner jusqu’à vous et en vous. Parce qu’il y a tant d’autres choses à explorer, à apprendre, et à faire, parce que vous ne serez pas seules et seuls, parce qu’on est déjà là à cultiver l’autonomie et à choisir d’aller à contre-courant. Sortons de notre zone de confort et rejoignons les luttes écologiques et sociales ! Et même, si ça vous tente, cherchons ensemble les moyens d’utiliser ces maudits outils qui nous sont chers, ces modèles, ces équations, ces analyses, pour renverser la domination de la technique et démanteler ces systèmes que nous même avons rendus hors de contrôle.
Il n’y a qu’un pas de côté à faire !
Lettre ingénieuse aux ingénieur.e.S & autres ingénues !
"En chantiers !" comme on dit dans le métier !) (Non, pas chez vous ? vous
ne vous appelez pas "-teuseS" ?o)
En effet, peut-être ne léchions-nous pas le même biberon, ne venons-nous
pas du même milieu, aqueux, quoique... mais pour sûr, nous rasons les
même murs de bétons, respirons les même émanations de goudron, et
subirons peut-être les mêmes vaccins anti-tout(x ?0 !) modélisés en
alpha-numérique et surnuméraires pour "notre bonheur"...
D’ailleurs, camarades : "Quel est votre métier ?"
Solutionner un problème, problématiser une solution, répondre à une
question, la poser, organiser tout ça ?
Quel est donc l’enjeu de l’ingénierie, le pari de la technologie, le
défi des techniques ?
C’est quoi le jeu, vivre mieux et plus vieux, suivre nos désirs de
toujours plus de confort et moins d’effort ?
"WAhou, et pourquoi pas finir juste comme un gros, très gros tas de
données alimenté par une centrale !"
Nos cerveaux, outils systémiques de résolution de toutes les adversités,
la vie comme un conflit, la nature pour ennemie, la chercher dans la
chimie, RE-chercher à (re)produire sa physique de manière mécanique et
algorithmique, son intelligence chaotique en prévoyant, et pourquoi pas
en l’assurant et jusqu’à quand, la mort ?
Telles est LA question économico-scientifique de notre époque...mais
jusqu’à quand… jusqu’à la fin des temps ?
Bonus trax : "Lettres de l’armée des clownEs aux
autres’ingénuES :
hey salut, c’est quoi ton problème ?
_ paske nous aussi on’a que des solutions !
Par exemple pour sauver willy, euh le climat, sur votre planète en
terre, c’est pô compliqué ;
Suffit de l’arroser, et pis pour baisser la température, eh beh y en a
ki l’on déjà dit, suffit de fabriker plus de RéFrégirateur et d’autres
congélateurs et pis de laisser tout ça grand tout vert !
Sinon, qu’on se le dise le clownistan recroute encore
et toujours,
_ Surtout des ingénieur.euses très, TRèS, voire trop
scientifric ! Morci !
A bon.ne entendeur.euseS salut du NeZ ! (mais sans
contact biensùr...tkt !0)
Ingénieur.e.s ingénieu.x.ses, désertez !
Ne vous laissez pas séduire par la promesse vaniteuse d’un avenir d’élite de la nation
Bien que vous ayez été, votre scolarité et vos études durant, flattés par des bons résultats, des bonnes notes, censées prouver votre valeur supérieure, votre capacité de travail et votre intelligence talentueuse, tout cela ne donne qu’une pâle idée de ce dont un être humain est capable.
Le champ des possibles est en fait très restreint dans les voies toutes tracées des carrières brillantes. Le monde dans lequel vous occupez une place de choix (reconnaissance sociale et rétribution financière) est un monde qui tend à imposer son dictat à l’ensemble de la vie.
Ce monde uniformise les cultures et les modes de vie comme il désertifie les sols, c’est un monde qui empêche la diversité, la pluralité des mondes qu’ils soient humains ou non-humains.
Sur la prétendue neutralité objective des sciences dites « dures »
Quel est le sens de cette hiérarchisation des matières enseignées à l’école ? Pourquoi les sciences ont-elles une telle suprématie au sein de tout ce que l’on apprend ?
