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Dépression, comment te quitter ?

mis en ligne le 22 novembre 2021 - Lukz

La déprime est dans l’air du temps. Face à un contrôle social toujours plus puissant
et aux catastrophes en cours, de nombreuses personnes se résignent.

Comment changer cette vision morose du monde via des luttes joyeuses, des trans-
formations émancipatrices ?

Il semblerait qu’une des premières étapes pour moi serait de me débarrasser de toi,
ma dépression qui me suit depuis maintenant trop longtemps. Au fil du temps, tu es
devenue trop encombrante et j’aimerais bien te remplacer par des déprimes plus rares et passagères. Désolé !

J’écris ces réflexions et histoires personnelles pour celleux qui luttent contre leurs
tendances dépressives, pour celleux qui veulent comprendre, pour celleux qui veulent aider.

Le genre peut influer grandement notre réponse à la dépression et notre capacité à
demander de l’aide. Il me semble donc important de préciser dès le début que je suis un mec cisgenre.

Pour toute remarque, critique, question ou commentaire, contactez lukz@@@disroot.org.

Sommaire

Pourquoi cette brochure ?
Lexique dépressif personnel
Quelques histoires personnelles
Ce que j’apprécie chez une personne qui m’écoute
Dépressions et institutions
Quelques ressources

Pourquoi cette brochure ?

Ouvrir la voix sur les troubles psychologiques

Socialement, nous sommes encouragé·es à régler nos problèmes psychologiques dans la sphère privée. Et, quand cela ne fonctionne pas, on nous conseille d’aller voir un·e psy. Je pense que parler ouvertement de ces questions sans honte permettrait de créer des réseaux solides d’entraide et de briser l’isolement lié aux troubles psychologiques.

On manque de retours d’expériences dans de nombreux domaines. Parfois, ces retours peuvent grandement aider car ils nous évitent de devoir redécouvrir ce que d’autres ont compris avant nous ou même de répéter leurs erreurs. Cette brochure est un retour de mon expérience de lutte contre mes déprimes.

Lutter contre les pressions psychiques que l’on subit quotidiennement

Nous vivons dans une société de contrôle, de manipulation. La publicité, les mensonges et le spectacle sont omniprésents. Les oppressions systémiques nous font souffrir et prendre le long chemin de la déconstruction de ces oppressions peut fatiguer mentalement. La répression judiciaire et policière nous marque afin de nous résigner.

De manière générale, toute tentative de résistance face à la norme subit un contrecoup lié à l’inertie sociale. Toutes ces pressions, psychologiques et matérielles, peuvent laisser des traces ou accentuer des troubles que l’on a hérités de notre histoire personnelle.

Il est donc nécessaire si l’on veut transformer le monde de s’autoformer à l’entraide psychologique. Une population résignée et dépressive est facile à gouverner. Alors, pour devenir ingouvernables, apprenons à lutter aussi sur le plan psychologique, sur les subjectivités de chacun·e.

Abandonnons définitivement l’image virile du militant sûr de lui et qui donne sa vie à la lutte. Apprenons plutôt à partager nos doutes et nos faiblesses. Cela nous rendra bien plus fort·es collectivement.

Lexique dépressif personnel

J’utilise certains mots pour comprendre mes déprimes et celles des autres. Même si chaque personne a ses propres mécanismes, on peut retrouver la plupart du temps des schémas typiques communs entre personnes déprimées et c’est ce que ce lexique essaie de capter.

Cercles vicieux

Ma dépression est constituée de nombreux cercles vicieux qui changent ma capacité à agir ainsi que ma perception de la réalité. Les cercles vicieux ne sont pas rationnels : on peut essayer de s’attaquer logiquement à leurs mécanismes mais c’est souvent loin d’être suffisant. Voici une illustration de quelques uns de mes cercles typiques.

Les idées noires et les idées fixes

Les idées noires correspondent à des monologues intérieurs qui tournent en rond. Ce sont des idées sur lesquelles je bloque, qui me dépriment et qui reviennent. Selon comment je me sens, ces idées sont plus ou moins obsédantes et me font plus ou moins souffrir. Je ne demande alors qu’à passer à autre chose mais mon esprit bloque sur ces idées et y revient régulièrement… Les exprimer à l’oral à quelqu’un·e peut participer à désamorcer leur puissance pendant un certain temps.

