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La liberté est dans mon cœur
Lettres sur une révolte à la prison de Muret
mis en ligne le 19 mars 2021 - Saori , Seiya
« La liberté est comme l’amour, un sentiment que personne ne peut nous enlever. »
Témoignage de Seiya
Le mardi 27 octobre 2020, à la prison de Muret proche de Toulouse, nous étions nombreux, nous les prisonniers, à être décidés à mener un blocage dans la cour de promenade.
C’est-à-dire qu’on refusait de rentrer en cellule à moins d’être entendus par la direction de la prison. Car, après avoir passé tout le printemps, l’été et l’automne totalement isolés, séparés de nos proches comme jamais – pour nous protéger du Covid, selon la direction – on avait de plus en plus de revendications.
On a pris la décision ensemble, et on l’a fait.
Voici ce que nous demandions : ne plus avoir de séparations lors des parloirs et lever l’interdiction de contact ; autoriser de nouveau les colis de linge [1] et ceux de Noël [2].
Dans cette prison, le calme qui règne ressemble au silence d’un cimetière.
Dans cette prison, j’ai des potes, il y a de l’entraide, mais je n’avais jusque-là jamais rencontré de camarades de lutte. Ce jour-là, j’étais donc content, car nous étions 29 prisonniers à tenir le blocage de 17 heures à 22 heures.
Ces « terribles » revendications et notre ferme détermination à rester dans la cour nous ont valu les menaces des surveillants jusqu’à ce que la direction appelle les ÉRIS [3].
Est-ce que vous les connaissez ? Ce sont des mecs-bulldozers habillés en Terminator, spécialisés dans la répression des rebellions. Ils sont équipés et entraînés pour nous faire taire par la force. Ils sont donc intervenus pour balayer notre demande de voir nos amis, nos familles, nos amours et d’avoir un colis…
Sachez que notre but était de faire venir les ÉRIS (au lieu d’avoir peur d’eux), car tant qu’ils ne viennent pas, notre parole ne sort pas des murs de la prison.
Si on oblige l’administration pénitentiaire à les faire venir, cela signifie que la Direction interrégionale des services pénitentiaires sera au courant, en plus du coût de l’opération.
Et puisque personne ne nous donne nos droits et encore moins notre liberté, il faut que les gens qui luttent les arrachent.
Il faut user de stratégie, il faut continuer, il faut les fatiguer ! Vous comprenez ? C’est une tactique de guerre, c’est une arme de lutte. L’administration pénitentiaire le sait, elle, puisqu’à un moment ils nous ont mis en face de matons déguisés en ÉRIS pour nous faire croire que nous avions atteint notre but. Mais nous n’avons pas été dupes et on a bien rigolé d’eux et de leur mascarade !
On a poursuivi jusqu’au soir. Et même si nous n’étions qu’un petit groupe, nous nous sentions forts, comme si nous étions des géants. Et tout ce qui se trouvait face à nous semblait minuscule, y compris les ÉRIS. Combattre ensemble soulage, donne un nouveau souffle.
Depuis, nous sommes déjà passés devant la commission disciplinaire.
On a tous écopé de vingt jours de mitard [4], mais parce qu’il n’y a pas assez de place pour autant de révoltés d’un coup, on fera huit jours de ferme et on aura douze jours de sursis.
Lorsque je suis passé devant la commission disciplinaire, l’administration m’a dit :
« On voulait vous protéger du Covid et on a conservé l’essentiel ».
Je leur ai répondu : « Pour nous, l’essentiel c’est la famille.
Si mon amour vient ici et que je ne peux même pas l’embrasser, je meurs. »
Puis ils m’ont dit : « Vous croyiez vraiment que votre blocage nous ferait reculer ? »
Et je leur ai dit :
« Vous croyiez vraiment que vous pouviez tout nous enlever sans qu’on agisse ? ».