Notre monde survalorise le calcul et la modélisation parce qu’il refuse d’admettre que la nature lui échappe et lui échappera toujours. Dans notre société névrotique, l’objectif est de rendre la vie prévisible, pour que chacun puisse arriver à ses fins sans risque. Toute surprise, on pourrait même dire tout événement, est considéré dans ce cadre comme une anomalie, comme quelque chose qui vient rompre le bon fonctionnement de la machine, qui « fait perdre du temps ».
Quelle tristesse qu’une vie dans laquelle tout se passe comme prévu !
Peut-on vraiment dire dans ce cas, qu’il se passe encore quelque chose ?
Vivre n’est pas une « perte de temps ».
Plus cette obsession de tout contrôler prend de place, plus la nature se rend incontrôlable et catastrophique. Les épidémies ne se propageraient pas aussi bien si notre monde n’était pas aussi globalisé, standardisé, automatisé, uniformisé.
L’interconnexion généralisée dans des méga-modèles où le maximum de choses existantes sont prises en compte pour être réduites à de vulgaires paramètres numériques implique également et paradoxalement une fragilité croissante de l’ensemble du système.
On nous apprend à penser la résilience des systèmes, on nous apprend la gestion des risques, mais qui nous apprend les risques de la gestion ?
Certainement pas les mathématiques.
On a besoin de vous pour démanteler le cyber-monde sordide qui gagne du terrain jour après jour.
Malheureusement, que l’on vous demande votre avis ou non, vous participez activement de par vos métiers à construire un monde désastreux où nos moindres gestes sont observés, traduits en données pour nourrir des machines qui prennent les décisions à notre place.
Ça n’est pas le développement des dites énergies renouvelables qui rend le système plus humain ou qui nous permet de sortir de la catastrophe en cours.
Les entreprises qui développent l’éolien sont les mêmes que celles qui polluent et produisent de l’électricité nucléaire.
L’éolien industriel est à la fois polluant en terme d’extraction de métaux et imposé de manière autoritaire et coloniale sur les territoires où il s’implante.
La transition énergétique brandie par les industriels et les aménageurs n’est en fait pas une transition à proprement parler où les énergies fossiles et nucléaires sont petit à petit remplacées par les énergies renouvelables mais une addition énergétique. Produire et consommer toujours plus d’énergie en exploitant au maximum tout ce qui peut l’être, voici la logique des énergéticiens derrière les termes hypocrites de « transition énergétique » ou de « développement durable ».
Le mode de pensée ingénieurial, qui cherche partout des problèmes à résoudre et donc des solutions globales à appliquer à échelle industrielle constitue une impasse.
La catastrophe écologique n’est pas un problème qui demande des solutions techniques ou bien de nouveaux modèles qui soient valables pour tous. C’est l’industrialisation même du monde qui constitue en soi la catastrophe. Nos modes de vies ne sont pas durables, le système doit s’effondrer. Arrêtons de chercher des petits pansements illusoires qui ne font que retarder les prises de conscience et mobiliser nos corps et nos intellects sur des préoccupations insensées au regard de l’ampleur du désastre en cours.
Le privilège d’avoir eu accès à des études valorisées, d’avoir pu développer diverses facultés de concentration, de raisonnement, d’analyse, d’expression, d’avoir pu cultiver une vaste gamme de savoirs théoriques, ce privilège peut être réemployé à des fins moins carriéristes, dans des vies plus riches et moins absurdes.
Venez vous battre avec nous dans les luttes sociales et écologiques
Vous qui venez bien souvent des classes favorisées, ne passez pas à côté de la vraie richesse qui consiste à se mélanger avec des gens qui n’ont pas vécu la même vie que vous.
On sait combien les prépas et les écoles d’ingénieurs peuvent accentuer un entre-soi déjà bien marqué par le « tri » des filières scientifiques au lycée. Ce confort qui donne un sentiment d’appartenance, non content d’être sclérosant au niveau individuel, se fait au détriment du reste du monde.