Ascenseur émotionnel

La déprime n’est pas une descente continue du moral jusqu’au fond du trou. Comme à tout moment de la vie, il y a des hauts et des bas. Cependant, dès que je me rends compte que je suis en train de déprimer sérieusement, chaque haut et chaque bas s’accompagne d’effets vicieux. En effet, quand je remonte, c’est-à-dire que je passe une bonne journée ou une bonne soirée ou que j’ai une chouette discussion, j’y crois, j’espère être en train de sortir de tout les cercles vicieux qui me plombent la vie. La retombée du moral s’accompagne alors d’une désillusion fortement désagréable…

Énergie et décisions

C’est quasiment mission impossible d’arriver à prendre une décision quand je suis déprimé. Je doute en permanence, je cherche désespérement la décision qui me fera aller progressivement mieux sans arriver à me débarrasser de mes doutes. J’essaye de trier mes préférences selon ce que m’incite à faire la dépression (fuir, ne rien faire, etc.) et ce que je ferais si j’allais bien. À cela s’ajoute une fatigue généralisée qui fait que toute activité, que ce soit uniquement 10 minutes à vélo ou juste faire la vaisselle, semble extrêmement complexe et demande un effort particulier.

Désespoir appris et résignation

À force de retomber dans des trous dépressifs, j’apprends à ne plus espérer en sortir un jour pour éviter la déception. À certains moments, rien qu’espérer sortir un jour de ma déprime me demande une énergie considérable tant je redoute la rechute et les déceptions répétées.

Maladies psychiques et injonctions impossibles

Un piège des maladies psychiques est de se dire qu’il suffit de décider d’aller mieux pour aller mieux. Malgré les échecs répétés de telles tentatives, je continue de me faire des promesses à moi-même : "demain, je ferai X et Y et ça ira mieux ! Tout ça n’est qu’une mauvaise passe". Quelques fois j’ai l’impression que d’autres gens pensent qu’il suffirait que je choisisse d’arrêter de déprimer pour que ça s’arrête ou qu’il suffirait que je me force un peu. La vie serait tellement simple si cela suffisait…

Fumer

Fumer me fatigue et normalise le fait de ne rien faire. Au lieu de réfléchir ou d’avoir l’impression de ne rien faire de ma journée, je fume des clopes. Cela donne un rythme à la journée et m’insensibilise émotionnellement. À chaque dépression, je deviens fumeur et arrêter de fumer est en général un très bon signe de sortie de crise.

Les jeux vidéos ou ma fuite préférée

Ma principale technique pour fuir les idées noires est de faire en sorte de ne penser à rien en jouant à des jeux vidéos. L’important n’est pas tant le jeu vidéo (même si c’est cool s’il est de qualité) que le fait de ne plus déprimer ou penser. Souvent je joue jusqu’à épuisement total ce qui fait que je tombe de fatigue. Je pense que cela me permet d’éviter une phase désagréable de réflexion/bilan quand je vais me coucher "normalement". Si je n’ai pas de jeux vidéos sous la main, je lis beaucoup pour passer le temps.

Sortie de fuite

Attention cependant au contrecoup après avoir passé beaucoup de temps à fuir car la sortie de la fuite peut faire très mal. Quand on fait le bilan d’un mois passé uniquement à jouer, de tout ce qu’on a pu laisser en plan (ménage à faire, travail à rattraper, mails en attente de réponse, SMS jamais répondus, appels manqués, etc.), la chute est violente…

Contre-attaque

La stratégie inverse de la fuite pour passer la dépression est de contre-attaquer les effets de ma dépression. Comme ma dépression s’accompagne d’inactivité, j’essaye de me rendre le plus actif possible. Je me force à chercher des activités et à faire des choses. Quelques fois, la stratégie de la contre-attaque marche et quelques fois, j’épuise mon énergie jusqu’à ne plus arriver à contre-attaquer. Je retourne alors dans la déprime inactive avec l’amertume de l’échec et l’impression que rien ne marche.

Trou noir ou tunnel

C’est la phase la plus dure de la dépression. Les idées de suicide sont omniprésentes et épuisent mentalement. Extérieurement, je ne fais rien de visible mais le monologue intérieur m’occupe tellement l’esprit que je suis extrêmement fatigué. Au plus profond du tunnel, toutes les lumières sont éteintes : je ne vois aucune échappatoire possible. Même les jeux vidéos ne m’attirent plus car la fuite n’est plus suffisante pour penser à autre chose. C’est le moment où le suicide paraît tout à fait rationnel : une vie avec des tunnels ne semble pas valoir la peine d’être vécue tant ils peuvent être violents. Heureusement cette phase est rare et rarement longue, je n’ai vécu que deux trous noirs avec idées suicidaires. Cependant leur présence potentielle colore l’ensemble de la déprime.