Le 27 octobre, nous avons été très nombreux à descendre en promenade avec la décision de bloquer, et nous avons été 29 à rester unis et à tenir le coup.
C’est pas mal quand même !
Ce moment de blocage en commun a été un moment de bonheur, un moment de bien-être.
Je me suis senti à ma place, c’était ça ma vraie réinsertion – une réinsertion dans la vie.
Cette action m’a donné de la force, a fait battre mon cœur.
Je me suis senti revivre, parce que je me battais pour ma vie, pour ma vie en liberté.
Le fait de lutter ensemble donne un sens à mon existence.
Vivre signifie pour moi partager l’amitié, l’amour et combattre pour la liberté.
C’est pourquoi, en plus de nos revendications, on voulait aussi donner du courage à la Maison d’arrêt de Seysses qui se trouve pas loin de nous, car il y a là des prisonniers ayant des peines plus courtes que les nôtres, et il leur est plus difficile de s’organiser et de se révolter.
On leur met bien dans la tête que s’ils le font, ils ont davantage de choses à perdre...
Personnellement, je n’ai rien à perdre et j’ai peu de choses à gagner. Je suis un prisonnier étranger sans papier. Quoi que je fasse, les tribunaux et les prisons ne me donnent jamais aucune permission, aucune grâce, pour que je puisse sortir un peu avant de la fin de ma peine. J’aurais pu rester en cellule, face au mur, sans rien faire...
Mais ce n’est pas mon caractère : je dis toujours ce que je pense, les punitions ne peuvent pas changer mes idées.
Depuis longtemps je ne suis pas sorti, on pourrait dire que je n’ai plus le goût de la liberté, mais la liberté est dans mon cœur.
Je ne l’ai jamais quittée. Notre révolte équivaut à une permission de sortie.
Elle m’a donnée l’air de la liberté.
Tout combat que je peux mener pour n’importe quel autre être humain vaut la peine. Il faut se battre pour la liberté, car c’est un sentiment qu’on trouve uniquement dans le combat, dans le combat pour la liberté-même, qui est aussi une lutte pour l’amour.
Je crois fermement que ce sont les gens qui se rebellent qui peuvent changer les choses – en tout cas, nous qui nous rebellons, nous sommes encore des êtres vivants, et c’est déjà une victoire !
Si à l’avenir quelques potes prisonniers ou d’autres gens profitent des fruits de notre révolte, je serai heureux.
L’administration pense maintenant qu’elle va nous torturer avec la punition du mitard.
Mais on s’en fout de ce mitard !
Car on est toujours heureux de ce qu’on a fait !
On ne fait pas ce mitard pour une bêtise, on le fait pour une bonne cause. Et tous ensemble.
On veut tout nous enlever, mais il y a toujours un grain de liberté, un grain de liberté et d’amour qui est plus fort que la méchanceté, la prison et la violence de l’oppression. Je vous raconte tout cela en souriant, juste quelques jours avant d’entrer au mitard.
J’ai été très heureux d’apprendre que, dans d’autres prisons aussi, les prisonniers se sont révoltés, et que des amis et des familles s’organisent.
Dans la presse officielle, on ne parle pas de tout ça, alors merci de faire circuler notre parole.
Seiya
Témoignage de Saori
Ce printemps, les prisonniers comme leurs ami.e.s et familles attendaient le déconfinement. Nous souhaitions et avions besoin de la remise en service des parloirs « normaux », ou disons plutôt habituels.
Pour nous, l’été n’a pas commencé comme pour le reste de la population.
Pendant que les centres commerciaux, les bars, les restaurants, les plages et les cinémas ont rouvert, on nous a uniquement donné une seule heure de parloir.
(Sachez que dans certains centres de détention, il est d’habitude possible d’avoir quatre parloirs dans un week-end).
Et pour cette misérable heure de parloir, il fallait signer un papier à l’entrée qui confirmait que nous acceptions l’interdiction de contact, l’obligation du port de masque pendant notre visite et la séparation entre nous par une double table.