Nous vous parlons depuis le dehors, nous sommes de celles et ceux qui cherchent à la fois à nous autonomiser à des échelles sociales qui permettent à chacun.e d’avoir de l’emprise sur sa vie et à la fois à cultiver une offensivité face à un système oppressant et mortifère.
Le risque (pas si risqué) de bifurquer, de sortir des rails de la réussite officielle est beaucoup plus gratifiant que le choix de continuer comme si de rien était, moyennant un bon salaire, mais dans un sentiment persistant d’impuissance face aux enjeux de notre époque.
Lâchez donc vos rêves fades et pré-machés de carrières individuelles et venez participer aux vraies métamorphoses sociales, celles de l’émancipation ! Venez vous laisser traverser par des puissances génératrices de vie !
Quelques ingénieur.e.s déchu.e.s
* * * * * * * * * * * *
Bon, vous l’aurez compris, on aimerait bien que les ingénieur.e.s ouvrent les yeux, d’abord, entament de grand chantiers de déconstruction de leur culture dominante, ensuite, et enfin mettent concrètement les mains dans le cambouis avec nous autres afin de mettre un terme pour de bon au désastre, car c’est bien beau mais vu la quantité de couches de systèmes d’oppression, d’industries, d’urbanisation, de pollution des sols et de l’air avec laquelle on se retrouve aujourd’hui, on aura besoin de celles et ceux qui en connaissent les moindres recoins pour entamer les inévitables démantèlements.
C’est facile à dire mais pourquoi, comment, où, quand et avec qui ?
1. Les ingénieur.e.s qui se posent des questions, c’est pas nouveau
Les mobilisations de l’année 2019 avec Fridays for Future, Youth for Climate, School Strike for climate, autour des questions climatiques ont pas mal secoué le milieu académique.
Déjà, avant ces mobilisations, des initiatives commençaient à émerger dans les écoles d’ingénieur.e.s pour questionner le rôle des ingénieur.e.s face aux défis climatiques et environnementaux. En 2017 le collectif « Ingénieur.e.s Engagés » se lançait, à la suite de la diffusion d’un documentaire, « Ingénieurs pour Demain », réalisé par des étudiants de l’INSA Lyon.
Il y a eu aussi le « Manifeste étudiant pour un réveil écologique » lancé en septembre 2018. Plutôt prometteur, ce manifeste clamait haut et fort la volonté des étudiant.e.s des établissements d’enseignement supérieur, dont beaucoup d’écoles d’ingénieur.e.s, d’agir pour le climat et l’écologie, de transformer les écoles et universités et l’emploi pour y intégrer d’avantage les enjeux écologiques et climatiques.
Chez « Pour un réveil écologique », les étudiants ou jeunes employés trouveront des outils pour « réveiller leur employeur » ou « réveiller leur formation ». Un réseau de collectifs de salariés engagés pour l’écologie se monte afin de porter au devant des directions des entreprises des propositions pour intégrer au mieux les enjeux écologiques, ainsi elles se rendront plus attractives pour les jeunes diplômés en quête de sens et pour les consommateurs.
Avec Ingénieur.e.s Engagés, des groupes locaux apparaissent dans beaucoup d’écoles, afin de mener des actions de sensibilisation, des débats... Un groupe Facebook est créé et il rassemble maintenant plus de 13 000 personnes. Un livre sur la perte de sens du métier d’ingénieur.e est en cours d’écriture, une Semaine des Alternatives Low-Tech est organisée tous les étés.
Bref, des initiatives, il y en a. Cependant en creusant un peu, et bien on ne peut pas s’empêcher d’être un peu déçu.e.s et on reste sur notre de radicalité dans les revendications...