Survigilance et peur

Après être sorti d’une phase de dépression sérieuse, je deviens survigilant vis-à-vis de mon état émotionnel. Chaque envie, manque d’envie, chaque décision est scrutée pour chercher des signes de redescente ou de remontée. Cette survigilance épuise émotionnellement et peut contribuer à une rechute. Cela peut donner l’impression d’être en permanence sur le fil du rasoir. La peur de tomber dans le trou me paralyse parfois.

Ecrire un journal

J’ai essayé d’écrire un journal mais je n’ai jamais réussi à tenir sur la durée. J’ai eu quelques fois l’impression que cela permettait d’extérioriser légèrement les idées noires et que cela aidait. Cependant la plupart du temps, cela prolongeait uniquement le monologue intérieur sur un nouveau support.

Planning et rythme

Faire un planning afin de limiter les décisions à prendre pendant la journée est à double tranchant pour moi. D’un côté, cela m’encourage à faire du sport (meilleur médicament antidépressif d’après ce qu’on m’a dit), à cuisiner, à ranger, à laver. Cela aide donc beaucoup à garder un équilibre sain. De l’autre côté, je n’arrive souvent pas à le respecter ce qui peut juste renforcer l’auto-culpabilisation et la déprime.

Hypersomnie et insomnie

Mon sommeil est extrêmement irrégulier pendant mes phases de déprime. Je peux enchaîner les nuits de plus de 12h pendant une semaine puis ne faire que des nuits de 4-5h la semaine suivante. Je dors plus longtemps quand je n’ai rien envie de faire, cela permet de passer le temps. Les moments où je dors peu sont plus typiques des jeux vidéos. À certains moments je n’ai envie de rien, même pas de dormir ce qui fait que j’erre à la recherche de comment passer le temps même quand il est 3h du matin.

Quelques histoires personnelles

Ces histoires ne sont aucunement des exemples à suivre. Il s’agit uniquement de quelques épisodes de ma vie sur lesquels je reviens en y ajoutant des interprétations peut-être fausses.

Évolution de la perception de mes déprimes

Mon regard sur mes déprimes a considérablement évolué au fil des années. Au début, je pensais être paresseux et avoir une addiction aux jeux vidéos tout simplement. Je culpabilisais énormément de ne pas me sentir bien, de ne pas arriver à travailler, de faire subir ma déprime aux proches qui m’écoutaient. Je ne comprenais pas pourquoi je n’arrivais pas à juste décider de travailler, de sortir, d’aller mieux. J’étais perdu et je fuyais dans les jeux vidéos.

Pendant mon premier trou noir, j’ai lu ma première brochure sur la dépression, La dépression, en savoir plus pour en sortir. C’est à partir de ce moment que j’ai utilisé le mot dépression pour décrire ce qui m’arrivait. Ce changement de perspective a été libérateur car il a permis de limiter l’auto-culpabilisation. Le fait de déprimer n’était pas de ma faute mais était juste lié à une maladie. Comprendre cela n’a évidemment pas éliminé totalement l’auto-culpabilisation car la dépression est loin d’être une maladie rationnelle.

Pendant et après le premier trou noir, j’ai donc compris que je faisais des dépressions, j’ai analysé certains mécanismes de défense que j’avais, certains cercles vicieux. J’espérais pouvoir ainsi contrer les déprimes avant qu’elles ne deviennent trop intenses et ingérables.

Deuxième trou noir

Entre le premier trou noir et le second trou noir, il s’est passé seulement 1 an et demi. Cette année et demie a beaucoup changé ma façon d’être face aux déprimes. J’ai appris à parler de ces sujets, mes ami·es étaient au courant ce qui simplifiait le contact et j’ai appris à écouter d’autres personnes.

Tout cela a fait que je me sentais prêt à affronter une autre déprime. Pourtant, je me suis senti complètement impuissant pendant la chute qui a mené au deuxième trou noir. Je reconnaissais les mécanismes qui me faisaient chuter, je les analysais, je voyais clairement ce qui m’arrivait et pourtant je n’arrivais pas à lutter. Voir que ce que j’espérais, c’est-à-dire arriver à maîtriser mes déprimes, à les gérer, ne marchait pas m’a choqué profondément.