Notre intimité même n’était pas respectée car les surveillants passaient pendant notre rencontre en nous regardant par les petites fenêtres pour vérifier qu’on « respectait » bien les interdictions.
Les parloirs familiaux (PF), où on peut passer trois heures avec notre proche dans un salon aménagé pour donner une illusion de chez-soi, ont été supprimés. Les unités de vie familiale (UVF), où l’on peut voir les prisonniers pendant six, douze, vingt-quatre ou soixante-seize heures dans une espèce de petit studio, étaient maintenues à la condition expresse que le prisonnier passe ensuite quatorze jours en isolement, comme mesure de protection du Covid.
Qui parmi nous souhaiterait que son ami, son proche, paye aussi cher pour notre rencontre ?
Et puis les PF comme les UVF ne sont pas le Club Med…
Après avoir passé des années séparés d’un être aimé par la force, c’est juste une miette qu’on nous jette pour que le manque de liberté ne nous rende pas totalement fous.
De plus, réussir à réserver un PF ou une UVF est tellement difficile qu’au final, c’est pratiquement impossible pour de nombreuses personnes. En effet, pour faire la demande il faut qu’on précise la date souhaitée deux à trois mois avant !
Hors on est nombreux à avoir des plannings de travail aléatoires, un budget incertain, ou une vie impossible à prévoir avec autant d’anticipation.
Même si on parvient à fixer une date, il reste que cela revient à tenter le tout sur la roue de la Fortune : la direction donnera son accord à notre demande juste un peu avant de la date demandée…
Ce n’est donc pas un cadeau.
À la fin de l’été, on pouvait « bénéficier » d’une heure supplémentaire – mais pas le même jour que la première !
Et l’administration pénitentiaire a créé des obstacles supplémentaires pour la réservation des parloirs afin de nous décourager. Je dis « obstacles supplémentaires », car sachez que la simple réservation de parloirs est déjà un parcours du combattant.
Cette fois, le niveau de difficulté a augmenté : il fallait réserver les deux parloirs séparément (et donc s’engager dans deux parcours du combattant).
Puis, une fois qu’on avait obtenu le premier parloir, on pouvait seulement réserver le deuxième deux jours avant la date souhaitée.
Or, comment organiser tout un voyage et un hébergement en avance sans savoir jusqu’au dernier moment si on pourra voir notre proche ou pas ?
La plupart des prisonniers sont enfermés dans les prisons loin de leurs ami.e.s et de leurs familles, il faut donc faire tout un voyage pour les voir. Il est donc nécessaire de prévoir en avance l’hébergement, l’achat des billets de train, et si on n’est pas riches, il coûte cher de le faire au dernier moment.
Quand j’ai envoyé une lettre exposant cette problématique en demandant si l’administration pénitentiaire pourrait trouver une autre solution comme « protection du Covid », la réponse était en gros : si les conditions vous posent tellement de difficultés, vous avez le droit de supprimer vos parloirs…
Voici la preuve qu’une demande pacifique et légale ne suffit pas à changer les conditions, voire qu’elle peut se retourner contre nous.
On attendait alors l’automne pour avoir un peu plus de possibilités. Au lieu de quoi on a reçu les nouvelles restrictions, de nouvelles attaques. À ce parloir où on avait déjà l’interdiction de contact, l’administration a ajouté une vitre du sol au plafond, pour nous séparer totalement ! Cette nouvelle a provoqué une sensation de terreur en moi, et pour la première fois que j’ai même hésité à m’y rendre. Pour de nombreux proches le parloir est un moment précieux car, malgré les circonstances, c’est notre rendez-vous avec un être aimé.
On attend ces retrouvailles avec anxiété, on se prépare pour cela dans tout notre être - physiquement et sentimentalement -, on fait tout un voyage, et quand enfin on est là avec notre proche, la joie nous fait même oublier, le temps d’une heure, l’ambiance inhumaine, toutes ces lourdes portes métalliques, les barreaux, les grilles, les multiples contrôles de surveillants, tout ce qu’il faut traverser pour arriver à notre but.