Parler de réveil écologique pour finir par demander à la BNP et à Air Liquide de s’engager plus sur l’écologie n’est-il pas un peu naïf et illusoire ? On ouvre le groupe fb d’Ingénieur.e.s Engagé.e.s et on y trouve le dernier débat : « Vous êtes plutôt pour du 100 % nucléaire ou du 100 % énergies renouvelables, ou bien un mix des deux ? », des annonces à tour de bras pour faire de la pub à la dernière start-up de recyclage des déchets super innovante, ou bien des demandes de conseils sur les formations d’« écologie industrielle » (pardon ?!)…
Le but ici n’est pas de faire le procès de ces collectifs pour leur manque de radicalité : on a bien conscience qu’il y a beaucoup de chemin à faire dans le milieu de l’ingéniérie et qu’il faut bien commencer quelque part. Nous avons juste relevé quelques exemples qui nous semblaient pertinents pour illustrer notre volonté d’aller plus loin et d’outrepasser les difficultés qu’ont les ingénieur.e.s à dépasser les cadres institutionnels, entreprenariaux, salariaux, etc.
Par ailleurs nous n’avons pas fait une liste exhaustive de tout ce qu’il se passe au sein de ces collectifs et savons qu’il y existe des voix plus « engagées » pour une écologie radicale, décoloniale, etc. Mais ces élans bienvenus se retrouvent trop souvent cantonnés ou dilués dans une analyse très consensuelle et une approche réformiste des problématiques écologiques et climatiques.
2. Mais qu’est ce qui bloque, au fond ?
Je fait un tour rapide de la question, car le but ici est de proposer des outils pour dépasser ces cadres conventionnels plus que d’essayer d’analyser les raisons profondes du « conditionnement » des ingénieur.e.s et le pourquoi du comment iels ont beaucoup de difficultés à remettre en question leur métier ou qu’on ne les trouve pas plus dans les luttes. Je précise que je n’ai pas réalisé d’étude sociologique approfondie, et que ces impressions sont surtout basées sur les échanges que j’ai pu avoir au cours de ces dernières années autour de la question et de mon expérience d’ingénieur.e déserteuse. [1]
– Timidité et fausse neutralité objective
Il y a une volonté de ne pas trop se mouiller, de ne pas froisser trop de monde en ne se positionnant pas clairement politiquement.
Ce n’est pas si étonnant car on nous a appris toutes nos études durant que la science et la technique sont neutres et immuables, nous avons intégré des théorèmes, des démonstrations, des modélisations, etcaetera, sans jamais y apporter une once d’analyse politique ou de discussion éthique.
On manque de critique de fond, de remise en cause profonde et assumée des systèmes et structures capitalistes, patriarcales, colonialistes. Il y a une certaine timidité a assumer ces discours, par simple manque de références ou méconnaissance de ces analyses ? Par peur de se retrouver catégorisé.e trop « radical.e » et de ne pas réussir à atteindre assez de monde ? [2]
– Peur de risquer sa position sociale, son confort de vie
Les personnes qui se retrouvent en école d’ingénieur.e.s sont majoritairement issues de classes sociales plutôt moyennes à élevées. Nous avons pour la plupart été habitué.e.s à un certain confort social, financier. Et si nous ne pouvons pas généraliser cette affirmation à chaque individu.e rentrant en école d’ingénieur.e.s, on peut dire plus facilement que c’est ce à quoi nous vouent nos formations : un travail « gratifiant » (car reconnu dans la société comme exemple ultime de réussite sociale), bien payé, voire après avoir gravi les échelons (et/ou avoir bien su jouer le jeu des influences politiques, du fameux « réseautage » que l’on apprend à maîtriser studieusement durant nos formations) une ou des positions de pouvoir décisionnel et politique.
Alors oui, lorsque commence à se dessiner l’ombre d’un doute sur les intérêts de son métier (fussent-ils écologiques, sociaux, personnels ou une savante combinaison des trois), il peut être difficile pour l’ingénieur.e de se dire « Vite ! Arrêtons-tout, changeons de métier ! ». Et si la prise de conscience survient pendant ou juste après la fin des études, comment tirer un trait sur toutes les promesses d’avenir et de réussite dans lesquelles nous sommes bercé.e.s depuis tant d’années ?