J’ai du coup rediscuté de ces sujets avec mes ami.es, on m’a reparlé de beaucoup d’expériences plutôt positives de psychothérapie ou même médicamenteuses. On m’a conseillé des livres, dont Je réinvente ma vie qui présente la théorie des schémas. Il s’agit une catégorisation de plusieurs mécanismes de pensées dits dysfonctionnels que l’on peut observer chez de nombreuses personnes et qui peuvent aboutir à des dépressions ou autres troubles psychiques.

Même si je déteste les catégorisations psychologiques, je me suis reconnu dans un schéma. Cela m’a permis de mieux comprendre certaines des causes probables plus profondes de mes déprimes répétées et j’ai l’impression que ça m’a beaucoup aidé.

Relations intimes, aide extérieure

J’ai tendance à m’isoler quand je déprime. Il s’agit d’un moment que je préfère cacher car j’en ai honte. J’ai l’impression que m’isoler aggrave la déprime mais les relations sociales superficielles font de même. Le décalage que je ressens entre le monologue intérieur omniprésent et des discussions qui souvent m’intéressent peu à ce moment participe à mon désintérêt social lors de mes périodes dépressives.
J’étais en couple pendant ma première longue dépression. J’avais une attitude ambivalente envers la personne avec qui j’étais en relation : d’un côté j’essayais de lui cacher mon mal-être, de m’isoler d’elle et de l’autre je lui partageais souvent mes idées noires quand je n’arrivais plus à vivre avec.

Cela peut être éprouvant d’être en relation avec une personne en dépression surtout si la personne déprimée vous en demande trop ou si la situation n’a pas l’air de s’améliorer au fil du temps et s’éternise. Depuis une expérience de relation qui se brise à la suite d’une dépression longue durée, je fais extrêmement attention à ce que je demande aux autres en termes d’écoute, à la proportionnalité de ces demandes. Je vais encore souvent essayer de m’en tirer seul même si je ne suis jamais arrivé à le faire totalement.

Quasi systématiquement mes longues périodes de dépression se sont finies en discutant de longues heures à multiples reprises avec des amies proches. Cela a été presque toujours des femmes ce qui n’est pas étonnant vu la répartition genrée du travail de soin et d’écoute dans notre société... Je n’ai que rarement réussi à oser demander une écoute prolongée et fatigante en dehors des relations extrêmement proches.

Naviguer entre position d’homme, besoin d’aide et travail de soin

Après mon premier trou noir, je me suis rendu compte que j’avais demandé beaucoup d’énergie à ma copine ce qui avait participé à notre rupture. On m’a expliqué le lien entre l’énergie que ma copine avait pu mettre pour me soutenir et les théories féministes sur le travail de soin et de soutien émotionnel (le care). Le soutien émotionnel est socialement pris en charge par les personnes MINT (Meufs-Intersexes-Non binaires-Trans) et ce travail est souvent invisibilisé et méprisé.

Le travail de soutien émotionnel se déroule majoritairement dans la sphère privée ce qui participe à son invisibilisation. Ce travail n’est pas mis en valeur socialement. Par exemple, dans le cadre d’une relation de couple hétérosexuelle, on peut considérer que la femme travaille gratuitement au profit de l’homme en le soutenant émotionnellement [1].

Quand j’ai découvert ces théories féministes, cela a dans un premier temps plutôt participé à de l’auto-culpabilisation plutôt qu’à des changements personnels de fonctionnement. Aujourd’hui, j’essaye de me poser le problème différemment et de fuir l’auto-culpabilisation au maximum. Comment puis-je éviter à l’avenir que des rapports d’exploitation ou de dépendance s’immiscent dans mes relations privées ? Cette question est posée à l’échelle personnelle alors que le patriarcat est un problème politique global et social. En posant cette question, je ne cherche pas une stratégie de lutte contre le patriarcat mais plutôt une éthique personnelle avec laquelle je me sens bien et où j’essaye de participer le moins possible au patriarcat.

Je distingue trois pistes de réponses à cette question. Il ne s’agit que de pistes car elles n’ont pas toutes été mises en pratique avec succès même si je m’y efforce. D’une part j’essaye de diversifier mon réseau de soutien (à qui je parle de mes déprimes, à qui je parle quand je vais pas bien). Je lutte contre ma tendance inscrite assez profondément à ne me confier que dans le cadre des relations intimes. L’écriture de cette brochure peut être considérée comme une façon de me préparer à parler plus largement et de manière plus ouverte de mes périodes de déprimes.