Alors imaginez quand par cette vitre on nous enlève même la joie de cette petite rencontre...
De fait, je ne savais même pas si je supporterais de voir un être aimé enfermé dans ce cube vitré, et qu’il me voit pareille, comme dans un aquarium.
Comment se rencontrer entre deux êtres humains dans pareilles circonstances où on est privés justement des sensations qui font de nous des êtres vivants : privé du goût, du toucher, de l’odorat...
C’est un cauchemar absurde !
On ne peut pas accepter d’être transformés en robots, qu’on nous enlève les sens, ce qui nous définis comme être vivants, comme être humains.
La peine de mort a été supprimée mais n’est-ce pas en quelque sorte une autre façon de nous anéantir ?
En plus, les UVF ont été totalement supprimées, et ce même si le prisonnier acceptait les quatorze jours d’isolement.
L’administration évoquait même la suppression des dépôts de linge et des colis de Noël : un des rares gestes que l’on puisse faire pour améliorer le quotidien en prison, et le seul petit cadeau de nourriture qu’on peut légalement donner à notre proche enfermé. En recevant ces nouvelles, on craignait même qu’il aillent jusqu’à supprimer les petites heures de parloirs sur-surveillés…
Pour survivre à cette situation qu’est l’enfermement, dedans comme dehors, il faut garder en tête que, même dans les pires conditions, on peut encore vivre : créer des amitiés, et même connaître et attiser l’amour.
Surtout, il ne faut pas oublier que, pour pouvoir maintenir nos liens, il faut se battre.
Vivre, cela veut donc dire combattre, ensemble, contre la violence de l’enfermement.
Saori
Précisions et mises en contexte
Mesures contre l’épidémie ?
Si l’administration pénitentiaire justifie restrictions et mesures répressives au nom de la crise sanitaire, ces quelques mots ont pour but de remettre en contexte et de pointer quelques incohérences, hypocrisies et autres aberrations...
Dès le début de l’épidémie, il a été question de restreindre l’accès des prisons aux familles, aux enseignants et autres intervenants extérieurs alors que, dans un premier temps, aucune mesure n’a été prise pour protéger les prisonniers des matons qui font des allers-retours de part et d’autre des murs et, loin de toujours respecter les distances, se plaignaient eux-mêmes de n’avoir pas le moindre savon à disposition.
Chaque suspicion de cas ou chaque cas avérée a permis de jeter l’opprobre sur les visiteurs et d’augmenter les restrictions en ce sens alors même que les contaminations venaient le plus souvent du personnel soignant ou du personnel pénitentiaire.
En dehors des suppressions des activités culturelles voire d’enseignement et de la fermeture des salles de sport, aucune mesure n’a été mise en place pour empêcher les prisonniers de se contaminer entre eux, que ce soit dans les cellules surpeuplées des Maisons d’Arrêt, dans les douches, dans les « salles d’attente » pour le parloir ou l’infirmerie.
Les libérations par anticipation du printemps ont avant tout été un effet d’annonce qui a eu pour but d’éteindre les révoltes en prison avant qu’il n’y ait davantage de flammes contestataires, l’une des premières conditions pour y prétendre étant de ne justement de ne pas avoir fait de vagues.
Dans les faits, les prisonniers présentant des vulnérabilités, par exemple des pathologies respiratoires, n’ont pas eu droit à des libérations conditionnelles ni à la moindre protection spécifique au sein de la détention.
Depuis le mois de septembre 2020, le taux d’incarcération est reparti en nette hausse. Au 1er novembre 2020, alors que les clusters en prison se multiplient, 609 personnes dorment toujours sur un matelas par terre (principalement dans les maisons d’arrêt) au mépris des consignes sanitaires mais surtout de la dignité.