Problèmes de riches, me direz-vous… Bon, pas que, bien sur Il faut parfois aussi avoir un emploi rémunéré pour vivre, oui oui ! Mais quand même, après 1 ou 2 ans de travail d’ingénieur.e dans une entreprise quelconque à 3000€ net par mois, tu touches un peu plus de 2000€ par mois pendant 2 ans, ça laisse pas un peu le temps et le confort de réfléchir à ce que tu veux vraiment faire dans ta vie ? Et sinon pour prendre le temps de réfléchir, il y a aussi les temps partiels, l’alternance, ou pour les plus intrépides (de plus de 25 ans) le RSA !
On a bien conscience que c’est facile à dire comme ça, mais si nous abordons le sujet d’un ton si désinvolte, c’est bien pour insister sur le fait que l’emploi rémunéré au sein des structures conventionnelles (entreprise, start-up, institution publique, laboratoire de recherche …) ne constitue pas notre seul moyen d’exister et de nous réaliser, au contraire ! Si nous sommes dans une impasse au regard de la satisfaction en terme d’impacts sociaux et écologiques de nos professions ou études, alors stop ! « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste ! » comme dirait l’autre. Bien que ce soit difficile pour nous les ingénieur.e.s qui avons évolué pendant des années dans des cadres scolaires bien définis, bien dressé.e.s à suivre une voix toute tracée menant à l’emploi et à la poursuite éternelle de l’ascension sociale, il nous faut nous rendre compte que s’il y a un groupe social pour qui la désertion est la plus accessible, c’est bien le notre ! Les freins sont en général bien moins financiers ou pratiques que psychologiques.
– Récupération des énergies par des organisations faussement subversives, greenwashing et transition énergétique
Tout cela nous amène bien souvent à la récupération des questionnements, frustrations et volontés d’agir des ingénieur.e.s par des organisations telles que le Shift Project ou l’Institut Néga Watt (pour n’en donner que deux exemples, liés aux politiques climatiques et énergétiques) aux idéaux soi-disant subversifs et produisant des fausses-bonnes solutions aux enjeux de l’énergie, du climat et des ressources à grand coups de graphes et tableaux plein de chiffres, faites pour être acceptées par les décideurs politiques mais qui ne remettent jamais en cause l’ordre établi et les systèmes coloniaux, extractivistes, patriarcaux et compagnie sur lesquels ces solutions continuent de reposer.
Tout.e ingénieur.e qui se pose un peu de questions sur ces problématiques a bu avec avidité les paroles d’un Janco (et je parle en connaissance de cause), son égo de scientifique tout bien flatté par la dose de chiffres et graphes et calculs imparables ne laissant pas place à la discussion qu’il peut débiter dans ses innombrables vidéos. « Enfin quelqu’un de réaliste, qui porte une vraie critique de la croissance, chiffres à l’appui ! » implacable, nous sommes-nous dit, répétant à qui veut l’entendre ses arguments bien ficelés en nous plaçant fervents défenseurs de l’industrie nucléaire parce que « Soyons pragmatiques, enfin ! »
Ne nous laissons pas avoir par le mono-argumentaire de la chasse aux émissions de CO2, les problèmes à affronter sont profondément structurels et systémiques et ne peuvent se résumer à de simples opérations de réduction. La « transition énergétique » consistant à nous faire croire que l’on révolutionnera ce système en se débarrassant des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables et/ou de la poursuite du nucléaire reproduit ce raisonnement simpliste, invisibilisant les infrastructures nécessaires à la mise en place des soi-disant solutions, et oubliant que ces industries dépendent fondamentalement de l’extraction et utilisation du pétrole ou des métaux (rares ou non) et de tous les désastres que cela engendre.
3. Déserter, certain.e.s le font déjà
A plein de niveaux il est possible de déserter même si on ne peut pas le faire complètement, il est possible d’enrayer la machine d’une multitude de manières différentes, que ce soit directement pour la rendre hors d’état de nuire, pour dénoncer ses ravages ou bien pour remettre les outils scientifiques et techniques que l’on s’accapare depuis trop longtemps au service des habitant.e.s et de la démocratie.