J’essaye aussi de faire ma part de travail de soutien émotionnel en faisant attention aux personnes autour de moi (notamment mes relations intimes), en les écoutant et en les soutenant. En faisant cela, j’ai découvert qu’en se soutenant et en se confiant mutuellement, on pouvait approfondir de manière incroyable des liens amicaux. Et j’ai aussi découvert directement combien cela pouvait être fatiguant de soutenir une personne en crise.

Finalement, j’essaye de participer à la diffusion d’une culture collective du soin, de l’attention dans les milieux où j’évolue.

Prise en charge collective sur lieux de lutte

En ce moment, je me balade souvent sur des lieux collectifs de lutte et je réfléchis beaucoup à la question du soin psy. Soigner nos troubles psys de manière collective et les prendre en compte, c’est sortir du cadre privé et individuel un problème politique. Nos troubles psys sont politiques car ils sont causés par la société dans laquelle on vit. Mais je n’en suis encore qu’au début de cette démarche et j’ai encore plein de choses et de pratiques à découvrir.

Pour moi, il n’y a pas vraiment à inventer de nouvelles pratiques collectives à partir de zéro car de nombreuses pratiques existent déjà : moments dédiés à l’expression des émotions, moments d’écoutes, attention générale à ne pas créer un climat psychophobe, etc. Il s’agirait plutôt de diffuser plus largement ces pratiques en encourageant une culture du soin.

Mais même si une telle culture existait, je ne sais pas si je me sentirais légitime à demander de l’énergie collective pour m’aider lorsque je déprime. Je pense que j’aurai toujours tendance à m’isoler et à ne parler de ces soucis qu’à des personnes avec qui j’ai des relations intimes. J’espère que ces réflexions et des pratiques collectives de soin m’aideront à sortir du piège de la honte de soi et du manque d’estime de soi. Peut-être que j’oserai alors demander de l’aide dans un cadre plus large lors de futures déprimes.

La psychothérapie et moi

Encore aujourd’hui, je n’ai jamais été voir un·e psy. Ça a toujours constitué un énorme blocage pour moi malgré de nombreux conseils extérieurs et le fait d’être moi-même persuadé que cela m’aiderait et que cela allègerait les demandes que je peux faire à mes proches.

Je pense en effet qu’avoir un·e psy me permettrait de parler librement quand j’en ai besoin de n’importe quel sujet. Je me retrouve souvent bloqué dans mes relations personnelles sur ce besoin de parler car le bon moment n’est pas toujours là, la bonne personne pas toujours présente et quelques fois il n’est pas souhaitable que je dise certaines pensées à certaines personnes. Une personne avec qui je n’interagis jamais en dehors de consultations simplifierait beaucoup l’extériorisation des idées noires.

Je n’ai toujours pas compris précisément pourquoi la psychothérapie me bloque autant : peur de changer ? Envie de préserver mon estime de soi ou ma fierté en essayant de m’en tirer seul ? Honte de montrer mes faiblesses ? Socialisation masculine (les hommes sont beaucoup moins susceptibles de consulter un·e psy) ?

Suite à mon deuxième trou noir, j’ai changé de perspectives et j’essaie de trouver un·e psy adapté·e pour moi. Je crois que ce qui m’a décidé est la réalisation que mes déprimes répétées me pourrissaient beaucoup trop la vie et que ça ne pouvait plus durer.

Par contre, je suis particulièrement attaché à la quasi-gratuité des services de soin. Cela fait que le système actuel de psychothérapie me choque profondément. J’ai l’impression que deux possibilités s’offrent à nous. Soit l’on attend des mois et des mois pour avoir des consultations remboursées par la sécurité sociale (par exemple en passant par un Centre Médico-Psychologique). Soit on accepte de payer presque sans aucun remboursement et alors on peut espérer avoir un rendez-vous rapidement chez un·e psychothérapeute ou psychiatre que l’on trouve via du bouche à oreilles ou l’annuaire.

Autant je pense être proche de surmonter mon blocage sur la psychothérapie, autant je pense que je suis très loin de prendre n’importe quel médicament qui modifierait mon humeur. J’ai déjà vu des personnes zombifiées par l’institution psychiatrique et je ne souhaite pas vivre ça.

Ce que j’apprécie chez une personne qui m’écoute

Cette partie n’est pas un guide sur comment je souhaiterais être écouté. J’espère plutôt donner quelques pistes aux personnes qui souhaitent apprendre à mieux écouter et aider. Je pense que les conseils que je donne peuvent être appliqués à plein de situations différentes même s’il s’agit uniquement de préférences personnelles. Donner ces conseils fait partie pour moi d’une démarche de transmission d’informations afin que ce ne soient pas seulement les personnes MINT (Meufs-Intersexes-Non binaires-Trans) qui sachent comment soutenir les personnes en situation de crise.