Quoi que l’on pense des mesures prises face à l’épidémie de coronavirus, force est de constater que la population carcérale n’est pas considérée de la même manière que le reste de la population : si le port du masque est obligatoire dans les lieux publics clos depuis le 20 juillet, et en extérieur dans de nombreux endroits depuis fin août, le masque n’est obligatoire en détention que depuis le 30 octobre.
Vers la fin septembre et la mi-octobre encore, des prisonniers des MA de Lyon-Corbas et de Toulouse-Seysse ont témoigné du fait qu’ils n’avaient reçu aucun masque pour se protéger et qu’un surveillant sur deux n’en portait pas.
Certains se sont même fait envoyer masque et gel hydro-alcoolique par delà les enceintes...
Covid ou pas, la santé des personnes enfermées est très clairement méprisée par les autorités, ce n’est pas nouveau.
Sans même parler des moyens alloués au soin en détention ou des pathologies mentales (créées et renforcées par l’incarcération).
Combien de prisonniers, présentant une pathologie chronique, se sont retrouvés au mitard sans leur médicament ?
Combien sont morts dans leur cellule, faute de soin, pour une pathologie pourtant curable ?…
Si les masques sont désormais obligatoires, cela ne signifie nullement qu’il seront vraiment distribués, comme ne le sont pas d’autres matériels de prévention, par exemple les préservatifs sensés être systématiques dans le paquetage arrivants et pourtant vitaux étant donné le taux de contamination par le VIH dans les prisons...
Si l’on peut présumer que les matons distribuent en revanche allègrement des compte-rendu d’incidents pour refus de port du maque (et donc les peines de mitard, après récidive), on peut aussi présager du fait qu’ils ne seront pas des plus assidus à gérer les corvées de désinfection et d’aération des espaces ni à respecter les distances, et, pas plus qu’avant le Covid, à appeler les secours ou permettre aux prisonniers d’aller voire des soignants quand c’est nécessaire...
Quant aux mesures à venir, si il semble que la suppression du colis de Noël ait été définitivement écarté par le Ministère, on sait désormais que lorsque l’établissement se situe en zone d’alerte épidémique « maximale » c’est aux préfets de prendre les décisions... de quoi aller un peu plus loin dans l’arbitraire et l’improvisation, sans doute une fois de plus au détriment des prisonniers et de de leurs proches.
[1] Dans une cellule de 9 m², les prisonniers n’ont pas assez de place pour étendre le linge, ni pour ranger leurs habits pour toute l’année. Le fait de les priver de leur linge juste avant l’hiver signifie qu’ils gardent seulement leurs vêtement d’été pour la période de froid. Certains n’ont que quelques habits, qui parfois deviennent trop grands ou s’abîment, et n’auraient alors comme seul recours que le Secours catholique pour se vêtir, si tant est que le service fonctionne en temps de confinement. Sans parler de la joie que suscite le fait d’avoir du linge qui sent bon l’extérieur de la prison...
[2] Si l’envoi de colis aux prisonniers est interdit, les proches peuvent chaque année, à la période de Noël, déposer à l’accueil de la prison un colis dont le poids maximum (généralement 5kg) et les possibilités quant à son contenu (alimentaire, photos, livres, dessins d’enfants) sont fixés par la direction de chaque prison.
L’arbitraire des règles, qu’en plus de la direction les surveillants se plaisent à modifier à l’humeur, et la longueur des contrôles posent beaucoup de difficultés aux proches qui déposent le colis.
Toutefois, il s’agit pour les prisonniers d’un des rares moments qui brisent la monotonie carcérale : un lien avec le plaisir de découvrir ce que son proche a préparé, de goûter des denrées qui sortent de la fadeur des produits de cantine et qui changent de l’infâme gamelle (surtout pour ceux qui ne peuvent se permettre de cantiner), celui de partager avec les autres prisonniers des choses qui viennent de l’autre côté des murs...