« Les ingénieurs doivent prendre part au démantèlement d’un certain nombre d’activités industrielles nuisibles »
Mais, vous l’avez peut-être remarqué, et c’est là tout le propos de cette brochure, rares sont les structures et/ou organisations existantes nous permettant de mettre tout cela en pratique ! On nous a martelé et nous nous sommes convaincu.e.s que c’est en intégrant des entreprises que nous pourrons avoir un impact, que c’est de l’intérieur que nous pouvons changer le système en tant qu’ingénieur.e.s, et on récolte aujourd’hui à la pelle les témoignages d’ingénieur.e.s ne pouvant plus vivre avec cette dissonance, qui se sont épuisés à essayer d’amener des réflexions à leur entreprise sur ses impacts écologiques et sociaux, de mettre en place des choses au sein de leur structures pour se rendre compte qu’au final la direction acquiesce gentiment (dans le meilleur des cas) mais n’a aucune intention de changer fondamentalement leur modèle économique de maximisation de profit
Et que font-iels, ces ingénieur.e.s dont le métier pousse parfois jusqu’au burn-out à force d’incohérence et de dissonance ? Et bien iels désertent ! Romain Boucher par exemple, a quitté son travail de data scientist dans le cabinet de conseil Sia Partner, afin de prendre le temps de s’ouvrir à d’autres réflexions, de s’investir dans des collectifs militants, et de produire du contenu dénonçant en connaissance de cause le monde qu’il avait alors quitté et « les ravages du techno-libéralisme » - autres ressources en suivant ce lien. Déserter, ça ne veut pas forcément dire tout abandonner, dans bien des cas déserter ça permet simplement de se libérer de nos dissonances et de notre déni, de faire de la place et de choisir ce qu’on veut faire de cette place.
Romain Boucher, avec cette place, a (entre autres) choisi de s’investir dans le collectif Vous N’êtes Pas Seuls, qui propose une plateforme de lancer d’alerte permettant à des salariés vivant cette fracture dans leur travail, de participer à l’offensive écologique et sociale depuis leur position « d’infiltrés », et de documenter le fonctionnement et les ravages des piliers de la société techno-industrielle.
« Les ingénieurs, puisqu’ils sont en France à la fois au coeur et aux manettes de la machine techno-industrielle, sont bien placés pour l’enrayer, encore faudrait-ils qu’ils se soumettent à une auto-critique et fassent sécession avec l’apologie aveugle du progrès »
La désertion, c’est un acte politique ! Dans « Lettres aux humains qui robotisent le monde, merci de changer de métier », Celia Izoard, journaliste de Reporterre et rédactrice au sein de la Revue Z (revue itinérante d’enquête et de critique sociale), dénonce l’automatisation du monde et interpelle des chercheurs travaillant au LAAS (Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes) sur l’intérêt fondamental de leurs recherches. Elle recueille également le témoignage d’Olivier Lefebvre, ingénieur démissionnaire du Laas-CNRS qui partage ce qui l’a poussé à quitter son poste.
« Si 100 ingénieurs ou chercheurs de l’écosystème toulousain décidaient d’arrêter de faire des algorithmes et des robots, ça casserait tout »
4. En-dehors ou en-dedans ?
Toujours du côté de la recherche, mais plutôt universitaire, on avance dans la voie de la politisation, et de la démocratisation des savoirs scientifiques, comme nous le montrent les travaux de l’association Sciences Citoyennes ou de l’Atelier d’écologie politique (Atecopol). C’est par exemple des scientifiques de l’Atecopol qui ont travaillé avec Celia Izoard, pour une enquête sur l’industrie de l’hydrogène et ses impacts mettant même à disposition les calculs sur lesquels la critique se base, dans une démarche de transparence, ce qu’on retrouve rarement dans les rapports produits par les entreprises vantant les mérites de telle ou telle technologie. Voilà un bel exemple de coopération entre journalisme et sciences, permettant d’affirmer une position politique informée et documentée.