L’écoute dont je parle ici est dans le cadre d’une assistance à une personne qui fait une crise ou ne va pas bien du tout. En dehors de crise, je ne parlerais pas d’écoutes mais de discussion et les conseils que je donne ici ne s’appliquent pas du tout.

Vous vous rendrez compte en me lisant que quand je suis déprimé, j’ai l’impression d’être méga relou à écouter ce qui peut être autoréalisateur. J’en suis conscient et j’en suis désolé. J’essaie en tout cas de ne jamais m’imposer et de m’assurer que la personne qui propose de m’aider est bien consentante à tout moment.

Laisser mes blancs s’exprimer

Mes idées noires sont souvent des monologues intérieurs car je n’arrive pas à en parler aux autres personnes. Il peut y avoir plein de raisons : peur de faire souffrir la personne qui m’écoute en la contaminant des mes idées noires, honte de ce que je pense, etc. Ces idées peuvent donc me demander beaucoup de temps à sortir. Cela peut aller quelques fois jusqu’à un blanc de 2-3 minutes de monologue intérieur pour déterminer si c’est une bonne idée de dire tel truc à voix haute à telle personne. Si l’on m’interrompt régulièrement, je ne parlerai que des choses superficielles.

Faire attention à la formulation des conseils

Il faut se rendre compte que si vous écoutez mes monologues depuis peut-être 1h, cela fait probablement plus d’un mois que de mon côté ils tournent en boucle. La plupart des idées que vous suggèrerez, j’y aurai donc déjà pensé de nombreuses fois et soit elles n’auront pas marché, soit je n’ai jamais eu assez d’énergie pour les mettre en place. Évitez donc d’être catégoriques en utilisant des formulations en "il faut que tu", "tu dois", etc. Cela risque de me braquer et je lutte déjà suffisamment contre l’auto-culpabilisation en moi pour ne pas souhaiter sentir de la culpabilisation à l’extérieur. Quand je parle de moi, je ne cherche pas des solutions mais plutôt à sortir certaines pensées que je garde en moi depuis trop longtemps et qui me font du mal. Je connais la plupart du temps les solutions, c’est juste que je n’arrive pas à les mettre en place.

Cependant, tous les conseils ne sont pas malvenus et quelques fois, on a besoin d’être pris par la main pour faire du sport, sortir, etc. N’oubliez cependant pas que ce sera toujours à la personne qui souffre de prendre les décisions finales et que c’est uniquement elle qui pourra arriver à s’en sortir. Vous pouvez seulement proposer votre aide mais jamais la forcer. Si je refuse votre aide, tant pis pour moi et passez à autre chose.

Insister mais pas trop

Mon premier réflexe sera de refuser toute proposition d’aide de peur de gêner, d’abuser d’une proposition faite uniquement par politesse ou par pitié mais non sincère, etc. Il faudra donc me donner des signes que la proposition de discuter ou de m’aider est réellement sincère et que vous êtes d’accord pour me consacrer du temps et de l’énergie. Il se peut aussi que je refuse car j’ai l’impression d’avoir déjà abusé de votre temps et de votre énergie. Si vous souhaitez quand même continuer à m’aider même si vous m’avez déjà beaucoup écouté, il faudra me convaincre que vous ne vous sentez pas obligé·e de faire ça, etc.

Me relancer tout en me laissant la parole

Quelques fois, pour m’assurer que je ne m’impose pas, je vais attendre des confirmations que vous souhaitez continuer à discuter. Si vous ne faites qu’écouter sans jamais rien dire, je vais vite arrêter en me disant que ce que je vous dis vous fait chier. Cependant faites attention à ne pas trop parler de vous ou à ne pas trop vous imposer. Quand je vais pas bien, j’ai vraiment besoin de parler et peu besoin d’écouter. En proportion de parole, je dirais qu’une bonne écoute donne lieu à une répartition de parole en pourcentage de l’ordre de 80 / 20 ou même 90 / 10. Cela est donc complètement différent d’une discussion standard à deux où le temps de parole devrait, à mon avis, être semi-équitablement réparti.