La période de Noël est une période difficile pour les personnes enfermées, le nombre de suicide y est encore plus important que le reste de l’année. En 1971 puis en 1972, la suppression des colis de Noël dans les prisons françaises (faite à la demande des syndicats de surveillants) a engendré de nombreuses révoltes dans les prisons de tout le pays avec des grèves de la faim, des grèves du travail, des mutineries, etc.
[3] Surnommées « GIGN de la pénitentiaire » mais appelées plus couramment – et cyniquement – Eris (du nom de la déesse grecque de la discorde, mère de la souffrance, des douleurs, du discours mensonger, etc.), les Équipes régionales d’intervention et de sécurité sont des unités d’intervention de l’administration pénitentiaire. Elles sont crées en 2003, par le ministre Perben et le préfet Lallement, suite aux mutineries dans les prisons centrales de Moulins et de Clairvaux.
A la différence du surveillant pénitentiaire lambda qui ne peut porter d’armes létales que dans les guérites, les éris sont constituées de matons qui peuvent rentrer en détention avec un arsenal constitué de tonfas, flashball (LBD), pistolet à impulsion électrique (taser), grenades de désencerclement, pistolet Glock 17 et fusil à pompe Remington 870, mais aussi casques, boucliers, pare-balles, cagoules, gants, bottes, etc.
Elles ont également le pouvoir d’intervenir avec des chiens de recherche de substances explosives et de stupéfiants, celui de pratiquer des fouilles à nu sur les prisonniers et des palpations sur les visiteurs. On compte aujourd’hui, éparpillés sur toute la France, dix équipes constituées d’une quarantaine d’agents, répondant toutes à la doctrine du maintien de l’ordre par la violence.
Violence maintes fois dénoncée par les personnes incarcérées qui réussissent à prendre la parole, et ce encore récemment, début novembre, par les prisonnières de la Maison d’arrêt pour femmes des Baumettes.
Violence pour laquelle la France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2005...
Depuis, les Eris sont également épaulées dans leur besogne par ses émanations que sont les ESP et ESLP (équipes de sécurités pénitentiaires) qui possèdent également un arsenal particulier et le pouvoir de fouille et de palpations des visiteurs.
La création des ERIS et compagnie a permis d’institutionnaliser la violence et ainsi de banaliser et normaliser encore davantage la violence carcérale, de donner une carte blanche à l’ensemble du personnel pénitentiaire pour faire usage de la force.
[4] Le mitard, cachot ou chtar, nommé officiellement quartier disciplinaire (QD), désigne une aile de la prison où sont regroupées les cellules utilisées à des fins de punition. Après condamnation sur décision du prétoire (l’instance disciplinaire de la prison), le prisonnier y est enfermé dans une cellule individuelle contenant uniquement un WC, un lavabo, et un « sommier » fixés au sol. Hormis la maigre gamelle quotidienne, une couverture, un livre, du papier, un stylo, une radio (rarement fournie), et la possibilité de cantiner tabac et produits d’hygiène de base, rien n’est autorisé.
La taille et l’état des cellules, la lumière qui y pénètre, différent d’une prison à l’autre : du cachot minuscule sombre et humide qui n’a pas changé depuis des décennies à la froideur de l’inox et de la norme strictement respectée pour mieux déshumaniser.
La personne enfermée ne peut sortir de la cellule qu’à l’occasion de la douche (maximum trois fois par semaine) et lors d’une « promenade » journalière d’une heure dans une cellule extérieure individuelle où les fientes de pigeons ont moins de mal que les rayons du soleil à passer à travers les barreaux.
Le prisonnier a (théoriquement) droit à un parloir d’une heure et un appel téléphonique par semaine. La peine maximale de mitard est de 30 jours mais, dans les faits, l’administration peut la renouveler aussitôt que la personne en sort.
Contact : saro.nahuatl@@@gmail.com
Reproduction vivement conseillée
Dessins de Saori, Laurent Bru, Solveig et Anabel.
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