Dans l’industrie, évidemment, c’est un peu plus compliqué de trouver des moyens de renverser le rapport de force, mais certain.e.s s’y attachent tout de même, et ce en utilisant leurs positions en- dedans. Les ingénieur.e.s miniers de l’association SystExt se regroupent pour lutter contre les systèmes extractivistes. Iels ont par exemple fourni une expertise indépendante à la commune de Fontrieu dans le Tarn révélant les risques du projet d’implantation d’une mine de tungstène. La mairie, initialement favorable s’est ensuite opposée au projet. Iels dénoncent également les ravages de l’industrie minière dans un ouvrage intitulé « Mauvaises Mines », et ont contribué au numéro « Folie minière en Guyane » de la Revue Z.
Et La Revue Z, parlons-en ! Une bande de journalistes (mais pas que) ont un jour eu envie de faire du journalisme autrement, de produire des analyses situées et politiques, basées sur des enquêtes ancrées dans les territoires, montrant des réalités brutes et documentées. Voilà qui rompt avec le journalisme conventionnel soi-disant neutre, qui est bien souvent totalement déconnecté des réalités du terrain ou survole les enjeux de manière désintéressée. Rassembler diverses compétences (rédacteur.ice.s, dessinateur.ice.s, graphistes, journalistes, poètes, photographes…) durant un mois dans un lieu donné pour enquêter collectivement et comprendre ce qu’il s’y passe, pour ensuite produire un ouvrage accessible et beau, si complet et documenté, contenant des critiques et analyses de fond : il nous semble que les ingénieur.e.s déserteur.euse.s en herbe auraient grand intérêt à s’inspirer de ce genre de pratique pour entrevoir comment iels pourraient bien faire autrement… !
Toujours sur le thème d’exploiter l’en-dedans pour s’organiser en-dehors : le collectif Notre Maison Brûle, une plateforme d’autodéfense populaire face aux dangers industriels co-fondée par un ingénieur spécialiste des risques et des impacts industriels travaillant au sein d’un bureau d’études concevant des systèmes de sécurité incendie pour les grandes entreprises. Ce collectif a mis en place un observatoire participatif des violences industrielles et anime des ateliers d’éducation populaire permettant aux habitant.e.s de comprendre les dangers qui les entourent et ainsi de retrouver une certaine emprise sur leurs lieux de vie. Cela contribue à l’émancipation collective par la transmission de la connaissance des infrastructures, gardée bien précieusement par ceux qui les gèrent, et permet de créer des terrains favorables à l’organisation et la lutte contre les pollutions et risques imposés par les industries.
5. Bon d’accord, mais on fait quoi nous ?
Il nous faut d’abord nous frotter au dehors, au terrain, à la réalité des projets d’aménagement et des industries mortifères, aux habitant.e.s que ces derniers concernent en premier lieux et aux luttes qui les traversent.
Se confronter au terrain, aller voir, se rendre compte…
Et lorsque l’on s’engage sur cette voix on se rend compte que nous, les habitant.e.s, n’avons que très peu d’emprise sur les macro-systèmes techniques [ref] indispensables à la course effrénée de ce système ravageur et à la concentration des pouvoirs politiques et industriels qui le gèrent.
… En rejoignant les luttes ou au moins en les connaissant…
Et si les ingénieur.e.s, formé.e.s à étudier, concevoir, développer, optimiser, gérer (…) tout ou parties des macro-systèmes, s’organisaient pour les rendre visibles et compréhensibles, d’abord, puis participer à leurs démantèlements ?
… pour voir et comprendre la réalité et les conséquences de nos systèmes/industries/projets.
Vous n’en avez peut-être pas conscience, mais elles sont là très près de nous, les communautés, les collectivités, les communes ou autres collectifs qui cultivent ce désir d’autonomie, et qui engagent des discussions sur la manière d’y arriver. Certaines plus loin de nous, au Chiapas ou au Rojava par exemple, se sont battu pour obtenir et construire leur autonomie politique, et la défendent toujours !