Ne pas trop en faire

Même si vous appréciez beaucoup la personne qui déprime, cela n’est pas souhaitable que vous l’aidiez trop. Ce n’est pas souhaitable pour votre propre bien, car s’occuper d’une personne déprimée peut être éprouvant émotionnellement. On sous-estime l’impact sur soi que peut avoir seulement le fait d’écouter quelqu’un parler de son mal-être et cela peut être utile de penser à en parler à une autre personne de confiance pour vous décharger un peu du poids que vous aurez accumulé.

C’est également mieux de ne pas trop en faire aussi pour votre relation avec la personne déprimée : il s’agit d’éviter une relation de dépendance ou de dette trop importante pour conserver après coup une relation qui peut rester d’égal.e à égal.e.

Finalement, il vaut mieux ne pas trop en faire pour la personne déprimée elle-même. Il est important pour cette dernière de reconstruire son estime de soi pour aller mieux. Comment le faire si c’est uniquement grâce à une autre personne que l’on s’en sort ? On risque au contraire de renforcer l’auto-culpabilisation car la personne déprimée se rend bien compte que l’autre en fait beaucoup trop.

Si vous ne vous sentez pas d’aider une personne, dites-le honnêtement et sincèrement. Cela sera plus simple pour moi de le savoir clairement que d’essayer de le deviner au milieu de tous mes doutes liés à ma dépression.

Dépressions et institutions

Comme je l’ai dit avant, je n’ai pas d’expérience directe de contacts avec des psys institutionnels ou libéraux. Pour plus de détails sur les questions abordées dans cette partie, je conseille la brochure À claire voie présentée dans les ressources.

Chercher de l’aide tout en s’inscrivant dans l’antipsychiatrie

Nos troubles psys sont politiques car ils sont en partie créés par l’organisation de la société. La manière de prendre en charge ces troubles psys est également politique. Les institutions psychiatriques tendent à vouloir nous normaliser, nous faire rentrer dans les schémas standards de la société via la répression (enfermement, médicalisation forcée, etc.).

Cela ne veut pourtant pas dire qu’il ne faut pas chercher d’aide professionnelle quand on en a besoin. Le système de santé mentale, malgré tout ses défauts, procure une aide vitale à de nombreuses personnes. La lutte contre le système psychiatrique ne se résume pas à des choix individuels (refuser d’aller voir des psys, etc.). Et ces choix individuels pour survivre ou mieux vivre au sein d’un système capitaliste, patriarcal, raciste ne devraient pas être jugés comme bons ou mauvais. En effet, nous composons toustes au mieux avec nos contradictions, nos doutes, etc. Je considère la recherche de la pureté ou de la radicalité militante comme un piège individualiste. Si l’on souhaite lutter contre le système psychiatrique, on peut chercher des alternatives collectives et/ou expérimenter d’autres types de soutien et de soin.

Aller vers des institutions publiques, des psys libéraux ou des structures associatives ?

Il n’existe pas de meilleures solutions pour trouver de l’aide professionnelle : tout dépendra de votre cas particulier. Voici quelques réflexions rapides sur les différentes possibilités.

Les institutions publiques comme les CMP (Centre Médicaux-Psychologiques) et les hôpitaux ont l’avantage d’être mieux remboursés par la sécurité sociale ou même d’être gratuits. Des structures publiques sont mises en place en cas d’urgence également (crise suicidaire, etc.). Cependant notez que les institutions publiques ont plus tendance à décider sans consentement des mesures extrêmes comme l’enfermement psychiatrique, l’enlèvement de garde d’enfants pour les femmes psychiatrisées, etc.

Il y a également beaucoup de psys libéraux. Les psychiatres sont des médecins qui peuvent prescrire des médicaments. Les consultations avec les psychiatres sont donc remboursées par la sécurité sociale plus ou moins partiellement selon s’ils pratiquent des dépassements d’honoraires ou non [2] et peuvent l’être totalement si vous obtenez une reconnaissance d’Affection Longue Durée. Les autres psys libéraux comme les psychologues ou les psychothérapeutes ne sont pas des médecins et ne sont en général pas remboursés par la sécurité sociale.

Des structures associatives proposent également du soutien aux personnes ayant des troubles psys. N’hésitez pas à vous renseigner !

Comment trouver un·e psy ?

On peut vite se retrouver perdu·es entre tous les types de psychothérapies qui peuvent être proposées. Selon les villes, des réseaux de soutien psy peuvent exister, renseignez vous auprès de vos proches ou de réseaux militants.