Rendre accessibles la compréhension des systèmes/infrastructures/industries…
Et si nous nous organisions avec elles pour accompagner concrètement la réappropriation communale (au sens des communs et/ou du communalisme et non pas de la commune comme entité administrative telle qu’elle est définie aujourd’hui) de nos besoins, de nos usages, de nos infrastructures, de nos sociétés ?
… et mettre nos connaissances et outils techniques au service des luttes, de l’autonomie et des démantèlements.
Nous pourrions être inventives et créatifs, nous inspirer de ce qui existe déjà, mais peut être et sûrement en dehors de nos cadres habituels de pensée et de milieu. Si nous allions au devant de ce que l’on ne connaît pas ou peu, ne pensez-vous pas que nous pourrions nous laisser aller à imaginer des possibles, hors de nos entre-soi, en regardant et comprenant ce qui et celles et ceux qui nous entourent et toute la complexité de leurs interactions ?
Sortir de nos entre-soi et pensées technicistes et managériales…
Rejoignons ou lançons des projets hybrides et multiformes, pour parler d’infrastructures, de féminisme, d’écologie, d’industries, d’eau, de technologies, d’urbanisme, de colonialisme, d’énergie, d’agriculture, avec les habitant.e.s d’un lieu, des journalistes, des artistes, des graphistes, des architectes, des anthropologues, des juristes, et pas que, qui nous permettent de faire le tour d’une question de manière transversale et de toucher et comprendre des sensibilités différentes.
… en nous ouvrant à d’autres milieux, lectures, analyses, cultures.
Nous pouvons trouver les moyens d’exister en dehors mais tout en exploitant notre place en dedans ! La pureté n’existe pas dans ce monde schizophrène, admettons-le et allons de l’avant. Nous pouvons être plus malin.e.s et imaginer les outils qui nous permettront de mettre en place des leviers d’action même en gardant un pied dans le système.
S’organiser avec d’autres personnes que des ingénieur.e.s : habitant.e.s, journalistes, artistes, anthropologues, ouvrier.e.s, naturalistes, historien.ne.s…
Nous avons la possibilité d’exploiter ce dernier pour lui nuire de manière efficace, alors faisons-le ! Et si on a pas envie de garder un pied dans le système, on en sort !
… et utiliser nos connaissances et positions d’en-dedans des systèmes pour informer, dénoncer, et identifier des failles.
Ne reproduisons pas toujours les mêmes choses, start-ups, entreprises, profit et greenwashing en fermant les yeux bien fort sur nos incohérences !
Imaginer et créer des structures ou organisations indépendantes pour expérimenter et travailler différemment,
Nous organiser concrètement pour penser les démantèlements des systèmes/infrastructures/industries nuisibles et participer à l’émancipation par l’autonomie !
Rejoignons le rapport de force et dans tout cela et malgré tout, amusons-nous férocement !!
[1] Pour un travail plus approfondi sur les raisons de ces conditionnement, le pourquoi du comment le métier d’ingénieur est remis en question aujourd’hui, je vous invite à aller voir (et à contribuer pourquoi pas !) le projet d’écriture collective mené par Ingénieur.e.s Engagé.e.s.
[2] Ce qu’on retrouve par ailleurs assez fréquemment dans les mouvement sociaux dits « de masse », et/ou non-violents où la volonté de rallier un maximum de personnes passe au premier plan et contraint à reproduire des discours consensuels, au détriment des revendications et positions radicales.
Si ce que tu viens de lire t’a inspiré, interpellé, ému ou choqué, si tu veux aussi réfléchir à la mise en pratique de ce vaste programme, si tu connais d’autres collectifs, groupes ou personnes qui agissent dans ce sens, n’hésites pas à nous écrire !
Faisons vivre ce réseau d’ingénieur.e.s qui désertent, ont déserté ou déserterons, qui pensent et créent en dehors en assumant leur part d’en-dedans, soyons la passerelle qui permettra a bien d’autres de s’extraire des carcans du techno-libéralisme et de contribuer à son démantèlement …
lesdesert-heureuses@@@riseup.net
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