J’aime bien le concept trouvé sur Internet de psys situé·es. Une pratique située veille à garantir un espace dans lequel on s’attache à ne pas reproduire les oppressions systémiques existant dans le champ social : racismes, patriarcat, validisme, classisme, âgisme, transphobie... Un.e psy situé·e a conscience de ces discriminations, les prend en compte et cherche à les exclure de ses pratiques [3].

Pour trouver des psys situé·es (par exemple avec une pratique féministe ou ayant l’habitude de travailler avec des personnes trans), vous pouvez
demander conseil à des réseaux féministes ou trans locaux. Certain·es psys proposent également d’adapter leurs tarifs en fonction des revenus.

Quand vous n’arrivez pas à trouver de personnes pour vous conseiller ou que vous avez eu des conseils différents, la meilleure solution a l’air d’être de se lancer au hasard, et de chercher ainsi une personne et une méthode qui vous conviennent. Il ne faut pas hésiter à arrêter de travailler avec un·e psy si l’on ne se sent pas bien ou en confiance ou à essayer plusieurs choses en même temps (par exemple contacter un CMP et voir un·e psy libéral·e en parallèle).

Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC), psychanalyse, etc.

Ce qui va suivre est une description assez caricaturale de différentes techniques de psychothérapie car je suis loin d’être un spécialiste du sujet. Les thérapies cognitivo-comportementales sont souvent proposées pour traiter les dépressions. Ces thérapies cherchent plutôt à s’attaquer aux mécanismes de maintien des dépressions (par exemple en essayant de remplacer progressivement les cercles vicieux par des cercles vertueux en comprenant les origines des cercles vicieux ou en proposant des exercices pratiques). La psychanalyse essaye plutôt via des discussions de remonter jusqu’à des événements traumatiques qui nous auraient marqué·es. Il se peut qu’un·e psy mélange psychanalyse et TCC par exemple.

Mais gardez à l’esprit que le plus important reste la qualité du contact humain que vous avez avec votre psy et de comment vous vous sentez.

Quelques ressources

Il est certain que j’ai oublié plein de ressources supers car je ne les connais pas. N’hésitez pas à me contacter pour que je les lise et les rajoute. Sur le PDF, les noms en gras sont cliquables avec des liens valides en 2021.

- La boîte à outils du Zinzin zine. Cette boîte à outils regroupe plein d’outils d’auto-défense psychologique.

- Traverser une crise, brochure du projet Icarus.
Conseils pratiques en 4 pages sur comment réagir en cas d’urgence

- Les ami·es sont les meilleurs des remèdes, brochure du projet Icarus. Des idées pour se rencontrer autour des questions de soins, de troubles psys, etc.

- Sur le fil de la folie, brochure du projet Icarus. Témoignage touchant et instructif d’une personne catégorisée comme bipolaire.

- La dépression, en savoir plus pour en sortir. Brochure officielle en collaboration avec le Ministère de la santé qui présente le diagnostic de dépression et les méthodes médicales pour en sortir.

- Je réinvente ma vie (disponible sur ZLibrary). Livre qui présente la théorie des schémas, quelques témoignages et des méthodes proposées pour sortir de schémas dysfonctionnels typiques.

- CBT the Cognitive Behavioural Tsunami. Managerialisms, Politics and Corruptions of Science (disponible sur ZLibrary). Ce livre relie la prédominance des TCC (CBT en anglais) en Angleterre et l’avénement du néolibéralisme économique. Par exemple, ce livre parle de la médicalisation du chômage via des traitements psys pour rayer des personnes des listes de demandeur·euses d’emploi.

- Sustainable activism, regenerative organism. Quelques réflexions en anglais sur comment rendre concrètement notre militantisme plus soutenable et éviter les burnouts militants.

- Le film Radical Resilience. Ce film souhaite participer à une culture du soin pour limiter les risques de burnouts militants et ce qu’ils impliquent pour nos mouvements.

- À claire voie, manuel de savoir être fou en société. Longue brochure engagée présentant entre autres les différentes thérapies psy, les médicaments psy ainsi que les structures institutionnelles.

- Discuter avec mon ou ma médecin/psychiatre : développer des stratégies pour regagner du pouvoir. Document écrit par le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ).

[1Le concept de travail gratuit des femmes pour les hommes est détaillé dans le livre L’ennemi principal, économie politique du patriarcat de Christine Delphy.

[2Les médecins qui ne pratiquent pas de dépassement d’honoraires sont dits "conventionnés secteur 1".

[3Ces phrases sont copiées-collées du site toulousain psysafeinclusifs.wixsite.com.




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